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République Dominicaine

République Dominicaine

République Dominicaine

La république Dominicaine est un pays aux ressources naturelles très riches comme l’or, le fer, la bauxite, le marbre et l’ambre ; c’est également une terre bien arrosée dont les ressources essentielles fournies par l’agriculture font vivre la population. Son climat est caractérisé par des nuances très sensibles : chaud et humide dans la région côtière et frais dans les montagnes. C’est un pays au ciel bleu où l’on trouve des palmiers. Occupant une superficie de 48 442 kilomètres carrés, la république Dominicaine représente les deux tiers de la deuxième île en importance des Grandes Antilles, un chapelet d’îles qui s’étend en croissant de l’extrémité de la péninsule de Floride au Venezuela. Sa plus haute montagne, Pico Duarte, s’élève à plus de 3 000 mètres, telle une sentinelle surveillant les côtes de la mer des Caraïbes.

Les premiers habitants connus, des Indiens chasseurs, pêcheurs et fermiers, ont depuis longtemps disparu, victimes de l’avidité, de la cruauté et du fanatisme religieux des “conquistadores” catholiques venus d’Espagne. Christophe Colomb atteignit l’île en 1492 et l’appela “Hispaniola”, car elle était connue sous le nom de Quisqueya. La capitale Saint-Domingue, fondée par son frère Barthélémy, passe pour être la plus vieille ville d’Amérique, à l’exception des villes peuplées d’indigènes.

Les actes de barbarie, les haines, les jalousies et les transgressions de tous les principes chrétiens, qui ont provoqué l’extinction des Indiens, ont longtemps ravagé un peuple tenu dans l’ignorance par l’Église catholique romaine, ne lui permettant en aucune façon d’acquérir la connaissance de la Parole de Dieu, la Bible. Pendant plus de quatre cents ans l’histoire de la république Dominicaine n’a été qu’une succession de crises, de révoltes et de guerres. Depuis lors, la situation ne s’est pas beaucoup améliorée. Entre les années 1844 et 1916, par exemple, on a enregistré 56 guerres civiles. Les États-Unis intervinrent en 1916 afin de “maintenir la paix intérieure”, et occupèrent le pays jusqu’en 1924. La “troisième république” qui a suivi et duré six ans a été caractérisée par la confusion. “L’ère de Trujillo” a ensuite marqué une longue période de dictature.

L’Église catholique romaine a toujours exercé une grande influence dans ce pays ; jusqu’en 1950, 98 pour cent des habitants étaient catholiques. Des membres de différents ordres religieux ont occupé la fonction de gouverneur. Les évêques et le bas clergé se sont immiscés dans presque tous les mouvements politiques. Voici ce qu’a écrit l’actuel président, Joaquín Balaguer, à propos de l’évêque Meriño qui fut déporté pour activités séditieuses et revint plus tard pour assumer la charge de président de la république : “Il n’a pas hésité à répandre le sang pour mater les rebelles tout comme le Saint Office [Inquisition] n’hésita pas à faire périr les hérétiques sur le bûcher.” On le nomma par la suite archevêque.

Le régime de Trujillo, qui exerça un pouvoir arbitraire et absolu, fut imposé au peuple de la république Dominicaine le 16 août 1930. Pendant trente ans Rafael Leonidas Trujillo maintint la nation sous sa férule. Tout ce qui avait la faveur de Trujillo prospérait, et ce qu’il n’aimait pas devait être éliminé. Comme il était catholique, pendant presque toute la durée de son régime l’Église a été favorisée ; les membres du clergé se sont vu confier des écoles, des postes dans le gouvernement et l’administration d’institutions. Les liens étroits qui unissaient l’Église au dictateur, ainsi que le dur mépris de celui-ci pour la condition du peuple, ouvrirent les yeux d’un grand nombre de personnes. Par exemple, plus d’un prêtre a prétendu que le grand ouragan de 1930, qui a fait 4 000 morts et 20 000 blessés, était le châtiment de Dieu sur le peuple qui avait cessé de fréquenter l’Église et ne la soutenait pas assez financièrement. Voici ce qu’a déclaré un homme qui a eu la vie sauve uniquement parce qu’il se trouvait dans une autre ville en train de boire avec des amis, mais qui a perdu une sœur, un neveu et sa fiancée, et qui a vu neuf membres de sa famille gravement blessés : “J’ai commencé à haïr un Dieu qui assassine des gens comme cela et qui s’intéresse à l’argent, un Dieu qui n’hésite pas à détruire une famille tout entière et à préserver un ivrogne éhonté. Dans la cour de notre maison en ruine, j’ai fait un feu de joie avec les images religieuses qui étaient accrochées aux murs de la chambre de ma sœur qui avait été tuée.”

PREMIERS MISSIONNAIRES ENVOYÉS PAR LA SOCIÉTÉ WATCH TOWER

Les premiers missionnaires de la Société Watch Tower arrivèrent à l’aéroport General Andrews de Ciudad Trujillo, aujourd’hui Saint-Domingue, le 1er avril 1945. Ces missionnaires se demandaient certainement comment accomplir sous un régime dictatorial catholique le ministère que Dieu leur avait confié. Lennart et Virginia Johnson nous relatent comment les choses se sont passées à cette époque mémorable :

“Le chauffeur nous a déposés à l’hôtel Victoria, 19 rue Marzo, tout près d’El Conde. Nous payions pour le logement et les repas environ trente francs par jour. Une fois installés, nous étions impatients de faire la connaissance des habitants de la localité. Deux femmes originaires de la république Dominicaine avec qui nous avions étudié à Brooklyn nous avaient remis les noms de leurs parents et amis. Nous avons d’abord décidé de nous rendre en tramway, puisque nous ne connaissions pas la ville, rue Luis C. de Castillo, afin de rechercher le Dr Green. Nous avons eu la joie de le trouver chez lui cet après-midi-​là, en compagnie de son voisin, Moses Rollins.

“Nous avons immédiatement été invités à entrer dans la maison faite en bois, d’une propreté impeccable. Dans la salle de séjour, qui faisait environ trois mètres sur quatre, il y avait des chaises cannelées en acajou, remarquablement fraîches. Le Dr Green, qui pouvait avoir quarante ans, et Moses Rollins, un peu plus âgé que lui, nous ont accordé toute leur attention. Virginia et moi leur avons expliqué comment nous avions obtenu leurs nom et adresse, et pourquoi nous étions venus en république Dominicaine. En fait, nous étions arrivés le jour même. Nous avons commencé sur-le-champ une étude à l’aide du livre ‘La vérité vous affranchira’.”

Moses Rollins fut le premier proclamateur local du Royaume, et par la suite il nous a beaucoup aidés en nous apprenant les expressions idiomatiques indispensables pour traduire l’Informateur (aujourd’hui Notre ministère du Royaume) de l’anglais en espagnol. En avril 1961 il a entrepris le service de pionnier dans lequel il a persévéré jusqu’à sa mort, survenue en octobre 1970. Le Dr Green a finalement été baptisé en 1963, peu de temps avant sa mort. Trois de ses filles et un fils sont des serviteurs de Jéhovah voués ; le fils, Francisco Green, sert actuellement en qualité de surveillant de l’une des congrégations qui se réunissent dans les locaux de la filiale à Saint-Domingue.

Frère Johnson poursuit son récit en ces termes : “Après cette première étude, le Dr Green nous a emmenés à la recherche d’un logement. Nous avons pris place dans l’impériale d’un autobus jusqu’au terminus, et nous avons finalement trouvé une petite maison en dur, située à l’extrémité ouest de la ville. Nous nous sommes également procuré quelques meubles.

“Nos cartons de publications et nos bagages personnels arrivèrent, et la pluie aussi. Il pleuvait, pleuvait, pleuvait ! Des torrents d’eau tombaient chaque jour. Nous avons écrit à ce sujet à la Société qui nous a répondu que si tel était le climat, nous devions nous habituer à prêcher en pareil temps. Notre travail ne produisait pas beaucoup de fruits dans cette région.

“En juin, d’autres missionnaires sont arrivés ; il s’agissait de Zene et de Meryl Caryk, de Rhudelle Baxley et de Rachel Bippus. Nous avons donc ouvert d’autres territoires.”

LES “BREBIS” RÉPONDENT À L’APPEL

“Les ‘brebis’ reconnaissent le son de la vérité ; c’est ce que fit Palé. Pablo Bruzaud, connu de tous sous le nom de Palé, était un homme de cinquante-cinq ans, vigoureux et sain, qui exploitait une ligne d’autocars faisant la navette entre Santiago et Ciudad Trujillo (aujourd’hui Saint-Domingue), distantes l’une de l’autre de 175 kilomètres. Il devait souvent se rendre dans la capitale au bureau de rationnement, pour se procurer des pneus. Un jour où il visitait des amis, il pleura en entendant le message transmis par le phonographe des sœurs missionnaires Johnson et Caryk. Il a accepté le livre ‘La vérité vous affranchira’, et a pris des dispositions pour étudier chaque jour tant qu’il demeurerait dans la ville. Il n’y avait pas encore de missionnaires à Santiago où habitait Palé, dans une vaste maison en bois près du centre de la ville, et où fourmillaient des enfants, des enfants, des enfants, 108 en tout ! Rassurez-​vous, ce n’étaient pas les siens. Il s’agissait d’orphelins et d’enfants dont les parents étaient trop pauvres pour les nourrir convenablement et les loger. La ligne d’autobus fournissait l’argent nécessaire à cette nombreuse famille, et la femme de Palé, personne aimable et bonne, prodiguait des soins affectueux à ces enfants.”

Palé a accompagné frère Johnson dans un voyage de Ciudad Trujillo à Santiago, puis ils ont franchi les montagnes vers le nord pour atteindre la ville côtière de Puerto Plata, afin d’y rencontrer un groupe de personnes bien disposées qui avaient écrit à la Société, à Brooklyn, pour obtenir de plus amples renseignements. Tout en les aidant par correspondance, la Société avait remis leur adresse à la congrégation la plus proche, mais cela ne leur avait pas été d’une grande utilité, car il s’agissait d’une congrégation d’expression française, celle de Port-au-Prince, à Haïti. Quelle joie ce fut pour eux de recevoir la visite de représentants de la Société !

En octobre 1945, le premier étage du numéro 87 de la rue Padre Bellini devint le foyer des missionnaires et la Salle du Royaume. Il y avait jusqu’à quarante personnes aux réunions ; certaines y assistaient par curiosité mais d’autres pour y trouver la vérité. Le programme des réunions était composé sur place de manière à aider les nouveaux. Notre ministère du Royaume et d’autres écrits étaient traduits de l’anglais. C’est environ trois ans plus tard que nous avons reçu pour la première fois Notre ministère du Royaume en espagnol, de Cuba.

Ce local situé rue Padre Bellini n’a pas tardé à attirer des gens de partout. Ils venaient pour voir une enseigne accrochée à une hauteur d’environ cinq mètres, qui faisait l’objet des conversations en ville. Cette enseigne portait l’inscription “Salón del Reino” (Salle du Royaume) en lettres noires de vingt-cinq centimètres sur fond blanc brillant. Au-dessous de cette inscription, en caractères plus petits et faisant saillie, il y avait les mots “Los Testigos de Jehová” (Les témoins de Jéhovah). Parmi ceux dont l’attention a été attirée par ce signe en 1945, figurait Luis Eduardo Montás, pharmacien et dentiste, membre du Comité central et trésorier du parti dominicain, l’unique parti politique de la république Dominicaine. Il s’arrêta et fixa l’enseigne, se demandant quelle pouvait être la signification de ces mots étranges.

PROJETS EN VUE DE L’EXPANSION

Pour tenir la réunion prévue dans la soirée du 22 mars 1946, il a fallu modifier la salle à manger et le petit salon de la maison des missionnaires, afin d’agrandir la salle. Ce jour-​là marquait la première visite en république Dominicaine de N. H. Knorr et de F. W. Franz, président et vice-président de la Watch Tower Bible and Tract Society. Lors de cette réunion, frère Knorr mit l’accent sur la nécessité de travailler dans le champ en harmonie avec les instructions concernant l’organisation. Il a été décidé qu’on ouvrirait une filiale en prévision de l’expansion de l’œuvre, et frère Caryk serait le responsable jusqu’à la nomination d’un serviteur de filiale.

On a fait l’acquisition d’une deuxième maison de missionnaires, toujours en prévision de cette expansion. Elle était située à Santiago, la deuxième ville en importance du pays, et un autre groupe de missionnaires diplômés de Galaad, l’École biblique de la Watchtower — les Droge, les Messick et Alma Parsons — s’est installé dans cette maison qui comprenait également une Salle du Royaume. D’autres missionnaires sont arrivés, ajoutant leurs voix à celles qui rendaient déjà témoignage. Il y a eu tout d’abord Maxine Boyd, Edith Morgan et Lorraine Marquardt, puis Helen Miller, et par la suite Vera Stewart et Kathleen Graham.

Afin d’organiser le travail et de parcourir efficacement le territoire, il était nécessaire de se procurer des cartes de la ville. Aussi, pendant les soirées, il n’était pas rare de trouver les missionnaires travaillant sur des cartes de la ville ; bientôt des personnes bien disposées sont venues les aider à découper les territoires. Certaines d’entre elles étaient inconnues et elles avaient tendance à disparaître lorsqu’on leur demandait leur adresse pour étudier la Bible avec elles. Il s’agissait en fait d’espions à la solde du gouvernement, chargés de voir ce qui se passait.

L’expansion nous obligea à déménager une nouvelle fois. Comme le journal “El Listín Diario” avait été interdit par le gouvernement de Trujillo, le premier étage du bâtiment qui abritait ses bureaux fut utilisé comme Salle du Royaume. Tout à côté se trouvait le Sénat dominicain. De l’autre côté de la rue dormaient les prêtres qui officiaient dans la cathédrale de Saint-Domingue, et juste au coin de la rue il y avait les bureaux principaux de l’armée, attenants à un ancien fort et à une prison. La salle était donc bien entourée ! Au début, la Salle du Royaume occupait seulement un quart de l’espace disponible. Les missionnaires se sont installés dans une autre maison plus grande, au 37 de la rue Estrelleta. À la fin de l’année de service, on enregistrait un maximum de 28 proclamateurs.

L’ŒUVRE PROGRESSE LENTEMENT

Il n’est pas facile de vaincre la crainte et la méfiance profondément enracinées. Toutefois, avec l’aide de Jéhovah, ceux qui ont un cœur juste se manifestent eux-​mêmes et progressent. En septembre 1946, les missionnaires Raymond Johnson et Hugh George arrivèrent, ce dernier devant assumer la charge de serviteur de filiale. Le soir de son arrivée, frère George accompagna Lennart Johnson dans une étude conduite au domicile de Manuel et de Consuelo Arcas. Ce couple se fit baptiser en mai 1947. Frère Arcas mourut l’année suivante, mais sœur Arcas est toujours active dans le ministère à plein temps en qualité de pionnier spécial.

Frère George se souvient d’une autre étude qui a porté de bons fruits. Il dit : “Tous les dimanches après-midi, je me rendais à pied du 37 de la rue Estrelleta à la rivière Ozama que je traversais en canot, puis je gravissais la colline pour atteindre la demeure de John Gilbert, chez qui je conduisais une étude à l’ombre d’un arbre dans le jardin. À la fin de chaque visite il m’offrait une tranche de cake et un verre de ‘Pepsi’.” John Gilbert était natif de l’île de Saint-Christophe ; il était venu en république Dominicaine en 1916 pour trouver du travail. Étant forgeron, il trouva un emploi dans une plantation de cannes à sucre ; mais il était également à la recherche d’autre chose. Il avait fréquenté différents groupements religieux, et il en avait conclu qu’ils étaient tous hypocrites. Il désirait trouver la vérité. En 1946, il accepta un exemplaire du livre “La vérité vous affranchira” présenté par deux missionnaires. Malheureusement, il ne remarqua pas immédiatement que ce livre était rédigé en espagnol, et qu’il ne pourrait par conséquent pas le lire. Il ne savait pas où trouver les missionnaires, mais il désirait connaître le contenu de ce livre. Il pria pour cela, et presque immédiatement après il rencontra les deux sœurs missionnaires dans la rue. Non seulement il put se procurer un livre en anglais, mais une étude fut commencée et très vite il accompagna frère George dans le service du champ. Il fut baptisé, et en cette même année il entreprit la prédication à plein temps en qualité de pionnier.

À peu près à la même époque, une suite d’événements incita l’homme qui avait fixé du regard la curieuse enseigne en 1945 à la rechercher de nouveau. La politique lui apporta déception sur déception, et les Églises, intéressées par la politique, l’argent et la superstition plutôt que par la connaissance de Dieu et la santé spirituelle des hommes, l’écœurèrent tout à fait. Dans l’intention de venger l’assassinat politique de ses deux frères, M. Montás rendit visite à des spirites. Dans une maison qui servait de centre pour la pratique du spiritisme, il vit sur une table un livre intitulé “La vérité vous affranchira”. Il se mit à le lire et le trouva si intéressant qu’il demanda qu’on le lui prête. Les spirites le lui donnèrent car ils l’avaient acheté uniquement sur l’insistance d’un proclamateur et non parce que cela les avait intéressés.

Plus tard, à la suite d’une réunion politique, M. Montás éprouva un profond sentiment de tristesse et de frustration ; il fut écœuré et ne se sentit plus à sa place dans ce milieu. Il quitta la réunion et passa chez un ami. Il remarqua sur la table un exemplaire de Selecciones (Sélection du Reader’s Digest). Ce numéro contenait l’article Agentes Viajeros de Jehová (Les commis voyageurs de Jéhovah), décrivant l’assemblée de Cleveland. Frère Montás nous dit : “Je l’ai lu, et je me suis dit : Voilà la religion que je recherche.” Il se rendit donc à Saint-Domingue, rechercha la curieuse enseigne, assista à une réunion, lut jusqu’à l’aube les livres et les périodiques qu’il s’était procurés à la salle, et se rendit de nouveau à la Salle du Royaume pour demander qu’on lui fasse une étude biblique. Cela se passait en avril 1947, et le 5 octobre 1947 il se fit baptiser.

Lorsqu’en 1947 Edith Morgan a acheté une voiture, il nous a été plus facile d’étendre notre œuvre de prédication. Dès lors, par groupes de quatre ou cinq, les missionnaires accompagnés de quelques proclamateurs locaux ont visité Andrés, Boca Chica, Guerra, Bayaguana, Monte Plata, Los Llanos et de nombreuses autres villes éloignées de la capitale. Ils ont commencé beaucoup d’études bibliques à l’aide du livre “La vérité vous affranchira”.

Au nord, dans la plaine de Cibao, Pablo González avait commencé à lire la Bible en 1935. Il ne fréquenta pas longtemps un groupe de protestants, mais il s’aperçut très vite que l’enseignement et la conduite de ces derniers étaient différents de ce qu’il avait lu dans la Bible. Il désapprouvait la distinction qu’ils faisaient entre les riches et les pauvres, et les honneurs rendus au clergé. Il passait beaucoup de temps à étudier la Bible et à prêcher ce qu’il y avait appris, d’abord aux membres de sa famille, puis à ses voisins, et il étendit ensuite sa prédication à d’autres communes. En 1942 il organisa régulièrement des réunions. En 1948, alors qu’il rendait visite à une famille qui s’intéressait à son message, il traversa Santiago et accepta le périodique La Tour de Garde d’une personne qui le proposait dans la rue. Plus tard il prit les livres Salut et “Le Royaume s’est approché” et fut invité à assister à la Commémoration. Grâce à cette réunion il acquit la certitude qu’il avait trouvé la vérité, et sans perdre de temps il en parla à ceux à qui il avait prêché. Il envoya à la Société le nom de 150 personnes bien disposées. En 1950, il se fit baptiser ainsi qu’un certain nombre de personnes appartenant à son groupe.

Deux incidents intéressants attirèrent l’attention des autorités sur la nature de notre œuvre et démontrèrent l’efficacité des méthodes d’espionnage employées dans le pays. Frère L. Johnson fut conduit dans une jeep du gouvernement au poste de police et questionné sur la raison de ses visites à une certaine adresse, où habitait un homme ‘indésirable’ pour le gouvernement de Trujillo. Frère Johnson expliqua en quoi consistait l’activité des études bibliques, et précisa qu’il n’avait vu cet homme qu’une seule fois, car l’étude était conduite avec un autre membre de la famille.

Peu de temps après, frère et sœur Johnson ont été invités à rendre visite au général d’armée Federico Fiallo, demeurant près de la Salle du Royaume. On leur demanda ce qu’ils allaient faire à une autre adresse. De nouveau, frère Johnson expliqua en quoi consistait l’activité des études bibliques. N’ayant jamais abordé les questions politiques avec les habitants de cette maison, il ne pouvait pas savoir qu’ils étaient suspects. L’interrogatoire se poursuivit : Ne savaient-​ils pas qu’à cette adresse on imprimait des tracts contre le gouvernement ? N’avaient-​ils jamais entendu le bruit des presses ? Bien sûr, ils avaient parfois entendu un bruit sourd, qui aurait pu être celui de presses ou de machines de boulangerie. Ce bruit pouvait provenir de l’appartement en question, mais il pouvait également venir d’un autre appartement dans le même bâtiment ou d’un bâtiment situé derrière celui-ci. Finalement, le général Fiallo acquit la certitude que frère et sœur Johnson ignoraient l’activité déployée par cette imprimerie clandestine, et peu de temps après, la Société fut autorisée à envoyer d’autres missionnaires, ce qui n’était plus possible depuis quelque temps.

Un autre groupe de missionnaires arriva ; il s’agissait de Roy et de Juanita Brandt, de Jetha Adams, de Mary Aniol, de Sophie Soviak et de Rose Billings. Dorothy Lawrence et Wanda Mazur arrivèrent peu après. C’étaient tous des missionnaires expérimentés, ayant déjà servi à Cuba.

En 1949, Roy Brandt fut nommé serviteur de filiale, et les Johnson ainsi que Maxine Boyd et Lorraine Marquardt s’installèrent dans une nouvelle maison de missionnaires à Puerto Plata. Une autre maison fut ouverte à San Francisco de Macoris, et Edith Morgan, Sophie Soviak, Jetha Adams et Mary Aniol y furent envoyées. Les trois Messick s’installèrent dans une maison à La Romana.

L’activité dans ces petites villes s’est avérée très productive. Par exemple, Jerry et Mary Stolfi, arrivés le 3 janvier 1948, furent affectés à San Pedro de Macoris, une petite ville située à l’est de la capitale. Là, ils ont eu la joie d’être invités à entrer dans chaque foyer pour présenter la “bonne nouvelle” en langue espagnole, qu’ils connaissaient très peu. San Pedro étant une petite ville, les habitants pouvaient facilement observer les activités des missionnaires et les voir accomplir leur prédication par tous les temps. Cela a amené ces gens à leur témoigner du respect et à avoir confiance en eux. Souvent, ils venaient chez eux pour se procurer des publications ou poser des questions sur la Bible.

Les missionnaires ont également eu la joie de prêcher dans les plantations de cannes à sucre comme celle de Consuelo. La direction avait eu la gentillesse de permettre aux témoins de voyager sur un wagon-atelier de chemin de fer à voie étroite jusqu’au bout de la ligne. Ils descendaient ensuite la rivière en canot jusqu’à une autre ligne de chemin de fer où ils empruntaient de nouveau un wagon-atelier jusqu’à leur destination. Les cartons de livres qu’ils emportaient avec eux leur permettaient de prêcher dans un territoire vraiment vierge.

Afin que les frères entretiennent des relations plus étroites avec l’organisation, conformément aux dispositions théocratiques prises dans d’autres pays, en 1950 le service de la circonscription a commencé à fonctionner en république Dominicaine. Frère Stolfi fut nommé serviteur de circonscription et chargé de visiter les huit congrégations existant à l’époque, ainsi que les différents noyaux d’isolés. L’un de ces noyaux était situé près de Santiago. Pour l’atteindre, les Stolfi ont pris l’autocar qui les a déposés au terminus, là où il n’y avait plus de route, puis ils ont marché jusqu’à un torrent qui ne pouvait être traversé qu’à cheval ; encore fallait-​il faire très attention pour ne pas tomber et être emporté par le courant très rapide. Une fois de l’autre côté, ils ont continué à marcher pour arriver finalement dans un petit village où quelque cinquante personnes les attendaient. C’étaient des gens pauvres sur le plan matériel. Pour toute demeure ils avaient quatre murs surmontés d’un toit de chaume, sans rien sur le sol ; quant aux meubles, ils se résumaient à très peu de chose, quand toutefois il y en avait. Néanmoins, ils avaient amassé spirituellement ce qui leur manquait matériellement.

Chaque fois que les Stolfi se déplaçaient dans le cadre de l’activité de la circonscription, ils étaient suivis par des espions. Il en allait de même pour la plupart des autres frères, pendant toute la durée de “l’ère de Trujillo”. On disait que ‘des espions suivaient les espions qui suivaient d’autres espions’.

‘TRUJILLO N’AIME PAS CELA’

Entre-temps, frère Montás ne cessait de faire connaître ce qu’il avait appris, si bien que dans la région de San Cristóbal on parlait de la vérité comme étant la religion de Luis Eduardo. Il ne tarda pas à organiser des réunions à côté de la pharmacie, répétant ce qu’il avait vu et entendu lors des réunions dans la capitale. Lorsqu’en 1948 il fut convoqué devant le président du parti politique pour définir cette nouvelle religion, on lui dit : “Trujillo ne va certainement pas aimer cela.” Quand les discours publics ont réuni une assistance de cent personnes ou plus et que de nombreuses publications étaient distribuées, le président fit de nouveau appeler frère Montás et lui dit : “Dr Montás, il y a beaucoup plus de personnes qui assistent aux réunions des témoins de Jéhovah que vous organisez qu’il n’y en a aux réunions du parti.” Frère Montás expliqua qu’il n’y était pour rien étant donné qu’il n’avait pas été chargé d’organiser les réunions du parti. Si les membres du parti étaient animés des mêmes mobiles, ils obtiendraient à coup sûr les mêmes résultats. Le président lui dit alors que Trujillo n’aimait pas cette religion et qu’il ferait bien de cesser de tenir des réunions et de récupérer toutes les publications qui avaient été distribuées. Frère Montás répondit que c’était la vraie religion et que, par conséquent, il ne pouvait pas y renoncer ; cette religion n’était en aucune façon opposée au gouvernement ou au peuple. Quant aux publications, il n’était pas possible de les rassembler.

Quelques jours plus tard une réunion s’est tenue au Palais provincial, à laquelle assistait le gouverneur, Dr José Benjamin Uribe, le sénateur, les députés, le président du parti local et d’autres personnalités. Les personnes qui avaient étudié la Bible chez elles et celles qui avaient assisté aux réunions furent interrogées. Elles nièrent être témoins. Frère Montás rapporte : “On m’a accusé de diriger un mouvement séditieux. J’ai finalement pu expliquer en quoi consistait l’activité accomplie par les témoins de Jéhovah. Ils avaient entendu que personne n’était témoin pour Jéhovah à San Cristóbal puisque tous avaient nié l’être ; mais il y en avait quand même un, et je n’avais pas l’intention de renoncer à être témoin. La nuit était maintenant tombée, et comme ils voyaient que je ne cesserais pas de parler, ils éteignirent la lumière. Je leur ai proposé une étude biblique à leur domicile ou au mien, selon leur convenance.”

Marcos, prêtre catholique qui avait été extrêmement contrarié par les réunions publiques, mit en garde les gens du haut de la chaire, leur disant de ne pas aller à la pharmacie, car la police secrète relevait les noms de tous ceux qui y pénétraient. Les habitants de la ville ont donc fui la pharmacie et la clinique dentaire.

Frère Montás poursuit en ces termes : “En ce moment crucial de ma vie, Lennart Johnson, qui avait étudié avec moi dans la capitale, arriva chez nous. Il sortit sa Bible et son livre, et nous avons étudié comme à l’accoutumée. Cela correspondait à la corde qu’on lance à l’homme qui se noie ou au tonique puissant qui revigore le cœur défaillant. Je me suis senti tout ragaillardi.”

Le colonel Alberto Mota conseilla fortement au frère Montás de ne pas aller à Santiago pour prononcer le discours de la Commémoration ; mais le frère lui expliqua qu’il était dans l’obligation de s’y rendre. Il y alla effectivement et y resta six mois — en prison. Relâché, frère Montás était constamment surveillé et on attenta plusieurs fois à sa vie. Il put néanmoins réorganiser les réunions, clandestinement bien entendu. Le “Père” Marcos n’abandonnait pas la lutte. Frère Montás fut de nouveau emprisonné pendant trois mois, accusé cette fois de prêcher dans les rues de San Cristóbal. Voici ce qu’il nous rapporte : “Je me suis battu comme un lion pour défendre ma foi, et ce souvenir me remplit toujours de joie. Lorsque je suis passé devant la cour d’appel, certains ont dit après le jugement que j’avais donné l’impression d’être le juge et que les cinq juges ressemblaient à des accusés. J’ai dit aux juges de prendre garde, car ils me jugeaient en tant que témoin de Jéhovah, et Jéhovah a dit que celui qui touche à l’un de ses témoins touche à la prunelle de son œil. Peu de temps après, le président de la cour mourut d’un cancer.”

Pourchassé de nouveau, frère Montás resta caché pendant neuf jours entre le plafond et le toit en tôle de sa maison. Sa femme était au bord de la dépression nerveuse. La maison était encerclée par les gardes. Frère Montás ne cessa pas de prier Jéhovah. Tout à coup, une pluie torrentielle se mit à tomber. Frère Montás priait toujours. Tous les gardes entrèrent dans la pharmacie pour se mettre à l’abri. C’était le moment tant attendu par frère Montás. Il sortit et héla un taxi qui passait. Deux gardes se sont alors montrés. La fille aînée de frère Montás se glissa dans la voiture et prit place à côté de son père. Les gardes la dévisagèrent, fascinés, sans même jeter un coup d’œil sur frère Montás qui priait toujours Jéhovah Dieu. Au passage de plusieurs postes de contrôle, les gardes relevèrent le nom et le numéro du permis de conduire du chauffeur, mais aucun d’eux ne remarqua frère Montás. Il arriva sain et sauf au domicile de Raymond Johnson dans la capitale, où il resta quelques mois. En revenant chez lui il se fit arrêter par deux fonctionnaires, et il passa deux ans et neuf mois à la prison La Victoria.

L’OPPOSITION MONTE

La toute première assemblée de circonscription tenue en république Dominicaine fut un événement joyeux. Cela se passait en septembre 1949, et nous étions réunis dans un grand entrepôt de tabac à Santiago. Bien qu’il y eût une coupure de courant le premier soir et que le programme fût présenté dans le noir et sans sonorisation, les frères étaient heureux d’être réunis pour leur première assemblée. Il y eut 260 personnes au discours public le dimanche, et 28 baptêmes.

Frère J. M. Steelman, qui était venu plusieurs fois déjà dans l’île, assista en qualité de représentant itinérant de la Société à la deuxième assemblée, qui eut lieu en décembre dans la capitale. John Gilbert se souvient qu’en cette occasion des membres de la police secrète interrogèrent des frères quant à leur attitude envers le gouvernement, le paiement des impôts et le service militaire.

Cela laissait prévoir ce qui allait suivre, et nos frères voués commencèrent à affronter de réelles difficultés. L’Invasion de Luperón, qui fut la première tentative importante visant à mettre fin au règne de Trujillo, avait été rapidement refoulée, mais à la suite de cela, le gouvernement de Trujillo commença à jeter en prison ceux qui refusaient d’accomplir leur service militaire et quiconque était considéré comme un ennemi du régime. Lors de leur jugement, ils furent condamnés à des peines d’emprisonnement. Voici un exemple vous montrant comment les choses se sont passées.

León Glass et Francisco Madera étaient employés dans une entreprise dirigée par un beau-frère de Trujillo, Ramón Savinón Lluberes. Devenus témoins de Jéhovah, ils ont commencé à commettre le “grave péché” qui consiste à manquer les réunions politiques. Après l’échec de l’Invasion de Luperón, les employés du gouvernement ont reçu l’ordre d’envoyer des télégrammes proclamant leur loyauté à Trujillo. Savinón Lluberes a donné le même ordre à tous ceux qui travaillaient sous sa direction. Les frères ont refusé de signer. Le chef comptable Rafael Chávez déclara alors : “Aquí el que manda es Trujillo y hasta Jehová que baje del cielo se tiene que someter.” (Ici, c’est Trujillo qui commande ; même si Jéhovah descendait du ciel, il devrait se soumettre à lui.) Frère Glass répondit : “Si je signais, cela reviendrait à déclarer véridique le blasphème que vous venez de prononcer.”

Le mardi suivant, ces deux frères étaient arrêtés et interrogés par le colonel Ludovino Fernández, commandant de la place (Fort Ozama), et par García Oliva, chef des services de renseignements. Ils désiraient connaître le nombre des témoins de Jéhovah actifs dans le pays, la raison pour laquelle les périodiques Réveillez-vous ! et La Tour de Garde étaient diffusés et le nom des hommes en âge d’accomplir le service militaire. Les renseignements fournis ont provoqué l’arrestation d’Enrique Glass, de Demetrio Basset et de Santiago Piña. Ils ont été relâchés et appelés directement sous les drapeaux, alors que normalement l’appel se faisait par tirage au sort. On les a condamnés à cinq jours d’arrêt, mais on les a gardés en réalité trois jours de plus, pour inclure le week-end, de manière à relever le nom des visiteurs du dimanche. Arrêtés de nouveau le lendemain de leur mise en liberté, ils ont été condamnés à un an et demi de prison. Cette fois, Rafael Glass faisait partie du groupe des condamnés. Les prisonniers et les gardes les tourmentaient jour et nuit pour proclamer leur loyauté à Trujillo. Le colonel Fernández dit : “Eh ! les témoins de Jéhovah, quand vous serez décidés à devenir les témoins du Diable, prévenez-​moi, et je vous laisserai sortir.” D’autres se moquaient en disant : “Que Jéhovah vous fasse sortir !”

Un mois et vingt jours après la fin de leur peine, on les arrêtait de nouveau. Ils étaient accusés de refuser d’accomplir leur service militaire en période critique, de diffamer un fonctionnaire, d’appartenir à une secte dissoute connue sous le nom de Témoins de Jéhovah et de prêcher en dépit de l’interdiction de l’œuvre. Cette fois, ils ont été condamnés à cinq ans de prison.

León Glass rapporte : “Jéhovah nous a toujours aidés à endurer, et même à certains petits détails nous pouvions reconnaître son intervention en notre faveur. Lorsqu’on nous battait avec des bâtons, des fouets et des fusils, nous le supportions bien, car Jéhovah nous donnait la force d’endurer ces épreuves et d’autres encore.” Au bout d’un certain temps, la conduite des frères en prison inspira le respect et la confiance des gardes et des responsables. Roy Brandt, qui était serviteur de filiale à l’époque, rapporte que ces frères se virent confier par la suite des tâches qu’on ne laissait même pas aux soldats. Par exemple, les témoins en captivité ont été autorisés à entrer dans le centre de communications où Trujillo avait installé un matériel de radio et d’enregistrement pour contrôler les programmes radiophoniques diffusés en Amérique latine, de manière à savoir ce que les autres nations pensaient de lui et de son gouvernement. Parmi les frères affectés à cette tâche il y eut León et Enrique Glass, Francisco Madera et Demetrio Basset.

Au printemps de 1950, le secrétaire d’État à l’Intérieur et à la Police demanda à frère Brandt de soumettre aux autorités une lettre précisant la position des témoins concernant le service militaire, le salut au drapeau et le paiement des impôts. Le frère consigna par écrit les renseignements fournis dans le livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai !” Environ un mois passa, pendant lequel l’Église catholique intensifia sa campagne d’opposition contre notre organisation. Les prêtres écrivirent de longs articles contre les témoins de Jéhovah, les identifiant aux communistes. Ces articles étaient publiés dans la presse locale. Des communiqués transmis par la station de radio officielle, La Voz Dominicana, renforcèrent encore la campagne dirigée contre les témoins de Jéhovah. Des écrivains locaux comme Ramón Emilio Jiménez, Marrero Aristy et Horacio Ortíz Alvarez apportèrent leur contribution à la campagne d’opposition manifestée à l’égard du peuple de Jéhovah. Le “Père” Robles Toledano apporta son concours en parlant en mal de ceux “qui se font improprement appeler témoins de Jéhovah” et “des partisans du jéhovisme”.

Le 21 juin 1950, un messager se présenta à la maison des missionnaires pour informer frère Brandt que le secrétaire d’État à l’Intérieur et à la Police désirait le voir. Il se rendit immédiatement au bureau de celui-ci. Frère Brandt nous rapporte comment les choses se sont passées : “En arrivant, j’ai d’abord vu la jeep des services de presse et des photographes ; j’ai pensé qu’un personnage important venait d’arriver ou allait sortir. Je n’ai toutefois pas eu à attendre longtemps pour connaître la raison de cette agitation. Tandis que j’attendais mon tour, j’ai vu deux prêtres catholiques jésuites revêtus de leur robe blanche entrer dans le bureau du secrétaire d’État et en sortir. Ayant été appelé, je suis entré dans le bureau et me suis fait connaître comme témoin de Jéhovah. On m’a alors prié d’écouter la lecture du décret faite par le secrétaire d’État à l’Intérieur et à la Police, M. Antonio Hungría, qui était très nerveux. Après la lecture du décret interdisant l’activité des témoins de Jéhovah dans le pays, j’ai demandé si les missionnaires devaient partir. Il m’a assuré que nous pourrions rester aussi longtemps que nous obéirions aux lois, que nous ne prêcherions pas et ne parlerions pas aux gens de notre religion. De toute façon, le chef de la police, Ludovino Fernández, veillerait à ce que nous nous conformions à ce décret. Le lendemain, je figurais sur les journaux, tenant à la main le décret interdisant l’activité des témoins de Jéhovah en république Dominicaine.”

D’après le décret, l’interdiction était due au fait que les témoins de Jéhovah défendent à leurs prosélytes de faire de la politique et leur prescrivent de suivre la loi uniquement lorsqu’elle est en harmonie avec les principes justes, donnant ainsi libre cours à l’anarchie et au désordre. Il est également interdit aux disciples de s’engager dans l’armée et de rendre un culte au drapeau. Le décret mentionnait aussi que la présence depuis de nombreuses années des autres religions dans le pays démontre qu’il est possible de garder sa foi religieuse tout en respectant la loi, comme il convient, et que ces religions peuvent, par conséquent, exercer leur culte sans entrer en conflit avec le gouvernement.

Que faire ? Suivant le décret du gouvernement la prédication devait cesser ; mais selon le décret de Dieu, la prédication de la “bonne nouvelle” devait se poursuivre, avec ou sans l’assentiment des hommes. Des personnes qui étudiaient la Bible ont été averties qu’elles seraient jetées en prison si elles permettaient aux témoins de leur rendre visite. Les Salles du Royaume ont été fermées. Les frères ont reçu l’ordre de cesser toutes leurs activités, et les maisons des missionnaires faisaient l’objet d’une surveillance constante. À chacune de leur sortie les missionnaires étaient suivis, et quiconque s’approchait de leur maison recevait un avertissement.

À la fin de 1950, lorsque frères Knorr et Henschel ont visité le pays, certains missionnaires ont été affectés à Porto Rico, au Guatemala et en Argentine. D’autres ont trouvé un travail profane comme professeur d’anglais et d’autres encore ont obtenu un emploi à la Compagnie d’électricité. C’était, par exemple, le cas de Roy Brandt, qui travaillait comme chronométreur et avait accès à toutes les génératrices, aux disjoncteurs et aux chaudières. De toute évidence, le gouvernement ne se préoccupait pas outre mesure de ses prétendues relations avec les communistes ! Grâce à ce travail profane, les frères ont pu contribuer au loyer des maisons utilisées pour leurs réunions. Ainsi, les réunions se tenaient en dépit des difficultés. Dans l’une de ces maisons, les meubles d’une chambre à coucher donnant sur la cour étaient montés sur roulettes ; il était donc facile de les déplacer pour installer quinze à vingt chaises pour une réunion englobant l’étude de La Tour de Garde, la réunion de service et l’École du ministère théocratique.

La Commémoration était célébrée par petits groupes ; il n’était pas rare qu’un orateur prononce trois discours dans la même soirée, à trois endroits différents. Souvent, il pleuvait beaucoup ce soir-​là, une pluie bienfaisante, puisqu’elle obligeait les espions à quitter leur poste de surveillance dans les rues pour se mettre à l’abri. Comme nous l’avons déjà vu, c’est une telle averse qui a permis à frère Luis Montás de s’enfuir de San Cristóbal. Frère Raymond Johnson a vécu des expériences semblables alors qu’il était étroitement surveillé à Santiago, où il avait été affecté. Lorsqu’il sortait de chez lui pour aller conduire une étude, il était suivi. Il se mettait en route et faisait de nombreux détours en contournant plusieurs pâtés de maisons jusqu’à ce que l’espion qui le suivait se fatigue et l’abandonne. Fréquemment il se mettait tout à coup à pleuvoir, et tandis que l’espion cherchait un abri, frère Johnson poursuivait sa route pour effectuer une nouvelle visite.

Frère Julio Ditren se fit baptiser en 1955, devenant membre de l’organisation à une époque de grandes persécutions. Son foyer servait de lieu de réunion, mais il n’a jamais eu d’ennuis sérieux. Il avait un ami qui n’était pas témoin, mais qui était un véritable ami. Cet homme travaillait pour le gouvernement et en étroite relation avec les services de police. Certains jours, cet ami disait à frère Ditren : “Ne tenez pas votre réunion cette semaine.” Immanquablement, cette semaine-​là des espions surveillaient la maison ou bien y pénétraient. Quelque temps plus tard, l’ami disait : “Tout va bien maintenant, vous pouvez de nouveau vous réunir.” De toute évidence, les autorités avaient jugé que la maison n’était pas un lieu de réunion.

L’ŒUVRE SE POURSUIT SOUS L’INTERDICTION

À cette époque-​là, il était absolument vital de pourvoir régulièrement à la nourriture spirituelle. Le fait que La Tour de Garde n’ait pas cessé de nous parvenir, par le courrier, par un messager ou par tout autre moyen, est un témoignage merveilleux de la sollicitude et de l’amour de Jéhovah à notre égard. Le contrôle étant sévère, le moyen le plus sûr était le messager. L’un d’eux nous dit comment cela se passait :

“À l’aéroport de Ciudad Trujillo (Saint-Domingue), au moment où le voyageur accomplissait les formalités de douane, un douanier le conduisait à un endroit précis et lui demandait de lire une inscription sur le mur. Il s’agissait en réalité d’une ruse, car derrière le mur se trouvait un appareil à radioscopie pour détecter les armes. Je me suis souvent demandé à quoi ressemblaient, sur l’écran, les agrafes des périodiques. Quoi qu’il en soit, au cours de toutes ces années aucune publication n’a jamais été découverte. Parfois, c’était comme si Jéhovah aveuglait ces hommes, tout comme il l’avait fait avec ceux de Sodome et avec les soldats de l’armée syrienne qui cherchaient à capturer le prophète Élisée (Gen. 19:4-11 ; II Rois 6:15, 18-20). Une fois en possession des périodiques, les frères polycopiaient les articles d’étude et les diffusaient dans tout le pays.”

Nous étions très prudents dans le service du champ. Les livres étaient désassemblés de manière à pouvoir placer quelques feuilles pliées dans la poche d’une chemise ou dans un sac à provisions, sans attirer inutilement l’attention. Les livres d’étude étaient laissés chez l’étudiant ; ainsi le proclamateur pouvait circuler sans transporter de publications. Les frères remettaient des feuilles de rapport qui ressemblaient à des listes d’achats ; on y trouvait par exemple les termes lechosa, frijoles, huevos, repollo, espinaca (papayes, haricots, œufs, choux et épinards) pour livres, brochures, heures, etc. On appelait yucca, une racine comestible de la famille des féculents, La Atalaya (La Tour de Garde).

Évidemment, il n’était pas nécessaire d’être pris avec des publications pour se faire arrêter, témoin le cas de Lucía Pozo. Elle venait d’assister à l’assemblée de New York, en 1950, lorsque des policiers l’ont abordée et arrêtée. Elle avait avec elle un sac contenant un savon, une serviette et des cosmétiques. On ne sait par quelle transformation ces choses devinrent des périodiques La Tour de Garde et une Bible lors de son jugement. Au poste de police où on l’avait conduite, le chef l’a reprise sévèrement, lui disant que c’était une communiste, une dévergondée, une vagabonde et une ennemie du gouvernement. Elle a été envoyée à la prison des femmes puis transférée à San Cristóbal. Interrogée à plusieurs reprises, on lui a demandé si elle était au courant que l’œuvre des témoins de Jéhovah avait été interdite. Lucía répondit : “Le culte que je rends à Jéhovah n’est pas proscrit.” On lui a alors rappelé que “dans ce pays, c’est à Trujillo qu’il faut obéir”.

Tel ‘un sac de pommes de terre’, pour reprendre son expression, sur la plate-forme d’un camion, sœur Pozo a été transférée à Pedernales, près de la frontière haïtienne. Là, la plupart des gardes l’ont bien traitée. Ils laissaient sa cellule ouverte et lui permettaient de laver ses vêtements dans un cours d’eau coulant sous les arbres, l’avertissant de regagner immédiatement sa cellule lorsque le capitaine Almanzar s’approchait, car tous vivaient dans la crainte de cet homme. Quand l’un des gardes lui a fait des propositions déplacées, le docteur, l’ayant entendu, intervint en sa faveur. Sœur Pozo était déterminée à prouver que le chef de la police, qui lui avait lancé tant d’injures au visage, n’était qu’un menteur et qu’elle ne ferait rien qui déshonorerait Jéhovah. Après sa libération, elle a continué de servir fidèlement Jéhovah et à l’heure actuelle elle est pionnier spécial à Saint-Domingue. Pendant cette période, la visite hebdomadaire aux prisons occupait une place importante dans la vie des frères. Ils apportaient de la nourriture et d’autres choses nécessaires à leurs compagnons de service emprisonnés. Le dimanche, avant 14 heures, les visiteurs faisaient la queue dans la rue, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Un soldat relevait le nom et le numéro de la Cédula (carte d’identité) de chaque visiteur. Les hommes étaient fouillés. Les frères recevaient des denrées alimentaires, mais également de la nourriture spirituelle. Leurs visiteurs étaient autorisés à apporter une nourriture variée. Parfois, il était possible de mettre deux sacs en papier l’un dans l’autre et de glisser quelques feuilles d’un périodique ou d’une brochure entre les deux ; on remplissait ensuite le sac de fruits. Le gardien examinait attentivement les fruits, mais il ne songeait pas à regarder entre les deux sacs, pensant que le second sac servait à renforcer le premier pour que le jus des fruits ne s’écoule pas de celui-ci. Les sœurs cachaient quelques feuilles d’une publication dans leurs vêtements. Ainsi, nos frères en prison demeuraient forts spirituellement.

À l’intérieur de ces murs, les prisonniers avaient des privilèges de service. León Glass raconte que les prisonniers étaient affectés à un travail sur des terrains militaires dans la capitale et à l’intérieur du pays, et qu’ils faisaient connaître la “bonne nouvelle” à tous ceux qu’ils rencontraient. Certains militaires se sont montrés aimables envers eux et les ont même aidés à obtenir des publications. Pendant plusieurs mois, les frères ont été occupés à couper l’herbe le long de la route menant à Mella. L’un de ces prisonniers rapporte : “Sur les quarante-sept kilomètres de route, nous avons travaillé de maison en maison en compagnie des gardiens. Comme c’était agréable !”

À l’intérieur de la prison, les frères allaient de cellule en cellule et de lit en lit. Certains de ceux qui ont reçu le témoignage sont maintenant serviteurs dans des congrégations ; c’est le cas de Manuel Tamayo et de Manuel Rincon. Parmi ceux qui sont devenus témoins en prison, deux ont été assassinés. L’un, Guarionex Vargas, a connu ce sort parce que son neveu avait trempé dans un complot dirigé contre Trujillo. Après avoir reconnu la cruauté des traitements infligés aux témoins de Jéhovah, Ramón Alberto Ferreras, prisonnier politique, a écrit à la page 140 de son livre “Preso” (Prisonnier), ce qui suit : “L’Harmaguédon du jugement dernier, les excellentes choses auxquelles aspirent les justes, les calamités qui attendent l’humanité, d’après la Révélation et les autres thèmes bibliques ou théologiques, nous en avons entendu parler dans les cellules A et B lorsque le groupe de témoins conduits par un homme appelé Montás, de San Cristóbal, étaient parmi nous.” Si on se réfère au livre de M. Ferreras, il semble que les témoins de Jéhovah aient complètement été dissous à cette époque, mais il n’en fut rien, car leur nombre n’a cessé de croître. La prédication à laquelle cet homme se réfère n’est autre que la disposition prise par les frères en prison pour que chaque jour un “discours public” soit entendu depuis la cellule. La prison étant semblable à un donjon, la voix pouvait atteindre plusieurs blocs cellulaires et même la section réservée aux femmes, d’où l’on entendait parfois la question suivante : “N’y aura-​t-​il pas de sermon aujourd’hui ?”

UN RÉPIT — ET DE NOUVEAU DES NUAGES MENAÇANTS

Le 16 juin 1954, Trujillo signa un concordat avec Rome, promettant d’accorder un régime de faveur au clergé catholique romain. En 1955, il devint “Padre de la Patria Nueva” (Père de la nouvelle Patrie) et on célébra à Ciudad Trujillo la Manifestation de la paix et de la confraternité du monde libre. Dans ce “monde libre” l’interdiction durait depuis cinq ans. Comme le souligne l’Annuaire des témoins de Jéhovah 1956, la majorité des proclamateurs n’avaient jamais vu un exemplaire du périodique La Tour de Garde ou de l’Informateur (aujourd’hui Notre ministère du Royaume). Beaucoup n’avaient jamais présenté de publications de porte en porte. La plupart des proclamateurs n’avaient jamais assisté à une réunion publique ou à une assemblée. Ils ne connaissaient pas et ne chantaient pas les cantiques à la gloire du Royaume, mais ils avaient l’esprit de Jéhovah qui les rendait forts.

On a alors demandé à Raymond Franz, missionnaire à Porte Rico, de remettre en main propre une pétition au dictateur Trujillo, pour lui demander la levée de l’interdiction. D’après les différents frères qu’il avait rencontrés, le meilleur moyen de voir Trujillo était de lui envoyer un télégramme pour lui demander audience. Frère Franz rédigea le texte de son télégramme en ces termes : “C’est avec respect que je sollicite de Votre Excellence la faveur d’une brève audience. Un enseignant américain qui a entrepris un voyage de 11 000 kilomètres possède des renseignements d’une grande importance pour vous et pour votre pays.” Frère Franz nous fait le récit suivant :

“Le lendemain, un message téléphonique laissé à l’hôtel me priait de me présenter au Palais national le jour suivant à 8 heures du matin. Ce matin-​là, je suis donc allé aux portes du palais et, après avoir attendu que l’orchestre jouât l’hymne national devant les personnalités du gouvernement debout aux nombreux balcons du palais, j’ai été autorisé à passer la guérite de la sentinelle de faction à la porte et à monter le grand escalier menant au palais.

“Après avoir été abandonné dans différents salons pendant environ une heure et avoir eu une brève conversation avec un général dominicain, j’ai été conduit à travers un corridor jusque dans une pièce où se tenaient quatre officiers. Ils me firent alors emprunter un passage assez étroit donnant sur une grande pièce. Ce n’est qu’après avoir pénétré dans celle-ci que j’ai vu le dictateur, se tenant debout près d’un grand bureau. Je ne m’attendais certainement pas à le voir si facilement.

“Après les salutations d’usage et quelques remarques aimables sur le pays, j’ai expliqué, en espagnol, en quoi consistait ma mission : représenter une organisation internationale en qualité d’émissaire chargé de lui soumettre une pétition. Je lui ai d’abord remis une lettre de recommandation, puis je lui ai soumis la pétition. Après mes salutations, Trujillo n’avait prononcé aucune parole ; il semblait nerveux, ne sachant à quoi s’attendre. Il a commencé à lire la pétition et s’est arrêté très vite pour me regarder. Je lui ai alors dit que notre Société désirait lui faire savoir combien elle regrettait que notre religion fût la seule à être interdite dans son pays, et que les témoins de Jéhovah étaient connus dans le monde entier pour être des citoyens pacifiques, respectueux et travailleurs. C’était la première fois que le nom de ‘témoin de Jéhovah’ était prononcé, et de toute évidence il ne l’avait pas encore lu sur la pétition. En entendant ces paroles, il a ‘explosé’, disant que les témoins refusent d’accomplir le service militaire et de saluer l’emblème national. Je lui ai dit que la pétition expliquait les raisons de cette attitude, qui n’était pas motivée par des convictions politiques mais religieuses et par motif de conscience. Nous avons encore échangé quelques propos, puis il s’est levé, mettant ainsi fin à l’entretien. À ma grande surprise, il m’a tendu la main. En la lui serrant, je lui ai dit que j’étais à son entière disposition pour répondre aux questions susceptibles de lui venir à l’esprit après avoir lu la pétition, et je suis parti.”

En 1956, l’interdiction était levée. C’était presque trop beau pour être vrai. Les frères ont appelé au téléphone le secrétaire d’État aux Cultes qui les a rassurés en ces termes : “Vous êtes vraiment libres, entièrement libres de pratiquer votre religion comme vous le faisiez par le passé.” Un frère a alors épousseté son porte-documents dans lequel il a mis une Bible et des livres, et, brandissant le journal d’une main, il est monté sur sa bicyclette et a parcouru la petite ville où il habitait en criant : “L’œuvre des témoins de Jéhovah est libre, l’œuvre est libre !” Sortant par la porte de derrière, sa femme a répandu la même nouvelle parmi les voisins. Ce fut une époque de grandes réjouissances.

Le travail a immédiatement été réorganisé. On a cherché des Salles du Royaume et on a tracé de nouveau les territoires et composé les fichiers des congrégations. Les frères ont commandé des publications et des périodiques qui leur sont parvenus sans difficulté. Avant l’interdiction, il y avait 261 proclamateurs ; lorsque celle-ci fut levée au mois d’août, il y en avait 522 et en novembre ils étaient au nombre de 612.

Environ sept mois après la levée de l’interdiction, l’envoi des périodiques a été interrompu et la presse a commencé à publier des articles dans lesquels on qualifiait les témoins de Jéhovah de “communistes”. Le serviteur de filiale, Roy Brandt, s’est donc renseigné auprès du receveur des postes au sujet des périodiques et de la situation en général. Cet homme, un colonel, l’a interrogé au sujet des croyances des témoins de Jéhovah, lui demandant qui étaient les “princes” appelés à régner dans l’ordre nouveau. Pendant plus d’une heure, le frère a parlé des bénédictions que les hommes connaîtraient sous l’administration du Royaume. Le colonel a appris à frère Brandt qu’il avait une pièce entièrement remplie de périodiques, mais que Trujillo lui avait donné l’ordre de ne pas les distribuer. Ces périodiques ont été envoyés à la filiale de Porto Rico, aux frais du gouvernement dominicain.

Le 30 juin 1957, le prêtre jésuite Vásquez Sanz exposa clairement, dans un discours radiodiffusé, le point de vue de l’Église catholique sur la levée de l’interdiction permettant au peuple de Jéhovah de déployer ses activités. Il traita les témoins de Jéhovah de communistes, disant qu’ils haïssaient l’ordre sous toutes ses formes, et lança encore d’autres fausses accusations qui ont toutes été reproduites dans les journaux locaux. Des articles semblables paraissaient chaque jour. Le prêtre catholique romain Robles Toledano dit que les témoins de Jéhovah étaient une tumeur cancéreuse qu’il fallait faire disparaître de la république Dominicaine. Le 3 juillet, dans un article intitulé “Témoins de Moscou”, El Caribe (un journal local) publia : “Par l’essence même de leurs principes doctrinaux, les témoins de Jéhovah ressemblent à un commando de communistes rusés.” Le 8 juillet, le même journal publiait : “Il ne fait aucun doute que le mouvement jéhoviste est une dangereuse tête de pont chargée de préparer la voie au dévastateur communiste.” Nous subissions de continuelles attaques. On disait des témoins de Jéhovah qu’ils transgressaient la loi, ne respectaient pas le drapeau et l’hymne national ; aussi une terrible vague de persécution a-​t-​elle déferlé sur nous.

Dans la région de Salcedo, tous les frères des congrégations de Los Cacaos, de Blanco Arriba et de Monte Adentro ont été arrêtés, et on leur a demandé de signer une déclaration par laquelle ils renonçaient à leur foi et promettaient de revenir à l’Église catholique romaine. On les a frappés au visage, battus, roués de coups de crosse de fusil puis jetés dans une cellule remplie de détenus. Les sœurs, enfermées dans une autre cellule, les ont entendus gémir toute la nuit.

Le lendemain matin, un par un, les serviteurs de ces congrégations ont été conduits dans un bureau. José Jiménez (soixante-cinq ans) a été traîné dehors, saignant et inconscient. Pedro German (trente-cinq ans) en est ressorti tout ensanglanté. Angel Angel (soixante ans) était inconscient et saignait de la bouche et du nez. Pedro González (soixante ans) en est revenu les yeux si gonflés qu’il ne pouvait les ouvrir, et son fils Porfirio (vingt-cinq ans) était inconscient et saignait de l’oreille, le tympan crevé.

À Santiago, Miguel Angel Fernández et Maximo Lopez ont reçu chacun vingt et un coups de fouet. À la prison La Victoria, située dans la capitale, certains ont été mis pendant huit jours au maïs et à l’eau. Dans une autre prison, un frère a tenu pendant trois jours avec, pour seule nourriture, un petit bonbon. Cordelia Marte, âgée de quinze ans, a été amenée devant le général Ludovino Fernández, à Salcedo. Il a commencé à parler en mal des témoins de Jéhovah, disant qu’il n’était pas difficile de voir qu’ils étaient à la solde de Moscou, car ils erraient et n’avaient même pas d’église. La jeune fille lui a demandé s’il connaissait la signification du mot “église”. Il s’est alors fâché, disant qu’ils étaient en droit de “la tailler en pièces, de l’écraser contre un mur jusqu’à ce que sa tête éclate, et de l’envoyer ensuite en un endroit où elle n’empesterait pas”. Il cria aux soldats : “Emmenez-​la et enfermez-​la sans aucune considération !” Elle a ensuite été transférée au Fort à Santiago puis à la maison de correction pour femmes, dans la capitale, où elle a partagé une cellule avec Ramonita, jeune témoin de douze ans.

En tout, quelque 150 frères ont été arrêtés, bon nombre d’entre eux avant que l’interdiction ne soit officiellement publiée le 24 juillet. Cette interdiction était plus grave en ce sens qu’elle était intervenue par décret présidentiel et avait été ratifiée par une loi du Congrès, tandis que la première émanait du secrétaire d’État à l’Intérieur. Cette seconde interdiction avait été proclamée sur les instances du sénateur Monseigneur Sanabia et d’un autre député également prêtre. Ce décret spécifiait que les doctrines des témoins de Jéhovah constituaient une transgression des principes fondamentaux de la république Dominicaine. À l’époque où le Sénat était en faveur de cette loi, Monseigneur Pérez Sánchez, également sénateur, a déclaré que ce fut là “un moment heureux” pour le Sénat.

Le colonel Arturo Espaillat de la police militaire fit appeler frère Brandt pour lui dire que les missionnaires avaient trente jours pour se préparer à quitter le pays. Ils ont donc commencé à vendre leurs meubles et ont déménagé la machine à polycopier, puis ils ont montré à Donald Nowills et à León Glass comment s’en servir. Frère Brandt poursuit son récit en ces termes : “Environ dix jours avant la date de notre départ, les dix missionnaires ont été convoqués au Service des renseignements de l’Armée et interrogés. Le colonel Espaillat pensait que nous achèterions des billets d’avion et quitterions le pays sans qu’il ait à intervenir. Nous lui avons expliqué que la date de notre départ dépendait de lui, car nous n’avions pas l’intention d’acheter de billets pour partir étant donné que nous désirions rester. Il a alors compris qu’il faudrait nous expulser. Il dit : ‘Très bien, si vous voulez jouer les martyrs, nous vous chassons.’ Je lui ai demandé de faire venir un représentant officiel du gouvernement pour qu’il nous conduise à l’aéroport. Il a fait envoyer deux taxis dans lesquels se trouvaient Cholo Villeta, un ‘tueur à gages’ bien connu utilisé par le gouvernement, et un autre représentant ; tous les dix, nous nous sommes entassés dans les deux taxis avec nos valises et nous avons gagné l’aéroport, où les représentants du gouvernement ont acheté nos billets pour Porto Rico. Une sœur est venue nous regarder partir, mais un policier aimable a dit à sœur Johnson de la prier de partir rapidement, car ils avaient reçu l’ordre d’abattre quiconque se montrerait notre ami.

“En arrivant à Porto Rico, nous avons rencontré des cameramen et des reporters de la presse. Les journaux de Porto Rico ont publié notre photo (à tous les dix) et l’histoire de notre expulsion. Cela a été un grand témoignage.” C’était le 3 août 1957.

En république Dominicaine, l’œuvre avait été laissée entre les mains d’un jeune frère âgé de vingt ans, qui avait été baptisé quatre ans seulement auparavant. Lorsque Donald Nowills avait été nommé serviteur adjoint d’une congrégation, en 1956, c’était la première fois qu’il entendait parler de cette fonction. Ensuite, il a été nommé serviteur de congrégation. Puis, en mars 1957, il est devenu serviteur de circonscription. À cette époque, chaque fois que les policiers le cherchaient dans une congrégation, il était déjà dans une autre. Un jour, il est revenu dans le petit village de Monte Adentro pour prendre quelques effets personnels. Gabriel Almanzar lui a proposé de parcourir avec lui les quatre kilomètres qui les séparaient de Salcedo. Frère Nowills lui dit que cela n’était pas nécessaire, qu’il trouverait aisément son chemin ; il est donc parti seul. Cet après-midi-​là, lorsque frère Almanzar s’est rendu dans la ville, il a rapidement été reconnu et une émeute s’est formée autour de lui, les gens criant : “Un témoin ! C’est un témoin !” Les gardes sont arrivés et l’ont emmené. Il était le premier du groupe de frères de la région de Salcedo à être arrêté et battu. Si frère Nowills avait été avec lui, il aurait certainement partagé le même sort.

Lorsque frère Nowills s’est occupé de la filiale après l’expulsion des missionnaires, tout était nouveau pour lui, il avait tout à apprendre. Il a beaucoup apprécié les visites de frère Bivens, serviteur de zone, et de Raymond Franz, qui l’ont aidé à résoudre les problèmes relatifs à l’organisation du travail et à régler les difficultés créées par des hommes ambitieux qui cherchaient à occuper une position dans l’organisation. Petit à petit, le travail a été mieux organisé. Les frères ont appris la manière d’aller de maison en maison en dépit de l’interdiction. Dans certains secteurs ruraux, après la vague de violentes persécutions, les frères n’avaient pas osé organiser de réunions. Puis certains ont commencé à étudier ensemble en se réunissant dans des endroits retirés, au milieu des caféiers. Ils étaient certains qu’un serviteur de circonscription ne pourrait pas les atteindre sans se faire arrêter, mais finalement, au bout de deux ans, un essai a été tenté. Guidé par un autre frère, Felix Marte a pénétré dans la région après la tombée de la nuit. Lors de la première réunion, vingt et une personnes étaient présentes ; auparavant, elles avaient toutes abandonné l’œuvre à cause de la persécution. La deuxième nuit, frère Marte a rencontré un autre groupe de trente personnes ; la nuit suivante, avec son compagnon il a parcouru onze kilomètres, parfois dans la boue jusqu’aux genoux, pour visiter un autre groupe. Il lui a fallu trois heures pour atteindre le lieu de la réunion. Lorsque les dix-sept frères sont sortis pour lui souhaiter chaleureusement la bienvenue ainsi qu’à son compagnon, tous deux ont oublié leur grande fatigue, et la réunion a commencé à 22 h 15. Lors de ce voyage, frère Marte a pu aider et conseiller quelque soixante frères.

QUAND DES BANDITS SE BROUILLENT

Généralement, ceux qui s’associent pour faire le mal s’aperçoivent qu’aucun lien puissant ne les unit, et des intérêts égoïstes finissent par les diviser. C’est ce qui s’est passé en république Dominicaine. Il devenait évident que les adversaires du régime s’enhardissaient, aussi Trujillo a-​t-​il commencé à connaître des moments d’inquiétude. Bien que ses troupes aient décimé, le 14 juin 1957, l’Invasion de Constanza, de Maimon et d’Ester Hondo, l’attaque a montré aux ennemis du gouvernement que le régime n’était pas inébranlable.

Les années 1960 ont commencé d’une manière spectaculaire avec la lecture dans toutes les églises catholiques d’une lettre pastorale. Cette lettre déclarait que l’Église ne pouvait pas rester insensible à l’affliction profonde dans laquelle étaient plongés un si grand nombre de foyers dominicains. Elle énonçait certains droits que tous les hommes devraient posséder et ajoutait : “Nous avons adressé une lettre officielle à la plus haute autorité du pays afin que cessent les excès qui ne causeront du tort qu’à ceux qui les commettent.” En réponse, le clergé a été prié de cesser toute activité politique ou de faire quoi que ce soit qui serait susceptible de troubler l’ordre public. À la suite de cela, le gouvernement a engagé les hostilités contre l’Église. L’une des mesures de représailles a été la levée de l’interdiction frappant les témoins de Jéhovah. Cela a eu lieu au printemps de 1960.

Frère Anton Koerber s’est renseigné auprès de l’ambassade dominicaine à Washington, et on lui a dit que désormais l’œuvre pouvait reprendre librement et que les missionnaires étaient de nouveau autorisés à entrer dans le pays. Jéhovah nous a certainement bénis en permettant que ceux-là mêmes qui avaient été expulsés puissent revenir comme missionnaires. Le 7 juillet 1960, nous avions la joie d’accueillir de nouveau frère et sœur Roy Brandt. Ils se sont mis au travail en qualité de missionnaires, laissant l’organisation de la filiale telle qu’elle était alors. Nous nous réunissions par petits groupes, ne sachant pas exactement jusqu’à quel point nous étions libres.

Entre-temps, les problèmes de Trujillo ne cessaient de croître. Le 24 juin 1960, on a attenté à la vie du président Betancourt du Venezuela, et le régime de Trujillo a été accusé d’avoir trempé dans le complot. À la suite de cet attentat, l’organisation des États américains a pris des sanctions. L’assassinat sauvage pour des raisons politiques des trois sœurs Mirabal, qui avaient participé au mouvement du 14 juin, a soulevé l’indignation dans tout le pays.

En janvier 1961, frère Milton Henschel, envoyé par le bureau du président, a visité la filiale. Il a aidé les frères à découper les territoires et à réorganiser le travail. Les groupes n’ont pas tardé à être visités régulièrement par deux serviteurs de circonscription. Le rétablissement des relations entre l’organisation et les frères était une manifestation d’amour, et a permis de les maintenir forts spirituellement. Les frères étaient très enthousiastes et ils ont commencé à offrir les périodiques dans les rues, mais frère Knorr leur a conseillé la prudence, car cette activité, qui n’était pas indispensable, risquait de contrarier nos adversaires. Il importait avant tout de faire connaître la “bonne nouvelle”, discrètement si nécessaire, en visitant les gens chez eux et en conduisant des études avec les personnes bien disposées.

Au printemps de 1961, nous avons encore reçu de l’aide grâce à l’arrivée de frère et sœur Salvino Ferrari, qui avaient de nombreuses années d’expérience dans le service missionnaire à Cuba. L’œuvre progressait. Afin de veiller sur les vingt congrégations et les nombreux noyaux d’isolés, trois serviteurs de circonscription ont été utilisés : les frères E. Glass, D. Nowills et H. Nicholas.

Le 30 mai 1961, Trujillo fut assassiné et les services secrets de la police ont ouvert une enquête minutieuse pour découvrir tous ceux qui étaient impliqués dans cette affaire. Seulement deux hommes ont pu échapper aux recherches en se cachant jusqu’à ce qu’ils soient amnistiés. Un certain nombre de missionnaires ont été transférés de Porto Rico en république Dominicaine, y compris frère et sœur Raymond Franz. Frère Franz rapporte : “Bien que l’œuvre fût de nouveau autorisée et les Salles du Royaume utilisées, la majorité des gens vivaient encore dans la crainte et hésitaient à nous parler lorsque nous allions de porte en porte. Le nom et la photo de Trujillo avaient encore leur place dans presque chaque foyer, et sur les murs des usines on trouvait encore des slogans comme ‘Dieu et Trujillo’, ‘Loué soit Trujillo’. Des slogans semblables figuraient même sur les bottes utilisées par les petits cireurs travaillant sur les places publiques.”

Le pays connut ensuite une crise politique. Les membres de la famille de Trujillo ont essayé de s’emparer du pouvoir, mais ils ont été forcés de s’enfuir du pays, à cause de la violente opposition de la population. Des grèves ont éclaté, la violence régnait, on entendait des coups de feu, des explosions, et il y avait des soldats partout. Les gens qui, quelques mois auparavant, adoraient Trujillo, se sont mis à détruire fanatiquement toutes ses statues et ses photos. Les maisons et les fermes appartenant à la famille de Trujillo et à ses associés ont été pillées. Les exilés politiques ont été amnistiés. Un conseil d’État a été formé pour diriger le pays. Joaquín Balaguer, qui avait été président sous Trujillo, fut nommé président du conseil. À la suite du mitraillage de plusieurs personnes, une junte militaire s’est saisie du pouvoir. Balaguer a trouvé asile dans le bureau du nonce apostolique et on lui a accordé un sauf-conduit pour se rendre à Porto Rico. Echavarría, chef de l’armée, a été envoyé en exil malgré une avalanche de protestations de la part de ceux qui estimaient qu’il aurait dû répondre de ses assassinats politiques devant un tribunal.

En ces jours d’agitation politique et de confusion, l’esprit de Jéhovah n’a pas cessé de guider ses fidèles, si bien qu’à la fin de l’année de service il y avait trente-trois pionniers spéciaux. Cette année-​là, frère Nowills a eu le privilège d’assister au cours de dix mois à l’École de Galaad, située à Brooklyn. Ayant acquis quelque expérience dans le travail de la filiale pendant l’interdiction, il a apprécié l’occasion qui lui était ainsi offerte d’étudier au siège de la Société et de croître spirituellement. Il est revenu en décembre, et il a beaucoup contribué à l’organisation du travail par ses visites dans les congrégations.

L’ŒUVRE PROSPÈRE EN DES TEMPS TROUBLÉS

En avril 1962, frère Knorr a visité la république Dominicaine, nous donnant ainsi le stimulant dont nous avions besoin pour accroître notre activité. L’œuvre se développait bien, mais c’était principalement grâce aux études bibliques sur lesquelles on avait mis l’accent pendant l’interdiction. Il convenait maintenant de se consacrer davantage au travail de maison en maison. Une autre circonscription a été formée, et les serviteurs de circonscription ont été encouragés à accorder une attention particulière à cette forme de service. Les proclamateurs se sont vite mis au diapason. Afin de ‘battre le fer tant qu’il était chaud’, frère Knorr a porté à 100 le nombre des pionniers spéciaux fixé pour le pays. Le peuple de Jéhovah a compris l’urgence de l’époque. Les Dominicains, qui avaient été opprimés pendant si longtemps, devaient maintenant avoir une chance d’entendre la bonne nouvelle du Royaume. En 1962, bien que la moyenne des proclamateurs fût de 790, le nombre des assistants à la Commémoration s’éleva à 2 315. De toute évidence, un grand travail restait à faire. Frères Ferrari et Dingman ont été affectés au service de la circonscription pour lequel tous deux avaient de l’expérience, afin d’aider les jeunes congrégations et les petits groupes de pionniers spéciaux à s’organiser et à coopérer plus étroitement avec l’organisation. Raymond Franz a été nommé serviteur de filiale. Des missionnaires expérimentés servant au Mexique, en Bolivie et en d’autres endroits ont été transférés en république Dominicaine, et vers la fin de l’année on commençait les travaux de construction d’un bâtiment destiné à abriter les bureaux de la filiale et des missionnaires.

Grâce à l’aide de Jéhovah, l’œuvre continuait de progresser ; durant l’année 1963, 1 035 proclamateurs, y compris 75 pionniers spéciaux, ont prêché en moyenne chaque mois. L’année de service a bien commencé avec la visite très efficace de frère Bivens, serviteur de zone nommé par le président de la Société. Frère Duffield, qui avait travaillé à la filiale de Cuba, est arrivé pour assumer les responsabilités de frère Franz, pendant les dix mois de formation que celui-ci recevrait à Galaad. Entre-temps, frère R. Wallen, du bureau du président, a visité la filiale et a organisé des cours pour apprendre à lire et à écrire. Ceux qui ne savaient pas lire se réunissaient pendant la dernière partie de l’École du ministère théocratique, afin d’apprendre à lire de manière à pouvoir affermir leur foi. Après avoir achevé sa formation à Galaad, frère Franz a servi en qualité de serviteur de zone puis il a assumé les fonctions de serviteur de filiale en république Dominicaine. Au mois de décembre, nous avons enregistré un accroissement de 18 pour cent dans le nombre des proclamateurs qui s’était élevé à 1 540. Les ministres itinérants nommés par la Société visitaient régulièrement les vingt-huit congrégations et les vingt-cinq noyaux. En 1964, 4 064 personnes ont assisté à la Commémoration. Les perspectives d’accroissement étaient étonnantes.

Pendant la même période, l’anarchie complète régnait sur la scène politique. En décembre 1962, Juan Bosch fut élu président. Il a très vite été renversé et remplacé par une junte militaire qui exerça le pouvoir de 1963 à 1965. Les charges fiscales et l’austérité imposées ont incité la population à se révolter en avril 1965. Beaucoup ont prétendu que l’intervention américaine a empêché la réussite de cette révolution. Saint-Domingue était devenu un champ de bataille où révolutionnaires et forces gouvernementales se disputaient le pouvoir. Des coups de feu, des fusillades, des mitraillages, et le bourdonnement incessant des avions bombardant leurs cibles emplissaient l’air. La compagnie d’électricité, les services postaux et téléphoniques et les transports publics ne fonctionnaient plus. Nous n’avons pas tardé à remarquer que la fusillade diminuait entre 5 heures et 11 heures du matin ; aussi avons-​nous employé ce temps à chercher de la nourriture et à prêcher. Les frères risquaient leur vie non seulement pour trouver la nourriture matérielle, mais également pour assister aux réunions. L’île était coupée du reste du monde, mais certainement pas de l’amour de l’organisation de Jéhovah. Le 19 mai, frère Knorr a envoyé un télégramme ainsi libellé : “COMMENT VOUS PORTEZ-​VOUS ? PRIÈRE RÉPONDRE PAR CÂBLE.” Nous avons envoyé un câble à Brooklyn, et une lettre par la voie diplomatique, le seul moyen d’envoyer ou de recevoir du courrier. Le bureau du président a donc pu rassurer les familles de tous les missionnaires, leur évitant ainsi des soucis inutiles.

Raymond Franz, serviteur de filiale, explique en ces termes les conditions de vie au sein d’une révolution : “La capitale était le centre du conflit. Pendant des mois, nous avons dormi à même le sol, car il était dangereux de se trouver à la hauteur de la fenêtre. Toutefois, très peu de balles ont atteint les locaux de la filiale. L’électricité a presque immédiatement été coupée dans la capitale, si bien que nous ne pouvions pas utiliser notre four électrique ou le réfrigérateur, et il ne fallait pas non plus compter sur notre pompe électrique pour faire monter l’eau au premier étage du bâtiment. J’ai confectionné deux braseros à l’aide de grandes boîtes de conserve. Le soir, nous lisions à la lumière des bougies (par la suite nous avons modernisé notre installation grâce à l’acquisition de quelques lampes à pétrole) ; toutefois, comme ce système d’éclairage fatigue énormément la vue et que la fusillade s’aggravait toujours la nuit, après avoir étudié un peu, les missionnaires jouaient souvent aux dames ou à autre chose, afin de détourner leur attention des combats qui se déroulaient au dehors et de détendre l’atmosphère. Au bout d’un certain temps nous nous étions habitués à la situation, si bien que nous pouvions dormir plus ou moins normalement malgré le bruit de la fusillade. Souvent, des coups de feu éclataient alors que nous étions réunis pour prendre le déjeuner ; nous nous laissions glisser à terre et posions nos assiettes sur les chaises pour continuer notre repas. Je me suis rendu compte que ces expériences vécues en commun ont beaucoup rapproché les missionnaires. Il en a été de même pour tous les frères. Le fait de les voir venir aux réunions (organisées par petits groupes) en dépit des obstacles et des risques les rendait encore plus précieux à nos yeux.”

L’anarchie et le désordre régnaient dans la ville. Dans certains cas, la conscience des chrétiens a été mise à l’épreuve. Ils devaient maintenir leur neutralité. L’oppression et les injustices pouvaient facilement inciter une personne à prendre position d’une manière ou d’une autre. C’était le moment de se souvenir que les deux camps appartenaient au présent système de choses et que tous deux étaient désapprouvés par Jéhovah. Les Marines américains occupaient certains foyers ou installaient des mitrailleuses sur les toits ou les balcons. Au moins un frère a dû se rendre auprès des autorités américaines pour demander qu’on fasse partir de chez lui les Marines et leurs armes. Profitant de l’anarchie, les pauvres s’emparaient de terrains vacants sur lesquels ils bâtissaient. Les frères chrétiens pouvaient-​ils agir ainsi ? Les révolutionnaires ouvraient les entrepôts partiellement brûlés et permettaient aux gens de les piller, les invitant même à se livrer au pillage. C’était une épreuve pour les frères. Se joindraient-​ils à la population ? Jusqu’à quel point se laisseraient-​ils guider par le principe chrétien de la neutralité ?

Bientôt la capitale a été divisée en trois secteurs. L’armée dominicaine contrôlait le nord et l’ouest, les Marines américains un couloir où se trouvait d’ailleurs la filiale, et le secteur sud, comprenant les principaux quartiers d’affaires, les docks et la poste, était entre les mains des révolutionnaires. Les témoins étant reconnus pour leur neutralité, frère Franz était autorisé à passer d’un secteur à l’autre, sans être molesté. Les assemblées de circonscription se tenaient en dehors de la ville, des dispositions spéciales ayant été prises pour que les frères de la ville soient de retour chez eux avant le couvre-feu.

Raymond Franz rapporte : “Ainsi, bien que la guerre ait apporté des tribulations et nous ait fait courir des dangers, particulièrement d’ordre spirituel, nous en avons tous tiré un grand enseignement et avons apprécié davantage la véracité de la Parole de Dieu, comprenant combien il est sage de suivre ses principes. Cette expérience nous a enrichis et de puissants liens d’amour nous ont unis à ceux qui l’avaient fidèlement endurée avec nous.”

Frère Franz a été invité à servir au siège de la Société, à Brooklyn ; aussi des dispositions ont-​elles été prises pour que frère Keith Stebbins, qui avait été serviteur de filiale à Hawaii et qui venait de terminer les dix mois de cours à Galaad, vienne en république Dominicaine, apprenne l’espagnol et y assume la fonction de serviteur de filiale. Frère et sœur Stebbins sont arrivés le 11 juin 1965, et quelques mois plus tard, les sœurs Juryne Schock et Edith White, missionnaires expérimentées, ont été envoyées de la Jamaïque. Nous avons également fait des efforts pour enseigner l’anglais à quelques Dominicains, en vue de les préparer à suivre éventuellement les cours de Galaad.

Bien que la révolution ait été réprimée et que Balaguer fût élu président, la violence et le terrorisme sévissaient encore. À tous moments et n’importe où, la fusillade éclatait dans les rues. Les nuits étaient toujours troublées par l’explosion de bombes ou le crépitement d’une fusillade. Les gens craignaient de sortir dans les rues en raison des émeutes meurtrières incontrôlables. Ces conditions ont créé de nombreuses difficultés aux frères, mais avec la direction de l’esprit de Jéhovah par l’intermédiaire de son organisation, nous avons progressé. L’accent était mis sur la croissance spirituelle, qui était absolument nécessaire pour préparer les frères à affronter des problèmes semblables et d’autres encore qui surgiraient à l’avenir.

Les visites des frères Henschel en 1966, Greenlees en 1967, Wallen en 1968 et Tracy en 1969, ont contribué à renforcer l’organisation de la filiale et à améliorer l’aide apportée aux frères disséminés dans tout le pays. En 1966, le nombre des proclamateurs a atteint une moyenne de 2 040, répartis dans cinq circonscriptions ; il y avait également 78 pionniers spéciaux. Cette année-​là, 6 156 personnes ont assisté à la Commémoration.

Les démarches entreprises pour inclure la république Dominicaine dans la série d’assemblées internationales ayant pour thème “Fils de Dieu, fils de la liberté” ont échoué. Rien n’a pu être organisé, que ce soit dans le domaine du transport ou du logement. Pas une ligne aérienne et pas un hôtel n’ont accepté de coopérer en réservant de la place pour les délégués étrangers. Il semble que Jéhovah ne désirait pas que des visiteurs s’arrêtent dans ce pays en pleine agitation à cette époque-​là. Cependant, une assemblée nationale a été organisée en janvier 1967, de sorte que les frères ont profité du même programme. En outre, la présence de certains membres du conseil d’administration de la Société a donné aux frères locaux l’assurance qu’ils faisaient partie de la grande famille de la société de l’ordre nouveau. Un certain nombre de frères ont pu venir de Porto Rico, et grâce à une grande campagne de publicité la population locale a été invitée à assister à ce congrès. Une émission télévisée qui a duré quinze minutes a permis aux frères Knorr, Stebbins et González, le serviteur de district, d’exposer le but de notre œuvre et de l’assemblée. Le nombre des assistants s’est élevé à 5 154.

L’année 1967 nous a apporté d’autres bénédictions et un plus grand accroissement. Le nombre des proclamateurs est passé à 2 453, celui des congrégations à 47 et celui des circonscriptions à 5. Lors de la Commémoration, on a dénombré une assistance de 6 939 personnes, et le nombre des pionniers spéciaux s’est élevé à 142. Nous avons encore reçu de l’aide en ce sens que Notre ministère du Royaume, en espagnol, était maintenant envoyé à l’avance à la filiale, où il était révisé et adapté aux besoins des frères de la république Dominicaine. Ces derniers ont montré leur appréciation en déployant une plus grande activité dans le ministère. En 1968, il y a eu une moyenne mensuelle de 2 715 proclamateurs, et 9 843 personnes ont assisté à la Commémoration. Quels résultats merveilleux !

En 1969, l’œuvre a continué de s’étendre grâce à l’excellente activité pastorale accomplie par les 141 pionniers spéciaux, les 254 pionniers ordinaires et les 2 156 proclamateurs de congrégation. Cette année-​là, nous avons atteint un maximum de 3 144 proclamateurs, et un plus grand nombre de noyaux ont été transformés en congrégations, dont le nombre est passé à 58. Cette même année, 106 633 publications ont été placées. Le serviteur de filiale a également été appelé à Brooklyn pour assister à une réunion spéciale. Tout indiquait qu’il restait encore un grand travail à accomplir dans cette partie du monde.

Les grèves, la faim et le mécontentement n’ont cessé de croître dans le pays, mais le peuple de Jéhovah continuait de progresser spirituellement. Il a fallu agrandir la filiale pour stocker les publications et pour le service de l’expédition. Un nombre sans cesse croissant de personnes venaient se réfugier auprès de Jéhovah et de son organisation. En 1970, il y avait 3 378 proclamateurs répartis dans 63 congrégations, plus de la moitié des frères s’étant joints à l’organisation durant les cinq dernières années. Jéhovah a pourvu à nos besoins. Ces frères viennent de tous les milieux sociaux : mécaniciens, fermiers, chauffeurs de transport en commun, comptables, entrepreneurs, menuisiers, avocats, dentistes, et anciens hommes politiques ; tous ont été attirés par l’amour de la vérité et l’amour pour Jéhovah. Ils forment maintenant une seule famille et sont libérés des contraintes imposées par le présent système de choses.

Vers la fin de l’année 1969 et au début de 1970, Satan a essayé de créer des difficultés au sein de cette organisation en plein accroissement, en suscitant la mésentente parmi certains serviteurs occupant des fonctions importantes. Mais comme toujours, seul l’esprit de Jéhovah était à même de régler la situation. En fait, de nombreux proclamateurs ne se sont même pas rendu compte qu’une difficulté avait surgi. D’autres, soumis à l’organisation théocratique, sont allés de l’avant et n’ont pas permis aux hommes d’entraver leur service pour Jéhovah. À la fin de février 1970, frère et sœur Jesse Cantwell sont arrivés de Colombie, et frère Cantwell a été nommé serviteur de filiale. Cinq classes ont été formées dans le cadre de l’École du ministère du Royaume qui s’est tenue à la filiale, et qui avait pour but de former les surveillants afin qu’ils soient plus qualifiés pour paître le troupeau. Des réunions spéciales ont été organisées à l’intention de tous les serviteurs de circonscription et de district. Le serviteur de filiale a visité toutes les assemblées de circonscription et les quatre assemblées de district dans le but d’unir plus étroitement les proclamateurs au bureau de la filiale. Des réunions ont été également organisées avec les pionniers spéciaux et ordinaires. On a établi un programme de discours publics prononcés par le serviteur de filiale ou un autre frère du bureau. Ils visitaient les congrégations les week-ends au cours desquels ils donnaient un discours de service le samedi soir, participaient à l’activité de prédication le dimanche matin et prononçaient le discours public l’après-midi. Ce programme a permis aux proclamateurs de coopérer plus étroitement avec le bureau de la filiale.

Au cours de l’année, la croissance spirituelle a été le principal objectif de tous les frères mûrs du pays. Il est nécessaire d’acquérir la maturité pour déjouer les manœuvres sataniques. Il y a quelques années, Satan a déclenché une violente persécution, mais il a échoué. L’œuvre a connu l’accroissement. Maintenant il essaie de semer la discorde en se servant de l’immoralité sexuelle et du matérialisme. En 1971, il a été nécessaire d’exclure 54 personnes. Dans une certaine ville, au début de l’année, il y avait 350 proclamateurs ; au cours de l’année, plus de 4 pour cent ont été exclus. Aussi triste que cela puisse paraître, ces difficultés ont affermi la foi en l’organisation et ont permis à l’esprit de Jéhovah d’opérer librement. Au cours de la même période, le nombre de proclamateurs de cette ville s’est accru de 18,3 pour cent, en dépit des 4 pour cent de perte.

Lorsque la violence échoue, Satan utilise d’autres méthodes. Outre les difficultés entre frères mentionnées précédemment, que Jéhovah a d’ailleurs enrayées rapidement en faisant intervenir son organisation, les désirs de la chair existent toujours. Le matérialisme et l’immoralité sexuelle continuent d’exercer leur influence néfaste, faisant tomber certains frères qui avaient manifesté une si grande fidélité pendant la persécution. Il a fallu exclure trois frères qui avaient passé de nombreux mois en prison. L’un d’entre eux n’a pas été réintégré. En fait, dans une certaine ville, 18 personnes ont été exclues au cours de l’année dernière. La congrégation de Jéhovah doit rester pure pour que son esprit puisse opérer librement.

Grâce à l’esprit de Jéhovah, les frères fidèles ont néanmoins reçu de grandes bénédictions ; en effet, à la fin de l’année de service 1971, nous avons enregistré 4 106 proclamateurs. L’amour pour Jéhovah et pour les frères a incité les proclamateurs à aller joyeusement de l’avant et à parcourir tout le pays. Le nombre des assistants à la Commémoration s’est élevé à 13 778 personnes.

Au fil des années, l’attitude des gens a remarquablement changé. L’Église a perdu son autorité. Les prêtres n’inspirent plus un profond respect. Le mécontentement est rendu manifeste par l’agitation qui règne chez les étudiants, les manifestations hostiles, les vagues de terrorisme et la présence de patrouilles armées dans les rues. En revanche, le respect que la population témoigne à l’égard des témoins de Jéhovah constitue une preuve de l’opération de l’esprit de Jéhovah. Un nombre de personnes sans cesse croissant acceptent l’invitation de venir et de voir combien Jéhovah est bon. Citons pour preuve les résultats obtenus dans le pays en 1971 : 6 596 études bibliques ont été conduites chaque semaine et 105 916 Bibles, livres et brochures ont été distribués, ainsi que 830 340 périodiques La Tour de Garde et Réveillez-vous ! Les témoins ont consacré plus de 1 125 000 heures à la prédication de la bonne nouvelle.

Bien que le “thème” de l’histoire des témoins de Jéhovah en république Dominicaine semble être le désordre et la violence, les frères gardent une attitude positive. Ils sont heureux et se dépensent sans compter. Ils répondent à l’invitation de Jéhovah, en disant : ‘Nous voici ! Envoie-​nous !’, et nous sommes sûrs que Jéhovah continuera de les envoyer dans toutes les parties du pays afin de prêcher et d’enseigner jusqu’à ce qu’il dise : “Assez !”