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Allemagne (2e partie)

Allemagne (2e partie)

Allemagne (2partie)

ON TROUVE DES “BREBIS” EN PRISON

En prison, les frères ont rencontré des personnes de toute sorte et, bien sûr, ils leur ont parlé autant que possible de leur espérance. Ils éprouvaient une joie profonde quand un autre prisonnier acceptait la vérité. Willi Lehmbecker nous raconte cela. Il était enfermé avec d’autres prisonniers dans une pièce où il était permis de fumer :

“Ma couchette était tout en haut, mais le prisonnier fumait tellement que j’avais du mal à respirer. Pendant que tous les autres dormaient, j’ai pu lui donner un témoignage d’après la Bible sur le dessein divin à l’égard de l’humanité. J’ai trouvé qu’il était très attentif. Ce jeune homme était actif dans la politique et il avait été arrêté pour avoir répandu des écrits clandestins. Nous nous sommes promis qu’après notre libération, si nous étions toujours en vie, nous essaierions de nous rendre visite. Mais cela s’est passé différemment. Je l’ai rencontré de nouveau en 1948, lors d’une assemblée de circonscription. Il m’a aussitôt reconnu, m’a salué avec joie et m’a ensuite raconté son histoire. Après son temps de prison et sa libération, il a été incorporé dans l’armée et a servi sur le front russe. Là-bas, il a eu l’occasion de réfléchir sur tout ce que je lui avais appris. (...) En conclusion, il m’a dit : ‘Depuis aujourd’hui, je suis ton frère.’ Imaginez ma joie et combien j’étais ému !”

Hermann Schlömer a connu un fait semblable. Également lors d’une assemblée de circonscription, un frère s’est approché de lui et lui a demandé : “Tu me reconnais ?” Frère Schlömer a répondu : “Ton visage ne m’est pas inconnu, mais je ne sais pas qui tu es.” Le frère a ensuite déclaré, que pendant cinq années il avait été le gardien de frère Schlömer dans la prison de Francfort-Preungesheim. Frère Schlömer avait beaucoup parlé de la vérité à ce geôlier. Il lui avait aussi demandé une bible, mais l’aumônier la lui avait refusée. Le gardien avait agi avec bonté et il avait procuré une bible à frère Schlömer. Afin qu’il ait quelque chose à faire dans son isolement, il lui avait également apporté les chaussettes de la famille pour qu’il les raccommode. Frère Schlömer avait donc toutes les raisons de se réjouir en comprenant que la parole de Jéhovah était tombée sur un sol fertile.

LA NOURRITURE SPIRITUELLE SE RARÉFIE

En Allemagne, les repas spirituels continuaient de diminuer. Il était très dangereux pour des particuliers, ainsi que pour des groupes, de perdre contact avec l’organisation et de ne plus avoir l’occasion d’obtenir la nourriture spirituelle. C’est ce que raconte Heinrich Vieker :

“Quand les nazis ont pris le pouvoir, notre congrégation comprenait trente à quarante proclamateurs. La position dominante occupée par ce système a bientôt incité un grand nombre de frères à ‘rester dans l’ombre’. Ils sont ainsi devenus inactifs et environ la moitié des proclamateurs n’ont plus fait l’effort de venir. Il fallait donc se montrer très prudent avec ceux qui s’étaient éloignés de la vérité. Nous pouvions les saluer mais pas leur fournir des périodiques. Au cours d’une conversation, nous nous sommes aperçus un beau jour que tous les frères, sauf quatorze environ, avaient voté lors d’une élection.”

Évidemment, le risque était que certains soient privés de nourriture spirituelle à cause d’un malheureux concours de circonstances laissant entendre qu’ils s’étaient retirés de l’organisation de Jéhovah. À Stettin, c’est ce qui est arrivé à Grete Klein et à sa mère. Écoutons-​la :

“Nous nous réunissions par petits groupes au domicile de différents frères. Notre surveillant de congrégation me donnait La Tour de Garde afin que je prépare des stencils pour la polycopier. Mais j’ai conservé peu de temps ce privilège que je chérissais. Les frères ont été effrayés et ont craint d’être découverts quand ils se sont aperçus que mon père était opposé à la vérité. Ni ma mère ni moi n’avons pu obtenir un exemplaire de La Tour de Garde. En fait, la crainte des frères était si grande qu’ils ne nous saluaient même plus lorsque nous les rencontrions dans les rues. Nous étions toutes deux isolées de l’organisation. À Stettin, la congrégation des Étudiants de la Bible a disparu, car tout en étant encore libres, nous manquions de direction et de nourriture spirituelle. (...)

“Qui n’avance pas recule ; c’est ce que nous n’avons pas tardé à vérifier en regardant l’état de notre condition spirituelle. Après le commencement de la guerre, je continuais de prier pour nos frères spirituels enfermés dans les camps de concentration ; cependant, peu de temps après, j’ai également prié pour mes frères charnels qui se battaient avec des armes matérielles en Russie et en Grèce. À l’époque, je ne pensais même pas mal agir. Je me demandais souvent s’il était possible d’établir un nouvel ordre dirigé par le Royaume de Dieu.

“À part moi, un grand nombre d’autres jeunes membres de la congrégation de Stettin ne savaient plus où ils en étaient. Plusieurs jeunes hommes, par exemple Günter Braun, Kurt et Artur Wiessmann, sont partis au service militaire et ont combattu avec des armes charnelles. Kurt Wiessmann a même été tué au front. La véritable cause de notre attitude négative venait sans aucun doute du fait que les responsables de la congrégation de Stettin étaient tombés victimes de la crainte de l’homme. (...)

“Par contre, les frères qui se sont affaiblis au cours de cette période constituent un exemple vivant de la patience, de l’amour et du pardon de Jéhovah, car j’ai constaté par la suite que certains se sont repentis avec sincérité de leur conduite quand l’œuvre a repris et ils ont été rétablis dans la faveur de Jéhovah. Quelques-uns sont toujours dans le service à plein temps, comme par exemple l’ancien surveillant de la congrégation de Stettin, qui avait rompu toutes relations avec ma mère et moi par crainte de l’homme et s’était installé avec sa femme dans un endroit où tous deux étaient totalement inconnus. J’ai cependant éprouvé beaucoup de joie à les revoir à Wiesbaden, alors que je commençais à travailler au Béthel, et je les ai vus poursuivre leur service à plein temps jusqu’à un âge avancé. Un grand nombre de témoins ont mis du temps à oublier que par la faute de ce surveillant certains frères avaient beaucoup souffert dans les camps de concentration et dans les prisons. Mais la miséricorde de Jéhovah les a aidés à y arriver et cela leur a donné un merveilleux exemple.”

INSTABILITÉ À MAGDEBOURG ET AILLEURS

Si nous remontons l’histoire jusqu’en 1933, au moment où Hitler est devenu chancelier, nous constatons que frère Rutherford était déjà conscient que le gouvernement allemand s’intéressait d’un peu trop près à notre bâtiment construit à Magdebourg et aux presses à imprimer qui s’y trouvaient. On a déployé de grands efforts pour établir devant les autorités compétentes que la Wachtturm Bibel- und Traktat-Gesellschaft était une filiale de la Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania et que les locaux de Magdebourg étaient en réalité une propriété américaine, car dans une large mesure ils existaient grâce aux dons provenant d’Amérique. Dans une telle situation, frère Balzereit, qui était citoyen allemand, n’avait pas toute l’efficacité voulue pour réussir à démontrer qu’il s’agissait bien d’une propriété américaine. Frère Rutherford a donc demandé à frère Harbeck, surveillant de filiale en Suisse, de s’occuper de cette affaire, fort de sa citoyenneté américaine.

Frère Balzereit était parti en Tchécoslovaquie pour sa sécurité et comme il sentait que désormais son autorité était réduite, son orgueil en a été blessé. Cependant, il ne manifestait pas beaucoup le désir de revenir en Allemagne pour mener personnellement à bien les négociations en vue de maintenir la jouissance des biens de la Société et de soutenir ses frères combattant pour leur foi. À la même époque, frère Balzereit et quelques autres qui avaient pris son parti ont accusé frère Harbeck de négligence vis-à-vis des intérêts allemands, tandis que certains ont même été jusqu’à envoyer un télégramme à frère Rutherford en faveur de Balzereit.

Frère Rutherford a donné la réponse suivante à Balzereit : “Reviens à Magdebourg, restes-​y, occupe-​toi de ces questions et fais ce que tu peux, mais informes-​en toujours frère Harbeck. (...) En réalité, je ne vois pas pourquoi tu me demandes l’autorisation de revenir en Allemagne alors que je pense, et tu le sais bien, que tu aurais pu y rester dès le commencement. Tu essayais de me faire croire que pour ta sécurité tu devais chercher refuge à l’extérieur du pays.”

L’année 1933 s’est achevée sans que l’unité soit faite sur la façon de tenir régulièrement des réunions et de s’occuper de la prédication. Frère Poddig décrit la situation en ces termes : “Deux clans se sont formés. Les craintifs soutenaient que nous étions désobéissants et que nous les mettions en danger ainsi que l’œuvre de Jéhovah.” Une lettre écrite par frère Harbeck en août 1933 a reçu une vaste diffusion parmi les frères allemands et ceux qui étaient craintifs s’en sont servis pour justifier le bien-fondé de leur attitude. Entre-temps, la Société a publié dans La Tour de Garde un article intitulé “Ne craignez point”. Il encourageait ceux qui avaient suivi la voie de leur conscience malgré la persécution et les mauvais traitements accrus, et qui n’avaient cessé de se réunir par petits groupes et de prêcher clandestinement. Cet article indiquait que leur conduite était en accord avec la volonté divine.

Les négociations concernant la propriété de Magdebourg ont été rompues, de sorte que le 5 janvier 1934 frère Rutherford a écrit à frère Harbeck en ces termes : “Je nourris vraiment peu d’espoir d’obtenir quoi que ce soit du gouvernement allemand. Je suis d’avis que cette partie de l’organisation de Satan continuera d’opprimer notre peuple jusqu’à ce que le Seigneur intervienne.”

Pendant ce temps-​là, frère Rutherford recevait d’autres lettres des frères d’Allemagne, qui lui donnaient une idée plus exacte de l’état de l’œuvre dans ce pays et aussi de la condition spirituelle des frères. L’une d’elles, envoyée par frère Poddig, traitait de l’article de La Tour de Garde intitulé “Ne craignez point”. Elle expliquait que certains frères refusaient d’accepter cette Tour de Garde comme étant “la nourriture en temps voulu”. Quelques-uns s’efforçaient même d’empêcher les frères de participer clandestinement à la prédication. La réponse de frère Rutherford a circulé parmi tous les frères. Elle disait en partie : “L’article intitulé ‘Ne craignez point’ contenu dans La Tour de Garde du 1er décembre a été rédigé particulièrement pour le bien des frères d’Allemagne. Il est étrange de voir certains frères s’opposer à ceux qui cherchent des occasions de rendre témoignage au Seigneur. (...) L’article mentionné ci-dessus concerne aussi bien l’Allemagne que d’autres parties de la terre. Il s’applique surtout aux membres du reste, quels qu’ils soient. (...) Cela signifie que ni le serviteur aux publications, ni le directeur de service, ni le conducteur de la moisson, ni personne d’autre ne possède le droit de vous dire ce que vous devez faire ni de vous refuser les publications disponibles. Votre activité dans le service du Seigneur n’est pas illicite, car vous obéissez ainsi à l’ordre qu’il a donné (...).”

PROJETS CONÇUS À BÂLE EN VUE D’UNE ACTION CONCERTÉE

On a pris des dispositions pour tenir une assemblée du 7 au 9 septembre 1934 sur les champs de foire de la ville de Bâle, en Suisse. Frère Rutherford espérait y rencontrer plusieurs frères d’Allemagne et entendre directement de leur bouche la véritable situation existant dans le pays. En dépit des conditions défavorables, presque un millier de frères venus d’Allemagne ont assisté à l’assemblée. Par la suite, ils ont raconté comment frère Rutherford a été affligé d’entendre tout ce que les frères avaient déjà dû subir.

D’autre part, il a été contraint de reconnaître que même les surveillants itinérants présents ne partageaient pas tous le même point de vue sur la prédication. Il leur a parlé des démarches à entreprendre en Allemagne après l’assemblée. Des projets en vue d’une action concertée ont été mis au point.

Le 7 octobre 1934 restera toujours une date marquante dans la mémoire de ceux qui ont eu le privilège de participer aux événements de cette journée pendant laquelle Hitler et son gouvernement se sont trouvés devant l’action courageuse des témoins de Jéhovah — qui n’étaient aux yeux du dictateur qu’une minorité dérisoire.

Des détails ont été fournis par une lettre de frère Rutherford, dont une copie a été envoyée par porteur spécial dans toutes les congrégations d’Allemagne. En même temps, ces messagers recevaient des instructions pour organiser les réunions à tenir en ce jour spécial dans l’Allemagne tout entière. La lettre de frère Rutherford disait en partie :

“Les membres de tous les groupes de témoins de Jéhovah en Allemagne devront se réunir dans un endroit approprié de la ville où ils vivent le dimanche 7 octobre 1934, à neuf heures du matin. Cette lettre sera lue devant tous les assistants. Vous devrez prier ensemble Jéhovah pour qu’il vous accorde sa direction, sa protection, sa délivrance et sa bénédiction au moyen de Christ Jésus, notre Chef et Roi. Aussitôt après, une lettre dont le texte a été rédigé à l’avance sera prête à être envoyée aux fonctionnaires du gouvernement allemand. Consacrez quelques minutes à l’examen du texte de Matthieu 10:16-24, en gardant présent à l’esprit qu’agir conformément aux paroles de ce passage revient à ‘défendre votre vie’. (Esther 8:11.) Ensuite, la réunion sera clôturée et vous irez rendre témoignage à vos voisins sur le nom de Jéhovah, notre Dieu, et sur son Royaume soumis à Christ Jésus.

“Vos frères du monde entier penseront à vous et prieront Jéhovah en même temps que vous.”

RÉSOLUTION ADOPTÉE EN VUE D’OBÉIR À DIEU

Bien entendu, les préparatifs devaient s’effectuer dans le plus grand secret. On demandait à tous les frères qui devaient y participer s’ils acceptaient de ne rien dire à personne, ni à leur femme ni à aucun membre de leur famille sur ce qui allait se passer le 7 octobre. Malgré toutes ces précautions, une difficulté a surgi au dernier moment et sans le puissant bras protecteur de Jéhovah, elle aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Konrad Franke rapporte ce qui s’est produit à Mayence :

“Au début de l’année 1933, j’ai été arrêté pour la première fois et jeté dans un camp de concentration. Après ma libération, je devais souvent me présenter devant la Gestapo, qui m’accusait à chaque fois d’être responsable de l’organisation de l’œuvre dans cette ville, car le nombre incessant d’arrestations témoignait de l’existence d’une campagne de prédication organisée. Je faisais donc envoyer mon courrier sous une adresse de camouflage, que connaissait frère Franz Merck, notre directeur de service régional. Mais pour une raison inconnue, il ne m’avait pas fait parvenir personnellement, comme cela avait été convenu à Bâle, la lettre de frère Rutherford contenant les instructions indispensables, mais me l’avait envoyée par la poste à mon adresse habituelle et vraiment ‘à la dernière minute’. Par bonheur, frère Albert Wandres, avec qui je collaborais très étroitement, avait déjà attiré mon attention sur la campagne et je connaissais donc bien tous les détails de la lettre. Les jours nous séparant du 7 octobre défilaient rapidement et je n’avais pas encore reçu les renseignements fondamentaux de frère Merck. Je me suis tiré d’affaire sans son aide et j’ai pris les dispositions pour que la réunion se tienne au foyer d’un frère habitant dans la banlieue de Mayence. Une vingtaine de personnes environ étaient invitées à cette réunion.

“Deux jours avant le moment prévu, il a fallu effectuer un changement brusque, car l’immeuble où nous devions nous réunir devenait un endroit dangereux. Après avoir donné à chaque frère et sœur une nouvelle adresse, nous avons soudain découvert qu’une famille logeant au même endroit avait également manifesté une haine profonde et menacé de faire arrêter tous les témoins de Jéhovah qu’elle connaissait s’ils franchissaient un jour le seuil de l’immeuble. Les frères à qui appartenait la maison ont demandé de déplacer la réunion ailleurs, alors qu’elle devait se tenir dans leur appartement le lendemain matin. Le 6 octobre, il a donc fallu rendre de nouveau visite aux frères en leur donnant un troisième rendez-vous pour le lendemain matin à 9 heures. Mais où ? Il ne semblait pas y avoir de possibilité. Après avoir réfléchi dans la prière, j’ai décidé d’inviter les frères dans mon petit appartement de pionnier, même si cela était dangereux.

“Le soir du 6 octobre, je suis rentré chez moi épuisé. Ma femme m’a tendu une lettre qui était arrivée tard dans la soirée, en dehors des heures habituelles de distribution du courrier. Et pourtant, c’était une enveloppe normale, qui ne devait pas être distribuée par un porteur spécial, ce qui aurait obligé la poste à me l’apporter à cette heure-​là. Je l’ai ouverte et j’ai trouvé la lettre de frère Rutherford. Frère Merck me l’avait sans doute envoyée parce qu’il n’avait pas pu me la remettre à temps.

“La façon dont cette lettre m’était parvenue attestait cependant qu’elle avait d’abord été chez la Gestapo — ce qui était vrai pour tout mon courrier personnel — et que ses agents avaient fait en sorte que je la reçoive, pensant de toute évidence que j’ignorais encore tout de cette campagne. Ils ont cru que, selon le contenu de la lettre, je prendrais les dispositions nécessaires au cours de la nuit, de sorte qu’ils n’auraient plus qu’à nous trouver ensemble et à nous arrêter sans grand effort le lendemain matin. En réalité, ils disposaient de suffisamment de temps pour avertir les fonctionnaires de toute l’Allemagne. Ce serait très simple d’arrêter les témoins de Jéhovah réunis dans les différentes villes le lendemain matin.

“Que faire ? La maison où je logeais comprenait également un café. Mon appartement était vraiment rien moins que sûr. Tous ceux qui habitaient cette maison étaient violemment opposés à la vérité, sauf la sœur à qui appartenait l’immeuble et dont la chambre était contiguë à notre appartement. D’autre part, il n’était plus question de se réunir ailleurs. Mettant ma confiance en Jéhovah, j’ai décidé de ne pas apporter d’autres modifications ni de déranger inutilement les frères et sœurs qui, pour la plupart, vivaient dans des foyers divisés et n’avaient pas la moindre idée du but de cette réunion. Dans mon for intérieur, je me préparais à être de nouveau arrêté.

“Le 7 octobre, dès 7 heures du matin, les premiers frères arrivaient. Des dispositions avaient en effet été prises pour qu’ils viennent seuls et que leur arrivée s’échelonne sur deux heures, afin que cela se remarque moins. Les frères sont venus un par un, attendant tous avec impatience ce qui allait suivre. Pourtant, selon les instructions reçues, ils ne connaissaient pas le véritable motif de la réunion. Mais tous sentaient que ce serait un jour très important. J’ai été fortement impressionné par leur attitude, y compris celle des sœurs qui, pour la plupart, devaient élever de petits enfants et avaient en général des maris opposés, mais qui étaient résolues et désireuses d’accomplir tout ce qu’on leur demanderait dans l’intérêt de la justification du nom de Jéhovah.

“À neuf heures moins dix, tout le monde était réuni dans la seule pièce de notre appartement de pionnier. À tout moment, je m’attendais à voir arriver la Gestapo dans une grande voiture et à ce que nous soyons tous arrêtés. Je me suis donc senti dans l’obligation d’expliquer la situation aux frères et de leur donner l’occasion de se retirer de la réunion s’ils en craignaient les conséquences éventuelles. Je leur ai dit : ‘Notre situation est telle que nous pouvons tous être arrêtés dans les dix minutes qui suivent. Je ne désire pas que l’un de vous puisse m’accuser par la suite de l’avoir mis dans cette situation sans lui avoir expliqué sa gravité. Je vous demande donc d’ouvrir votre Bible à Deutéronome 20.’ J’ai lu le Dt 20 verset 8: ‘Qui est-​ce qui a peur et manque de courage ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, afin que ses frères ne se découragent pas comme lui.’ Après avoir lu ce passage aux assistants, j’ai ajouté : ‘Celui qui pense que la situation est trop dangereuse a maintenant l’occasion de se retirer.’

“Mais la crainte n’a incité personne à partir, pas même les sœurs avec des maris opposés et des petits enfants. Il est difficile de décrire avec de simples mots ce qui s’est passé ensuite. Un silence joyeux a régné dans la pièce pendant les dernières minutes nous séparant de 9 heures. Il était évident que tous, par la prière, remettaient l’affaire entre les mains de Jéhovah. Il est 9 heures. Je continuais à penser que la Gestapo allait entrer dans la cour à tout moment, mais j’ai commencé la réunion par la prière. Tout à coup, nous avons tous eu l’impression d’être au milieu d’une puissante barrière protectrice, entourant non seulement les frères d’Allemagne en danger, mais aussi les frères du monde entier qui, en harmonie avec les instructions reçues, s’étaient réunis à la même heure dans un grand nombre de pays et avaient également commencé leur réunion par la prière, tout cela pour protester contre le traitement inhumain que Hitler infligeait à leurs frères en Allemagne.

“Ensuite, j’ai présenté un sujet devant les frères en reprenant les idées principales du remarquable discours que frère Rutherford avait prononcé à Bâle pour l’encouragement des frères allemands. Ce discours fournissait les preuves bibliques que malgré des conditions différentes, nous n’étions ni dégagés de notre responsabilité devant Jéhovah de nous réunir régulièrement pour étudier sa Parole et l’adorer ni de notre devoir de le servir comme témoins et de faire connaître publiquement le Royaume.”

En harmonie avec l’action entreprise par les témoins de Jéhovah de toute l’Allemagne, tous les membres du groupe ont approuvé avec enthousiasme l’envoi au gouvernement dès ce jour de la lettre recommandée suivante :

“AUX FONCTIONNAIRES DU GOUVERNEMENT :

“La Parole de Jéhovah Dieu, consignée dans la sainte Bible, est la loi suprême et constitue notre guide unique, car nous nous sommes voués à Dieu et désirons être de véritables disciples sincères de Jésus Christ.

“Au cours de l’année écoulée, en contradiction avec la loi de Dieu et en violant nos droits, vous avez interdit aux témoins de Jéhovah de se réunir pour adorer Dieu, étudier sa Parole et le servir. Or, sa Parole nous ordonne de ne pas abandonner notre assemblée (Hébreux 10:25). C’est à nous que Jéhovah prescrit : ‘Vous êtes mes témoins que je suis Dieu. Allez, et dites mon message à ce peuple.’ (Ésaïe 43:10, 12; Ésaïe 6:9; Matthieu 24:14). Il existe un conflit direct entre votre loi et celle de Dieu. À l’exemple des fidèles apôtres, ‘nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes’, et c’est ce que nous ferons (Actes 5:29). Par la présente, nous vous avisons donc que nous observerons, à tout prix, les commandements de Dieu, que nous nous réunirons pour étudier sa Parole, et que nous l’adorerons et le servirons comme il l’a prescrit. Si votre gouvernement ou les agents de votre gouvernement nous infligent de mauvais traitements, parce que nous obéissons à Dieu, notre sang reposera sur vos têtes, et vous devrez rendre des comptes à Dieu, le Tout-Puissant.

“Nous ne nous intéressons pas aux affaires politiques, mais nous vouons un attachement sans partage au Royaume de Dieu et de Christ le Roi. Nous ne ferons du mal à personne. Nous serions heureux d’habiter en paix et de faire du bien à tous les hommes quand nous en avons l’occasion, mais puisque votre gouvernement et ses représentants continuent d’essayer de nous contraindre à désobéir à la loi suprême de l’univers, nous sommes dans l’obligation de vous informer que par la grâce de Jéhovah Dieu, nous lui obéirons, pleinement confiants qu’il nous délivrera de toute oppression et de tous les oppresseurs.”

Pour soutenir leurs frères allemands, les témoins de Jéhovah du monde entier se sont réunis le 7 octobre et, après avoir prié Jéhovah ensemble, ils ont envoyé le câblogramme suivant au gouvernement de Hitler :

“Les mauvais traitements que vous infligez aux témoins de Jéhovah révoltent tous les honnêtes gens et déshonorent le nom de Jéhovah. Cessez les persécutions contre les témoins de Jéhovah, sans quoi Dieu vous détruira vous et votre parti national.”

Aussi étonnant que cela puisse paraître, peu de frères furent arrêtés ce jour-​là, bien que la Gestapo ait découvert, — à la dernière minute, — ce qui allait se passer. Mais revenons au rapport de frère Franke :

“Bien que plus d’une heure se soit passée après la prière qui avait clôturé la réunion, aucun membre de la Gestapo n’était apparu. Maintenant, les frères repartaient de nouveau, quittant par intervalles. Huit frères environ étaient encore présents lorsque je suis parti. Je devais prendre mon vélo et me rendre à la ville voisine de Wiesbaden, pour porter personnellement la lettre à la poste. La lettre avait été rédigée pendant la nuit et laissée à Wiesbaden, où les frères devaient l’envoyer par la poste si, comme je m’y attendais, j’étais arrêté. Quand je suis sorti du jardin à vélo, un agent de la Gestapo est arrivé, lui aussi à bicyclette, mais il ne m’a pas reconnu. Prévenus à temps, les huit autres frères ont pu se sauver dans la chambre à coucher de sœur Darmstadt, propriétaire de la maison. Les questions que l’agent de la Gestapo a posées à ma femme pendant qu’il fouillait notre appartement montraient que la Gestapo était au courant de notre réunion. Malgré cela, ni moi ni les autres frères n’avons été arrêtés ce jour-​là. Ce ne fut que quelques mois plus tard, lorsque j’ai été de nouveau arrêté par la Gestapo, que j’ai appris qu’elle possédait la lettre de frère Rutherford.”

Tandis que certains des frères s’occupaient diligemment à visiter leurs voisins aussitôt après la réunion pour leur parler du Royaume de Dieu, une grande animation régnait dans bien des bureaux de poste à l’étranger. Dans beaucoup de villes européennes, les préposés de la poste refusèrent d’accepter le télégramme. Ce fut le cas à Budapest. Martin Pötzinger assista à la réunion dans cette ville et se rendit au bureau de poste pour envoyer le télégramme. Il déclara : “Le télégramme fut accepté, mais le lendemain j’ai été convoqué à la grande poste. Nous avons tous pensé que la Gestapo allait m’arrêter et m’expulser du pays, mettant ainsi fin à mes activités, (...) mais cela ne s’est pas produit. On m’a simplement informé que la Hongrie ne pouvait transmettre le télégramme, et j’ai été remboursé.” À Doorn (Pays-Bas), où le kaiser allemand Guillaume II se trouvait en exil, la poste a d’abord refusé d’envoyer le télégramme, mais plus tard, Hans Thomas, qui l’avait remis, fut informé que le télégramme avait été envoyé et que sa réception à Berlin avait été confirmée.

L’effet que les lettres et surtout les télégrammes produisirent sur Hitler ressort du rapport suivant, rédigé par Karl R. Wittig et signé par-devant notaire à Francfort-sur-le-Main, le 13 novembre 1947:

“DÉCLARATION — En ma qualité de plénipotentiaire du général Ludendorff, j’allai trouver, le 7 octobre 1934, sur ordre, le Dr Wilhelm Frick, ministre de l’Intérieur du Reich et de la Prusse, au ministère de l’Intérieur à Berlin, Am Königsplatz 6, afin de recevoir des communications visant à inciter le général Ludendorff à renoncer à son attitude négative à l’égard du régime national-socialiste. Pendant mon entrevue avec le Dr Frick, Hitler apparut soudain et se joignit à la conversation. Lorsque nous en vînmes à parler des mesures prises par le régime national-socialiste contre l’Association internationale des Étudiants de la Bible [témoins de Jéhovah] en Allemagne, le Dr Frick présenta à Hitler un certain nombre de télégrammes de protestation, venus de l’étranger, contre les persécutions des Étudiants de la Bible dans le IIIReich, en disant : ‘Si les Étudiants de la Bible ne se mettent pas au pas, nous agirons contre eux par les pires moyens.’ Sur ce, Hitler se leva d’un bond et, les poings serrés, hurla comme un hystérique : ‘Cette engeance sera exterminée en Allemagne !’ Quatre ans après cet entretien, j’ai pu me rendre compte, pendant les sept années que dura ma détention, — qui prit fin au moment où les alliés me délivrèrent, — dans l’enfer des camps de concentration de Sachsenhausen, Flossenbourg et Mauthausen, que l’explosion de colère de Hitler n’était pas une vaine menace, car aucune catégorie de détenus n’a été exposée, dans les camps de concentration susmentionnés, au sadisme de la soldatesque S. S. comme le furent les Étudiants de la Bible ; un sadisme caractérisé par une suite ininterrompue de tortures, physiques et morales qu’aucune langue du monde ne saurait décrire.”

Après l’envoi des lettres à Hitler, il y eut une vague d’arrestations. La ville la plus durement touchée était Hambourg, où, quelques jours après le 7 octobre, la Gestapo arrêta 142 frères.

L’ŒUVRE CLANDESTINE S’ORGANISE

Ayant maintenant informé Hitler dans notre lettre du 7 octobre que, malgré son interdiction, nous continuerions à obéir exclusivement aux commandements de Dieu, nous nous sommes efforcés d’organiser tous les frères et sœurs courageux et volontaires, les réunissant en de petits groupes sous la direction d’un frère mûr qui devait de tout cœur s’occuper des brebis du Seigneur.

Le pays fut divisé en treize régions, et un frère possédant bien les qualités de berger fut nommé dans chacune d’elles pour servir comme directeur de service régional, comme on disait alors. Il s’agissait de frères qui, en dépit des dangers, étaient disposés à contacter les petits groupes pour leur transmettre la nourriture spirituelle, les soutenir dans leur prédication et les fortifier dans la foi. À quelques exceptions près, tous les serviteurs choisis étaient complètement inconnus des frères. Mais depuis que Hitler était venu au pouvoir, ils avaient tous prouvé qu’ils étaient prêts à subordonner leurs propres intérêts à ceux du Royaume.

COMMENT “LA TOUR DE GARDE” FUT POLYCOPIÉE ET DISTRIBUÉE

Les frères polycopiaient et distribuaient des exemplaires de La Tour de Garde dans bien des endroits en Allemagne. Par exemple, à Hambourg, Helmut Brembach transmettait régulièrement aux frères du Schleswig-Holstein et de Hambourg les exemplaires que lui et sa femme avaient polycopiés pendant la nuit. Sœur Brembach rapporte l’anecdote suivante parmi les nombreuses qu’elle et son mari pourraient raconter relativement à cette période :

“Dans la matinée la sonnette retentit subitement et bien plus fort que d’habitude. Lorsque j’ai ouvert la porte je me suis trouvée devant trois hommes. J’ai deviné qui ils étaient. L’un d’eux avait à peine dit : ‘Gestapo’, que tous les trois se trouvaient dans l’appartement. J’ai eu la gorge serrée en pensant à toutes les choses cachées chez nous. Tremblant intérieurement de peur, j’ai prié Jéhovah.

“Du point de vue humain, ils n’auraient pas de mal à trouver les paquets d’exemplaires de La Tour de Garde ni le matériel utilisé pour les polycopier. Comme nous habitions un immeuble où résidaient deux officiers de police, nous ne disposions pas d’un lieu approprié pour cacher le papier, la machine à polycopier, la machine à écrire, l’encre et le papier d’emballage, car tout ce matériel était volumineux. Ne sachant comment dissimuler ces choses aux yeux de ceux qui ne devaient pas les voir, — car nous en avions besoin toutes les deux semaines, — nous avions décidé de tout mettre dans un grand bac où nous gardions nos pommes de terre. Ce bac se trouvait au milieu de la cave, à laquelle tous les autres occupants de l’immeuble avaient accès. Chaque fois que, nous avions terminé le tirage d’une Tour de Garde, nous remettions soigneusement tout le matériel dans ce bac, en le recouvrant de sacs et de cageots vides, les empilant les uns sur les autres jusqu’au plafond, dans l’espoir que si quelqu’un cherchait, il ne remarquerait pas le bac à pommes de terre, ou serait trop paresseux pour enlever tout ce qui se trouvait dessus. Nous avions confiance en Jéhovah ; il n’y avait rien d’autre à faire.

“L’agent m’a demandé si nous avions chez nous des publications interdites. Pour éviter de mentir, j’ai répondu : ‘Je vous en prie, cherchez.’ C’est ce qu’ils ont fait, mais de la façon dont ils ont ouvert la porte d’une armoire, ils ne pouvaient voir la machine à écrire que nous avions oublié de cacher dans le bac et qu’ils auraient facilement pu reconnaître comme la machine utilisée pour les stencils de La Tour de Garde. Jéhovah les avait aveuglés. N’ayant rien trouvé dans l’appartement, ils ont demandé d’aller au sous-sol. La découverte de tout notre matériel et de nos classeurs semblait désormais inévitable. Je me suis efforcée de dissimuler ma peur, mais mon cœur battait la chamade. Pour comble de malheur, une valise remplie de Tours de Garde polycopiées, que mon mari devait livrer le lendemain, se trouvait juste derrière le bac. Qu’allait-​il se passer ? Les trois agents se tenaient au milieu de la cave, devant le bac cachant la valise bourrée de Tours de Garde. Aucun d’eux ne semblait remarquer quelque chose ; c’était comme s’ils avaient été frappés de cécité. Ils n’ont même pas voulu voir ce qu’il y avait dans le bac ni dans la valise. Finalement, l’un d’eux a demandé à aller au grenier ; là, ils ont trouvé quelques vieilles publications. Satisfaits, semble-​t-​il, de leur découverte, ils sont partis. Mais grâce à l’aide de Jéhovah et de ses anges, les choses les plus importantes sont restées cachées à leurs yeux.”

De nombreux cas semblables pourraient être relatés, montrant comment Jéhovah nous a dirigés et comment il a protégé pendant de longues périodes le matériel nécessaire pour polycopier les publications à l’intention de son peuple.

PRÉDICATION ORGANISÉE

Tous ceux qui fréquentaient nos réunions ne nous aidaient pas à prêcher. Au contraire, dans certaines congrégations, seulement la moitié fut active. Par exemple, à Dresde, dont la congrégation avait atteint un chiffre de pointe d’environ 1 200 proclamateurs, après l’interdiction ils n’étaient plus que 500. Mais dans toute l’Allemagne, il a pu y avoir au moins dix mille proclamateurs disposés à prêcher malgré les dangers.

Au début, la plupart des frères prêchaient uniquement avec la Bible, attendant les nouvelles visites pour placer d’anciens livres et brochures arrachés des griffes de la Gestapo. Certains proclamateurs se firent des cartes de témoignage. D’autres encore, profitant d’une occasion spéciale, écrivaient des lettres à des personnes qu’ils connaissaient. L’activité de porte en porte se poursuivait, mais elle comportait de grands dangers. Chaque fois qu’on frappait à une porte, on risquait de se trouver devant un S. A. ou un S. S. En général, après avoir fait une porte, les proclamateurs allaient dans un autre immeuble ou, lorsque la situation était extrêmement dangereuse, même dans une autre rue.

Pendant au moins deux années, — même plus longtemps en certains endroits, — il était possible de prêcher de maison en maison presque partout en Allemagne. Il est hors de doute que cela n’a été possible que grâce à la protection spéciale de Jéhovah.

Les faibles quantités d’imprimés disponibles pour la prédication furent bientôt épuisées. Nous avons donc examiné la possibilité de nous approvisionner à l’étranger. Ernst Wiesner, de Breslau, nous fournit des détails intéressants à ce sujet. Il déclare :

“Des imprimés nous furent envoyés de Suisse en passant par la Tchécoslovaquie. Ils étaient entreposés près de la frontière chez des gens du monde, puis introduits en Allemagne à travers les monts Riesen. Un groupe de volontaires, des frères mûrs, effectuaient cette tâche dangereuse et fatigante. Nous traversions la frontière à minuit. Les frères étaient organisés et bien équipés, portant de grands sacs à dos. Tout en assurant leur travail profane chaque jour, ils faisaient le voyage deux fois par semaine. En hiver, ils utilisaient des luges et des skis. Ils connaissaient chaque sentier et chaque détour. Équipés de chaussures de montagne, ils portaient de puissantes lampes de poche et des jumelles. La prudence était de rigueur. Longtemps avant d’arriver à la frontière allemande à minuit, et après l’avoir traversée, personne ne disait un mot. Deux frères partaient en avant en éclaireurs, et s’ils rencontraient quelqu’un, ils faisaient des signaux avec leurs lampes. Alors, les frères lourdement chargés qui les suivaient à environ 100 mètres de distance, se cachaient dans les buissons jusqu’à ce que les deux éclaireurs reviennent et leur disent le mot de passe, qui changeait d’une semaine à l’autre.

“De tels incidents pouvaient se produire plusieurs fois pendant la nuit. Une fois le danger passé, les frères poursuivaient leur chemin jusqu’à une certaine maison dans un village allemand, où, pendant la nuit ou de bonne heure le lendemain matin, les livres étaient emballés dans de petits paquets et apportés à la poste de Hirschberg ou d’autres villes proches et envoyés à certaines adresses. Voilà comment les frères un peu partout en Allemagne recevaient leurs imprimés. (...) Pendant deux années, cette équipe de frères zélés et extrêmement prudents a pu introduire de grandes quantités d’imprimés en Allemagne sans se faire prendre, fortifiant ainsi de nombreux frères dans tout le pays.” Des moyens analogues furent utilisés aux frontières française, sarroise, suisse et hollandaise.

À ce sujet, une sœur écrivit cette lettre intéressante : “Lorsque vous lirez le rapport de l’Allemagne publié dans l’Annuaire, vous vous demanderez comment tant d’imprimés ont pu être placés dans de telles conditions. Nous nous posons la même question. Si Jéhovah n’était pas avec nous, ce serait impossible. Bien des frères sont surveillés constamment par la police dès qu’ils quittent leur maison. (...) Mais Jéhovah est au courant, et il permet que nous soyons continuellement fortifiés grâce à l’abondante nourriture que nous recevons.”

Nous avons eu assez de temps pour cacher les publications dans divers endroits avant l’interdiction de l’œuvre. Cependant, pour comprendre la situation, il est important de se rappeler que les frères n’avaient aucune expérience pour ce qui était de cacher les imprimés interdits. Aussi, au lieu de les diviser parmi les frères, au début ils avaient tendance à les déposer dans de grandes caches, qu’ils considéraient comme plus sûres, d’autant que les responsables pensaient que l’interdiction serait de courte durée. Certains de ces entrepôts cachés contenaient trente à cinquante tonnes d’imprimés. Avec le temps, cependant, certains des frères s’inquiétaient, se demandant ce qui se passerait si nos ennemis découvraient et confisquaient ces grandes quantités de publications. C’est pourquoi les frères responsables de ces entrepôts se mirent à distribuer les livres aux frères, pour qu’ils s’en servent dans le ministère, peu importe s’ils recevaient des contributions ou non.

Dès qu’il devenait évident que les persécutions allaient continuer et qu’il était dangereux de cacher les imprimés dans de grands entrepôts, les frères commençaient à distribuer gratuitement le plus grand nombre de livres et de brochures possible. Dans le ministère du champ, ils profitaient de l’inattention de la personne pour laisser un livre chez elle, ou bien ils mettaient un imprimé sous le paillasson, dans l’espoir que certaines de ces publications tomberaient entre les mains de gens sincères désireux de profiter de la force et de l’espérance que ces imprimés pouvaient leur donner.

LA COMMÉMORATION

Puisque, conformément aux commandements de Jéhovah, nous étions bien décidés à ne pas négliger nos réunions, il est évident que nous étions extrêmement consciencieux en ce qui concerne la célébration de la Commémoration. Ce jour-​là, la Gestapo était particulièrement active, ayant la plupart du temps découvert la date de la Commémoration, soit dans les publications imprimées en dehors de l’Allemagne, soit dans La Tour de Garde polycopiée, qui tombait parfois entre ses mains. Sa colère s’est dirigée plus particulièrement contre les oints, mentionnés non seulement au sujet de la Commémoration, mais encore par rapport aux campagnes spéciales. Elle voyait en eux les “chefs” de l’organisation qu’il fallait écraser d’abord, afin de détruire toute l’organisation.

La Commémoration célébrée le 17 avril 1935 était particulièrement mouvementée. Plusieurs semaines auparavant, la Gestapo avait déjà appris la date, ce qui lui donnait largement le temps d’alerter tous ses bureaux. Une circulaire secrète datée du 3 avril 1935 disait :

“Une attaque surprise lancée ce jour-​là contre les chefs connus des Étudiants de la Bible devrait bien réussir. Prière de signaler le succès de vos efforts avant le 22 avril 1935.”

Mais les chefs de la Gestapo avaient du mal à parler du ‘succès de leurs efforts’, car la majorité d’entre eux, comme celui de Dortmund, pouvait seulement signaler que les maisons des frères considérés comme chefs de l’Association des Étudiants de la Bible avaient été placées sous surveillance, mais qu’aucune réunion n’y avait été tenue. Pour apaiser leurs supérieurs, ils ajoutaient que “les membres principaux et actifs des Étudiants de la Bible dans ce district sont déjà sous les verrous, si bien qu’il n’y a personne pour organiser de telles réunions”.

Toutefois, la police secrète se trompait, car peu de temps après l’envoi de cette circulaire, nous en avons reçu une copie d’un ami de la vérité qui avait accès à de tels renseignements secrets. Les directeurs de service régionaux ont pu prévenir à temps tous les serviteurs, en leur donnant de bons conseils sur la façon d’obéir aux instructions de notre Seigneur et Maître, sans se faire prendre.

Ainsi, beaucoup de frères se sont réunis aussitôt après 18 heures, tandis que d’autres ont attendu que la Gestapo vienne et reparte avant d’aller se réunir avec leurs frères dans de petits groupes, certains d’entre eux célébrant la Commémoration au milieu de la nuit. Toujours est-​il que la plupart des services de la Gestapo établirent des rapports semblables à celui envoyé de Dortmund.

Willi Kleissle relate que les frères de Kreuzlingen célébrèrent la Commémoration à 18 heures précises. On leur avait dit qu’avant de quitter l’immeuble, ils devaient passer par le magasin d’un frère situé dans le même bâtiment, pour y acheter du sucre, du café ou d’autres denrées. Cela leur permettrait de sortir par la porte du magasin. Les “matraqueurs”, comme frère Kleissle les appelait, se sont effectivement présentés, mais tous les frères étaient passés par le magasin, de sorte qu’on ne pouvait rien prouver contre eux. Cependant, les questions posées par la Gestapo et les commentaires des policiers indiquaient clairement qu’ils connaissaient la date de la Commémoration grâce à un exemplaire de La Tour de Garde.

Les frères s’attendaient toujours à recevoir des surprises, mais c’était là une bonne chose. Ils essayaient de rattacher leur présence aux réunions hebdomadaires, et surtout à la Commémoration, à une activité inoffensive courante, et cela leur a souvent évité d’être arrêtés. Franz Kohlhofer, qui habitait près de Bamberg, relate ce qui suit :

“Ce jour-​là, les espions étaient particulièrement actifs pour surveiller les maisons des témoins de Jéhovah, dans l’espoir de les surprendre en train de déployer une activité illégale et de les arrêter. (...) Quelques jours auparavant, nous avions décidé de nous réunir pour la célébration chez un frère éleveur de porcs. Chacun devait apporter un panier rempli d’épluchures de pommes de terre et d’autres restes. Il fallait pouvoir agir vite, car la Gestapo pouvait surgir d’un moment à l’autre. Pour plus de sûreté, nous avons amené un jeu de cartes pour tromper la police si elle venait à l’improviste. Devinez ce qui s’est produit ! À l’instant où le frère terminait sa prière finale, on a frappé à la porte. Nous nous sommes mis aussitôt à jouer aux cartes, et lorsque les policiers sont entrés ils ont trouvé quatre personnes autour d’une table en train de jouer innocemment. Ils en croyaient à peine leurs yeux. Étant venus trop tard, ils sont rentrés bredouilles.”

BAPTÊMES

Bon nombre de ceux qui ont appris la vérité pendant cette période ont été baptisés dans des circonstances très difficiles. Bientôt, certains de ces nouveaux baptisés ont été jetés en prison ou dans des camps de concentration, et beaucoup d’entre eux ont perdu la vie, tout comme ceux qui leur avaient apporté la bonne nouvelle.

Paul Buder avait déjà entendu le discours “Millions” en 1922. Mais son premier vrai contact avec la vérité remonte à 1935, lorsqu’une jeune fille contre qui il avait été prévenu là où il travaillait lui a donné le livre Création. Dans ses mémoires, il écrit : “C’était le 12 mai 1935, et ce livre était exactement ce que je cherchais. Le 19 mai 1935, je me suis fait radier du registre de mon Église, et j’ai informé la jeune fille que je voulais devenir témoin de Jéhovah. Quel bonheur pour elle ! Elle avait déjà passé six semaines en prison, accusée de colportage. Puis je me suis mis en rapport avec frère et sœur Woite, de la congrégation de Forst. Les frères pensaient que j’étais un espion nazi envoyé dans la congrégation, mais cela ne m’a pas empêché d’aller régulièrement de maison en maison dans tous les villages d’alentour, muni de ma petite Bible Luther. Le 23 juillet 1936, j’ai été baptisé à Forst, dans les eaux de la Neisse, en présence de frère et sœur Woite et d’un frère âgé qui a prononcé le discours.”

Souvent, les baptêmes se faisaient par petits groupes dans une maison particulière. Parfois, les baptêmes avaient lieu en plein air, tantôt avec quelques candidats seulement, tantôt avec un nombre plus important. Heinrich Halstenberg nous décrit en ces termes des baptêmes faits dans la Weser :

“En 1941, plusieurs personnes intéressées ont exprimé leur désir de se faire baptiser. Apprenant qu’un certain nombre d’autres personnes de la région avaient le même désir, nous avons cherché un endroit approprié et en avons trouvé un à Dehme, sur la Weser. Tout a été bien préparé et organisé et le service du baptême a été prévu pour le 8 mai 1941. Les frères et les candidats étaient déjà sur place tôt le matin. Les gens pensaient que nous étions un groupe venu nager. Pour ne pas être surpris, nous avons posté des guetteurs, après quoi nous avons parlé de l’importance du baptême et adressé une prière à Jéhovah. Puis soixante candidats ont été baptisés dans le fleuve. Les candidats âgés ou trop malades pour supporter l’eau froide ont été baptisés après dans une baignoire, ce qui a porté le total des baptisés ce jour-​là à quatre-vingt-sept.”

UNE CHASSE À L’HOMME COMMENCE

Albert Wandres était directeur de service régional dès avant le 7 octobre 1934, et son nom était bien connu de la Gestapo, surtout après une série ininterrompue de procès dans diverses villes de la Ruhr, où il exerçait son ministère. Interrogés sur la provenance des imprimés qu’ils possédaient, les inculpés répondaient souvent : “De Wandres.” La Gestapo fit tout pour l’arrêter. Cependant, avec prévoyance, il avait demandé à tous les frères qui possédaient sa photo de la lui rendre ou de la détruire. Ainsi, tout en connaissant son nom, la Gestapo n’avait aucune idée de son aspect. Il ne devait tomber entre les mains de ses persécuteurs qu’après une chasse à l’homme qui dura trois ans et demi. Mais laissons frère Wandres relater quelques anecdotes se rapportant à son activité clandestine.

“Pendant un certain temps, j’ai rencontré plusieurs frères à Düsseldorf, dans l’épicerie d’un frère. Nous avons pensé que nous nous ferions remarquer le moins possible si nous entrions dans le magasin et en sortions peu de temps avant la fermeture. Une fois, nous étions réunis depuis une heure environ quand, soudain, des agents de la Gestapo sont entrés dans le magasin. J’ai tout juste eu le temps de quitter la pièce servant de réserve, où se tenaient nos discussions, et de pénétrer dans le magasin. Heureusement, la lumière était déjà éteinte. Un instant plus tard, ils ont fait irruption dans la réserve et arrêté tous les frères présents. Ayant fouillé toute la pièce, ils ont trouvé ma serviette bourrée de Tours de Garde. L’un des agents a crié soudain avec joie : ‘Voilà celui que nous recherchons ! À qui appartient cette serviette ?’ Personne n’a répondu. Il a donc demandé où habitait le propriétaire du magasin. ‘Au troisième étage.’ L’agent de la Gestapo a crié : ‘Sortez !’ Tous les frères ont monté l’escalier au pas de course, suivis de près par les agents de la Gestapo, qui espéraient trouver celui qu’ils recherchaient dans l’appartement du frère.

“Je suis rentré avec précaution dans la réserve, j’ai remis mon manteau et mon chapeau, ramassé ma serviette et me suis assuré que personne n’attendait dans la rue. Puis je suis parti le plus rapidement possible. Lorsque les agents sont redescendus, ils ont découvert à leur grand chagrin que l’oiseau s’était envolé. En fait, j’étais en route pour Elberfeld-Barmen.” Frère Wandres ajoute : “Cela fait une belle anecdote, mais le vivre est une tout autre histoire.”

Frère Wandres poursuit, en disant : “Une fois, je me rendais à Bonn et à Kassel, muni de deux lourdes valises remplies du livre Préparation. Ces livres avaient été introduits en Allemagne près de Trèves. Je suis arrivé à Bonn tard le soir et j’ai déposé les valises en lieu sûr, dans la cave du serviteur de congrégation. Le lendemain matin, vers 5 h 30, la sonnette a retenti. La Gestapo était venue une fois encore fouiller l’appartement. Frère Arthur Winkler, le serviteur de congrégation, a frappé à ma porte et m’a informé que des visiteurs non invités étaient arrivés. Comme nous ne pouvions leur échapper, nous avons décidé de nous tirer d’affaire le mieux possible. Lorsque les agents sont entrés dans ma chambre, ils m’ont demandé ce que je faisais là. J’ai répondu brièvement que je faisais un voyage sur le Rhin et que je désirais visiter les jardins botaniques de Bonn. Ils ont vérifié soigneusement mes papiers et, bien qu’hésitants, ils me les ont redonnés. Frère Winkler a dû les accompagner au poste de police où, comme frère Winkler me l’a relaté plus tard, l’un des agents a dit à son supérieur : ‘Il y avait un autre homme avec lui.’ ‘Et vous ne l’avez pas amené ? Vous êtes vraiment malins !’ L’un d’eux lui a répondu : ‘Pourquoi ? Faut-​il retourner le chercher ?’ ‘Le chercher ? Vous croyez vraiment qu’il attend votre retour ?’ En fait, les agents étaient à peine sortis de la maison que je suis parti avec une des deux valises (qu’ils n’avaient pas trouvées), que j’ai apportée à Kassel.

“Dès mon arrivée à Kassel, frère Hochgräfe, serviteur de congrégation, m’a dit : ‘Tu ne peux rester ici. Tu dois repartir immédiatement. Depuis une semaine, la Gestapo vient nous voir tous les matins.’ Nous avons convenu qu’il marcherait quelque cinquante mètres devant moi et qu’il me montrerait où je pouvais laisser les publications. À peine avions-​nous parcouru deux cents mètres le long de la belle Kastanienallee que des agents de la Gestapo, qui connaissaient bien le serviteur de congrégation, se sont approchés. Puisque j’étais environ cinquante mètres derrière, j’ai pu voir leur sourire narquois, mais ils ne l’ont pas arrêté. Quelques minutes plus tard, les imprimés qui allaient fortifier la foi des frères se trouvaient en lieu sûr.

“Une autre fois, je portais deux valises lourdes remplies d’imprimés à Burgsolms, près de Wetzlar. C’était à 11 heures du soir, et il faisait nuit noire. Personne ne pouvait me voir, et pourtant j’avais le sentiment bizarre qu’on me surveillait. Arrivé à ma destination, j’ai conseillé aux frères de mettre les valises en lieu sûr. Vers 5 h 30 le lendemain matin, un brigadier de police est venu frapper à la porte. J’étais au milieu de la pièce en train de me préparer pour faire ma toilette. Le policier a dit à la sœur : ‘Hier soir, un homme portant deux grandes valises est arrivé ici. Ce sont sans doute des imprimés. Où sont-​ils ?’ La sœur a répondu : ‘Mon mari est déjà parti travailler, et j’ignore ce qui s’est passé hier soir, car j’étais sortie.’ Le brigadier lui a déclaré : ‘Si vous ne me remettez pas les valises, nous serons obligés de fouiller la maison. Je vais aller chercher le maire, car sans lui je ne peux perquisitionner. Je vous interdis de sortir avant mon retour.’ Pendant toute cette discussion, j’étais là, au milieu de la pièce, en train de me demander pourquoi l’agent avait l’œil vitreux et ne m’adressait pas la parole. J’ai été obligé de conclure que c’est comme s’il avait été frappé de cécité. Dès qu’il est parti chercher le maire, je me suis préparé pour partir. Je suis sorti par derrière, et j’ai attendu que le maire et le brigadier de police soient entrés par la porte de devant. À ce moment précis, je suis parti. Les voisins qui observaient la scène étaient visiblement heureux de me voir leur échapper. J’ai terminé de m’habiller dans un bois, puis j’ai couru à toutes jambes jusqu’à la gare la plus proche, où j’ai repris mon voyage.”

D’autres directeurs de service régionaux ont relaté des anecdotes semblables.

UNE ÉPREUVE D’UN GENRE DIFFÉRENT

De 1934 à 1936, de fidèles bergers soutenaient leurs frères en Allemagne, en les encourageant à assister aux réunions et, si possible, à participer à toutes les formes du service, malgré les persécutions. Entre-temps, le 17 décembre 1935, frères Balzereit, Dollinger et sept autres considérés comme “célèbres”, durent comparaître devant un tribunal à Halle. Pour au moins la moitié d’entre eux, ce procès devait marquer la fin de leur course chrétienne.

Au cours des nombreux procès qui ont eu lieu à cette époque-​là en Allemagne, beaucoup de frères ont avoué ouvertement ce qu’ils avaient fait pour faire progresser les intérêts du Royaume dans des conditions difficiles. En revanche, ces hommes jugés à Halle ont nié avoir fait quelque chose qui soit interdit par le gouvernement. Interrogé par le président de la cour, Balzereit a déclaré que dès l’annonce de l’interdiction en Bavière, il avait ordonné d’y arrêter la prédication, et qu’il avait donné des instructions analogues dans tous les autres États. Il a ajouté qu’il n’avait jamais encouragé qui que ce soit à passer outre à l’interdiction.

Lorsque le président du tribunal a interrogé Balzereit au sujet de la célébration annuelle de la Commémoration, celui-ci a dit qu’il avait entendu que les frères projetaient de se réunir pour la célébrer malgré l’interdiction. Il les avait prévenus, cependant, puisqu’il savait que la police allait entreprendre une action spéciale ce jour-​là.

Naturellement, comme dans tous les procès à cette époque-​là, l’attitude personnelle des inculpés à l’égard du service militaire a été mise sur le tapis. Balzereit a déclaré qu’il était complètement d’accord avec le Führer, qui disait que la guerre est un crime mais que chaque pays a le droit et le devoir de protéger la vie de ses citoyens.

Peu de temps après, frère Rutherford écrivit la lettre suivante aux frères allemands :

“Au fidèle peuple de Jéhovah en Allemagne :

“Il est réjouissant de savoir que malgré les persécutions iniques qui s’abattent sur vous et la grande opposition des agents de Satan dans votre pays, le Seigneur a encore quelques milliers de serviteurs qui ont foi en lui et persistent à proclamer le message de son Royaume. Votre fidélité en résistant à vos persécuteurs et en restant fidèles au Seigneur tranche sur le comportement de celui qui était le directeur de la Société en Allemagne, et de certains qui lui étaient associés. J’ai reçu dernièrement une copie du compte rendu du procès où ces hommes ont été jugés à Halle, et j’ai été étonné de voir que pas un seul des inculpés n’a rendu un témoignage fidèle et vrai au nom de Jéhovah. La responsabilité incombait surtout à l’ancien directeur, Balzereit, de tenir bien haut l’étendard du Seigneur et de se déclarer pour Dieu et son Royaume au milieu de toute cette opposition, mais pas une seule de ses paroles n’a montré qu’il comptait entièrement sur Jéhovah. À maintes reprises j’avais attiré son attention sur ce qui pouvait être fait en Allemagne, et il m’avait donné l’assurance qu’il faisait tous ses efforts pour encourager les frères à poursuivre l’œuvre de témoignage. Mais lors du procès, il a affirmé catégoriquement qu’il n’a rien fait de pareil. Inutile d’en parler davantage. Il suffit d’ajouter que la Société n’a désormais plus aucun rapport avec lui ni avec ceux qui, lors du même procès, ont eu l’occasion de rendre témoignage au nom de Jéhovah et à son Royaume, et qui ont failli à leur devoir. Même si elle en avait le pouvoir, la Société ne ferait rien pour les aider à sortir de prison.

“Que tous ceux qui aiment le Seigneur se tournent vers lui, Jéhovah, et vers son Roi, et demeurent fidèlement et inébranlablement du côté du Royaume, quelle que soit l’opposition à laquelle vous aurez à faire face ! (...)”

Ces questions ont été traitées dans l’édition allemande de La Tour de Garde, datée du 15 juillet 1936, pour prévenir ceux qui désiraient sincèrement être de fidèles témoins de Jéhovah en toute circonstance.

À la différence de nombre de fidèles frères allemands, qui avaient été condamnés à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison, Balzereit ne fut condamné qu’à deux ans et demi, et Dollinger, à deux ans. Après avoir purgé sa peine, Balzereit fut incarcéré dans le camp de concentration de Sachsenhausen, où il fut obligé de jouer un rôle extrêmement déshonorant. Il avait signé la déclaration reniant ses frères, et il évitait tout contact avec eux. À cause de sa conduite, il fut libéré environ une année plus tard, mais avant sa libération il fut humilié à plusieurs reprises, car, dans le fond, les S. S. méprisaient les traîtres. Ce furent les S. S. qui lui donnèrent le sobriquet de “Béelzébub”, et une fois un S. S. lui ordonna de se tenir devant tous ses frères, — il y en avait 300 dans le camp, — et de répéter à haute voix la déclaration qu’il avait signée niant toute association avec les témoins de Jéhovah. Il s’exécuta !

En 1946, Balzereit, devenu violemment opposé à la vérité, écrivit une lettre à la Commission des Réparations, dans laquelle il révéla qu’il avait été hostile à notre œuvre dès avant son procès. Ainsi prit fin une page noire dans l’histoire du peuple de Dieu en Allemagne, dont les premières lignes avaient été écrites dans les années 1920.

LA GESTAPO FRAPPE, — LE 28 AOÛT 1936

Deux années d’activité zélée étaient passées, au cours desquelles les agents de la Gestapo, tout en pistant les témoins de Jéhovah connus, n’avaient pas réussi à gêner réellement l’activité organisée dans la clandestinité. Mais avec le temps, ils apprenaient de plus en plus ce que nous étions en train de faire. Pour mieux nous combattre, un “Commandement spécial de la Gestapo” fut établi, d’après une notice confidentielle, datée du 24 juin 1936, émanant de la Police secrète de l’État prussien.

Durant la première moitié de 1936, la police secrète établit un dossier important contenant l’adresse des personnes soupçonnées d’être témoins de Jéhovah ou tout au moins sympathisantes. Les renseignements renfermés dans ce dossier venaient dans une large mesure des adresses trouvées dans le livre La Manne céleste quotidienne, confisqué au cours des perquisitions. Les agents de la Gestapo suivaient des cours spéciaux. Ils apprenaient comment conduire l’étude de La Tour de Garde ; ils devaient étudier attentivement les derniers articles de La Tour de Garde, afin d’être à même de répondre aux questions comme s’ils étaient des frères. Ils devaient même apprendre comment prier. Tout cela pour s’introduire, si possible, au sein même de l’organisation et la détruire de l’intérieur.

Anton Kötgen, de Münster, relate comment, après avoir donné des imprimés à une dame “amicale”, il fut aussitôt arrêté et mis en prison. Simultanément, selon frère Kötgen, “des agents de la Gestapo ont visité ma femme qui se trouvait au jardin. Ils se sont présentés comme des frères, en demandant le nom d’autres frères. Cependant, ma femme a pénétré leurs intentions, comprenant qu’il s’agissait d’agents de la Gestapo”. Malheureusement, les frères ne les reconnaissaient pas toujours à temps.

Entre-temps, frère Rutherford prévoyait de visiter la Suisse et désirait, si possible, parler avec des frères venus d’Allemagne. Un congrès devait se tenir à Lucerne du 4 au 7 septembre 1936. Le Bureau central en Suisse nous avait suggéré de recueillir un certain nombre de rapports des frères allemands, relatant comment ils avaient été arrêtés, maltraités par la Gestapo, licenciés pour avoir refusé de faire “le salut hitlérien”, et rapportant également des cas où des frères étaient morts par suite des mauvais traitements qu’ils avaient subis. Ces rapports devaient parvenir secrètement en Suisse avant le début du congrès, afin que frère Rutherford ait l’occasion de les examiner.

Mais soudain, le 28 août 1936, l’ensemble de la Gestapo assena un coup terrible, déclenchant une campagne au cours de laquelle les témoins de Jéhovah devaient être traqués comme des bêtes sauvages. Tous les effectifs disponibles furent mobilisés pour agir jour et nuit, mais surtout la nuit, et s’emparer des témoins de Jéhovah. Tous les renseignements que la Gestapo avait réunis au cours des mois précédents étaient maintenant mis à contribution. Des personnes qui ne se doutaient de rien, dont certaines n’avaient jamais prétendu être témoins de Jéhovah, étaient prises dans le filet. Naturellement, de telles personnes étaient tout à fait disposées à raconter à la Gestapo tout ce qu’elles savaient au sujet des témoins de Jéhovah, afin de retrouver leur liberté. Même si les renseignements qu’elles ont pu donner étaient fragmentaires, ils complétaient le tableau que la Gestapo avait déjà fait de notre œuvre. Plus tard, lors des procès, les agents de la Gestapo se vantaient souvent en disant que de tels renseignements les avaient aidés à mettre la main sur des milliers de personnes, dont la majorité fut mise en prison et ensuite dans les camps de concentration.

Une fois que cette campagne de la Gestapo était rodée, ses agents ont déclenché une grande offensive pour arrêter frère Winkler, alors responsable de l’œuvre en Allemagne, ainsi que les directeurs de service régionaux, car ils connaissaient déjà le nom et le territoire de la plupart d’entre eux. Cette “campagne” était considérée comme d’une si grande importance que tous les effectifs de la Gestapo devaient être utilisés pour porter ce coup aux témoins de Jéhovah, quitte à laisser les criminels agir impunément.

Le travail minutieux de la Gestapo pendant plusieurs mois l’avait amenée à découvrir que des réunions importantes entre frère Winkler et d’autres serviteurs responsables venus de toute l’Allemagne, se tenaient au jardin zoologique de Berlin. Cela était particulièrement vrai pendant les mois où il faisait doux. Ces réunions ont pu être camouflées facilement, car frère Varduhn gérait au zoo une agence de location de chaises. Sans se faire remarquer, il informait les frères qui arrivaient de l’endroit où ils trouveraient les autres dans le zoo, puis il les dirigeait tous vers un endroit sûr où ils pouvaient discuter. Chaque fois qu’un danger se présentait, il les prévenait en leur demandant de payer la “location” des chaises. Mais cette disposition merveilleuse ne tarda pas à être découverte. D’une manière ou d’une autre, la Gestapo en a été informée, ce qui l’a aidée à exécuter son plan d’attaque. Frère Klohe, lui-​même impliqué dans l’affaire, nous relate en ces termes ce qui se produisit à Berlin pendant cette période mouvementée :

“J’attendais avec joie le congrès de Lucerne ; j’avais de bonnes chances d’y assister, car je possédais déjà un visa suisse. Mais auparavant, je désirais me rendre à Leipzig, pour discuter de questions d’organisation avec frère Frost, que je devais remplacer comme directeur de service régional, à la suite de l’arrestation de frère Paul Grossmann. Mais au lieu de rencontrer frère Frost, j’étais attendu par la Gestapo. Au début, j’étais complètement abasourdi, car au moment où je devais entreprendre un service joyeux, j’allais être privé de la compagnie de mes frères et détenu par la Gestapo à Leipzig. [Après, elle le transféra à Berlin.]

“Entre-temps, la Gestapo avait appris que nous nous rencontrions au jardin zoologique, ainsi que bien d’autres détails au sujet de notre organisation. Elle avait obtenu ces renseignements de plusieurs manières, y compris le chantage.

“Quelques jours plus tard, cinq agents armés m’ont dit de remettre mes vêtements civils et m’ont conduit à l’endroit près du bassin aux poissons rouges où frère Varduhn louait ses chaises. Ils ne savaient pas, cependant, qu’il était témoin de Jéhovah. À présent, je devais servir d’‘appât’ pour attirer mes frères qui devaient venir à la réunion prévue et dont la Gestapo était désormais au courant.

“J’étais à peine assis que j’ai vu s’approcher sœur Hildegard Mesch. Elle se demandait pourquoi je n’allais pas vers les autres frères. Puisque, à la suite des coups que j’avais reçus, mes tibias me faisaient très mal, les agents n’ont rien trouvé d’anormal lorsque j’ai grimacé de douleur à l’instant même où la sœur passait de l’autre côté du chemin, en lui faisant signe de mes yeux que la Gestapo se trouvait au zoo. Elle a compris, et, après avoir hésité une seconde, elle est allée informer frère Varduhn. Frère Winkler, qui est arrivé peu de temps après et qui, sans se douter de rien, s’est assis sur une chaise, se trouvait en très grand danger. Frère Varduhn n’a pas tardé à venir lui demander la location de la chaise et à le prévenir que des agents de la Gestapo se trouvaient au zoo. Frère Winkler, laissant sa serviette sur place, a réussi à passer au travers du filet tendu par les agents de la Gestapo. J’ai appris par la suite que tard la même nuit, il s’est présenté à l’appartement de frère Kassing, où un groupe d’agents de la Gestapo l’attendaient et purent l’arrêter.”

Dans l’espace de quelques jours, au moins la moitié des directeurs de service régionaux allemands, ainsi que des milliers d’autres frères et sœurs, avaient été arrêtés. Frère Georg Bär était du nombre. Il relate :

“Chaque soir, vers 22 heures, j’entendais qu’on venait chercher certains prisonniers dans leur cellule. Peu après, j’entendais qu’on les battait au sous-sol ; leurs cris et leurs gémissements venaient jusqu’à moi. Chaque soir, lorsque j’entendais qu’on ouvrait les portes de certaines cellules, je me disais : ‘C’est mon tour.’ Mais je n’ai été inquiété que le quatrième ou le cinquième jour, vers 18 heures, quand on m’a appelé pour m’interroger. Un S. S. m’a conduit jusqu’à son bureau et m’a dit de m’asseoir. Puis il a déclaré : ‘Nous savons que vous pourriez nous dire plus que vous ne désirez.’ Il s’est levé, a pris un crayon dont il a affûté la mine en la frottant sur sa corbeille à papier, puis il a continué son petit discours : ‘Je ne vais pas vous compliquer l’existence ; venez ici.’ Sur son bureau il y avait plusieurs pages dactylographiées, qu’il m’a demandé de lire. Il s’agissait d’une liste de tous les serviteurs itinérants en Allemagne, mon nom figurant au bas de la liste. J’ai pu lire le nom des congrégations que nous avions visitées, ainsi que le nom des frères qui s’y trouvaient. Le nombre des imprimés, des phonographes et des disques que nous avions commandés était indiqué en noir et blanc, de même que le montant des contributions et des autres sommes que nous avions versées. J’en croyais à peine mes yeux. Toute notre organisation clandestine était là, entre les mains de la Gestapo. Il m’a fallu quelques minutes avant de me rendre complètement compte de la situation. Je me suis demandé où la Gestapo avait bien pu obtenir tous ces renseignements. Si le rapport exact de ma propre activité n’y avait pas été indiqué, j’aurais douté de la véracité du rapport. Le S. S. Bauch, de Dresde, qui m’interrogeait, m’a laissé le temps de me ressaisir. Je dois avouer que j’avais l’air abasourdi lorsque je me suis rassis. Alors il a dit : ‘Vous voyez, vous n’avez aucune raison de rester muet.’

“Pendant des mois, j’ai été tourmenté en cherchant à comprendre où la Gestapo avait pu obtenir nos rapports. Plus tard j’ai découvert que toutes nos commandes, nos rapports et nos versements avaient été enregistrés et que le registre avait été gardé à Berlin. Ce dossier a été trouvé et confisqué par la Gestapo.”

UNE ACTIVITÉ COURAGEUSE CONFOND LA POLICE

Le congrès qui devait se tenir du 4 au 7 septembre 1936 à Lucerne revêtait soudain un aspect nouveau, par suite des arrestations nombreuses qui avaient eu lieu deux semaines auparavant. Il se peut que les dates du congrès, connues également de la Gestapo, aient déterminé la date de sa campagne contre nous. Quoi qu’il en soit, la Gestapo a tout fait pour empêcher les frères allemands d’y assister. Cela ressort d’une circulaire confidentielle de la police secrète d’État, datée du 21 août 1936, qui déclarait à propos des frères désireux de se rendre au congrès : “Il faut empêcher de telles personnes de quitter le pays. Leur passeport doit être confisqué.”

En fait, des plus de mille personnes qui avaient prévu de s’y rendre, quelque trois cents seulement ont pu le faire, et la plupart d’entre elles ont dû traverser la frontière illégalement. Bon nombre furent arrêtées lors de leur retour.

Naturellement, frère Rutherford profita de l’occasion pour parler avec les serviteurs venus d’Allemagne et discuter de leurs problèmes. Il cherchait surtout à savoir comment aider les frères spirituellement. Heinrich Dwenger était présent et fait le rapport suivant sur la discussion :

“Ensuite il a invité les directeurs de service régionaux à faire des suggestions. Ils ont recommandé que frère Rutherford me renvoie en Allemagne. Ils m’avaient demandé de le suggérer moi-​même, mais je leur avais dit qu’ayant été envoyé à Prague, je ne pouvais dire que je voulais rentrer en Allemagne. Cela donnerait l’impression que je n’étais pas content de mon service. C’est ainsi que frère Frost a été chargé provisoirement de cette responsabilité. Puis frère Rutherford a demandé : ‘Que se passera-​t-​il si tu es arrêté ?’ Si frère Frost était arrêté, frère Dietschi était recommandé comme remplaçant.”

Une résolution fut adoptée et deux ou trois mille exemplaires furent envoyés à Hitler et à ses bureaux administratifs en Allemagne. Un exemplaire fut également envoyé au pape à Rome. Frère Franz Zürcher, de Berne, qui avait envoyé ces exemplaires le 9 septembre 1936, reçut la confirmation qu’ils avaient été reçus au Vatican et à la Chancellerie du Reich à Berlin. La résolution, dont le texte comportait trois pages et demie dactylographiées, contenait les pensées suivantes :

“Nous protestons énergiquement contre les traitements cruels que font subir aux témoins de Jéhovah la Hiérarchie catholique romaine et ses alliés en Allemagne et dans d’autres parties du monde, mais nous laissons l’issue de la situation entièrement entre les mains du Seigneur, notre Dieu, qui, selon sa Parole, récompensera chacun pleinement. (...) Nous envoyons nos salutations chaleureuses à nos frères persécutés d’Allemagne, et nous les encourageons à demeurer courageux et à compter pleinement sur les promesses du Dieu tout-puissant, Jéhovah, et son Christ. (...)”

Des dispositions furent prises pour que cette résolution soit diffusée parmi un grand nombre de personnes en Allemagne, grâce à une campagne éclair. Des 300 000 exemplaires imprimés à Berne, 200 000 furent envoyés à Prague, d’où ils furent transportés à travers la frontière près de Zittau, et à d’autres endroits dans les monts Riesen. Les 100 000 exemplaires qui restaient devaient être introduits en Allemagne, en passant par les Pays-Bas, mais malheureusement ils furent confisqués dans ce pays. C’est pourquoi plusieurs directeurs de service régionaux durent fabriquer leurs propres exemplaires pour Berlin et le nord de l’Allemagne. La résolution devait être distribuée le 12 décembre 1936, entre 17 et 19 heures.

D’après les rapports reçus plus tard, quelque 3 450 frères et sœurs prirent part à cette activité. Chacun en avait vingt ou tout au plus quarante exemplaires à distribuer, et il s’agissait de s’en défaire le plus vite possible dans le territoire attribué. On devait les laisser dans les boîtes à lettres ou les glisser sous les portes.

Un exemplaire était laissé à chaque pavillon ; dans les grands immeubles, en général on n’en laissait que trois exemplaires. Puis ceux qui distribuaient les dépliants se rendaient rapidement dans une rue voisine, où ils répétaient l’opération, de manière à visiter le plus de territoire possible.

L’effet produit sur nos ennemis était foudroyant ! Erich Frost, qui restait en étroite relation avec le bureau de Prague pendant les huit mois où il était responsable de l’œuvre en Allemagne, profita de l’un de ses voyages à Prague pour faire le rapport suivant sur cette campagne :

“La distribution de la résolution porta un coup terrible au gouvernement et à la Gestapo. Elle s’effectua par une activité intense déployée subitement le 12 décembre 1936. Tout avait été préparé, jusqu’au moindre détail, et chaque fidèle proclamateur reçut son territoire et ses exemplaires de la résolution vingt-quatre heures avant le début de la campagne, qui devait commencer à 17 heures précises. Une heure plus tard, la police, les S. A. et les S. S. couraient partout dans les rues pour essayer d’arrêter les courageux distributeurs. Mais ils n’en trouvèrent que quelques-uns, à peine plus d’une douzaine dans tout le pays. Cependant, le mardi suivant, des agents se rendirent chez les frères et les accusèrent d’avoir participé à la diffusion des dépliants. Naturellement, nos frères n’en savaient rien, et très peu d’entre eux furent arrêtés.

“D’après la presse, il y avait maintenant un sentiment non seulement de colère à cause de notre hardiesse, mais encore de crainte. Les autorités n’en revenaient pas qu’après quatre années de terreur exercée par le gouvernement de Hitler, il avait été encore possible de mener à bien une campagne si bien dissimulée et si étendue. Avant tout, elles avaient peur de la population. Bien des personnes s’étaient plaintes à la police, mais lorsque les agents sont allés demander aux habitants s’ils avaient reçu le dépliant, les gens le niaient. Cela provenait du fait que seulement deux ou tout au plus trois familles dans chaque immeuble avaient reçu la résolution. Bien entendu, la police ignorait cela, et pensait que chaque foyer en avait reçu un exemplaire.

“La police pensait donc que toute la population avait reçu notre résolution mais que, pour certaines raisons, nombre de gens refusaient de l’admettre lorsqu’ils étaient interrogés par la police. Cela a provoqué chez celle-ci de la confusion et une grande crainte.”

La Gestapo était très déçue, car elle pensait que sa grande campagne lancée contre nous le 28 août, avait complètement écrasé notre activité. Maintenant elle devait se rendre à l’évidence que la résolution avait été diffusée, mais en fait moins qu’elle ne le croyait ! Indéniablement, l’ennemi avait réussi à percer sérieusement les lignes du peuple de Dieu, mais il ne réussit jamais à arrêter complètement l’œuvre. Les frères continuèrent d’accomplir leur mission de prêcher, comme l’atteste le rapport des directeurs de service régionaux établi pour frère Rutherford, pour la période allant du 1er octobre au 1er décembre 1936. Voici les résultats : (Tous les chiffres sont approximatifs) 3 600 proclamateurs, 21 521 heures, 300 bibles, 9 624 livres et 19 304 brochures. Ce rapport soutient la comparaison avec le dernier rapport mensuel (du 16 mai au 15 juin), remis avant la vague d’arrestations : 5 930 proclamateurs, 38 255 heures, 962 bibles, 17 260 livres et 52 740 brochures.

LA GESTAPO DÉMASQUÉE PAR UNE “LETTRE OUVERTE”

Depuis sa diffusion le 12 décembre 1936, la résolution a été mentionnée à presque tous les interrogatoires et procès. Les interrogateurs ont maltraité beaucoup de nos frères parce que, d’après eux, les affirmations de la résolution étaient inexactes et que nous étions incapables de fournir des preuves. Aussi les frères responsables ont-​ils suggéré à frère Rutherford qu’une “lettre ouverte” soit distribuée lors d’une “campagne éclair” comme celle menée pour diffuser la résolution. La lettre réfuterait les arguments de la Gestapo. Frère Rutherford a donné son accord et a demandé à frère Harbeck en Suisse de rédiger cette “lettre ouverte”, puisqu’il avait accès à toute la documentation réunie depuis 1936 sur les persécutions.

Le paragraphe suivant, cité de cette lettre, donne un exemple des arguments puissants employés par les frères pour répondre publiquement à leurs ennemis :

“La patience chrétienne et la honte nous ont empêchés assez longtemps d’attirer l’attention du public en Allemagne et ailleurs sur ces outrages. Nous possédons une documentation écrasante prouvant que les témoins de Jéhovah ont été cruellement maltraités. Parmi les responsables, signalons surtout un certain Theiss, de Dortmund, et Tennhoff et Heimann, membres de la police secrète de Gelsenkirchen et de Bochum. Ils n’ont pas hésité à frapper des femmes avec des cravaches et des matraques de caoutchouc. Theiss, de Dortmund, et un membre de la police d’État de Hamm ont été particulièrement sadiques avec des femmes chrétiennes. Nous possédons des noms et des détails relatifs à quelque dix-huit cas où des témoins de Jéhovah ont été violentés et tués. Par exemple, au début d’octobre 1936, l’un des témoins de Jéhovah, nommé Peter Heinen, de la rue Neuhüller, à Gelsenkirchen, en Westphalie, a été battu à mort par la police secrète dans l’Hôtel de ville de Gelsenkirchen. Cet incident tragique a été rapporté au chancelier du Reich Adolf Hitler. Des copies ont été également envoyées au ministre du Reich Rudolf Hess et à Himmler, chef de la police secrète.”

Après la rédaction de la “lettre ouverte”, le texte fut reproduit à Berne, sur des stencils en aluminium, et envoyé à Prague. Ilse Unterdörfer, qui collaborait étroitement avec frère Frost dans l’activité clandestine, recevait de temps à autre l’ordre d’apporter des rapports à Prague et d’en ramener des renseignements. À l’occasion de l’un de ces voyages à Prague, on confia à sœur Unterdörfer les stencils qui devaient servir à l’impression de la “lettre ouverte”, à l’aide d’une machine à polycopier Rotaprint, nouvellement acquise. Le 20 mars 1937, sœur Unterdörfer arriva à Berlin avec son précieux bagage.

“J’ai accepté le paquet, nous dit frère Frost, puis j’ai confié ce ‘dangereux’ matériel à une autre sœur qui veilla à le mettre en lieu sûr. Cette nuit-​là, sœur Unterdörfer, qui avait apporté ces précieux stencils, et moi, nous avons été arrêtés à notre logement. Bien qu’il nous fût très dur d’accepter de perdre notre liberté pendant toute la durée de la dictature nazie, nous étions néanmoins heureux à l’idée d’avoir assuré le succès de la campagne avec le nouveau tract.”

Mais frère Frost se trompait. Tandis qu’on l’emmenait en prison, il découvrit la machine à polycopier Rotaprint tout à côté de lui, dans la voiture de la police. La Gestapo l’avait trouvée lors d’une perquisition. En outre, les stencils, qui ne pouvaient être utilisés sur une autre machine, avaient apparemment disparu et on ne les retrouva jamais.

Ida Strauss, à qui frère Frost avait remis les stencils et qui connaissait tous les détails de la campagne, tenait le même raisonnement. Elle dit : “Les stencils en aluminium dans mon sac, je me rendais là où se trouvait la machine. Il était tard et il faisait nuit noire. Le propriétaire de la maison, une personne bien disposée, se tenait sur les marches et me dit : ‘Partez immédiatement, mettez-​vous en sécurité. La Gestapo a confisqué la machine, elle a arrêté les frères, et il y a peu de temps encore elle vous attendait, mais les agents se sont finalement lassés et sont partis.’ Qu’allait-​il se passer maintenant ? Au cours des jours suivants, j’ai appris que beaucoup de frères avaient été arrêtés cette nuit-​là et je ne trouvais personne parmi les frères qui fût en rapport avec l’organisation.

“Je me mis donc à la recherche d’un frère et de plusieurs sœurs suffisamment courageux pour se dévouer davantage en faveur des intérêts de l’œuvre de Jéhovah. Je savais que mon nom figurait sur la liste noire de la Gestapo et que je devais m’attendre à être arrêtée à tout moment. Lorsque cela se produisit, j’étais heureuse à l’idée que les intérêts de l’œuvre avaient été laissés entre de bonnes mains.”

Sœur Strauss se trompait aussi relativement aux stencils de la “lettre ouverte”. En effet, ils ne pouvaient plus être utilisés puisque la machine avait été confisquée et qu’aucune autre n’était disponible.

Maintenant que frère Frost avait été arrêté, Heinrich Dietschi allait s’occuper de l’œuvre, comme cela avait été décidé lors de l’entretien avec frère Rutherford à Lucerne. Son premier objectif était de faire paraître cette “lettre ouverte”. En conséquence, il rencontra frère Strohmeyer à Lemgo. Frères Strohmeyer et Kluckhuhn venaient d’être libérés de prison où ils avaient été détenus pendant six mois pour avoir imprimé l’Annuaire de 1936. Frère Strohmeyer accepta de l’aider.

La difficulté consistait à faire venir de nouveau les stencils de Suisse. Cette fois on nous remit des flans qui devaient d’abord être clichés par les frères afin de faire des stéréos pour la presse. Frère Dietschi avait reçu ces flans de Suisse, où 200 000 exemplaires de la “lettre ouverte” avaient déjà été imprimés, mais toutes les tentatives en vue de les faire passer en Allemagne avaient échoué.

Une fois la question de l’impression réglée, il fut décidé que la “lettre ouverte” serait distribuée en une “campagne éclair” fixée au 20 juin 1937. Sœur Elfriede Löhr rapporte. “Frère Dietschi organisa la campagne. Nous étions tous courageux, tout avait été merveilleusement réglé et chaque région avait reçu un nombre suffisant de lettres. Je pris une grande valise pleine de lettres à la gare pour le territoire de Breslau et l’amenai aux frères de Liegnitz. J’avais également mon propre paquet de lettres que je distribuai à la date fixée, à l’exemple de tous les autres frères.”

La distribution de la “lettre ouverte” a dû surprendre les agents de la Gestapo, qui depuis des mois se vantaient d’avoir complètement détruit l’organisation. Cela ne fit que les exciter davantage. C’est comme si quelqu’un avait remué une fourmilière ; ils étaient comme fous furieux et couraient dans tous les sens, et plus particulièrement Theiss, de Dortmund.

Mais le triomphe de Theiss avait également atteint son paroxysme. Il croyait devoir traiter les témoins de Jéhovah sans miséricorde. Un jour, il ordonna qu’on perquisitionne à la maison appartenant à un ancien frère du nom de Wunsch qui, entre-temps, s’était détourné de la vérité et servait en tant que sergent-major dans l’armée de l’air de Hitler. Lorsque Wunsch revint chez lui, sa femme lui dit que la maison avait été fouillée. Immédiatement il se rendit chez Theiss, à Dortmund, pour lui demander la raison de cette action. Surpris de voir un sergent-major de l’armée de l’air devant lui, Theiss bégaya : “Êtes-​vous pour les Étudiants de la Bible ?” Wunsch répondit : “J’ai entendu certains de leurs discours, mais j’ai été partout où je pouvais m’instruire.” À ce moment-​là Madame Theiss interrompit la conversation ; puis, tout excité, Theiss dit : “Si seulement j’avais su, je n’aurais jamais entrepris d’anéantir les Étudiants de la Bible. Il y a de quoi devenir fou. On pense avoir emprisonné une bête et tout à coup il en surgit dix autres. Je regrette, je n’aurais jamais dû commencer cette campagne de persécution.”

Il ne fait aucun doute que la conscience de cet agent du Diable n’a jamais connu le repos. Au contraire, le livre Croisade contre le christianisme, sous l’intertitre “Tu as vaincu, Galiléen”, conclut en ces termes :

“On signale entre autres que Theiss, l’inspecteur de la police criminelle de Dortmund, dont il a déjà été parlé à plusieurs reprises, serait depuis quelque temps en proie à de terribles remords de conscience à la suite des nombreux crimes dont il s’est rendu coupable. Les démons qui le possèdent le pousseraient à la folie. Il y a quelques mois il se vantait d’avoir ‘frappé à mort’ 150 Témoins de Jéhovah. C’est lui qui avait proféré ce blasphème : ‘Jéhovah, je te voue à la honte éternelle, vive le roi de Babylone !’

“Or maintenant il va trouver les Témoins de Jéhovah et leur promet de ne plus les torturer. Il supplie qu’on lui dise ce qu’il doit faire pour échapper au péril menaçant et se débarrasser des terribles tortures morales qui l’accablent. Il déclare avoir reçu des autorités supérieures l’ordre de recourir aux mauvais traitements. ‘Maintenant, dit-​il, je ne veux plus agir ainsi parce que de nouveaux Témoins de Jéhovah surgissent sans cesse.’ Comme Judas, après avoir livré son Maître à ses ennemis, Theiss se repent mais ne trouve pas la paix de l’esprit. [Bien que peu nombreux, un certain] nombre d’agents de la Gestapo et autres membres du parti, (...) inquiétés par l’inébranlable fidélité des Témoins de Jéhovah, reconnaissent leur erreur et renoncent à leur emploi.”

La diffusion de la “lettre ouverte” inquiéta vivement la Gestapo qui tendit immédiatement après ses filets. En quelques jours seulement, un indice les conduisit directement à Lemgo, chez les frères Strobmeyer et Kluckhuhn qui avaient imprimé la “lettre ouverte”. La Gestapo fut à même de prouver qu’ils en avaient imprimé au moins 69 000 exemplaires. Les deux frères furent condamnés à trois ans de prison, et lorsqu’ils eurent purgé leur peine, la Gestapo les retint en détention préventive, les qualifiant d’“incorrigibles”.

La plupart des directeurs de service régionaux ayant été arrêtés, on fit appel aux sœurs pour colmater les brèches et maintenir le contact entre frère Dietschi et les congrégations. L’une d’elles se nommait Elfriede Löhr ; elle essaya de rencontrer frère Dietschi après l’arrestation de frère Frost et de sœur Unterdörfer. Elle se rendit à Wurtemberg et, après maintes recherches, elle trouva frère Dietschi à Stuttgart. Il l’emmena avec lui, afin de l’initier aux différentes méthodes utilisées pour rester en contact avec les frères. On prit également des dispositions pour qu’un poste émetteur portatif soit construit aux Pays-Bas, de sorte qu’il puisse entrer en service en automne de 1937. La Gestapo avait déjà eu vent de l’affaire et en voulait à frère Dietschi, dont elle connaissait le nom ; mais elle eut autant de mal à le prendre qu’à arrêter frère Wandres.

C’est à peu près à cette époque-​là que sœur Dietschi fut arrêtée par la Gestapo et conduite dans l’infâme “Steinwache” de Dortmund. On essaya de lui faire dire où se cachait son mari, mais elle refusa de parler. Elle fut si cruellement torturée, que l’une de ses jambes est restée plus courte que l’autre. En outre, une fois relâchée, on dut l’envelopper entièrement pendant plusieurs semaines dans des bandages imbibés d’alcool.

LES RÉPERCUSSIONS DE L’ASSEMBLÉE DE PARIS DE 1937

Comme celle qui eut lieu un an auparavant à Lucerne, l’assemblée tenue à Paris en 1937 devait recevoir la visite de frère Rutherford. Cette fois, seuls quelques frères d’Allemagne purent y assister. L’ennemi avait provoqué des pertes importantes dans les rangs des frères. Frère Riffel, l’un des rares témoins présents à cette assemblée, raconta par la suite que rien qu’à Lörrach et ses environs quarante frères et sœurs avaient été emprisonnés, dix d’entre eux ayant été pendus, gazés ou fusillés, ou bien étaient morts de faim ou des suites des “expériences médicales” effectuées sur eux dans le camp de concentration.

Une autre résolution fut adoptée à Paris, exposant de nouveau la position nette et inébranlable des témoins vis-à-vis de Jéhovah et de son Royaume remis entre les mains de Jésus Christ, attirant ouvertement l’attention sur les persécutions brutales exercées en Allemagne, et annonçant que les responsables de ces atrocités seraient frappés du juste jugement de Dieu.

Le dernier directeur de service régional d’Allemagne s’absenta pendant deux semaines ; certaines choses se produisirent durant ce laps de temps. En effet, sœur Löhr fut arrêtée. Elle assistait généralement ainsi qu’une quinzaine d’autres frères et sœurs aux réunions tenues par frère Dietschi, pour discuter des problèmes de service. Mais voici comment les choses se passèrent.

Comme, le plus souvent, les réunions commençaient à 9 heures du matin et se terminaient parfois vers 5 heures de l’après-midi, les frères et sœurs avaient demandé à prendre le repas de midi en commun. Sœur Löhr avait été priée de faire la cuisine. Pour des raisons de sécurité, les frères changeaient chaque semaine le lieu de réunion ; il fallait donc transférer d’un endroit à un autre la grande marmite utilisée pour la cuisson du repas. Que la Gestapo ait été mise au courant par des frères récemment arrêtés ou de quelque autre manière, nul ne le sait ; toujours est-​il qu’elle apprit où s’était tenue la dernière réunion avant l’assemblée de Paris. La Gestapo surveilla donc la maison ; lorsque sœur Löhr vint prendre la marmite trois ou quatre jours avant la réunion suivante, des agents la suivirent jusqu’au nouveau lieu de réunion, et ils l’arrêtèrent sans délai. La Gestapo ne tarda pas à comprendre qu’elle venait non seulement de découvrir le nouveau lieu de réunion, mais également la cachette de frère Dietschi. Après l’assemblée de Paris, celui-ci revint directement à Berlin, et sans prendre de précautions en vue d’un éventuel danger, il se rendit à l’appartement. Là, il tomba dans le piège tendu par la Gestapo, qui l’arrêta sur-le-champ. Il est évident que les lieux et les heures des réunions tenues par les serviteurs itinérants, dont le nombre était maintenant restreint, devaient être changés.

Frère Dietschi servait inlassablement depuis de nombreuses années dans l’activité clandestine et n’avait pas reculé face au danger. Il fut condamné à quatre ans de prison, mais contrairement à la majorité de ses frères, il ne fut pas incarcéré dans un camp de concentration une fois sa peine purgée.

En 1945, lorsque l’œuvre commença à être réorganisée, il fut l’un des premiers à visiter les congrégations en qualité de “serviteur des frères”. Malheureusement, des années plus tard, il se mit à développer ses propres théories et se détourna de l’organisation de Jéhovah.

Mais revenons à l’année 1937. Frère Wandres s’efforça de colmater, au moins temporairement, les brèches dangereuses qui, une fois encore, venaient d’être faites dans les rangs des frères, veillant à ce que ces derniers reçoivent leur nourriture spirituelle. Après l’arrestation de frère Franke, il avait pris en charge son territoire ; mais il se sentait aussi responsable des autres territoires non organisés ; aussi demanda-​t-​il à sœur Auguste Schneider, de Bad Kreuznach, de porter la nourriture spirituelle aux frères de Bad Kreuznach, de Mannheim, de Kaiserslautern, de Ludwigshafen, de Baden-Baden et de toute la Sarre. Comme tous les frères obligés de voyager en ces temps critiques, sœur Schneider reçut un autre nom ; désormais on l’appellerait “Paula”.

Comprenant que l’ennemi avait particulièrement été rendu furieux en Saxe, frère Wandres demanda à Hermann Emter, de Fribourg, de se charger de ce territoire. Le 3 septembre, tous deux se rendirent à Dresde. Frère Wandres n’avait jamais visité cette ville auparavant, pourtant la Gestapo attendait les deux frères. Ainsi prenait fin une chasse à l’homme qui avait duré trois ans !

Vers la mi-septembre, conformément aux dispositions prises par frère Wandres, “Paula” attendait à la gare de Bingen, chargée de deux grandes valises pleines de publications. Elle ne se doutait de rien. Tout à coup, un homme s’approcha d’elle et lui dit : “Bonjour, Paula ! Albert ne viendra pas, mais vous allez me suivre.” Il aurait été vain de résister, car l’étranger était un agent de la Gestapo. Il ajouta : “Inutile d’attendre Albert, nous l’avons déjà arrêté et nous lui avons pris tout son argent. (...) Monsieur Wandres nous a dit que vous vous appelez Paula et que vous seriez ici avec deux grandes valises.” Jusqu’à ce jour, nous ignorons comment la Gestapo a obtenu ce renseignement, mais cette méthode lui était familière. Autrement dit, ses agents prétendaient que certains frères avaient fait des révélations, de manière à semer la suspicion entre les frères, les incitant à rompre toute relation avec de tels “traîtres”.

UN PLAN DE DÉTENTION PERPÉTUELLE

Ces séries d’arrestations mirent fin à une importante période pour les frères allemands, celle de l’activité bien organisée. Le combat abordait maintenant une nouvelle phase. L’objectif de la Gestapo serait désormais : Toute personne suffisamment courageuse pour rester fidèle à Jéhovah doit être détruite, ainsi sera anéantie l’organisation.

Selon une circulaire rédigée par la Gestapo de Düsseldorf le 12 mai 1937, les Étudiants de la Bible étaient mis dans les camps de concentration, même sans qu’aucun chef d’accusation ne justifie leur arrestation, simplement sur la base de soupçons. Des circulaires semblables furent diffusées dans toute l’Allemagne. En outre, les Étudiants de la Bible étaient automatiquement transférés dans des camps de concentration après avoir purgé leur peine de prison. Cette décision fut élargie et rendue plus sévère encore en avril 1939. À partir de ce moment-​là, seuls ceux qui accepteraient de signer une déclaration attestant qu’ils se dissociaient de Jéhovah et de son organisation, seraient libérés. De nombreux frères ne se virent même pas proposer de signer cette déclaration.

Quand Heinrich Kaufmann, d’Essen, eut purgé sa peine de prison et revêtu ses vêtements civils, un inspecteur lui dit qu’il serait gardé en détention préventive. Mais auparavant, ils l’emmenèrent chez lui (il avait quitté sa maison depuis un an et demi) et lui demandèrent : “Voulez-​vous renier votre foi pour suivre Hitler ?” Tout en lui posant cette question, ils lui montraient les clés de sa maison et un paquet contenant neuf kilos de denrées alimentaires, lui promettant que sa femme serait libérée du camp de concentration de Ravensbrück. Frère Kaufmann rejeta cette offre.

Selon ce que rapporte Ernst Wiesner, on essayait parfois de tromper les frères. Peu de temps avant sa libération, on plaça devant lui une feuille écrite. Le texte était d’ordre général ; aussi, après l’avoir lu attentivement, il décida qu’il pouvait signer. Mais voilà où était le piège. Frère Wiesner devait apposer sa signature au bas de la page, qui était à moitié blanche. Sans aucun doute, la Gestapo ajouterait par la suite des choses que frère Wiesner n’aurait pu signer en toute bonne conscience. En un éclair il comprit les intentions de ses ennemis, et avant qu’ils n’aient pu intervenir, il signa juste au-dessous du texte dactylographié. Malgré cette signature il ne fut pas libéré, mais trois semaines avant la fin de sa peine, la police secrète l’informa qu’il serait immédiatement transféré dans un camp de concentration.

LES CAMPS DE CONCENTRATION — DES GOUFFRES SANS FOND

Dans le Vierteljahresheft für Zeitgeschichte (Le trimestriel de l’histoire), Hans Rothfels écrit ce qui suit dans sa seconde brochure pour l’année 1962: “Être jeté dans un camp de concentration était pour les Étudiants sincères de la Bible la dernière phase et la plus difficile de leur calvaire infligé par le national-socialisme.”

Pour la majorité, il était réconfortant de savoir que des frères fidèles étaient déjà incarcérés et qu’ils restaient fermes sous le feu de la persécution. La compagnie de ces frères et leurs attentions pleines d’amour étaient une source d’encouragement pour les “nouveaux” et réchauffaient leur cœur.

Mais chaque fois que le gouvernement était informé de l’endurance de nos frères, son seul objectif était de trouver le moyen d’augmenter leurs souffrances. Ainsi, pendant un certain temps, lorsque les témoins de Jéhovah arrivaient au camp, on leur administrait, à titre de routine, vingt-cinq coups de verge d’acier, sans compter les autres tortures auxquelles ils étaient soumis. Ils commençaient leur travail d’esclave à 4 h 30 du matin, lorsque la cloche du camp sonnait le réveil. Peu après, un tumulte se faisait entendre : il fallait faire les lits, se laver, boire du café et répondre à l’appel — et tout cela au pas de gymnastique. Personne n’était autorisé à faire quelque chose à un rythme normal. Il fallait se dépêcher pour se rendre à l’emplacement où se faisait l’appel, puis pour rejoindre les différentes équipes de travail. Alors la situation devenait vraiment dramatique : il fallait transporter du gravier, du sable, des pierres, des poteaux et des panneaux entiers de baraques, et cela toute la journée et au pas de gymnastique. Les surveillants qui criaient sans cesse contre les prisonniers et les poussaient jusqu’à la limite de leurs forces étaient de la pire espèce que Hitler pouvait trouver.

Le fait que Jésus endurât de pareilles souffrances était pour les frères une source de réconfort et d’encouragement ; cela leur donnait la force de persévérer en dépit des traitements inhumains qui leur étaient infligés.

Dans le but de mettre un peu de variété, on soumettait parfois les frères à des “exercices punitifs”, sans raison particulière. On les obligeait à travailler sans manger. Imaginez quelle dure épreuve ce pouvait être pour un frère fatigué, d’être forcé de rester au garde-à-vous dans la cour pendant quatre ou cinq heures, au lieu de pouvoir s’asseoir pour prendre un repas. On infligeait une telle punition uniquement parce qu’un bouton manquait à la veste de l’un des frères ou pour toute autre infraction mineure au règlement.

Finalement, on les autorisait à aller se coucher ; lorsque la faim ne les tenaillait pas trop, ils dormaient un peu. Mais les nuits n’étaient pas toujours réservées au sommeil. Il n’était pas rare qu’un ou plusieurs “chefs de baraque” infâmes fassent irruption au milieu de la nuit pour terroriser les prisonniers. Ces séances commençaient souvent par quelques coups de revolver tirés en l’air ou dans la charpente de la toiture. Puis, on obligeait les détenus, vêtus seulement d’une chemise de nuit, à courir autour de la baraque et parfois même à escalader celle-ci, et cela aussi longtemps que le désiraient les “chefs de baraque”. On comprend aisément que les frères âgés sont ceux qui souffrirent le plus de pareils traitements et que beaucoup perdirent la vie.

En mars 1938, on interdit la correspondance aux témoins de Jéhovah dans les camps de concentration. Cette interdiction dura neuf mois, au cours desquels les frères des camps furent coupés de leurs parents. Même après que celle-ci fut levée, l’autorisation accordée à chaque témoin de Jéhovah d’écrire seulement cinq lignes par mois à ses parents demeura en vigueur pendant trois ans et demi à quatre ans, et même plus longtemps dans certains camps. Le texte préparé était ainsi conçu : “Votre lettre a bien été reçue ; merci beaucoup. Je suis bien, en bonne santé et vigoureux. Mais dans certains cas une note annonçant le décès est arrivée avant la lettre qui disait : “Je suis bien, en bonne santé et vigoureux.” Dans l’espace en blanc laissé sur la lettre, les autorités du camp apposaient le cachet suivant : “Le prisonnier s’obstine à rester Étudiant de la Bible et refuse de renoncer aux faux enseignements des Étudiants de la Bible. Pour cette raison, il a été privé de l’échange de lettres normalement permis.”

“LE COSTAUD” A AFFAIRE À FORTE PARTIE

La vie dans un camp de concentration était faite chaque jour d’angoisses sans nombre, souvent provoquées par le commandant du camp. À une certaine époque, un homme du nom de Baranowsky assuma la fonction de commandant du camp de Sachsenhausen. En raison de sa forte carrure, les prisonniers l’avaient surnommé “Le costaud”.

Il accueillait généralement lui-​même chaque convoi de prisonniers et leur faisait un “discours de bienvenue”. Celui-ci commençait souvent ainsi : ‘Je suis le commandant du camp et on m’appelle “Le costaud”. Maintenant écoutez-​moi, vous tous ! Vous obtiendrez de moi tout ce que vous voulez — une balle dans la tête, une balle dans la poitrine, une balle dans le ventre ! Si vous le voulez, vous pouvez vous trancher la gorge ou vous ouvrir les veines ! Vous pouvez aussi vous jeter sur les clôtures électrifiées. Mais n’oubliez pas ceci : mes hommes sont d’excellents tireurs ! Ils vous enverront tout droit au ciel !’ Il ne manqua jamais une occasion de se moquer de Jéhovah et de son saint nom.

Au début de l’interdiction frappant les témoins de Jéhovah, un jeune homme de Dinslaken, âgé d’environ vingt-trois ans, eut connaissance de la vérité. Il s’appelait August Dickmann. Bien qu’il ne fût pas encore baptisé, la Gestapo l’avait arrêté et fait passer en jugement. Après avoir purgé sa peine, il succomba aux pressions de la Gestapo et signa la “déclaration”, espérant sans doute échapper à d’autres persécutions. Mais malgré cela, il fut incarcéré à Sachsenhausen, en octobre 1937, immédiatement après la fin de sa peine. Les frères détenus dans ce camp saisissaient toutes les occasions pour avoir entre eux des discussions joyeuses et encourageantes ; à leur contact, Dickmann se rendit compte qu’il avait fait un compromis avec l’ennemi par faiblesse. Il se repentit et demanda qu’on annulât la déclaration qu’il avait signée.

Entre-temps, son frère charnel Heinrich était également arrivé au camp de Sachsenhausen. August lui révéla avoir signé la déclaration et demandé ensuite qu’elle soit annulée.

Les quelques semaines qui suivirent passèrent comme un éclair. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata vers la fin de l’année 1939, Baranowsky, le commandant du camp, entreprit de réaliser son plan. L’occasion lui parut belle quand la femme d’August Dickmann fit parvenir à son mari sa feuille d’incorporation, qui avait été envoyée à son domicile, à Dinslaken. Trois jours après la déclaration de guerre, Dickmann fut appelé à la “section politique”. Avant l’appel, Heinrich, à qui August avait appris ce fait nouveau, le mit en garde, lui disant qu’il devait se préparer à toute éventualité maintenant que la guerre était déclarée. Il devait être sûr de lui. August lui répondit : “Ils peuvent faire de moi ce qu’ils veulent. Je ne signerai pas et ne ferai plus de compromis.”

L’audition eut lieu cet après-midi-​là, mais August ne revint pas parmi les frères. Comme on le sut plus tard, non seulement il avait refusé de signer sa feuille d’incorporation, mais il avait aussi rendu un excellent témoignage. Il fut mis au cachot tandis que le commandant du camp signalait le cas à Himmler, lui demandant l’autorisation d’exécuter publiquement Dickmann, en présence des frères et du camp tout entier. Il était persuadé qu’un grand nombre de témoins de Jéhovah signeraient s’ils étaient confrontés avec la mort. Certes, jusque-​là la majorité avait refusé de signer, mais on s’en était tenu aux menaces. Himmler répondit par retour du courrier que Dickmann était condamné à mort et devait être exécuté. La voie était donc ouverte, et “Le costaud” pouvait monter son “grand spectacle”.

C’était vendredi. Un silence de mort planait sur le camp lorsqu’un peloton vint préparer la cour en vue d’une exécution. Ceci suscita toutes sortes de rumeurs. Un plus grand émoi saisit encore les détenus quand ils reçurent l’ordre de quitter leur travail une heure plus tôt que d’habitude. Paul Buder se souvient toujours des paroles que lui adressa un S. S., tandis que son équipe revenait au camp ; il dit en riant : “Aujourd’hui c’est l’Ascension ! L’un de vous va monter au ciel aujourd’hui !”

Quand l’équipe à laquelle avait été affecté Heinrich Dickmann rentra, l’aîné du camp lui demanda s’il savait ce qui allait se passer. Sur sa réponse négative, il lui dit que son frère August allait être fusillé.

Mais l’heure n’était pas aux longues discussions. Tous les prisonniers reçurent l’ordre de se rendre dans la cour. Les témoins de Jéhovah furent placés juste derrière le peloton d’exécution. Tous les yeux étaient braqués sur celui-ci. Les gardes S. S. arrivèrent ; les mesures de sécurité avaient été quadruplées. On enleva la toile recouvrant les armes et le peloton chargea les fusils en vue d’une utilisation immédiate. Les S. S. étaient perchés sur le haut mur, attentifs à ce qui allait se passer ; ils étaient si nombreux qu’on pouvait penser que leur groupe tout entier avait reçu l’ordre d’assister à ce spectacle sanglant. La porte principale était faite de solides barres de fer ; les S. S., amateurs de sensations fortes, s’y tenaient accrochés, telles des grappes de raisin. Quelques-uns étaient même montés sur les barres transversales, afin de mieux voir. Leurs yeux étaient avides non seulement de curiosité mais également de sang. Une certaine horreur se lisait sur quelques visages, car tous savaient ce qui allait se passer.

Escorté par plusieurs officiers S. S., August entra, les mains liées devant lui. Chacun était impressionné par son calme et son sang-froid ; c’était comme s’il avait déjà gagné la bataille. Environ six cents frères étaient présents, son frère charnel Heinrich se tenant à quelques mètres seulement de lui.

Tout à coup les haut-parleurs grésillèrent, car on branchait les micros. La voix du “Costaud” se fit entendre : “Prisonniers, écoutez !” Immédiatement le silence s’établit. On n’entendait que la respiration légèrement asthmatique du monstre qui poursuivait en disant :

“Le prisonnier August Dickmann, de Dinslaken, né le 7 janvier 1910, refuse d’effectuer son service militaire, se prétendant ‘citoyen du Royaume de Dieu’. Il a dit : ‘Quiconque répandra le sang de l’homme aura son sang versé.’ Il s’est mis lui-​même au ban de la société et conformément aux ordres de Himmler, chef des S. S., il sera exécuté.”

Tandis qu’un silence de mort planait sur la cour tout entière, “Le costaud” poursuivait : “Il y a une heure, j’ai fait savoir à Dickmann que sa misérable vie lui serait ôtée à 6 heures.”

L’un des officiers s’avança et proposa de demander de nouveau au prisonnier s’il avait changé d’avis et acceptait de signer ses papiers militaires, mais “Le costaud” répondit : “C’est inutile.” Puis, s’adressant à Dickmann, il dit : “Tourne-​toi, cochon !”, et donna l’ordre de tirer. Dickmann fut donc abattu dans le dos par trois S. S. Un officier S. S. lui tira ensuite une balle dans la tête, faisant couler le sang sur sa joue. Après qu’un subalterne eut retiré ses menottes, quatre frères furent désignés pour le mettre dans une caisse noire et transporter celle-ci à l’infirmerie.

Tandis que tous les autres prisonniers étaient autorisés à rompre les rangs et à regagner leurs baraques, les témoins de Jéhovah durent rester. “Le costaud” pouvait maintenant faire valoir sa proposition. Avec beaucoup d’insistance, il demanda si certains étaient prêts à signer la déclaration attestant qu’ils reniaient leur foi et étaient disposés à devenir soldats. Personne ne répondit. Puis deux frères s’avancèrent, mais ce n’était pas pour signer. Ils demandèrent l’annulation de la signature qu’ils avaient donnée environ un an auparavant !

“Le costaud” ne put en supporter davantage. Furieux, il quitta la cour. Comme vous vous en doutez, les frères connurent de mauvais moments ce soir-​là et les jours suivants. Mais ils restèrent fermes.

L’exécution de Dickmann fut annoncée plusieurs fois à la radio au cours des jours suivants, dans le but, semble-​t-​il, d’intimider les autres témoins encore libres.

Trois jours plus tard, son frère Heinrich fut appelé à la “Section politique”. Deux officiers supérieurs de la Gestapo étaient venus spécialement de Berlin pour voir l’effet que l’exécution de son frère avait produit sur lui. Selon le rapport qu’il fit, la conversation suivante s’engagea :

“‘Avez-​vous vu comment votre frère a été abattu ?’ Je répondis : ‘Oui.’ ‘Quelle leçon en avez-​vous tirée ?’ ‘Je suis témoin de Jéhovah et je le resterai.’ ‘Alors vous serez le prochain à être fusillé.’ Je pus répondre à plusieurs questions bibliques, puis un agent vociféra : ‘Je ne veux pas savoir ce qui est écrit ; je veux savoir ce que vous pensez !’ Et tout en essayant de me convaincre de la nécessité de défendre la patrie, il ponctuait ses déclarations de phrases du genre de celles-ci : ‘Vous serez le prochain à être fusillé (...) la prochaine tête à tomber (...) le prochain à tomber.’ Jusqu’à ce qu’un autre agent dise : ‘C’est inutile. Tiens, termine le rapport.’”

On plaça de nouveau la déclaration devant frère Dickmann pour qu’il la signe, mais il refusa en disant : “Reconnaître l’État et le gouvernement en signant cette déclaration équivaudrait pour moi à approuver l’exécution de mon frère. Je ne le puis.” On lui répliqua : “En ce cas, vous pouvez commencer à compter vos jours.”

Mais qu’arriva-​t-​il au “Costaud” qui, comme peu d’hommes l’ont fait, s’était moqué de Jéhovah et l’avait défié ? Après cet incident, on ne l’aperçut que quelques fois dans le camp, puis on ne le vit plus. Toutefois, les prisonniers apprirent que peu de temps après l’exécution d’August Dickmann il était tombé gravement malade. Il mourut cinq mois plus tard, sans que l’occasion de se moquer de Jéhovah ou de ses témoins lui fût de nouveau offerte. Lorsque le 20 mars 1938 “Le costaud” avait mis les frères dans l’“équipe isolée”, il avait dit : “J’ai engagé la lutte contre Jéhovah. Nous verrons bien qui de nous deux sera le plus fort, moi ou Jéhovah.” Le combat avait effectivement eu lieu et “Le costaud” était vaincu. Et alors que quelques mois plus tard nos frères quittaient l’“équipe isolée” et voyaient leurs souffrances quelque peu allégées, le bruit courait dans le camp que “Le costaud” était très malade et que lorsque des officiers lui avaient rendu visite, il s’était plaint en disant. “Les Étudiants de la Bible prient pour que je meure, parce que j’ai fait fusiller l’un des leurs !” Il est de fait qu’après sa mort, sa fille répondait invariablement à ceux qui lui demandaient la cause du décès de son père : “Les Étudiants de la Bible ont prié pour que mon père meure.”

DACHAU

Voici ce que Friedrich Frey, de Röt, rapporte au sujet des sévices infligés au “groupe isolé” de Dachau : “On peut difficilement décrire la faim, le froid et les tourments endurés. Un jour, un officier me frappa à coups de botte dans l’estomac, provoquant ainsi une grave maladie. Un autre jour, on me battit si cruellement que l’arête de mon nez en fut toute déformée au point que jusqu’à ce jour j’ai du mal à respirer. En une certaine occasion, un S. S. me surprit en train de manger quelques miettes de pain sec durant les heures de travail, pour calmer ma faim. Il me frappa à coups de botte dans l’estomac et je m’écroulai sur le sol. En guise de punition supplémentaire, je fus pendu à un poteau haut de trois mètres, les bras enchaînés derrière le dos. Cette position anormale du corps ainsi que le poids de celui-ci provoque un arrêt de la circulation du sang et des souffrances atroces. Un S. S. se saisit de mes deux jambes et les balançant d’avant en arrière, il criait : ‘Êtes-​vous toujours témoin de Jéhovah ?’ Mais j’étais incapable de répondre, car la sueur de la mort perlait déjà sur mon front. Depuis lors je souffre de spasmes nerveux. Je ne pouvais m’empêcher de penser aux dernières heures que notre Seigneur et Maître passa sur le poteau, les mains et les pieds transpercés de clous.”

À Dachau, peu de temps avant “Noël”, on planta un grand sapin que l’on décora de bougies électriques et d’autres ornements. Les 45 000 prisonniers du camp, y compris une centaine de témoins de Jéhovah, espéraient qu’on les laisserait en paix pendant quelques jours. Mais que se passa-​t-​il ? À 20 heures, la veille de Noël, alors que tous les prisonniers étaient dans leurs baraques, les sirènes du camp retentirent ; les détenus devaient se rendre dans la cour aussi vite que possible. Des S. S. jouaient de la musique. Là-dessus, cinq compagnies de S. S. en armes arrivèrent. Le commandant du camp, accompagné des officiers S. S., prononça un bref discours, informant les prisonniers qu’ils désiraient célébrer Noël avec eux ce soir-​là, mais à leur façon. Il sortit ensuite une liste de son porte-documents, et pendant presque une heure il lut les noms des prisonniers désignés pour la punition au cours des dernières semaines. Après cela on installa un bloc de bois sur lequel on lia le premier prisonnier. Puis deux S. S. munis d’une verge d’acier se placèrent de chaque côté du bloc et commencèrent à battre le prisonnier tandis que l’orchestre jouait “Douce nuit”. Tous les autres prisonniers devaient chanter en chœur. Celui qui recevait les vingt-cinq coups de verge était obligé de les compter à haute voix. Chaque fois qu’un nouveau prisonnier était attaché au bloc, deux autres S. S. s’avançaient pour lui administrer la punition. C’était en vérité une façon très digne pour une “nation chrétienne” de célébrer Noël !

Pour subir de tels sévices nos frères devaient avoir une foi forte, une foi affermie par une étude sérieuse de la Parole de Dieu. L’expérience vécue par Helmut Knöller nous montre combien il peut être dangereux de négliger l’étude, car alors on n’est pas prêt à affronter de semblables épreuves. Laissons-​le raconter lui-​même son histoire.

“Mes premiers jours de détention à Dachau ont été très difficiles. Âgé de vingt ans, j’étais le plus jeune parmi les nouveaux arrivés. J’ai été affecté à une équipe spéciale, qui travaillait même le dimanche. Mon surveillant était particulièrement dur avec moi. Je devais effectuer les tâches les plus difficiles, auxquelles je n’étais pas accoutumé, et cela au pas de gymnastique. Je m’effondrais sans cesse et à chaque fois on me ranimait en me conduisant au sous-sol, où l’on me mettait dans l’eau jusqu’aux hanches et l’on me versait de l’eau sur la tête.

“On m’a harcelé jusqu’à épuisement presque complet. Jour après jour on me tourmentait et j’étais au bord du désespoir, sachant que cela pouvait durer pendant des semaines, des mois même. (...) Je souffrais tant que je suis finalement allé voir les chefs du camp, et j’ai accepté de signer la déclaration par laquelle je me dissociais des Étudiants de la Bible. J’ai signé ce papier, parce que j’avais négligé l’étude individuelle à la maison. Mes parents eux-​mêmes n’avaient pas beaucoup étudié, aussi nous avaient-​ils donné un enseignement médiocre. (...) On m’avait dit que je pouvais signer cette déclaration, tout d’abord parce qu’elle ne faisait pas allusion aux témoins de Jéhovah mais seulement aux Étudiants de la Bible, et ensuite parce qu’il n’était pas mal de tromper l’ennemi dans le but d’être libéré et de pouvoir mieux servir Jéhovah au-dehors.” C’est seulement plus tard, à Sachsenhausen, que des frères mûrs l’aidèrent à comprendre la signification de l’intégrité chrétienne et à affermir sa foi.

MAUTHAUSEN

Si un grand nombre de personnes ont été anéanties dans les chambres à gaz ou ont subi une mort cruelle dans le camp de Dachau, Mauthausen quant à lui était entièrement un camp d’extermination. Ziereis, le commandant du camp, répétait souvent que tout ce qu’il voulait, c’était voir des actes de décès. De fait, 210 000 hommes ont été incinérés en six ans dans deux fours crématoires modernes, soit une moyenne de cent par jour.

Aux rares occasions où les prisonniers devaient travailler, c’était en général dans la carrière. Il s’y trouvait un rocher escarpé que les barbares S. S. appelaient le “mur des parachutistes”. Des centaines de prisonniers étaient poussés brutalement du haut de ce rocher et ils gisaient ensuite, immobiles. Ils avaient été soit tués par leur chute soit noyés dans un fossé rempli d’eau de pluie. Un grand nombre de prisonniers désespérés ont même sauté dans le vide de leur plein gré.

Une autre attraction était appelée les “marches de la mort”. Un monceau de 186 pierres de différentes hauteurs empilées les unes sur les autres était appelé un escalier. Une fois que les prisonniers avaient porté avec difficulté ces lourdes pierres sur leurs épaules jusqu’au sommet, les S. S. s’amusaient à les faire glisser en leur donnant des coups de pied ou en les frappant du bout de leurs fusils, les faisant tomber en arrière jusqu’au bas des “marches”. Cela provoquait de nombreuses morts, dont le nombre augmentait avec les rochers qui tombaient d’en haut. Valentin Steinbach, de Francfort, se souvient que souvent des groupes de 120 hommes partis le matin ne revenaient qu’à une vingtaine le soir.

DES CAMPS DE CONCENTRATION POUR FEMMES

Il y a eu des camps de concentration non seulement pour les hommes, mais aussi pour les femmes. Dès 1935, l’un d’eux fonctionnait à Möringen, près de Hanovre. Quand des pressions plus fortes ont été exercées sur les témoins de Jéhovah en 1937, le camp de Möringen a commencé à être évacué. Au cours du mois de décembre, environ 600 prisonniers, y compris un certain nombre de sœurs, ont été transportées au camp de Lichtenbourg. Étant donné que les efforts déployés pour persuader les sœurs de changer leur attitude inébranlable ont échoué, une “équipe pénitentiaire” a été constituée. Les surveillants leur donnaient peu de nourriture et s’efforçaient toujours de trouver des motifs de leur infliger des punitions. Le commandant du camp leur a déclaré : ‘Si vous voulez rester en vie, venez signer !’

Ilse Unterdörfer expose une méthode employée pour essayer de briser l’intégrité des sœurs : “Un jour, sœur Elisabeth Lange, originaire de Chemnitz, a été appelée devant le directeur. Elle a refusé avec fermeté de signer la déclaration, ce qui lui a valu d’être enfermée dans une cellule située dans les soubassements de ce vieux château. Tous ceux qui connaissent les vieux châteaux et leurs cachots imaginent facilement combien cette épreuve était pénible. Les cellules étaient des trous noirs, avec une fenêtre étroite munie de barreaux. Le lit était en pierre, et la plupart du temps on était obligé de s’allonger sur ce ‘lit’ froid et dur sans même une paillasse. Sœur Lange a passé six mois seule dans ce trou. Les souffrances physiques qu’elle a subies n’ont cependant pas ébranlé sa résolution de rester fidèle.”

Donner un dur travail manuel aux sœurs était une autre méthode employée pour essayer de briser leur intégrité. C’est pourquoi un certain nombre de sœurs ont été transportées à Ravensbrück. Le premier groupe est arrivé le 15 mai 1939, suivi de près par bien d’autres. Le camp a rapidement augmenté jusqu’à comprendre 950 femmes, dont 400 témoins de Jéhovah. On exigeait d’elles les travaux de construction et de nettoyage les plus durs, réservés d’ordinaire aux hommes. Le nouveau commandant du camp, qui avait été particulièrement remarqué pour sa brutalité, pensait qu’il allait épuiser les sœurs en leur faisant faire un travail manuel pénible.

Bien sûr, un tel traitement a provoqué un grand nombre de morts. D’autre part, des groupes entiers ont été transportés à Auschwitz, un camp qui était spécialement équipé pour l’extermination en masse, comme celui de Mauthausen. Les femmes âgées, en mauvaise santé ou qui ne correspondaient pas aux normes S. S. de production d’une “race de seigneurs”, devaient affronter la mort. Berta Mauerer nous raconte ce qui se passait :

“Nous étions obligées de rester nues devant une commission qui faisait son choix. Aussitôt après, un premier groupe partait en direction d’Auschwitz. Un certain nombre de sœurs qui avaient été trompées sur leur sort en faisaient partie. Elles croyaient être emmenées dans un camp où la vie serait plus facile, alors que tout le monde savait qu’Auschwitz était encore pire. On disait la même chose à celles qui faisaient partie du deuxième groupe. Il comprenait des sœurs faibles et malades.” Peu de temps après, on informait les parents de leur décès. Dans la plupart des cas, on invoquait des ‘troubles circulatoires’ comme étant la cause de la mort.

Auguste Schneider, de Bad Kreuznach, explique ce qui aurait également pu être une épreuve pour les sœurs :

“Un jour, une prisonnière est venue me dire : ‘Madame Schneider, je pars d’ici !’ Je lui ai demandé où elle allait et elle m’a répondu : ‘Il y a tellement d’hommes ici qu’un bordel va être installé pour les détenus. On nous a demandé d’y aller, et environ vingt à trente femmes se sont portées volontaires. Nous avons reçu de jolis vêtements et on peut se faire belles !’ Je lui ai demandé dans quel endroit cela allait être installé et elle m’a répondu : ‘Dans le camp des hommes.’

“Il est difficile de décrire ce qui s’y est passé. Mais un beau jour, un chef S. S. m’a déclaré : ‘Madame Schneider, vous avez entendu parler de ce qui se fait dans le camp des hommes. Je désire que vous sachiez qu’aucun témoin de Jéhovah n’y participe !”

De tous les camps de concentration pour femmes, Ravensbrück est devenu le plus tristement célèbre. Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, le nombre de sœurs qui y étaient enfermées s’élevait à 500 environ.

Un jour, on ordonna tout à coup à plusieurs sœurs de quitter leur cellule et de nettoyer tout le bâtiment, car Himmler devait venir y faire une inspection. Mais la journée s’est achevée sans qu’il se présente. Nos sœurs étaient déjà allées se coucher, c’est-à-dire qu’elles avaient retiré leurs chaussures, qui leur servaient d’oreillers, mais à cause du froid elles dormaient tout habillées. Pour se tenir au chaud, elles se serraient au maximum les unes contre les autres. Elles changeaient de place à tour de rôle, afin que tout le monde se trouve de temps en temps à l’extérieur, là où il faisait le plus froid. Brusquement, on a entendu du bruit dans les couloirs et les portes des cellules se sont ouvertes. Les sœurs se sont trouvées devant l’homme qui, en Allemagne, avait le pouvoir de vie et de mort. Himmler a passé les sœurs en revue d’un œil critique, en leur posant plusieurs questions, et il a été contraint de reconnaître qu’elles n’accepteraient pas de faire des compromis.

Le même soir, après le départ de Himmler et de son escorte, on a fait sortir un grand nombre de prisonnières, et d’autres détenues ont entendu leurs cris. Himmler venait d’introduire également chez les femmes l’emploi de sanctions disciplinaires “plus fortes” ; elles ont reçu vingt-cinq coups de fouet à lanières d’acier sur les fesses nues.

Une sœur indique le courage avec lequel elles ont enduré leurs difficultés : “Une Juive de ma baraque avait accepté la vérité. Une nuit, elle aussi a été réveillée. Je l’ai entendue se lever et j’ai essayé de lui adresser quelques paroles de réconfort. Mais elle m’a dit : ‘Je sais ce qui m’attend. Mais je suis heureuse d’avoir la merveilleuse espérance de la résurrection. J’attends la mort avec calme.’ Elle est sortie ensuite avec courage.”

DES DIVISIONS AJOUTENT AUX ÉPREUVES

Isolés des frères de l’extérieur, ceux qui étaient dans les camps étaient affamés de nourriture spirituelle. Les frères interrogeaient les nouveaux venus pour savoir ce qui avait été publié dans La Tour de Garde. Parfois, les renseignements étaient transmis correctement, et parfois c’était l’inverse. Des frères se servaient de la Bible pour établir la date de leur libération et, même si les arguments étaient peu probants, certains se raccrochaient avec confiance à ces “brins d’herbe”.

À cette époque-​là, un frère qui avait une mémoire prodigieuse a été enfermé à Buchenwald. Au début, ses facultés de se rappeler ce qu’il avait appris et d’en faire profiter les autres ont été une source d’encouragement pour les frères. Mais par la suite, il est devenu une idole, “la merveille de Buchenwald”, et certains considéraient ses déclarations, même ses opinions personnelles, comme étant sans appel. À partir du mois de décembre 1937 jusqu’en 1940, il a donné un discours tous les soirs, soit environ un millier en tout, dont un grand nombre ont été sténographiés pour être polycopiés. Il y avait beaucoup de frères plus âgés et capables de donner des discours dans le camp, mais ce frère a été le seul à agir ainsi. Il qualifiait d’“ennemis du Royaume” et de “famille d’Achan” ceux qui n’étaient pas entièrement d’accord avec lui et que les “fidèles” devaient éviter. Environ quatre cents frères ont volontairement accepté sa direction.

Les prétendus “ennemis” étaient également des frères qui avaient été prêts à risquer leur vie pour faire progresser du mieux possible les intérêts du Royaume. Eux aussi avaient été jetés dans un camp parce qu’ils étaient résolus à prouver leur intégrité, même jusqu’à la mort. Il faut reconnaître que certains ne mettaient pas entièrement en pratique les principes bibliques. Cependant, quand ils cherchaient à prendre contact avec les responsables, de façon à tirer profit de la nourriture spirituelle disponible à Buchenwald, ces derniers estimaient qu’ils “s’abaissaient” en discutant de ces questions.

Wilhelm Bathen, de Dinslaken, qui sert toujours Jéhovah, raconte comment il en a souffert : “Quand j’ai compris que j’avais été exclu à mon tour, j’ai été si ébranlé et déprimé sur le plan spirituel que je me suis demandé comment cela était possible. (...) Je tombais souvent à genoux et je priais Jéhovah de me donner un signe. Je lui demandais si je devais me reprocher cette situation et si lui aussi m’avait exclu. Je possédais une bible et je la lisais dans la pénombre. Je trouvais un puissant réconfort en pensant que ce qui m’arrivait était une épreuve, car sinon j’aurais déjà été détruit. Mais j’éprouvais une souffrance terrible à rester isolé des frères.”

Des imperfections humaines et un point de vue exagéré de sa propre importance ont donc provoqué des divisions parmi le peuple de Dieu, ce qui constituait de dures épreuves pour certains.

VICTIMES DU PROBLÈME DE LA “SURVIE”

Certains de ceux qui ont été jetés dans les camps en étant résolus de n’accepter aucun compromis, ont permis par la suite au problème de la “survie” d’amoindrir leur amour pour Jéhovah et pour leurs frères. Quand une personne obtenait une position de responsabilité dans l’organisation du camp, ou qu’on lui confiait la surveillance d’une certaine partie du travail, elle ne devait plus épuiser sa force dans un travail pénible. Mais cela était dangereux. Bien souvent, il fallait collaborer étroitement avec les S. S., conduire les prisonniers au travail à une allure plus rapide et dénoncer des prisonniers — même ses propres frères — pour qu’ils soient punis.

Un frère appelé Martens a reçu une telle position dans le camp de Wewelsbourg. À l’origine, il était responsable de 250 Étudiants de la Bible. Aux yeux des S. S., il s’est toujours efforcé d’être un excellent “ancien du camp”. Par la suite, un grand nombre de prisonniers politiques et d’autres sont venus grossir le camp. Étant donné que Martens ne voulait pas perdre sa place, il devait défendre les intérêts des S. S. et se servir de leurs méthodes.

Peu après, il interdisait aux frères d’examiner le texte du jour et de prier en commun. Il ne tarda pas à les fouiller et à battre avec un tuyau en caoutchouc ceux qui portaient une copie du texte du jour. Un matin, au moment où plusieurs frères priaient ensemble, il s’est élancé au milieu d’eux et a interrompu la prière en disant : “Ne connaissez-​vous pas les règlements du camp ? Vous croyez que je veux m’attirer des ennuis rien que par votre faute ?” Ainsi, un grand nombre de frères fidèles ont dû supporter des souffrances supplémentaires à cause de quelques-uns qui avaient perdu de vue l’objectif.

LE PROBLÈME DE LA FAIM

Après le début de la Seconde Guerre mondiale, une bonne partie des denrées disponibles a été envoyée aux fronts. Dans les camps de concentration, les repas se composaient exclusivement de topinambours, utilisés en général pour la nourriture du bétail. Tout était préparé avec un tel manque d’amour qu’on entendait souvent les prisonniers déclarer que même des porcs refuseraient cette nourriture. Mais il importait peu d’avoir des plats appétissants, il s’agissait de survivre. Beaucoup de prisonniers sont morts de faim. “Ma plus grande épreuve a été la faim”, écrit frère Kurt Hedel, et il l’explique en ces termes : “Je mesure environ 1,90 m et je pèse en général à peu près 105 kg. Mais au cours de l’hiver 1939-​1940, je ne pesais que 40 kg et même moins. Je n’avais plus que les os et la peau. Malgré ma taille, on ne me donnait pas plus à manger qu’à ceux qui étaient plus petits que moi. Je m’enfonçais souvent les poings dans l’estomac, tellement j’avais mal, jusqu’à ce qu’un frère mûr me conseille de remettre mon problème à Jéhovah dans la prière et de lui demander son aide pour supporter la souffrance. Je n’ai pas tardé à me rendre compte combien la prière s’avérait utile dans de tels cas.” Un autre frère se souvient qu’il mettait souvent du sable dans sa bouche pour tromper sa faim.

Dans de telles situations, la fréquentation des frères était une puissante source de réconfort. Il était vraiment émouvant de voir des frères, eux-​mêmes condamnés à mourir, donner une partie de leur maigre portion de pain à ceux qui avaient plus de mal qu’eux à supporter les difficultés. Bien souvent, ce n’étaient que des miettes qu’ils dissimulaient sous l’oreiller de ceux qui, pour une raison ou pour une autre, avaient été privés de nourriture et avaient été obligés de rester debout dans la cour sous un froid perçant et peu vêtus. Comme cela était apaisant pour ceux que les ennemis avaient presque “démoralisés” d’entendre des paroles d’encouragement de la bouche d’un frère mûr ! Elles coulaient comme de l’huile sur une blessure et donnaient de nouvelles forces à ce frère au moment où il pensait que sa situation était intenable. Les prières en commun se sont avérées très puissantes. Souvent, le soir, quand les baraques étaient fermées et que les dortoirs étaient silencieux, des problèmes étaient présentés en commun dans la prière à Jéhovah. Il s’agissait fréquemment d’affaires qui concernaient tous les frères, mais aussi souvent de problèmes de certains en particulier. Chaque fois que Jéhovah — ce qui s’est passé très souvent — apportait aussitôt un changement se révélant meilleur, c’était une occasion de lui adresser une prière de remerciements le jour suivant. Dans une telle situation, qu’une personne n’aurait pas pu surmonter seule, les frères comprenaient une fois de plus que “nous ne sommes jamais seuls”.

CE QUI EST ARRIVÉ À CEUX QUI ONT FAIT DES COMPROMIS

Il est intéressant de remarquer que les S. S., qui utilisaient fréquemment les artifices les plus écœurants pour forcer quelqu’un à signer la déclaration, se retournaient ensuite contre ceux qui l’avaient signée et les tourmentaient davantage encore qu’auparavant. Karl Kirscht le confirme en ces termes : “Plus que tous les autres, les témoins de Jéhovah étaient victimes des tracasseries des camps de concentration. On croyait ainsi les convaincre de signer la déclaration. On nous a demandé à maintes reprises de le faire. Certains ont signé, mais dans la plupart des cas, ils ont dû attendre plus d’une année avant d’être libérés. Au cours de cette période, ils étaient souvent insultés en public par les S. S. qui les traitaient d’hypocrites et de lâches et les obligeaient à faire un prétendu ‘tour d’honneur’ parmi leurs frères avant d’être autorisés à quitter le camp.”

Wilhelm Röger se souvient d’un frère qui avait signé la déclaration quand sa femme et sa fille sont venues lui rendre visite, mais il n’en avait rien dit aux frères. “Après quelques semaines, il a été informé de se tenir prêt à être libéré. (En général, pour cela il fallait se tenir devant la porte jusqu’à ce que son nom soit appelé.) Ce frère est donc resté debout devant la porte toute la journée et s’y trouvait encore le soir. Il a dû revenir parmi les frères dans les baraques. Après l’appel du soir, dirigé par un capitaine particulièrement redouté répondant au nom de Knittler, ce frère a été envoyé chercher un tabouret dans une baraque et a été contraint de monter dessus en face de la cour dans laquelle les frères entraient. Knittler dirigeait maintenant l’attention vers le frère et, en nous jetant un regard perçant, il déclara : ‘Regardez ce lâche ; il a signé sans rien vous avoir dit !’ En réalité, les S. S. auraient voulu que nous signions tous. Mais le respect qu’ils nous portaient en secret disparaissait quand quelqu’un cédait.”

Sœur Dietrichkeit se souvient de deux sœurs qui ont signé la déclaration. Quand elles sont revenues, elles ont appris à sœur Dietrichkeit qu’elles avaient signé parce qu’elles avaient peur de mourir de faim. Elles n’ont pas caché que les S. S. leur avaient demandé : “Maintenant que vous avez renié votre Dieu Jéhovah, quel Dieu servirez-​vous ?’ Les deux sœurs n’ont pas tardé à être relâchées, mais quand les Russes ont envahi le pays, elles ont toutes deux été arrêtées de nouveau pour une raison ou pour une autre et jetées en prison où elles sont vraiment mortes de faim. Dans un autre cas, une sœur qui avait signé a été violée et tuée par les Russes quelques jours avant la fin de la guerre.

Un grand nombre de frères qui avaient signé la déclaration ont été incorporés dans l’armée et envoyés au front, où la plupart d’entre eux ont perdu la vie.

Même s’il existe suffisamment de preuves démontrant que les frères qui ont signé se plaçaient en dehors de la protection de Jéhovah, cela ne veut pas toujours dire qu’ils étaient des “traîtres”. Beaucoup ont fait annuler leur signature avant d’être relâchés, quand des frères mûrs et compréhensifs les ont aidés à comprendre ce qu’ils avaient fait. Repentants, ils ont demandé à Jéhovah de leur accorder une nouvelle chance de prouver leur fidélité. Après l’effondrement du régime de Hitler, un grand nombre d’entre eux ont rejoint d’eux-​mêmes les rangs des proclamateurs et ont commencé à travailler en étant proclamateurs de congrégation, puis pionniers, surveillants, même surveillants itinérants, faisant ainsi progresser d’une manière exemplaire les intérêts du Royaume de Jéhovah. Beaucoup ont été réconfortés par ce qui est arrivé à Pierre, qui lui aussi avait renié son Seigneur et Maître, mais avait fini par retrouver sa faveur. — Mat. 26:69-75; Jean 21:15-19.

UNE TRAHISON

Alors que certains perdirent temporairement leur équilibre spirituel à cause des méthodes sournoises utilisées pour les faire trébucher ou en raison de la faiblesse humaine, d’autres passèrent à l’ennemi et firent venir sur leurs frères de grandes souffrances.

Julius Riffel relate comment, en 1937-​1938, “un frère Hans Müller, de Dresde, est arrivé au Béthel de Berne et a exprimé le désir de se mettre en rapport avec les frères d’Allemagne, sous prétexte de ‘rebâtir l’organisation clandestine en Allemagne, après l’arrestation d’un si grand nombre de frères’.

“Naturellement, je me suis montré prêt à coopérer avec lui, tout comme plusieurs autres frères. Malheureusement, nous ignorions que ce ‘frère’ Müller travaillait pour la Gestapo en Allemagne. Sans nous douter de rien, nous nous sommes mis au travail à Berne et nous avons fait des projets. Je devais être responsable du Bade-Wurtemberg. En février 1938, j’ai traversé la frontière allemande et j’ai essayé de me mettre en rapport avec les frères encore libres, afin de réorganiser l’activité. Deux semaines plus tard, j’ai été arrêté. (...) La Gestapo était au courant de tous les détails de notre activité grâce à ce faux frère qui nous avait aidés à rebâtir l’organisation clandestine, dans le but de nous livrer à la Gestapo. Ce ‘frère’ a répété la même opération un an plus tard, aux Pays-Bas et en Tchécoslovaquie. (...)

“En 1939, on m’a amené dans un camion à Coblence, pour témoigner pendant le procès de trois sœurs avec qui j’avais travaillé clandestinement à Stuttgart. Là, j’ai entendu un agent de la Gestapo expliquer au tribunal que la police connaissait tous les détails de notre œuvre, tels que les adresses de camouflage, les faux noms et la structure de notre organisation. Plus tard, pendant que j’attendais dans le couloir, ce même agent de la Gestapo m’a dit que celle-ci aurait eu plus de mal à découvrir notre activité si nous n’avions pas eu dans nos rangs des bons à rien. Malheureusement, je ne pouvais le nier. De temps en temps, depuis ma prison, j’ai pu mettre les frères en garde contre ce faux ‘frère’, mais frère Harbeck n’a tenu aucun compte de mes avertissements, ne parvenant pas à y croire. À mon avis, ce Müller a été responsable de l’incarcération de plusieurs centaines de frères.”

LE RUISSEAU CONTINUE À COULER

Bien que l’ennemi ait sans cesse ouvert de nouvelles brèches dans les rangs du peuple de Dieu et qu’il ait réduit considérablement le nombre des frères encore libres, il y en avait toujours d’autres qui comprenaient la nécessité d’approvisionner les frères en nourriture spirituelle. Ils ont accompli cette tâche au péril de leur vie. Ludwig Cyranek était l’un des frères qui réorganisa le système de distribution de La Tour de Garde parmi les frères, tandis que Müller poursuivait sa sale besogne à Dresde. Au bout d’un certain temps, frère Cyranek fut arrêté et condamné à deux ans de prison. Mais, dès qu’il en fut sorti, il se remit au travail.

Bien des sœurs ont été heureuses de remplir les vides laissés par l’arrestation des frères, tout en sachant qu’en vertu des lois plus sévères promulguées depuis le début de la guerre, elles risquaient de payer cela de leur vie. Parmi les sœurs ayant participé à la diffusion de La Tour de Garde, citons par exemple sœur Neuffert, de Holzgerlingen, sœur Pfisterer, de Stuttgart, et sœur Franke, de Mayence. Frère Cyranek envoyait à ces sœurs des lettres contenant des phrases banales. Les sœurs repassaient ces lettres pour faire apparaître les messages secrets écrits avec du jus de citron, leur indiquant où il fallait apporter les Tours de Garde, et en combien d’exemplaires.

De temps à autre, frère Cyranek se rendait à Stuttgart, où Maria Hombach travaillait pour lui comme secrétaire. Il lui dictait des rapports sur l’œuvre en Allemagne, puis il les envoyait à Arthur Winkler, aux Pays-Bas, qui s’occupait de l’Allemagne et de l’Autriche. Sœur Hombach écrivait ces lettres avec du jus de citron, pour éviter que ces renseignements importants ne tombent entre les mains de l’ennemi.

C’est uniquement grâce à la direction de Jéhovah que cette activité clandestine a pu se poursuivre pendant au moins une année. Souvent il a conduit son peuple d’une manière étrange, pour lui donner la nourriture spirituelle en temps voulu. Bientôt, Müller a considéré que le moment opportun était venu pour livrer toute notre organisation clandestine à la Gestapo. En l’espace de quelques jours, tous les intéressés furent arrêtés. Lors du procès à Dresde, frère Cyranek fut condamné à mort, et les autres, à de longues peines de prison. Le 3 juillet 1941, quelques heures avant son exécution, frère Cyranek écrivit à ses parents la lettre suivante :

“Mes chers frère, belle-sœur, parents et tous les autres frères,

“Craignez Dieu et attribuez-​lui l’honneur ! Je me vois obligé de vous donner la nouvelle douloureuse que lorsque vous recevrez cette lettre, je ne serai plus en vie. Ne vous attristez pas outre mesure. N’oubliez pas que le Dieu Tout-Puissant pourra facilement me ressusciter d’entre les morts. Oui, il peut tout, et s’il me permet de boire cette coupe amère, c’est sûrement pour une raison valable. Sachez que je me suis efforcé de le servir dans ma faiblesse et que je suis tout à fait convaincu qu’il a été avec moi jusqu’à la fin. Je me remets entre ses mains. Pendant les quelques heures qui me restent, mes pensées vont vers vous, mes chers. Que vos cœurs ne soient pas consternés mais plutôt sereins, car il est de loin préférable de savoir que je suis mort plutôt que de penser que je souffre en prison, ce qui aurait été une source continuelle de soucis pour vous. Et maintenant, ma chère mère et mon cher père, je vous remercie tous deux de toutes les bonnes choses que vous avez faites pour moi. Je ne peux que balbutier un faible merci. Puisse Jéhovah vous récompenser de tous vos efforts ! Ma prière est qu’il vous protège et vous bénisse, car seule sa bénédiction enrichit. Cher Toni, je veux bien croire que tu aurais fait l’impossible pour me sauver de la fosse aux ‘lions’, mais cela aurait été vain. J’ai été avisé ce soir que l’appel à la clémence a été rejeté et que je serai exécuté demain matin. Personnellement, je n’ai fait aucun appel à la clémence des hommes. Cependant, j’apprécie ta bonne volonté, et je te remercie du fond du cœur, ainsi que Luise, pour toutes les bonnes choses que vous m’avez données. Vos lignes compatissantes m’ont fait du bien. Recevez tous mes salutations, et qu’il me soit permis de vous embrasser tous. Je garde une place spéciale dans mon cœur pour Karl. Que Dieu soit avec vous jusqu’à ce que nous nous retrouvions ! Je vous étreins avant de partir. [Signé] Ludwig Cyranek.”

Julius Engelhardt, qui polycopiait La Tour de Garde avec sœur Frey à Bruchsal, avait collaboré étroitement avec frère Cyranek au sud de l’Allemagne. Il était prévu que si frère Cyranek était arrêté, frère Engelhardt poursuivrait son travail. Malheureusement, Müller l’a trahi également à la Gestapo, qui n’a pas tardé à trouver l’endroit où il se cachait dans sa ville natale de Karlsruhe. Mais frère Engelhardt avait toujours encouragé les sœurs en leur disant : “Cela ne peut nous coûter que notre tête”, et il était bien décidé à vendre sa liberté au prix le plus élevé possible. Arrêté par un agent de la Gestapo, il réussit à lui fausser compagnie en descendant l’escalier quatre à quatre et en disparaissant dans la foule. Il est intéressant de lire, dans le livre Widerstand und Verfolgung in Essen 1933-​1945 (Opposition et persécutions à Essen 1933-​1945), ce qu’un historien déclare à propos de l’activité de frère Engelhardt, telle qu’elle ressort des dossiers de la Gestapo. On peut y lire :

“L’arrestation de Cyranek, de Noernheim et d’autres, n’arrêta nullement la diffusion des imprimés interdits, car Engelhardt, qui avait d’abord été actif dans le sud-ouest, avait été obligé de se réfugier dans la Ruhr en 1940, lorsqu’il faillit être arrêté à Karlsruhe. Après un bref séjour à Essen, il trouva une cachette à Oberhausen-Sterkrade, où, du début de 1941 jusqu’en avril 1943, il produisit 27 numéros de La Tour de Garde, tirés d’abord à 240, et plus tard à 360 exemplaires. De sa cachette dans la Ruhr, il organisa des bases à Munich, à Mannheim, à Speyer, à Dresde et à Freiberg, en Saxe. En outre, il était le trésorier pour tout le pays. (...) Le 18 septembre 1944, la cour supérieure de Hamm prononça des peines de prison élevées contre les membres du groupe d’Essen qui avait tenu des réunions et diffusé régulièrement La Tour de Garde, grâce à l’activité d’Engelhardt. (...) Bon nombre d’entre eux furent exécutés.”

Christine Hetkamp fait elle aussi un rapport encourageant concernant l’activité de frère Engelhardt. Elle dit : “Mon mari, qui était baptisé, est devenu un ennemi méchant. (...) Je n’avais manqué aucune des réunions, qui avaient été tenues à tour de rôle dans la maison de ma mère, chez moi et chez mon frère. J’ai pu les tenir chez moi, car mon mari s’en allait tous les lundis et logeait chez sa sœur jusqu’au samedi. Elle habitait juste à l’extérieur de la ville. Mon mari se réfugiait dans cette famille de nazis fanatiques, car il ne pouvait plus supporter notre état d’esprit, ce qui était compréhensible. Ainsi, pendant presque trois années, La Tour de Garde a pu être polycopiée chez nous, pendant l’absence de mon mari. Un frère (Engelhardt), qui a vécu trois ans chez nous, tapait d’abord les stencils, puis il polycopiait les exemplaires de La Tour de Garde. Après, il se rendait avec ma mère à Berlin, à Mayence, à Mannheim, etc., où ils livraient les périodiques à des personnes dignes de confiance, qui devaient les distribuer. Frère Engelhardt et ma mère étaient responsables de tout ce travail, et moi, je m’occupais de la cuisine et de la lessive. Lorsque ma mère a été mise en prison, j’ai accepté de transporter La Tour de Garde à Mayence et à Mannheim. (...) En avril 1943, ma mère a de nouveau été arrêtée, cette fois-​ci définitivement. Peu de temps après, frère Engelhardt, qui dirigeait l’œuvre clandestine depuis si longtemps, était arrêté à son tour.”

Plus tard, la fille, le beau-frère, la sœur, la belle-sœur et la tante de sœur Hetkamp furent arrêtés. Ils passèrent tous en jugement le 2 juin 1944. Frère Engelhardt et sept autres accusés, y compris la mère de sœur Hetkamp, furent condamnés à mort. Ils furent tous décapités peu de temps après.

À partir de ce moment-​là, les conditions en Allemagne ne cessèrent de devenir plus confuses. Il n’était plus possible de savoir avec certitude où les exemplaires de La Tour de Garde avaient été polycopiés. L’essentiel était qu’ils existaient.

FIDÈLES JUSQU’À LA MORT

Les nombreuses exécutions qui eurent lieu pendant le règne du Troisième Reich occupent une place spéciale dans l’histoire des persécutions. Selon des rapports incomplets, au moins 203 frères et sœurs furent décapités ou fusillés. Ce chiffre n’inclut pas ceux qui moururent de faim, de maladie ou des brutalités qu’ils subirent.

À propos d’un frère qui fut condamné à mort, frère Bär écrit : “Il a étonné tous les prisonniers et aussi les gardiens de la prison. Serrurier de métier, il travaillait d’un bout à l’autre de la prison. Il vaquait à ses tâches quotidiennes sans donner aucun signe d’abattement ou de tristesse ; au contraire, tout en travaillant, il chantait des cantiques de louanges à Jéhovah.” Un jour, vers midi, on vint le chercher à l’atelier, et il fut exécuté le même soir.

Frère Bär poursuit son rapport en disant : “Une fois, ma femme a vu dans la prison de Potsdam une sœur qu’elle ne connaissait pas. Elle l’a croisée dans la cour de la prison. Lorsque la sœur a vu ma femme, elle a levé ses bras liés par des menottes et lui a fait un signe de salutation joyeuse. Le regard de cette sœur condamnée à mort ne reflétait aucune douleur, aucune tristesse.” Ce calme et cette paix qui se dégageaient de nos frères et sœurs condamnés à mort revêtent une valeur plus grande encore lorsqu’on se souvient de tout ce qu’ils ont dû subir dans leurs cellules.

Alors que nos frères et nos sœurs furent résolus et résignés, voire parfois joyeux malgré les difficultés qu’ils devaient affronter, d’autres, qui n’étaient pas témoins, se sont souvent effondrés ou, craignant intensément la mort, ont hurlé jusqu’à ce que les gardiens les maîtrisent de force.

Quant à Jonathan Stark, d’Ulm, il ne céda pas à la peur. Certes, il n’avait que dix-sept ans lorsqu’il fut arrêté par la Gestapo qui, sans autres formalités juridiques, l’envoya à Sachsenhausen, où il fut incarcéré au bloc de la mort. Son crime ? Refuser de faire un travail prémilitaire. Emil Hartmann, de Berlin, apprit que Jonathan était détenu dans ce bloc et, au risque de se faire sévèrement punir, il parvint à y entrer pour parler à ce jeune frère et le fortifier. Ces courtes visites s’avéraient très encourageantes pour les deux. Jonathan était toujours très heureux. Bien que condamné à mort, il réconforta sa mère en parlant de la merveilleuse espérance de la résurrection. Lorsque le commandant du camp l’amena jusqu’au lieu de l’exécution deux semaines seulement après son arrivée, les dernières paroles de Jonathan furent : “Pour Jéhovah et pour Gédéon !” (Gédéon était un fidèle serviteur de Jéhovah et préfigurait Jésus Christ.) — Juges 7:18.

Elise Harms, de Wilhelmshaven, se souvient qu’après que son mari eut été jugé, on lui demanda sept fois de renier sa foi, et qu’après son refus, elle reçut l’autorisation de le visiter, à condition qu’elle fasse le maximum pour le persuader de changer d’avis. Mais elle s’interdit de le faire. Lorsque son mari fut décapité, elle se réjouit à la pensée qu’il était resté fidèle à Jéhovah et qu’on ne l’incitait plus à l’infidélité. Entre-temps, son père, Martin Harms, avait été arrêté pour la troisième fois et incarcéré à Sachsenhausen. Son fils lui écrivit cette lettre émouvante peu avant son exécution le 9 novembre 1940:

“Mon cher père,

“Dans trois semaines ce sera le 3 décembre, le jour où, il y a deux ans, nous nous sommes vus pour la dernière fois. Je vois encore ton cher sourire pendant que tu travaillais au sous-sol de la prison et que je marchais dans la cour. De si bonne heure le matin, nous ne pouvions penser que ma chère Lieschen (sa femme) et moi serions libérés cet après-midi-​là, ni que toi, mon cher père, à notre plus grand chagrin, tu serais emmené le même jour à Vechta, puis à Sachsenhausen. Les derniers moments que nous avons passés ensemble seuls dans la salle de visite de la prison d’Oldenbourg restent ineffaçables dans ma mémoire. Je me souviens que j’ai mis mon bras sur tes épaules et que je t’ai promis de prendre soin de maman et de toi autant que je le pourrais. Mes dernières paroles étaient les suivantes : ‘Reste fidèle, mon cher père !’ Pendant les vingt et un mois écoulés, où j’ai été ‘un esclave en liberté’, j’ai gardé ma promesse. Lorsque j’ai été arrêté le 3 septembre, j’ai confié mes responsabilités à tes autres enfants. Pendant cette période, j’ai été fier de toi et étonné de voir avec quelle fidélité envers le Seigneur tu portes ton fardeau. À présent, moi aussi j’ai reçu l’occasion de prouver ma fidélité au Seigneur jusqu’à la mort ; oui ! non seulement jusqu’à la mort, mais même dans la mort. Ma condamnation à mort a déjà été prononcée et je suis enchaîné jour et nuit, — les marques (sur le papier) viennent des menottes, — pourtant, je n’ai pas encore vaincu jusqu’au bout. On ne rend pas facile la tâche du témoin de Jéhovah qui veut rester fidèle. J’ai encore la possibilité de sauver ma vie terrestre, mais en faisant cela, je perdrais la vie réelle. Oui, jusqu’au pied du gibet, on donne au témoin de Jéhovah l’occasion de violer son alliance. Je suis donc encore en plein milieu du combat, et j’ai encore de nombreuses victoires à remporter avant de pouvoir dire : ‘J’ai combattu le bon combat, j’ai gardé la foi. Désormais m’est réservée la couronne de justice que Dieu, le juste juge me donnera.’ Le combat est sans doute difficile, mais je remercie le Seigneur de tout cœur de m’avoir donné non seulement la force nécessaire pour me tenir debout jusqu’à maintenant en face de la mort, mais encore une joie que j’aimerais partager avec tous mes bien-aimés.

“Mon cher père, toi aussi tu es toujours prisonnier, et j’ignore si cette lettre te parviendra. Cependant, si un jour tu es libéré, reste tout aussi fidèle que maintenant, car tu sais que quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas digne du Royaume de Dieu. (...)

“Cher père, lorsque tu rentreras chez toi, veille surtout à t’occuper de ma Lieschen bien-aimée, car pour elle ce sera particulièrement difficile de savoir que son mari ne reviendra pas. Je suis confiant que tu le feras, et je t’en remercie d’avance. Mon cher père, je te supplie par l’esprit de rester fidèle, tout comme j’ai essayé de rester fidèle, car alors nous nous reverrons. Je penserai à toi jusqu’au dernier instant.

“Ton fils Johannes

“Auf Wiedersehen !”

PAROLES D’ENCOURAGEMENT POUR CEUX DU DEHORS

Certes, les frères condamnés à mort étaient encouragés par ceux qui étaient encore en liberté, mais bien souvent ces derniers l’étaient encore plus par leurs frères emprisonnés. Ce fait est attesté par sœur Auschner, de Kempten. Le 28 février 1941, elle reçut une lettre de son fils âgé de vingt et un ans, contenant les quelques lignes suivantes adressées à son autre fils âgé de dix-huit ans et demi : “Mon cher frère. Dans ma dernière lettre j’ai attiré ton attention sur un certain livre, et j’espère que tu as pris à cœur ce que j’ai dit, car cela ne pourra t’apporter que des bienfaits.” Deux ans et demi plus tard, sœur Auschner reçut de son fils cadet une lettre d’adieu. Il avait effectivement pris à cœur ce que son frère aîné lui avait écrit, et maintenant il allait le suivre fidèlement dans la mort.

Les deux frères Ernst et Hans Rehwald, de Stuhm, en Prusse-Orientale, se sont également aidés. Après qu’Ernst eut comparu devant un tribunal militaire, et eut été condamné à mort, il écrivit dans sa cellule une lettre à son frère Hans, incarcéré à Stuhm. Il lui dit : “Cher Hans, au cas où la même chose t’arriverait, souviens-​toi du pouvoir de la prière. Je n’éprouve aucune crainte, car la paix de Dieu est dans mon cœur.” Peu de temps après, son frère se trouvait dans la même situation et, bien qu’âgé de dix-neuf ans seulement, il fut exécuté.

LA FIDÉLITÉ DES CONJOINTS MISE À L’ÉPREUVE

Il était émouvant de voir de proches parents s’encourager à ne pas renoncer à leur intégrité. Sœur Höhne, de Francfort-sur-l’Oder, accompagna son mari à la gare lorsqu’il fut appelé sous les drapeaux, et elle ne devait plus le revoir. Les dernières paroles qu’elle lui adressa furent : “Reste fidèle.” Frère Höhne s’en souvint jusqu’à sa mort.

Souvent il s’agissait de couples qui venaient de se marier. Si leur amour pour Jéhovah et pour Jésus Christ n’avait pas été si fort, ces frères et sœurs n’auraient jamais pu supporter d’être séparés de leur conjoint bien-aimé. Deux sœurs, qui sont maintenant veuves depuis plus de trente-deux ans, se souviennent de ces temps difficiles avec reconnaissance envers Jéhovah pour l’aide qu’il leur a donnée. Il s’agit des sœurs Bühler et Ballreich, de Neulosheim, près de Speyer, qui se marièrent toutes deux vers le début de l’interdiction de l’œuvre et apprirent la vérité à peu près à la même époque. En 1940, leurs maris furent appelés au service militaire et, ayant refusé de revêtir l’uniforme, ils furent arrêtés.

Sœur Ballreich se rendit au bureau de recrutement de Mannheim, où elle apprit que les deux frères avaient été envoyés à Wiesbaden, pour comparaître devant un tribunal militaire. Sœur Ballreich reçut l’autorisation de visiter son mari, à condition d’essayer de le persuader de changer d’avis. Sœur Bühler reçut la même autorisation, à la même condition. Les deux sœurs se rendirent immédiatement à Wiesbaden. Sœur Bühler écrit :

“J’ai du mal à décrire la tristesse de notre rencontre. Il (son mari) m’a demandé : ‘Pourquoi es-​tu venue ?’ J’ai répondu que je devais essayer de l’influencer. Mais il m’a réconfortée, en me donnant des conseils bibliques et en me disant de ne pas m’attrister comme ceux qui n’ont pas d’espérance, mais de compter entièrement sur notre grand Dieu, Jéhovah. (...) Un jeune greffier, qui nous avait accompagnées jusqu’à la prison, nous a conseillé de rester à Wiesbaden jusqu’à mardi, jour où le procès devait avoir lieu. Il nous a dit que nous aurions certainement l’autorisation d’y assister. Nous sommes donc restées jusqu’à mardi. Nous avons attendu dans la rue jusqu’à l’arrivée de nos maris, accompagnés de deux soldats armés qui les promenaient dans la rue comme s’ils étaient des criminels professionnels. Ils étaient vraiment exhibés en spectacle aux hommes et aux anges. Sœur Ballreich et moi les avons suivis. Nous avons pu assister au procès, qui a duré moins d’une heure et qui s’est soldé par la condamnation à mort de deux hommes innocents et courageux. Nous avons pu passer environ deux heures avec eux dans une pièce au rez-de-chaussée. Après avoir quitté le tribunal, nous avons erré dans les rues de Wiesbaden comme deux brebis perdues.”

Peu après, les deux jeunes sœurs furent informées que leurs maris avaient été fusillés le 25 juin 1940, leurs dernières paroles ayant été : “Pour Jéhovah, à jamais !”

PARENTS ET ENFANTS METTENT JÉHOVAH À LA PREMIÈRE PLACE

Un autre procès qui éveilla l’intérêt non seulement des juges, des procureurs et des avocats, mais également du public, concernait les deux frères Kusserow, de Paderborn. Grâce à la bonne instruction dans les voies de Jéhovah qu’ils avaient reçue chez eux, ils étaient prêts à donner leur vie sans crainte. Quant à leur mère, elle se servit de leur mort comme d’une occasion supplémentaire d’expliquer aux habitants de sa ville l’espérance de la résurrection. Un troisième fils, Karl, fut arrêté trois mois plus tard et jeté dans un camp de concentration. Il mourut quatre semaines après sa libération. De cette famille comptant treize membres, douze furent incarcérés, ayant été condamnés à un total de soixante-cinq années de prison, dont quarante-six passées effectivement en détention.

Comme les Kusserow, la famille Appel, de Süderbrarup, fournit un autre exemple où non seulement les parents, mais aussi les enfants ont mis les intérêts du Royaume au-dessus des leurs. Cette famille était propriétaire d’une petite imprimerie. Lisons le récit de sœur Appel :

“En 1937, tandis qu’une vague d’arrestations déferlait sur l’Allemagne, mon mari et moi avons été arrachés à nos quatre enfants tard dans la nuit du 15 octobre. Huit hommes (agents de la Gestapo et de la police) sont entrés chez nous et ont fouillé toute la maison depuis le sous-sol jusqu’au grenier. Puis ils nous ont emmenés. (...) Après avoir été jugés, mon mari a été incarcéré à Neumünster, et moi, à la prison de femmes à Kiel. (...) En 1938, grâce à une série d’amnisties, nous avons été libérés. (...) Cependant, lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, nous savions ce qui nous attendait, car mon mari était bien décidé à garder sa neutralité. Nous avons parlé de tout cela à nos enfants et attiré leur attention sur ce que la Bible dit au sujet des persécutions.

“Autant que possible, nous nous sommes efforcés de réunir assez de vêtements pour les enfants, afin qu’il ne leur en manque pas. Après avoir expliqué au bureau de recrutement les raisons bibliques pour lesquelles il ne pouvait participer à la guerre, mon mari a mis en ordre le reste de ses affaires. Chaque jour, nous présentions tous nos problèmes à Jéhovah par la prière. Le 9 mars 1941, à 8 heures du matin, la sonnette a retenti et deux soldats se sont présentés pour emmener mon mari. Ils ont attendu dehors pendant quinze minutes, pour lui permettre de nous dire au revoir. Notre fils Walter était déjà parti à l’école. Mon mari a demandé aux trois autres enfants et à sœur Helene Green, qui travaillait dans notre imprimerie, de venir immédiatement à l’appartement. Sa dernière requête était que nous chantions le cantique qui dit : ‘Celui qui est fidèle n’a pas peur des coups de l’adversité.’ Les mots nous sont restés dans la gorge, mais nous avons chanté quand même. Après une prière, les soldats sont entrés et ont emmené mon mari. C’était la dernière fois que les enfants ont vu leur père. Il a été conduit à Lübeck, où un haut fonctionnaire lui a parlé longuement d’un ton paternel, en essayant de le persuader de revêtir l’uniforme. Mais les lois immuables de Jéhovah étaient bien ancrées dans le cœur de mon mari, si bien qu’il a tenu bon. (...)

“De bonne heure le matin du 1er juillet 1941, un policier m’a présenté une lettre (...) m’informant que notre voiture était confisquée comme bien communiste et que notre imprimerie allait être fermée. Puis il m’a remis une autre lettre qui disait : ‘Vous êtes convoquée avec vos enfants à l’Hôtel de ville le matin du 3 juillet 1941. Vous y apporterez des vêtements et des chaussures.’ C’était là un coup dur.

“Ainsi, le matin du 3 juillet, des surveillants de deux maisons de jeunes sont venus emmener nos enfants. La femme qui a pris en charge Christa et Waltraud, âgées respectivement de quinze et de dix ans, m’a dit : ‘Je savais depuis plusieurs semaines que je devais vous enlever vos enfants, et cela m’a empêchée de dormir, car je sais que vous êtes une famille bien organisée. Mais je suis obligée de le faire.’

“Certains des voisins n’ont pas manqué de manifester leur désapprobation de cette mesure, mais les autorités n’ont pas tardé à leur faire savoir que ‘quiconque parle de l’affaire Appel se rend coupable de sédition contre la nation’. Pour plus de sûreté, trois policiers ont été envoyés pour veiller à ce que les enfants soient emmenés. (...) Naturellement, mon mari a été informé par les autorités des mesures prises à l’égard de notre imprimerie et de nos enfants. Elles espéraient ainsi le ramollir. Elles l’ont accusé d’être malhonnête et sans scrupules, puisqu’il avait abandonné sa famille. Mon mari m’a écrit une lettre très affectueuse me disant que très tôt le lendemain matin il s’était levé et s’était mis à genoux pour prier Jéhovah et lui confier sa famille. (...)

“Le jour même où les enfants m’ont été enlevés, j’ai dû comparaître devant le tribunal militaire de Berlin-Charlottenbourg. J’ai été conduite devant le procureur du Reich, qui m’a demandé d’influencer mon mari, pour qu’il accepte de revêtir l’uniforme. Lorsque je lui ai donné les raisons bibliques qui m’empêchaient d’agir de la sorte, il s’est mis en colère, en criant : ‘Alors il perdra sa tête !’ Je lui ai néanmoins demandé l’autorisation de parler à mon mari. Sans me répondre, il a appuyé sur le bouton d’une sonnette et un soldat est venu me conduire au sous-sol, où plusieurs officiers m’ont accueillie avec un regard glacial et accusateur. Pendant que je repartais, l’un d’eux m’a suivie, m’a pris la main et m’a dit : ‘Madame Appel, restez toujours aussi ferme. Ce que vous faites est juste.’ J’étais vraiment étonnée. Ce qui m’importait le plus, cependant, était d’avoir pu parler à mon mari.

“Pendant mon séjour à Berlin, les nazis avaient déjà vendu notre imprimerie. J’ai été obligée de signer l’acte de vente, sinon, — d’après ce qu’on m’a dit, — je serais jetée dans un camp de concentration.

“J’ai pu visiter plusieurs fois mon mari à Berlin, avant qu’il ne soit condamné à mort. L’avocat qui le ‘défendait’ a déclaré : ‘Votre mari a eu une occasion magnifique de s’en sortir, mais il a refusé de la saisir.’ Mon mari lui a répondu : ‘J’ai décidé de servir Jéhovah et son Royaume. Je n’ai plus rien à dire.’

“Le 11 octobre 1941, mon mari fut décapité. Dans la dernière lettre qu’on l’a autorisé à écrire, à peine quelques heures avant son exécution, il a dit : ‘Quand vous recevrez cette lettre, mes bien-aimés, Maria et mes quatre enfants, Christa, Walter, Waltraud et Wolfgang, tout sera déjà consommé, j’aurai remporté la victoire par Jésus Christ, et j’espère que je me serai comporté en vainqueur. De tout cœur, je vous souhaite une entrée bénie dans le Royaume de Jéhovah. Restez fidèles ! Trois jeunes frères, qui prendront le même chemin que moi demain matin, sont à côté de moi. Leurs yeux rayonnent !’

“Peu après, j’ai été obligée de quitter ma maison à Süderbrarup. Les meubles ont été entreposés à cinq endroits différents. Je me suis trouvée sans ressources chez ma mère.

“Mon fils Walter a été retiré de l’école par les responsables de la maison des jeunes, qui l’ont envoyé à Hambourg, où il a commencé son apprentissage dans une imprimerie. En 1944, il a été appelé sous les drapeaux, bien qu’âgé de dix-sept ans seulement. Auparavant et d’une manière vraiment merveilleuse, il était entré en possession du livre La Harpe de Dieu. Il y avait appris beaucoup de choses dans sa petite chambre mansardée pendant les bombardements nocturnes de Hambourg. Bientôt, il désirait se vouer à Jéhovah. À la Saint-Sylvestre de 1943-​1944, après avoir surmonté de nombreuses difficultés, il a pu se rendre à Malente, où, dans une buanderie obscure, un frère l’a baptisé clandestinement. (...)

“Il a réussi à se mettre secrètement en rapport avec moi et je l’ai attendu plusieurs heures dans les rues de Hambourg. En effet, il m’était interdit de voir mes enfants sous quelque prétexte que ce soit.

“Pour l’encourager, j’ai pu lui dire que j’avais reçu une lettre des frères de Sachsenhausen, qui avait eu vent de notre épreuve. Frère Ernst Seliger avait écrit qu’une fois que le camp était tranquille la nuit, plusieurs centaines de frères de différentes nations s’agenouillaient devant Jéhovah et le priaient en notre faveur. Par la suite, mon fils a été emmené de force en Prusse-Orientale, pour rejoindre le groupe militaire auquel il avait été affecté. Dans un froid glacial, on lui a enlevé ses vêtements et on a étendu devant lui l’uniforme. Il a refusé de le revêtir. Il a dû attendre deux jours avant de recevoir quelque chose de chaud à manger. Mais il est resté ferme.

“Nous nous étions dit adieu à Hambourg. Il m’avait dit qu’il allait suivre l’exemple de son père. Quelque sept mois plus tard, après que ses papiers eurent été falsifiés pour augmenter son âge, il a été décapité, sans jamais passer en jugement. Juridiquement, il était encore mineur et aurait dû être jugé par un tribunal pour enfants.

“Un agent de police de Silderbrarup m’a visitée et m’a lu le rapport de la police de Prusse-Orientale. Personnellement, je n’ai rien reçu. Certes, j’avais osé espérer que, vu son jeune âge et la proximité de la fin de la guerre, mon fils n’aurait pas à supporter la même épreuve que son père. Néanmoins, malgré ma grande douleur, j’ai pu prier Jéhovah en lui disant : ‘Merci, Jéhovah, de ce qu’il soit tombé sur le champ de bataille pour toi.’

“Puis est arrivé le bouleversement de 1945. J’ai accueilli joyeusement dans mes bras mes trois enfants qui me restaient. Depuis trois ans, mes deux filles les plus jeunes n’habitaient plus dans une maison de jeunes, mais chez le directeur d’un bureau de placement, où elles devaient être élevées selon les principes du national-socialisme. Je n’avais été autorisée à les voir que pendant quelques heures, une fois tous les quatorze mois, et même alors, toujours devant quelqu’un. Malgré cela, une fois mes deux filles ont pu me chuchoter à l’oreille qu’elles possédaient une petite bible qu’elles avaient soigneusement cachée. Quand elles se trouvaient seules, l’une d’elles écoutait à la porte pour s’assurer que personne ne venait, et l’autre lisait des versets. Comme j’étais heureuse de l’apprendre !

“En 1945, les frères fidèles ont commencé à être libérés. Un navire est arrivé à Flensburg, transportant de nombreux frères et sœurs, principalement venus de l’Est. Une période d’activité intense a commencé. C’est dans cette ville que j’ai fait connaissance avec frère Josef Scharner, qui est devenu mon mari. Lui aussi avait été privé de sa liberté pendant neuf ans. Nous avions tous deux vraiment connu des moments difficiles et nous partagions le désir de passer nos dernières années à servir Jéhovah de toute notre force.”

MÊME DES CONDAMNÉS À MORT ONT FAIT DES DISCIPLES

On a du mal à croire qu’un frère condamné à mort puisse faire un disciple, mais frère Massors relata un tel cas dans une lettre qu’il adressa à sa femme le 3 septembre 1943. Il écrivit :

“En 1928, 1930 et 1932, j’étais pionnier à Prague. Nous avons fait des conférences et inondé la ville d’imprimés. À cette époque-​là, j’ai rencontré un conférencier politique représentant le gouvernement. Il s’appelait Anton Rinker. Je lui ai parlé longuement, et il a fini par accepter une bible et plusieurs livres, tout en expliquant qu’il n’avait pas le temps d’étudier de telles choses, puisqu’il devait subvenir aux besoins de sa famille. Il a précisé cependant que tous ses parents étaient très religieux, mais qu’ils n’assistaient pas aux offices.

“Vers 1940-​1941, on a changé mon compagnon de cellule, comme cela arrivait assez souvent. L’homme était très déprimé, mais tous les détenus le sont au début. Quand la porte de la cellule se ferme derrière eux, ils se rendent compte soudain où ils sont. Mon nouveau compagnon a dit : ‘Je m’appelle Anton Rinker et je viens de Prague.’ Le reconnaissant aussitôt, je lui ai répondu : ‘Anton, oui, Anton, ne me reconnaissez-​vous pas ?’ ‘Oui, votre visage ne m’est pas inconnu, mais...’ Il s’est vite souvenu que je l’avais visité chez lui en 1930 et 1932, et qu’il avait accepté une bible et plusieurs livres. Il a dit : ‘Quoi ! Vous êtes ici à cause de votre foi ? Je ne comprends pas ; cela n’arrive pas aux autres ministres du culte. Quelles sont en fait vos croyances ?’ Il n’allait pas tarder à les connaître.

“Après, il m’a dit : ‘Mais pourquoi le clergé ne nous explique-​t-​il pas ces choses ? Ce que vous dites est la vérité. Maintenant je sais pourquoi je devais échouer dans cette prison. Il faut que je vous dise, mon cher Franz, qu’avant d’être transféré dans cette cellule, j’ai prié Dieu pour qu’il m’envoie un croyant. Sinon, je songeais au suicide. (...)’

“Les semaines et les mois ont passé. Puis, un jour, Anton m’a dit : ‘Avant que je quitte ce monde, puisse Dieu aider ma femme et mes enfants à trouver la vérité ! Alors je pourrai partir en paix.’ (...) Un peu plus tard il a reçu une lettre de sa femme, qui disait :

“‘(...) Comme tu serais heureux si tu pouvais lire la Bible et les livres que tu as achetés à cet Allemand il y a plusieurs années ! Tout s’est passé exactement comme cela est annoncé dans les livres. C’est ici la vérité que nous n’avons jamais eu le temps d’étudier.’”

[Illustration, page 171]

La place d’appel à l’entrée du camp de Mauthausen, avec de nouveaux arrivants dévêtus.