Jésus est-il Dieu ?
LA Trinité a été présentée comme “ le mystère central de la foi et de la vie chrétienne ”. (Catéchisme de l’Église catholique, § 234.) Selon cette doctrine, le Père, le Fils et l’esprit saint sont trois personnes en un Dieu. Le cardinal O’Connor a cependant confessé qu’il s’agit là d’“ un mystère très profond, dont la compréhension nous échappe totalement ”. Pourquoi la Trinité est-elle si difficile à comprendre ?
À l’entrée “ Trinité ”, on lit ceci dans un ouvrage spécialisé : “ Il peut sembler étrange de faire figurer dans un dictionnaire biblique ce mot qui ne se trouve en aucun texte de la Sainte Écriture a. ” Pour cette raison même, les tenants de la Trinité sont à l’affût de tout verset qui viendrait étayer leur enseignement — quitte à en forcer parfois le sens ?
Un verset trinitaire ?
Au nombre de ces versets controversés figure Jean 1:1. La Bible de Jérusalem le rend ainsi : “ Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu [en grec, ton théon] et le Verbe était Dieu [théos] b. ” Comme signalé entre crochets, le texte original contient deux formes du substantif grec théos (dieu). La première est précédée d’une forme de l’article défini, ton (le) ; dans ce cas, théon désigne le Dieu Tout-Puissant. Dans le second cas, par contre, théos est sans article. Faut-il y voir une erreur ?
Pourquoi la doctrine de la Trinité est-elle si difficile à comprendre ?
Le grec koinè (ou commun), dans lequel l’Évangile de Jean a été écrit, possède ses règles propres en matière d’emploi de l’article défini. L’helléniste Archibald Robertson a expliqué que, si un sujet et son attribut sont tous deux précédés d’un article, “ ils sont définis, et à considérer comme identiques, équivalents, interchangeables ”. Et de prendre pour exemple Matthieu 13:38 : “ Le champ [ho agros], c’est le monde [ho kosmos]. ” Grammaticalement, si le champ c’est le monde, le monde est aussi le champ.
Qu’en est-il lorsque seul le sujet est précédé de l’article défini, comme en Jean 1:1 ? Prenant ce passage pour exemple, James Hewett, spécialiste de grammaire néotestamentaire, souligne que “ dans ce type de construction, sujet et attribut ne sont ni équivalents, ni égaux, ni identiques, ni rien de semblable ”.
À l’appui, l’auteur cite 1 Jean 1:5, où on lit : “ Dieu est lumière ”. “ Dieu ” traduit le grec ho theos, ho étant l’article défini. En revanche, phos (“ lumière ”) n’est pas précédé de l’article. Conclusion : “ Si on peut [...] dire de Dieu qu’Il présente les qualités de la lumière, on ne peut pas toujours dire de la lumière qu’elle est Dieu. ” Dans le même registre, citons 1 Jean 4:16 : “ Dieu est amour ”. En grec, dans ces deux occurrences, le sujet est précédé de l’article défini, ce qui n’est pas le cas des attributs “ Esprit ” et “ amour ”. Si bien que sujets et attributs ne sont pas interchangeables. En clair, ces versets ne peuvent signifier “ un Esprit est Dieu ” ou “ l’amour est Dieu ”.
Qui donc est “ la Parole ” ?
Nombre d’hellénistes et de traducteurs de la Bible reconnaissent que Jean 1:1 souligne, non pas la notion d’identité, mais une caractéristique de la “ Parole ”. La version d’Oltramare rend la fin du verset par “ la Parole était d’essence divine ”. Reprenant en note la même expression, Edmond Stapfer a précisé que “ le mot Dieu n’est pas précédé de l’article dans le texte grec, ce qui lui donne ce sens atténué ”. L’helléniste Hubert Pernot a opté pour l’expression “ le Logos était dieu ” (avec une minuscule), justifiant ainsi son choix : “ Comme l’auteur vient d’établir une distinction entre le Logos et Dieu, il est difficile de lui faire dire : et le Logos était Dieu. Mieux vaut entendre que le Logos avait un caractère divin c. ” Concluant que le Logos ne désigne pas “ le Dieu suprême ”, le Nouveau vocabulaire biblique explique : “ Le texte est précis. Il omet l’article devant le mot ‘ dieu ’, alors que la ligne précédente le contenait. [...] ‘ Divin ’ est trop faible, ‘ Dieu ’ est trop fort. Le mot ‘ dieu ’, avec la minuscule, cherche à rendre la pensée d. ”
Jésus a fait une nette distinction entre son Père et lui.
Si pour certains l’identité de Dieu est condamnée à être “ un mystère très profond ”, ce n’était apparemment pas l’avis de Jésus. Dans une prière à son Père, il a fait une nette distinction entre son Père et lui lorsqu’il a dit : “ Ceci signifie la vie éternelle : qu’ils apprennent à te connaître, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. ” (Jean 17:3). Il s’agit donc de croire Jésus et d’adhérer aux clairs enseignements de la Bible. Ce faisant, l’on respecte Jésus pour ce qu’il est : le divin Fils de Dieu ; et l’on adore Jéhovah, qui est “ le seul vrai Dieu ”.
a André-Marie Gerard, Dictionnaire de la Bible, Éditions Robert Laffont, S. A., Paris, 1989.
b Les Bibles catholiques et protestantes rendent la dernière partie de façon sensiblement identique : “ la Parole ” ou “ le Verbe ” “ était Dieu ”.
c Pages choisies des Évangiles, Paris, “ Les Belles Lettres ”, 1925, p. 43.
d Paris, Bayard, 2004, p. 441.
LA TOUR DE GARDE