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Argentine

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L’ARGENTINE est facile à situer sur une carte des Amériques. Avec son voisin de l’ouest, le Chili, elle a la particularité d’être un des deux pays américains qui s’avancent le plus vers le sud en direction de l’Antarctique. Le pays s’étend du nord au sud sur une distance de 3 694 kilomètres, et son climat, son relief et sa végétation offrent une très grande variété.

Le centre de l’Argentine est essentiellement constitué de prairies, appelées “pampas”. C’est dans cette région que les “gauchos” exercent depuis très longtemps leurs talents de cavaliers tout en gardant de très grands troupeaux de bovins. À l’extrême nord-ouest se trouve un haut plateau désertique. Au nord-est, là où les touristes peuvent admirer les magnifiques chutes de l’Iguazu, s’étend une jungle humide. En allant vers le sud, on traverse les plaines de l’Entre-Rios (littéralement “entre les rivières” Paraná et Uruguay) pour pénétrer dans une région accidentée aux terres fertiles. La Pampa est prolongée au sud par une région aride appelée Patagonie qui s’étend du fleuve Colorado jusqu’au détroit de Magellan. C’est une région qui convient très bien à l’élevage des moutons.

En remontant vers le nord, le long de la cordillère, on rencontre de nombreux lacs. C’est dans cette région que se trouve San Carlos de Bariloche, le centre de ce qu’on a appelé “la Suisse de l’Amérique du Sud”. Plus au nord, se trouvent Mendoza et la province voisine de San Juan, région d’Argentine où l’on produit des fruits et du vin.

Un tel pays, aux beautés si variées, était en mesure d’attirer une foule d’immigrants venus de nombreux pays d’Europe ; c’est ce qui se produisit, si bien qu’en 1970 l’Argentine comptait 23 364 431 habitants. Jéhovah n’allait certainement pas empêcher sa proclamation de paix, la bonne nouvelle de son Royaume dirigé par Jésus-Christ, d’atteindre cette population en pleine croissance. En 1924, les bonnes nouvelles annonçant les choses merveilleuses que Dieu tient en réserve pour l’homme commencèrent à être proclamées dans ce vaste territoire national.

DE FAIBLES DÉBUTS

Juan Muñiz, un témoin chrétien loyal et zélé, contribua beaucoup à ces débuts et fut étroitement associé aux intérêts du Royaume en Argentine jusqu’à sa mort, le 10 septembre 1967. Durant quarante-trois ans, il consacra son temps, ses forces et tous les moyens dont il disposait à étendre la pure adoration. Selon son propre récit (voir The Watchtower de 1964, pages 761-764), il accepta la vérité biblique à Philadelphie, aux États-Unis, où il tenait un commerce. C’était en 1916. L’année suivante, il commença à proclamer la “bonne nouvelle” et fut baptisé. En 1920, il vendit son affaire, afin de pouvoir consacrer tout son temps à la prédication.

J. F. Rutherford, alors président de la Société Watch Tower, lui demanda de se rendre en Espagne pour y superviser l’œuvre de prédication. Étant constamment surveillé par la police, il ne put pas faire grand-chose en Espagne, si bien qu’en 1924 frère Rutherford l’envoya en Argentine pour s’occuper de l’œuvre du Royaume. Il y avait déjà dans ce pays un homme qui avait reçu des publications des États-Unis. Frère Muñiz le contacta et l’invita à commencer l’activité du Royaume dans la région de Misiones, à l’extrémité nord du pays (voir la carte à la page 49). Cet homme était frère Kammerman.

Le pays comptait déjà un grand nombre d’habitants parlant l’allemand. Cela incita frère Muñiz à demander au président Rutherford d’envoyer en Argentine des frères parlant l’allemand, afin de l’aider. En 1925, Carlos Ott, un pionnier allemand, fut nommé dans ce pays.

Frère Eduardo Adamson, qui travailla de nombreuses années avec frère Muñiz dans le ministère chrétien et à la filiale de la Société Watch Tower, parle de l’excellent exemple laissé par les frères Muñiz et Ott en raison de leur attachement indéfectible à Jéhovah. Il rapporte ceci : “Frère Muñiz ne recevant aucune aide de personne et ayant besoin d’un soutien pécuniaire écrivit à la Société, à Brooklyn, pour demander une aide qui lui fut fort justement envoyée. Ceci devait être sa dernière demande d’aide, car il était déterminé à se passer de tout soutien pécuniaire venant d’un autre pays. Il se conforma à sa décision, bien que cela l’obligeât à passer de longues heures la nuit à réparer des montres, des horloges ou des machines à coudre.”

À cette époque, Buenos Aires comptait moins de 2 000 000 d’habitants. Il était logique que l’activité organisée commençât dans cette ville qui allait constituer un centre à partir duquel l’œuvre du Royaume s’étendrait jusqu’aux extrémités lointaines du pays, ainsi qu’en Uruguay, au Paraguay et au Chili. Frère Ott nous explique comment l’œuvre était accomplie : “Nous nous levions à 4 heures du matin et visitions toutes les maisons, rue après rue, en laissant des tracts sous les portes, plus particulièrement celui qui était intitulé Où sont les morts ? Un peu plus tard dans la journée, nous revisitions les mêmes maisons en présentant des publications telles que Le Photo-Drame de la création, Le divin Plan des Âges, La Harpe de Dieu et la brochure Les vivants peuvent-​ils parler aux morts ? Celle-ci était particulièrement appropriée étant donné l’importance du spiritisme à Buenos Aires.”

Des tracts étaient distribués aux personnes qui assistaient aux offices des différentes Églises évangéliques lorsqu’elles sortaient de leurs lieux de culte respectifs. Frère Ott se souvient qu’“un de ces prédicateurs protestants est sorti et a dit à frère Muñiz qu’il n’avait pas le droit d’être là, car son Église et lui étaient arrivés les premiers. Frère Muñiz lui a répondu : ‘Dans ce cas, les catholiques étaient ici avant vous ; et les Indiens étaient ici avant les catholiques ! Vous n’avez donc pas non plus le droit d’être là.’” Par suite de cette activité accomplie au moyen des tracts, un groupe d’évangélistes devinrent des Étudiants de la Bible, et un grand nombre d’entre eux ont servi fidèlement Jéhovah durant les années suivantes.

Avant 1928, frère Muñiz utilisa la radio comme autre moyen pour toucher le public. Au début, c’était le bureau de Brooklyn qui lui fournissait les sujets nécessaires, mais ensuite Luz y Verdad, édition espagnole de L’Âge d’Or (maintenant Réveillez-vous !), renfermait des articles spécialement conçus pour être lus à la radio. On se servit aussi d’enregistrements des discours de frère Rutherford. Dans les années 1930, on utilisa les stations radiophoniques de Buenos Aires, de Bahía Blanca et de Córdoba, ce qui permit d’amener un grand nombre de personnes à l’organisation. Cependant, au début des années 1940, frère Muñiz écrivit aux stations de radio que nous renoncions à cette méthode de prédication en raison de la censure. Cela était dû au fait qu’un prêtre faisait partie de la commission de censure.

LA PRÉDICATION À TOUTES SORTES DE GENS

En 1925, frère Ott commença à prêcher aux familles d’expression allemande. Il visitait les écoles que fréquentaient leurs enfants, afin d’obtenir leur adresse. Grâce à cette activité, de nombreuses personnes commencèrent à apprécier les vérités bibliques. “En deux mois, rapporte-​t-​il, j’ai obtenu quelque 300 adresses ; beaucoup de publications ont été placées, et un grand nombre d’abonnements à l’édition allemande de L’Âge d’Or obtenus. Même de nombreux Juifs d’expression allemande acceptèrent des publications.” Certains Allemands avaient déjà appris les desseins de Jéhovah avant de venir en Argentine, et, au contact des frère Muñiz ou Ott, l’intérêt de quelques-uns fut ranimé ; de leur nombre étaient Carlos Schwalm, de Prusse orientale, et la famille Kruger, d’Afrique du Sud. Deux autres Allemands, frère Ricardo Traub et frère Paul Hinderlich, ont également appris le message du Royaume en Argentine.

En raison des origines européennes d’un grand nombre d’habitants d’Argentine, les gens venant de l’étranger y ont toujours été accueillis amicalement. Évidemment, ces premiers proclamateurs du Royaume ont dû compter avec quelques catholiques très fanatiques. On prétend qu’en Argentine 88 pour cent des habitants sont catholiques. Toutefois, frère Ott nous dit : “Bien que ce soit un pays catholique, le clergé n’a pas toujours été tenu en haute estime. Je me souviens que durant la présidence d’Alvear (président du parti radical, 1922-​1928), les enfants jouant dans les rues de Buenos Aires criaient : ‘Touchez du bois !’, lorsqu’un prêtre était en vue. C’était leur façon de dire que ce dernier apportait le malheur et que pour avoir de la chance il fallait toucher du bois.”

Frère Ott a aussi expliqué pourquoi les habitants de ce pays semblaient si satisfaits d’eux-​mêmes ; il déclara : “Les Argentins n’ont pas souffert de la terrible Guerre mondiale ; il leur était donc très facile de penser et de dire qu’un tel cataclysme ne les frapperait jamais. Durant la guerre civile espagnole, on entendait généralement ce commentaire : ‘Que les Espagnols s’entretuent ! Ce ne sont pas nos affaires !’ Ils étaient convaincus que pareilles souffrances ne les atteindraient jamais.”

Si l’on met à part l’intérêt limité que frère Muñiz rencontra à Paraná, à Santa Fe et à Rosario lors de son retour du Paraguay en 1925 et l’activité de frère Kammerman dans la province de Misiones, l’œuvre de prédication et la diffusion des publications étaient concentrées sur Buenos Aires et les villes voisines. C’est là qu’une filiale fut ouverte en 1926, frère Muñiz en étant le serviteur.

En 1929, frère Muñiz envoya frère Traub au Chili pour s’occuper de l’œuvre du Royaume dans ce pays. En route, frère Traub s’arrêta quelque temps à Mendoza où il prêcha un peu. C’est ainsi que la famille Seegelken apprit l’espérance du Royaume. En fait, Hermán Seegelken était depuis longtemps conscient de l’hypocrisie des Églises catholique et protestante, si bien qu’il accepta avec enthousiasme le message du Royaume. Il en résulta que ses huit enfants reçurent un excellent fondement de connaissance biblique. Lucidio Quintana, leur oncle, qui avait si souvent déclaré que les Seegelken étaient devenus fous à cause de leur nouvelle religion, accepta lui-​même plus tard cette religion “folle”. Il fut pendant de nombreuses années ministre pionnier et surveillant de la congrégation, servant fidèlement jusqu’à sa mort. Ainsi, le groupe de Mendoza commença avec les Seegelken, les Trunecka et quelques autres personnes.

Lorsque les années 1920 arrivèrent à leur terme, le noyau de l’organisation théocratique avait été constitué. D’après les renseignements en notre possession, en 1925, il y avait dans ce pays un pionnier ordinaire et 2 681 exemplaires de diverses publications avaient été placés. En 1928, trois pionniers et trente et un proclamateurs de congrégation remettaient un rapport d’activité. Mais un grand champ d’activité restait à ouvrir, bien au-delà de la ville cosmopolite de Buenos Aires ; en effet, l’Argentine est un territoire de 2 776 655 kilomètres carrés, le deuxième pays d’Amérique du Sud pour ce qui est de la superficie

LE SERVICE DE PIONNIER LE LONG DE LA VOIE DE CHEMIN DE FER

Malgré l’immensité du territoire et le nombre très restreint d’ouvriers, des années auparavant avait été posé un fondement qui allait s’avérer très précieux pour l’extension de l’œuvre, plus particulièrement dans les années 1930. Il s’agissait de la construction d’un réseau de chemins de fer de plus de 40 000 kilomètres, le plus étendu de toute l’Amérique du Sud. Dès 1857, un premier train était en service sur une ligne courte partant de Buenos Aires, et les années suivantes le réseau ferroviaire se développa constamment. Ces lignes de chemin de fer rendirent un triple service à nos frères : ils s’en servirent comme moyen de transport pour eux-​mêmes ; ils purent grâce à elles se ravitailler en publications ; et, comme nous allons le voir, elles servirent à délimiter leur territoire. Les années trente allaient se révéler extraordinaires pour ce qui est de l’expansion théocratique.

Frère Adamson l’explique en ces termes : “Durant ces premières années d’activité, le service de pionnier fut accompli d’une manière toute particulière. En raison des conditions géographiques et commerciales du pays, la plupart des lignes de chemin de fer partaient de Buenos Aires en direction de toutes les autres parties du pays. Comme il n’y avait que très peu d’autres moyens de communication, les territoires des pionniers suivaient donc les voies de chemin de fer. Les pionniers se voyaient confier de grandes sections de lignes de chemin de fer et ils devaient visiter toutes les villes qui se trouvaient le long de celles-ci ; ils devaient parfois même parcourir la ligne entière, aboutissant à des centaines de kilomètres de leur point de départ. S’ils avaient de l’argent, ils voyageaient dans des wagons de deuxième classe, sur des banquettes de bois très dures. Mais s’ils n’avaient pas l’argent nécessaire pour payer leur place, ils voyageaient sur des plates-formes de trains de marchandises, en emportant tous leurs biens avec eux : un carton de publications, une valise et parfois une bicyclette.

“Leur tâche n’était pas facile ; aussi nous étions de tout cœur avec eux, et de nombreux amis faisaient de leur mieux pour les aider pécuniairement et leur procurer des vêtements. Je n’oublierai jamais notre vive émotion lorsque l’un de ces pionniers fut tué dans la ville de Santa Rosa, dans la province de La Pampa. Frère Rossi était en train de prêcher à un homme lorsque celui-ci s’excusa et rentra chez lui comme s’il voulait prendre de l’argent pour acquérir des publications. Il ressortit avec un fusil. Frère Rossi essaya de fuir, mais il fut atteint dans le dos.”

Frère Ott abonna José Reindl au périodique L’Âge d’Or en allemand, et lui procura ainsi beaucoup de joie. Il apprit que le livre Lumière était disponible en allemand. “C’est ainsi, relate frère Reindl, que je suis entré en contact avec la Société en Argentine. Je suis allé chez frère Muñiz, 1653 rue Bonpland, pour obtenir ce livre.” Frère Reindl ajoute : “Il m’a invité aux réunions et en 1930 je suis devenu témoin de Jéhovah. J’ai vécu avec frère Muñiz après avoir quitté mes parents. J’ai alors participé au service pour la première fois et, à l’occasion de la Commémoration suivante, j’ai été baptisé. Au début de l’année 1933, j’ai été envoyé à Mendoza comme colporteur ou proclamateur à plein temps du message du Royaume, pour apporter mon aide au groupe de personnes bien disposées que frère Traub avait formé pendant qu’il se rendait au Chili. María Rosa Seegelken était du nombre des proclamateurs que frère Traub avait entraînés dans le service du champ ; elle avait alors dix-huit ans. Deux années plus tard, nous étions mariés, et le lendemain, elle participait avec moi au service de colporteur.”

Frère Reindl se souvient très bien de son affectation de pionnier en 1935 ; il dit : “La Société nous confia comme territoire la ligne de chemin de fer de l’Ouest, qui commençait à San Rafael, dans la province de Mendoza, et se terminait à Suipacha, dans la province de Buenos Aires. Cette ligne s’étendait sur une distance de plus de 1 000 kilomètres en droite ligne, traversant le centre de l’Argentine et desservant de petites villes jusque dans la province de La Pampa. C’était la première fois que quelqu’un prêchait dans cette région. Les habitants ne savaient même pas ce qu’était une Bible. La proclamation n’était donc pas facile. Nous étions des ministres à plein temps, des pionniers spéciaux en quelque sorte, mais à cette époque-​là nous ne recevions pas d’allocation et nous devions vivre de la vente de nos publications. Cependant, nous étions heureux de participer à l’extension de l’œuvre dans ces régions où maintenant d’excellentes congrégations sont établies. Il nous a fallu une année entière pour couvrir tout le territoire le long de cette ligne de chemin de fer.

“Je me souviens d’avoir visité une ferme en pleine campagne, où un taureau nous a poursuivis ; mais nous avons placé un livre à un couple. De nombreuses années plus tard, nous avons eu le plaisir de rencontrer ce couple, et la sœur nous a demandé : ‘Vous souvenez-​vous de nous ?’ Nous nous sommes rappelés qu’il s’agissait du couple qui habitait dans la campagne près de la petite ville de Mercedes, dans la province de Buenos Aires. Tous deux sont maintenant proclamateurs, et la joie que nous avons éprouvée à les revoir nous a convaincus qu’il valait la peine d’accomplir avec endurance cette première année de notre service de pionnier. Il n’était vraiment pas facile d’arriver dans une ville et de se trouver sans logement pour dormir et sans rien à manger. Combien de fois nous avons été obligés de dormir dans une gare, à même le sol, ou dans une grange, avec pour seule literie quelques couvertures et du papier en guise de matelas ! Mais, ayant vingt-trois ans et ma femme vingt, nous avons appris à nous contenter de ce que nous avions ; nous avons persévéré dans le service de pionnier jusqu’à maintenant, où nous avons atteint la soixantaine.

“Notre activité consistait principalement à semer, l’objectif étant de parcourir entièrement chaque ville en diffusant des publications, puis de prendre le train pour se rendre dans la ville ou la gare suivante. Je me souviens d’un jour où nous n’avions pas pu placer beaucoup de publications ; c’était dans une petite ville dont les habitants étaient pleins de préjugés. Il y avait une gare, un poste de police, un magasin de fournitures générales, un parc à chèvres et quelques maisons. Nous n’avions pas assez d’argent pour franchir l’étape suivante. Jéhovah ne nous abandonna pas. Au guichet de la gare, un brave homme, voyant que nous n’avions pas de quoi payer nos tickets, nous les a offerts. À notre arrivée à minuit dans la ville suivante, Alberdi, nous ne savions pas où dormir et nous n’avions ni argent ni de quoi manger. Au même moment il s’est mis à grêler. Ce n’était certainement pas brillant ! Nous avons passé la nuit dans une grange à attendre que le jour se lève, afin de pouvoir commencer à rendre témoignage et placer quelque chose pour avoir de quoi manger. Il n’était pas facile de laisser des publications, car nous étions dans les années 1930, et dans bien des régions d’Argentine la misère était très grande.”

Étant littéralement arrivés au “terminus”, à Buenos Aires, les Reindl retournèrent à Mendoza. Frère Trunecka avait dirigé le groupe en l’absence de frère Reindl, et la famille Seegelken avait continué d’apporter son aide dans l’accroissement de ce groupe. Mary Seegelken se souvient “des études de La Tour de Garde qui duraient deux heures ainsi que du chocolat chaud et des petits pains qui étaient servis après chaque réunion dans la maison des Trunecka”. Elle ajoute : “À en croire ma mère, j’ai pour ainsi dire commencé à prêcher avant même ma naissance ! En 1932, ma mère et d’autres chrétiens de Mendoza sont allés prêcher à Luján de Cuyo, ville située à environ dix-huit kilomètres de Mendoza. Ce jour-​là, ils ont marché beaucoup et ma mère est revenue très fatiguée. En fait, elle n’était pas seule, car elle me portait. Je suis née quelques mois après. Je me rappelle que dix-neuf ans plus tard, j’ai emprunté cette même route menant à Luján de Cuyo pour conduire une étude biblique avec une femme et sa fille, qui sont restées jusqu’à ce jour de fidèles ministres.”

Quelque temps après son retour à Mendoza, sœur Reindl donna naissance à un fils. Frère Reindl est heureux de nous dire : “Notre fils Jorge a été élevé dans la vérité et a servi comme pionnier et serviteur de circonscription. Maintenant que nous sommes devenus grands-parents, il est surveillant dans une des congrégations de Buenos Aires.” Trois mois après la naissance de Jorge, les Reindl furent nommés à San Juan, une province voisine de celle de Mendoza. Leur enfant tomba gravement malade, et les médecins leur dirent qu’il fallait le nourrir exclusivement au lait d’ânesse. Sœur Reindl rapporte ceci : “Peu après, quelqu’un est venu à notre porte pour nous vendre une ânesse. Cela semblait être la réponse à une prière.” Plus tard, ils ont quitté San Juan pour aller à La Rioja, puis à Catamarca ; ils ont bien semé quelques graines, mais leur activité fut rendue pratiquement impossible en raison des interventions fréquentes de la police. Alors qu’ils se trouvaient à Catamarca, le groupe de frère Armando Menazzi, venant de Córdoba et se rendant vers le nord, passa dans cette ville. Ensuite, la Société a nommé les Reindl à Santa Fe. Ils y ont rencontré la famille d’Angel Castagnola avec qui une étude fut commencée. Frère Reindl nous rapporte ce qui s’est passé ensuite : “De Santa Fe, nous nous sommes rendus à Paraná. Mais nos placements de publications n’étaient pas suffisants pour subvenir à nos besoins. Il nous fallait des vêtements, et notre petit garçon avait besoin d’une nourriture convenable et de soins. Avec regret nous sommes retournés à Mendoza, abandonnant le service de pionnier pendant quatre ans.”

UN TÉMOIGNAGE AUX GRECS ET AUX AUTRES

Au début des années 1930, un Grec, Nicolás Argyrós, accepta le message biblique. Il nous rapporte la joie qu’il en éprouva et comment il fit part de ce qu’il avait appris à ses semblables : “En janvier 1930, je fis l’acquisition de trois brochures écrites par J. F. Rutherford intitulées Prospérité certaine, L’Ami des peuples et Liberté pour les peuples. C’était la première fois que je lisais des publications qui me semblaient être ‘la vérité’. À la fin de ces brochures se trouvait une liste de livres et de brochures que j’ai commandés. Vingt-neuf jours plus tard, je les recevais. J’ai commencé par lire la brochure intitulée Qu’est-​ce que l’enfer ? Qui est en enfer ? Est-​il possible d’en sortir ? J’ai lu toute la brochure pour voir s’il y était question de pécheurs en train de griller, ce qu’on trouvait habituellement dans les autres livres religieux, mais je n’ai rien vu de semblable. Imaginez ma surprise, lorsque j’ai appris que l’enfer était un mensonge religieux inventé pour faire peur aux gens, ce qui avait été mon cas lorsque j’avais quinze ans. J’étais seul en train de garder des moutons. J’ai rêvé que le Diable me poursuivait avec une fourche, exactement comme cela était décrit par la fausse religion. Je me suis réveillé tout tremblant. Les preuves données dans les brochures étaient raisonnables et convaincantes. J’ai aussitôt demandé d’autres écrits.

“À la même époque, j’ai remarqué dans un journal grec publié à Buenos Aires une annonce pour des classes bibliques qui avaient lieu le dimanche à 15 h 30. L’adresse indiquée était 1653 rue Bonpland. À 15 heures, le dimanche suivant, j’ai attendu au coin de la rue et, lorsque j’ai vu d’autres personnes entrer, je suis entré à mon tour, saluant chacun en grec, car je pensais que la réunion était prévue en cette langue. Personne n’a répondu à mon salut, mais celui qui présidait la réunion (une étude du livre Le divin Plan des Âges) m’a souri en passant près de moi. Je me suis assis dans la dernière rangée, un autre homme était à côté de moi. Je n’ai compris que 5 pour cent de ce qui était dit. Je n’avais avec moi que le journal grec renfermant l’invitation à cette réunion. À la fin de celle-ci, mon voisin s’est rendu compte que j’étais Grec moi aussi et il m’a donné son adresse.” Frère Argyrós rapporte que le soir même il acheta une Bible en grec et qu’ensuite il se rendit chaque soir chez son ami grec. “Il était très versé dans la Bible et au moyen de la Parole de Dieu il renversa toutes mes croyances d’orthodoxe grec. Parlant des prêtres que j’avais tant estimés, il les appelait des ‘fils de Satan’, disant qu’ils constituaient une partie de l’alliance impure. J’ai lu et relu les brochures Enfer et Où sont les morts ? À ma troisième visite chez mon compatriote, j’étais convaincu d’être dans la bonne voie. Je lui ai demandé ce que je devais faire pour être agréable à Jéhovah. Il m’a dit d’aller et de prêcher aux autres ce que j’avais appris dans les publications.” Frère Argyrós ne perdit pas de temps pour mettre en pratique cet excellent conseil.

Il nous fait part de ses souvenirs en ces termes : “Le dimanche suivant, j’ai commencé à prêcher à Berisso, dans la province de Buenos Aires. De nombreux Grecs habitaient dans cette ville, et durant nos visites nous avons obtenu 600 adresses d’autres Grecs par l’intermédiaire d’un employé d’une banque où ils déposaient de l’argent. Les frères des États-Unis nous ont encouragés à organiser une réunion en grec. Nous avons donc loué une salle dans la rue Malabia où nous avons tenu des réunions pendant une année. Parfois, il y avait jusqu’à vingt personnes. Des États-Unis, nous avons reçu 1 000 livres et brochures. Nous avons donc commencé à visiter toutes les personnes dont nous avions obtenu l’adresse. J’ai rendu visite à tous les Grecs habitant la région de Buenos Aires ainsi qu’à ceux qui vivaient à Montevideo, en Uruguay.” Toutefois, frère Argyrós nous dit qu’il n’était pas satisfait de “faire si peu”. Il eut encore quelques adresses à Rosario et à Santa Fe. C’est à ce moment-​là qu’il projeta d’embarquer sur un cargo qui se rendait en Grèce, pour retrouver son île natale, où il pensait trouver un champ plus vaste pour prêcher la bonne nouvelle.

À Santa Fe, frère Argyrós trouva frère Felix Remón, qui était devenu un proclamateur actif du Royaume à Buenos Aires et qui fut ensuite envoyé dans la région de Rosario et de Santa Fe par frère Muñiz. À cette époque-​là, environ quinze personnes se réunissaient dans l’atelier de menuiserie de frère Castagnola. Frère Remón invita frère Argyrós à demeurer chez lui ; il était convenu que chacun d’eux ferait la cuisine à tour de rôle pendant une semaine. Pendant que frère Remón participait à la prédication, frère Argyrós travaillait comme photographe. Cela ne pouvait convenir à quelqu’un ayant un véritable esprit missionnaire ! “Je ne me sentais pas à l’aise, nous dit frère Argyrós, et je désirais aller prêcher. Mais lorsque je présentais les livres, la seule chose que je savais dire en espagnol était que ces publications parlaient du Royaume de Dieu. J’attendais toujours l’occasion de me rendre en Grèce, mais les jours passant, mon espagnol devenait meilleur. Le soir je faisais part de mes expériences à frère Remón, et il me montrait quels mots je devais utiliser dans chaque phrase. Son aide était très grande, et finalement j’ai décidé de ne pas aller en Grèce.”

La décision de frère Argyrós de rester en Argentine allait avoir de grandes conséquences sur l’extension de la proclamation dans la moitié nord du pays. À partir de 1932, ses voyages pour semer les graines de vérité biblique allaient le conduire dans quatorze des vingt-deux provinces constituant la république Argentine. Suivons-​le dans son ministère et partageons avec lui certaines de ses joies et de ses privations.

“En 1932, je suis arrivé à Córdoba et j’ai loué une chambre dans la rue Salda. J’ai commencé à prêcher dans la ville et je l’ai parcourue entièrement deux fois pendant les deux années que j’ai passées là. Les personnes qui manifestaient de l’intérêt ont commandé toutes les nouvelles publications, et certaines m’ont rendu visite chez moi. Parmi celles-ci, il y avait un juge, C. de los Ríos. Il passait de nombreuses heures en ma compagnie, et je répondais à ses questions en me servant de la Bible en grec comme d’un dictionnaire, car je ne possédais pas de dictionnaire grec-​espagnol. J’ai contacté Natalio Dessilani et Armando Menazzi, qui furent parmi les premiers proclamateurs de cette ville. Plus tard, Armando Menazzi devint pionnier. À cette époque-​là, nous pensions qu’Harmaguédon était imminent ; c’est pourquoi je faisais le maximum pour laisser des publications partout. Comme aujourd’hui, certains disaient : ‘Pourquoi placer des publications à des gens qui n’y prêtent pas attention ?’ Mais frère Rutherford disait : ‘Vous placez des publications, et Jéhovah fera le reste.’

“J’avais vingt cartons de publications ; j’en ai pris dix et je suis parti pour la province de Tucumán. Là, au bout de quelque temps, j’ai été frappé par la malaria. Je n’avais pas d’argent pour consulter un médecin. Dès que j’en ai eu la possibilité, je suis parti pour les provinces de Catamarca et de La Rioja, prêchant dans les capitales et quelques autres villes. À cette époque-​là, je rapportais 200, 220 ou 240 heures chaque mois ; le maximum d’heures que j’ai rapportées a été de 300 au mois d’avril 1933.

“Ensuite, je suis allé à San Juan, où j’ai trouvé beaucoup d’intérêt ; José Cercós est celui qui en a manifesté le plus. Le matin où je l’ai rencontré, j’étais si découragé que je pensais à rentrer chez moi. Mais tandis que je continuais à marcher, je me suis rappelé les paroles de Révélation 21:8 et je n’ai pas voulu être accusé de lâcheté. C’est alors que José Cercós s’est approché de moi ; je l’ai abordé et lui ai présenté le livre Gouvernement avec, à l’intérieur, la brochure Qu’est-​ce que la vérité ? Il était méthodiste et me répondit : ‘Que vais-​je apprendre exactement en lisant cette brochure ? Je lis la Bible depuis vingt ans.’ Je lui ai cité I Thessaloniciens 5:21, et il a accepté la brochure. Le soir même, il est venu me voir pour me dire qu’il avait trouvé la brochure très intéressante, et il a pris les livres La Harpe de Dieu et Justification, ainsi que quelques périodiques. Durant mon séjour à San Juan, il est venu me voir chaque soir. Peu de temps avant notre rencontre, le pasteur de son Église était allé à Mendoza pour se marier. Quand il est revenu à San Juan, un groupe de personnes a été spécialement chargé de faire une collecte pour lui offrir un cadeau de mariage. Lorsque ces gens sont arrivés dans l’épicerie de Cercós, celui-ci leur a dit avec fermeté et insistance : ‘Cercós ne donnera pas un centime de plus à des gens qui chevauchent la bête !’ (Voir Révélation 17:3). Vous pouvez imaginer la surprise de la délégation en entendant ces paroles sur les lèvres d’un homme qui, peu de temps auparavant, était l’un des membres de leur Église les plus zélés.”

À TRAVERS L’ARGENTINE AVEC LA BONNE NOUVELLE

Pour suivre frère Argyrós dans ses voyages à travers le territoire qu’il s’était assigné lui-​même, il faut bien connaître la carte du nord de l’Argentine. Après avoir quitté San Juan, il passa un mois avec le groupe de Mendoza, puis il se rendit à San Luis et à Villa Mercedes, où il contacta la famille Estrada et celle de Juan Balcarce. Plus tard, Ofelia Estrada fut la première sœur d’Argentine à assister à l’École de Galaad. Après avoir prêché dans d’autres villes de la province de San Luis, frère Argyrós se rendit à San Rafael, dans la province de Mendoza. S’étant ensuite dirigé vers celle de La Pampa, dans le sud, il trouva des publications de la Société à Intendente Alvear. Frère Léonardo Vandefeldi, un pionnier hollandais, était passé dans cette région. Notre voyageur fit donc demi-tour et prit le train pour retourner dans la province de Córdoba, d’où il se rendit dans des villes de la province de Santa Fe. Dante Dobboletta avait un commerce à Las Rosas, dans la province de Santa Fe. Un jour, un de ses employés lui dit qu’un ‘homme de la Bible’ était venu. Aussitôt il envoya quelqu’un dans la rue pour chercher frère Argyrós et le ramener au magasin, car il désirait avoir d’autres renseignements que ceux qu’il avait acquis par la lecture des brochures déjà en sa possession. Plus tard, frère Dobboletta devint pionnier et, avec sa femme, il participe actuellement au service de la circonscription. Ayant achevé son œuvre dans la province de Santa Fe, frère Argyrós traversa la rivière Paraná et se dirigea vers le nord en traversant la province d’Entre-Rios pour atteindre la capitale Corrientes, puis Resistencia, dans la province de Chaco. À Villa Angela, il contacta un homme nommé Juan Murillo. À la grande surprise de frère Argyrós, quatre mois plus tard, le nom de cet homme figurait sur la liste des pionniers.

Frère Argyrós nous raconte qu’à Charata, dans la province de Chaco, il eut la joie de rencontrer frère Menazzi et les frères de Córdoba. Il rapporte : “En route pour Formosa, ils passaient là avec leur autobus. Nous avons traversé la rivière Bermejo sur un radeau et ensuite nous avons prêché dans la ville de Formosa. Le groupe est retourné à Córdoba, tandis que j’ai poursuivi mon voyage vers le nord-ouest jusqu’à Yacuiba, en Bolivie. Revenant vers le sud, je suis passé dans les provinces de Jujuy et de Salta ; après quoi je me suis dirigé, au sud-est, vers Roque Saenz Peña, dans la province de Chaco. Durant mon voyage, je ne me suis pas contenté de prêcher dans les villes mais j’ai aussi prêché dans les petites agglomérations de toutes ces provinces.” Ensuite il s’est de nouveau dirigé vers la province de Santa Fe, où les villes de Rafaela, Casilda, Firmat et Venado Tuerto ont été l’objet de son attention.

Quand nous considérons les souvenirs de frère Argyrós après ses quarante années de service de pionnier, nous remarquons en particulier sa faculté d’adaptation, sa volonté de se faire à toute éventualité et son abnégation : tout pour la bonne nouvelle.

“Durant mes voyages, les difficultés ont été nombreuses : en arrivant de nuit dans des villes où il n’y avait pas de lumière, il était rare de trouver un logement ; la difficulté de se familiariser avec la langue ; enfin, le manque d’argent. Les premières années de mon service de pionnier, j’ai pu subvenir à mes besoins grâce à l’argent que j’avais économisé lorsque j’avais un travail profane. Durant ces quelques années, j’étais donc bien habillé et quand j’entrais dans une ville les enfants se mettaient à courir pour dire à leur mère que le docteur était là. Lorsque j’arrivais à la porte, les femmes ouvraient timidement, mais après avoir entendu le message, elles perdaient leur timidité. Plus tard, durant les dix années pendant lesquelles j’ai rendu témoignage dans les villes de campagne, j’ai porté la bombachas, le vêtement typique des paysans, et je me suis aperçu que j’étais accepté plus spontanément.

“Il arrivait parfois que des personnes qui me rencontraient pour la première fois m’invitent à passer la nuit chez elles. D’autres fois, je dormais à la belle étoile, et une fois même dans un fourré plein d’épines. Je ne m’en étais pas aperçu à cause de l’obscurité ; mais Jéhovah m’a récompensé le lendemain. Je rendais témoignage dans une petite ville ; dans l’après-midi, j’ai rencontré un couple qui a écouté le message et m’a invité à revenir chez lui pour y passer la nuit. C’est ce que j’ai fait après avoir achevé mon activité. Après le dîner, ils ont invité quelques voisins à venir écouter l’étrange message des témoins de Jéhovah. Je leur ai parlé jusqu’à minuit. Ensuite, la maîtresse de maison m’a indiqué ma chambre ; il y avait un lit avec des draps brodés. Le lendemain matin, quand je me suis levé, mon hôtesse m’a dit : ‘Mon mari et moi avions peur que vous ne puissiez dormir dans un lit auquel vous n’êtes pas habitué.’ Je l’ai assurée que j’avais très bien dormi. Je pensais en moi-​même : ‘Si vous saviez seulement où j’ai dormi les deux nuits précédentes !’

“Une nuit, j’ai dormi avec un âne ! C’était dans une petite ville où il n’y avait qu’une pension avec une seule chambre. Or, elle était occupée. C’était le genre de nuit pluvieuse où l’on souhaite vivement trouver un abri. J’ai donc dit à l’homme que ce n’était pas une nuit à coucher dehors ; il m’a répondu que le seul endroit disponible était la grange où il gardait les animaux. Il m’y a conduit. D’un côté, il me prépara un lit, tandis que de l’autre se trouvaient l’ânesse et son petit. Nous n’étions séparés que par quelques planches qui empêchaient les deux animaux d’atteindre le fourrage. Eh bien, j’ai dormi comme un roi ! Le lendemain matin, je devais partir à 6 heures pour me rendre à San Cristóbal. Je n’ai pas eu besoin de réveil ; mon ‘hôte’, l’ânesse, s’est mise à braire ! Les difficultés peuvent être très joyeuses !”

Mais frère Argyrós fit d’autres expériences moins réjouissantes ; il continue : “Étant arrivé de bonne heure à Eusebia, j’ai demandé s’il y avait une pension ; on m’a répondu qu’il y en avait une. J’ai donc continué mon activité, prêchant dans toute la ville. Quand j’ai voulu manger et me reposer, la pension était fermée. Il n’y avait rien d’autre à faire que de passer la nuit à la belle étoile. C’était le début de l’automne, mais il ne faisait pas froid. J’ai donc marché un peu hors de la ville et me suis couché. Je n’avais rien à manger, mais je n’avais pas faim. Mon estomac était habitué ; je pouvais manger à n’importe quel moment ou ne pas y penser si je n’avais rien à manger. J’avais développé cette habitude en 1935 à Tucumán. Pendant trois mois, durant la récolte de la canne à sucre, je sortais très tôt le matin et rentrais tard le soir, bien souvent sans avoir rien mangé dans l’intervalle. Quand j’ai voulu dormir à Eusebia, il y avait toutes sortes de moustiques. J’ai coupé une branche, pensant que je pourrais m’en servir pour les chasser ; mais plus j’agitais la branche, plus ils m’attaquaient. J’ai donc décidé de me rendre jusqu’à la gare, pensant que la salle d’attente serait ouverte ; malgré la fréquence des trains, elle était fermée. Alors j’ai trouvé une grande toile utilisée pour sécher le grain ; je m’en suis couvert et j’ai ainsi passé le reste de la nuit.”

Le chemin de fer a vraiment été très utile aux premiers pionniers, mais ils ont dû parfois utiliser des moyens de transport plus primitifs. Frère Argyrós peut nous en parler : “La plus longue distance que j’ai parcourue à pied fut celle qui sépare Villa Valeria, dans la province de Córdoba, de Cañada Verde, soit quelque soixante-quinze kilomètres. Je suis parti à 1 heure de l’après-midi et suis arrivé le lendemain à 3 heures de l’après-midi. Je n’oublierai jamais non plus la marche qui m’a conduit de Laprida à Loreto dans la province de Santiago del Estero, soit une distance de trente-cinq kilomètres. C’était le jour du Carnaval. Je suis parti vers midi et suis arrivé la nuit, vers 11 heures. Sur cette route, il n’y avait ni point d’eau ni agglomération, et j’avais soif. Il avait plu et il y avait des flaques d’eau le long du chemin ; mais je ne pouvais la boire car, à cause du soleil brûlant, elle était chaude. Dans cette région, il y a des forêts de quebrachos si denses que lorsque vous êtes à l’intérieur vous ne pouvez voir la lumière du jour. J’ai donc quitté le chemin pour pénétrer dans le sous-bois à l’ombre duquel j’espérais trouver une flaque d’eau. En ayant aperçu une, je m’y suis dirigé avec joie ; mais m’en étant approché j’ai vu qu’un crocodile m’avait précédé. Lorsqu’il s’est rendu compte de ma présence, il s’est enfui en brassant l’eau. Je suis revenu sur le chemin et j’ai poursuivi ma route. Quelques kilomètres plus loin j’ai rencontré un Santiagueño (indigène de cette province) qui gardait un troupeau de chèvres. Voyant qu’il avait de l’eau, je lui ai demandé si je pouvais boire. Le brave homme m’a laissé boire à satiété. Quand j’ai eu fini, il m’a présenté une grande boîte pleine de figues de Barbarie ; il les a posées devant moi et m’a dit d’en manger autant que je le désirais. Une fois rassasié, je lui ai fait cadeau de quelques brochures et j’ai continué mon chemin.”

L’œuvre consistant à semer, entreprise par frère Argyrós, fut considérable. Mais quelle formation avait-​il reçue ? Il répond lui-​même : “Personne ne m’a apporté la vérité ; personne ne m’a fait une nouvelle visite ou donné un sermon. Ce que je veux dire, c’est que je suis devenu tout seul un proclamateur.”

FAITS VÉCUS PAR LES PREMIERS PIONNIERS

À peu près au même moment où frère Argyrós commençait son activité de prédication dans la partie nord du pays, un Polonais, Juan Rebacz, devint témoin de Jéhovah. En 1932, il entreprit l’œuvre de pionnier avec un autre frère polonais, Pablo Pawlosek. Frère Rebacz nous donne quelques renseignements très intéressants sur la façon dont son compagnon et lui ont participé à l’œuvre à cette époque-​là, dans la partie sud de l’Argentine.

Frère Rebacz reçut une certaine formation préliminaire dans l’activité de maison en maison à Buenos Aires. Il nous rapporte ce qu’il fit ensuite : “Frère Muñiz me demanda de travailler avec frères Onésimo Gavrov et Pablo Pawlosek, qui étaient déjà dans la province du Rio Negro. Tous trois, nous avons, grâce à Dieu, connu de grandes joies et obtenu de bons résultats dans l’activité. Un peu plus tard, frère Basilio Miedziak s’est joint à nous, et nous avons reçu des instructions pour suivre deux par deux des routes différentes. Frères Gavrov et Miedziak ont suivi la route de la côte, entre Bahía Blanca et Mar del Plata, tandis que frère Pawlosek et moi avons emprunté la route de l’intérieur menant à Mar del Plata par Tres Arroyos. Nous avons obtenu d’excellents résultats. Je me souviens que certains mois nous avons placé jusqu’à 600 publications. Dans les territoires ruraux, nous commencions tôt le matin. Lorsque les gens se levaient pour commencer leur activité journalière, nous commencions la nôtre.

“Frère Pawlosek et moi avons été d’excellents compagnons et nous avons été très heureux dans notre ministère. Nous sommes arrivés à Mar del Plata en mai 1934. De là, nous prenions le train pour nous rendre dans d’autres villes et nous revenions à pied, chacun par un chemin différent. Nous emportions toujours une grande quantité de publications et généralement nous les placions toutes. À cette époque-​là, nous n’avions pas beaucoup de difficultés avec les autorités. Parfois, nous étions arrêtés parce que le clergé nous accusait faussement d’être des agents clandestins des communistes. Après enquête, la police s’apercevait que cela était faux et nous relâchait aussitôt.”

Plus tard, en 1934, frère Rebacz fut envoyé à l’intérieur du Paraguay pour y accomplir l’œuvre. En raison des difficultés qu’il rencontra durant la guerre du Chaco (conflit opposant le Paraguay et la Bolivie à cause d’un problème de frontière), il revint en Argentine durant une courte période, concentrant son activité dans la région de Corrientes Resistencia. Aussitôt la guerre terminée, il reprit son activité au Paraguay. Quelques années plus tard, sa santé étant minée par le climat tropical de ce pays, il retourna en Argentine et commença à prêcher dans le nord-est. Il poursuit son récit en ces termes :

“J’ai commencé à travailler à Posadas, dans la province de Misiones, puis à Corrientes et dans d’autres villes importantes des provinces de Corrientes et d’Entre-Rios ; je suis arrivé à Paraná à la fin de 1938. J’ai continué mon activité dans des villes à l’intérieur de la province d’Entre-Rios où la prédication n’avait encore jamais été effectuée. Les résultats ont été excellents, et je poursuivais mon activité en paix. C’est alors que la Seconde Guerre mondiale a éclaté, et le clergé ainsi que l’Action catholique m’ont accusé d’être communiste. Dans la plupart des villes, j’ai été conduit plusieurs fois au poste de police. À Concepción del Uruguay, dans la province d’Entre-Rios, j’ai été arrêté plusieurs fois et finalement chassé de la ville. Sœur Fanny Plouchou, qui habitait cette ville, continua à prêcher dans les quartiers que je n’avais pas pu visiter. Ensuite, on m’a confié la route allant de San Pedro, dans la province de Buenos Aires, à Santiago del Estero. Quand je suis arrivé à Rafaela, dans la province de Santa Fe, j’étais gravement malade, et les médecins m’ont conseillé de suivre un long traitement dont j’avais besoin. Il a été convenu que je le suivrais à Concepción del Uruguay. Je suis donc retourné m’installer dans la ville d’où j’avais été chassé quelques mois auparavant !”

Nous porterons de nouveau notre attention sur le centre de l’Argentine et sur Córdoba, une ville très importante sur les plans commercial et culturel. Son université est la deuxième de l’hémisphère sud quant à l’ancienneté. C’est aussi une forteresse célèbre du catholicisme, et on l’appelle la ‘Rome’ d’Argentine. L’activité déployée par frère Argyrós stimula l’intérêt d’Armando Menazzi et de Natalio Dessilani. Frère Menazzi contribua beaucoup à l’extension de l’œuvre dans la partie nord du pays, tandis que frère Dessilani continua de proclamer la bonne nouvelle dans la région de Córdoba. Revenons aux années 1932-​1933 et suivons leurs récits.

Armando Menazzi était issu d’une famille très catholique. Cependant, il s’était rendu compte de l’hypocrisie des ‘bergers du troupeau’. Quand il lut pour la première fois les brochures de la Société intitulées Qu’est-​ce que l’Enfer ? et Où sont les morts ?, il possédait un garage très bien équipé. Natalio Dessilani, le propriétaire de l’épicerie du coin de la rue, avait déjà lu quelques publications et avait écrit à la Société pour en recevoir d’autres. Les deux hommes conclurent que ce qu’ils lisaient était conforme à la Parole de Dieu. Ils ont donc demandé d’autres Bibles et publications. Ayant reçu leur commande, frère Muñiz vint personnellement se rendre compte de ce qui se passait. Son premier discours fut donné dans le bureau attenant au garage de frère Menazzi où huit personnes étaient présentes.

Le zèle et la conviction profonde de frère Argyrós incitèrent frère Menazzi à vendre son garage et à consacrer tout son temps au service de pionnier. Frère Dessilani vendit lui aussi son épicerie, — mais pas avant que des moqueurs aient écrit à la craie sur sa porte : ‘L’épicerie du prophète’. Il chercha un emploi ailleurs, car il désirait disposer de plus de temps à consacrer à l’activité de prédication. Frère Menazzi nous relate qu’avec l’argent que lui rapporta la vente de son commerce et d’une autre propriété, “j’ai pu payer les heures d’antenne nécessaires pour lire quelques discours que frère Muñiz nous avait envoyés. J’ai également loué un petit appartement où nous avons commencé à organiser les premières réunions”. Frère Dessilani suscita l’intérêt d’un de ses employés, Horacio Sabatini qui, à son tour, parla à son frère Arístides et à toute sa famille. Frère Dessilani nous parle de la nouvelle visite qu’il fit aux membres de cette famille : “Ils commencèrent aussitôt à me poser une foule de questions. Pour répondre à toutes, frère Menazzi et moi sommes restés avec eux environ quatre heures ce soir-​là. Finalement, ils furent convaincus d’avoir trouvé la véritable ‘Voie’. Quelques jours plus tard, ils offrirent leur maison pour y tenir les réunions. C’était dans le quartier des affaires.” En 1938, Emilio, frère de Natalio Dessilani, parla à un collègue de travail, Alfredo Torcigliani. Celui-ci écouta un discours donné par frère Muñiz et fut convaincu par son explication du Notre Père.

LA PRÉDICATION DU ROYAUME AU MOYEN DE VÉHICULES MOTORISÉS

Ces frères désiraient que la proclamation du Royaume connaisse une rapide extension. Dans les années 1940 ils déployèrent leur activité au moyen de véhicules motorisés. Frère Horacio Sabatini acheta une vieille voiture que frère Menazzi remit en état. Plus tard, ils achetèrent une Chevrolet plus petite et, avec les deux voitures, ils rendirent témoignage dans les villes de la région de Córdoba. Pour économiser de l’essence, la voiture la plus grosse remorquait la plus petite jusque dans le territoire. Frère Menazzi rapporte qu’ils avaient installé un système de cloches reliant les deux voitures pour signaler le départ et l’arrêt. “Plus tard, nous dit frère Menazzi, nous avons vendu les voitures et acheté un vieil autobus. Avec l’aide des frères, nous l’avons arrangé de telle sorte que les sièges puissent être convertis en six lits, et sur le toit nous avons installé quatre lits pliants sous une toile. De cette façon, dix proclamateurs pouvaient voyager avec leur habitation.” Ce fut le départ d’une activité intense visant à étendre la proclamation de la bonne nouvelle dans le nord de l’Argentine.

Au début, les voyages duraient une semaine, puis quinze jours et enfin un mois. Après chaque voyage, l’autobus revenait à Córdoba où il était vérifié et réparé, tandis que les frères se préparaient pour une nouvelle expédition ; des frères et des sœurs différents se voyaient offrir la possibilité d’y participer. Le dernier voyage dura trois mois. Ce fut une véritable odyssée ! Depuis l’achat de l’autobus en 1944, frère Menazzi et le groupe de Córdoba avaient parcouru en tout au moins dix provinces, rendant témoignage de maison en maison dans les villes et visitant les fermes et les groupes de maisons isolés dans les territoires ruraux. Frère Menazzi nous rapporte que dans chaque ville ils procédaient de la même manière ; il dit : “Nous allions tout d’abord au poste de police pour informer les autorités de notre mission. Je demandais aux agents d’apposer leur signature sur un carnet, afin de prouver que je m’étais présenté à eux. Cela nous aidait ensuite à éviter des discussions avec la police qui pouvait chercher à intervenir. De plus, le chef de police de chaque ville pouvait voir que la police des villes voisines nous avait pour ainsi dire donné l’autorisation d’effectuer notre activité.” Durant ces voyages, beaucoup de publications ont été placées ; mais frère Menazzi ajoute que “c’était une œuvre d’information, consistant à semer, car nous ne retournions que rarement visiter quelqu’un ayant manifesté un intérêt exceptionnel”.

La vie dans cet autobus et les moments joyeux vécus ensemble constituent un chapitre inoubliable de la vie des frères qui composaient ce groupe. Frère Menazzi nous en fait une description vivante : “Nous étions très bien organisés et, comme dans une ruche, chacun avait un travail assigné : l’un cuisinait, d’autres veillaient au nettoyage, certains faisaient les lits et d’autres enfin s’occupaient des courses. Nous prêchions jusqu’à une heure tardive de l’après-midi et parfois nous devions aller rechercher les proclamateurs à la lumière des phares de l’autobus. Nous garions celui-ci dans un endroit un peu à l’écart, de préférence près d’un cimetière où personne ne viendrait nous ennuyer. Le soir, après avoir dîné et procédé au rangement, nous rapportions ce que nous avions fait. Nous étions fatigués, mais heureux ! Nous étions, ou du moins nous avons appris à devenir économes, et nous mangions de tout.” Frère Torcigliani nous précise ce qu’étaient les menus incluant de tout ; il dit : “Nous chassions et nous pêchions pour nous nourrir. La marmite recevait de tout : des grenouilles, des lapins de montagne, des chunā (famille des cigognes), des pigeons, des perroquets, des cailles, des vizcacha (des rongeurs), des lièvres, des tatous et des tortues que nous mettions dans la soupe. Nous échangions des publications contre des chèvres, des poulets, des coqs, des petits cochons, des œufs, des légumes, des bananes et toutes sortes de fruits. Comme vous pouvez le constater, nous n’avons jamais été privés de nourriture.”

Durant l’absence de frère Menazzi, frère Natalio Dessilani continua à déployer son activité à Córdoba avec un groupe de proclamateurs qui ne cessa de croître. “En 1944, la congrégation avait tellement grandi que notre salle en ville était trop petite ; mais nous n’avions pas d’autre endroit pour nous réunir. Frère Menazzi parla à une de ses tantes qui était favorable à l’activité théocratique ; elle lui fit don d’un terrain qu’elle possédait dans la rue Roma. Il fut décidé de vendre l’autobus, — à cette époque-​là, nous ne pouvions guère nous en servir en raison de la pénurie d’essence, — et d’utiliser le produit de la vente pour construire une Salle du Royaume dont nous avions grand besoin.”

LA VÉRITÉ SE RÉPAND À PARTIR DE SAN JUAN

Les graines semées par frère Argyrós à San Juan en 1936 avaient porté du fruit. Frère José Cercós et quelques autres proclamateurs participaient activement à la diffusion du message. En 1940, frère Cercós contacta la famille Rodriguez à qui les Reindl avaient déjà rendu témoignage dans le passé. Cette famille accepta le livre Enfants ainsi qu’une nouvelle visite au cours de laquelle on lui fit entendre quelques disques à l’aide d’un phonographe, afin de lui donner un témoignage complémentaire. Les résultats furent excellents. Salvador Rodriguez nous rapporte ce qui s’est passé au juste : “Ce soir-​là, José Cercós passa plus de deux heures en notre compagnie. Mon père avait lu la Bible pendant dix ans, mais sans en recevoir l’explication ; il accepta aussitôt avec grande joie les vérités du Royaume. Le frère lui a dit que pour être témoin de Jéhovah, il devait cesser de fumer et se débarrasser de toutes ces ‘poupées ridicules’, appelant ainsi les images catholiques que possédait ma mère. Aussitôt, mon père a enlevé le cigare qu’il avait à la bouche et a pris ceux qu’il avait dans sa poche, après quoi il les a détruits en présence du frère. Le dimanche suivant, mon père, accompagné de quelques-uns de ses enfants les plus âgés, s’est rendu à la salle. Au retour, il a rassemblé toutes les images, les a entassées dans la cour et les a brûlées sans accorder la moindre attention aux supplications frénétiques de ma mère qui disait que Dieu allait le punir pour ce qu’il faisait.

“La semaine suivante, on annonça les dispositions prises pour le service. Le jour prévu, mon père, mon frère aîné et moi étions au rendez-vous une demi-heure avant l’heure prévue. Nous n’avions jamais vu comment s’effectuait l’œuvre de témoignage ; aussi chacun de nous est allé à la première porte avec un autre proclamateur. À la deuxième, on nous a demandé de rendre témoignage. Nous n’avons pu faire autre chose que répéter quelques-unes des phrases que le proclamateur avait utilisées à la première porte, telles que : ‘Nous vous apportons le message de la bonne nouvelle du Royaume’, et présenter ensuite les brochures.

“Notre mère s’est bientôt intéressée à la vérité et, bien que ne sachant pas lire, elle écoutait très attentivement et répétait ce qu’elle entendait. Elle eut tôt fait de contacter des personnes bien disposées avec qui, nous, les enfants, avons pu étudier. En moins de deux mois, nous étions tous les sept des proclamateurs réguliers. Nous avons été baptisés en 1941 lors de la visite de frère Muñiz. Deux mois plus tard, lorsque frère Trunecka est venu de Mendoza, quinze personnes ont été baptisées dans une pièce d’eau de notre ferme. À cette époque-​là, les proclamateurs qui avaient des difficultés à s’exprimer utilisaient une carte de témoignage imprimée, et nous prêchions généralement dans des territoires ruraux où les gens étaient plus abordables.

“Dans la campagne, où il n’y avait pas de limites de territoire, nous prêchions dans un departamento (département) à la fois et nous nous efforcions de le faire avec soin, en commençant très tôt et en retournant à San Juan à la tombée de la nuit. À l’heure du repas, nous échangions des publications contre de la nourriture.”

Notre frère se rappelle l’époque où son frère et lui visitaient un territoire dans les montagnes. Une fois, leur père les a réveillés pour prendre le petit déjeuner ; ensuite ils ont parcouru à pied une trentaine de pâtés de maisons jusqu’à la gare où on leur a déclaré que le train n’arriverait que quatre heures plus tard ; il n’était qu’une heure du matin ! Le train est enfin arrivé, et les garçons l’ont pris jusqu’à la gare où ils devaient descendre ; il faisait encore nuit. Il leur fallait marcher pendant onze kilomètres pour atteindre leur territoire. “Nous avons terminé de prêcher dans cette ville avant midi ; nous nous sommes donc rendus dans la ville voisine en parcourant neuf kilomètres sur des chemins montagneux. Nous avons également prêché dans toute cette ville. Il nous fallait alors faire vingt kilomètres pour revenir à la gare, mais nous avions allégé notre fardeau en plaçant vingt livres et quatre-vingts brochures. Nous sommes arrivés à la gare au moment même où apparaissaient au loin les feux de la locomotive. Il était neuf heures du soir. Deux heures plus tard nous étions à San Juan. Combien nous étions joyeux en parcourant les trente pâtés de maisons qui nous séparaient de notre maison !”

En 1944, un tremblement de terre rasa la ville de San Juan. À cette époque-​là, il y avait une trentaine de proclamateurs, mais aucun d’eux ne fut blessé. Le lendemain, les frères de Mendoza sont venus apporter des provisions. Frère Rodriguez nous parle du témoignage qui suivit le tremblement de terre : “Certains nous disaient que nous étions responsables du tremblement de terre et nous chassaient. D’autres nous écoutaient attentivement, disant : ‘Votre enseignement tiré de la Bible est vrai !’ De nombreuses personnes ont donc accepté la vérité et sont devenues des proclamateurs. À cette époque-​là, nous nous réunissions dans une petite salle que les frères avaient construite.”

La foi et le zèle des premiers proclamateurs ont toujours été un exemple pour tous. Parlant de frère Cercós alors qu’il avait quatre-vingt-un ans, frère Rodriguez déclare : “Il continuait son service de pionnier, parcourant jusqu’à soixante pâtés de maisons pour distribuer ses périodiques. Il maintenait une moyenne de plus de soixante-dix heures par mois et conduisait sept études. C’est en revenant d’une de ses études qu’il a glissé et est tombé sur le trottoir, se brisant la hanche. Cela l’a laissé infirme. Il a pleuré parce qu’il ne pouvait plus s’occuper de ses études et de ses nouvelles visites. Mais il était réconforté quand nous le visitions et lui parlions de notre activité dans le territoire.”

LE TÉMOIGNAGE À L’EXTRÊME SUD

Pendant tout ce temps-​là, que se passait-​il dans le sud ? Frères Gavrov et Miedziak parcouraient cette région. D’après nos renseignements, au sud, ils ont été jusqu’en Terre de Feu et, au nord, ils ont traversé la Patagonie jusque dans la province du Rio Negro. Dans les années 1930, Carlos Firnkorn de Colonia Sarmiento, dans la province de Chubut, est devenu témoin. Il a vendu son ranch de moutons afin de passer plus de temps à prêcher à ses semblables. Dans son cas, on peut dire qu’il a en quelque sorte laissé une catégorie de brebis pour s’occuper d’une autre, des ‘brebis’ beaucoup plus importantes !

En 1934, Francisco Callejo, un employé du chemin de fer à Allen, dans la province du Rio Negro, eut un premier contact avec les proclamateurs du Royaume. Il se souvient qu’“un homme portant une petite mallette est venu à la gare pour se renseigner sur l’importance de la ville et demander d’autres renseignements”. Le tract que cet homme lui laissa ainsi que les quelques brochures qu’il donna à plusieurs de ses amis firent une forte impression sur Francisco Callejo, car il avait lu beaucoup, recherchant toujours la connaissance qui satisferait sa soif de vérité biblique. Lorsqu’il eut terminé de lire les brochures La Crise, Où sont les morts ?, Les clés des cieux, Le Ciel et le Purgatoire et La Guerre universelle est proche, etc., ainsi que la Bible, il fut convaincu que ses recherches étaient récompensées. Il voulut aussitôt partager sa connaissance avec ses semblables, mais il n’eut aucun contact avec les frères avant l’année suivante, quand il fut muté à Ingeniero Huergo. “Là, dit-​il, j’ai rencontré un cordonnier polonais, Pablo Teisar, qui était abonné à La Tour de Garde ; il m’a donné l’adresse de frère Muñiz. Je lui ai immédiatement écrit pour m’abonner aux deux périodiques et pour qu’il m’envoie une Bible ainsi que les livres La Harpe de Dieu, Délivrance, Gouvernement et Prophétie.

“Les périodiques parlaient tant de l’activité et des faits vécus par des proclamateurs de nombreuses parties du monde, que j’ai ressenti et compris la nécessité d’y participer activement.” Il écrivit à frère Muñiz pour lui exprimer son désir. Celui-ci lui répondit que frères Gavrov et Miedziak, qui avaient visité la province en 1934, allaient de nouveau la visiter. Frère Callejo nous rapporte quels furent alors ses sentiments : “J’attendais leur arrivée avec beaucoup d’impatience ; comme ils ne venaient pas, j’ai récrit pour exprimer une nouvelle fois mon désir de participer à la prédication. Il me fut répondu que les frères étaient alors dans la vallée du Rio Negro et qu’ils allaient arriver sous peu. J’allais chaque jour chez le cordonnier polonais, car je savais qu’ils viendraient chez lui en premier. J’étais triste et déçu, car j’avais l’impression qu’ils tardaient beaucoup. Enfin, un matin, je suis allé visiter Pedro Teisar et je les ai trouvés chez lui. Comme j’étais joyeux de les voir ! Je les ai emmenés chez moi où ils m’ont laissé d’autres publications. Ils m’ont aussi expliqué brièvement comment parler aux gens et leur offrir des livres et des brochures.” C’était en 1936.

Cette brève ‘formation’ fut suffisante. Dès qu’il eut un jour de congé, frère Callejo commença à proclamer la bonne nouvelle. Bien qu’il rencontrât des personnes tout à fait hostiles au message du Royaume, son zèle ne faiblit pas et il continua à ‘ameublir le sol dur’ pour l’extension future. Lorsqu’il avait placé toutes ses publications, il le signalait au bureau de Buenos Aires et en demandait d’autres. Il nous raconte comment il se servit de son travail profane pour faire avancer les intérêts du Royaume dans les provinces du Rio Negro et de Neuquén : “J’ai été muté à Cervantes, dans la province du Rio Negro, où j’ai prêché. Le jour où j’étais en congé, je prenais le train local pour me rendre à General Roca. La première personne que j’ai abonnée a été Antonio Vicente Inestal, un fermier de Mainque. À la suite de ma prédication, il est devenu le premier proclamateur de l’endroit.

“En 1939, j’ai été muté à Neuquén où j’ai vécu jusqu’à ce jour. C’est là que j’ai commencé mon service dans le train ; je profitais des longs arrêts dans chaque ville pour rendre témoignage. De cette façon, j’ai pu parcourir la région allant de Choele Choel à Zapala (la fin de la section), soit une distance de 400 kilomètres. Depuis Neuquén, j’ai parcouru le territoire de Cipolletti et d’Allen jusqu’à la Dique de Riego (barrage pour l’irrigation de cette zone), ainsi que les régions de Cinco Saltos et de Barda del Medio. J’ai parcouru tout ce territoire durant mes jours de congés hebdomadaires et pendant mes vacances annuelles. En 1941, nous nous réunissions pour l’étude à Neuquén où venaient aussi des personnes bien disposées de Cipolletti. Plus tard, frère Carlos Firnkorn, qui avait déployé son activité dans la province de Chubut, fut nommé à Neuquén. Il nous fut d’une grande aide.”

L’activité faisait vraiment de grands progrès. Considérons le rapport pour l’année 1938 : 128 proclamateurs de la bonne nouvelle et 4 congrégations ; les proclamateurs ont passé 44 712 heures dans la prédication, placé 131 375 publications et obtenu 238 abonnements. Ils ont fait aussi 375 nouvelles visites, et 138 personnes ont assisté à la Commémoration.

L’œuvre consistant à semer avait atteint les limites de l’Argentine et ce sol allait bientôt permettre une grande expansion, sous la forme de congrégations, de circonscriptions et de districts.

En 1942, deux jeunes gens d’origine galloise, Gwaenydd Hughes et Ieuan Davies, sont venus à la connaissance de la vérité dans la province de Chubut. Tous deux étaient issus de familles qui, faisant partie de l’Église galloise évangélique et indépendante, lisaient la Bible. Gwaenydd Hughes se rappelle qu’en 1930 quelqu’un lui avait offert des publications et qu’en 1938, à Sarmiento, dans la province de Chubut, son père avait souscrit un abonnement à La Tour de Garde (intitulée alors en espagnol La Torre del Vigía) auprès d’un homme du nom de Firnkorn. On lui rapporta que cet homme ‘avait vendu ses brebis et était parti prêcher une nouvelle religion’. La ville de Sarmiento est à plus de 400 kilomètres au sud de Rawson ; mais en 1942, frère Muñiz écrivit à frère Firnkorn pour lui demander de se rendre à Rawson et d’y passer quelques semaines. C’est ainsi, nous dit frère Hughes, que “Firnkorn est venu m’acheter du lait. Il prêchait la fin du monde. Il m’a offert des publications, — ce qui m’a fait penser qu’il n’était qu’un marchand de livres, — mais j’ai accepté le livre Ennemis. Je l’ai lu entièrement en trois nuits et je me souviens que lorsque j’ai eu terminé, j’étais profondément convaincu qu’il s’agissait là de la bonne explication de la Bible. Il me fallait alors trouver Firnkorn. Il vivait dans une petite cabane du ‘mauvais’ côté de la ville, à Trelew. Il m’offrit La Tour de Garde, qu’on appelle maintenant en espagnol La Atalaya ; j’étais gêné, parce qu’il existait une publication adventiste intitulée El Atalaya. Frère Firnkorn m’a assuré que La Tour de Garde n’était pas un journal adventiste”.

Pas très loin de là, frère Basilio Miedziak était passé dans les villes de Comodoro Rivadavia, Trelew, Guiman, et dans les régions voisines, distribuant des publications. Ieuan Davies rapporte ceci : “Ce pionnier fonçait tel un taureau ; il visitait toutes les maisons qu’il voyait sur son chemin. Il a laissé sept brochures à un de nos voisins, un fermier, gallois lui aussi. Cela ne l’a pas intéressé ; il me les a donc données pour me remercier de l’avoir aidé à traire ses vaches un dimanche matin où il avait tardé à se réveiller. Il ne voulait pas arriver en retard à l’office, car il était diacre. Une fois à la maison, quand j’ai compris qu’il s’agissait de brochures religieuses, je n’étais pas très enthousiaste. Mais j’ai commencé à lire la brochure Santé et Vie. Notre Bible étant écrite en gallois, j’ai emprunté une Bible espagnole afin de m’assurer que ce que disaient les brochures était bien écrit dans la Bible. J’ai rapidement compris que c’était la vérité, et ma faim spirituelle est devenue beaucoup plus grande que lorsque j’avais commencé à les lire. Les brochures proposaient quelques livres et donnaient les adresses de la Société aux États-Unis et au Mexique. J’ai donc écrit au Mexique pour demander ces livres. Deux mois ont passé avant que je les reçoive, car ma demande avait été transmise au bureau de Buenos Aires. Apprenant alors qu’il y avait des témoins de Jéhovah dans cette ville, j’ai commandé cinq autres livres et souscrit un abonnement à La Tour de Garde.”

Frère Muñiz transmit le nom de Ieuan Davies à frère Firnkorn, et Gwaenydd Hughes s’offrit pour l’aider à trouver cette personne bien disposée, car il y avait de nombreux Davies dans cette région. Apprenant que frère Firnkorn dirigeait des réunions à Trelew, le jeune Davies accepta d’y accompagner son ami Hughes le dimanche suivant. Il décrit son arrivée en ces termes : “Lorsque nous sommes arrivés au lieu de réunion, nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait d’une petite cabane sur le point de s’effondrer, — je crois même que c’est ce qui s’est produit à la tempête suivante. Hughes et moi avions revêtu nos plus beaux habits : un costume, une chemise blanche, une cravate, etc., mais lorsque nous sommes entrés, nous avons remarqué que tous portaient le vêtement typique de la campagne et que même le frère qui présidait n’était pas spécialement habillé pour la circonstance. Cela m’a surpris, mais n’a pas refroidi mon enthousiasme. Après quelques réunions, le frère a annoncé qu’il devait partir et que l’un d’entre nous devait présider les réunions en son absence. Étant l’aîné de nous deux, Hughes fut choisi.”

DES PRIVILÈGES OFFERTS AUX JEUNES GENS

Un peu plus tard, la même année, frère Muñiz passa à Trelew en revenant de Comodoro Rivadavia ; comme il avait un billet lui permettant de s’arrêter à Trelew et qu’il avait entendu parler de l’intérêt pour la vérité qui existait ici, il saisit l’occasion pour s’arrêter dans cette ville et y donner un discours. “Nous étions si intéressés, dit frère Hughes, qu’il prolongea son séjour de trois jours, donnant des discours de deux ou trois heures chaque soir. Ces allocutions retenaient tant mon attention que, bien qu’entendant mon cheval en train de ronger son frein et de chercher à se détacher, je ne voulais pas perdre une seule parole de son discours biblique. Je préférais perdre mon cheval ! À la fin du discours, j’étais donc sans cheval ! Il était minuit ; ce n’était donc pas le moment de le rechercher. Les jours suivants, j’avais beaucoup à faire, et le soir je ne voulais pas manquer les discours. J’ai donc considéré que mon cheval était perdu.” Frère Hughes ajoute que le cheval est revenu quelques jours plus tard.

À son retour à Buenos Aires, frère Muñiz écrivit à frère Firnkorn, lui disant à peu près ceci : ‘Si le jeune Davies n’est pas dans l’obligation de soutenir sa famille, et s’il le désire, il peut venir à la filiale, car nous avons besoin de jeunes hommes comme lui.’ À la fin du mois de décembre 1942, Ieuan Davies est donc arrivé à Buenos Aires où il a été baptisé en février 1943.

Gwaenydd Hughes s’empressa aussi d’arranger ses affaires pour pouvoir se consacrer exclusivement à l’œuvre. En même temps, il lisait toutes les publications de la Société. En mars 1943, il était prêt à quitter ses parents. Il écrit : “Je suis allé à Bahía Blanca où frère Schwalm dirigeait un groupe, et là j’ai été baptisé. Frère Schwalm est parti à Buenos Aires et j’ai été chargé de diriger l’activité. Je tremblais de peur, et la seule pensée qui m’est venue à l’esprit a été la suivante : ‘Les ouvriers doivent vraiment être peu nombreux pour qu’on ait besoin de moi.’ Mais j’étais disposé à servir. Un autre pionnier m’a rejoint et, faisant de Bahía Blanca notre quartier général, nous avons déployé notre activité dans les villes de la province de La Pampa ainsi qu’au sud de la province de Buenos Aires, et aussi dans quelques colonies juives.

“Vers la fin de l’année 1943, frère Muñiz est venu à Bahía Blanca et m’a demandé si je voulais aller au Paraguay pour y diriger l’activité. Comme je ne répondais rien, il a ajouté : ‘Tu ne m’as pas répondu.’ Je lui ai dit : ‘Que veux-​tu que je dise ? Il va sans dire que je suis disposé à servir là où l’on m’enverra.’” Frère Davies fut envoyé de Buenos Aires à Bahía Blanca pour y diriger le groupe. Il se souvient avec émotion de son arrivée dans cette ville où il retrouva frère Hughes ; il dit : “La nuit qui suivit mon arrivée à Bahía Blanca, Hughes et moi n’avons pas dormi du tout ; nous avons passé toute la nuit à parler de tout ce qui s’était passé en si peu de temps et nous avons remercié Dieu de nous avoir arrachés au présent système de choses.”

Durant les années vingt et trente, l’œuvre consistant à semer permit de répandre jusqu’aux extrémités de l’immense territoire argentin des centaines de milliers de publications, sans parler d’un nombre incalculable de tracts. De nombreuses personnes bien disposées avaient accepté des publications et partageaient la connaissance acquise avec leurs semblables, sans avoir eu au préalable le moindre contact avec la Société.

Quant au petit noyau qui se trouvait à Buenos Aires, le centre de l’activité, il progressait constamment. Comme on pouvait s’y attendre, l’extension amena des changements et provoqua aussi des douleurs de croissance. En 1932, la visite de frère Roberto Montero, qui servait au Mexique, stimula l’œuvre en Argentine. Il avait été envoyé par frère Rutherford pour commencer la campagne avec le nouveau périodique Luz y Verdad (L’Âge d’Or en espagnol). De nombreux abonnements furent obtenus, car ce périodique était très intéressant et bon marché. À peu près à l’époque de la visite de frère Montero, la Société acheta une maison au 4555 rue Cramer, qui allait abriter le bureau de la filiale et un dépôt de publications. Elle servit de Béthel jusqu’à l’acquisition en 1940 de la propriété du 5646 rue Honduras qui est toujours en notre possession. Étant donné que le bureau de la filiale se trouvait alors dans les faubourgs de la ville et que de nombreux frères habitaient loin de là, frère Miguel Razquin demanda à sa femme Juanita de rechercher un lieu de réunion dans un quartier plus central ; le local choisi était situé au 1544 rue Fitzroy, à deux rues de l’actuel bureau de la filiale.

Pour accueillir le groupe qui ne cessait de croître, le propriétaire de la maison dut bientôt abattre une cloison et céder une autre pièce pour les réunions. Sur les instances de son mari, infirme, sœur Razquin recommença ses recherches. Elle trouva une maison vide, qui avait été utilisée par un marchand de vin et que le propriétaire était disposé à vendre. En guise de paiement, il reprit la maison de la rue Cramer, et 27 000 pesos devaient lui être versés durant une période déterminée, avec un intérêt de 7 pour cent (cette somme fut payée en moins de deux ans). Frère Muñiz jugeait la propriété trop chère, mais frère Razquin, comme nous le rapporte sa femme, “était un Basque têtu et il a convaincu frère Muñiz que la maison de la rue Honduras convenait mieux à nos besoins ; elle était plus centrale, plus près de la poste, etc. En 1940, l’acte de vente fut signé ici, sur la table de la salle à manger”.

Les frères ont abattu le vieux local qui avait été utilisé pour y entreposer du vin, et on a commencé la construction du nouveau bâtiment sous la direction d’un entrepreneur du monde. Ce local avait 20 mètres de long sur 10 mètres de large, et 350 personnes pouvaient s’y réunir à l’aise. Il fut utilisé comme Salle du Royaume jusqu’en 1950 ; ensuite, on y installa des bureaux, une imprimerie et un dépôt de publications. En 1941, on construisit sur le toit une petite chambre pour frère Muñiz ; les matériaux et la main d’œuvre ont été payés par frères Razquin, Schwalm et Martonfi. Malgré les agrandissements plus récents du bureau de la filiale, cette pièce existe toujours.

Dans le développement de l’œuvre en Argentine, les premières ‘douleurs’ firent leur apparition au début des années trente : des heurts entre personnalités et le culte de la créature sont devenus évidents. Quand le ‘nouveau nom’ de témoins de Jéhovah fut adopté et le système des ‘anciens électifs’ abandonné, quelques-uns sont tombés et ont quitté l’organisation. À un certain moment, des signatures ont été recueillies pour demander à frère Rutherford de retirer à frère Muñiz la fonction de serviteur de filiale. Certains de ceux qui avaient signé sont ensuite revenus et ont reconnu les nominations faites par l’organisation théocratique. Les groupes de Mendoza et de Rosario ont connu des déceptions semblables à différents moments.

Au début des années quarante, il y eut de nouveau une certaine agitation, mais différente cette fois : elle était motivée par le désir de voir davantage de progrès et une meilleure répartition des responsabilités. Frère Adamson se souvient de cette époque critique ; il dit : “Frère Schwalm, membre du Béthel, est allé trouver frère Muñiz pour lui demander de s’efforcer de réorganiser la congrégation de Buenos Aires pour une meilleure surveillance de l’œuvre. Frère Muñiz ne comprit pas tout de suite dans quel esprit cette démarche était faite ; il pensait qu’il s’agissait d’une rébellion. C’est pourquoi il demanda à tous les frères de rester après l’étude de La Tour de Garde et il me fit monter sur l’estrade avec un bloc-notes et un stylo pour noter tout ce qui allait être discuté.” Plus tard, le grand territoire confié à la congrégation de Buenos Aires fut divisé en sept sections avec un frère pour diriger l’œuvre dans chacune d’elles.

Nous pouvons nous faire une idée de la manière dont l’œuvre était effectuée dans les années 1940 : Des sœurs et des frères vaillants et zélés se déplaçaient jusqu’aux extrémités du territoire de l’Argentine, s’efforçant surtout de diffuser des publications bibliques, tandis que d’autres personnes isolées écrivaient au bureau de la filiale pour obtenir des publications qu’elles distribuaient là où elles habitaient. Dans les villes où il y avait une congrégation ou un groupe, un témoignage régulier était effectué ; il consistait essentiellement à présenter des livres et des brochures en utilisant la carte de témoignage. Dans certaines villes, on utilisait le phonographe dans les nouvelles visites, mais pas dans le témoignage de maison en maison. À partir de 1942, les frères reçurent l’Informateur qui leur indiquait les périodes de campagne et les publications à utiliser.

Les rapports des pionniers, des proclamateurs isolés et de ceux qui étaient associés aux quelques congrégations de l’époque étaient envoyés au bureau de Buenos Aires. Frère Muñiz tenait une liste des noms de chacun d’eux, indiquant le lieu où il travaillait et ce qu’il avait fait chaque mois ; cette feuille était envoyée à tous.

Depuis son arrivée en Argentine, frère Muñiz donnait des discours bibliques à Buenos Aires, dans d’autres villes où il y avait de l’intérêt pour la Bible ainsi que dans les campagnes voisines dont il avait la responsabilité. L’étude de La Tour de Garde fut organisée très tôt et elle durait deux heures ou plus. Irma Albricot nous dit comment se déroulait cette étude : “Une semaine à l’avance, frère Muñiz attribuait un ou deux paragraphes à chaque frère, afin qu’il prépare une question pour ce ou ces paragraphes ; avant le commencement de l’étude, les questions étaient placées sur le pupitre ; quelqu’un les classait dans l’ordre, après quoi frère Muñiz les lisait, — si toutefois il pouvait les lire (à cette époque-​là personne n’avait de machine à écrire), — et les assistants pouvaient demander à répondre. Tous les textes bibliques cités étaient recherchés et lus ainsi que ceux que frère Muñiz ajoutait ; ainsi l’étude se poursuivait jusqu’à ce qu’elle soit terminée, sans aucune limite dans le temps.” Les réunions organisées le dimanche à Buenos Aires étaient fréquentées par les frères et les personnes bien disposées de toute l’agglomération. Un soir de la semaine, généralement le mardi, les frères désignés à cet effet se rendaient dans le quartier éloigné qui leur était confié, où ils dirigeaient une étude de livre de la congrégation.

Le jeudi, une autre réunion hebdomadaire était organisée à Buenos Aires ; on l’appelait “del comentario”, — ce qui signifie littéralement “d’après le commentaire”, par allusion aux commentaires pour chaque jour qui se trouvaient dans l’Annuaire. Frère Muñiz présidait cette réunion ; il traduisait le texte du jour, le commentaire et quelques faits de prédication tirés de l’Annuaire en anglais, et ajoutait ses propres commentaires.

PREMIÈRE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

Si les vingt années de 1924 à 1944 avaient vu une activité intense consistant à semer, les dernières années quarante allaient être témoins d’un accroissement encore plus grand. Cela nécessitait une meilleure organisation du travail. De nombreux frères en étaient conscients et en éprouvaient le besoin. Mais qu’allaient-​ils faire ? Frère Ott se rappelle que frère Schwalm et lui en parlaient souvent lorsqu’ils travaillaient ensemble au bureau de la filiale ; ils disaient : “Frère Knorr voyage dans le monde entier ; pourquoi ne l’envoie-​t-​on pas en Argentine ?”

Cette visite si désirée eut lieu en 1945 et elle apporta des changements qui posèrent le fondement pour une organisation vraiment théocratique et pour l’expansion. Frères Knorr et Franz, qui se rendaient au Chili lors de leur premier voyage en Amérique du Sud, se sont arrêtés à Buenos Aires le 28 février 1945. À cette époque, il y avait 19 compagnies ou congrégations et 320 proclamateurs dans le pays. La Tour de Garde anglaise du 15 avril 1945 nous donne quelques renseignements sur leur séjour en Argentine ; on peut y lire :

“Le samedi 3 mars marqua l’ouverture de la première assemblée générale des témoins de Jéhovah en Argentine. Environ 395 personnes étaient présentes lorsque le serviteur de filiale donna le discours de bienvenue. Ensuite, on présenta les frères américains, et frère Knorr monta sur l’estrade sous les applaudissements. L’assistance représentait le fruit d’environ vingt années d’activité effectuée par les témoins de Jéhovah dans ce pays, activité qui avait connu un très faible commencement. Il semblait particulièrement approprié de prononcer devant l’assemblée un discours très clair sur le service et l’organisation, ce que fit frère Knorr avec pour interprète son compagnon, frère Franz. Au début de son allocution, lorsqu’il demanda aux assistants qui étaient catholiques avant de faire l’offrande de leur personne à Dieu de lever la main, afin d’en connaître le nombre, pratiquement tout le monde la leva.

“Frère Knorr souligna ensuite l’importance de l’étude hebdomadaire de La Tour de Garde dans les congrégations et l’importance d’organiser une réunion de service hebdomadaire d’au moins une heure à un moment convenant à la majorité des frères. Lorsqu’on leur demanda d’exprimer leur avis, tous les assistants levèrent la main pour indiquer qu’ils désiraient bénéficier dans chaque congrégation d’une telle réunion de service bien organisée, durant laquelle un tableau de service mensuel serait utilisé et des démonstrations et d’autres discussions seraient présentées par des frères capables. C’est avec reconnaissance que les assistants entendirent frère Knorr les assurer à plusieurs reprises que la fonction la plus importante dans une congrégation est celle du proclamateur dans le service du champ et que tous les assistants ont la responsabilité de servir en tant que tel. Ils furent profondément touchés par son exhortation à faire des nouvelles visites et à commencer des études bibliques. Ils saluèrent par de chaleureux applaudissements l’annonce de la publication par la Société d’un nouveau livre en espagnol, intitulé “La vérité vous affranchira”.

“La session du soir fut ouverte avec le discours intitulé ‘Cherchez premièrement le Royaume’, présenté en espagnol par deux frères argentins. Ensuite, frère Knorr et son interprète sont montés sur l’estrade, cette fois pour parler plus particulièrement du service de pionnier dans cette partie de l’Amérique du Sud. Les conditions requises pour être pionnier ordinaire et proclamateur spécial furent clairement définies, et frère Knorr invita tous ceux qui souhaitaient participer à ces formes de service à venir le voir à la fin de la réunion.

“Le dimanche 4 mars, à 8 heures du matin, un discours du baptême fut donné ; après quoi huit candidats furent baptisés dans l’eau. Les événements se sont ensuite succédé très rapidement. À 9 heures, tous les serviteurs présents, soit cinquante-cinq, ont assisté à une réunion spéciale avec frère Knorr qui passa plus de deux heures à répondre à leurs questions concernant le service du champ et les études de La Tour de Garde et de livre. Aussitôt après, les frères d’expression allemande se réunirent pour entendre le nouveau ‘serviteur des frères’ (maintenant le ‘serviteur de circonscription’). Cette réunion était particulièrement prévue pour quelques assistants qui, ne comprenant que l’allemand, n’avaient pu tirer profit des sessions en espagnol. Ces chers frères se réjouirent d’entendre dans leur langue une partie de ce qui avait été dit jusque-​là durant l’assemblée.

“Aucune réunion publique n’avait été annoncée pour le dimanche après-midi. L’état de siège ayant été décrété en Argentine, une telle réunion n’était pas autorisée. Cependant, de nombreuses personnes bien disposées sont venues à la réunion de l’après-midi, et le nombre des assistants a atteint le chiffre de 476. Pendant deux heures, ils sont restés assis et ont écouté attentivement frère Knorr, interprété par frère Franz, présenter le message sur la ‘justification de la souveraineté universelle de Jéhovah’. Une carte murale, spécialement dessinée pour la circonstance, les aidait à mieux comprendre le discours. (...) Celui-ci se termina par la présentation d’une nouvelle brochure en espagnol intitulée La religion récolte la tempête, ce qui réjouit vivement les frères.

“La plupart des frères eurent le privilège de rester pour assister à la session de clôture de l’assemblée, qui commença à 7 heures du soir. Ils écoutèrent d’abord en espagnol le sujet intitulé ‘Le festin de mariage du Roi’. (...) Ensuite, frère Knorr monta de nouveau sur l’estrade avec un des jeunes frères locaux comme interprète. Il parla aux assistants des assemblées auxquelles il avait assisté et des privilèges de service qui lui avaient été offerts au cours de son voyage jusqu’à maintenant. (...) Le cœur des frères déborda de joie lorsqu’il leur annonça qu’un Informateur spécialement conçu pour l’Argentine allait être publié chaque mois et que le nouveau ‘serviteur des frères’ allait commencer à desservir toutes les congrégations ; il annonça aussi que la brochure Cours pour le ministère théocratique serait bientôt disponible en espagnol dans toutes les congrégations.

“L’assemblée se termina à 10 heures du soir par un cantique chanté avec ferveur et la prière pour remercier Jéhovah par l’intermédiaire de Jésus-Christ. Les frères étaient vraiment conscients du bonheur qui leur avait été accordé de pouvoir assister à cette assemblée générale.”

Nous pouvons nous rendre compte à quel point les frères argentins se sont “réjouis de cette disposition spirituelle, et plus particulièrement des instructions pratiques pour le service”, en écoutant leur propre déclaration :

Francisco Alvarez se souvient d’avoir été “saisi par la curiosité”. “Qu’est-​ce qu’une assemblée ? Qu’y entendrons-​nous ? Évidemment, dit-​il, je m’en faisais une certaine idée, car j’avais vu, accrochée à un mur de la Salle du Royaume, une photographie représentant une assemblée qui avait eu lieu en 1928 aux États-Unis ; on pouvait y voir frère Rutherford ainsi que frère Knorr, alors jeune, qui allait bientôt nous rendre visite. Bien que je n’avais que seize ans à l’époque, je n’ai jamais oublié cette assemblée. Elle fortifia ma foi et mon zèle pour le culte de Jéhovah, et renforça ma conviction absolue qu’il utilisait ce peuple, ses témoins.”

Francisco Callejo nous dit : “À cette occasion j’ai fait connaissance avec l’organisation et j’ai rencontré des frères venus de nombreuses régions du pays.” Il ajoute : “Je n’ai pas pu obtenir de congé, mais j’ai quand même quitté mon travail. Jusque-​là, j’avais seulement lu des rapports sur des assemblées ; maintenant que j’avais la possibilité d’assister à l’une d’elles, il était impensable que je ne puisse m’y rendre ! Aussi, après avoir prêché pendant neuf ans en tant que proclamateur isolé, j’ai pu apprendre directement comment l’organisation fonctionnait, et durant l’assemblée j’ai été baptisé.”

Irma Albricot n’a jamais oublié le discours de frère Knorr sur le service de pionnier ; elle dit : “Auparavant, lorsque nous parlions du service de pionnier, nous pensions uniquement à des frères mûrs parcourant avec leur mallette à la main des régions inhospitalières. Frère Knorr nous aida à comprendre pourquoi davantage de jeunes frères et de jeunes sœurs devaient répondre à l’appel et tourner leurs regards vers une plus grande formation à l’École de Galaad. Son discours poussa à l’action plusieurs d’entre nous, et le 1er avril nous commencions notre nouvelle activité.” Ajoutons qu’Irma Albricot assista plus tard à l’École de Galaad et qu’elle a continué jusqu’à ce jour à servir à plein temps avec son mari, Mario Segal, un serviteur de circonscription.

PROGRÈS DANS LE MINISTÈRE

Frère Ott nous rapporte que “frère Knorr avait insisté sur le fait que l’étude de La Tour de Garde ne devait durer qu’une heure. Frères Muñiz et Menazzi étaient absolument convaincus que cela était impossible”. Cependant frère Davies nous dit : “Lorsque je suis retourné à Bahía Blanca, j’ai mis en pratique les suggestions de frère Knorr et j’ai constaté qu’il avait raison : l’étude de La Tour de Garde pouvait être examinée en une heure, y compris la lecture des paragraphes.”

Les résultats furent vraiment excellents. Un frère les résume ainsi : “Certes, beaucoup n’avaient pas un point de vue optimiste, mais il était merveilleux de constater aussitôt des progrès spirituels. Il y avait davantage de commentaires, et la participation était plus grande aux réunions, ce qui les rendait plus vivantes. C’était différent ! Maintenant que le cœur ne me battait plus lorsque j’osais répondre à une question, je me sentais plus confiant ; tous les assistants répondaient, et nos progrès étaient manifestes dans de nombreux domaines : un vocabulaire plus étendu, une meilleure prononciation, une connaissance plus grande ; ce qui nous rendait encore plus heureux, c’était de savoir que nos louanges adressées à Jéhovah Dieu allaient être de meilleure qualité, et il le méritait certainement.”

L’École du ministère théocratique fut une autre innovation dont nous avions grand besoin, et frère Ott était très enthousiaste quant aux perspectives qu’elle offrait. Mais frère Muñiz n’était pas du même avis. “Il dit, rapporte frère Ott, que lorsqu’il est venu à l’organisation, toutes ces choses n’existaient pas ; l’école n’était donc pas pour lui. Il m’a déclaré, ajoute frère Ott, que je pouvais commencer l’école si je le désirais. C’est ce que j’ai fait et, un peu plus tard, je lui ai donné à faire une allocution de sept minutes. Il m’a dit : ‘Que puis-​je dire en sept minutes seulement ?’ Il a néanmoins accepté l’allocution, mais inutile de dire qu’il a dépassé le temps.”

Une autre conséquence heureuse de la visite de frère Knorr en 1945 nous est relatée par Gwaenydd Hughes, qui en bénéficia personnellement ; il nous dit : “J’avais quitté le Paraguay pour venir en Argentine à l’occasion de la visite de frère Knorr. Pensant que je ne resterais que peu de temps, j’ai laissé toutes mes affaires à Asunción. J’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait et les grandes bénédictions qui allaient m’être accordées. Un jour, frère Knorr m’appela à l’écart et, en privé, me demanda si j’aimerais aller à Galaad et de réfléchir à cette proposition. Que pouvais-​je dire ? La langue n’était pas un problème, car je connaissais bien l’anglais ; mais je ne savais rien de l’École de Galaad. Pressé de donner une réponse, je répondis que je ne savais pas quoi dire, étant donné que j’ignorais tout de ce qu’impliquait le cours de Galaad, mais que j’étais disposé à m’y rendre s’il pensait que j’étais qualifié. Je me souviens de la réaction de frère Knorr : ‘Eh bien, viens !’ Plus tard il ajouta : ‘Si tu vas à Galaad, ils auront besoin de toi ici, en Argentine.’ ‘Mais, lui dis-​je, et l’œuvre au Paraguay ?’ Frère Knorr répondit : ‘Le Seigneur y veillera !’

“Le mois qui suivit la visite de frère Knorr, le 12 avril exactement, sœur Ofelia Estrada et moi partions pour les États-Unis ; nous étions les premiers Argentins à assister à l’École de Galaad et parmi les premiers étudiants étrangers invités.”

À cette époque, frère José Bahner, qui était venu d’Allemagne, était le premier “serviteur des frères” (maintenant “serviteur de circonscription”) en Argentine. Auparavant, sa femme et lui avaient servi avec frère et sœur Niklash comme pionniers dans les régions de Santa Fe, de Rosario et de Paraná. La visite de frère Knorr avait bouleversé l’activité, ce qui rendait nécessaires la réorganisation des congrégations, de nouvelles formules de service et de nouvelles instructions ; on s’attendait à ce que le “serviteur des frères” instruise ceux-ci et les aide avec amour à suivre l’organisation dans ses progrès rapides. Malheureusement, le frère nouvellement établi n’a pas toujours assumé ce rôle.

Frère Armando Menazzi, qui avait tant travaillé pour la proclamation de la bonne nouvelle dans le nord de l’Argentine, se souvient de ce moment triste et décourageant ; il dit : “Ma femme et moi avions été nommés pionniers spéciaux à Córdoba. C’est à peu près à cette époque que José Bahner, un frère dans la foi, est venu dans cette ville ; il était vif d’esprit et très au courant des nouvelles instructions et directives dont je ne connaissais pas grand-chose. Aussi, petit à petit il m’a mis à l’écart et m’a fait perdre mes privilèges dans la direction de l’œuvre à Córdoba, rendant difficile la poursuite de mon service de pionnier spécial dans cette ville et me jugeant responsable de la non-application des nouvelles instructions. C’est alors que commença pour moi une période très critique. Ayant le sentiment de ne plus compter du tout alors que j’avais jeté toutes mes forces dans la progression de l’œuvre, j’étais moralement épuisé et je souffrais d’insomnies. Après avoir passé plusieurs nuits sans dormir, je me suis mis à délirer et j’ai été envoyé dans un sanatorium où j’ai été soumis à des électrochocs. Satan profita de l’occasion pour me cribler comme le blé, mais deux jours plus tard, ma santé a commencé à s’améliorer et je me suis de nouveau senti poussé à aller de l’avant. Après la naissance de notre première fille, nous sommes partis dans un territoire non attribué, à San Francisco, dans la province de Córdoba.” Les paroles de frère Menazzi, disant que ‘Satan profita de l’occasion’, ont été confirmées par d’autres frères de la région de Córdoba qui ont rapporté la tentative délibérée des démons pour briser l’unité et arrêter les progrès de la congrégation.

Frère Knorr avait encouragé les frères à scinder la congrégation de Buenos Aires, car il avait la certitude que cela permettrait d’atteindre davantage de personnes dans l’activité de prédication et qu’en même temps les personnes intéressées à la vérité seraient aidées et instruites plus efficacement. Cela fut fait, et de nouvelles congrégations ont été formées à partir des groupes qui se réunissaient auparavant au milieu de la semaine pour une étude de livre. Bientôt, la congrégation de Córdoba fut scindée à son tour pour la première fois, chaque division s’étant révélée un véritable tremplin pour un accroissement encore plus grand. Les chiffres indiquent qu’en 1940 il y avait huit congrégations et qu’en 1950 il y en avait cinquante-huit.

Les rapports montrent également que de nombreux frères ont pris à cœur l’invitation de frère Knorr à entreprendre le service de pionnier : En 1940, il y avait vingt pionniers dans tout le pays ; en 1950 ce nombre était passé à soixante-quatorze, soit treize pionniers spéciaux et soixante et un pionniers ordinaires ou généraux. Frère Rodolfo Bock nous rapporte ce qui suit : “Ma femme et moi étions décidés à devenir pionniers ; nous avons donc commencé à arranger nos affaires en conséquence. En octobre 1945, j’ai donné ma démission de mon travail profane. Le directeur, un des fils du propriétaire de l’usine, m’a dit que ce n’était pas raisonnable ; il m’a rappelé les progrès que j’avais faits et m’a parlé d’avancement et de promotion. Mais quand il s’est rendu compte que ma décision était prise, il s’est montré très aimable et m’a affirmé que tous avaient bien apprécié ma conduite et mon travail durant les dix années écoulées. Il m’a assuré que si les choses ne se passaient pas bien dans ma nouvelle activité, les portes de l’usine me seraient toujours ouvertes. Tous mes collègues de bureau se sont cotisés pour me faire un cadeau ; afin de leur témoigner ma gratitude, j’ai donné à chacun d’eux le livre “La vérité vous affranchira”. Tous l’ont accepté avec plaisir.”

On accorda plus d’importance à l’activité des nouvelles visites et des études bibliques. Le livre “La vérité vous affranchira”, avec la brochure renfermant les questions, fut le principal instrument pour cette activité. Un pionnier écrit : “Si elle était conduite régulièrement, l’étude de ce livre durait au moins un an. Les fausses doctrines comme l’immortalité de l’âme, le feu de l’enfer et la trinité étaient profondément enracinées dans l’esprit de la plupart des gens, et il fallait beaucoup de tact et de patience pour leur faire comprendre et accepter la vérité. Au fur et à mesure que le nombre de nos études bibliques augmentait, le nombre des assistants à la Salle du Royaume augmentait aussi et les proclamateurs devenaient peu à peu plus nombreux. Il fallait faire des efforts pour inclure toutes nos études dans notre programme, et certaines d’entre elles devaient être conduites tard le soir.”

Les frères s’engagèrent dans une autre activité : la diffusion des périodiques dans les rues. Frère Alvarez nous rapporte que dans les “avenues et les rues importantes de Buenos Aires et des autres villes où il y avait une congrégation, les périodiques La Tour de Garde et Consolation (plus tard Réveillez-vous !) devinrent très connus du public argentin, et beaucoup de personnes ont accepté la vérité grâce à cette activité. Je participais à ce service après mon travail profane. C’est ainsi que d’anciens camarades de classe, que je n’avais pas vus depuis la fin de mes études, m’ont reconnu, et j’ai profité de ces excellentes occasions pour rendre témoignage sur la vérité de la Parole de Dieu”. Sœur Mary Seegelken nous relate un fait qu’elle a vécu à Mendoza : “Nous participions à la diffusion du périodique sur l’avenue San Martín, la rue principale de Mendoza, et sur la place de Godoy Cruz où beaucoup de gens faisaient une promenade le dimanche après-midi. Généralement, ma sœur Elba et moi restions à proximité l’une de l’autre. Un jour, un jeune professeur s’est approché de nous et a dit : ‘Voyez ces pauvres petites, ces blondinettes qui vendent des périodiques !’ Il a pris deux périodiques, et aujourd’hui cet ancien professeur, frère Pedro Maza, est serviteur de district et a eu le privilège d’assister au cours de dix mois de Galaad.” La diffusion des périodiques dans les rues a cessé en 1950, quand l’œuvre des témoins de Jéhovah a été interdite.

DES AIDES POUR UN MINISTÈRE PRODUCTIF

Grâce à l’utilisation du Cours pour le ministère théocratique, un plus grand nombre de frères se sont préparés et ont prononcé des discours publics. Il est intéressant de connaître leurs impressions à ce sujet. Frère Bock nous écrit ce qui suit : “Les réunions publiques pour lesquelles nous utilisions des sujets très appropriés, préparés sous forme de plans par la Société, stimulèrent beaucoup la fréquentation des réunions. Je fus obligé de donner des discours publics étant donné que j’étais serviteur de congrégation à Rosario et que nous n’allions pas attendre la visite du serviteur de circonscription pour commencer notre campagne de réunions publiques. Nous avons donc appris à faire des discours publics. J’ai commencé le premier et ensuite frère Niklash s’est joint à moi. Ce privilège de service supplémentaire nous procurait une profonde satisfaction et plus particulièrement quand nous remarquions combien ces discours étaient appréciés des frères et des personnes bien disposées. Le nombre des assistants à la Salle du Royaume augmenta de façon remarquable. Plus tard, conformément aux suggestions de la Société, nous avons donné des discours un peu partout, dans les maisons des frères lorsque cela était possible. De cette façon, davantage de personnes ont pu entendre ces discours dans différentes parties de cette grande ville. Nous les annoncions au moyen de feuilles d’invitation.” Pour la majorité des frères, donner un discours public fut certainement une épreuve décisive et plus d’un “souhaitait que personne ne vienne à la salle ce jour fatidique où il me faudrait me tenir, pâle comme un linge, derrière le pupitre”. Un autre frère nous rappelle ceci : “Je n’avais reçu qu’une instruction limitée. Aussi, tandis que je me rendais à la salle pour y donner mon premier discours d’une heure, j’ai souhaité qu’un autobus m’écrase, tant j’avais peur. Mais depuis, j’ai donné de nombreux discours et chaque fois j’ai progressé. Sans effort, on n’arrive à rien.”

À la fin de 1946, frère Hughes est revenu des États-Unis. Après une première escale au Paraguay, en tant que représentant de frère Knorr, il commença son activité de serviteur de circonscription dans le nord de l’Argentine. On organisa alors des assemblées de circonscription. La première eut lieu en mai 1947 à Córdoba ; frère Muñiz a desservi l’assemblée en qualité de serviteur de district. En juin, une assemblée fut tenue dans le sud, à Bahía Blanca ; là, c’est frère Hughes qui servit comme serviteur de district. À l’occasion de cette assemblée, il procéda à son premier baptême, et cela précisément à l’endroit même où il avait été baptisé quatre années auparavant. “Après l’assemblée de Bahía Blanca, rapporte frère Hughes, j’ai rendu visite à ma famille, à Chubut, pour la première fois depuis mon départ quatre ans et demi plus tôt. J’ai été invité à prononcer un discours dans l’église galloise. Je l’ai prononcé en gallois. Je dois malheureusement dire que malgré tout le travail effectué par les premiers pionniers et par bien d’autres depuis, l’œuvre n’a pas trouvé un sol fertile chez les Gallois. Je me rappelle qu’un de mes parents, à qui j’offrais une publication de la Société, s’est exclamé : ‘Eh bien ! je pensais que cette religion n’existait plus, qu’elle avait disparu en 1914 !’”

Ces premières assemblées de circonscription étaient de véritables assemblées nationales, car des frères de toutes les parties de l’Argentine venaient y assister. C’est ce que nous explique Irma Albricot en ces termes : “À cette époque-​là, les chemins de fer consentaient d’importantes réductions pour les groupes de plus de dix personnes. Il est donc arrivé plus d’une fois qu’un ou même deux wagons entiers soient remplis de frères. Nous rompions la monotonie du voyage en chantant des cantiques et en relatant des faits de prédication ; de cette façon, l’assemblée commençait en réalité dans le train. Lorsque nous arrivions dans la ville de l’assemblée, un frère nous attendait avec une liste indiquant l’adresse des hôtels, les prix, etc., ce qui permettait à chacun de choisir un logement en fonction de son budget. Puis, seuls ou par petits groupes, les frères prenaient des dispositions pour leurs repas pendant les jours de l’assemblée, car il n’y avait pas de cafétéria.”

La série des assemblées de circonscription se poursuivit dans une ville après l’autre. Chacune d’elles était une ‘première’ dans la ville où elle devait avoir lieu, et les frères de toutes parts répondaient avec une joie et un enthousiasme débordants. Mary Seegelken fait ce commentaire à propos de la première assemblée organisée à Mendoza : “Nous avons beaucoup travaillé au service du logement, car des frères allaient venir de Buenos Aires, de Córdoba, de Santa Fe et d’autres provinces. Quelques jours avant le commencement de l’assemblée, les conducteurs d’autobus se sont mis en grève. Nous avons donc dû marcher jusqu’à ce que nous ayons trouvé assez de chambres pour tous. Nous avons remercié Jéhovah lorsque nous avons trouvé un nouvel hôtel, qui n’avait pas encore été inauguré, dont le propriétaire nous a proposé des prix raisonnables ; notre problème était résolu. Cette assemblée fut très joyeuse.”

En octobre 1948, six missionnaires diplômés de Galaad sont arrivés à Buenos Aires ; il s’agissait de Charles et Lorene Eisenhower, Viola Eisenhower, Helen Nichols, Helen Wilson et Roberta Miller. Cinq d’entre eux avaient suivi les cours de la première classe de Galaad et tous avaient servi comme missionnaires à Cuba avant d’être nommés en Argentine. La plupart d’entre eux sont toujours dans le service à plein temps dans ce pays.

Il est intéressant de connaître la première impression des missionnaires récemment arrivés à Buenos Aires ; Helen Nichols nous la révèle en ces termes : “Dès le premier jour de notre séjour ici, nous avons pu nous rendre compte que ce territoire était différent. J’ai été très impressionnée par les jolis bébés, bien grassouillets et aux joues roses, enveloppés de la tête aux pieds dans de la laine douillette. Il ne nous a pas fallu longtemps pour remarquer de quelle façon les ouvriers qui travaillaient dans les rues ou sur les chantiers s’arrêtaient pour préparer leur repas de midi au bord de la rue. Un bifteck grillé au-dessus d’un feu de charbon de bois, un morceau de pain français et une bouteille de vin constituaient le menu. Chacun semblait avoir de quoi manger, de quoi se vêtir et toutes les distractions qu’il souhaitait. Cette prospérité apparente nous fit comprendre que nous allions devoir nous montrer éveillés pour convaincre les gens de l’importance du message du Royaume. Il allait falloir leur prouver que les bénédictions du Royaume sont beaucoup plus grandes que tout ce qu’ils possédaient ou connaissaient déjà.” Les missionnaires se sont aussi aperçus que “l’heure de la sieste” se prolongeait généralement jusqu’à 3 heures de l’après-midi et que le dîner était servi entre neuf et dix heures du soir ; il leur a donc fallu harmoniser leur programme avec celui des habitants.

L’ASSEMBLÉE DE 1949

En avril 1949, frère Knorr et frère Henschel ont visité l’Argentine, et une assemblée fut organisée dans une très belle salle, Les Ambassadeurs. Peu de temps avant le début de l’assemblée, le bureau de la filiale fut informé que l’autorisation de la police pour tenir l’assemblée avait été annulée. On confia l’affaire à un avocat en vue qui se présenta à la police. On lui dit de se rendre au ministère des relations étrangères et des cultes. La police informa les frères qu’ils pouvaient tenir leur assemblée dans leur propre salle où avaient lieu leurs réunions habituelles la semaine et le dimanche. Depuis huit ans que les frères utilisaient la salle de la rue Honduras, ils n’avaient jamais rencontré la moindre difficulté. Lorsque l’assemblée commença le vendredi soir 8 avril, il y avait 672 assistants. Le samedi matin, un service de baptêmes fut organisé, et 76 candidats furent baptisés dans la rivière La Plata. Le dimanche après-midi, il y avait 1 200 assistants ; la salle était plus que comble, la cour était pleine jusqu’à la grille et il y avait encore des centaines de personnes sur la terrasse. Des haut-parleurs permettaient à tous les assistants d’entendre les discours. Comme prévu, frère Knorr commença à parler sur le sujet “Les temps sont plus avancés que vous ne le pensez”, frère Hughes lui servant d’interprète. À 4 h 40, un policier et un homme en civil se sont frayés un chemin dans la foule jusqu’à l’estrade et ont déclaré que le discours devait être arrêté immédiatement. Peu après, il y avait une douzaine de policiers à l’extérieur du bâtiment, et trente autres sont arrivés avec un car de police. Ils ont sorti leurs armes et ont préparé des grenades lacrymogènes. Environ 200 frères, dont frère Knorr, frère Hughes et frère Muñiz, furent emmenés au poste de police. Helen Nichols ajoute : “C’était la première fois que j’allais en prison, et frère Knorr aussi !” La plupart de ces frères furent emmenés au poste dans le car de police, une trentaine à la fois.

Finalement, les policiers ont compris qu’ils n’en finiraient pas ; de plus, le car est tombé en panne d’essence. Aussi, le reste des frères ont été laissés dans la salle, sous la surveillance de la police. Ceux qui avaient été emmenés au poste furent gardés dans une grande cour où on les a obligés à rester debout pendant des heures. Il faisait froid et humide, et la majorité d’entre eux n’avaient rien mangé depuis midi, certains même depuis le petit déjeuner. Après que tous eurent passé au bureau pour donner leur nom, ils furent finalement relâchés tôt le lundi matin. Ni l’avocat ni les frères n’ont jamais pu obtenir une réponse satisfaisante expliquant pourquoi la réunion avait été arrêtée, mais ils ont remarqué un détail très intéressant. Le chef de police qui a emmené frère Muñiz au poste s’est arrêté en chemin devant l’église catholique. Il a déclaré qu’il voulait voir le padre. Dix minutes plus tard il est revenu et a emmené frère Muñiz au poste de police pour enregistrer son nom.

Quand la police est intervenue, frère Henschel se trouvait de l’autre côté de la rue, en face de la Salle du Royaume, en train de prendre des photographies ; il a donc pu voir comment les choses se sont passées. Plus tard, il a téléphoné à frère Knorr qui lui a dit de se rendre le lendemain à Asunción, au Paraguay, au cas où lui-​même ne serait pas libéré à temps. Quand frère Knorr est arrivé à l’hôtel, frère Henschel dormait ; lorsque celui-ci s’est levé et a ouvert la porte, il a demandé à frère Knorr où en étaient les choses. Frère Knorr lui a répondu : “Les temps sont plus avancés que vous ne le pensez !” Il était 5 heures du matin ! Ils avaient juste le temps de faire leurs valises, de prendre le petit déjeuner et de se rendre avec frère Hughes jusqu’au port pour embarquer tous les trois à l’heure prévue dans l’hydravion qui devait les conduire au Paraguay.

Mais pourquoi cette intervention de la police à l’assemblée de Buenos Aires et dans plusieurs assemblées de circonscription ? En 1948, après de longs mois d’efforts, La Torre de Vigía avait été reconnue par le gouvernement comme une organisation religieuse. On avait procédé à l’élection de membres pour cette organisation légale, frère Muñiz en étant le président. En 1946, sous l’influence de l’Église catholique, le gouvernement Perón avait voulu constituer un service des cultes ou de la religion à l’intérieur du ministère des relations étrangères. Son but était d’obliger toutes les organisations religieuses, à l’exception de l’Église catholique, à se faire enregistrer. À cette époque, le congrès avait rejeté ce projet. Cependant, en 1949, il fut de nouveau présenté et accepté grâce à l’influence des catholiques. Désormais, toutes les religions devaient être enregistrées au service des cultes du ministère des relations étrangères. À ce moment-​là, les proclamateurs du Royaume ont commencé à rencontrer des difficultés.

Finalement, l’œuvre des témoins de Jéhovah fut officiellement interdite en août 1950. Selon les termes mêmes de la résolution 351 du décret ministériel, la raison en était que “l’organisation [des témoins de Jéhovah] est opposée aux principes consacrés de la Grande Charte et propage des doctrines contre les forces armées et contre le respect qui doit être accordé à l’emblème national”. Par l’intermédiaire de leur représentant dans le pays, les témoins de Jéhovah ont demandé à maintes reprises d’être reconnus, afin de pouvoir propager librement la bonne nouvelle du Royaume, conformément à la constitution de l’Argentine, mais cela a été vain.

Les interdictions et la persécution ne sont pas nouvelles pour les serviteurs de Jéhovah. La façon dont ces obstacles ont été surmontés et dont l’œuvre a été accomplie en Argentine dans ces conditions constitue un chapitre important et intéressant de l’histoire de l’œuvre dans ce pays. Juste avant l’interdiction de celle-ci, quinze frères argentins s’étaient rendus à New York pour assister à l’assemblée internationale. Durant leur séjour aux États-Unis, ils ont appris que l’œuvre avait été officiellement interdite. Comment allaient-​ils pouvoir rendre témoignage en Argentine, et dans quelles conditions allaient-​ils effectuer leur activité à leur retour dans ce pays ? Frère Hughes, qui était du nombre des délégués à cette assemblée, nous relate comment il a poursuivi son service.

LA PRÉDICATION MALGRÉ LES PROBLÈMES

“Durant mon séjour à New York, frère Knorr m’a désigné comme serviteur de filiale en Argentine. Mais à mon retour à Buenos Aires, il m’a fallu chercher la filiale. Bien sûr, la propriété du 5646 rue Honduras était toujours là ; il n’y avait aucun problème, puisqu’elle était enregistrée au nom de frère Muñiz. Mais les fichiers et tout ce qui compose le bureau d’une filiale étaient disséminés çà et là chez les frères. Pendant un temps, il a fallu qu’un frère voyage dans tout le pays à la fin de chaque mois pour recueillir les rapports de chaque congrégation ou groupe ; d’autres frères venaient personnellement à Buenos Aires pour apporter leurs rapports. Après la compilation de tous les chiffres, le serviteur de filiale ou un autre frère se rendait en Uruguay pour envoyer le rapport à Brooklyn. Vous pouvez ainsi imaginer le travail que représentait la compilation de chaque rapport mensuel !”

Entre 1940 et 1950, les frères ont connu une période merveilleuse quant à l’accroissement et à l’amélioration des structures théocratiques. Comme ils furent joyeux de lire les chiffres du rapport annuel indiquant les résultats obtenus en 1950 : 58 congrégations, 13 pionniers spéciaux, 61 pionniers ordinaires et 1 218 proclamateurs de congrégation ! En raison des difficultés rencontrées pour importer des publications, seulement 60 870 livres et brochures avaient été placés ; mais les frères avaient effectué 112 693 nouvelles visites et conduit 973 études bibliques. La diffusion des périodiques a été excellente, puisque les frères ont obtenu 3 495 nouveaux abonnements et placé 153 320 périodiques. Lors de la Commémoration, il y a eu 1 747 assistants, et durant l’année, 979 discours publics avaient été donnés.

Le souci principal des frères était le suivant : l’œuvre continuerait-​elle à prospérer malgré l’interdiction ? Une chose nous était favorable : bien que nous accomplissions notre activité sous certaines restrictions, les périodiques et les autres publications nous parvenaient dans le pays, car les frères les recevaient chez eux par la poste. Demandons à frère Hughes comment l’œuvre s’effectuait sous l’interdiction : “Fait particulièrement remarquable, dit-​il, l’interdiction officielle de l’œuvre nous procura de grandes bénédictions favorables à son extension. Les petits groupes ou centres de service, qui prospéraient et devenaient solides, allaient servir de base pour la formation de nombreuses congrégations.”

La Société comprit la nécessité de multiplier le nombre des visites des serviteurs de circonscription dans toutes les congrégations du pays, afin d’instruire les frères sur la manière de poursuivre l’œuvre. Frère Eisenhower, qui était serviteur de circonscription dans le nord du pays depuis 1949, nous parle de sa visite dans la congrégation de Rosario. Là, il fut démontré comment on pouvait prêcher sans présenter La Tour de Garde ni d’autres publications de la Société. Frère Eisenhower et sa femme allaient de maison en maison en compagnie des proclamateurs. Ils n’utilisaient que la Bible, lisant trois ou quatre textes bibliques sous forme de sermon. Les serviteurs de la congrégation et d’autres proclamateurs apprirent à faire ainsi et, à leur tour, ils purent en instruire d’autres. Frère Eisenhower nous explique que “lorsque nous rencontrions des gens disposés à en apprendre davantage sur Dieu, sur son Royaume et sur le nouvel ordre de choses, nous notions leur nom et leur adresse, et prenions des dispositions pour les revisiter, afin de leur apporter des publications et de commencer en même temps une étude biblique”. Frère Eisenhower parcourut sa circonscription et visita toutes les congrégations en deux semaines seulement. Il rapporte que les frères adoptèrent avec enthousiasme cette méthode leur permettant de déclarer la bonne nouvelle du Royaume.

Les réunions étaient organisées par groupes de six, huit, dix ou douze personnes. Le serviteur de circonscription visitait ces groupes pendant trois jours : dimanche, lundi et mardi dans l’un ; jeudi, vendredi et samedi dans un autre. De cette façon, il donnait son discours de service dans chaque groupe et, là où cela était possible, il prononçait un discours public. L’œuvre progressait et de nouveaux et plus grands groupes étaient organisés.

En janvier 1951, frère Rogelio Del Pino, avec sa femme Dora, fut nommé serviteur de circonscription. Il se souvient d’une visite qu’il fit dans les différentes congrégations de la capitale fédérale et de son agglomération ; il rapporte : “C’était une activité très intéressante qui nécessitait de la sagesse et du courage. Nous n’avons pas dû endurer une persécution violente ; néanmoins, notre œuvre était interdite et nous ne jouissions pas d’une liberté complète. Nous étions toujours conscients de ce fait, ce qui guidait notre activité et nos mouvements. Le bureau de la filiale nous donnait des suggestions et des conseils précis qui, s’ils étaient fidèlement suivis, nous évitaient de rencontrer de grandes difficultés et nous permettaient de maintenir l’œuvre vivante. Quand nous avons retrouvé une plus grande liberté, nous étions très bien organisés et l’activité n’avait absolument pas souffert de ces conditions. Nous nous sommes montrés prudents, mais les ‘brebis’ n’ont jamais été abandonnées. La filiale nous transmettait toujours les dernières instructions, et le serviteur de circonscription effectuait son activité consistant à visiter et à paître les congrégations de la même façon qu’aujourd’hui. Une seule chose était différente : le lieu de réunion. Il s’agissait d’une petite salle de séjour, d’une salle à manger ou d’une cuisine ; nous n’avions jamais assez de sièges, bien que nous nous asseyions sur les lits, sur une table ou même sur une machine à coudre. Les conducteurs de ces groupes avaient une grande responsabilité.”

Frère Fernando Fanin, qui accepta la vérité à Córdoba en 1947, nous parle en connaissance de cause de cette responsabilité ; il dit : “Dans ces petits groupes, on pouvait accorder une attention personnelle plus grande aux frères et aux personnes bien disposées que dans une grande congrégation. Grâce à cette attention et à la fréquentation régulière des réunions, un esprit de famille se développa parmi nous et cela favorisa la croissance spirituelle. En outre, ceux d’entre nous qui s’étaient vu confier la surveillance de ces groupes avaient la possibilité de croître spirituellement, car ils avaient la responsabilité de diriger les réunions et d’assumer la tâche de chaque serviteur, comme s’ils avaient été surveillants dans une congrégation. Nous présidions l’étude de La Tour de Garde, remplissions la fonction de serviteur à l’école et dirigions la réunion de service.” Le zèle avec lequel l’activité était effectuée et les progrès qui en résultèrent nous permettent d’apprécier à quel point ces petits groupes étaient étroitement unis.

Puisqu’il était impossible de tenir de plus grandes réunions, telles que des assemblées de circonscription ou de district, on organisa de petites réunions dans la campagne, souvent dans les bois. Frère Eisenhower nous rapporte que les serviteurs de congrégation, les serviteurs adjoints, les serviteurs aux études bibliques et les conducteurs d’études de livre étaient invités à ces assemblées d’un jour. “Elles ressemblaient à un pique-nique ou à une réunion de famille ; elles se révélèrent très utiles et très profitables pour les frères, et permirent à l’œuvre de se poursuivre dans le pays.”

Helen Wilson, qui servait comme missionnaire à Buenos Aires à cette époque-​là, nous fait part de sa joie en ces termes : “Helen Nichols, ma compagne, et moi avons été invitées à assister à l’une de ces assemblées d’un jour, car nous étions temporairement conducteurs d’étude. Quelle joie ! Comme nous avons été encouragées en rencontrant d’autres frères que ceux de notre petit groupe ! Nous n’avions pas toujours apprécié autant les assemblées lorsqu’elles se tenaient en toute liberté. La cafétéria était différente de ce que j’avais pu voir dans toutes les autres assemblées auxquelles j’avais assisté : le repas consistait en un agneau embroché et rôti au-dessus d’un foyer de braises. Une fois l’asado prêt, nous nous sommes rassemblés autour et chacun s’est servi à même la planche à découper et dans les grands plats de salade ; tout était mis en commun.”

Même ces petites réunions ont parfois rencontré des difficultés. À Córdoba, une réunion de ce genre avait été organisée dans la ferme d’un frère. La police en ayant été informée est venue et a interrompu la réunion. Les frères Natalio Dessilani, Ermelindo Goffi et Charles Eisenhower ont été conduits au poste de police et gardés pendant vingt-quatre heures. Ensuite, on les a relâchés non sans leur avoir ordonné de ne plus tenir de telles réunions illégales.

Parfois, nous nous demandions comment les nouveaux, qui manquaient de maturité, allaient accepter le message et commencer à prêcher ; ne savaient-​ils pas qu’ils risquaient d’être arrêtés par la police ? Cependant, presque tous ceux qui se sont joints à nous se sont montrés courageux dans le service et n’ont été en aucune façon effrayés par ce qui pouvait leur arriver. Un jeune proclamateur déclara qu’il avait accepté le message du Royaume parce qu’il savait qu’il lui faudrait combattre. Plus tard, ce frère, Amado Ceirano, est devenu pionnier, puis serviteur de circonscription et enfin serviteur de district. Frère Fanin nous rapporte ce qui s’est passé un jour où il avait emmené pour la première fois dans l’activité de porte en porte une personne nouvellement intéressée à la vérité ; il dit : “Nous avons frappé à la porte d’un député, membre du parti au pouvoir. Il nous a écoutés et invités à entrer. J’étais heureux, car je pensais que cela l’intéressait. Mais une fois que nous avons été à l’intérieur, il nous a dit que nous devions nous préparer à aller en prison, parce qu’il avait présenté au congrès une loi ayant pour but d’éliminer les témoins de Jéhovah et que cette loi allait être bientôt approuvée. Après quoi il s’est mis à composer le numéro de téléphone de la police, tandis que je prenais ma Bible pour lui lire les textes de Daniel 2:44 et du Psaume 2. Étant énervé, il n’a pu composer le bon numéro pour obtenir la communication avec la police. Après avoir lu les textes bibliques, j’ai dit à la jeune proclamatrice : ‘Sortons d’ici !’ Comment allait-​elle réagir ? Lorsque nous sommes arrivés à la porte suivante, j’ai été très surpris de la voir s’en approcher résolument et sonner sans la moindre crainte. Peu de temps après, cette jeune fille, Myriam Ossman, a fait l’offrande de sa personne à Jéhovah et est entrée dans les rangs des proclamateurs à plein temps.”

UNE ASSEMBLÉE DANS TOUTE L’ARGENTINE

Les frères d’Argentine travaillaient dans de telles conditions quand frère Knorr les a visités pour la seconde fois, en décembre 1953. Alors qu’il survolait les Andes après avoir décollé de Santiago, au Chili, pour se rendre à Mendoza, en Argentine, de nombreux amis de cette ville étaient déjà réunis sur le lieu de l’assemblée. De cet endroit, ils ont pu suivre des yeux l’avion qui descendait après avoir survolé les Andes, puis l’ont perdu de vue lorsqu’il est arrivé à proximité de l’aéroport de Mendoza. Frère Eisenhower, qui était devenu serviteur de filiale, et sa femme ont accueilli frère Knorr et, ensemble, ils se sont rendus jusque dans le verger appartenant à la famille Giandinotto. Comme ce n’était pas encore l’heure du discours prévu, frère Giandinotto a invité frère Knorr et quelques autres frères à se rendre dans la partie du verger où étaient plantés des cerisiers. Il leur avait réservé une branche pleine de grosses cerises rouge et jaune bien mûres. Ce lieu, entouré de vignes et d’arbres fruitiers, était un endroit idéal pour écouter le discours de frère Knorr. Après son allocution, les frères ont pris un repas comprenant des olives vertes ou noires et des fruits en abondance, tous produits chez ce frère. Il fallut ensuite retourner en ville, où les voyageurs passèrent la nuit chez les Seegelken. À ce moment-​là, deux des enfants Seegelken, German et Mary, assistaient à la vingt-deuxième classe de Galaad.

Si le premier jour de ce voyage fut magnifique et mémorable, les jours suivants le furent tout autant. La Tour de Garde nous en fait un rapport de première main en ces termes : “Après une nuit de repos et un réveil matinal à cinq heures, le groupe composé de cinq frères et sœurs était prêt à prendre un taxi pour San Juan, à 178 kilomètres au nord de Mendoza, dans les contreforts de la Cordillère, où se tenait une autre assemblée. Le groupe traversa la ville et se dirigea vers les montagnes en suivant une vallée étroite et encaissée entre deux rangées de collines rocheuses et déchiquetées. Là, immédiatement derrière cette première chaîne de montagnes, la fumée qui, du pied de la montagne, s’élevait en volutes indiquait l’endroit où était prévu le pique-nique. Chaque assistant fut accueilli par le bruit agréable des flots impétueux d’un torrent proche. (...) À leur arrivée, les frères commençaient à se saluer par une poignée de main chaleureuse. En peu de temps, le groupe entier était rassemblé près d’une clairière au bord du torrent, et le discours pouvait commencer ; les arbres formaient une sorte de toit abritant une foule de 135 frères. Midi était passé depuis longtemps quand la réunion fut clôturée par la prière. Il était temps de manger et il ne fallut pas longtemps pour commencer à préparer l’asado.

“Du bœuf qui grésille au-dessus d’un feu de braises ! Quel fumet ! Ce genre de repas est typique en Argentine, et le gaucho s’en accommode bien. Qui ne le pourrait ? L’asador appelle : ‘Está lista.’ (‘C’est prêt’). Cela veut dire qu’il n’y a pas de temps à perdre, car la viande est à point.

“À l’aide de fourchettes, on emporte les gros morceaux de viande sur une ‘table’ de métal très propre, à quelques pas du feu. Pas besoin d’assiettes ! (...) Il est plus agréable et plus amusant de manger l’asado avec les doigts, comme le font les Argentins. Il n’y a qu’une seule fourchette dans le grand plat en métal qui contient de la salade faite d’oignons, de laitues et de tomates. Ces légumes accompagnent fort bien la viande.”

Après avoir salué chacun, il fallut retourner à Mendoza. Le lendemain, les trois voyageurs, frère Knorr et frère et sœur Eisenhower, se sont levés très tôt, car ils devaient prendre l’avion pour Córdoba, à 700 kilomètres de là. Des dispositions avaient été prises pour que frère Martín Barrena, de Buenos Aires, attende les voyageurs dans cette ville et les conduise en voiture de lieu en lieu pendant la suite de leur long voyage. À Córdoba, les frères de quatre congrégations avaient prévu une réunion à l’extérieur de la ville, à la ferme de la famille Goffi. Les assistants sont restés deux heures et demie à écouter des conseils. Comme il n’y avait pas de chaises, tous sont restés debout. Après cela, les frères ont posé de nombreuses questions et quelques-uns d’entre eux, qui parlaient un peu anglais, ont pu converser avec frère Knorr. Les frères avaient du mal à laisser partir les visiteurs, mais finalement ils se saluèrent et la voiture reprit la route pour un voyage de trois heures en direction de San Francisco.

Tandis que la voiture approchait du lieu de réunion, tout était très calme. Seul un frère, assis sur le bord de la route, attendait l’arrivée des visiteurs pour leur indiquer l’endroit où était prévue la réunion. Là, trente-cinq frères attendaient frère Knorr pour l’écouter. Les voyageurs ont passé la nuit à Santa Fe ; le lendemain matin, ils ont traversé la rivière Paraná sur une chaloupe pour se rendre directement au lieu de réunion. Un peu plus tard, étant retourné à Santa Fe, frère Knorr visita quatre groupes de cette ville, ce qui veut dire qu’il est passé rapidement d’un endroit à un autre. Ensuite, les voyageurs ont quitté Santa Fe pour se rendre à Rosario, où un groupe fut visité dans la soirée. Le lendemain, quatre autres groupes de Rosario ont reçu leur visite.

L’après-midi, le petit groupe se rendit en voiture à Ciudad Evita (Cañada de Gómez). Comme ailleurs durant tout le voyage, les visiteurs y ont rencontré le serviteur de la congrégation qui les a conduits jusqu’au lieu de réunion. C’était à environ six kilomètres de la ville, dans la ferme d’un frère. Les membres de trois congrégations étaient présents ; ils avaient réellement profité de l’occasion pour organiser un pique-nique. Ils furent avertis dès que la voiture fut en vue. Lorsque les visiteurs arrivèrent, tous les frères étaient assis dans la cour où une estrade avait été dressée et le texte de l’année accroché. Il y avait partout des bouquets de fleurs. Frère Knorr rapporta que “dans toutes les régions du pays où ils étaient passés, tous les frères avaient parcouru de grandes distances et quitté leur travail au milieu de la semaine uniquement pour se réunir avec leurs frères partageant la même foi précieuse et pour entendre de bonnes paroles de la bouche d’un serviteur de Jéhovah. Il serait difficile de décrire exactement les sentiments éprouvés par ces frères et que j’éprouvais moi-​même. Mais l’amour doit se manifester. Ici, il était en action”. Les visiteurs n’avaient pas le temps de manger avec les frères ; ces derniers leur ont donc donné un énorme gâteau et un poulet rôti pour manger en cours de route. Quand ils sont partis, les frères locaux ont chanté des cantiques théocratiques en s’accompagnant à l’accordéon.

La Tour de Garde relate l’étape suivante à Bell Ville, dans la maison d’une sœur habitant à l’extérieur de la ville. “(...) ils avaient préparé un endroit le long de la maison. Là où les arbres et les buissons ne suffisaient pas à le dissimuler, on accrocha des couvertures et d’autres choses du même genre pour ne pas attirer l’attention des passants. Là se sont réunies soixante-quinze personnes venues de trois congrégations.”

À 1 h 40, le petit groupe est arrivé à sa destination suivante, Río Cuarto. Le discours était prévu à 9 heures du matin dans un endroit retiré, près d’une petite ferme. Frère Knorr parla en termes sévères et puissants. Environ trente proclamateurs et quatre pionniers de cette congrégation avaient suscité une division parmi les frères ; ils ne reconnaissaient pas la congrégation, mais venaient cependant réclamer des publications et des territoires. Frère Knorr répondit aux questions concernant la manière de procéder à l’exclusion de ceux qui causent des divisions. Il était merveilleux de voir comment ce groupe était organisé, afin qu’aucune personne infidèle ne puisse découvrir le lieu de réunion. Le serviteur de congrégation avait indiqué aux frères un endroit à l’extérieur de la ville où un frère les attendrait pour leur dire où se tiendrait exactement la réunion. De cette façon, les indésirables ne pouvaient atteindre l’endroit prévu.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Aussi, les frères ont pris avec eux des fruits pour le voyage de six heures qui allait les conduire à Pergamino, où deux groupes s’étaient réunis pour écouter le discours de frère Knorr. Ensuite, les voyageurs se rendirent à Salto, la dernière étape avant Buenos Aires. Les frères de cette ville avaient écrit pour demander que les voyageurs restent avec eux pour le dîner, après le discours de frère Knorr. C’est pourquoi, à leur arrivée, les visiteurs ont aperçu deux agneaux, empalés sur des barres de fer inclinées, en train de rôtir. Ces agneaux devaient ainsi cuire lentement pendant trois heures. Frère Knorr servit le repas spirituel pendant plus d’une heure ; après quoi les tables furent dressées. Les frères se sont réjouis de ce qu’il n’ait pas plu, car dans ce cas il aurait été impossible d’emprunter le chemin de terre. Un orage éclata juste après le départ des frères !

Frère Knorr et frère et sœur Eisenhower, avec leur chauffeur, frère Barrena, arrivèrent à Buenos Aires à 2 heures du matin. Durant tout ce voyage, ils avaient parcouru environ 2 500 kilomètres et suivi un programme très précis, visitant en tout dix-neuf groupes et parlant à 1 232 personnes, tout cela en six jours. Combien ils ont apprécié leur privilège de service et la manière dont les frères avaient suivi fidèlement les instructions ! Ils étaient aussi très reconnaissants de l’excellent service que frère Barrena leur avait rendu en les emmenant dans sa voiture.

Tandis que frère Knorr entrait en Argentine par l’ouest, frère Milton Henschel arrivait par le nord, venant du Paraguay. À Buenos Aires, il emmena avec lui frère Hughes, son compagnon de voyage, et ensemble ils prirent l’avion pour se rendre à plus de 1 000 kilomètres, à Neuquén, au sud du 38ème parallèle, dans la riche vallée de Rio Negro qui produit des fruits en abondance. Là, dans la ferme d’un des frères, 115 amis venus de quatre congrégations de la région se sont réunis. Pour ces frères pratiquement isolés, ce fut l’événement le plus important de leur vie.

À l’est de Neuquén se trouve la ville de Bahía Blanca, sur la côte atlantique ; le train local qui s’y rend s’arrête dans chaque ville en cours de route et met un jour pour arriver à destination. Dans beaucoup de ces villes, les frères attendaient le train pour saluer les voyageurs. Le lendemain matin, frère Henschel a parlé devant deux groupes de Bahía Blanca. Un des frères de cette ville, qui possédait une voiture, a offert ses services ; ils ont alors commencé un voyage en automobile de 1 245 kilomètres. Il se sont dirigés vers le nord le long de la côte atlantique, et l’étape suivante les a conduits à la célèbre station balnéaire de Mar del Plata. En raison de leur départ tardif de Bahía Blanca, les frères se demandaient si le groupe de Mar del Plata allait attendre leur arrivée. Eh bien ! ils étaient là et après dix heures du soir, ils furent récompensés en écoutant le discours tant attendu prononcé par un représentant spécial de l’organisation de Jéhovah.

Le lendemain à l’aube, nos frères se sont rendus à Balcarce, où vingt-deux frères s’étaient réunis dans une ferme près de la ville. L’étape suivante les conduisit à Tandil, où une petite congrégation avait été formée par un frère pionnier. Dans une petite maison en bordure de la ville, trente-trois personnes étaient venues entendre le discours. Tard dans la nuit, les voyageurs sont arrivés à Buenos Aires.

C’était maintenant au tour des congrégations au voisinage de la capitale fédérale d’être visitées : Eva Perón (maintenant La Plata ; de nombreuses villes qui avaient été rebaptisées sous le régime de Perón ont repris leur ancien nom après la révolution de 1955), Berisso, Ensenada et Bernal. Le 25 décembre, frère Knorr et frère Henschel étaient à Buenos Aires. Aucune réunion de congrégation n’avait été prévue ce jour-​là, mais dans la soirée tous les missionnaires diplômés de Galaad alors présents à Buenos Aires se sont réunis dans la maison des missionnaires pour un repas et un entretien.

À partir du lendemain, trois journées furent consacrées à visiter les groupes de Buenos Aires. Chacun d’eux bénéficia d’un programme complet de deux heures : tout d’abord, frère Knorr parlait pendant environ quarante minutes par l’intermédiaire d’un interprète ; quand il avait terminé, il présentait frère Henschel qui lisait un discours de quarante minutes en espagnol ; enfin, on présentait frère Hughes qui donnait un discours en espagnol sur l’organisation théocratique. Un programme très précis avait été établi et tout se passa comme sur des roulettes. Lorsque les frères arrivaient dans un appartement, dans une petite maison à l’extérieur de la ville, dans une cour, dans une cuisine ou dans une salle de séjour, tous les assistants étaient assis, les attendant impatiemment avec le sourire. Comme ils auraient aimé pouvoir applaudir ! Mais ils ne voulaient pas risquer d’attirer l’attention sur leur lieu de réunion. Un jour, neuf réunions de deux heures furent tenues, et le lendemain, un dimanche, onze groupes furent visités.

Durant sa visite en Argentine, frère Knorr s’est adressé au total à 43 groupes représentant une assistance de 2 053 personnes. Frère Henschel a parlé devant les mêmes groupes à Buenos Aires et devant 13 autres congrégations dans le sud et l’ouest du pays, soit une assistance de 452 personnes, ce qui portait le nombre total des assistants à 2 505 pour cette assemblée très particulière. Ce n’est donc pas sans raison que La Tour de Garde anglaise du 1er mai 1954 intitula son rapport sur le voyage de frère Knorr : “Une assemblée du monde nouveau dans toute l’Argentine.”

LES SERVITEURS DE CIRCONSCRIPTION CONTRIBUENT À L’EXPANSION

Le service de la circonscription continua de contribuer d’excellente façon aux progrès de l’activité dans les congrégations et dans les groupes isolés. Frère Del Pino nous parle de façon vivante des difficultés et des joies rencontrées dans ce service : “Notre travail auprès des frères ne consistait pas toujours à expliquer le sens de certaines prophéties bibliques et leur accomplissement ; parfois, il concernait de nombreux aspects de la vie quotidienne : l’ordre au sein des foyers, les enfants, la propreté des ‘abords’ de la maison. On expliquait aussi comment tenir les écritures de la congrégation ainsi que leur utilité, mais quand on revenait un an plus tard on s’apercevait que rien n’avait été fait. On devait alors tout recommencer. Il en était de même des instructions concernant le service du champ et les réunions ; l’essentiel était de ne pas se décourager et de se servir de ce qui était disponible, de ce que nous avions sous la main. Comme nous sommes joyeux aujourd’hui de constater que ces mêmes frères occupent des positions de serviteurs et assument avec habileté et reconnaissance de nombreuses responsabilités au sein de l’organisation de Dieu !

“Lorsque nous visitions de petits groupes isolés, des congrégations ne comprenant que quelques proclamateurs ou des endroits où l’œuvre était très connue, nous nous arrangions pour visiter d’autres villages proches. Pour cela, il fallait se lever tôt le matin, parfois à 3 heures, afin de prendre un petit autocar qui ne faisait le voyage aller qu’à cette heure matinale et ne revenait qu’au coucher du soleil. Pendant la saison froide, nous étions tout tremblants. En arrivant à destination, vers 5 heures du matin, nous sautions de l’autocar avant d’arriver dans le village, car à l’arrêt la police contrôlait les passagers et interrogeait les personnes qui n’étaient pas connues dans la région. Nous gardions présent à l’esprit le fait que l’œuvre était interdite. Dès que les coqs commençaient à chanter et que nous voyions les gens bouger ou les lumières s’allumer, nous commencions à visiter les maisons avec la bonne nouvelle matinale du Royaume. Nous visitions toujours la campagne avant midi pour arriver au centre du village, près du poste de police, au moment où les policiers étaient en train de manger. Nous nous arrêtions quelques instants pour manger les sandwichs que nous emportions, puis nous continuions jusqu’à l’heure du passage de l’autocar qui nous ramenait à la maison.

“Le récit de notre activité dans la province de Chaco vous apprendra aussi tout ce qu’impliquait notre activité consistant à faire des disciples. Ces années-​là, la chaleur intense, l’absence de moyens de transport, le manque d’eau fréquent et les chemins couverts de poussière rendaient nos visites pénibles et fatigantes. Souvent, nous avons dû utiliser des bicyclettes pour couvrir de longues distances, ce qui nous fatiguait beaucoup. Comme la plupart des frères étaient plus jeunes que nous et plus habitués à faire de la bicyclette, il nous était difficile de rouler à la même vitesse qu’eux sur ces routes et ces chemins tortueux. Bien des fois, nous sommes rentrés la nuit par des chemins étroits, encombrés d’épines et de racines. Il suffisait d’un écart hors du chemin étroit pour nous retrouver avec des vêtements déchirés et la peau écorchée. Arrivés à la maison, nous faisions l’inventaire de nos égratignures. Aujourd’hui, nous nous souvenons de cette époque et des bénédictions que Jéhovah accordait à ses serviteurs zélés. Dans la province de Chaco, le long de ces routes il y a maintenant des groupes et des congrégations de chrétiens qui louent Jéhovah.

“Une autre activité intéressante de notre service dans la province de Chaco consistait à donner des discours publics dans les camps de bûcherons, qu’il ne faut pas comparer aux exploitations forestières d’Amérique du Nord. Ces camps sont situés au cœur même de forêts très denses et sont constitués de huttes et de hangars où vivent les bûcherons. Certains dressent des tentes très précaires ou suspendent un hamac, ce qui leur sert de demeure. Nous visitions ces camps, afin d’inviter les bûcherons à écouter un discours biblique gratuit dont nous fixions le jour et l’heure. Évidemment, c’était toujours après le travail, à la tombée de la nuit. Cela leur laissait le temps de quitter leur travail, de faire un brin de toilette et de boire un peu de mates (yerba mate, la boisson nationale en Argentine). La marche depuis la maison des frères où nous logions jusqu’au lieu prévu était une autre aventure : nous prenions une lampe à pétrole pour la réunion nocturne et, parfois en file indienne, nous passions les fils de fer barbelés qui délimitaient les différentes parcelles. Il était bien rare que l’un de nous revienne indemne d’une telle aventure, nos chemises et nos corps indiquant que nous avions dû passer les fils de fer barbelés. Mais ce n’était pas le seul obstacle. À cette heure de la journée, les serpents sortent de leur repaire et rampent paresseusement le long des sentiers ; celui qui marcherait sur l’un d’eux commettrait une erreur fatale. Notre arrivée sur le lieu de réunion était particulière : pas de cérémonie, seulement quelques salutations ou poignées de main, des mains usées par le travail et les intempéries ; après quoi nous cherchions un arbre pour y accrocher notre lanterne. Ici, ni pupitre, ni estrade, ni ventilateur électrique. Chacun s’installait comme il le désirait : les uns accroupis, les autres assis sur une caisse ou encore adossés à un arbre. Une fois, j’ai commis l’erreur de me tenir au-dessous de la lampe à pétrole afin d’être mieux éclairé ; j’ai été envahi par des centaines d’insectes qui s’intéressaient non pas à moi mais à la lumière. Il était merveilleux de remarquer que pendant le discours les visages de ces hommes, tannés comme le cuir par le soleil et les intempéries et reflétant une fatigue inexprimable, pouvaient encore esquisser un sourire de joie en entendant parler de la promesse d’un nouvel ordre de choses. Une fois le discours terminé et après avoir salué chacun, nous rentrions à pied sous un ciel étoilé, joyeux d’avoir pu participer à l’accomplissement du commandement de Jésus : ‘Allez et faites des disciples.’

“La province de Misiones lançait aussi un véritable défi au serviteur de circonscription. Lorsque Dora, ma femme, et moi visitions cette région, Il y avait peu de routes et encore moins de moyens de transport. Nous voyagions souvent dans de petits autocars rapides qui desservaient ce territoire. Ils descendaient une colline pour escalader la suivante en pétaradant et redescendaient de nouveau la pente. Brusquement, nous étions surpris par une averse diluvienne, une véritable barrière d’eau qui tombait à torrents, empêchant toute visibilité et déportant le petit autocar d’un côté à l’autre de la route glissante. Seule l’expérience du conducteur empêchait de graves accidents. Soudain, le car s’arrêtait au bord d’un fossé et nous entendions immanquablement cet ordre : ‘Que tous les hommes descendent et poussent !’ On ne vous demandait pas si vous étiez vêtu pour la circonstance. Aussitôt, les passagers enlevaient leurs chaussures, retroussaient leurs jambes de pantalon et poussaient de toutes leurs forces, tandis que les femmes, les enfants et les bagages restaient à bord. Évidemment, le serviteur de circonscription poussait lui aussi. Arrivé à destination, il n’était pas très propre, mais dans cette région la boue rouge est très familière ; elle fait partie de la vie des habitants qui ne se formalisent pas des taches qu’elle laisse. Il était réconfortant de penser que nous étions de la même trempe, ou plutôt de la même boue.”

À l’extrême nord, la province de Misiones est couverte d’une forêt vierge inextricable ; mais la vie humaine y est aussi présente, et les gens qui vivent dans cette région doivent être touchés par le message du Royaume. Frère Del Pino nous relate sa visite dans cette région et dans la congrégation un 25 mai : “Ici, les frères vivent dans la campagne, et à quelque distance de là commence la forêt qui est en quelque sorte un no man’s land. À cause de la persécution politique ou pour d’autres raisons personnelles, des hommes ont fui le Paraguay et le Brésil, afin de se cacher dans cette région. Il leur a suffi de pénétrer dans la forêt, de couper quelques arbres pour faire une clairière et de les assembler, afin de se construire un abri primitif. Un Paraguayen était venu s’installer là avec sa femme et ses trois enfants ; grâce à l’aide des frères il était devenu un proclamateur du Royaume. Ma visite dans cette région avait un but spécial : prononcer le discours de baptême et ensuite baptiser ce nouveau proclamateur. La connaissance de la vérité relative aux desseins de Dieu n’était pas arrivée facilement jusqu’à ce frère. Dès la première visite des témoins, il avait pris des dispositions pour assister aux réunions de la congrégation. Pour cela, il lui fallait traverser la forêt très dense malgré des conditions climatiques très dures et affronter le danger que représentent les bêtes sauvages et les serpents.

“La circonscription du sud offrait d’autres aventures et un panorama différent. Comme dans le nord, les distances sont considérables et les voyages épuisants. Bien souvent, le voyage de plus de vingt-huit heures en chemin de fer de Buenos Aires à San Antonio del Oeste, le terminus, n’était qu’un commencement. Il fallait ensuite attendre le passage d’un petit autocar pour faire un long voyage à travers le désert aride en Patagonie. Cependant, le son du message du Royaume est entendu dans toute la Patagonie, et les ‘brebis’ écoutent la voix du Berger accompli. Dans la ville de Comodoro Rivadavia, où il n’y avait que cinq proclamateurs il y a quelques années, il y a maintenant deux solides congrégations de plus de 150 proclamateurs, qui ont construit une Salle du Royaume très belle et très spacieuse.”

En 1953, les serviteurs de circonscription d’Argentine ont parcouru au total 33 261 kilomètres. Une telle attention pleine d’amour et un tel sacrifice de la part des serviteurs de circonscription et de leurs femmes ont été vivement appréciés par les frères et ont beaucoup contribué à unir les efforts de tous et à favoriser l’expansion. Pour les frères qui se trouvent dans des congrégations très éloignées ou dans des groupes isolés, la visite du serviteur de circonscription tous les quatre mois est chaque fois une preuve que la Société s’intéresse à eux et au travail qu’ils accomplissent, et qu’elle tient au courant les proclamateurs sur la meilleure façon de prêcher efficacement la bonne nouvelle du Royaume.

LES CONGRÉGATIONS S’ORGANISENT

La province de Salta, à l’extrême nord-ouest, avait été visitée par frère Argyrós dans les années 1930 et par le groupe de Córdoba avec son autocar dans les années 1940. Frère Eisenhower visita Salta en tant que serviteur de circonscription en 1950. Sœur Louisa Anachurí fut la première personne de cette région à être baptisée en 1955. En 1957, plus de vingt personnes assistaient aux réunions.

À quelque 330 kilomètres au sud de Salta, au pied des collines verdoyantes couvertes d’une végétation luxuriante et entourées de plantations de cannes à sucre, se trouve Tucumán. Frère Argyrós ainsi que le groupe de Córdoba conduit par frère Menazzi avaient distribué des publications dans cette région. En 1947, sœur Lukenheimer et ses deux fils, Hatto et Ortwin, sont venus de La Plata, dans la province de Buenos Aires, à Tucumán. Une étude a été commencée dans la maison de Maria Ester Aldazabal et de sa mère, qui ont été les deux premières personnes indigènes à être baptisées. La congrégation de Tucumán commença à être vraiment organisée après l’arrivée de frère et sœur Reindl en 1954. À cette époque, il n’y avait que huit proclamateurs. Frère Reindl se souvient en particulier de deux d’entre eux ; il dit : “Un couple allemand, les Kaselowski, était venu habiter à Tucumán, chez un de ses fils marié qui n’était pas témoin. Ce couple avait eu un jeune garçon qui a maintenu son intégrité jusqu’à la mort sous le régime d’Hitler, et j’ai eu la joie de lire la lettre qu’il avait envoyée à ses parents avant d’être mis à mort ; dans cette lettre, il leur dit que lorsqu’ils la recevront il sera mort, mais qu’ils ne doivent pas s’affliger, car ‘maman et papa, nous serons de nouveau réunis’. Bien que ne parlant pas beaucoup l’espagnol, ce couple fidèle rendit témoignage et distribua beaucoup de publications pendant son séjour dans cette région.” La première assemblée de circonscription à Tucumán eut lieu en 1957 ; soixante-dix personnes, venues de toutes les provinces du nord-ouest, y assistèrent. Aujourd’hui, une seule des deux unités de Tucumán compte autant de proclamateurs.

Quittant la région verte de Tucumán, la route continue vers le sud à travers une région désertique où se trouve précisément Santiago del Estero. Là aussi, par leur prédication, frère Argyrós ainsi que frère Menazzi et son groupe avaient semé des graines de vérité. Mais en 1954, avec la nomination dans cette ville de frère Fernando Fanin et de sa femme comme pionniers spéciaux, une congrégation allait bientôt être vraiment organisée. Frère Fanin nous relate ce que sa femme et lui ont trouvé à leur arrivée ainsi que ses impressions : “Il y avait un petit groupe qui se réunissait avec un frère (Demetrio Cevilán) qui lui-​même avait fréquenté les frères de Rosario, dans la province de Santa Fe. Au total, nous étions cinq ou six à nous réunir. Nous rencontrions des gens très hospitaliers, mais nous devions aussi compter avec la chaleur de l’été extrêmement intense. Dès 7 heures du matin, ma femme et moi prêchions aux gens assis à l’entrée de leur maison, tandis que d’autres membres de leur famille dormaient encore dans la cour, leur matelas à même le sol. À 10 heures, nous rentrions chez nous pour préparer notre repas. Après une longue sieste, nous commencions notre activité de l’après-midi après 4 heures, la poursuivant jusqu’à 9 heures ou 10 heures du soir. Dans ce territoire, le grand problème n’était pas de placer des publications ni de trouver des personnes bien disposées désirant étudier, mais plutôt d’amener ces gens à renoncer à leurs traditions religieuses, mélangées à des rites et à des coutumes folkloriques, et à leurs pratiques immorales, ainsi qu’à progresser vers la maturité.”

Des proclamateurs et des pionniers zélés ont poursuivi leur activité de prédication dans des endroits éloignés et pratiquement inaccessibles de ce pays. Parmi eux, il y avait Rosendo Ojeda, qui entendit parler pour la première fois du message du Royaume en 1951, quand frère Eisenhower visita sa famille. Il nous parle de son activité de prédication dans les années 1950 : “Imaginez que vous m’accompagniez dans un voyage que j’ai dû entreprendre à maintes reprises. Nous sommes à General San Martín, dans la province de Chaco, appelé autrefois El Zapallar, et nous devons nous rendre à bicyclette au kilomètre 213, dans la province de Formosa, à une distance de soixante kilomètres. Préparez-​vous à parcourir un certain nombre de ces kilomètres à pied et n’oubliez pas que durant la plus grande partie du voyage nous ne rencontrerons aucun véhicule d’aucune sorte, pas même une voiture à cheval, car certains endroits sont inondés au point que le niveau de l’eau dépasse les poteaux bordant la route. Cela est dû aux pluies continuelles et à la crue du Río Colorado. En certains endroits, vous ne pouvez continuer à avancer qu’en marchant avec de l’eau jusqu’aux aisselles. Dans un tel cas, nous traverserons une première fois en portant nos bicyclettes au-dessus de la tête. Après les avoir déposées en un endroit sec, nous reviendrons prendre les cartons de publications et nos vêtements, étant donné que nous emportons ce qui nous est nécessaire pour une semaine. Il est vrai que dans de telles conditions, le corps se fatigue et que parfois vous ne pensez pas pouvoir continuer. Cependant, vous ne pouvez nier qu’intérieurement vous ressentez un bonheur étrange mais merveilleux et une joie stimulante. D’où viennent pareils sentiments ? Viennent-​ils de cette boue gluante qui colle à vos pieds, si bien que vous avez de la peine à marcher ? Viennent-​ils de la température brûlante montant jusqu’à 40 degrés ? Ou bien résultent-​ils de la scène majestueuse qui vous entoure : les oiseaux et les canards qui passent en bandes, les quebrachos et les caroubiers géants qui se dressent au-dessus de vous sur le bord de la route ? Il est vrai que tout cela nous incite à penser avec gratitude aux œuvres de Jéhovah, comme Paul le déclare dans Romains 1:20. Mais nous sommes par-dessus tout reconnaissants à notre Créateur de la force qu’il accorde à ses serviteurs pour les pousser à l’action.

“Jusque-​là, nous avons marché dans ces conditions pendant environ dix heures. Mais regardez ! À quelque distance de là, nous pouvons apercevoir les premières maisons de la ville. Le soleil est en train de descendre lentement à l’horizon, nous offrant un spectacle encore plus magnifique. Mais nous sommes un peu fatigués, n’est-​ce pas ? Ne vous laissez pas abattre, nous arrivons chez une personne bien disposée, Monsieur Alejandro Sozoñiuk. Qu’allons-​nous faire ? Nous reposer ? Pas encore ! Nous avons juste le temps de prendre un bain et de manger un morceau, car rappelez-​vous que nous avons une réunion à 11 heures du soir. Ce soir-​là, une personne nouvellement intéressée à la vérité s’est exclamée : ‘J’ai du mal à croire que quelqu’un puisse venir de General San Martín uniquement pour présider une réunion !’ Cette personne est devenue frère Carballo ; aujourd’hui, il comprend pourquoi un témoin de Jéhovah va n’importe où pour nourrir les ‘brebis’.

“J’ai fait ce voyage et bien d’autres une fois par mois pendant cinq ans. Mais la question suivante se pose : Était-​ce en vain ? Nous répondrons par un NON catégorique. Aujourd’hui, quinze ans après, il y a une congrégation prospère comptant vingt-six proclamateurs heureux, chantant les louanges de Jéhovah. Si vous voulez rendre visite à ces frères, vous ne serez plus obligé de marcher avec de l’eau jusqu’aux aisselles ; il y a maintenant de bonnes routes, et vous pouvez faire le trajet en voiture en une heure. Le serviteur de la congrégation est frère Sozoñiuk.”

“Il était émouvant, écrit un serviteur de circonscription, de voir les efforts des frères pour se rendre aux réunions. Ils traversaient à pied des îlots qui étaient le plus souvent inondés, l’eau leur montant jusqu’aux genoux ou même plus haut. Les cimes feuillues des grands arbres les privaient dans une large mesure de la lumière du jour et, la nuit, les plongeaient dans l’obscurité la plus complète. À leur arrivée au lieu de réunion, les frères enlevaient leurs vêtements mouillés pour revêtir des habits secs qu’ils avaient réunis en paquet et portés au-dessus de l’eau. Une fois la réunion terminée, ils revêtaient de nouveau leurs vêtements mouillés pour parcourir les kilomètres qui les séparaient de leur maison. Il était particulièrement encourageant de voir les personnes nouvellement intéressées à la vérité faire de même et accompagner les proclamateurs aux réunions. Par la suite, la congrégation a fait l’acquisition d’une barque, et un frère se mettait en route dès 1 heure de l’après-midi pour prendre les frères des différentes îles et les amener à la réunion qui avait lieu à 4 heures. Après celle-ci, les frères étaient reconduits à leur domicile ; le frère qui les reconduisait achevait son service de transport vers 23 ou 24 heures.”

C’est Alejandro Beckfy, un frère hongrois, qui le premier rendit témoignage dans ces îles ; plus tard, Carlos Ortner et la famille de José Schemmel se sont joints à lui. Le fils des Schemmel, Nicolás José, devint pionnier, puis serviteur de circonscription et de district. Après avoir suivi le cours de dix mois de Galaad, frère Schemmel et sa femme, autrefois Mary Seegelken, furent invités à travailler au bureau de la filiale de Buenos Aires.

Cette allusion aux îles du delta de la rivière Paraná nous rappelle deux circonstances où des secours, — des vivres, des vêtements, de l’argent, etc., — ont été envoyés à nos frères qui avaient été victimes des inondations dans cette zone et dans certaines régions des provinces de Chaco, de Formosa et de Corrientes. L’amour manifesté par les frères des congrégations de Buenos Aires, de Rosario et de Córdoba fut si grand que le local de la filiale prévu pour entreposer les publications fut complètement rempli par les denrées offertes et que les victimes de l’inondation informèrent la Société de ne plus rien envoyer, car leurs besoins étaient largement couverts. Un de ces deux cataclysmes eut lieu en avril et en mai 1959, et des tonnes de denrées et de vêtements furent envoyés aux frères. En un seul endroit, 1 260 kilos de vivres furent expédiés. Tous les frères qui bénéficièrent de cette aide firent ce commentaire : ‘Quelle unité ! Quel amour au sein de la société du monde nouveau !’

Frère Ojeda se souvient d’une autre circonstance où des secours furent envoyés ; il dit : “En 1965, la ville de General San Martín fit une terrible expérience. Elle fut frappée par une violente tornade qui fit s’écrouler de nombreuses maisons pourtant bien construites. Traversant la ville en diagonale, elle traça derrière elle un couloir de ruines d’environ 200 mètres de large. L’église catholique fut sérieusement endommagée, si bien que la statue de saint Antoine, le patron de la ville, se trouva sans abri. Cela incita beaucoup de catholiques à poser cette question : ‘Si c’est le temple de Dieu, pourquoi a-​t-​il permis une telle chose ?’ Notre Salle du Royaume fut également détruite, car elle était située sur le passage de la tornade. Mais comme nous savons que Jéhovah n’habite pas dans des temples faits de main d’homme, le vrai culte de Jéhovah se poursuivit comme avant la tornade. Peu après, nous avons reçu de l’aide de nos frères de toutes les régions et nous avons construit une nouvelle salle.”

DES MISSIONNAIRES À BUENOS AIRES

Après l’arrivée des six premiers missionnaires étrangers en 1948, les années suivantes ont vu venir d’autres missionnaires diplômés de Galaad dans le pays. Certains d’entre eux étaient des ministres à plein temps d’Argentine, tandis que d’autres venaient de pays étrangers. Au début, ils ont concentré leur activité à Buenos Aires, où la première maison de missionnaires fut ouverte ; plus tard, une autre fut établie à Rosario.

Mary Seegelken, qui à son retour de Galaad fut nommée dans l’une des congrégations de Buenos Aires, nous rapporte un fait remarquable qu’elle a vécu, disant : “J’ai repris une étude avec une jeune femme que Viola Eisenhower avait visitée. Étant donné que la famille de Sara Bujdud était opposée à la vérité, je me rendais à l’usine où elle travaillait, et nous allions ensemble sur la place pour faire notre étude. Ayant progressé dans la connaissance, elle a changé de travail afin d’avoir plus de temps pour étudier et pour prêcher. Bien qu’étant majeure, elle n’était pas libre de faire ce qu’elle voulait, — de nombreuses familles arabes ont effectivement des coutumes très strictes, — elle n’a donc pas dit à sa famille qu’elle avait changé d’emploi. Elle travaillait une demi-journée, et le reste du temps elle pouvait participer au service. Pendant de nombreux mois, j’ai dû apporter une serviette supplémentaire à notre lieu de rendez-vous et la rapporter le soir à la maison des missionnaires. Pour lui permettre d’assister aux réunions, j’achetais parfois des billets de cinéma et lorsque j’allais chercher Sara je les montrais à sa mère. Nous assistions à la réunion et ensuite nous nous rendions au cinéma. De cette façon, Sara a pu fortifier sa foi. Enfin, un jour, elle a quitté ses parents pour devenir pionnier spécial. Plus tard, elle m’a raconté qu’ils avaient pleuré comme si elle était morte, car pour eux c’était une chose très grave que d’abandonner la religion musulmane pour pratiquer le véritable christianisme. Sara est maintenant pionnier spécial depuis quatorze ans ; en 1957, sa compagne et elle ont eu le privilège de déployer leur activité à La Rioja où elles ont contribué à organiser une congrégation.”

En 1954, Sophie Soviak, de la seconde classe de Galaad, et Edith Morgan, de la quatrième, sont arrivées à Buenos Aires avec frère et sœur Eduardo Adamson et leur petit garçon Eduardito. Les Adamson venaient juste de quitter l’École de Galaad et rentraient en Argentine, leur pays natal. Sœur Soviak et sœur Morgan nous rapportent quelles furent leurs impressions à leur arrivée dans ce nouveau territoire : “Tandis que nous traversions la gare terminus, nous avions le sentiment d’être chez nous ; l’ambiance était froide et silencieuse, et les murs étaient couverts de portraits du président Perón et de sa femme Eva. Pendant plusieurs années, nous avions prêché en république Dominicaine sous la dictature de Trujillo ; nous nous rendions compte alors que nous venions de quitter un État policier pour un autre. Mais comme nous étions habituées à déployer notre activité malgré l’interdiction, nous pouvions redresser la tête et faire face à tout obstacle qui serait mis en travers de notre route.”

Ces deux missionnaires ont été désignées pour travailler avec une congrégation du centre de la ville et elles ont occupé un petit appartement dans le même quartier. Bientôt, chacune d’elles s’est vu confier un des petits groupes de service qui fonctionnaient comme autant de petites congrégations. Sœur Morgan se souvient avec tendresse de son activité avec le groupe qui lui avait été confié ; elle rapporte ceci : “Il y avait plusieurs sœurs espagnoles très âgées qui m’attendaient toujours au coin de la rue pour prêcher de maison en maison. L’une d’elles avait une vue très faible, mais elle s’arrangeait pour lire le numéro de la maison et l’inscrire si elle y faisait un placement. Une autre avait de mauvaises jambes et ne pouvait pas monter dans les étages ; mais avec l’aide des plus jeunes, nous avons pu prêcher dans tout le territoire et trouver les personnes bien disposées. Je me souviens d’un après-midi d’été particulièrement chaud. Quand est venue l’heure du rendez-vous de notre groupe, je me suis dit que personne ne viendrait. J’ai néanmoins été jusqu’au coin de la rue pour m’en assurer. Les trois petites sœurs âgées étaient là qui m’attendaient. Comme il était encourageant d’être avec elles et de voir leur zèle !”

Les sœurs nous disent qu’“il était très intéressant de travailler à Buenos Aires et de prêcher à des personnes de nationalités très différentes et à des gens instruits”. Un de nos problèmes consistait à obtenir des concierges la permission de pénétrer dans les grands bâtiments résidentiels. Parfois cela nous était refusé ; il nous fallait donc attendre que le concierge s’éloigne pour prêcher dans le bâtiment. Sœur Soviak rapporte que c’est ainsi, alors que le concierge était sorti, qu’elle a rencontré une femme qui a manifesté de l’intérêt. “Lorsque j’ai fait la nouvelle visite, dit-​elle, le concierge m’a vue entrer dans le bâtiment ; il m’a donc suivie dans l’ascenseur. La dame que je visitais a compris que si elle ne m’invitait pas à entrer j’allais être chassée de la maison ; elle m’a donc priée d’entrer, pour sa bénédiction. Plus tard, son mari, leurs deux filles et elle sont devenus des témoins voués.”

Il y avait de nombreux bâtiments sans ascenseur qui mettaient notre amour à l’épreuve. Combien de fois doit-​on revenir pour visiter une personne ayant accepté une publication, et plus particulièrement si elle habite dans les étages supérieurs ? Sœur Soviak se souvient d’un cas de ce genre ; elle dit : “J’ai oublié combien de fois je suis revenue après le placement d’un périodique. La dame m’avait avertie en ces termes : ‘Je voyage beaucoup ; il se peut que vous ne me trouviez pas chez moi.’ Cependant, un jour je l’ai trouvée chez elle alors qu’une valise à la main elle rentrait précisément de voyage. Je lui ai laissé un livre d’étude. Elle m’a dit qu’elle était catholique et que plusieurs de ses oncles étaient évêques. Après dix autres visites vaines, je l’ai rencontrée de nouveau. Non seulement elle avait lu le livre, mais elle n’arrêtait pas de me répéter toutes les choses merveilleuses qu’elle avait apprises. J’ai alors compris que je n’avais pas fait preuve de patience ni monté tous ces étages en vain. Elle a ajouté qu’elle n’allait plus voyager ; nous avons donc pris des dispositions pour une étude. Au moment prévu, j’ai monté les étages avec empressement ; mais elle n’était pas chez elle. J’ai essayé de l’appeler au téléphone, mais en vain. ‘Quelque chose a dû se produire, pensais-​je ; je vais de nouveau essayer de lui téléphoner un matin de bonne heure.’ Cette fois, une voix fatiguée m’a répondu ; elle avait dû s’occuper de sa mère qui était à l’hôpital et elle venait de rentrer chez elle pour faire sa toilette et se changer. Elle a ajouté qu’elle avait prié, afin que je ne perde pas patience et que je retourne la visiter. Après la mort de sa mère, nous avons eu ensemble d’excellentes études et, peu de temps après, Elena Rubio est devenue une proclamatrice vouée et zélée de Jéhovah, très prompte à faire de nouvelles visites, — une leçon qu’elle a apprise par expérience personnelle.”

LES FILMS DE LA SOCIÉTÉ STIMULENT L’INTÉRÊT

La projection du film de la Société intitulé “La Société du Monde Nouveau en action” et de deux autres films plus récents a été une autre activité remarquable qui a beaucoup contribué à l’extension de l’œuvre en Argentine. Frère Eisenhower et frère Adamson ont souvent fait remarquer que dans l’organisation de Jéhovah on apprend à faire beaucoup de choses. Ainsi, lorsque le film a été envoyé en Argentine en 1954, la filiale a acheté un projecteur, et frères Adamson et Eisenhower ont projeté le film à Buenos Aires tous les soirs de la semaine qui étaient libres. Plus tard, le film a été confié au serviteur de district qui l’a projeté à l’occasion des assemblées et dans les congrégations qu’il visitait lors de ses déplacements. Frère Del Pino nous relate un fait très intéressant qu’il a vécu durant son activité avec le film :

“J’avais pris le train à Roque Saenz Peña, dans la province de Chaco, pour me rendre dans une petite ville où il y avait plusieurs proclamateurs et quelques personnes bien disposées ; elle s’appelait Pampa del Infierno (Plaine de l’enfer), et ce qui s’est passé avant mon arrivée a vraiment donné à ce nom sa pleine signification. Le train venait à peine de démarrer qu’un orage terrible, accompagné de coups de tonnerre assourdissants, s’est abattu sur nous. Les perspectives n’étaient pas très encourageantes : c’était la première fois que je me rendais dans cette ville et il n’y avait pas de congrégation. Je m’étais souvent demandé auparavant ce que je ferais si je me trouvais dans de pareilles circonstances. Dieu me donna la réponse. Je me suis rendu au wagon-restaurant, et un Allemand s’est assis à ma table. Chose très compréhensible, nous avons commencé à bavarder et j’ai appris que cet homme était l’administrateur d’une usine où l’on prépare le célèbre tanin extrait des quebrachos. La petite ville où je me rendais dépendait pratiquement de cette usine. Quand j’ai expliqué à cet homme le but de ma visite et donné le nom de la personne qui était censée m’accueillir à la gare à 3 heures du matin, il m’a dit que cet homme n’y serait vraisemblablement pas, car il était employé à l’usine et faisait partie de l’équipe de nuit. Remarquant mon embarras, il m’a assuré que je n’avais aucun souci à me faire et qu’il mettrait à ma disposition la chambre des invités de l’établissement, celle que le gouverneur occupait lorsqu’il visitait cette région. Ainsi, malgré la tempête et bien que personne ne m’ait accueilli à mon arrivée, j’ai été confortablement installé dans une magnifique chambre, et un employé est venu me demander si je désirais boire quelque chose. Le lendemain, l’administrateur a informé le frère de mon arrivée et a offert le hall très spacieux de l’usine pour la projection du film. Il a également ordonné aux ouvriers chargés de s’occuper de la génératrice d’électricité de veiller à ce qu’il y ait une tension régulière pour que la projection soit meilleure. Une agence de publicité locale, qui disposait de haut-parleurs bien situés dans toute la ville, a annoncé la projection du film en disant qu’elle était gratuite. Une fois encore, les paroles suivantes de Jésus se sont réalisées : ‘Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu toutes choses sont possibles.’”

Frère Eldon Deane qui, un peu plus tard, a été serviteur de district, nous fait part de la joie avec laquelle il a projeté un des films de la Société à Almafuerte, dans la province de Misiones ; il dit : “Ce jour-​là, notre activité avec les frères nous avait fait marcher toute la journée dans les collines accidentées et dans les plantations de bananes, tout cela pour ne prêcher que dans huit maisons, car celles-ci étaient très loin les unes des autres et à chaque visite leurs occupants, des gens humbles, nous écoutaient pendant vingt ou trente minutes. Je me disais : ‘Qui viendra voir le film ce soir ? Sans doute quelques personnes seulement.’ Mais cette nuit-​là, des habitants de la campagne sont venus de toutes directions en empruntant des moyens de transport inimaginables. À la projection, il y a eu 160 assistants, alors que la congrégation locale ne comptait que quinze à vingt proclamateurs. Durant le film, ils faisaient tant de bruit que je pensais : ‘Eh bien ! quelle assistance turbulente !’ Mais je n’ai pas tardé à comprendre qu’un grand nombre des assistants n’avaient jamais vu de paquebots, de grands buildings ni d’immenses avions. Les films ont fait une excellente impression sur leur esprit en leur montrant comment et dans quelle mesure l’œuvre était effectuée.”

UNE ÉPOQUE TROUBLÉE

Dans le même temps, l’agitation politique a atteint son point culminant ; les conditions étaient très précaires et l’on parlait de révolution. Le gouvernement Perón tomba en septembre 1955. En tant que groupe, les serviteurs de Jéhovah firent preuve de sagesse pratique et de pondération, afin de ne pas s’exposer inutilement aux dangers des bombardements, des combats de rue, etc. En outre, obéissant aux lois, les chrétiens respectèrent le couvre-feu et les autres restrictions. Sœur Helen Nichols habitait dans la maison des missionnaires hors du quartier d’affaires ; elle rapporte que lorsque, au début de l’année, des troubles éclatèrent dans l’intention de renverser le régime, “nous ne pouvions sortir le soir pour faire des nouvelles visites ou conduire des études bibliques. De la terrasse, nous entendions les combats dans les faubourgs de la ville, à cinq ou dix pâtés de maisons plus loin. Durant la journée, nous allions prêcher et lorsque je voyais un policier dans la rue je m’approchais de lui pour lui expliquer pourquoi notre groupe de cinq ou six proclamateurs allait de maison en maison. De cette façon, il savait que nous n’avions rien à faire avec la révolution et nous n’étions pas importunés.

“Helen Wilson et moi avions tous nos papiers en règle pour nous rendre cette année-​là à l’assemblée de Dallas, aux États-Unis. C’est alors qu’a éclaté la première tentative de révolution ; avant la date de notre voyage, nous avons dû obtenir un nouveau certificat de bonne conduite auprès de la police fédérale afin de pouvoir prouver que nous n’avions aucun lien avec les rebelles. Nous avons donc assisté à l’assemblée et nous sommes revenues dans notre territoire avant que la révolution de septembre 1955 ne réussisse et ne provoque un changement de régime”.

Frère Ciruelos Martín, qui était devenu témoin de Jéhovah en 1941, fut vraisemblablement le seul à être blessé au cours de la révolution. Il était gardien d’un grand immeuble de Buenos Aires et, à deux reprises, il fut atteint par des éclats d’obus tombés dans la rue. Il fait ce rapport : “J’ai été emmené à l’hôpital allemand et je suis resté dans le coma pendant deux jours. Là, ma femme a dû mener un dur combat pour m’éviter une transfusion de sang, et cela malgré les autres membres de ma famille qui ont insisté et même offert de donner de leur sang.”

Après le changement de gouvernement, la grande question qui revenait à l’esprit des frères était la suivante : “Allons-​nous avoir des assemblées et pourrons-​nous nous réunir dans nos Salles du Royaume ?” Avec quelle impatience les frères attendaient ce moment-​là ! “En 1956, rappelle frère Eisenhower, nous avons décidé d’essayer de nouveau d’organiser nos assemblées de circonscription. La première a eu lieu à La Plata, dans la province de Buenos Aires ; le moment le plus remarquable de cette assemblée a été celui où tous les frères ont chanté ensemble un cantique du Royaume, le cantique intitulé ‘Nations réjouissez-​vous avec son peuple !’ Beaucoup de frères n’ont pu terminer le chant de ce cantique à cause de l’émotion qui les étreignait. L’assemblée se déroula très bien et fut un succès complet. Cela nous incita à organiser des assemblées dans d’autres régions du pays.

“À la fin de cette année-​là, frère Milton Henschel, du bureau du président, nous a rendu visite ainsi que frère Grant Miller, de l’Uruguay, qui est revenu en Argentine en tant que serviteur de zone. Une grande assemblée nationale a été organisée à La Sociedad Rural (la Société rurale), au centre de Buenos Aires. Ce fut une de nos plus grandes assemblées, avec plus de 5 000 assistants.” Elle commença très bien le premier jour ; les deuxième et troisième jours, tout se déroula de façon excellente également. Le dimanche matin, quand les frères Eisenhower et Adamson sont arrivés sur les lieux de l’assemblée, les grilles étaient fermées et la police gardait l’entrée. Le responsable était le prêtre catholique dont l’église était en face de la salle ; il avait incité la police à intervenir.

Frère Eisenhower poursuit son récit en ces termes : “La seule chose à faire consistait à nous rendre dans les bureaux de la police, afin de savoir si elle voulait bien ouvrir le local où se déroulait l’assemblée, afin que nous puissions la terminer. Or, à cette époque-​là, un fonctionnaire du bureau central de la police avait été contacté par les témoins et il s’était montré très aimable et plein de considération. Il avait entendu parler de l’activité des témoins de Jéhovah dans d’autres régions du pays. Il nous a demandé si nous possédions une pièce écrite indiquant que nous avions la permission de tenir cette assemblée. ‘Bien sûr, lui avons-​nous répondu, nous avons l’autorisation de la municipalité.’ Il s’adressa donc à ses supérieurs et leur dit qu’il fallait donner des ordres pour autoriser la poursuite de l’assemblée, mais que les policiers devaient rester à l’entrée et écouter le programme. Les discours prévus ce jour-​là parlaient du mariage ; les policiers sont donc restés un court instant et sont ensuite retournés au quartier général pour faire leur rapport ; après cela ils ont été renvoyés dans leurs postes locaux, et l’assemblée s’est terminée sans nouvelle intervention.”

EXTENSION AU BUREAU DE LA FILIALE

L’année 1956 fut aussi celle de l’extension au bureau de la filiale. En effet, nous nous sommes rendu compte de la nécessité d’imprimer nous-​mêmes Notre ministère du Royaume et les formules nécessaires au pays. La Société nous a donné l’autorisation d’acheter une petite presse verticale, et nous avons commencé d’imprimer, non sans difficultés. Frère Eisenhower nous rapporte que frère Adamson et lui travaillaient au bureau le jour et à l’imprimerie la nuit jusqu’à deux ou trois heures du matin, parce que le frère à qui la presse avait été confiée avait jugé impossible de fournir le travail demandé. Évidemment, les frères ont accompli ces travaux d’imprimerie avec beaucoup de joie, bien que frère Eisenhower comme frère Adamson n’aient été que des apprentis en matière d’imprimerie.

En mars 1958, frère Eldon Deane est arrivé en Argentine avec trois autres missionnaires diplômés de Galaad. Avant la remise des diplômes, frère Albert Schroeder, responsable de l’école, s’était approché de frère Deane et lui avait dit que frère Knorr désirait savoir s’il accepterait d’être envoyé à la filiale de Buenos Aires pour s’occuper de l’imprimerie. Frère Deane rapporte que cela l’a vivement surpris, car il s’était inscrit à l’école de Galaad en ayant en vue le service missionnaire et non une vie “sédentaire”. “Mais, reconnaît-​il maintenant, j’en suis venu à développer une certaine préférence pour la vie au Béthel.” Le récit de frère Deane sur son travail à l’imprimerie donne un aperçu très vivant et très humain de ce qu’il impliquait ; il dit : “L’imprimerie de la filiale d’Argentine fonctionnait depuis peu lorsque je suis arrivé. J’ai appris que l’un des frères qui y avait été désigné était parti un beau jour pour ne plus revenir. German Seegelken, le serviteur de district, avait été appelé au début de l’année, mais il était impatient de reprendre son service.

“C’est à ce moment critique que je suis arrivé, après avoir reçu une formation prolongée de deux semaines entières à l’imprimerie de Brooklyn. La presse était neuve ; nous veillions à ce qu’elle brille, mais nous-​mêmes n’étions guère brillants. Avec le temps, nous nous sommes rendu compte que nos difficultés venaient essentiellement de nous ; nous ne savions pas très bien comment nous servir de la presse. Lorsque nous imprimions Notre ministère du Royaume, les filets séparant les colonnes se soulevaient, déchirant le papier ou faisant des taches noires. Finalement, nous avons surmonté toutes ces difficultés grâce à une plus grande expérience, non sans avoir regretté parfois que les Américains ou les Russes n’aient pas utilisé ce tas de ferraille pour envoyer leurs fusées dans l’espace. Frère Seegelken avait dit qu’à plusieurs reprises il s’était couché les larmes aux yeux, après s’être battu toute la journée avec la presse. Sur le moment, cela m’avait semblé difficile à croire, mais pas pour longtemps. Plus d’une fois, je me suis couché les yeux humides à cause du même combat.

“Il y avait aussi la ‘grosse Bertha’. Il s’agissait de notre massicot, le premier que nous avons utilisé. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, sa date de fabrication devait remonter au début du siècle. Étant de fabrication française, il me faisait penser à un autre genre de massicot, la guillotine qui faisait tomber les têtes ! C’était une grosse machine qu’il fallait actionner à la main. Elle comportait un volant d’environ un mètre de diamètre. Quand nous voulions couper une rame de papier, il nous fallait faire tourner cette roue en l’actionnant de toutes nos forces pour que la lame traverse entièrement la pile de papier, ou presque ! Qu’il était difficile de couper le papier à l’équerre ! Après avoir actionné cet énorme volant pendant toute une journée, nous dormions profondément la nuit, à moins que nous n’ayons des cauchemars. En raison des changements de personnel et du manque d’expérience, le travail s’était accumulé à l’imprimerie. Avec le temps, nous avons commencé à coordonner nos travaux, en pensant que tôt ou tard nous rattraperions notre retard. Mais au Béthel, il est difficile de rester à jour dans nos travaux en raison des nouvelles tâches confiées, de l’accroissement du travail, etc. Nous avons ainsi une vie très active, et il est extrêmement difficile de s’ennuyer.

“En 1958, nous imprimions environ 5 000 exemplaires de Notre ministère du Royaume. À l’époque, cela semblait être une pile énorme, mais ce chiffre est beaucoup plus élevé aujourd’hui : au total, 25 000 exemplaires pour l’Argentine et 20 000 pour la Bolivie, le Chili, le Paraguay et l’Uruguay. En outre, l’Argentine imprime des formules, des lettres et d’autres articles pour les besoins des quatre pays mentionnés ci-dessus. La ‘grosse Bertha’ n’est plus au Béthel, — elle a été mise à la retraite. Un massicot moderne a pris sa place. La petite presse verticale est toujours là, fidèle au poste ; on l’utilise surtout pour imprimer des feuilles d’invitation. À côté d’elle, nous avons maintenant une grosse presse à cylindre automatique, fabriquée en Italie. Nous avons aussi une linotype.”

Frère Carlos Ott travaille depuis 1940 au service de l’expédition qui coopère étroitement avec l’imprimerie. Dans les premières années, son travail comprenait aussi l’expédition des publications dans divers endroits du pays ainsi que des abonnements en Argentine, en Uruguay, au Paraguay et au Chili. “À cette époque-​là, explique frère Ott, la filiale ne disposait d’aucun véhicule. Pendant de nombreuses années, on transportait plusieurs fois par jour les colis de publications et les périodiques jusqu’au bureau de poste au moyen d’un tricycle de notre fabrication. Même après que la filiale eut acheté un véhicule à moteur, j’ai continué d’utiliser mon tricycle jusqu’en 1960 ; par suite de l’opération d’une hernie, j’ai dû renoncer à m’en servir.” Frère Ott est maintenant âgé de plus de quatre-vingts ans, mais à différentes heures du jour et de la nuit vous le trouverez en train de lire sa Bible en allemand ou en espagnol. Pour ce qui est de l’intelligence de la Bible, il a gardé toute sa vivacité d’esprit ; il est à jour, comme l’indiquent ses commentaires réguliers lors de la discussion du texte au Béthel, pendant l’étude hebdomadaire de La Tour de Garde et au cours des réunions de la congrégation. Il donne sans aucun doute un merveilleux exemple aux membres plus jeunes de la famille du Béthel et à tous les frères en général. La Parole de Dieu est vraiment dans son cœur.

L’année 1957 a vu l’arrivée de six missionnaires nommés dans la ville de Mendoza, à l’ouest du pays ; il s’agissait de Gordon et Liliane Kammerud, de Ruth Holien, d’Ethel Tischhauser et de Mary Helmbrecht, qui tous avaient servi comme missionnaires à Porto Rico. Un mois plus tard, ils ont été rejoints par Kathryn Hyams, une autre missionnaire venant de l’École de Galaad.

Nous pouvons mentionner que la Société avait introduit une nouvelle méthode pour enseigner la langue parlée dans le pays où étaient nommés les missionnaires. Ceux de la vingt-neuvième classe de Galaad ont été les premiers à suivre ce cours. Il est vrai qu’à Galaad ils avaient passé plusieurs heures par semaine à étudier la langue, “mais, rapporte sœur Hyams, la nouvelle méthode était réellement accélérée. Nous devions étudier la langue onze heures par jour durant le premier mois de notre séjour dans notre territoire, puis cinq heures par jour le second mois, le reste du temps étant consacré à la prédication de porte en porte et aux autres activités ministérielles. Je me rappelle que lorsque frère Henschel nous a parlé de ce cours avant que nous quittions Galaad, il nous a dit qu’en étudiant la langue onze heures par jour, nous allions manger, dormir et rêver dans la langue du pays. Je pensais qu’il exagérait un peu pour faire de l’humour ; mais après avoir étudié pendant deux semaines l’espagnol avec mon instructeur, frère Kammerud, je rêvais effectivement en espagnol. L’ennui, c’est que l’espagnol de mes rêves était toujours supérieur à celui que j’utilisais dans la journée”.

Comme les missionnaires qui étaient venus en Argentine les années précédentes, ceux-ci furent nommés pour travailler en coopération avec les congrégations qui existaient déjà et pour les fortifier. De plus, ces missionnaires ont reçu un magnifique territoire. Voyez en quels termes l’un d’eux le décrit : “À Mendoza, les rues bordées d’arbres sont très fraîches, et la ville est très propre. Les ménagères mettent un point d’honneur à faire briller le trottoir carrelé devant leur maison. Au bord du trottoir il y a un caniveau où coule de l’eau, ce qui permet d’avoir des arbres dans une région où les pluies sont rares. Les gens puisent l’eau dans le caniveau et arrosent les rues. Mendoza offre l’animation d’une ville moderne et vivante, avec des habitants actifs et instruits. Lorsque de telles personnes se vouent à Jéhovah Dieu, elles manifestent le même zèle dans le ministère chrétien.”

Quand on considère l’immensité du pays, le nombre des missionnaires servant en Argentine était très faible ; aussi, de nombreux proclamateurs et des serviteurs de circonscription n’avaient jamais eu aucun contact avec eux. Frère Ernesto Ots, serviteur de circonscription, était de ce nombre. Il n’avait jamais visité de congrégation avec des missionnaires ; il ne savait donc pas exactement que faire. Étant donné que ceux-ci avaient reçu une formation spéciale à Galaad et qu’ils avaient, en plus, des années d’expérience dans le service, il en conclut qu’ils n’avaient pas besoin de la réunion que le serviteur de circonscription tenait avec les pionniers. Frère Kammerud lui certifia que les missionnaires n’étaient pas des “super”-pionniers et qu’il devait présider la réunion des pionniers avec eux selon la méthode habituelle suggérée par la Société.

LA LUTTE POUR UNE RECONNAISSANCE LÉGALE

Plus nous approchions de la fin de l’année 1957, plus l’impatience devenait grande. En effet, en décembre une autre assemblée nationale avait été prévue à Buenos Aires, et un contrat avait été signé pour disposer de la salle Les Ambassadeurs. De nombreux délégués étaient arrivés sur les lieux de l’assemblée très tôt le premier jour. Imaginez leur déception quand à midi ils ont constaté que la police interdisait l’entrée de la salle. Beaucoup de frères avaient parcouru de très longues distances et dépensé de grosses sommes d’argent ; mais cette expérience n’a fait que les inciter à déployer une activité plus grande encore. Ils ont compris que même lorsque les conditions étaient favorables à l’œuvre, ils ne devaient jamais se montrer trop confiants ni considérer toutes choses comme acquises.

À cette occasion, quatre de nos frères ont été arrêtés par la police ; on leur a infligé une amende et ils ont été condamnés à un an de prison avec sursis. Mais pourquoi ? Ils ont été accusés d’avoir organisé une réunion illégale sous prétexte qu’ils n’avaient pas obtenu l’autorisation de la police. Mais cela était faux. Leur demande d’autorisation pour tenir notre assemblée avait été remplie le 20 novembre 1957. Étant donné que l’interdiction de l’assemblée et la détention des frères étaient une violation manifeste de la constitution argentine prévoyant la liberté de religion et de réunion, les frères ont fait appel. Le 14 mars 1958, la décision du juge fut une véritable source de joie. Les frères furent libérés et disculpés, et huit articles du décret sur les réunions publiques furent jugés illégaux. C’était la première victoire du peuple de Jéhovah devant les tribunaux argentins, et elle fut l’objet d’une grande publicité dans de nombreux grands quotidiens.

En 1958, il y eut un changement de gouvernement. Nous avons donc pensé pouvoir obtenir une plus grande liberté. Avec l’autorisation de frère Knorr, nous avons décidé de concentrer tous nos efforts pour obtenir la reconnaissance légale dont nous avions besoin. On prépara une lettre spéciale qui présentait un résumé de l’activité des témoins de Jéhovah et qui parlait de l’information du ministère des cultes et de la façon dont notre statut légal avait été annulé en 1950 par un décret portant le numéro 351. Un exemplaire de cette lettre de sept pages fut envoyé à tous les parlementaires, les directeurs de journaux, les députés et les juges d’Argentine. De ce fait, le bureau de la filiale reçut d’intéressantes réponses, et certains représentants du gouvernement ont exprimé le désir d’offrir leur aide. Mais dans la coulisse, l’Église catholique tirait toujours les ficelles.

L’année suivante, il a été décidé de faire appel au gouvernement en lui faisant parvenir une pétition pour réclamer la liberté religieuse. Les frères du Chili, de Bolivie, du Paraguay et de l’Uruguay nous ont aidés dans cette action et, au total, 322 636 signatures ont été obtenues. Quand toutes les pétitions sont parvenues à la filiale, elles ont été rassemblées par paquets, et les frères Adamson, Eisenhower et Guillermo Fernandez les ont mises dans le camion que possédait la filiale et les ont fait parvenir au gouvernement. Frère Eisenhower rapporte : “À cette époque, nous avons demandé une entrevue avec le président Arturo Frondizi. Elle nous a été refusée, et les pétitions n’ont jamais reçu de réponse officielle. On a continué de nous refuser la reconnaissance légale en tant qu’organisation religieuse.”

Le pas suivant a consisté à demander aux frères de tous les pays du monde d’écrire au gouvernement argentin pour déplorer l’absence de liberté religieuse et pour lui demander qu’elle soit accordée aux témoins de Jéhovah. La réaction des frères a été merveilleuse. Ceux d’Argentine ont envoyé plus de 2 500 lettres aux ministres du gouvernement et aux députés, et un fonctionnaire a déclaré que le gouvernement avait reçu plus de 7 000 lettres de toutes les parties de la terre.

Frère Eisenhower nous parle des visites qu’il fit à plusieurs reprises au secrétaire du ministère des Affaires étrangères et des Cultes ; il dit : “Nous lui avons demandé d’examiner notre cas étant donné que la liberté religieuse était garantie par la constitution de l’Argentine. Lors d’une de ces visites, il nous emmena dans une pièce où plusieurs étagères étaient remplies de milliers de lettres qui avaient afflué de toutes les parties du monde pour demander que la liberté religieuse fût accordée aux témoins de Jéhovah d’Argentine. Ce fonctionnaire nous fit remarquer qu’‘il était impossible d’ouvrir et de lire toutes les lettres, mais qu’il était stupéfait de voir qu’on avait pu écrire d’aussi loin que les îles Fidji à propos de la liberté des cultes en Argentine’. Bien que l’attitude du gouvernement fût toujours négative, — sa réponse parue dans le décret 416 en 1959 confirmait le décret 351 de 1950, — un excellent témoignage avait été rendu aux hommes détenant le pouvoir en Argentine.”

LES MISSIONNAIRES SE DÉPLACENT DANS DES CHAMPS PLUS ÉLOIGNÉS

L’année 1958 fut également remarquable en raison de deux autres faits importants qui contribuèrent de façon différente à l’expansion de l’œuvre du Royaume en Argentine. Il y eut l’assemblée internationale de New York à laquelle quatre-vingt-quatorze frères et sœurs de ce pays eurent le privilège d’assister ; ils rapportèrent avec eux de nombreuses choses spirituelles et rafraîchissantes qu’ils partagèrent avec ceux qui n’avaient pu s’y rendre. En outre, quelques-uns de nos missionnaires, qui servaient jusque-​là dans l’agglomération de Buenos Aires, ont été nommés dans des villes plus éloignées, à l’intérieur du pays. Là, ils allaient contribuer à fortifier les congrégations et aider les nouveaux proclamateurs à progresser dans le ministère.

Sophie Soviak nous fait part en ces termes de ses premières impressions dans son nouveau territoire à Villa María, dans la province de Córdoba : “Si dans les quartiers d’affaires de Buenos Aires beaucoup de gens ne connaissent même pas leurs voisins, ici chacun semblait être très au courant des affaires des autres. Les habitants se montraient méfiants à notre égard et surveillaient tous nos mouvements. Lorsqu’ils nous voyaient arriver, ils rentraient chez eux et n’ouvraient pas leur porte. Il nous a fallu des mois pour surmonter les préjugés, afin que les gens daignent au moins nous écouter.” Sœur Morgan ajoute : “Entre les proclamateurs locaux et les missionnaires, nous avons eu vite fait de parcourir tout le territoire. Comme il n’y avait pas de service de transport, Sophie et moi avons acheté une motocyclette. De cette façon, nous avons pu visiter notre territoire éloigné et faire nos nouvelles visites. Nous partions de bonne heure dans le territoire et nous attachions notre motocyclette à un arbre au moyen d’un antivol. Nous revenions à la maison à midi. Il y avait du vent pratiquement chaque jour et parfois, vers midi, il y avait tant de poussière dans l’air qu’il nous était difficile d’utiliser la Bible et de présenter des publications aux portes. Les gens étaient tout à fait indifférents au message. Un grand nombre d’entre eux avaient été à la fois des péronistes et des catholiques convaincus. Mais après que l’Église eut exercé son influence pour chasser Perón, la plupart des gens manifestèrent moins d’amour pour elle. Beaucoup se contentaient d’aller à l’église pendant la semaine sainte ou de suivre la procession en l’honneur de la vierge. Parfois, les enfants étaient envoyés devant nous pour avertir les femmes de notre arrivée. C’est pourquoi nous passions quelquefois dans une autre rue, préférant revenir dans la première quelques jours plus tard. Malgré ces conditions, quelques graines ont été semées et plusieurs personnes ont pris position pour la vérité.”

Sœurs Wilson et Hyams, d’autres missionnaires nommées à Salta, sont arrivées dans leur territoire après un voyage en train de quarante heures. Elles ont commencé leur activité dans le centre du quartier résidentiel et ont encouragé les proclamateurs à y prêcher aussi. “Évidemment, nous dit une des sœurs, nous avons rencontré des personnes très attachées aux traditions. Les traditions religieuses et la position sociale sont inséparablement liées à Salta. Les vieilles familles qui peuvent faire remonter leur arbre généalogique jusqu’à l’époque de la conquête espagnole sont très fières d’utiliser plusieurs noms pour bien vous montrer leur ascendance, tout en se glorifiant de compter parmi leurs membres au moins un prêtre ou une religieuse.

“Alors que nous prêchions dans le quartier de la haute société, nous habitions une chambre dans la cour d’un vieux bâtiment commercial dont une sœur était la gardienne. Notre pièce avait un toit de chaume et des murs de briques revêtus de plâtre ; le plancher était également en briques. Je crois qu’elle devait dater de l’époque coloniale. Nous préparions nos repas sur un réchaud à pétrole ayant un seul brûleur et nous faisions notre toilette dans une cuvette en émail. Dans toutes nos activités, nous étions généralement suivies silencieusement par deux paires d’yeux. Les deux enfants de sœur Ahmed avaient une curiosité illimitée pour tout ce que faisaient les deux missionnaires, et cela à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Finalement, nous avons trouvé un logement confortable.”

Helen Wilson se souvient avec émotion de leur activité dans des villes non attribuées, éloignées de Salta ; elle nous dit : “Nous avons souvent quitté notre logement avant l’aube pour prendre un train qui nous conduisait à une petite ville où nous devions prêcher ; parfois, nous partions pour toute la journée en emportant notre repas. D’autres fois, nous prenions un car pour aller dans un petit village voisin et, lorsque nous l’avions parcouru entièrement, nous revenions à pied en direction de la ville, tout en rendant témoignage aux familles isolées le long de la route. Les proclamateurs locaux n’avaient jamais fait de troc. Comme ils ont ri la première fois qu’ils ont vu les missionnaires revenir avec des œufs frais au fond de leurs serviettes ou avec un sac à provisions rempli de courgettes et d’autres légumes ! Mais ils ont bien vite appris à faire de même.”

D’autres traditions règnent parmi la classe la plus pauvre. Salta est le berceau du misachico, une procession des pauvres qui descendent des collines avec une statue de la vierge ; ils la placent sur une espèce de civière pleine de fleurs que deux ou quatre personnes portent sur leurs épaules. Les participants à la procession frappent sur une sorte de tambourin fait de peau crue ou jouent du violon, de la quena (une flûte de bambou) ou d’un autre instrument très proche du cor des Alpes, tandis que les autres paysans chantent. Pendant que le petit groupe se déplace lentement, des enfants et d’autres gens font une offrande de quelques pièces de monnaie à la “vierge”. Plus tard, les participants à la procession “consommaient” souvent ces offrandes en les échangeant contre du vin.

D’autres processions beaucoup plus raffinées sont organisées sous les auspices des églises locales. Chacune d’elles a son saint patron au jour anniversaire duquel on organise des services spéciaux sous la forme d’une novena (neuvaine). Le dernier jour, on sort de l’église la statue du saint patron et on la promène devant une longue procession d’adorateurs ; après quoi on la ramène sur son autel ou dans la niche qui lui est réservée à l’église. À l’occasion de ces processions, les gens chantent un cantique très connu à la gloire de la “vierge” ; il comprend, entre autres, ces paroles : “(...) Les cieux, la terre et Jéhovah lui-​même (...) t’adorent (...).” Lorsque les proclamateurs et les missionnaires prêchent dans les provinces du nord, où l’utilisation du nom Jéhovah paraît étrange et nouvelle à bon nombre de catholiques, ils attirent souvent leur attention sur le fait que le nom du vrai Dieu est cité dans ce cantique.

Depuis leur arrivée à Salta en septembre 1958 jusqu’à leur nomination à Tucumán, trois ans plus tard, les missionnaires se sont réjouis de voir la congrégation grandir et passer de vingt-six à soixante et onze proclamateurs. La ville de Salta compte maintenant deux congrégations ayant chacune sa Salle du Royaume construite par les frères locaux.

Leur nomination à Tucumán, la cinquième ville d’Argentine avec une population de plus de 300 000 habitants, a été pour eux un très grand changement. C’est la région de la canne à sucre et de l’industrie sucrière, et près de la ville il y a de nombreuses sucreries. Elle est aussi le siège d’une des importantes universités nationales. Le climat est chaud et humide. Dans ce territoire, on rencontre des professeurs d’université et des étudiants très instruits, des chefs d’entreprise et des hommes d’affaires, aussi bien que de pauvres ouvriers qui travaillent dans les plantations de cannes à sucre ou dans les sucreries. Tucumán est aussi connu comme le “jardin de la république”.

Sœur Wilson nous parle de son activité missionnaire dans ce territoire : “Bien que Tucumán soit une grande ville, ses habitants en général ne sont pas trop pressés pour écouter le message. Il est facile de commencer des études, mais nous rencontrons des problèmes. En effet, à cause de l’absence générale de règles et d’ordre dans leur foyer et dans leur vie personnelle, ces gens ont des difficultés à accepter des responsabilités.” Comme dans pratiquement tout le nord du pays, nombreux sont ceux qui se livrent à des pratiques spirites tout en se disant catholiques. Ils croient que l’esprit d’un mort peut leur procurer des faveurs spéciales, quelle qu’ait été la conduite de la personne avant son décès. La divination et toutes les pratiques qui s’y rapportent sont florissantes, car riches et pauvres, gens instruits et illettrés, cherchent par ce moyen à résoudre leurs problèmes financiers ou familiaux, à assurer le succès de leurs liaisons amoureuses, ou encore à passer avec succès un examen scolaire. Le jeu est pratiqué sous toutes ses formes : la loterie, les courses de chevaux, les combats de coqs, la roulette, la tombola. Tout cela est étroitement lié au spiritisme à cause des croyances superstitieuses que les gens attachent à certains chiffres “porte-bonheur” ou à certaines “prémonitions”. Les personnes célibataires de sexes différents vivant ensemble sans être mariées, les hommes mariés ayant une ou plusieurs concubines, les homosexuels sont autant de choses courantes qui démontrent l’absence totale d’éducation biblique.

En conséquence, placer des publications, commencer des études bibliques et aider les personnes bien disposées à se séparer de la fausse religion ne constituent que le commencement du service d’un missionnaire. Ces gens doivent encore renoncer à de nombreuses pratiques non chrétiennes si fréquentes dans le présent système de choses. Toutefois, des efforts zélés dans le ministère et dans l’enseignement des principes bibliques ont produit un bon accroissement. À présent, Tucumán compte deux congrégations qui groupent au total plus de 150 proclamateurs.

L’activité des missionnaires a réellement contribué dans une large mesure à l’extension de l’activité du Royaume en Argentine. C’est ce qu’affirme un serviteur de district en ces termes : “La connaissance biblique acquise grâce à des années d’étude, la formation ministérielle spéciale reçue à Galaad et les années de coopération étroite avec l’organisation visible de Jéhovah donnent au missionnaire une position exceptionnelle pour aider les proclamateurs locaux à améliorer la qualité de leur travail, tout en les aidant à mieux comprendre l’organisation de Jéhovah et à voir la nécessité de lui rester absolument fidèles.”

Selon un serviteur de circonscription, le programme suivi dans une maison de missionnaires et dans leur activité sert de modèle aux proclamateurs et plus particulièrement aux pionniers, car il les aide à mieux s’organiser dans leur foyer et à participer plus pleinement au ministère du Royaume. Il ajouta que les missionnaires, qui ont quitté leur maison et leurs parents pour accepter de servir dans un pays étranger où la langue et les coutumes sont différentes et qui restent fidèlement attachés à leur privilège au point de faire de ce pays leur demeure, sont un excellent exemple pour ceux qui envisagent de devenir pionniers ou pionniers spéciaux ou encore d’aller à l’École de Galaad avec l’intention de servir comme missionnaires.

PRÉPARATIFS POUR UNE ACTIVITÉ PLUS GRANDE

Comme nous l’avons déjà vu, les visites de frère Knorr et de frère Henschel ont favorisé et stimulé l’extension de l’œuvre dans les territoires dépendant de la filiale d’Argentine. En décembre 1959, ces deux frères ont de nouveau visité l’Argentine, et deux assemblées ont été organisées : l’une à Córdoba, l’autre à Buenos Aires. Cette visite contribua à mieux organiser l’œuvre dans le pays et donna aussi le départ du programme de construction concernant la filiale de Buenos Aires. Frère Knorr avait préparé un ensemble de plans temporaires pour la construction de nouveaux bureaux pour la filiale ; ces plans furent ensuite adaptés aux réglementations municipales concernant la construction. Lorsqu’ils ont été finalement acceptés par la municipalité de Buenos Aires et par frère Knorr, les travaux ont commencé. C’était en octobre 1961. En octobre de l’année suivante, le bâtiment était prêt à être habité.

Quand les travaux de construction pour la nouvelle filiale ont commencé, il a fallu transporter tout le matériel dans la partie du bâtiment de 1940 réservée à l’entrepôt des publications et au bureau de l’imprimerie, car le bâtiment situé 5646 rue Honduras devait être démoli. Frère Eisenhower nous parle de cette disposition : “Les bureaux furent installés dans un endroit de l’entrepôt, tandis qu’une autre partie fut divisée par des cloisons pour faire des chambres. Quant à la presse, elle fonctionnait dans un autre coin du local. Pour le petit déjeuner, il n’y avait pas besoin de sonnette pour appeler la famille ; nous étions guidés par l’odeur du repas qui était préparé dans le fond du même local. Nous l’avions surnommé ‘Villa Cartón’ (Villa Carton). Ce fut vraiment une période inoubliable ! À cette époque-​là, nous n’avions qu’un seul problème : il fallait écouter toutes sortes de ronflements, ce qui nous empêchait parfois de dormir.

“Combien nous avons été heureux lorsque le nouveau bâtiment a été achevé ! Nous avions désormais beaucoup plus d’espace pour le bureau, pour le service de l’expédition ainsi que pour le logement de la famille. En outre, quand le bâtiment a été terminé, l’École du ministère du Royaume y fut transférée. C’était une véritable bénédiction que de jouir de la compagnie des surveillants des congrégations qui, de leur côté, pouvaient nous aider à effectuer les travaux de la filiale.”

L’École du ministère du Royaume pour l’Argentine fut inaugurée en 1961 et, durant la première année, elle fonctionna dans une des Salles du Royaume du centre de Buenos Aires. Les serviteurs qui suivaient le cours d’un mois furent logés chez de nombreux frères qui manifestaient ainsi leur amour. Les étudiants déployaient leur activité avec différentes congrégations de Buenos Aires, ce qui permettait à un grand nombre de frères de partager leur compagnie. La première classe était composée de serviteurs de circonscription et de district ainsi que de serviteurs de congrégation assumant ce service depuis de nombreuses années. Depuis les premières classes, quelques nouveaux serviteurs de circonscription ont été nommés. Frère Rogelio Del Pino, alors serviteur de district, ainsi que des frères de douze autres pays d’Amérique du Sud, avaient été appelés à Galaad, à South Lansing (États-Unis), pour y recevoir une formation spéciale d’un mois qui allait leur permettre d’assumer la fonction d’instructeurs à l’École du ministère du Royaume. Frère Del Pino a également rempli cette fonction en Uruguay. Il est certain que cette école a joué un très grand rôle dans la formation et la qualification des serviteurs au sein de l’organisation de Jéhovah.

Une dizaine d’années d’activité sous l’interdiction s’achevaient alors ; les années 1960 laissaient déjà entrevoir une plus grande extension de l’œuvre du Royaume en Argentine. Les frères se demandaient dans quelle mesure l’interdiction avait affecté l’activité. Le rapport de l’année de service 1960 répondit à leur question : il indiquait 205 congrégations avec un maximum de 7 204 proclamateurs, y compris 227 pionniers ordinaires et 155 pionniers spéciaux, ayant passé au total 1 327 294 heures dans la prédication. Ils avaient placé 128 126 livres et brochures ainsi que 1 116 751 périodiques ; ils avaient obtenu 14 766 abonnements. Nos frères avaient fait 588 443 nouvelles visites et conduit en moyenne 6 600 études bibliques. Cette année-​là, l’assistance à la Commémoration a été de 13 937 personnes. En outre, 5 443 discours publics ont été donnés. En réalité, l’interdiction n’avait pas empêché l’extension de l’activité de prédication dans ce pays.

À partir de 1960, outre l’introduction de l’École du ministère du Royaume, une autre formation spéciale ainsi qu’une aide supplémentaire furent accordées à l’Argentine. Cette année-​là, frère Eisenhower fut nommé serviteur de zone pour la partie méridionale de l’Amérique du Sud, c’est-à-dire pour le Chili, le Paraguay, l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil. En 1963, il visita ces filiales et eut le privilège de suivre le cours de dix mois de Galaad. Cette responsabilité supplémentaire confiée à frère Eisenhower signifiait d’un autre côté que davantage de responsabilités étaient confiées aux frères locaux. Frère Eisenhower rapporte que “cela s’est révélé très profitable, car nous disposons maintenant dans le pays de frères très expérimentés, qualifiés pour superviser l’activité.

“En 1961, Edgar Iribar, un de nos frères argentins, fut invité à recevoir la formation spéciale donnée à Galaad. À son retour, il travailla pendant un certain temps à la filiale comme traducteur. Puis, en 1962, deux autres frères argentins, Ortwin Lunkenheimer et Nicolás Schemmel, bénéficièrent à leur tour du cours de dix mois de Galaad”.

Les assemblées de district ont continué de jouer un grand rôle pour rendre plus capables les prédicateurs de l’organisation dans ce pays. Mais des surprises plus nombreuses et plus grandes étaient encore en réserve. En 1966, frère Knorr fit une visite éclair dans les filiales d’Amérique du Sud, y compris celle d’Argentine, pour organiser sur ce continent une série d’assemblées internationales qui allaient commencer à la fin de 1966 et se terminer les premières semaines de 1967. Durant la courte visite de frère Knorr, frère Eisenhower lui dit qu’il espérait ne jamais devoir procéder à une nouvelle construction. Frère Knorr lui fit cette réponse : “Mais tu n’as construit qu’un bâtiment ; nous, nous construisons tout le temps !” Frère Eisenhower poursuit son récit en ces termes : “À la fin de sa visite, frère Knorr avait décidé que nous devions ajouter un étage supplémentaire à notre bâtiment, afin de disposer de six autres chambres, ce qui ferait un total de dix-huit. Les travaux commencèrent presque aussitôt et à la fin de 1966 le troisième étage était terminé. Nous disposions du bâtiment tel qu’il est aujourd’hui, avec en plus une pièce sur la terrasse pour l’École du ministère du Royaume. Cela s’est révélé très utile, non seulement pour les frères venant assister à l’école, mais aussi en raison de l’accroissement de la famille du Béthel qui compte maintenant vingt-deux membres.”

Il est compréhensible que frère Muñiz ait ressenti une profonde satisfaction en voyant les progrès évidents et réguliers de l’œuvre. Il vécut assez longtemps pour voir non seulement cette construction, mais aussi le nombre des proclamateurs passer le cap des 13 000. Pour exprimer sa joie et la partager avec les autres membres de la famille du Béthel, il avait l’habitude d’inviter celle-ci à un souper spécial chaque fois que le nombre de proclamateurs atteignait un nouveau millier. C’est lui qui établissait et préparait le menu et il prévoyait toujours des mets délicats et coûteux. C’étaient de véritables banquets que frère Muñiz payait entièrement avec son argent personnel. À chacun de ces soupers spéciaux, il y avait à l’écart une petite table sur laquelle se trouvaient des fruits et d’autres denrées qui n’étaient pas consommés durant le repas ; frère Muñiz expliquait que cela représentait la prospérité de l’organisation de Jéhovah.

ENFIN UNE ASSEMBLÉE INTERNATIONALE !

Les grandes villes des États-Unis et d’Europe ont souvent été le théâtre d’assemblées internationales du peuple portant le nom de Jéhovah. Un grand nombre de nos frères argentins ont surmonté les obstacles que sont les grandes distances et le coût élevé des voyages pour être parmi les foules heureuses qui ont participé à ces fiestas spirituelles et inoubliables. Mais ces frères, et des milliers d’autres qui n’ont pu être présents à ces congrès, se sont souvent posé ces questions : “Pourquoi la Société ne prévoit-​elle pas des assemblées internationales en Amérique du Sud ? Quand nos frères des autres pays nous visiteront-​ils ?”

Les frères d’Argentine ont laissé éclater leur joie et leur émotion lorsqu’ils ont appris que leur désir le plus cher allait enfin être réalisé. Buenos Aires allait être le maillon le plus méridional d’une chaîne d’assemblées prévues en Amérique du Sud à la fin de 1966 et au début de 1967. Plus de 400 frères, venus d’autres pays d’Amérique et d’Europe, constituaient la délégation internationale ; certains sont passés par Santiago, au Chili ; d’autres sont venus directement de La Paz, en Bolivie, tandis que quelques-uns se sont arrêtés à Asunción, au Paraguay, avant de retrouver leurs compagnons à Buenos Aires. Ces jours de fraternité chrétienne, du 11 au 15 janvier 1967, sont inoubliables.

Nous n’oublions pas non plus le privilège particulier qui fut le nôtre en recevant six de nos “frères aînés” du bureau central de la Société, à Brooklyn : frères Knorr, Franz, Suiter, Henschel, Larson et Couch, — des noms que la grande majorité des frères argentins ne connaissaient que par l’Annuaire.

Sœur Lira Berrueta, missionnaire en Argentine depuis 1950, montra de façon appropriée ce que signifiait la présence de ces frères parmi nous. Sœur Berrueta est née en Amérique du Sud et, lors du programme spécial en anglais prévu pour les délégués étrangers venus à l’assemblée de Buenos Aires, elle fit ce commentaire aux assistants : “Lors de la réunion des missionnaires, à l’occasion de l’assemblée de New York en 1958, frère Franz fit quelques remarques à propos du discours basé sur Ésaïe 8:18, en disant : ‘Vous pouvez maintenant retourner dans votre territoire et dire aux frères que vous avez vu le reste. À l’exemple des fils d’Ésaïe à leur époque, les membres du reste sont des signes et des présages.’ Ce jour-​là, j’avais pensé : ‘Comme j’aimerais que tous nos frères d’Amérique du Sud puissent voir le reste et éprouver les mêmes sentiments que nous-​mêmes à cette occasion historique !’

“Maintenant, grâce à cette merveilleuse assemblée, ce souhait est devenu une réalité. Lorsque j’encourageais les proclamateurs à assister à cette assemblée, je faisais allusion aux paroles de frère Franz et leur disais : ‘Il ne faut pas manquer cette assemblée, car dans le nouvel ordre de choses, vous pourrez à votre tour raconter aux nouvelles générations que vous avez vu les membres les plus représentatifs du reste.’ Nous sommes pleins de gratitude pour cette assemblée et pour votre présence à tous.”

Une autre partie remarquable du programme anglais fut l’allocution de frère Juan Muñiz qui, avec l’aide de Jéhovah, avait organisé l’œuvre de prédication en Argentine et dans d’autres pays d’Amérique du Sud quelque quarante-trois ans auparavant. Il fut à juste titre le premier orateur introduit par frère Charles Eisenhower, serviteur de filiale. De façon appropriée ou non, frère Muñiz justifia sa réputation en dépassant le temps. Frère Eisenhower se souvient de ses paroles : “Comment puis-​je relater en quinze minutes ce qui nécessite trois ou quatre heures ? Comment puis-​je condenser tout ce que j’ai à dire ? Une allocution de quinze minutes seulement n’est pas pour moi !”

Les membres de la famille du Béthel et les autres frères qui ont très bien connu frère Muñiz ont apprécié l’excellent exemple qu’il a donné durant toute sa vie, non seulement comme enseignant de la Bible, mais aussi comme étudiant de la Parole de Dieu. Pendant quelques années avant sa mort, il travaillait au bureau de la réception à la filiale de Buenos Aires. Quand rien d’autre n’exigeait son attention, il était très courant de le voir en train de lire la Bible. Combien de fois l’a-​t-​il lue, nous ne le savons pas. Mais une chose est certaine : même quand il était très âgé, il n’a jamais manqué de se nourrir en absorbant chaque jour une portion de la vérité divine si bienfaisante. Sa foi inébranlable en cette Parole a été très bien soulignée par un incident que frère Adamson rappelle en ces termes : “Un matin de janvier 1942, J’ai lu dans l’Herald de Buenos Aires que J. F. Rutherford était mort. L’article était très bref, mais il nous a donné un coup terrible. Qu’allait-​il se passer ? Une fois de plus, l’attitude de frère Muñiz se révéla incontestablement une grande aide. Il fit ce commentaire inspiré par une foi profonde : ‘Ce n’est pas frère Rutherford qui nous a dit d’aller prêcher, n’est-​ce pas ? C’est un commandement venant de Jéhovah par l’intermédiaire de sa Parole. Continuons donc de faire ce qui nous a été ordonné, et Jéhovah prendra soin de son organisation.’”

Le programme du samedi matin 14 janvier prévoyait que les missionnaires viennent sur la scène par groupes de six ou huit et que chacun d’eux fasse un commentaire sur le thème “Les joies du service missionnaire”. Entre deux groupes de missionnaires, un des six représentants spéciaux du bureau central de la Société s’adressait aux assistants. Les premiers missionnaires à s’exprimer ont été à juste titre trois sœurs, toutes diplômées de la première classe de Galaad. Un peu plus tard, quand frère Knorr s’est adressé à l’assistance, il a parlé de leur cas. Il a rappelé que ces sœurs, ainsi que d’autres des premières classes de Galaad, avaient eu la joie de devenir les ‘mères’ de serviteurs de congrégation, de circonscription et de district et d’autres étudiants de Galaad. Frère Knorr s’est également amusé de voir les missionnaires très nerveux parce qu’ils devaient parler en anglais.

Les missionnaires ont été stimulés par la présence des administrateurs de la Société ; mais quelle a été l’impression de ceux-ci ? S’adressant aux missionnaires, l’un d’eux déclara : “Vous nous avez apporté quelque chose et nous nous sentons encouragés et stimulés parce que nous avons eu le privilège d’être avec vous.” S’adressant aux délégués venus d’autres pays, un autre administrateur dit : “Le fait le plus important de votre voyage n’a été ni la visite de pays nouveaux et différents, ni la vue d’œuvres merveilleuses de notre Créateur Jéhovah, ni la visite de sites historiques intéressants. Fait beaucoup plus important, vous avez rendu visite aux missionnaires, vous les avez écoutés parler de leur vie et vous avez constaté leur joie de servir Jéhovah dans ce pays depuis de nombreuses années. Nous espérons que lorsque vous serez rentrés chez vous, vous encouragerez vos fils et vos filles à envisager le service de missionnaire et que vous inciterez les proclamateurs de vos congrégations à prendre des dispositions pour aller servir dans d’autres pays où le besoin est grand.”

Les missionnaires diplômés de Galaad se souviendront également longtemps de la réunion spéciale et du dîner prévus à cette occasion en compagnie de frère Knorr et de quelques-uns des administrateurs de la Société. Le vendredi soir, par une belle nuit d’été, claire et chaude, ce groupe joyeux composé de missionnaires venus de toutes les régions de l’Argentine et des membres de la famille du Béthel de Buenos Aires était rassemblé sur la terrasse du Béthel. Après un excellent repas, frère Knorr s’est adressé au petit groupe. Jusque-​là, l’ambiance était détendue. C’est alors que frère Knorr a regardé sa montre ; c’était minuit passé ; un nouveau jour commençait. Frère Knorr continua de parler, mais sur un ton plus grave, et à certains moments on pouvait remarquer qu’il avait des difficultés à surmonter son émotion et à poursuivre son allocution. Vingt-cinq ans auparavant, le 13 janvier 1942, il avait été nommé président de la Société. Il nous rappela que depuis l’époque où il était serviteur de l’imprimerie de Brooklyn, son désir le plus cher avait toujours été de voir des missionnaires se rendre dans toutes les parties du monde habité. Il en avait parlé à frère Rutherford, mais celui-ci avait répondu qu’il ne restait plus assez de temps pour une œuvre semblable. Cependant, lorsque vingt-cinq ans avant cette réunion au Béthel de Buenos Aires, frère Knorr est devenu président, il proposa au conseil d’administration, dont plusieurs membres étaient avec lui ce soir-​là, la fondation d’une école de missionnaires ; sa proposition fut acceptée. Galaad, l’École biblique de la Watchtower, devint bientôt une réalité. Lorsque les missionnaires diplômés de la première classe et des suivantes furent envoyés dans des territoires étrangers où ils avaient été nommés, frère Knorr passa de nombreuses nuits blanches et agitées à se demander dans la prière ce qu’allaient devenir ces chers frères et sœurs. Vingt-cinq ans plus tard il semblait tout à fait approprié que frère Knorr soit en compagnie de missionnaires. Il était évident que tout s’était fort bien passé ; en effet, quatre missionnaires de la première classe de Galaad accomplissent toujours leur service en Argentine.

En plus de l’assemblée principale organisée à Buenos Aires, une autre eut lieu en même temps à Córdoba, une ville de l’intérieur, et les frères de Brooklyn ont également participé au programme de celle-ci. Imaginez la joie de tous, proclamateurs du pays et visiteurs étrangers, lorsqu’ils ont appris qu’au total 15 238 personnes avaient assisté aux deux assemblées, 11 000 rien qu’à Buenos Aires ! Au total, 692 disciples avaient symbolisé l’offrande de leur personne à Jéhovah par le baptême. Ces chiffres revêtent une signification plus grande encore quand on pense que vingt ans auparavant, en 1947, il n’y avait que 679 proclamateurs dans toute l’Argentine, même pas le nombre des chrétiens baptisés à l’occasion de ces deux assemblées. Cette année-​là, en 1967, 13 317 proclamateurs avaient participé au service du champ.

Un programme très intéressant avait été prévu pour les délégués visitant le pays ; il comprenait des excursions dans de nombreux lieux historiques de la ville de Buenos Aires où la prédication du Royaume avait commencé. Des dispositions spéciales avaient été prises pour que les voyageurs goûtent à un asado typique dans le pays. Des autocars, dans chacun desquels un missionnaire servait de guide, ont pris les frères à leur hôtel pour un voyage très agréable dans la campagne jusqu’à un ranch transformé en restaurant. Les frères eurent ainsi l’occasion de “goûter” à la vie de camp en Argentine sous son meilleur aspect, grâce à l’atmosphère champêtre qui régnait sur les lieux et en suivant la préparation de l’asado : un énorme gril était installé au-dessus d’un foyer de braises, et on y avait déposé une grande variété d’excellents chorizos et de longues chaînes de côtes de bœuf, tandis que des quartiers entiers de bœuf étaient empalés de façon à être inclinés au-dessus du foyer sur des barres de fer dont l’autre extrémité était fichée en terre. Mais ce n’était pas tout ! À la fin du repas, des groupes folkloriques argentins et paraguayens, composés de musiciens et de danseurs habillés de façon typique, ont fait une intéressante démonstration de leurs talents.

Trop vite, les frères qui avaient visité l’Argentine sont partis pour les assemblées organisées en Uruguay et au Brésil. Mais ils avaient laissé à leurs frères argentins la marque durable d’un intérêt sincère et d’un amour chrétien qui ne connaissent pas de frontières. Que ces assemblées aient exercé une heureuse influence sur nos proclamateurs, cela est évident, car l’activité déployée durant l’année de service 1966-​1967 fut la meilleure jamais enregistrée auparavant dans l’histoire de l’œuvre du Royaume en Argentine.

NOUVEL AGRANDISSEMENT DE LA FILIALE

En décembre 1968, frère et sœur Knorr firent une visite de deux jours en Argentine à l’occasion d’un voyage en Amérique du Sud. C’est à cette occasion que frère Knorr et frère Eisenhower examinèrent la nécessité d’agrandir les bureaux de la filiale d’Argentine. Frère Eisenhower rapporte ceci : “Nous nous sommes renseignés sur les propriétés voisines pour voir s’il était possible d’acquérir un terrain. Après avoir consulté nos voisins, nous avons pu acheter un excellent terrain qui se trouvait derrière notre propriété et donnait sur la rue voisine. Il mesure 51 mètres de long sur 9 mètres de large. Les actes de vente de ce nouveau terrain furent signés à la fin de 1969. Au début de 1970, les plans pour un nouveau bâtiment furent dessinés. Ils furent approuvés par la municipalité et par frère Knorr. Cela nous permit d’augmenter la surface de travail de 740 mètres carrés. Le rez-de-chaussée est occupé par l’entrepôt et l’expédition des publications ainsi que par la réception ; les bureaux occupent le premier étage, tandis que le second est divisé en trois chambres.

“Il fut décidé que dans la mesure du possible la construction serait effectuée par les frères. Nous avons contacté l’entrepreneur qui avait construit nos bâtiments de la rue Honduras, et il s’est montré disposé à faire les plans, à les présenter à la municipalité et à obtenir les permis de construire nécessaires. Cela fut prêt pour octobre 1970, et les travaux de démolition furent commencés aussitôt. Nous sommes heureux que des frères aient pu travailler à la construction durant la semaine ; certains, qui étaient chargés de famille, ont été payés par la Société, tandis que d’autres, y compris des pionniers spéciaux, ont apporté leur aide et ont été hébergés dans les bâtiments de la filiale. Des travaux spéciaux étaient prévus pour les week-ends durant lesquels des frères, venant des congrégations de Buenos Aires et des alentours, pouvaient apporter leur contribution. L’enthousiasme était très grand. Les sœurs comme les frères ont offert leur aide. Il était extraordinaire de constater le zèle de nos frères et leur désir de voir se poursuivre l’extension de l’œuvre en Argentine.

“Lors de cette activité des week-ends, le repas de midi était un événement joyeux. En général, il s’agissait d’un asado argentin. Nous prenions (80, 90, 100 personnes ou davantage) notre repas ensemble sur de longues planches servant de tables, dressées pour la circonstance dans l’entrepôt de notre bâtiment ou à l’étage du nouveau bâtiment en cours de construction. Pendant quelques minutes, après le repas de midi, un frère ou une sœur sachant se servir d’une guitare ou d’un autre instrument jouait de la musique, et bien souvent d’autres membres du groupe se mettaient à chanter. Ces cantiques du Royaume ou ces chants folkloriques détendaient les frères et suscitaient l’enthousiasme. Un dimanche, 114 frères et sœurs ont ainsi contribué à la construction du bâtiment.”

En règle générale, les travaux de construction en Argentine durent si longtemps qu’il faut deux ans pour achever un programme de construction prévu pour une année. Frère Eisenhower nous assure que “ce ne fut pas le cas pour notre bâtiment. Nous nous sommes organisés de telle sorte que dès le départ des ouvriers chargés des travaux de fondations en béton, nos frères sont arrivés, et nous avons commencé d’élever les murs. En six mois seulement, le nouveau bâtiment était achevé. Nous avons emménagé en août 1971. Les travaux de peinture, d’électricité et de plomberie étaient tous achevés. Cette activité avait obligé un certain nombre de frères du Béthel à travailler durant les week-ends, mais nous l’avons fait avec joie, connaissant toute l’importance de ce nouveau bâtiment pour l’œuvre en Argentine. Une grande partie de l’argent nécessaire à ces travaux a été donnée par les frères et d’autres ont fait des prêts sans intérêt. Nous remercions Jéhovah d’avoir incité son peuple à donner de façon si spontanée”.

Le rapport de 1971 confirme qu’il était nécessaire d’agrandir les bureaux, afin de mieux servir les frères dans le champ ; en effet, il indique un maximum de 20 750 proclamateurs, dont 408 pionniers spéciaux et 1 019 pionniers ordinaires ; en outre, 466 301 livres et brochures et 3 698 032 périodiques ont été placés, et 29 865 nouveaux abonnements obtenus. Les frères ont fait 2 253 005 nouvelles visites et conduit 21 177 études bibliques. Évidemment, il a fallu beaucoup de temps pour accomplir tout cela ; en fait, nos frères ont passé 4 215 406 heures dans le ministère. À la Commémoration, il y a eu 45 337 assistants, et 15 341 discours publics ont été donnés durant l’année.

Le serviteur de filiale rapporte qu’en plus de cette activité dans le champ, “nos presses tournent à longueur de journée pour la Bolivie, le Chili, le Paraguay, l’Uruguay et l’Argentine. Il faudra bientôt augmenter aussi les possibilités de notre imprimerie en ajoutant une nouvelle presse”.

La construction de nombreuses et belles Salles du Royaume est une autre preuve de l’extension de l’œuvre du Royaume en Argentine. Souvent, ce sont des frères qui ont fait don d’un terrain ou d’une partie de leur maison pour faire une Salle du Royaume. Dans d’autres cas, ce sont des amis de la vérité qui ont eu le désir d’aider les frères à disposer d’un lieu de réunion convenable.

NOUS PARTAGEONS NOS BÉNÉDICTIONS AVEC D’AUTRES

L’organisation du peuple de Jéhovah en Argentine a non seulement eu l’heureux privilège de recevoir de l’aide sous forme de missionnaires dévoués, mais aussi de partager la prospérité qui en est résultée avec d’autres filiales. En 1963, à l’occasion d’une visite au Chili de frère Eisenhower en tant que serviteur de zone, il a été estimé que ce pays avait besoin d’un plus grand nombre de frères qualifiés ; c’est pourquoi il fut recommandé au bureau central de la Société que quelques frères d’Argentine soient mutés au Chili. Cette proposition fut approuvée, et frère Ernesto Ots, accompagné de sa femme, est parti au Chili comme serviteur de circonscription. Plus tard, les frères Pedro Lovato et Fernando Fanin, tous deux diplômés de Galaad, y furent nommés avec leurs femmes. En outre, en 1965, Raúl Vazquez, un frère argentin diplômé de Galaad, fut envoyé avec sa femme en Espagne comme missionnaire.

En 1970, on se rendit compte qu’une plus grande aide était nécessaire au Paraguay. Aussi, le bureau du président donna son autorisation pour que dix pionniers spéciaux d’Argentine soient envoyés dans ce pays, afin d’aider nos frères. Ils y font un excellent travail, trouvant et aidant les personnes intéressées à la vérité dans ce pays. C’est pourquoi la filiale du Paraguay a demandé de lui envoyer six autres pionniers spéciaux. Nous sommes en train de prendre des dispositions en ce sens.

Une autre filiale voisine, celle de Bolivie, a demandé de lui envoyer dix pionniers spéciaux d’Argentine ; trois sont déjà arrivés dans ce pays et y déploient leur activité, et deux autres sont en route pour la Bolivie. De ce fait, à la fin de l’année, nous serons en mesure de satisfaire les filiales de Bolivie et du Paraguay en leur envoyant le nombre de pionniers spéciaux demandés. Frère Eisenhower est heureux de dire que “les frères d’Argentine sont très joyeux de pouvoir se rendre dans d’autres pays pour apporter leur aide dans l’œuvre de prédication et aider les personnes sincères à sortir de Babylone la Grande”.

Le livre La vérité qui conduit à la vie éternelle est un des instruments qui a aidé un grand nombre de gens à s’associer activement à l’organisation de Jéhovah. Frère Eisenhower nous dit : “Nous avons reçu à la filiale puis réexpédié 490 611 de ces livres, et la grande majorité de ceux-ci ont été mis entre les mains des gens. Ce merveilleux instrument, que beaucoup appellent ‘la bomba azul’ (‘la bombe bleue’), a fourni une aide inestimable pour faire connaître la bonne nouvelle du Royaume aux hommes. Grâce aux études bibliques régulières conduites à l’aide de ce livre, la vérité biblique a pénétré profondément dans le cœur de milliers de personnes qui, grâce à cela, ont cultivé un amour sincère pour Jéhovah et le désir de le servir.”

Selon frère Eisenhower, “un autre excellent témoignage est rendu par nos frères qui passent trois années dans les prisons militaires, parce qu’ils maintiennent leur position de neutralité en s’abstenant de toute participation aux choses du présent monde et au service militaire. Il y a actuellement trente-cinq frères en prison qui se réjouissent d’avoir la possibilité de rendre témoignage et d’être eux-​mêmes un témoignage devant les autorités militaires”.

Ainsi, quand nous revoyons le travail qui a été accompli au cours des quarante-sept années écoulées par nos frères et par l’organisation théocratique actuellement en action, il ne fait aucun doute que Jéhovah a béni l’œuvre effectuée par ses serviteurs fidèles et intègres. Nous aimerions particulièrement faire mention des nombreux missionnaires diplômés de Galaad qui ont servi dans ce pays, aussi bien les frères et sœurs originaires d’Argentine que ceux qui ont été envoyés dans ce pays. Un grand nombre de ces prédicateurs fidèles sont toujours actifs dans le ministère à plein temps, en Argentine ou ailleurs. D’autres, en raison de leur mauvaise santé, de leurs responsabilités de parents qui les occupent à plein temps ou encore d’autres obligations bibliques, ont quitté ce service. Nous éprouvons les mêmes sentiments que Paul lorsqu’il parlait des fidèles du passé dans Hébreux, chapitre 11, ‘et le temps nous manque pour raconter tout ce qui concerne ceux qui ont servi en Argentine’.

En regardant la carte de l’Argentine, nous pouvons faire une rétrospective et nous rendre compte que ce qui semblait être une tâche écrasante et une véritable gageure pour cette poignée de serviteurs voués dans les premières années de 1920 est devenu une réalité vivante. Faites courir vos yeux du nord au sud tout en considérant que dans les vingt-deux provinces et dans la capitale fédérale, depuis l’extrême nord jusqu’à la pointe sud du continent, la Terre de Feu, il y a maintenant 361 congrégations et 110 groupes isolés de témoins de Jéhovah. Plus de 400 pionniers spéciaux travaillent avec zèle dans ce territoire, sans parler des serviteurs de circonscription et de district. Durant cette décennie, nos pionniers déploient de nouveau leur activité le long des lignes de chemin de fer dans trois provinces du nord : celles de Salta, de Formosa et de Chaco. Mais cette fois d’une façon tout à fait différente, car nos frères ne se contentent pas de diffuser des publications ; ils retournent conduire des études bibliques avec les personnes bien disposées et dirigent un plus grand nombre de ‘brebis’ vers la congrégation de Jéhovah.

Oui, quelle que soit la région de l’Argentine où nous nous trouvons aujourd’hui, il y a des témoins chrétiens de Jéhovah occupés à transmettre la nourriture spirituelle et la joie, en obéissant avec zèle au commandement de Jésus consigné dans le livre des Actes, au chapitre 1 et au verset 8, disant : “Vous serez mes témoins (...) jusqu’à la partie la plus lointaine de la terre Ac 1:8.”

[Carte, page 49]

(Voir la publication)

ARGENTINE avec LES PROVINCES EN ROUGE et les VILLES EN NOIR

BOLIVIE

PARAGUAY

JUJUY

SALTA

FORMOSA

CHACO

CATAMARCA

TUCUMÁN

SANTIAGO DEL ESTERO

Resistencia

MISIONES

LA RIOJA

CÓRDOBA

SANTA FE

CORRIENTES

BRÉSIL

SAN JUAN

SAN LUIS

ENTRE-RIOS

Rosario

URUGUAY

Mendoza

CHILI

MENDOZA

LA PAMPA

BUENOS AIRES

Buenos Aires

La Plata

Bahía Blanca

Mar del Plata

NEUQUÉN

RIO NEGRO

CHUBUT

Rawson

Océan Atlantique

SANTA CRUZ

Río Gallegos

TERRE DE FEU

Ushuaia