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L’Italie

L’Italie

L’Italie

ON APPELLE souvent l’Italie la “belle botte”, parce que sa forme rappelle une botte du dix-huitième siècle, avec la Pouille au talon, la Calabre au pied et les Alpes autour du sommet de la jambe. En somme, l’Italie forme une longue péninsule dans la mer Méditerranée. Son nom provient du terme que les Romains appliquaient dans l’Antiquité à la pointe méridionale de la péninsule, l’Italia, qui, d’après la légende, signifie “la terre des bœufs” ou “la terre de pâture”. Le cadre enchanteur de la campagne italienne est bien connu, avec ses plaines, ses montagnes, ses lacs, ses plages, ses oliveraies, ses vignes et ses coteaux recouverts d’une profusion de cyprès. Deux grandes îles font également partie de l’Italie: la Sicile et la Sardaigne.

En dépit d’une pratique religieuse extrêmement réduite, les 57 millions d’Italiens qui constituent la population sont en majorité catholiques.

Mais comment le véritable christianisme prit-​il racine ici, pour s’éteindre quelque temps plus tard? Quand et comment la prédication des Témoins de Jéhovah a-​t-​elle commencé dans ce pays?

LES PREMIERS CHRÉTIENS EN ITALIE

En l’an 59, certains prisonniers, dont un homme d’âge mûr, effectuaient un périple dangereux et éprouvant sous la conduite d’un officier. Après avoir survécu miraculeusement à un naufrage, ils avaient débarqué à Malte, île située au sud de l’Italie, puis avaient repris leur voyage trois mois plus tard. Le navire sur lequel ils s’étaient embarqués s’appelait les “Fils de Zeus”, en l’honneur des deux fils jumeaux de Zeus, censés protéger les marins du danger. Toutefois, l’un des prisonniers n’adorait pas les divinités gréco-romaines. Il était disciple de Jésus Christ et s’appelait Paul. L’itinéraire des prisonniers les conduisit jusqu’à Syracuse, en Sicile, où ils demeurèrent trois jours, avant d’emprunter le détroit de Messine pour faire escale à Rhegium. Peu après, ils débarquèrent à Pouzzoles, près de Naples, où les frères spirituels locaux les prièrent de demeurer quelque temps. Au bout de sept jours, ils partirent pour Rome, empruntant la voie Appienne, principal axe routier militaire et commercial de l’empire. La nouvelle de l’arrivée imminente de Paul atteignit la congrégation de Rome, et, avec amour, les frères vinrent à sa rencontre à la Place du Marché d’Appius et aux Trois-Tavernes, d’où ils accompagnèrent les voyageurs jusqu’au terme de leur destination. — Actes 27:1 à 28:16.

Paul nourrissait une opinion tellement bonne des chrétiens de Rome qu’il leur avait écrit auparavant: “On parle de votre foi dans le monde entier.” — Rom. 1:8.

Toutefois, après quelque temps de prospérité, le vrai christianisme sombra dans l’apostasie dont Jésus Christ avait annoncé la venue (Mat. 13:26-30, 36-43). La puissance temporelle des ecclésiastiques ne fit que s’accroître jusqu’au moment où, à l’époque de l’empereur Constantin, les forces politiques et religieuses fusionnèrent, ce qui aboutit à l’instauration du catholicisme, avec sa papauté.

L’ITALIE SOMBRE DANS LES TÉNÈBRES SPIRITUELLES

Durant la période des ténèbres, l’influence de ce qu’on a appelé la Réforme se fit à peine sentir en Italie, et les ténèbres spirituelles dans lesquelles étaient plongés les habitants de la péninsule demeurèrent aussi denses. Certes, il y eut quelques individus qui cherchèrent à acquérir une connaissance exacte de la Parole de Dieu, mais la plupart d’entre eux durent se réfugier à l’étranger, où il leur était possible de partager leur connaissance des Écritures nouvellement acquise avec d’autres. Ceux qui étaient restés en Italie furent emprisonnés et condamnés à mort par l’Inquisition.

En 1870, les États pontificaux, vastes territoires administrés par l’Église catholique, furent annexés au royaume d’Italie, à l’exception de la petite région occupée par la Cité du Vatican. Dès lors, les perspectives s’annonçaient meilleures pour la liberté religieuse dans ce pays. Mais ces espoirs furent anéantis avec la montée au pouvoir de Benito Mussolini en 1922. En 1929, celui-ci signa un concordat avec l’Église catholique, concordat qui conférait des privilèges exceptionnels à l’Église et au clergé, et qui inaugura une nouvelle période de répression. On pourrait donc se demander comment la prédication des Témoins de Jéhovah dans l’Italie moderne a pu commencer.

LES DÉBUTS

La renaissance du véritable christianisme remonte à la fin du siècle dernier, dans une petite ville piémontaise du nom de Pignerol, à 38 kilomètres de Turin. Pignerol se trouve dans l’une des vallées les plus pittoresques des Alpes Cottiennes connues sous le nom de “vallées Vaudoises”. Leur nom provient des disciples de Pierre Valdo, négociant lyonnais qui estimait à leur valeur nombre de vérités bibliques.

En 1891, un voyageur américain fit étape à Pignerol durant sa première série de visites en Europe. Il s’agissait de Charles Taze Russell, le premier président de la Société Watch Tower. C’est là, à Pignerol, qu’il rencontra le professeur Daniele Rivoire, un Vaudois qui enseignait les langues au centre culturel vaudois de Torre Pellice. Bien que le professeur Rivoire ne soit jamais devenu Témoin de Jéhovah, il montra un intérêt considérable pour la propagation du message de la Bible tel que l’expliquaient les publications de la Société Watch Tower.

Quelques années s’écoulèrent, puis Fanny Lugli, une Vaudoise de San Germano Chisone, près de Pignerol, reçut de parents américains un livre intitulé “Le divin Plan des Âges”. Vers 1903, elle avait reconnu que le contenu du livre renfermait la vérité et elle conduisait des réunions chez elle avec un petit groupe de personnes.

De plus, vers 1903, le professeur Rivoire avait traduit le livre Le divin Plan des Âges en italien. Il avait fait imprimer le livre à ses propres frais à la Tipografia Sociale en 1904. À l’époque, il n’y avait même pas d’édition italienne du livre aux États-Unis. Dans son édition de 1904, le professeur Rivoire rédigea cet avertissement aux lecteurs: “Nous plaçons cette première édition italienne sous la protection du Seigneur. Puisse-​t-​il la bénir pour que, malgré ses imperfections, elle contribue à magnifier son très saint nom et encourager ses enfants italianisants à une plus grande dévotion!” Jéhovah bénit d’ailleurs le fruit produit par la distribution de ce livre.

Le professeur Rivoire se mit également à traduire en italien Le Phare de la Tour de Sion, Messager de la présence de Christ. Imprimée à Pignerol, cette revue fut publiée tous les trois mois à partir de 1903. Fait intéressant, elle était distribuée par le circuit de presse normal jusqu’aux agences des centres provinciaux les plus importants.

C’est durant cette même période que Clara Cerulli Lantaret et Giosuè Vittorio Paschetto en vinrent également à connaître la vérité. Quelques années plus tard, ils furent rejoints par Remigio Cuminetti. Au fil de notre histoire, nous allons retrouver toutes ces personnes.

FORMATION D’UNE CONGRÉGATION

La première congrégation des serviteurs modernes de Jéhovah formée en Italie remonte à 1908. Les réunions se tenaient le jeudi soir, à Pignerol, au 7, Piazza Montebello, au domicile de sœur Cerulli et, le dimanche après-midi, à Gondini, près de San Germano Chisone, chez sœur Lugli.

Quand frère Russell revint en Italie, en 1912, pour visiter la seule congrégation d’alors, une quarantaine de personnes assistaient aux réunions. À l’époque, l’œuvre était supervisée par la filiale suisse de la Société Watch Tower, disposition qui se poursuivit jusqu’en 1945. Sœur Cerulli, qui parlait l’anglais et le français, en plus de l’italien, représentait la filiale suisse en Italie.

UNE ATTENTE VAINE

Durant la Première Guerre mondiale, le petit groupe de frères italiens passa par une période d’épreuve et de purification identique à celle que connurent les frères dans d’autres parties du monde. En 1914, certains étudiants de la Bible, comme on appelait alors les Témoins de Jéhovah, s’attendaient à être “emportés dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs” et croyaient que leur prédication sur la terre avait touché à son terme (I Thess. 4:17). Un récit de l’époque raconte: “Un jour, certains d’entre eux sortirent vers un endroit isolé pour attendre que l’événement se produise. Mais, comme rien n’était arrivé, ils durent bien revenir chez eux, très démoralisés. Par la suite, nombre d’entre eux abandonnèrent la foi.”

Quelque 15 personnes demeurèrent fidèles, continuant d’assister aux réunions et d’étudier les publications de la Société. Frère Remigio Cuminetti, commentant cette période, déclara: “Au lieu de la couronne de gloire que nous attendions, nous avons reçu une bonne paire de chaussures pour effectuer la prédication.”

LE PROCÈS DE FRÈRE CUMINETTI

L’entrée en guerre de l’Italie, en mai 1915, marqua le début d’une période très difficile pour un membre de la congrégation, frère Remigio Cuminetti. Appelé au service militaire, il décida de garder sa neutralité (És. 2:4; Jean 15:19). Cela voulait dire qu’il allait devoir passer devant le tribunal militaire d’Alexandrie. Sœur Clara Cerulli assista au procès et envoya un rapport détaillé à frère Giovanni DeCecca, au Béthel de Brooklyn, sachant qu’il était toujours intéressé par ce qui se déroulait sur le champ italien. Sa lettre, datée du 19 septembre 1916, renferme le compte rendu authentique des événements:

“Mon cher frère en Christ,

“Je pense que je dois t’écrire sans délai pour te faire part de la bonne nouvelle au sujet de la manière dont notre cher frère, Remigio Cuminetti, a pris une position ferme pour la foi et donné un excellent témoignage durant son procès à Alexandrie.

“Sœur Fanny Lugli et moi avons eu l’immense privilège d’assister au procès et d’être édifiées par la confession publique de la fermeté de sa foi qu’a donnée notre frère.

“Le juge a essayé à maintes reprises de mettre notre frère dans l’embarras, mais Remigio ne s’est pas laissé faire une seule fois. Voici le récit de ce qui s’est dit au procès:

LE JUGE: ‘Je vous préviens que vous passez devant ce tribunal pour un motif d’accusation grave, et pourtant vous donnez l’impression qu’il y a de quoi rire.’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Je ne peux pas contrôler les expressions de mon visage. La joie que je ressens dans mon cœur doit se refléter sur ma figure.’

LE JUGE: ‘Pourquoi refusez-​vous d’endosser l’uniforme et de servir dans la défense de votre pays?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Je suis ici devant la cour à cause de mon refus de revêtir un uniforme, c’est tout. Je ne suis pas coupable de quelque autre délit. Je juge invraisemblable pour un fils de Dieu de porter un uniforme qui représente la haine et la guerre. C’est pour la même raison que je refuse de porter un brassard et de travailler dans une usine qui participe à l’effort de guerre. Je préfère être classé comme fils de Dieu en agissant paisiblement à l’égard de mon prochain.’

LE JUGE: ‘Reconnaissez-​vous vous être mis en petite tenue lorsque vous étiez à la prison de Coni?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Oui, c’est exact. Par trois fois on m’a forcé de revêtir un uniforme, et par trois fois je l’ai ôté. Ma conscience se révolte à l’idée de faire du mal à mon prochain. Je suis prêt à donner ma vie pour le bien d’autrui, mais jamais je ne lèverai le petit doigt pour causer du tort à qui que ce soit, parce que Dieu, par l’entremise de son esprit saint, nous enseigne l’amour et non la haine de notre prochain.’

LE JUGE: ‘Quelle instruction avez-​vous reçue?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Cela n’a pas d’importance. J’ai étudié la Bible.’

LE JUGE: ‘Répondez aux questions que je vous pose. Combien de temps êtes-​vous allé à l’école?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Pendant trois ans. Mais je répète que cela n’a guère d’importance par rapport à l’éducation que j’ai reçue à l’école du Christ.’

LE JUGE: ‘Il est regrettable que vous ayez pris contact avec certaines personnes [allusion à sœur Lugli et à moi-​même] qui vous ont égaré. [Sur un ton méprisant] Combien de temps avez-​vous étudié ce livre que vous appelez “la Bible”?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Pendant six ans, et mon seul regret est de ne pas avoir commencé avant.’

LE JUGE: ‘Qui vous enseigne cette nouvelle religion?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘C’est Dieu lui-​même qui m’enseigne sa religion. D’autres étudiants mûrs m’ont aidé à comprendre les vérités bibliques, mais seul Dieu peut ouvrir les yeux de notre intelligence.’

LE JUGE: ‘Vous rendez-​vous compte de la gravité de votre désobéissance? Votre détermination pourra-​t-​elle demeurer ferme quand vous subirez les conséquences de votre décision?’

FRÈRE CUMINETTI: ‘Oui. J’en suis sûr. Je suis prêt à faire face à toute éventualité. Même si j’étais condamné à mort, jamais je ne violerais la promesse que j’ai faite de servir pleinement le Seigneur.’

“Après cela, le ministère public a réclamé une sentence de quatre ans et quatre mois pour frère Cuminetti, puis ce fut au tour de la défense de prendre la parole.

“L’avocat se leva et donna un merveilleux témoignage à propos de l’attitude de notre frère, expliquant qu’un tel homme, au lieu de recevoir une peine d’emprisonnement, devrait être admiré pour son courage et sa fidélité envers son Dieu. La plaidoirie souligna que l’accusé ne voulait pas violer sa conscience en allant à l’encontre du commandement biblique qui interdit de tuer. Sa conduite s’expliquait donc par son obéissance à la loi de Dieu.

“Ensuite, les juges se retirèrent pendant cinq minutes, puis revinrent dans la salle d’audience pour lire leur verdict. ‘Remigio Cuminetti est condamné à trois ans et deux mois d’emprisonnement pour trahison envers le roi et les lois du pays.’

“Notre frère les remercia, le visage radieux.

“Alors, le juge lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter.

“Remigio répondit: ‘J’aurais beaucoup à dire sur l’amour de Dieu et son merveilleux dessein à l’égard de l’humanité.’

“Irrité, le juge rétorqua: ‘Nous en avons déjà entendu suffisamment là-dessus. Je répète ma question. Avez-​vous quelque chose à déclarer concernant votre sentence?’

“‘Non, répondit notre frère, le visage rayonnant de ferveur. Je répète que je suis prêt à donner ma vie pour le bien d’autrui, mais que jamais je ne lèverai le petit doigt pour faire du mal à mon prochain.’

“Ainsi se conclut le procès.

“Sœur Fanny Lugli et moi avons eu le privilège de parler à notre cher frère. Tout le monde l’admirait. Même les juges restaient perplexes devant son humilité, alors qu’il montrait le courage des fils de la lumière en refusant de plier devant les puissances terrestres. En effet, on ne plie que devant Dieu seul, en le priant en esprit et en vérité.”

“L’ODYSSÉE D’UN OBJECTEUR DE CONSCIENCE”

Les suites du procès constituent en elles-​mêmes une autre histoire. En effet, celui-ci fut si remarquable que, des années plus tard, le journal L’Incontro en publia le compte rendu dans son édition de juillet-​août 1952. Voici quelques extraits de l’article, intitulé “L’odyssée d’un objecteur de conscience durant la Première Guerre mondiale”:

“Ce Témoin s’appelait Remigio Cuminetti. Il était né à Porte di Pinerolo en 1890. (...)

“Mais, lorsque éclata la guerre, l’usine où il travaillait [la RIV de Villar Perosa] fut réquisitionnée pour l’effort de guerre. On exigea des ouvriers qu’ils portent un brassard et qu’ils se considèrent placés sous l’autorité militaire. Cuminetti aurait pu accepter cette formule et rester civil. S’il l’avait fait, il se serait épargné les procès qu’il dut subir par la suite. Ouvrier spécialisé, il aurait pu obtenir un ajournement permanent et ne jamais être appelé au front, mais il se dit aussitôt: ‘Puisque j’ai voué ma vie à Dieu, puis-​je continuer à faire sa volonté et, en même temps, contribuer à l’effort de guerre? Même indirectement, je désobéirais aux deux commandements suivants: “Tu ne tueras point” et: “Aime ton prochain comme toi-​même.” Les Allemands et les Autrichiens ne sont-​ils pas mon prochain au même titre que les Français, les Anglais et les Russes?’ Pour cet homme direct, la réponse semblait claire et nette (...).

“Quand sa classe fut appelée au service militaire, il s’en tint à ses convictions et refusa de faire partie de l’armée. On l’arrêta donc une nouvelle fois et on le fit passer devant le tribunal militaire d’Alexandrie. On le condamna à trois ans et demi de prison [en réalité trois ans et deux mois] et on l’envoya à la prison militaire de Gaète(...). Mais les autorités militaires jugèrent inconvenant qu’il passe tranquillement son temps en prison, alors que ses compatriotes risquaient leur vie sur le champ de bataille... (...). Elles décidèrent donc de le sortir de prison et de l’envoyer à un commandement militaire où on le forcerait à devenir soldat et à se battre pour son pays (...). Mais, là, il refusa de revêtir l’uniforme, et on le laissa en chemise dans la cour.

“Après avoir passé quelque temps dans cet état, au milieu de camarades qui, tous, se moquaient de lui, il réfléchit à la question et jugea que ce n’était pas le port de tel ou tel vêtement qui allait faire de lui un soldat. Il se tint donc le raisonnement que nul ne pouvait être considéré comme soldat ou assujetti à la discipline militaire s’il ne fixait pas les étoiles à sa veste. Il enfila donc l’uniforme, mais sans les étoiles, et personne ne réussit jamais à les lui faire attacher sur le col. On le renvoya donc en prison, d’où on le transféra vers un asile d’aliénés, les autorités ayant jugé qu’il ne devait pas avoir toute sa tête. Comme il était aussi capable de raisonner que tout le monde, le directeur de l’asile ne put le classer parmi les fous. Il le rendit donc à son régiment. Devant la détermination de son refus de porter les étoiles militaires ou d’accomplir tout service militaire, il ne fallut pas longtemps avant qu’il ne se retrouve en prison. Plusieurs mois s’étaient ainsi écoulés entre la prison et l’asile d’aliénés.

“Finalement, on le renvoya à son régiment, et, cette fois, un certain major décida de briser sa résistance une bonne fois pour toutes. Un jour, il appliqua contre le Témoin le canon de son pistolet et lui ordonna de prendre ses armes et de partir dans les tranchées. Cuminetti (...) savait que ce major avait déjà tué plusieurs soldats pour des délits moins graves, (...) si bien qu’il en arriva à la conviction que son heure était venue. Toutefois, il refusa avec calme de toucher aux armes. Le major dit alors à deux autres soldats de lui préparer son bagage, de lui mettre le sac sur le dos, de lui boucler sa bandoulière, son sabre, etc., à la taille. Après l’avoir ainsi vêtu, le major le menaça de nouveau de son revolver et lui donna l’ordre de partir au front. Comme Cuminetti ne bougeait pas, il ordonna à deux soldats de l’emmener de force jusqu’aux tranchées. Devant ce piètre spectacle d’un homme qu’il fallait traîner pour le faire avancer, Cuminetti lâcha: ‘Pauvre Italie! S’il faut emmener de force ses soldats aux tranchées, comment pourra-​t-​elle jamais gagner la guerre?’ Cette réflexion fit céder même l’implacable et féroce major. Il ordonna de retirer l’équipement à Cuminetti et de le renvoyer en prison.

“Quelque temps plus tard, le colonel du régiment le fit appeler. Cet officier avait décidé de raisonner gentiment avec lui, pour lui faire accepter les étoiles militaires. Il le convoqua dans son bureau et lui donna l’assurance que, s’il obéissait aux ordres, il n’aurait jamais à toucher à une arme, et qu’on prendrait des dispositions pour qu’il serve à l’arrière. Cuminetti reconnut par la suite (...) que cette épreuve fut la plus dure de toutes celles qu’il avait endurées jusque-​là. À un certain moment, voyant son attitude humble et respectueuse, le colonel pensait avoir gagné la partie et lui dit, paternel. ‘Mon pauvre ami! Comment peux-​tu te battre tout seul contre la formidable puissance de toute l’armée? Tu ne peux qu’être écrasé. Bon, je vais t’accrocher les étoiles, et tu les porteras sans jamais plus te rebeller. J’agis pour ton bien et je te jure que tu n’auras pas à tirer sur autrui et que tes idées seront pleinement respectées.’

“Cuminetti répondit tout simplement: ‘Colonel, si vous essayez de mettre les étoiles sur mon uniforme, je vous laisserai faire, mais dès que je serai sorti, je les arracherai.’ Devant une résolution aussi inflexible, le colonel n’insista plus et l’abandonna à son sort.

“À cause de sa foi, cet homme humble et simple passa cinq fois en procès. On l’emprisonna à Regina Coli, à Rome, à Plaisance et à Gaète ainsi que dans l’asile d’aliénés de Reggio d’Émilie.”

Finalement, après avoir passé encore plusieurs mois en prison, frère Cuminetti fut conduit au front pour servir de brancardier. Le journal poursuit:

“Un jour, alors qu’il était à l’œuvre au front, il apprit qu’un officier blessé gisait en avant des tranchées et qu’il n’avait pas la force de revenir derrière les lignes. Personne ne voulait sortir le chercher. Cuminetti s’offrit aussitôt pour cette mission périlleuse et réussit à ramener en sécurité l’officier, au prix d’une blessure à la jambe.”

On lui remit une médaille d’argent pour cet exploit, “mais il refusa cette décoration en arguant qu’il avait agi par amour pour son prochain, et non avec l’idée de se voir octroyer une médaille”.

Le verdict rendu contre lui par le tribunal militaire d’Alexandrie, le 18 août 1916, est enregistré sous le numéro 10419 au greffe des archives du tribunal militaire de Turin. Sans aucun doute, frère Cuminetti fut le premier Italien à prendre position pour la neutralité chrétienne et, probablement, le premier objecteur de conscience de l’histoire moderne de l’Italie.

OUVERTURE D’UN BUREAU EN ITALIE

La guerre prit fin, laissant derrière elle la mort et la ruine dans toute la péninsule. Bien que l’œuvre se soit poursuivie sous la direction de la filiale suisse, on ouvrit un bureau en Italie après 1919. Ce bureau se trouvait à Pignerol, dans une maison louée au 11, Via Silvio Pellico.

En 1922, frère Remigio Cuminetti remplaça sœur Cerulli comme représentant de la Société en Italie. On n’a plus jugé convenable qu’une femme occupe cette position de responsabilité alors qu’elle pouvait être remplie par un homme qui avait donné des preuves suffisantes de son intégrité. Mais sœur Cerulli prit mal ce changement et quitta la vérité.

Après la guerre, le professeur Giuseppe Banchetti reprit la traduction des publications de la Société Watch Tower. Cet homme était un pasteur vaudois, mais il avait étudié la vérité et en reconnaissait la valeur. Il avait même essayé d’introduire certaines croyances dans sa propre religion en les prêchant en chaire, mais sans succès. Toutefois, il avait semé des graines de vérité dans différentes régions du pays. Vers 1913, il se trouvait à Cérignole, dans la province de Foggia, où la Société lui envoyait régulièrement des colis de publications. Même après sa mort, ces colis continuèrent d’arriver dans l’église vaudoise locale, si bien que, par la suite, plusieurs personnes qui avaient lu les publications formèrent un groupe d’Étudiants de la Bible.

Outre La Tour de Garde, le professeur Banchetti avait traduit les livres La Harpe de Dieu et Délivrance, ainsi que plusieurs brochures. Tout comme le professeur Rivoire, il ne rompit jamais totalement avec l’Église vaudoise, bien qu’il crût aux explications bibliques de la Société Watch Tower et qu’il répandît le message.

Quand le professeur Banchetti mourut, en 1926, une certaine Mme Courtial se chargea pendant quelque temps des traductions, dont celle du livre Création. Mais, en 1928, on confia cette tâche à une personne vouée, frère Giosuè Vittorio Paschetto, qui poursuivit cette activité de traduction jusqu’à son arrestation par la police fasciste, le 7 novembre 1939. Durant tout ce laps de temps, il traduisit les livres Gouvernement, Réconciliation, Vie, Prophétie, Lumière (2 volumes), Justification (3 volumes), Préparation, Préservation, Jéhovah, Richesses, Ennemis et Salut. Ces publications constituaient assurément ‘la nourriture en temps voulu’ pour le peuple de Dieu (Mat. 24:45). L’une d’elles particulièrement, le livre Ennemis, parce qu’il parlait sans équivoque de l’attitude à adopter concernant la neutralité, souleva une vague de persécutions sans précédent qui visait à anéantir le petit groupe de frères d’alors.

Quand frère Paschetto sortit de prison, le 23 août 1943, il continua de collaborer avec les traducteurs jusqu’au terme de sa course terrestre en 1956.

UNE AIDE EXTÉRIEURE

Revenons à présent à la fin de la Première Guerre mondiale. Peu après 1918, frère Marcello Martinelli, qui avait appris la vérité aux États-Unis, revint en Italie. Il était originaire de la Valteline, l’une des splendides vallées des Alpes Rhétiques qui aboutit au lac de Côme, et il parcourut ce territoire plusieurs fois en annonçant le message du Royaume. En 1923, il devint “colporteur”, c’est-à-dire prédicateur à plein temps du Royaume, et il s’associa à frère Cuminetti dans la région de Pignerol. Frère Martinelli était très aimé à cause de sa bonté de cœur qui, en période d’intense persécution, l’avait incité à écrire des lettres aux quelques frères dispersés. Il poursuivit sa prédication jusqu’en 1960, année où s’acheva son ministère terrestre. Un petit groupe d’Étudiants de la Bible se forma dans la province de Sondrio, où il avait effectué l’œuvre du Seigneur.

Entre 1920 et 1935, d’autres émigrants qui avaient accepté la vérité en Belgique, en France et aux États-Unis, revinrent en Italie. Là où ils se réinstallèrent, ils prêchèrent avec zèle et trouvèrent nombre d’oreilles attentives. C’est ainsi que se formèrent d’autres groupes d’Étudiants de la Bible.

En 1923, la filiale suisse invita trois colporteurs qui prêchaient dans le Tessin, canton suisse d’expression italienne, à se rendre en Italie. Il s’agissait d’Ignazio Protti et de ses deux sœurs Adele et Albina. L’année suivante, un autre colporteur, sœur Emma Hotz, se joignit à eux.

L’ACTIVITÉ ZÉLÉE DE CINQ COLPORTEURS

L’activité de ces colporteurs zélés mérite que l’on en parle. Les trois sœurs travaillaient dans un territoire, et les frères, Ignazio Protti et Marcello Martinelli, dans un autre. De 1923 à 1927, ils couvrirent plusieurs régions du Piémont et une partie de la Lombardie. Sœur Adele Protti, qui épousa par la suite un Témoin suisse, frère Brun, écrivit il y a quelques années ce qui suit:

“En 1924, on fit imprimer à Pignerol 20 000 exemplaires de la brochure Un gouvernement désirable. Nous avions également reçu de Berne 100 000 exemplaires du tract Acte d’accusation contre le clergé. Ce dépliant reproduisait l’accusation lue à l’assemblée de Columbus (États-Unis) en 1924. Il dénonçait vigoureusement l’activité du clergé. On en fit la distribution dans toutes les grandes villes d’Italie.”

Un rapport paru dans l’édition du 1er décembre 1925 de La Tour de Garde dressait le bilan suivant sur cette campagne: “Nos frères italiens ont distribué 100 000 exemplaires de l’‘Acte d’accusation’. Et ils ont particulièrement veillé à ce que le pape et d’autres ecclésiastiques de haut rang du Vatican en reçoivent chacun un exemplaire.”

On imagine sans peine l’enthousiasme des colporteurs qui distribuaient un message aussi cuisant. Sœur Brun poursuit:

“Frère Cuminetti, sœur Hotz et moi-​même avons distribué 10 000 exemplaires de l’‘Acte’ à Gênes en une seule journée. Des centaines de milliers d’exemplaires du dépliant ‘Un témoignage aux dirigeants du monde’ arrivèrent de Suisse, mais la plupart d’entre eux furent saisis par les autorités. À peu près tous les trois mois, nous rendions visite à nos frères de San Germano Chisone pour nous édifier spirituellement aux réunions. Il est difficile d’exprimer notre désir intense, ardent, de nous réunir de temps en temps avec les frères.

“En une certaine occasion, j’avais travaillé toute la journée dans un village et obtenu des résultats très satisfaisants. Sur le chemin du retour, j’avais le cœur gonflé de joie. J’ai emprunté la seule route qui existait et qui passait à travers un bois. Tout en marchant, pleine de pensées joyeuses, je me suis soudain rendu compte qu’un jeune homme marchait près de moi, sa bicyclette à la main. Nullement effrayée, j’ai commencé à lui donner le témoignage sur le règne de paix et de justice qu’apportera le Royaume. Il nous a fallu près de deux heures pour parcourir le chemin de retour jusqu’à Alexandrie. Au terme de notre voyage, le jeune homme m’a dit:

“‘Signorina, je pense qu’il faut que je vous dise que vous venez de m’empêcher de commettre un crime épouvantable. Quand je vous ai rattrapée, j’avais l’intention de vous faire du mal. Si vous aviez résisté, je vous aurais peut-être même tuée. Mais quand j’ai vu votre visage radieux, innocent et si ouvert, je n’ai pas eu le courage d’abuser de votre confiance. C’est alors que vous vous êtes mise à me parler de toutes ces choses merveilleuses dont j’ignorais tout jusque-​là. Ces deux heures ont suffi pour changer ma vie. À présent, je me rends compte de la pauvre créature que j’étais. J’aimerais changer de vie. S’il vous plaît, donnez-​moi tout ce que vous avez à lire sur ces choses.’

“Je lui ai donc donné toutes les publications qui me restaient dans mon sac, et il me les a payées. Ensuite, il m’a serré la main et m’a dit au revoir. En cette occasion comme en d’autres, j’avais reçu une protection absolument merveilleuse.”

Sœur Brun demeura fidèle jusqu’à sa mort en 1976, à Zurich, après un demi-siècle de service dévoué. Son frère Ignazio, l’un des cinq autres colporteurs, écrivit en 1970:

“Nous ne comptions même pas les heures que nous passions dans le service. Nous nous contentions de travailler du matin jusqu’au soir. Nous nous faisions souvent arrêter, puis nous étions relâchés peu après. À Gallarate, près de Varèse, frère Martinelli et moi-​même nous sommes fait arrêter. On nous a mis en prison sous de fausses accusations inventées par le clergé. Nous avions l’autorisation de sortir dans la cour de la prison une heure par jour, ce qui nous fournissait l’occasion de donner le témoignage aux autres prisonniers. Bien souvent, nous étions entourés d’un groupe d’auditeurs, et même les gardes s’arrêtaient auprès de nous. Un jour, le directeur de la prison est venu lui aussi. Quand les prisonniers apprirent qu’on allait nous relâcher, ils nous embrassèrent et nous remercièrent cordialement. Cette expérience nous avait beaucoup émus, et nous avons remercié Dieu de nous avoir donné l’occasion d’atteindre ces gens.”

“Un jour, poursuit frère Protti, alors que j’allais de maison en maison, j’ai remarqué qu’un homme me suivait. Peu après, il m’arrêta au moment où je sortais d’une maison, en se présentant comme un agent des services de sécurité. Il me demanda ma carte d’identité et voulut savoir ce que je faisais. Comme j’avais l’intention de lui présenter la brochure sur ce thème, je lui ai répondu: ‘Je proclame l’avènement d’un gouvernement désirable.’ Sur ce, l’agent fut presque vexé et me répliqua qu’il y avait déjà un gouvernement désirable; il voulait dire évidemment le régime fasciste. Je lui ai répondu: ‘Le gouvernement dont vous parlez n’est que provisoire. Celui que je vous annonce durera éternellement.’ J’ai alors sorti ma Bible et je lui ai lu Daniel 2:44 et 7:14. Vous auriez dû voir l’attention avec laquelle il lisait ces deux versets. Il me rendit ma Bible et, au lieu de m’arrêter, comme je m’y attendais, il me laissa aller. Après que tant d’années ont passé, je me demande toujours si cet agent s’est rappelé notre conversation au moment de la chute du régime fasciste.”

Frère Protti est demeuré fidèle dans le service du Royaume jusqu’à la fin. Il est mort à Bâle en 1977, à l’âge de 80 ans.

LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE, EN 1925

En dépit de multiples difficultés, l’œuvre poursuivit son expansion, et la première assemblée se tint à Pignerol, du 23 au 26 avril 1925. Comme frère A. Macmillan, membre du siège de la Société, effectuait une série de visites à l’étranger, il s’arrangea pour être présent. On tint l’assemblée dans une grande pièce de l’hôtel Corona Grossa.

Il aurait été ridicule d’attendre des autorités fascistes l’autorisation de tenir cette assemblée. Les frères firent donc passer la réunion pour un mariage. Durant l’assemblée, frère Remigio Cuminetti épousa sœur Albina Protti, l’un des colporteurs suisses. Lors de cette assemblée historique, l’assistance s’éleva à 70 personnes et il y eut 10 baptêmes.

“Les jours actuels abondent en bénédictions, en réjouissances, et notre bonheur est grand”, écrivit sœur Brun qui assistait à l’assemblée. Et d’ajouter: “Le propriétaire de l’hôtel faisait entrer ses hôtes et ses clients dans la salle en disant: ‘Venez voir tout ce monde; nous avons l’église primitive sous notre toit.’ (...) Tout était bien organisé, et nous réussissions en un clin d’œil à nettoyer le sol et à sortir les sièges. Ensuite, nous les rangions et nous laissions tout en ordre. Nous étions tous ravis et disposés à donner un coup de main. Ce fut un grand témoignage.”

Néanmoins, un curieux incident se produisit durant cette première assemblée: “Nous étions différents à bien des égards, mais nous parvenions à nous entendre. Toutefois, nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur le chant des cantiques. Les frères du nord chantaient sur un rythme animé, alors que ceux du sud chantaient lentement et avec tant de sentiment qu’il aurait vraiment été dommage de les faire changer. Le frère qui présidait décida donc que les frères du sud de l’Italie chanteraient les premiers et ensuite ceux du nord.”

L’ŒUVRE COMMENCE À RÉGRESSER

La prédication s’avérait très prometteuse. Le rapport publié dans l’édition anglaise de La Tour de Garde du 1er décembre 1924 disait: “Trois colporteurs ont pu recevoir des bicyclettes, qui leur ont permis de parcourir le pays en distribuant des publications et en vendant des livres. Nous avons bon espoir de voir la vérité se répandre largement en Italie dans un avenir proche.”

Peu auparavant, frère Cuminetti avait hérité 10 000 lires, somme confortable pour l’époque. Il put dès lors vouer tout son temps à donner le témoignage et à encourager les frères, en leur rendant visite dans leur territoire. L’édition italienne de La Tour de Garde du 1er mai 1925 comportait un “compte rendu de voyage à travers l’Italie” publié par les frères Cuminetti et Martinelli à la fin de l’année 1924. Ils avaient parcouru quelque 5 000 kilomètres pour rendre visite aux frères dans des territoires isolés et aux personnes intéressées dans diverses régions qui allaient de la Lombardie à la Sicile. Le récit rapporte qu’à Porto Sant’Elpidio, en Italie centrale, ils remplirent les papiers pour obtenir l’autorisation d’utiliser une salle dans laquelle ils donneraient un discours. “Bien que les autorités aient réfléchi quelque temps à la question, elles durent finalement donner l’autorisation voulue, à cause de notre insistance (...). Le jour du discours, plus de 200 personnes vinrent écouter le sujet ‘Le retour des morts est proche.’” Assurément, cette initiative avait remporté un franc succès.

Ensuite, pour diverses raisons, l’œuvre enregistra progressivement une baisse. Entre 1926 et 1927, trois des colporteurs durent rentrer en Suisse pour des raisons de santé ou autres. Mais la principale cause de la baisse fut le concordat signé en 1929 entre l’Église catholique et l’État fasciste, concordat qui accordait des privilèges exceptionnels à l’Église. C’était le point de départ d’une triste période de répression religieuse.

Çà et là, quelques petites lampes de vérité continuaient de briller. En certains endroits, il y avait des petits groupes de frères ou simplement de personnes isolées, et il était difficile de prendre contact avec eux et de les garder unis. Ils ressemblaient plus à des braises rougeoyantes cachées sous les cendres, en grand danger de s’éteindre complètement. Et, en effet, certaines s’éteignirent bel et bien. Dans l’une de ses lettres, frère Cuminetti décrivit comme suit la situation:

“Nous devrions être disposés à faire beaucoup plus, mais nous sommes observés étroitement. (...) Ils interceptent tout. Nous avons reçu L’âge d’Or [aujourd’hui Réveillez-vous!] jusqu’au mois de mars, puis il a cessé de nous parvenir. Brooklyn nous a informés que l’on avait envoyé plusieurs paquets qui contenaient les derniers livres et les dernières brochures, mais nous n’avons rien reçu. De moins en moins d’exemplaires de La Tour de Garde parviennent à destination, et tous les frères qui font preuve de zèle sont arrêtés par l’ennemi (...). D’autres sont menacés d’exil dans une autre région du pays et de toutes sortes de sévices.”

L’ŒUVRE DU ROYAUME N’EST PAS COMPLÈTEMENT SUPPRIMÉE

Il n’aurait pas été très difficile au clergé, avec le soutien de ses acolytes fascistes, d’arrêter l’activité de quelques dizaines de personnes et de l’éliminer complètement, mais ‘la main de Jéhovah n’était pas devenue trop courte pour pouvoir sauver, et son oreille n’était pas devenue trop pesante pour pouvoir entendre’. (És. 59:1.) Dieu ne permit pas que l’on élimine ses fidèles.

Çà et là, de petits groupes de proclamateurs du Royaume réussirent à survivre. Le fait même qu’ils soient venus à l’existence et qu’ils aient persévéré démontre que Jéhovah les protégeait par le moyen de sa puissante force active.

LE GROUPE DE PRATOLA PELIGNA

La bonne nouvelle du Royaume parvint pour la première fois à Pratola Peligna, dans la province d’Aquila, en 1919, par l’intermédiaire d’un émigrant qui avait connu la vérité aux États-Unis. Ce frère, Vincenzo Pizzoferrato, demeura fidèle à son appel céleste jusqu’à sa mort en 1951. Il vendait des fruits sur les marchés de Sulmona, Raiano et Popoli, où il arrivait avec sa brouette chargée de fruits et de publications à distribuer. C’est ainsi que se sont diffusés Le divin Plan des Âges, La Harpe de Dieu et d’autres publications, et qu’un petit groupe de personnes a commencé à se réunir autour de lui.

En 1924, alors qu’il achevait la distribution du tract Le retour des morts est imminent près du cimetière de Popoli (Pescara), un prêtre accompagné des jeunesses fascistes interrompit son activité et le conduisit au commissariat de police pour le faire interroger. Mais il se trouva que le maresciallo (commissaire) était très favorable au message. Il convoqua tous les carabiniers au commissariat, pour qu’ils viennent écouter le frère, ce qui permit de donner un excellent témoignage et de distribuer des publications. Pour être sûr que frère Pizzoferrato n’ait plus d’ennuis avec les fascistes, le maresciallo le fit escorter jusqu’à la gare par deux policiers.

En 1925, lorsque se tint l’assemblée de Pignerol, frère Pizzoferrato était présent avec sa femme et un homme intéressé à la vérité qui devint un frère. À l’époque, il y avait déjà un groupe de 30 personnes qui se réunissaient à son domicile, et, par la suite, quand une famille bâtit une maison plus grande, une pièce fut prévue pour servir de Salle du Royaume.

En 1939, le clergé se mit à susciter des ennuis avec les autorités, et les frères rencontrèrent de sérieuses difficultés. On leur confisquait les publications et on leur interdisait de tenir des réunions. Frère Pizzoferrato, arrêté et traîné devant le tribunal spécial de Rome, fut condamné à une peine d’emprisonnement. Peu après, il était relâché à cause de sa mauvaise santé, et il se remit aussitôt à propager la “bonne nouvelle” malgré le risque d’une nouvelle arrestation. C’est ainsi que le groupe local des frères ne fut jamais complètement anéanti.

LE GROUPE DE ROSETO DEGLI ABRUZZI

Roseto degli Abruzzi est un village qui se trouve sur la côte, dans la province de Teramo. Les gens de cette localité entendirent pour la première fois parler de la vérité par une sœur du nom de Caterina Di Marco. Née à Roseto, elle avait émigré aux États-Unis, où elle avait pris connaissance de la vérité en 1921, à Philadelphie. Un an plus tard, elle se fit baptiser, puis revint en 1925 à Roseto degli Abruzzi. Que fit-​elle à son retour? Donnons-​lui la parole:

“Dès que je suis arrivée, j’ai entrepris de parler de la foi à mon prochain. J’avais coutume de distribuer des tracts et des brochures sur la plage, près des cabines de bain. Un homme de la localité, lisant l’une de ces brochures, lâcha un jour cette exclamation: ‘Ah! Ce doit être cette nouvelle religion que Caterina a ramenée d’Amérique.’ Il voulait lire le reste des publications que j’avais en ma possession. C’est ce qu’il fit, et il devint convaincu que c’était la vérité.” C’était le premier, et, par la suite, d’autres personnes sincères le suivirent. Frère DeCecca décrivit un jour sœur Di Marco comme “une véritable épée” brandie contre les adversaires religieux. Bien qu’infirme, cette sœur qui a aujourd’hui 85 ans demeure intègre et maintient fermement son espérance.

Domenico Cimorosi, la première personne à venir à la vérité à la suite de sa prédication, servit comme pionnier ordinaire jusqu’à sa mort, à l’âge de 87 ans. Quelques années avant sa mort, il avait écrit le récit suivant sur les débuts de l’œuvre dans la région:

“J’ai commencé à parler de la vérité à mon frère, à mon père, à mon cousin et à mes collègues de travail. À la fin, cinq ou six d’entre nous lisions la seule petite brochure que nous avions, [Comfort for the People], et nous vérifiions les versets dans notre Bible. Nous avions décidé d’aller rendre visite à Caterina Di Marco, la femme qui revenait d’Amérique. Nous avons tout de suite vu la logique des explications qu’elle nous a fournies et nous nous sommes mis à tenir des réunions chez elle. Bien que, peu après, les fascistes aient essayé de nous découvrir, nous avons pu, avec l’aide de Jéhovah, garder secrets nos lieux de réunion.”

L’intolérance religieuse ne mit pas longtemps à se faire sentir contre ce petit groupe de personnes sincères. “Le curé de la paroisse me traîna devant les tribunaux pour avoir distribué le tract Acte d’accusation contre le clergé, raconte Caterina Di Marco. J’ai été acquittée, mais mes ennuis n’étaient pas finis. Par la suite, j’ai été arrêtée pour la première fois parce que je n’avais pas écouté un discours prononcé par le Duce [Mussolini]. Le magistrat me demanda pourquoi je n’y étais pas allée. Je lui répondis en citant le troisième chapitre de Daniel, qui parle des trois Hébreux qui refusèrent de s’incliner devant une image d’or. On me condamna à cinq ans d’exil dans une autre région de l’Italie.”

Vittorio Cimorosi, le fils de Domenico, se rappelle que l’on confisquait souvent les publications dans les années 30. Malgré tout, quelques exemplaires de La Tour de Garde et d’autres publications parvenaient à leur destination. Il raconte: “Frère DeCecca écrivait souvent à mon père et à d’autres personnes intéressées pour leur envoyer de la nourriture spirituelle. Il employait fréquemment des expressions indirectes afin de ne pas nous compromettre. Un jour, il écrivit: ‘Si vous n’avez pas d’“ennemis”, vous en trouverez à Montone.’ Suivant sa suggestion, frère Guerino Castronà se rendit au village de Montone, où il trouva une personne qui avait le livre Ennemis et d’autres publications.”

LE GROUPE DE MALO

“Jamais je ne remercierai suffisamment Jéhovah pour le don précieux qu’il m’a fait en m’apprenant à le servir depuis ma jeunesse.” Ces paroles sont celles de Girolamo Sbalchiero, un frère qui demeura fidèle jusqu’à sa mort, en 1962. Son histoire suit de très près celle d’un groupe de Témoins qui, avec le temps, devint une congrégation prospère.

À l’origine, frère Sbalchiero était un catholique zélé. Il portait autour de la taille une discipline avec laquelle il se flagellait et mortifiait sa chair en pénitence pour ses péchés. Il priait souvent, s’agenouillant sur de petits cailloux pour offrir ses souffrances à Dieu. Il participait aussi à de longs pèlerinages à pied, couvrant une fois jusqu’à 50 kilomètres. C’est alors, en 1924, que Girolamo entendit pour la première fois le message du Royaume par une personne qui avait connu les Témoins en Amérique. Quelle fut sa réaction? Ce charpentier pieux de Malo, petit village situé à proximité de Vicence en Vénétie, écrivit:

“Je travaillais le jour et lisais les Écritures le soir. Mon patron m’avait donné une Bible parce qu’il n’en voulait pas. Je ne comprenais pas grand-chose à ce que je lisais, j’avais été très frappé par le récit de la bataille d’Har-Maguédon et je m’étais mis aussitôt à en parler autour de moi. Je correspondais avec frère Cuminetti, qui servait à Pignerol, et ses lettres m’étaient d’un grand secours. Malgré tout, sans aide personnelle, il me fallut huit ans pour saisir pleinement la vérité. Mais quand je l’ai eu saisie, j’ai cessé d’aller à l’église et de communier, contrairement à ce que je faisais tous les matins jusqu’alors!”

Les persécutions ne tardèrent pas à arriver. “Pour étudier la Bible, poursuit-​il, nous nous cachions derrière des haies dans des endroits isolés. Un jour, nous avons même célébré le Mémorial dans une grotte. D’autres personnes s’intéressèrent au message et se joignirent à nous. Un dimanche après-midi, nous étions cinq, réunis dans un foyer privé pour étudier les Écritures. Au bout d’un moment, le curé du village arriva à grands pas et se mit à m’insulter, déclarant que nous étions trop ignorants pour comprendre la Bible. Il ajouta que seuls les prêtres avaient le pouvoir de sauver les âmes.”

Après une discussion animée, durant laquelle le prêtre ne réussit pas à répondre aux questions posées, il fit appeler la police. Mais le maresciallo connaissait le frère et savait qu’il était très respecté dans la région pour sa bonté, si bien qu’il ne prit aucune mesure.

“Quelque temps après, poursuit le récit de frère Sbalchiero, la Société a décidé de faire une campagne avec la brochure Le Royaume, Espérance du Monde. J’ai pris ma bicyclette et je suis parti pour Padoue avec 165 brochures. Malheureusement, en chemin, je me suis fait arrêter par la police qui m’a mis sous mandat d’arrestation, et on a intenté un procès contre moi pour me faire exiler dans une autre région de l’Italie. Heureusement, les autorités de ma ville locale l’ont appris et sont intervenues en ma faveur. Finalement, elles sont parvenues à me faire relâcher et à me faire raccompagner chez moi. Quand nous sommes arrivés sur la place principale, les gens m’ont dit: ‘N’en as-​tu pas eu suffisamment comme cela?’ J’ai répondu: ‘Pas du tout. Je suis plus résolu que jamais.’ Sur ce, ils ont échangé des regards étonnés.”

Giuseppe Sbalchiero, le fils de Girolamo, raconte: “Un jour, j’ai dit à mon père: ‘Comment pourrons-​nous résister aux milliers de puissants adversaires pour poursuivre le témoignage?’ Il m’a répondu: ‘N’aie pas peur, mon fils, parce que cette œuvre ne provient pas “des hommes, mais de Dieu”.’” — Comparez avec Actes 5:33-40.

LE GROUPE DE FAENZA

Vous rappelez-​vous d’Ignazio Protti, le colporteur qui était venu de Suisse en Italie, en 1923? Eh bien, en 1924, il eut l’occasion de donner le témoignage à Marradi, petit village cerné de montagnes et de châtaigneraies où il était né. Les graines de vérité tombèrent sur une “excellente terre”, et plusieurs personnes acceptèrent le message (Mat. 13:8). À leur tour, elles propagèrent cette connaissance autour d’elles.

Quelques années plus tard, à Sarna, dans la province de Faenza, pas très loin de Marradi, un fermier du nom de Domenico Taroni reçut des publications. Il accepta spontanément la “bonne nouvelle”. En 1927, il s’abonna à La Tour de Garde, mais n’en reçut que quelques exemplaires. Il est vraisemblable que, par chance, certains exemplaires aient échappé à l’attention des autorités et que d’autres lui soient parvenus par voie clandestine. Frère Taroni fut l’un des premiers Témoins de Jéhovah de cette région fertile qu’est la Romagne. L’une des premières personnes avec qui il entra en contact fut Vincenzo Artusi, qui devint un frère fidèle et servit par la suite comme ancien dans l’une des trois congrégations de Faenza jusqu’à sa mort, en 1981. À son tour, Vincenzo transmit la vérité autour de lui, en particulier à Emilio Babini et à son frère Antonio. Tous deux demeurèrent fidèles à Jéhovah jusqu’à leur mort.

Ces frères zélés se réunissaient dans des foyers privés. Dès que le clergé les identifiait, on les persécutait. Quelques-uns abandonnèrent, mais les autres gardèrent leur intégrité. Les neuf frères qui étaient toujours là en 1939 allaient suffire largement à donner un nouveau départ à l’activité après la guerre.

LE GROUPE DE ZORTEA

En 1931 et 1932, deux émigrants revinrent de l’étranger avec la vérité dans leur cœur. Il s’agissait de Narciso Stefanon, qui arrivait de Belgique, et d’Albino Battisti, qui revenait de France. Ils se mirent aussitôt à prêcher, l’un à Zortea, petit village de quelques centaines d’habitants perché à flanc de montagne à près de mille mètres d’altitude, et l’autre, qui avait appris la vérité par des frères polonais, à Calliano, à une quinzaine de kilomètres de Trente.

Avant de retourner en Italie, Narciso Stefanon avait à peine eu le temps de s’abonner à La Tour de Garde et de lire quelques autres publications de la Société. De retour à Zortea, il continua pendant quelque temps à fréquenter l’église, et c’est là, dans l’église, qu’il donna son premier témoignage. Un jour, durant la messe, le curé de la paroisse donna un sermon expliquant des extraits de l’Évangile. Narciso contesta en public ce qui venait d’être dit, en se servant de la version Diodati de la Bible pour prouver que le prêtre avait tort.

L’assemblée se scinda en deux camps antagonistes, l’un en faveur de Stefanon, l’autre du prêtre. Mais avec le temps, par suite de l’influence du curé, le premier groupe diminua progressivement en importance et seules quelques personnes acceptèrent en fait le message du Royaume. Narciso Stefanon quitta l’Église catholique une bonne fois pour toutes, et d’autres personnes se joignirent à lui pour étudier les publications de “l’esclave fidèle et avisé”. (Mat. 24:45-47, Traduction du monde nouveau.) Ces gens se réunissaient dans des fenils, des granges et partout où ils pouvaient échapper à la surveillance du clergé et des fascistes. À l’époque, le régime chassait sans merci les véritables chrétiens.

L’une des personnes qui prêtèrent une oreille attentive s’appelait Francesco Zortea. Son nom de famille était le même que celui du village. La première fois qu’il entendit la vérité, en 1933, il avait 25 ans. À compter de cette époque, il demeura fidèle jusqu’à sa mort, en 1977, démontrant pendant tout ce temps une foi indomptable en Jéhovah.

Dans le récit de son ministère chrétien, frère Zortea écrivit:

“On nous espionnait. Nous étions suivis et contrôlés à tel point que nous devions nous cacher quand nous voulions consulter les Écritures. J’ai eu nombre d’expériences personnelles dans ce domaine, et, à chaque fois cela a fortifié ma foi au lieu de l’affaiblir. En avril 1934, je me rendais à pied à Fonzaso, près de Belluno, à 20 kilomètres de chez moi, pour donner le témoignage. Un jour que j’allais de maison en maison annoncer le message du Royaume, les carabiniers m’ont arrêté et conduit au commissariat de police. Là, on m’a interrogé, on m’a confisqué mes publications et on m’a jeté dans une cellule jusqu’au lendemain matin.

“Plus tard, en juillet 1935, je reçus l’ordre de me rendre au commissariat de police pour une communication officielle urgente. À mon arrivée, le ‘maresciallo’ me déclara: ‘Monsieur Zortea, nous devons vous informer que votre cas a été transmis à la ‘pretura’ [le tribunal de première instance] de Trente et que cette autorité exige de vous une déclaration qui offre des éclaircissements sur l’activité à laquelle vous vous adonnez.’ Je leur répondis que j’‘annonçais le Royaume de Dieu’ aux gens.

“Peu après, au mois d’août, je reçus une convocation urgente m’invitant à me rendre au commissariat de police. Cette fois, on m’avisa que la ‘pretura’ de Trente n’était pas satisfaite de ma première déclaration. On en voulait une autre, expliquant ce que j’entendais par l’expression ‘annoncer le Royaume de Dieu’. J’ai donc expliqué le sens de cette expression dans la Bible avec la formule ‘que ton royaume vienne’ du Notre Père. Ils avaient dû prendre par erreur le Royaume pour un gouvernement politique.” — Mat. 6:9, 10.

Mais ce frère n’avait pas encore affronté les pires difficultés. En octobre 1935, l’Italie déclara la guerre à l’Éthiopie. Quand frère Zortea fut appelé au service militaire, il décida de garder sa neutralité et écrivit: “J’ai refusé de revêtir l’uniforme et de me battre contre mon prochain.” En conséquence, il fut condamné à cinq années d’exil dans une autre région de l’Italie. Les frères Stefanon et Battisti subirent le même sort.

Exilé à Muro Lucano, dans la province de Potenza, frère Zortea poursuivit sa prédication. Il raconte: “Dès que je me suis établi, j’ai pris contact avec frère Remigio Cuminetti, pour lui demander des publications afin de continuer la prédication. Peu après, je reçus un paquet de brochures, que j’ai commencé à distribuer avec précaution. J’utilisais diverses méthodes. Certaines de ces brochures, je les remettais de la main à la main. Quant à d’autres, je les abandonnais sur des bancs publics ou à l’intérieur de voitures en stationnement.”

Grâce à une amnistie du gouvernement, il put revenir à son village de Zortea en 1937, à temps pour être témoin d’un autre épisode de l’intolérance religieuse déchaînée par le clergé contre les Témoins de Jéhovah. Une des sœurs de l’endroit était morte, et le prêtre refusait qu’on l’enterre dans le cimetière paroissial sous prétexte que ce serait profaner une terre sainte. Trois jours s’écoulèrent, et la situation restait bloquée. C’est alors que les curés de la paroisse de Zortea et du village de Prade se réunirent avec le secrétaire de mairie et le podesta (le maire, sous le régime fasciste). Ce qui s’ensuivit alors aurait très bien pu figurer dans un récit sur la vie des premiers chrétiens. Frère Zortea écrivit:

“Ce n’est que le troisième jour à midi qu’on nous avisa que l’enterrement devait avoir lieu immédiatement et que le corps devrait être inhumé à Prade, où le conseil municipal possédait une parcelle de terrain dans le cimetière. Nous nous mîmes en route. Nous étions quatre, suivis par des membres de la famille de la sœur et d’autres personnes intéressées. Nous étions accompagnés par une personnalité du conseil municipal et une escorte de la police. En chemin, nous avons dû affronter les rires, les lazzis et les moqueries. À notre arrivée à Prade, une foule nous attendait pour observer l’acte final de la comédie, acte qui devait être le plus intéressant.

“Il avait été décidé que l’on nous interdirait l’entrée du cimetière par la porte, sous prétexte qu’elle avait été ‘bénie’. Par conséquent, il nous faudrait porter le cercueil par-dessus le mur avec deux échelles, l’une à l’intérieur et l’autre à l’extérieur du cimetière. La populace se réjouissait à l’avance du spectacle du cercueil passé par-dessus le mur. C’est alors que la personnalité officielle est intervenue pour demander qui était responsable de cette procédure. On lui répondit que la décision provenait du curé de l’endroit. Sur ce, ce représentant du conseil municipal répliqua que le maire avait donné des ordres pour que le cortège funéraire passe par la porte d’entrée, et c’est ce que l’on nous permit alors de faire.”

LES GROUPES DE MONTESILVANO, PIANELLA ET SPOLTORE

Au début des années 30, Luigi D’Angelo revint à Spoltore, dans les Abruzzes. Il avait appris la vérité en France et, à son retour, il témoigna de son amour chrétien à ses parents, ses amis et ses voisins en partageant avec eux ce qu’il savait. Des frères qui se souviennent très bien de lui racontent:

“Il était très actif et plein de zèle. Souvent, il faisait de nombreux kilomètres pour rendre visite à des frères isolés, malgré toutes les difficultés occasionnées par ce genre de voyage. À l’époque, le moyen de transport le plus courant était le vélo, et encore aujourd’hui nous puisons de l’encouragement en nous rappelant que lors de l’un de ses plus longs voyages, il avait parcouru à vélo près de 600 kilomètres dans les Apennins pour rendre visite à un frère d’Avellino. Avant de partir, il était allé chercher une robuste trique qu’il avait fixée à sa bicyclette, au cas où il rencontrerait des loups dans la montagne. Il avait également fixé un coussin sur la selle et avait pris la route plein d’enthousiasme, animé du désir d’édifier un autre frère grâce à la compagnie chrétienne qui nous est si nécessaire. Son ministère ne dura pas longtemps, car il tomba malade en 1936 et mourut.”

Mais les graines de vérité plantées par ce frère ne moururent pas. Au contraire, elles germèrent conformément à la volonté de Dieu qui “fait croître” (I Cor. 3:7.) C’est donc en partant d’un seul Témoin que des groupes de proclamateurs se formèrent dans les villes de Montesilvano, Pianella et Spoltore, dans la province de Pescara. Ces frères durent eux aussi ‘prendre leur poteau de supplice’ et subir des persécutions parce qu’ils étaient disciples de Jésus Christ. — Luc 9:23.

À Montesilvano, la famille Di Censo fut l’une de premières à accepter le message du Royaume. Elle se débarrassa de ses images religieuses et fit peu après de son foyer un lieu de réunion pour quiconque voulait étudier les Saintes Écritures. Que se produisit-​il alors? Sœur Mariantonia Di Censo, qui marche toujours fidèlement dans la vérité, raconte:

“Bientôt, le clergé commença à s’opposer à nous. Il organisa une énorme procession à laquelle tout le village participa. Elle défila lentement autour de chez nous, puis les participants plantèrent une croix dans le sol et se mirent à crier: ‘Les protestants, dehors! Revenez à l’Église!’ Nous étions devenus un spectacle public. Seuls face à toute cette opposition, nous n’avions que Jéhovah pour nous soutenir et nous donner la force nécessaire pour défendre la vérité et aller de l’avant.”

Gerardo Di Felice, un autre membre du groupe de Montesilvano, vit sa foi éprouvée en maintes occasions. Un jour qu’il tenait une étude biblique chez lui, une bande de fascistes fanatiques firent irruption chez lui, à l’instigation du clergé, et se mirent à le battre, le laissant inconscient sur le sol.

Plus tard, il garda sa neutralité en faisant montre de fermeté et de courage. Il écrivit: “D’abord, on m’envoya à l’hôpital militaire de Bari, puis à l’asile d’aliénés de Bisceglie [où on le réforma, sous prétexte qu’il était ‘paranoïaque’]. Un jour, une religieuse me surprit en train de lire la Bible sous mon oreiller. Elle me confisqua les Écritures en ajoutant que ce livre était plein de poison.”

Frère Francesco Di Giampaolo, horloger à Montesilvano, raconte: “J’étais occupé à mon travail quand une bande de malfrats commencèrent à jeter de la boue sur l’immeuble où je vivais, et ce à l’instigation du clergé. Immédiatement, mes voisins et d’autres locataires sortirent en criant: ‘Nous ne sommes pas protestants!’ C’est eux qui reçurent des coups, mais quant à moi, j’étais indemne.”

UNE CAMPAGNE ÉCLAIR

Revenons à présent à l’année 1932. Frère Martin Harbeck, surveillant de la filiale suisse, pensa que l’œuvre progresserait plus en Italie si le bureau se trouvait dans une zone plus centrale, dans une ville importante plutôt qu’à Pignerol. Aussi ouvrit-​on cette même année un bureau à Milan. Frère Cuminetti jugea qu’il lui serait imprudent de changer de ville durant cette époque de dures persécutions, aussi resta-​t-​il à Pignerol et continua-​t-​il de garder le contact avec les frères par des moyens clandestins.

Le nouveau bureau fut ouvert à Corso di Porta Nuova, au numéro 19. Il s’agissait d’un appartement coquet disposé en bureau convenablement meublé. Sœur Maria Pizzato se vit assigner la tâche de secrétaire de frère Harbeck.

Il est intéressant de savoir comment sœur Pizzato avait appris la vérité. Peut-être vous rappelez-​vous qu’au début du siècle, La Tour de Garde était distribuée par les principales agences de presse dans les grandes villes de province. Eh bien, durant les années 1903 et 1904, la mère de Maria Pizzato avait acquis quelques exemplaires de cette revue par l’une des agences les plus importantes de Vicence, située Piazza Vittorio Emanuele. Mais ce n’est que des années plus tard, en 1915, que Maria Pizzato reprit la lecture de ces périodiques avec une attention plus soutenue. Cette fois, son intérêt s’éveilla, et elle décida d’écrire à Pignerol. Sœur Clara Cerulli, qui était alors fidèle, lui répondit en lui envoyant quelques publications. C’est ainsi que Maria Pizzato se mit à apprécier la connaissance exacte qui donne la vie.

Le nouveau bureau de Milan fut enregistré à la Chambre de commerce locale sous le nom de “Società Watch Tower”, société pour l’impression et la distribution de livres et de brochures bibliques. Frère Harbeck en était le responsable. On ouvrit un compte chèque postal et on loua une boîte postale. Tout était prêt et l’on attendait en toute confiance les progrès de l’activité dans tout le pays.

L’œuvre devait commencer avec une campagne à l’aide de la brochure Le Royaume, Espérance du Monde. Cette campagne devait s’effectuer assez rapidement pour prendre par surprise la redoutable OVRA (la police secrète chargée des activités antifascistes). À l’époque, il n’y avait que peu de frères en Italie à peine plus de 50 en tout. Aussi le bureau de Berne prit-​il des dispositions pour que 20 frères suisses effectuent l’activité de distribution, afin d’éviter de créer des ennuis aux frères locaux. Chacun des frères suisses se rendit dans une ville différente du nord et du centre de l’Italie, jusqu’à Florence, pour distribuer la brochure de porte en porte, dans les rues et sur les places publiques.

On envoyait également par la poste un exemplaire gratuit de la brochure à tous les membres des professions libérales et à tous les intellectuels de la province de Milan. À l’époque, la loi interdisait l’importation de publications étrangères. Aussi la brochure fut-​elle imprimée par l’Archetipografia de Milan. Trois exemplaires furent soumis au Bureau de la Presse de la prefettura (la préfecture), afin d’obtenir l’autorisation nécessaire, autorisation qui fut accordée.

Comment les autorités politiques et ecclésiastiques allaient-​elles réagir devant cette campagne éclair théocratique? Tout était prêt plusieurs jours avant la date fixée, un peu avant le 19 mars, fête de la Saint-Joseph dans le calendrier catholique. Concernant cette campagne spéciale, sœur Adele Brun, l’un des 20 Témoins suisses qui y prit part, écrivit:

“Je fus envoyée à Turin. Frère Boss, de Berne, m’attendait. Il m’avait déjà trouvé une chambre et avait fait mettre de côté dans un entrepôt local 10 000 exemplaires de la brochure, répartis en plusieurs paquets. Le frère me dit de prendre contact avec les vendeurs de journaux de l’endroit et de faire en sorte qu’ils m’aident dans la distribution, parce que notre activité devait s’effectuer le plus vite possible. Je suivis ses instructions. Le frère prit alors congé et je me retrouvai toute seule.

“Je pris contact avec douze vendeurs de journaux et nous convînmes que la distribution de la brochure ce jour-​là leur rapporterait à chacun 20 lires. Je choisis le plus habile d’entre eux pour diriger l’opération et lui promis une prime de 10 lires s’il organisait bien le travail. Je choisis également quatre vendeurs pour qu’ils fournissent des brochures au fur et à mesure des besoins. L’activité remporta un franc succès. Les brochures allèrent partout, y compris dans des restaurants et des bureaux.

“C’est alors qu’à midi, le propriétaire du dépôt où nous avions gardé les brochures vint me dire qu’il fermerait le lendemain, jour de la Saint-Joseph. Qu’allais-​je faire? Si j’attendais après ce jour férié, je donnerais suffisamment de temps aux prêtres pour confisquer les publications.

“Vers trois heures de l’après-midi, les douze marchands de journaux revinrent l’un après l’autre. Ils étaient très fatigués et voulaient rentrer chez eux, parce qu’ils n’avaient pas encore eu le temps de manger. Au lieu de les renvoyer chez eux, je partis acheter des provisions, et nous avons mangé ensemble. Ensuite, je leur ai fait cette proposition: ‘Si vous terminez le travail ce soir, je vous donne une prime supplémentaire de 10 lires.’ Ils acceptèrent de continuer et, après un bref repos, ils se remirent au travail. À la fin de la soirée, ils avaient distribué toutes les brochures.”

Après avoir poursuivi sa campagne dans la ville de Novare, il était temps que sœur Brun s’en aille. Elle raconte: “Je pris le train pour Milan, où 200 000 exemplaires de la brochure avaient été mis sous séquestre, et je rentrai le soir même pour la Suisse; mon mari, très inquiet, attendait mon retour. L’activité s’est effectuée si rapidement et si brusquement qu’aucun des 20 frères n’avait été arrêté.”

On estime qu’en dépit des confiscations, il y eut environ 300 000 brochures de distribuées.

La réaction ne se fit pas attendre longtemps. “Deux ou trois jours seulement après la campagne, raconte sœur Pizzato, les journaux, particulièrement ceux qui étaient dirigés par le clergé, se répandirent en attaques féroces contre nous. Le bureau de Corso Di Porta Nuova fut inondé de demandes de renseignements, et des lettres arrivèrent de toute l’Italie pour réclamer des livres ou des explications.

“C’est dans ce contexte que deux policiers se présentèrent au bureau et nous ordonnèrent, à frère Harbeck et à moi, de nous rendre immédiatement au Bureau de la Presse de la questura [le siège de la police]. Là, on posa quantité de questions à frère Harbeck, puis on lui ordonna de fermer le bureau. Les autorités convinrent de restituer les brochures confisquées, à condition de les exporter en Suisse. On nous expliqua que ces mesures avaient pour but de sauvegarder le prestige et la dignité de l’Église catholique, conformément aux accords du Latran.”

La fermeture du bureau de Milan, quelques mois après son inauguration, laissa frère Cuminetti tout seul pour poursuivre sa correspondance patiente et clandestine avec les frères. De temps à autre, il leur envoyait des échantillons de publications ou des lettres personnelles et, chaque fois que c’était possible, il leur rendait visite pour les encourager dans l’œuvre du Seigneur.

En 1935, frère Cuminetti déménagea de Pignerol à Turin, au 18 Via Borgone, où il poursuivit son activité clandestine, et cela jusqu’à sa mort, le 18 janvier 1939, à la suite d’une intervention chirurgicale. Il avait donné le témoignage aux médecins et aux infirmières jusqu’au bout et, bien qu’il eût atteint tout juste 50 ans, sa mort lui épargna vraisemblablement une nouvelle “odyssée” durant la Seconde Guerre mondiale. Mais d’autres Témoins allaient avoir le privilège de démontrer leur intégrité envers Jéhovah durant cette époque de sévères persécutions.

LA GRANDE PERSÉCUTION

La déclaration de guerre de l’Italie à l’Éthiopie, en 1935, ainsi que la décision des autorités italiennes de prendre part au second conflit mondial, en juin 1940, contribuèrent à l’aggravation des persécutions qui sévissaient contre les quelques Témoins du pays. À mesure que le temps passait, il devenait de plus en plus difficile pour les frères de maintenir leur neutralité.

La filiale suisse faisait de son mieux pour garder le contact avec les proclamateurs du Royaume. En 1939, sœur Adele Brun fut invitée à rendre visite aux frères du nord et du centre de l’Italie. Ses visites s’étalaient sur une période de trois semaines. Certains frères se rappellent encore le plaisir qu’ils retiraient et l’encouragement qu’ils recevaient de ces visites édifiantes. À son retour en Suisse, sœur Brun apprit de sa sœur Albina, qui était veuve, que la police n’avait cessé de la suivre.

Bien que les proclamateurs fussent peu nombreux et éparpillés, la prédication s’organisait dans la clandestinité, particulièrement grâce à frère Martinelli. Les publications étaient introduites dans le pays par des personnes qui travaillaient de l’autre côté de la frontière, en Suisse. Elles rentraient à leur domicile le soir, cachant les publications sur elles.

C’est alors que frère Harbeck eut une entrevue secrète avec sœur Pizzato, pour l’encourager à garder le contact avec les frères qui s’étaient trouvés coupés de l’organisation après la mort de frère Cuminetti. Le bureau de Berne lui confia une cinquantaine d’adresses. Son stock de publications fut mis en dépôt à Milan, chez une personne qui semblait s’intéresser à la vérité, la fille d’une sœur chrétienne décédée. Mais cette femme devait collaborer d’une façon ou d’une autre avec la police, car sœur Pizzato raconte:

“Cette nouvelle phase de l’activité fut de très courte durée. En septembre 1939, nous avons commencé à envoyer les paquets. Ils ne dépassaient pas trois kilogrammes, car, d’après le régime postal en vigueur à l’époque, il n’était pas nécessaire d’indiquer l’adresse de l’expéditeur sur les paquets de cette taille. Je faisais les paquets de publications le soir et, pour ne pas éveiller de soupçons, je les glissais dans différents bureaux de poste le matin, en me rendant à mon travail.”

Mais il se produisit un événement qui déclencha des persécutions contre les Témoins. Malheureusement, le 28 octobre 1939, l’un de ces paquets fut ouvert par un employé de la poste de Montesilvano. Il contenait plusieurs brochures ainsi que le livre Ennemis. Le contenu fut immédiatement livré à la police, et l’enquête qui s’ensuivit révéla l’origine des paquets, bien que le nom de l’expéditeur ne figurât pas dessus. Les publications étant adressées à sœur Mariantonia Di Censo, elle fut arrêtée le lendemain. Puis, le 1er novembre, des membres de l’OVRA, la police fasciste, rendirent visite à sœur Pizzato. Voici la suite de son récit:

“Tôt le matin, la police fit irruption chez moi, au 28 Via Vincenzo Monti, à Milan. Ils étaient sept, six agents et un commissario [commissaire de police]. Ils se précipitèrent dans la pièce et m’ordonnèrent d’une voix rude de lever les mains en l’air, comme si j’étais un dangereux bandit. Bientôt ils trouvèrent ce qu’ils considéraient comme des pièces à conviction: une Bible et des publications bibliques.”

L’OVRA avait découvert l’adresse de plusieurs autres frères dans l’appartement de sœur Pizzato, si bien que la police fit plusieurs descentes chez eux. Entre octobre et le début décembre, près de 300 personnes furent interrogées par la police, dont beaucoup n’étaient que des abonnés à La Tour de Garde ou bien possédaient des publications de la Société. Entre 120 et 140 frères et sœurs furent arrêtés et condamnés. Parmi ceux-ci, 26 furent traduits devant le Tribunal spécial comme agitateurs.

Guerino D’Angelo, l’un de ces derniers, raconte ce qui se produisit lors de son arrestation: “J’étais en train de semer du maïs pour une famille de frères dont les éléments masculins se trouvaient déjà en prison. Seuls les personnes âgées et les enfants restaient à la maison. La police arriva et m’ordonna de laisser là mon semoir. Ensuite, on me traîna en prison et on me passa à tabac.”

Quant à Vincenzo Artusi, il raconte: “Le 15 novembre 1939, alors que je me rendais à mon travail, je me suis aperçu que deux agents de police m’attendaient au pied de l’escalier. Ils me demandèrent si j’étais bien M. Artusi. Lorsque je leur eus confirmé mon identité, ils me firent remonter chez moi et m’obligèrent à attendre qu’ils aient fini la perquisition en règle de mon foyer. Ils retournèrent tout de fond en comble et ouvrirent chaque tiroir, afin de découvrir des pièces à conviction contre moi. Finalement, ils réussirent à mettre la main sur ce qu’ils cherchaient: la Bible et le livre Ennemis. Ils m’emmenèrent sans même me laisser le temps d’embrasser mes trois enfants. On me conduisit dans une pièce pleine d’agents de police où, pendant trois heures je dus subir un interrogatoire.”

Sœur Albina Cuminetti, qui venait juste de perdre son mari, fut arrêtée et conduite devant le Tribunal spécial. Elle raconte:

“On m’arrêta et on me conduisit en voiture jusqu’en prison. Dans la voiture, il y avait deux agents de police, un commissario et un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. Pendant qu’ils m’emmenaient, je souriais à l’idée que quatre hommes, dont deux fonctionnaires de haut rang, étaient nécessaires pour arrêter une faible femme comme moi. Je n’avais pas peur d’eux. Bien au contraire, je leur parlais ouvertement du Royaume de Dieu. Au début, ils se sont mis à rire, mais je leur ai dit que ce n’était pas de moi qu’ils se moquaient, mais des promesses de Jéhovah Dieu, et de cela on ne pouvait pas se gausser impunément. J’ajoutai que leurs sarcasmes tourneraient à l’amertume. De fait, ce commissario ainsi que le fonctionnaire moururent tous deux en prison à la chute du fascisme.”

LE GOUVERNEMENT FASCISTE PREND DES MESURES SPÉCIALES

Nous avons déjà signalé que les persécutions contre les vrais chrétiens étaient devenues plus sévères après 1935. Quelle en était la raison?

Le 9 avril 1935, le secrétariat aux cultes du ministère de l’Intérieur émit une circulaire sur les “Associations pentecôtistes”. À l’époque, les autorités n’avaient pas identifié les Témoins de Jéhovah avec précision et elles croyaient qu’ils faisaient partie d’un mouvement “pentecôtiste”. La circulaire était adressée aux centres administratifs provinciaux, exigeant l’interdiction immédiate de toutes les associations dont l’activité était jugée “contraire à notre ordre social et nuisible pour le bien-être physique et mental de notre race”.

Le 22 août 1939, une autre circulaire (n441/027713) fut publiée au sujet de la “secte religieuse pentecôtiste et assimilée”. Elle stipulait:

“Voici plusieurs années que l’on observe en Italie la parution de diverses sectes religieuses évangéliques introduites de l’étranger, particulièrement d’Amérique. Leurs doctrines sont contraires à tout gouvernement établi. (...)

“Les ‘Pentecôtistes’ sont des propagandistes extrêmement actifs et tenaces. Même après les mesures prises récemment contre eux, ils s’efforcent de se rencontrer partout où ils le peuvent, même en rase campagne. Néanmoins, le plus souvent, ils se retrouvent au domicile d’un de leurs adhérents, de jour ou de nuit, afin d’échapper à l’attention vigilante des autorités. (...)

“Dernièrement, on a signalé des cas d’individus réquisitionnés pour le service militaire et qui ont refusé de tirer à la cible sous prétexte que, ‘Pentecôtistes’, ils sont par principe contre l’usage des armes. (...)

“Il est donc nécessaire de faire opposition à ces sectes avec la plus grande résolution. (...)

“À cette fin, nous requérons qu’une enquête précise soit effectuée afin de vérifier l’existence éventuelle de groupements des dits ‘Pentecôtistes’ ou d’autres sectes semblables dans les diverses provinces. Il faudra prendre toutes les mesures légales à l’encontre de quiconque sera trouvé en train de prendre part à une réunion, à des rites religieux ou à des activités de propagande. On demandera au ministère des instructions sur la façon de procéder dans les autres cas. En outre, nous recommandons que tous les adhérents connus des sectes en question soient gardés sous stricte surveillance et qu’au moindre soupçon on les fouille personnellement, que l’on perquisitionne à leur domicile, afin de vérifier s’ils sont en possession d’ouvrages imprimés à des fins de propagande ou encore s’ils maintiennent des contacts avec des coreligionnaires pour participer au culte. (...)

“Toutes les brochures confisquées jusqu’ici aux adhérents de la secte ‘pentecôtiste’ sont des traductions d’ouvrages américains, la plupart écrits par un certain J. F. Rutherford et édités par la ‘Watch Tower Bible and Tract Society — International Bible Students Association — Brooklyn, N.Y., USA’. (...) Les brochures portent les titres suivants (...) [suivait une liste des publications de la Société Watch Tower].

“Il faut empêcher l’introduction et la diffusion de ce genre de brochures sur le territoire national.

“En conclusion, il faut noter que, bien que la secte des ‘Pentecôtistes’ soit la seule qui soit identifiés par son nom, nous entendons traiter des ‘sectes’ en général, et non d’une ‘secte’ en particulier, du fait que les brochures susmentionnées donnent l’impression que d’autres sectes ou courants de pensées ont surgi du sein des diverses religions évangéliques reconnues à l’origine (...).”

Les mesures que recommandait cette circulaire entraînèrent une vague d’arrestations qui aboutirent à l’emprisonnement en masse des Témoins de Jéhovah à la fin de 1939.

QUELQUES RAPPORTS SUR PLUSIEURS TÉMOINS

Le docteur Pasquale Andriani, surintendant général de la police à Avezzano, dans les Abruzzes, mena une enquête conformément aux dispositions stipulées dans la circulaire mentionnée un peu plus haut. Le 12 janvier 1940, il envoya son rapport au procureur public du Tribunal spécial pour la Sécurité de l’État. Il en envoya également un exemplaire au directeur de la police. Son rapport portait sur “la secte religieuse des ‘Témoins de Jéhovah’”. En voici quelques extraits saillants:

“Dans une circulaire publiée en août dernier, le ministère de l’Intérieur a donné des instructions sur l’identification des membres des sectes qui étendent leurs activités au domaine politique. De telles sectes devraient par conséquent être considérées et traitées de la même façon que les mouvements politiques de nature subversive.

“Nous avons jugé que l’exécution efficace de ces ordres exigeait une enquête plus poussée pour distinguer entre les diverses sectes qui, dans certaines provinces du territoire national, sont représentées par des groupements d’adhérents relativement denses. (...)

“La secte [des Témoins de Jéhovah] est particulièrement dangereuse du point de vue politique. (...)

“En bref, on peut dire que [à partir de la brochure ‘Avertissement’] le ‘Duce’ est assimilé au géant Goliath et que ‘la monstruosité haineuse actuelle est le régime sous un dictateur arbitraire et absolu’, soutenu par l’Église de Rome, ‘la grande prostituée’. Après avoir assujetti le peuple italien, ce régime s’est lancé dans la conquête de l’Éthiopie ‘au prix de quantité de vies humaines’. (...)

“Mais l’aspect le plus grave de la question provient de leur respect pour le précepte chrétien disant: ‘Tu ne tueras point’ ainsi que leur conviction qu’en aucun cas ils ne devraient prendre les armes contre leur prochain.

“En conséquence, ils jugent qu’ils devraient être exemptés de toute forme de service militaire. Leurs jeunes refusent de faire leurs périodes et, si on les met en prison pour leur position, ils refusent de nouveau de les faire lorsqu’ils sont arrivés au terme de leur peine.”

Le rapport mentionnait également une circulaire que sœur Pizzato envoyait souvent aux frères et il en reproduisait quelques extraits. Mais poursuivons la lecture de ce rapport: “Au moyen de cette circulaire, dont nous joignons un exemplaire choisi parmi tous ceux qui sont en notre possession (...), les croyants étaient encouragés à ne pas se priver de ‘la nourriture spirituelle si nécessaire en ces temps déplorables’ et on les informait qu’un dépôt existait à Milan, dépôt où l’on pouvait commander des ‘publications’ et renouveler son abonnement à la revue ‘La Tour de Garde’. Les destinataires apprenaient également que ‘vu la situation difficile qui existe dans ce pays’, il est nécessaire d’être ‘très prudent’ en commandant des publications. Les commandes devaient être formulées d’après un code convenu par lequel un certain groupe de lettres servait à indiquer le livre demandé: ‘Ennemis’ 1-33-1; ‘Avertissement’ 2-44-2; ‘Le Royaume’ 3-55-3; ‘La Tour de Garde’ W. T.”

LES INSTIGATEURS SONT DÉMASQUÉS

Les autorités ne faisaient preuve d’aucune hésitation à notre encontre. Comment cela s’expliquait-​il? Qui donc se trouvait derrière cette campagne d’arrestations? Abordant la fermeture du bureau de Milan, le rapport précité disait explicitement: “Après quelques mois, le bureau a été fermé par la police de Milan à cause du ton antifasciste des brochures qu’il distribuait et de la réaction du clergé catholique.” (C’est nous qui soulignons.)

Le rapport poursuivait en citant l’activité de 26 Témoins arrêtés comme les responsables de ce mouvement religieux en Italie.

Le fait que le clergé était directement responsable des ennuis suscités par les autorités fascistes ressort encore plus clairement des fausses accusations contenues dans un article publié dans le journal catholique Fides, paru en février 1939. Cet article, de la plume d’un “prêtre et pasteur des âmes” anonyme, disait: “Rutherford [le deuxième président de la Société Watch Tower] (...) mine les principes fondamentaux qui soutiennent les nations et les peuples. Son idée est d’ouvrir la voie à une révolution mondiale imminente durant laquelle toutes les religions, et en particulier l’Église catholique, se trouveront renversées avec tous les gouvernements et tous les royaumes, ce qui présidera à l’inauguration d’un système utopique de communisme athée. (...) Le mouvement des Témoins de Jéhovah est une expression du communisme athée et une attaque ouverte contre la sécurité de l’État.”

Les autorités fascistes pouvaient difficilement ne tenir aucun compte de ces accusations qui émanaient du clergé hautement respecté. Donc, on persécutait les Témoins de Jéhovah et on les accusait de ‘renverser les royaumes et les gouvernements’ et d’œuvrer à l’établissement d’‘une utopie communiste athée’.

INTERDICTION TOTALE DE L’ŒUVRE

Après réception de ce rapport, le ministère de l’Intérieur publia une nouvelle circulaire, la dernière de ce type, dans laquelle il identifiait clairement les Témoins de Jéhovah et ordonnait leur interdiction. Il s’agit de la circulaire n441/02977 du 13 mars 1940, au sujet de “la secte religieuse des ‘Témoins de Jéhovah’ ou ‘Étudiants de la Bible’ et d’autres dénominations religieuses dont les principes sont contraires à nos institutions”. Cette circulaire déclarait:

“Depuis la diffusion de la circulaire ministérielle n441/027713 du 22 août 1939, une enquête plus approfondie s’est poursuivie parmi les sectes religieuses séparées et distinctes de la secte connue sous le nom de ‘Pentecôtistes’, et dont les doctrines sont contraires à notre système étatique.

“De cette enquête, il est ressorti que l’on peut affirmer sans se tromper que la ‘Watch Tower Bible and Tract Society — International Bible Students Association — Brooklyn New York — USA’ (...) est une secte évangélique indépendante, connue couramment sous le nom de ‘Témoins de Jéhovah’ ou encore d’‘Étudiants de la Bible’. L’examen des déclarations fournies par plusieurs de ses membres placés sous mandat d’arrêt ainsi que l’étude des imprimés trouvés en leur possession nous ont permis de retracer clairement les caractères distinctifs de cette secte. (...)

“La seule loi que reconnaissent les ‘Témoins de Jéhovah’ est celle de Dieu. Mais ils acceptent de se soumettre à la loi civile quant elle n’entre pas en conflit avec la loi de Dieu. (...)

“‘Les Témoins de Jéhovah’ proclament que le ‘Duce’ comme le fascisme proviennent tous deux du Diable et qu’après une courte période de victoire, ces phénomènes aboutiront indubitablement à leur chute telle qu’elle est prédite dans le livre de la Révélation. (...)

“Il ne faut donc pas épargner ses efforts pour réprimer la moindre manifestation d’activité de cette secte. Comme elle est soutenue par des imprimés publiés par la ‘Tour de Garde’, nous vous autorisons à prendre des mesures énergiques pour confisquer chaque fois que ce sera possible ces publications ou les intercepter en cas d’envoi par la poste *.”

COMPARUTION DEVANT LE TRIBUNAL SPÉCIAL

Le Tribunal spécial fasciste avait été constitué après un attentat manqué contre Mussolini à Bologne en octobre 1926. Cette institution était l’une des nombreuses mesures prises pour tuer dans l’œuf toute dissidence antifasciste. Connue officiellement sous le nom de “Tribunal spécial pour la protection de l’État”, cette institution demeura en vigueur de 1927 jusqu’en 1943, période durant laquelle elle prononça plus de 5 000 verdicts, dont 42 condamnations à mort (au nombre desquelles 31 furent exécutées). Son siège se trouvait au Palais de Justice de Rome.

Le 19 avril 1940, dans la salle d’audience austère du Palais de Justice, les juges siégeaient, disposés en un demi-cercle impressionnant, sous la présidence du redoutable magistrat Tringali Casanova. Les accusés, placés sous la surveillance de plusieurs carabiniers, étaient assis en rang sur l’un des côtés du tribunal. Il s’agissait de quatre femmes et de 22 hommes, ces derniers portant des menottes. La scène évoquait une réplique des sévices infligés aux vrais chrétiens à l’époque de la Rome antique.

Sœur Pizzato nous raconte: “Le procès ne fut qu’un simulacre de justice. Toute la procédure se déroula en une seule journée, et les verdicts avaient bien évidemment été rendus à l’avance. Quand je repense à toutes ces années, je me souviens d’un incident qui semble presque risible. J’étais la première à comparaître devant le tribunal et, du fait que j’étais sur les nerfs, j’ai bondi à l’appel de mon nom et me suis précipitée en direction du président. Les carabiniers, craignant de toute évidence un acte violent ou une bordée d’injures, me coururent après et me maintinrent à distance respectable. Le prince Tringali Casanova, président en exercice, devint livide!

“La cour avait confié notre défense à un certain nombre d’avocats romains. Je veux dire qu’ils firent des efforts pour nous défendre et prirent la parole en notre faveur avec une telle chaleur que le président, sarcastique, demanda à l’un d’eux si par hasard il avait été converti à la religion des Témoins de Jéhovah.”

Les sept avocats de la défense firent de leur mieux, mais les frères ne pouvaient manquer d’être jugés coupables. L’un des avocats eut le courage d’appeler les 26 Témoins “la fleur de la nation italienne”. Un autre posa cette question. “Si le régime fasciste est si fort qu’il le prétend, pourquoi craint-​il ces gens-​là?” Un autre défenseur s’exprima en ces termes: “Ce procès me rappelle une autre audience tenue il y a 19 siècles, lorsque Pilate posa cette question: ‘Qu’est-​ce que la vérité?’” Puis il fit un geste en direction des frères et ajouta: “Ces gens qui comparaissent aujourd’hui nous disent la vérité, et pourtant vous voulez les envoyer en prison. Ces braves gens mériteraient au contraire notre plus grand respect pour la foi dont ils font montre.” Un autre avocat déclara: “Bien qu’ils soient 26, ils parlent comme un seul homme, parce qu’ils ont tous le même Enseignant.” — Jean 18:33-38.

Certains des frères avaient reçu des menaces durant l’interrogatoire et ils savaient qu’ils risquaient la peine de mort; mais malgré cela, tout le groupe se montra courageux et fort. Frère Guerino D’Angelo raconte:

“Sur notre groupe de 26, un seul membre se laissa subjuguer par la crainte de l’homme et accepta un compromis. Il signa une déclaration d’allégeance à l’État fasciste, document qui fut lu à haute voix par l’un des juges. Ce qui ne l’empêcha pas de recevoir la même sentence que les autres. Se tournant vers les frères, le juge ajouta: ‘Cet homme ne vaut rien ni pour vous, ni pour nous.’ Après quoi, cette personne quitta la vérité et fut l’un des très rares éléments qui ne gardèrent pas leur intégrité.”

Tous ces frères furent condamnés au total à 186 années et 10 mois de prison. Les verdicts individuels allaient de deux à 11 ans. La décision rendue par la cour était irrévocable, sans possibilité d’appel. Les frères condamnés demeurèrent donc en prison jusqu’à la chute du régime fasciste. À quelques exceptions près, ils furent relâchés après le mois d’août 1943.

Le volume intitulé Aula IV — Tutti i processi del Tribunale Speciale fascista (Salle d’audience IV — Tous les procès du Tribunal spécial fasciste) mentionne le verdict n50 rendu le 19 avril 1940 au sujet de 26 Témoins de Jéhovah, et ajoute le commentaire suivant:

“Un mouvement religieux né aux États-Unis a commencé à se répandre en Italie. Ses adeptes, les ‘Témoins de Jéhovah’, subirent constamment les persécutions des fascistes. Malgré tout, ils continuèrent à proclamer leur aversion envers la guerre et refusèrent de prendre les armes contre leur prochain, considérant que le régime fasciste était une ‘émanation satanique’. La plus grande vague d’arrestations se produisit à l’automne 1939. (Formation d’une association contraire à l’intérêt national; appartenance à la susdite; propagande; insulte à l’égard du ‘duce’ et du pape.)”

On a quelque idée des accusations portées contre les frères quand on parcourt le document remis à sœur Pizzato par la Procura del Re (bureau du procureur de la République) de Vicence. Notre sœur avait été condamnée sur la base de cinq chefs d’accusation: “Cinq années d’emprisonnement pour association à des fins de conspiration politique; une année d’emprisonnement pour offense à la dignité et au prestige du ‘Duce’ du fascisme, chef de l’État; deux ans d’emprisonnement pour offense envers le souverain pontife; une année d’emprisonnement pour offense à la dignité d’un chef d’État étranger [Hitler] et deux ans d’emprisonnement pour offense au prestige du roi et empereur.”

Comme sur les 26 Témoins accusés, 13 étaient des Abruzzes, le livre Abruzzo, un profilo storico (Aperçu historique de la région des Abruzzes), de Raffaele Colapietra (aux éditions Rocco Carabba), déclare: “Dans les Abruzzes, aucun parti politique, pas même les communistes, ne peut se vanter d’avoir vu un groupe aussi nombreux et aussi durement touché que ces paysans doux et inoffensifs de la région côtière.”

LES FRÈRES EN PRISON

Outre l’exemple de courage et de foi qu’ils donnaient, les frères, par les expériences qu’ils connurent durant leur emprisonnement survenu pendant la guerre, donnèrent la preuve que jamais le secours affectueux de Jéhovah ne leur fit défaut. Avec zèle ils continuèrent de parler aux autres de la “bonne nouvelle” à l’intérieur de la prison et, même là, ils subirent les persécutions du clergé.

Santina Cimorosi de Roseto degli Abruzzi, qui avait 25 ans au moment de son arrestation, raconte:

“Ils nous ont conduits au commissariat de police en disant que nous étions un danger pour l’État, parce que nous n’acceptions pas la guerre. Mon père [Domenico Cimorosi] fut mis dans une cellule et moi dans une autre. Les cellules étaient sombres. Le carabinier fut obligé d’allumer sa lampe électrique pour me montrer où se trouvait la planche pour dormir. Ensuite, il referma la porte sur moi. Quand j’entendis que la serrure se refermait, je fus envahie par un sentiment de détresse et de crainte. Je me suis mise à pleurer. Agenouillée, j’ai commencé à prier Jéhovah à haute voix. Peu à peu, ma peur se dissipa, et j’ai cessé de pleurer. Jéhovah avait répondu à ma prière en me procurant de la force et du courage, et je me rendis compte que, sans son aide, je n’étais rien du tout. J’ai passé la nuit en prière et, le lendemain matin, on m’a conduite à la prison de Teramo, où je me suis retrouvée dans la même cellule que mon père, Caterina Di Marco et trois autres frères. Nous étions six au total.

“De temps en temps, nous étions soumis à un interrogatoire afin de découvrir qui étaient nos ‘chefs’. On me demandait souvent: ‘Es-​tu toujours Témoin de Jéhovah?’ et, naturellement, je répondais à chaque fois ‘Oui!’ Ils ont essayé de m’effrayer en me menaçant de ne jamais me laisser sortir de prison, mais j’avais confiance en Jéhovah et dans son pouvoir de me soutenir. Par la suite, on disposa un autel devant la porte de ma cellule. On l’avait mis là exprès pour moi et, pendant plusieurs semaines le prêtre se mit à dire la messe à cet endroit. La porte de ma cellule était laissée grande ouverte, soit pour voir si je voulais revenir à l’Église catholique, soit dans l’espoir que je troublerais le service religieux, ce qui m’aurait attiré une peine supplémentaire. Mais je restais tranquillement dans ma cellule, comme si rien ne se passait à l’extérieur, et je remerciais Jéhovah de m’aider à agir avec sagesse. Devant mon absence de réaction, on enleva l’autel quelque temps plus tard, et le prêtre ne revint plus.”

Frère Dante Rioggi, qui avait appris la vérité par frère Marcello Martinelli, raconte: “En prison, je n’avais pas le droit d’écrire à mes proches ni à personne d’autre. Mes publications, mon argent et ma montre avaient été confisqués. De novembre [1939] à la fin février, j’ai grelotté de froid, non seulement parce que la cellule n’était pas chauffée, mais aussi parce que la fenêtre n’avait pas de vitre. On ne m’avait même pas donné un vêtement de rechange, si bien que je n’ai pas tardé à être réduit à l’état d’une créature lamentable et repoussante, infestée de parasites. J’ai reçu à deux ou trois reprises la visite de prêtres qui m’ont assuré que si je revenais à la religion de mes parents, je serais libre. J’ai écrit à la questura [le siège de la police] et j’ai obtenu une Bible. Par la suite, j’ai puisé du courage dans l’exemple d’hommes fidèles qui avaient maintenu leur intégrité même au risque de leur vie et que Jéhovah avait bénis. La prière contribua elle aussi à fortifier ma foi dans les promesses de Jéhovah.”

Frère Domenico Giorgini, un Témoin qui reste fidèle dans le service depuis plus de 40 ans et qui sert comme ancien dans une congrégation de la province de Teramo, raconte également: “Cela se passait le 6 octobre 1939. Alors que nous nous trouvions dans la vigne en train de faire les vendanges, j’ai vu s’approcher de la maison un camion avec deux officiers des carabiniers. Ils me conduisirent à la prison de Teramo, où je suis resté cinq mois. Ensuite, j’ai été condamné à trois années d’exil dans l’île de Ventotene. Je m’y suis retrouvé en compagnie de cinq autres frères et d’environ 600 prisonniers politiques. Parmi ces derniers se trouvaient un certain nombre de personnalités politiques bien connues, dont un homme qui devint par la suite président de la République et à qui j’ai eu le privilège de donner le témoignage sur le Royaume de Dieu. Comme le gouvernement fasciste considérait que beaucoup de ces prisonniers politiques étaient particulièrement dangereux, l’île faisait l’objet d’une étroite surveillance, avec une vedette équipée d’une mitrailleuse qui patrouillait sans cesse, prête à ouvrir le feu sur quiconque tenterait de s’évader.”

LES SŒURS EN PRISON

Voici le témoignage de sœur Mariantonia Di Censo, condamnée à 11 années d’emprisonnement par le Tribunal spécial: “Jamais je n’oublierai les paroles prononcées par le juge d’instruction. Il a dit: ‘J’ai lu leurs publications afin de savoir sur quoi elles portaient et j’ai interrogé les accusés. Tous sont logiques dans leurs croyances et se montrent disposés à s’accuser pour sauver leurs compagnons. La situation n’est pas aussi grave qu’on aurait pu le penser. Le clergé a exagéré la portée de cette question.’”

Sœur Di Censo purgea sa peine à Pérouse. Là également se trouvait emprisonnée une autre sœur, Albina Cuminetti, qui mourut fidèle à son appel céleste en 1962. Un rapport écrit nous dit: “Un jour qu’une autre prisonnière demandait à Albina ce qu’elle avait fait, celle-ci répondit: ‘Je n’ai rien fait. Nous sommes ici parce que nous refusons de tuer notre prochain.’

“‘Quoi!, s’exclama l’autre femme. Alors tu es ici parce que tu as refusé de tuer? Et combien d’années t’ont-​ils données?’

“‘Onze’, répondit sœur Cuminetti.

“Sur quoi son interlocutrice reprit: ‘Mais où va-​t-​on? Ils t’ont donné onze ans parce que tu refusais de tuer ton prochain, et à moi, ils m’ont donné dix ans parce que j’ai tué mon mari. C’est le bouquet. Ou bien c’est moi qui suis folle, ou bien c’est eux!’

“Un jour, poursuit le récit, Albina a eu l’occasion de donner le témoignage au directeur de la prison, en présence d’une religieuse chargée de la surveillance des prisonnières.”

UNE LETTRE DU DIRECTEUR DE LA PRISON

En 1953, lorsque sœur Cuminetti retrouva à une assemblée trois autres sœurs avec qui elle avait été en prison, toutes quatre écrivirent une lettre au directeur de la prison de Pérouse. Celui-ci, dans l’intervalle, avait été muté à Alexandrie, mais il finit par recevoir la lettre et il envoya cette intéressante réponse, en date du 28 janvier 1954:

“Chère Madame,

“Je vous remercie des excellentes choses que vous dites à mon sujet dans votre lettre. Toutes vous aviez été condamnées pour un ‘crime inexistant’ et je suis tout à fait ravi de savoir que dans la ville même où vous aviez été jugées, à Rome, vous avez pu vous réunir de nouveau, mais cette fois pour chanter les louanges de votre Dieu Jéhovah durant votre assemblée.

“Si vous avez l’occasion de voir les autres femmes qui ont tant souffert pour le Dieu en qui vous avez cru et en qui vous continuez de croire, ou bien si vous leur écrivez, ayez l’amabilité de me rappeler à leur bon souvenir. Jamais je ne vous oublierai et j’admirerai toujours votre foi et votre force de caractère.

“En vous remerciant pour le livre que vous m’avez envoyé, je reste vôtre,

Dr Antonio Paolorosso,

Directeur en chef des établissements pénitentiaires d’Alexandrie.”

“La valeur éprouvée de votre foi”, écrivit l’apôtre Pierre, est “beaucoup plus que l’or.” (I Pierre 1:7). Les frères qui ont gardé leur intégrité malgré les persécutions reconnaissent que ces difficultés les ont fortifiés.

LA NEUTRALITÉ SERT DE PROTECTION

Comme dans bien d’autres pays, les frères d’Italie se sont trouvés protégés en gardant leur neutralité. C’est ainsi qu’Aldo Fornerone, un frère fidèle âgé de 76 ans, fut mis en prison puis envoyé en exil durant la Seconde Guerre mondiale. Voici son témoignage:

“Malgré la déroute des nazis, ceux-ci tenaient toujours la région où j’habitais. Durant une expédition punitive, trois soldats allemands firent irruption chez nous. Au premier coup d’œil, l’officier vit une Bible sur la table, et, sur le mur, un tableau qui représentait la scène d’Ésaïe 11:6-9, où un loup, des agneaux, un lion, une chèvre et un veau sont ensemble avec un petit enfant. En allemand, il me demanda: ‘Bibelforscher?’, c’est-à-dire: ‘Étudiant de la Bible?’ Je dis oui d’un signe de tête.

“Alors, en français, il demanda à ma femme de lui donner quelque chose à manger, puis il ordonna à ses hommes de fermer la porte et de rester à l’intérieur de la maison. Toujours en français, il poursuivit: ‘J’ai dit à mes hommes que nous serions tranquilles ici, parce que vous êtes Témoins de Jéhovah, les seules personnes en qui nous puissions avoir confiance.’ Il nous raconta également qu’il avait des parents en Allemagne qui avaient été envoyés dans un camp de concentration parce qu’ils étaient Témoins. Pendant que ses soldats mangeaient, on entendait des coups de feu alentour, beaucoup de maisons étaient incendiées et quantité de civils assassinés. À la fin de l’expédition punitive, les soldats quittèrent le village, et l’officier nous serra la main en prenant congé.

“Peu après, le commandant du groupe de résistant italiens arriva avec 16 de ses hommes. ‘Pourquoi ne vous ont-​ils pas emmenés avec le reste des civils?’, demanda-​t-​il. Il me connaissait et il savait bien que j’avais été mis en prison puis envoyé en exil parce que je refusais de prendre part à la guerre. Tout le monde écouta pendant que je donnais le témoignage, et chacun accepta une brochure Réconfort pour les peuples. Eux aussi après avoir mangé et bu un peu, prirent congé. Leur chef dit: ‘Si tout le monde était comme toi, on ne nous chasserait pas comme des bêtes sauvages, et il n’y aurai pas autant de problèmes dans le monde.’ Cette expérience me fit apprécier plus que jamais la valeur de la neutralité.”

L’AIDE DES FRÈRES

Nombre de frères envoyés en prison avaient dû laisser chez eux leurs femmes et leurs enfants. Qui allait leur venir en aide? Voici la réponse de Vincenzo Artusi:

“Quand j’ai été envoyé en exil dans une autre région de l’Italie pour un an, je me suis beaucoup inquiété pour ma femme et mes trois jeunes enfants. J’avais également peur que le clergé profite de mon absence pour amener ma femme à quitter la vérité, du fait qu’elle ne s’y intéressait que depuis peu. Mais Jéhovah a veillé sur eux et, avec l’aide des frères qui étaient restés libres, ma famille fut bien soignée tant matériellement que spirituellement. Grâce aux visites affectueuses des frères, visites qui étaient également édifiantes sur le plan spirituel, ma femme finit par rompre avec l’Église catholique.”

L’ŒUVRE SE POURSUIT MALGRÉ LA GUERRE

La chute du fascisme se produisit en 1943. La majorité des frères furent alors libérés de prison. Malheureusement, la guerre continuait de faire rage dans tout le pays et, au fur et à mesure que les troupes alliées progressaient depuis le sud, les nazis battaient en retraite vers le nord, semant la mort et le carnage derrière eux.

Même durant la période la plus sombre de la guerre, on fit des efforts pour renouer le contact avec les frères restés chez eux et jouissant d’une liberté de mouvement relative. Agostino Fossati, un frère resté fidèle jusqu’à sa mort en 1980, avait été expulsé de Suisse à cause de la vérité. En 1940 et 1941, il fit tout son possible pour correspondre avec certains frères et leur envoyer toutes sortes de publications, dont des articles de La Tour de Garde qu’il traduisait du français. Il fut arrêté en janvier 1942 et envoyé en exil.

Peu après, frère Narciso Riet se réfugia en Italie. Né en Allemagne de parents italiens de la province d’Udine, il habitait Mülheim an der Ruhr, jusqu’au jour où la Gestapo découvrit son activité qui consistait à introduire clandestinement des exemplaires de La Tour de Garde dans les camps de concentration. Quand il apparut clairement qu’il serait trop dangereux qu’il reste plus longtemps, un frère qui travaillait dans les chemins de fer l’aida à rejoindre sa femme qui était partie un peu plus tôt en Italie, à Cernobbio, sur le lac de Côme, près de la frontière suisse.

La filiale suisse confia à frère Riet la tâche de traduire La Tour de Garde de l’allemand en italien, puis d’en envoyer des exemplaires aux frères. Afin de s’assurer que la police ne les intercepte pas dans le courrier, on effectuait les livraisons de la main à la main aux frères qui n’habitaient pas trop loin dans le nord et le centre de l’Italie.

Frère Riet s’acheta une machine à écrire et s’attela aussitôt à la traduction des articles d’étude des périodiques, aidé par frère Agostino Fossati, qui était rentré de son année d’exil, puis par sœur Maria Pizzato, lorsqu’elle fut libérée en 1943. Les périodiques arrivaient en Italie par voie clandestine. Après leur traduction, on en tirait plusieurs exemplaires sur un duplicateur et on les remettait à frère Fossati, qui se chargeait de les livrer. Ce frère se rendait jusqu’à Pescara, Trente, Sondrio, Aoste et Pignerol pour apporter la nourriture spirituelle à ses frères, courant tout le temps le risque d’être arrêté et mis en prison.

Après l’arrivée de sœur Pizzato, les nazis, aidés par leurs acolytes fascistes, découvrirent l’endroit où habitait frère Riet. Sœur Pizzato raconte: “Un jour de la fin du mois de décembre, sa maison fut cernée, puis un officier SS fit irruption, accompagné de ses hommes. On arrêta Narciso et on le tint en joue, pendant que les soldats perquisitionnaient la maison. Ils ne tardèrent pas à trouver la preuve du ‘délit’ qu’ils cherchaient: deux Bibles et quelques lettres. Narciso fut renvoyé en Allemagne, puis incarcéré au camp de concentration de Dachau. Là, il subit d’épouvantables tortures. On le maintint longtemps enchaîné comme un chien dans une cellule étroite, dans laquelle il était obligé de rester accroupi jour et nuit. Après de multiples souffrances qu’il dut subir de camp en camp, il fut mis à mort avec d’autres malheureux prisonniers avant que les alliés occupent Berlin. On ne retrouva jamais ses restes.”

Sœur Pizzato poursuivit l’œuvre commencée par frère Riet et, quand frère Fossati fut de nouveau arrêté, ce fut à son tour de livrer elle-​même la nourriture spirituelle. Lorsqu’elle avait tiré 70 exemplaires de chaque article traduit, elle les livrait personnellement, tant qu’il était possible de voyager.

Quand les bombardements coupèrent toutes les voies de communication, elle décida d’envoyer par la poste la traduction des articles d’étude de l’édition anglaise du 1er janvier 1945 de La Tour de Garde aux frères de Castione Andevenno, dans la province de Sondrio. L’article fut intercepté et remis à la police, si bien que sœur Pizzato dut subir un nouvel interrogatoire. Mais on la laissa rentrer chez elle, si bien qu’elle décida sans plus tarder de sauter sur l’occasion pour quitter la région, afin de ne pas mettre en cause d’autres frères. Le soir même, elle détruisit les preuves de son activité entre décembre 1943 et mars 1945, et des amis l’aidèrent à gagner la Suisse, accompagnée de la veuve de frère Riet.

À la fin de la guerre, tous les réfugiés durent rentrer en Italie, et les deux sœurs revinrent à Cernobbio. La filiale suisse confia à sœur Pizzato la tâche de renouer le contact avec les frères, à présent que le fascisme avait été définitivement balayé et que la guerre avait pris fin. Les frères avaient subi de rudes épreuves, mais ils étaient reconnaissants à Jéhovah et pleins de zèle. Peu d’entre eux étaient tombés dans les chausse-trappes du Diable. À présent s’ouvrait une grande porte donnant sur l’immense activité qui restait à accomplir. — I Cor. 16:9.

RÉORGANISATION DE L’ŒUVRE ET OUVERTURE D’UNE FILIALE

Vers la fin de l’année 1945, frère Knorr, alors président de la Société Watch Tower, accompagné de son secrétaire, M. Henschel, se rendit en Europe. La filiale suisse invita sœur Pizzato à se rendre à Berne pour donner à frère Knorr un rapport sur l’activité en Italie. Voici le compte rendu de sœur Pizzato sur sa visite:

“Frère Knorr se rendit compte qu’il était nécessaire d’imprimer immédiatement des brochures en italien pour relancer l’œuvre de prédication. À cette fin, en attendant que nous parviennent des publications depuis les États-Unis, il laissa des instructions pour que l’on fasse imprimer certaines brochures soit à Milan, soit à Côme. Il me dit également que, bien que l’on appréciât beaucoup mon aide dans ce domaine, celle-ci ne pourrait être que temporaire et que l’on prévoyait déjà d’envoyer un frère des États-Unis pour s’occuper dès que possible de l’œuvre.”

Frère Umberto Vannozzi, jeune homme qui résidait en Suisse, mais qui avait la nationalité italienne, assistait également à la réunion. Pendant un temps, on lui confia le soin de visiter plusieurs groupes de frères, afin de les fortifier et de les instruire dans les voies de Jéhovah.

Dès qu’il fut possible de trouver une imprimerie à Côme, on édita 20 000 exemplaires des brochures La liberté dans le Monde Nouveau et ‘The Meek Inherit the Earth’ en italien, ainsi que 25 000 exemplaires de la brochure “Nations, réjouissez-​vous!” et 50 000 exemplaires d’une autre, intitulée La joie pour tous les hommes.

À l’époque, Cernobbio était une petite ville de quelque 3 000 habitants qui ne se prêtait guère à devenir le centre des opérations en vue de l’expansion espérée. C’est pour cette raison qu’au printemps 1946, frère Knorr donna aux frères l’instruction de rechercher un endroit convenable pour abriter une petite famille du Béthel de six ou sept membres. Avec l’aide d’un frère du bureau de Berne, on acheta une petite maison de six pièces au 20 Via Vegezio, à Milan, et l’on y transféra le centre de notre activité toute neuve. L’événement eut lieu en juillet 1946. Cette année-​là vit une moyenne de 95 proclamateurs du Royaume, avec un maximum de 120 proclamateurs répartis en 35 petites congrégations. C’était là la base de notre future expansion.

En octobre 1946, frère George Fredianelli arriva des États-Unis. Il avait été diplômé en 1943 de la première classe de Galaad, école biblique de la Watchtower, et avait servi depuis comme surveillant de circonscription. On lui confia la tâche de visiter les frères de l’unique circonscription d’alors qui allait des Alpes jusqu’à la Sicile.

En janvier 1947, deux autres missionnaires, Joseph Romano et sa femme Angela, arrivèrent à leur tour. Comme frère Romano était nommé surveillant de filiale, il se mit immédiatement à la tâche dans le nouveau Béthel de Milan. Quelques mois plus tard, un autre couple diplômé de Galaad arriva. Il s’agissait de Carmelo et Constance Benanti. Puis, le 14 mars 1949, ce fut l’arrivée de 28 autres missionnaires dans le pays. Un vrai pactole! Il s’agissait assurément là d’une des dispositions de Jéhovah pour donner un bon départ à l’expansion. Au début, ces missionnaires se virent confier la tâche de travailler en groupe dans les cinq villes suivantes: Milan, Gênes, Rome, Naples et Palerme.

En 1946, quand la fin de la guerre permit un nouveau départ, il y avait à peine plus de 100 proclamateurs répartis çà et là dans tout le pays. Ils avaient perdu tout contact entre eux et avec l’organisation. On ne tenait pas régulièrement de réunions, bien que les proclamateurs aient fait de leur mieux pour se rencontrer partout où ils le pouvaient, soit dans les foyers, soit même dans des étables. Ils lisaient des publications, cherchaient les versets et exprimaient leurs commentaires du mieux qu’ils pouvaient. La prédication consistait essentiellement à parler à des amis ou à des parents, et l’on ignorait pratiquement tout des structures théocratiques de la congrégation chrétienne.

“Ce n’est que vers 1944, écrit Domenico Cimorosi, que nous avions appris que les nominations à des responsabilités devaient être effectuées théocratiquement et non par vote. Comme nous ne savions pas comment procéder, nous pensions que nous devions adopter la méthode utilisée pour choisir Matthias (Actes 1:23-26). Nous écrivions les noms de dix frères, choisis parmi les plus anciens du groupe, sur des bouts de papier que nous déposions dans une urne. Une petite fille prenait alors les papiers un à un et le premier nom sorti indiquait celui du surveillant. C’est ainsi que j’ai été choisi et c’est ainsi que nous avons procédé jusqu’à l’arrivée de notre premier surveillant de circonscription.”

Les frères s’édifiaient spirituellement avec les maigres moyens dont ils disposaient, l’esprit saint compensant bien évidemment dans une grande mesure ce qui leur manquait. Mais, à présent, l’heure était venue pour Jéhovah d’‘accélérer’ l’accroissement de son peuple. — És. 60:22.

LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE L’APRÈS-GUERRE

Après l’inauguration des bureaux de la filiale à Milan, frère Knorr décida de rendre visite à l’Italie afin de donner un élan supplémentaire à la réorganisation de l’activité. Parallèlement à sa visite, on organisa une assemblée d’un jour, qui allait être la première assemblée de l’après-guerre. Tous les frères et toutes les personnes bien disposées l’attendaient avec impatience, ainsi que la réunion avec frères Knorr et Henschel.

Le 16 mai 1947, tous se présentèrent au cinéma Zara, où l’assemblée devait se tenir. Durant les sessions du matin et de l’après-midi, 239 personnes étaient présentes, venues de toute l’Italie, et même de la Sicile. Il y eut 31 baptisés, dont 13 sœurs. On est surpris de noter que parmi ces nouveaux Témoins figuraient certaines personnes qui avaient été condamnées par le Tribunal fasciste et qui, à cause de leur connaissance limitée des exigences chrétiennes, n’avaient pas encore été baptisées. Le discours public, prononcé à 20 h 30 sur le thème “La joie pour tous les hommes”, marqua le clou de l’assemblée. L’assistance s’élevait à 700 personnes.

Les frères avaient dû consentir de gros sacrifices pour se rendre à l’assemblée, non seulement à cause de leur extrême pauvreté et du coût élevé des voyages ainsi que des séjours, mais aussi parce que les chemins de fer, n’étaient pas encore bien rétablis des ravages causés par la guerre. Teresa Russo, une sœur âgée de Cerignola raconte:

“À l’époque, nous étions si pauvres que nous n’avions même pas l’argent pour nous rendre à l’assemblée. Comment nous le procurer? Je me rappelle comme si c’était hier que nous nous sommes mis à mettre du sucre de côté au lieu de le manger. Puis nous avons trouvé le moyen de vendre cette réserve afin de payer nos billets de train et notre séjour. Nous avions bourré nos valises de sucre et en portions également autour de la taille dans des sacs, comme des chasseurs qui transporteraient leur nourriture. Nous avions tous l’air bien replets. Néanmoins, c’est ce qui permit à sept d’entre nous de se rendre à Milan et d’avoir la joie de voir tant de frères réunis.”

Certains des assistants se rappellent encore les sentiments qu’ils éprouvèrent en se retrouvant réunis librement avec des frères qu’ils avaient connus auparavant soit en prison, soit en exil. Voici ce qu’en dit Aldo Fornerone, l’un des Témoins présents à cette assemblée:

“Jamais je n’oublierai mon émotion quand j’ai rencontré et serré dans mes bras ces chers frères d’Italie du centre et du sud que j’avais connus en prison ou en exil. Seul Jéhovah sait combien nous étions reconnaissants de pouvoir nous réunir dans un pays où l’on avait rétabli la liberté de culte. Notre gratitude allait droit vers Lui, le grand Dieu, Jéhovah, pour son intervention en faveur de son peuple.”

Durant l’assemblée, frère Knorr esquissa les grand traits du programme d’expansion théocratique dans le pays. À partir du mois de juin, un feuillet mensuel renfermant des instructions pour les congrégations, l’Informateur, allait être mis en circulation. Les groupes et les congrégations recevraient tous les six mois la visite d’un surveillant de circonscription, mais on allait également tenir des assemblées de circonscription.

Le premier numéro de l’Informateur fut celui de juin 1947. Pendant quelques mois, il fut ronéotypé. Le premier numéro renfermait des commentaires sur le programme d’activité annoncé par le président de la Société et concluait par cette exhortation enthousiaste: “Ainsi donc, frères, allons de l’avant, avec l’espérance qu’ici, en Italie, le vrai Dieu puisse posséder un troupeau de personnes consacrées qui chantent ensemble ses louanges avec son peuple réparti dans d’autres nations.”

L’ACTIVITÉ COMMENCE DANS LA CIRCONSCRIPTION

Il ne fait aucun doute que l’expansion des intérêts du Royaume fut grandement stimulée par l’activité des surveillants itinérants qui rendirent visite aux congrégations afin d’édifier les frères, de leur enseigner les principes théocratiques et de les former dans la prédication. Vous rappelez-​vous Umberto Vannozzi, qui avait rencontré frère Knorr et sœur Maria Pizzato en 1945? Eh bien, durant les années 30, il avait servi comme pionnier en France, en Belgique et en Hollande, le plus souvent dans la clandestinité. Après avoir rencontré frère Knorr, il se mit à rendre visite aux frères éparpillés dans toute l’Italie, afin de renouer le contact avec eux avant l’arrivée des missionnaires. C’est ainsi que durant les mois de mai et juin 1946, il avait rendu visite aux principaux groupes de frères existant alors.

Toutefois, le premier surveillant de circonscription nommé fut frère George Fredianelli, qui commença ses visites en novembre 1946. La première fois, il était accompagné dans son périple par frère Vannozzi.

En 1947, on forma la seconde circonscription, et celle-ci fut confiée au départ à frère Giuseppe Tubini. Lorsque, quelques mois plus tard, ce frère entra au Béthel, il fut remplacé par frère Piero Gatti. Ces deux frères avaient connu la vérité en Suisse, dans l’un des nombreux camps de réfugiés, peuplés de milliers de soldats italiens qui avaient fui pour échapper aux nazis. Bien d’autres frères avaient appris la vérité à l’étranger et étaient revenus aussitôt après la guerre pour apporter le message du Royaume en Italie. Après 33 ans, frère Tubibi et frère Gatti sont toujours dans le service à plein temps, le premier au Béthel et le second dans la circonscription.

LES VOYAGES DE FRÈRE VANNOZZI

Un récit des voyages de frère Vannozzi va nous permettre de comprendre les multiples désagréments que les surveillants itinérants devaient endurer à l’époque. Nous lisons:

“J’ai quitté Côme et, après toute sorte d’aventures, j’ai fini par atteindre Foggia, dans la Pouille. J’ai cherché des yeux où était la gare, mais en vain. Elle avait été rasée lors d’un bombardement. Je pris le train pour Cérignole, où je devais me rendre pour ma première visite, mais, à un moment, on me dit que le train n’irait pas plus loin et que je devrais poursuivre en camion. Finalement, je parvins à destination vers 19 heures, le lendemain, épuisé et couvert de poussière. Malgré tout, je me sentais récompensé lorsque à la réunion un frère remerciait Jéhovah dans la prière d’avoir enfin permis la visite d’un membre de l’organisation, après toutes ces années d’attente. Au terme de ma visite, les frères pleuraient, et moi aussi, j’étais profondément ému.

“J’ai parcouru toute l’Italie sur des routes encore défoncées à cause des ravages de la guerre et jamais je n’ai vu un pont intact. Vingt deux mille ponts ont été sabotés, et ceux que l’on pouvait franchir étaient ceux que les alliés avaient réparés provisoirement. J’ai vu des centaines de wagons et de locomotives carbonisés et j’ai noté que toutes les villes avaient souffert des bombardements.

“J’ai quitté Cérignole à 6 heures du matin pour rendre visite au groupe de Pietrelcina, dans la province de Bénévent. Je suis arrivé à Bénévent à 7 heures du soir, après être resté assis trois heures sur mes bagages dans un wagon à bestiaux. À mon arrivée à la gare, j’attendais comme convenu avec une ‘Tour de Garde’ à la main, pour que les frères me reconnaissent. Mais personne ne s’est présenté. Qu’allais-​je faire?

“Pietrelcina se trouvait à douze kilomètres de là et, à 7 heures du soir, il n’y avait pas de moyen de transport pour s’y rendre. Tandis que j’étais là à attendre, un homme se présenta avec une carriole tirée par un cheval. Il offrit de m’emmener. Bien qu’il fût 21 h 30 et qu’il fît nuit, j’entrepris de chercher la maison de frère Michele Cavalluzzo. La tâche n’était guère aisée, mais l’ange de Jéhovah veillait sur moi et ne me laissa pas sombrer dans le désespoir. Je finis en effet par trouver cette maison, et frère Michele Cavalluzzo fut ravi de me faire préparer aussitôt un repas. J’avais une faim... Je n’avais rien mangé depuis la veille au soir. En outre, j’étais très fatigué et je mourais d’envie de me coucher, mais ce cher frère Cavalluzzo avait tant de questions à me poser et il voulait absolument me raconter, depuis le début jusqu’à la fin, comment il était venu à la vérité, que nous sommes restés à causer jusqu’à minuit. C’est le lendemain matin que le télégramme annonçant mon arrivée fut délivré; j’avais été plus rapide que lui!

“Presque tous les soirs, environ 35 personnes assistaient aux réunions, bien qu’il n’y eût presque pas de frères baptisés. À 4 heures du matin, j’ai quitté Pietrelcina pour Foggia, grimpant sur une carriole tirée par un cheval et conduite par l’un des frères, accompagné du surveillant, frère Donato Iadanza. Certes, nous n’étions plus dans les années 20, mais dans l’immédiat après-guerre, ce moyen de transport restait le plus commode. Nous sommes arrivés à Bénévent à 6 heures du matin, mais, malheureusement, le train était déjà parti.

“C’est alors que quelqu’un me suggéra de parler à un ingénieur du chemin de fer qui allait conduire une locomotive jusqu’à Foggia. Je l’ai abordé alors qu’il était en train de maugréer contre d’autres personnes qui, elles aussi, voulaient voyager avec lui. Il venait de dire qu’il n’avait pas de place pour des voyageurs. Malgré tout, nous avons grimpé à bord et frère Iadanza a tout juste eu le temps de courir après la machine pour me passer ma valise. Écrasés dans la cabine étroite de la locomotive, dix autres personnes et moi avons attendu, serrés comme des sardines, que s’achève ce voyage de cinq heures. Nous étions en nage, à cause de la chaleur, du manque d’air et des flammèches qui voltigeaient de la chaudière. Quand nous sommes arrivés à Foggia, l’ingénieur a arrêté sa machine en rase campagne, et nous sommes tous descendus.

“Après cela, j’ai rendu visite aux groupes de Spoltore, de Pianella, de Montesilvano, de Roseto degli Abruzzi et de Villa Vomano. Ma dernière visite était Faenza où une cinquantaine de personnes assistaient aux réunions. J’ai encouragé les jeunes à entreprendre le service de pionnier et, dans mon rapport sur ce groupe, j’ai écrit: ‘Espérons qu’un jour, certains de ces jeunes se décideront à entrer dans les rangs de ceux qui persévèrent dans ce privilège de service.’”

L’ACTIVITÉ DE FRÈRE FREDIANELLI DANS LA CIRCONSCRIPTION

Frère George Fredianelli, qui est aujourd’hui membre du comité de filiale, rapporte en ces termes son activité dans la circonscription:

“Quand je rendais visite aux frères, je trouvais toujours leurs parents et leurs amis qui m’attendaient et qui se montraient impatients de m’écouter. Même lors des nouvelles visites, les gens appelaient leurs parents. En fait, le surveillant de circonscription ne donnait pas simplement une allocution par semaine, mais une allocution de plusieurs heures à chaque nouvelle visite. Lors de ces visites, il y avait parfois jusqu’à trente personnes présentes et quelquefois plus, réunies pour prêter une oreille attentive.

“Les séquelles de la guerre compliquaient bien souvent l’activité de circonscription. Comme la plupart des gens, les frères étaient très pauvres, mais ils compensaient ce handicap par leur bonté et leur affection. Ils partageaient spontanément le peu de nourriture qu’ils avaient et, bien souvent, ils insistaient pour que je dorme dans un lit, tandis qu’ils s’étendaient sur le sol sans couverture, parce qu’ils étaient trop pauvres pour en avoir de rechange. Quelquefois, j’ai dû dormir dans une étable sur un tas de paille ou sur des feuilles de maïs séchées.

“Un jour, je suis arrivé à la gare de Caltanissetta, en Sicile, le visage noir comme de la suie; précisément à cause de la suie qui sortait de la cheminée de la locomotive. Bien que le voyage de 80 à 100 kilomètres m’ait pris quatorze heures, mon moral s’était mis au beau fixe dès l’arrivée. Je me voyais déjà en train de prendre un bon bain, puis un repos bien mérité dans un hôtel ou ailleurs. Mais tel ne fut pas le cas. Comme c’était la Saint-Michel, Caltanissetta regorgeait de visiteurs. Tous les hôtels étaient bondés, occupés par des prêtres et des religieuses. Finalement, je suis revenu à la gare, dans l’intention de m’étendre sur un banc que j’avais vu dans la salle d’attente, mais même cet espoir se dissipa lorsque je me suis aperçu que, le dernier train du soir passé, la gare était fermée. Le seul endroit que j’ai trouvé pour m’asseoir et me reposer un peu fut le perron de la gare.”

Avec l’aide des surveillants de circonscription, les congrégations se mirent à tenir régulièrement l’étude de La Tour de Garde ainsi que l’étude de livre. Par la suite, à mesure que s’améliorait la qualité des réunions de service, les frères sont devenus de plus en plus capables dans la prédication et l’enseignement.

LA CONDITION SPIRITUELLE DU GROUPE DE CÉRIGNOLE

Vous rappelez-​vous le groupe de Cérignole, celui qui avait été formé à la suite de la prédication du professeur Banchetti? “La condition spirituelle de ce groupe n’était pas ce qu’elle aurait dû être”, explique frère Fredianelli. Et d’ajouter:

“Il régnait là une curieuse situation. La congrégation, si je puis appeler ainsi le groupe, était principalement constituée de protestants et de communistes qui affirmaient être Témoins de Jéhovah. J’ai dû raisonner avec eux pendant plusieurs heures pour les convaincre de la nécessité de rompre avec la fausse religion et de garder une attitude neutre à l’égard de la politique.

“Lors d’une autre visite, j’ai donné le discours du Mémorial en expliquant clairement que seuls les oints pouvaient prendre part aux emblèmes. Tout se passa bien jusqu’à la fin de la réunion. Mais dès sa clôture, un membre du groupe qui se considérait lui-​même comme le responsable s’opposa ouvertement à moi, soutenant que ce que j’avais dit sur les emblèmes n’était pas exact. Visiblement, son intervention laissait le groupe perplexe, si bien que j’ai jugé que le mieux était d’inviter toutes les personnes présentes à prendre sur-le-champ leur décision. Je leur ai donc dit: ‘Ceux qui sont pour la vérité et pour les Témoins de Jéhovah, suivez-​moi à l’extérieur! Ceux qui sont contre la vérité peuvent rester.’

“À mon grand soulagement, presque tout le monde me suivit à l’extérieur. Seulement trois ou quatre personne restèrent avec mon adversaire, qui était un dirigeant important du parti communiste local. Alors, à l’exception de quelques rares personnes, tous les assistants me suivirent dans une autre salle et continuèrent dès lors à progresser dans la vérité.”

LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE CIRCONSCRIPTION

En septembre 1947, se tint la première assemblée de circonscription à Roseto degli Abruzzi. Elle devait avoir lieu à Pescara, mais, en raison de l’opposition du clergé, l’autorisation d’utiliser la salle avait été annulée. Sans se laisser abattre, les frères s’étaient réunis dans un cul-de-sac privé que l’on ne pouvait atteindre qu’en passant par le jardin de frère Domenico Cimorosi. La route était fermée et couverte de bâches, et l’on avait placé une table, sous l’ombrage d’une treille, pour qu’elle serve de podium à l’orateur. Ravis, une centaine de frères étaient présents.

Habituellement, dans les années 50, les assemblées commençaient avec une quarantaine ou une soixantaine d’assistants, alors qu’au discours public il y avait en général une moyenne de 200 personnes. Les frères jugeaient merveilleux d’atteindre des chiffres pareils.

Les progrès de l’œuvre se poursuivirent, et, en 1954, George Fredianelli se vit confier la responsabilité d’être surveillant de district.

D’AUTRES DISPOSITIONS

En janvier 1945, la Société avait lancé une campagne de discours publics qui devaient se tenir dans nombre de pays. Mais, en Italie, elle n’eut lieu que quelques années plus tard. L’Informateur de février 1948 annonça le début de cette campagne le 28 mars et, durant les mois qui suivirent, on donna 13 discours publics. Plusieurs années devaient s’écouler avant que l’on puisse les tenir régulièrement dans toutes les congrégations.

Comme il était évident que les frères avaient besoin d’être formés, on inaugura l’École du ministère théocratique en 1948. Au début, les frères tenaient ces réunions du mieux qu’ils pouvaient, parce qu’ils ne disposaient pas des publications appropriées en italien. Dans les congrégations où quelqu’un pouvait lire l’anglais, on traduisait les leçons à partir du manuel Aide théocratique aux proclamateurs du Royaume. Mais, en 1948, il n’y avait que peu de frères qui connaissaient l’anglais. Plus tard, vers la fin de l’année 1950, des congrégations ont commencé à recevoir des feuilles ronéotypées qui contenaient les leçons tirées du livre “Équipé pour toute bonne œuvre”, ouvrage qui contribua énormément à améliorer la qualité de l’école.

D’autres progrès furent réalisés en 1956. La Tour de Garde du 1er janvier 1956 comportait dans son édition italienne une série d’articles tirés du livre “Équipé”, tandis que le numéro du 8 janvier 1956 de l’édition italienne de Réveillez-vous! inaugurait une série identique tirée du livre Qualifiés pour le ministère. Finalement, le livre “Équipé” fut imprimé en italien en 1960 suivi du livre Qualifiés pour le ministère, en 1963, si bien que les nouveaux frères purent également suivre le programme et préparer leurs réunions.

TRANSFERT DE LA FILIALE À ROME

Comme Milan se trouve à l’extrême nord de l’Italie on jugea qu’il serait plus commode de superviser l’expansion de l’activité si la filiale était transférée dans un site plus central. Le choix allait se porter évidemment sur Rome, du fait que, capitale du pays, la ville est également le centre de l’administration nationale. En septembre 1948, on fit l’acquisition d’un immeuble de trois étages qui, outre qu’il possédait une douzaine de pièces et des infrastructures modernes, se trouvait également dans un endroit très agréable, avec des arbres et des jardins, Via Monte Maloia. Le mois même de l’achat, on transféra les bureaux. Un peu plus tard, on vendit l’immeuble de Milan, mais celui de la Via Monte Maloia appartient toujours à la Société Watch Tower et sert encore pleinement à ce jour.

Dans ce nouveau Béthel, on acheva la traduction du livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai!”, puis en 1949, cette publication sortit des presses. Elle traitait de sujets doctrinaux particulièrement intéressants pour des gens qui avaient reçu une formation religieuse, et elle a aidé des milliers de personnes à trouver la vérité.

COMPLOT POUR EXPULSER LES MISSIONNAIRES

Dans ce pays où les gens n’avaient jamais rien entendu depuis des siècles sur la Bible, l’activité des missionnaires a produit un fruit abondant. Comme nous l’avons déjà dit, le plus important groupe de missionnaires est arrivé en Italie au printemps 1949, et des congrégations ont commencé à surgir partout où ils déployaient leur activité. Les gens avaient vraiment “soif” de la Parole de Dieu.

En dehors des problèmes habituels liés à l’adaptation à un nouveau pays et à l’acquisition d’une langue étrangère, nos missionnaires durent surmonter un obstacle beaucoup plus sérieux. Il s’agissait d’obtenir des autorités un permis de séjour dans le pays après expiration de leur visa. La filiale avait rempli un formulaire de demande auprès du ministère de l’Intérieur, afin que des permis soient octroyés pour l’année 1949. Mais, coup de tonnerre dans un ciel serein, ce ne furent pas les permis que reçurent les missionnaires, mais l’ordre de quitter le pays. Il fallut insister beaucoup pour qu’on leur permette de rester jusqu’au 31 décembre 1949, date à laquelle ils devaient tous quitter le pays. Une telle disposition aurait porté un coup sérieux à leur activité, alors qu’elle avait eu un début si prometteur.

Mais pourquoi donnait-​on aux missionnaires l’ordre de quitter l’Italie? Qui était à l’origine de cette mesure? Les manœuvres qui s’opéraient en coulisses furent dévoilées dans l’édition anglaise de l’Annuaire 1951 et dans l’édition italienne de La Tour de Garde du 1er mars 1951. Voici les faits:

“Même avant l’arrivée en Italie des vingt-huit missionnaires, en mars 1949, le bureau avait rempli les formulaires habituels et sollicité pour chacun d’eux un visa d’un an. Au début, les fonctionnaires dirent que le gouvernement voyait la chose sur le plan économique et que, partant, la situation semblait tout à fait rassurante pour nos missionnaires. Mais, après six mois, nous avons tout à coup reçu une communication du ministère de l’Intérieur ordonnant à nos frères de quitter le pays à la fin du mois, avec un préavis inférieur à une semaine. Naturellement, nous avons refusé de nous plier à cet ordre sans faire valoir juridiquement nos droits, et nous avons fait tous nos efforts pour aller au fond de la question, jusqu’à découvrir qui était responsable de ce coup déloyal. En contactant diverses personnes qui travaillaient au ministère, nous avons appris que les dossiers nous concernant ne révélaient nulle plainte de la part de la police ni d’autres autorités; il fallait donc chercher ‘plus haut’ les responsables. Qui cela pouvait-​il être? Un ami au ministère nous informa que l’action menée contre nos missionnaires était assez insolite, puisque la politique du gouvernement était particulièrement souple et favorable à l’égard des citoyens américains.

“Peut-être l’ambassade américaine pourrait-​elle nous aider. Mais toutes nos visites à l’ambassade, toutes les entrevues avec le secrétaire de l’ambassadeur, tout fut vain. Il était évident au plus haut point, comme le reconnaissaient les autorités américaines elles-​mêmes, que quelqu’un qui possédait un pouvoir considérable dans le gouvernement italien ne voulait pas que des missionnaires de la Watch Tower prêchent en Italie. Face à un tel pouvoir, les diplomates américains se contentaient de hausser les épaules et de dire: ‘Vous savez, l’Église catholique est religion d’État ici, et elle fait pratiquement tout ce qu’elle veut!’

“Entre septembre et décembre, nous avons cherché à gagner du temps contre la mesure du ministère à l’égard des missionnaires. Mais, finalement, nous ne pouvions plus temporiser; les missionnaires devaient quitter le pays le 31 décembre. Il n’y avait rien d’autre à faire que de se plier à ces ordres. Nous avons donc envoyé les missionnaires dans les cantons suisses d’expression italienne. Quelques mois plus tard, tout le groupe était rentré en Italie et avait repris la prédication.

“Cette fois, on nomma les missionnaires dans des villes différentes, mais cela ne fit que propager l’œuvre davantage.

“Et qu’étaient devenues les personnes bien disposées dont les missionnaires avaient suscité l’intérêt dans les villes qui leur avaient été attribuées auparavant? Les ‘brebis’ n’allaient pas être abandonnées. Frère Knorr approuva le choix de nouveaux pionniers spéciaux italiens qui vinrent occuper les maisons des missionnaires et poursuivre leur bonne activité. La transition s’effectua sans perte de temps, si bien que l’œuvre n’en souffrit pas. Le résultat de tous ces incident fut que la Parole gagna des territoires jusque-​là vierges.”

Comment les missionnaires avaient-​ils réussi à revenir en Italie après leur expulsion? Ils s’étaient fait délivrer un visa touristique de trois mois, ce qui impliquait que, tous les trimestres, ils se rendent à l’étranger et, quelques jours plus tard, reviennent en Italie, chaque fois dans la crainte de ne pas se voir renouveler le visa. Dans certaines villes, le clergé avait réussi à les identifier et exerçait des pressions sur les autorités locales pour les faire renvoyer. Dans de telles circonstances, nos missionnaires étaient obligés de se déplacer ailleurs, toujours sur le qui-vive et agissant avec le maximum de précautions.

Le clergé avait fait le calcul suivant: “Débarrassons-​nous des missionnaires, et leur petit groupe d’adeptes fondra comme neige au soleil.” Mais ce qu’il ne comprenait pas, c’est que nul ne peut s’interposer dans le déroulement du dessein de Dieu ni empêcher sa puissance irrésistible d’agir.

FAITS DE PRÉDICATION DES MISSIONNAIRES

Carmelo et Constance Benanti sont dans le service missionnaire en Italie depuis plus de 33 ans. Voici témoignage de frère Benanti:

“À l’époque où nous nous trouvions à Brescia, ma femme avait concentré ses efforts sur un quartier où les gens subissaient l’influence des institutions religieuses proches et particulièrement celle d’un moine. Malgré son influence, 16 personnes acceptèrent la vérité. Des années plus tard, ma femme et moi sommes retournés à Brescia pour rendre visite aux frères que nous avions aidés à connaître la vérité. Alors que nous prenions un repas avec un groupe de frères, on nous a demandé de raconter comment l’œuvre avait commencé dans la région. Ma femme leur a donc cité un incident au cours duquel le moine avait encouragé un groupe de jeunes garçons à la molester. Les enfants, cachés derrière le mur d’une maison bombardée, étaient prêts à bondir et à lui jeter des pierres. Ce que voyant, elle avait prié Jéhovah qu’il ne lui soit pas fait de mal. C’est alors qu’un surveillant de l’une des congrégations de Brescia l’interrompit: ‘Sœur, j’étais l’un de ces garçons. Évidemment, j’étais très jeune à l’époque, et le moine nous avait promis des bonbons si nous te jetions des pierres. Nous-​mêmes n’avons su pourquoi, mais finalement, nous ne l’avons pas fait.’”

Voici un autre récit d’un missionnaire: “À l’époque où j’étais à Naples, on me prenait souvent pour une personne aisée, à cause de ma tenue correcte. Alors que je marchais dans les rues, je me suis rendu compte qu’un homme me suivait, vraisemblablement dans l’intention de me voler. J’ai donc décidé de faire volte-face et de lui parler de la vérité. Pris par surprise, il fut très frappé par le message, à tel point qu’il finit même par accepter la vérité. Par la suite, j’ai appris qu’il avait effectivement eu l’intention de me voler. Naturellement quand son cœur s’ouvrit à la vérité, il modifia totalement sa façon d’agir. Cet ancien voleur est devenu pionnier spécial et est demeuré fidèle à Jéhovah jusqu’à sa mort.”

LES PREMIÈRES SALLES DE RÉUNION

Vous vous rendrez mieux compte des progrès de l’œuvre en Italie après cette brève description des endroits où se réunissaient les frères juste après la guerre. Il fut un temps où presque toutes les Salles du Royaume se trouvaient dans des foyers privés. L’une des raisons de cette disposition était que le clergé intimidait les propriétaires qui auraient pu nous louer des locaux, si bien qu’ils y consentaient rarement. Frère William Wengert, diplômé de Galaad, qui sert aujourd’hui comme surveillant de district, évoque cette période:

“À l’époque, nos Salles du Royaume se trouvaient généralement dans des sous-sols. Il n’y avait pas de chauffage central, et certaines salles n’avaient même pas de toilettes. Comme nous n’avions pas de lampes électriques, il nous fallait souvent nous éclairer avec deux lampes à pétrole, l’une sur l’estrade et l’autre pour l’auditoire. Quand j’y repense, je me rends compte qu’à l’époque nous acceptions tout cela comme des choses normales. En compensation, les frères étaient toujours heureux et pleins d’amour fraternel les uns à l’égard des autres. J’avais été particulièrement frappé par le fait que nos frères chantaient les cantiques à pleine voix; il faut dire que les Italiens chantent avec enthousiasme. Jéhovah a béni l’œuvre dans ce pays, puisqu’il y a de magnifiques salles où les frères peuvent à présent se réunir pour louer ensemble son saint nom.”

Même s’ils durent se contenter de salles de fortune, ces chers frères des années 50 constituaient une foule heureuse qui montrait une profonde gratitude pour les réunions. C’est ce que souligne le témoignage de frère Nicola Magni: “Bien souvent le pupitre était un carton retourné sur une table de cuisine, mais cela suffisait. La joie des frères présents brillait dans leurs yeux et donnait de l’éclat à leur regard dans la pénombre de la pièce qu’éclairait une seule lampe.”

Les conditions qui régnaient dans les lieux de réunion furent souvent à l’origine d’événements cocasses. Frère Francesco Bontempi, surveillant itinérant, évoque son séjour dans l’une des premières Salles du Royaume de Milan:

“Même si la Salle du Royaume se trouvait dans un sous-sol, elle était très propre. Un soir, la réunion était déjà en cours lorsque nous avons reçu un visiteur insolite: une minuscule souris. Elle est entrée dans la Salle et a grimpé sur le siège d’une sœur assez replète dont l’attention était entièrement absorbée par le programme. L’animal s’est arrêté près d’un barreau de la chaise, puis s’est assis pendant plusieurs minutes qui m’ont parues interminables. Je n’osais pas intervenir, d’abord parce que je ne voulais pas interrompre la réunion, et puis parce qu’on peut s’imaginer ce qu’aurait été la réaction de la sœur. Finalement, la souris décida de contourner la chaise, manqua de peu le pied de la sœur et disparut en silence... à mon plus grand soulagement. Mais, en dépit de ces petits inconvénients, la congrégation montrait beaucoup d’affection fraternelle et de zèle pour le service.”

D’après l’Annuaire 1975, on pense que la première Salle du Royaume construite par les frères aux États-Unis remonte à 1927 à Roseto, en Pennsylvanie, et fut inaugurée par une allocution publique présentée par frère Giovanni DeCecca. Or, coïncidence curieuse, la première salle construite par les frères en Italie se trouve également en un endroit appelé Roseto, plus exactement Roseto degli Abruzzi. Elle fut achevée en 1953, 26 ans après son ancêtre américain.

LE CLERGÉ FOMENTE DE NOUVEAUX TROUBLES

La liberté dont jouissait désormais l’Italie remontait à une date importante, le 27 décembre 1947, jour où la Constitution de la République italienne entra en vigueur. Cette Constitution reconnaissait les droits fondamentaux dont dépend directement notre œuvre consistant à annoncer le Royaume de Jéhovah, droits qui avaient été impitoyablement foulés aux pieds sous la dictature.

Mais, malgré la nouvelle Constitution, les Témoins de Jéhovah n’en avaient pas fini avec les difficultés. Bien que la hiérarchie catholique ne puisse plus s’appuyer sur une dictature, elle jouissait toujours de liens puissants avec le parti politique le plus important du pays. Le clergé fit de son mieux pour étouffer les intérêts du Royaume en invoquant les lois fascistes contraires à la Constitution et qui n’avaient pas encore été abrogées.

Quelquefois, les prêtres excitaient des foules fanatiques contre les frères pendant qu’ils étaient réunis ou qu’ils prêchaient. C’est ainsi que dans un article intitulé “Un prêtre excite une foule de femmes et d’enfants contre des ‘Témoins de Jéhovah’ de Molfetta”, le quotidien italien l’Unità disait, dans son édition du 22 septembre 1954:

“Le fanatisme religieux excité par un prêtre [dont suivaient le nom et l’adresse] contre d’honnêtes citoyens, dont le seul défaut est de professer une religion différente de celle du curé susnommé, constitue un incident particulièrement grave (...)

“Il y a quelques jours, les habitants travailleurs et calmes de la ville de Molfetta ont été les témoins d’une scène particulièrement répugnante de persécution religieuse qui rappelle la période la plus obscure de l’Inquisition. Une dizaine de concitoyens s’étaient réunis, comme d’habitude, au 7, Via Zuppetta, lorsque le prêtre [dont suivait le nom] s’est présenté en chantant des cantiques et suivi d’une foule de femmes, d’enfants et de jeunes gens. Il a alors donné le signal pour que commence un tapage monstre qui allait se prolonger plus de deux heures. La manifestation consistait également à jeter des pierres contre les portes et les fenêtres du lieu de réunion, tandis que se prolongeait le tumulte et que la foule hurlait des menaces et des injures. (...)

“Obligés de sortir pour éviter le pire, ces braves gens furent tournés en ridicule, insultés et menacés, puis cernés par une foule incontrôlée de femmes et d’enfants. On les a frappés à coups de pierres et de cailloux avant qu’ils réussissent à gagner le commissariat de police, non seulement pour y trouver protection, mais aussi pour réclamer la punition des instigateurs de cette agression contraire à la loi. Mais le responsable des autorités, sympathisant visiblement avec l’autre camp, ne montra nulle intention d’intervenir pour que soient respectés la loi et les droits garantis par la Constitution. Si bien que les meneurs et les acteurs sont restés impunis, avec l’approbation tacite de ceux dont la tâche consiste à sauvegarder les droits fondamentaux de l’individu et la sécurité personnelle de chacun. Dans ce cas particulier, de tels droits ont été foulés aux pieds et violés de la façon la plus vile et la plus dégradante.”

Dans son édition du 3 janvier 1959, le même journal publiait un article intitulé “Explosion d’intolérance religieuse contre les ‘Témoins de Jéhovah’ à Lapio”. Que s’était-​il passé cette fois? Le 29 décembre 1958, deux proclamateurs, Antonio Puglielli et Francesco Vitelli, prêchaient la “bonne nouvelle” à Lapio, petite ville de la province d’Avellino. Vers 11 heures, ils se trouvèrent face à une foule de jeunes et d’enfants menés par le curé local qui se mit à crier: “Allez-​vous-​en!”, puis: “Vous êtes des ignorants, des bons à rien colporteurs de mensonges! Vous ne comprenez pas la Bible. Vous êtes juste bons à causer du tort aux fidèles.”

Comme il était évident que la foule parlait sérieusement, les deux frères allèrent se réfugier à la mairie, où le curé les suivit jusqu’au premier étage; le maire intervint alors pour les protéger. Qu’en était-​il des autres frères qui prêchaient en ville? Nos deux frères déclarèrent: “Accompagnés par des agents de ville, nous avons regagné le quartier où prêchaient les autres. Nous les avons trouvés cernés par une foule menée par un prêtre menaçant et ce n’est qu’après bien des difficultés que nous avons pu les libérer et les ramener dans le car qui devait nous reconduire. Une fois que nous avons pris place dans le car, le curé s’est tenu devant, pour l’empêcher de partir, et il incita la foule à de nouveaux actes de violence. Heureusement, les gens n’ont plus obéi.”

Ce ne sont là que quelques incidents parmi tous ceux que le clergé a suscités. Pour des raisons évidentes, les journaux qui dénonçaient de tels actes étaient en général des journaux d’opposition, alors que la presse catholique, qui était du côté de la majorité, n’en faisait souvent nulle mention.

Cette hostilité continuelle de l’Église catholique n’est guère étonnante. Son attitude est conforme à celle qu’elle a adoptée chaque fois qu’elle a traité avec d’autres religions. Dans le bimensuel jésuite Civiltà Cattolica du 27 mars 1948, on relève les grands traits de cette politique sous la plume du “père” Cavalli:

“L’Église catholique est convaincue de son droit divin, en tant que seule véritable Église, de revendiquer la liberté d’action pour elle seule, de façon à ce que ce privilège soit réservé uniquement à la vérité et nié à l’erreur. Quant aux autres religions, l’Église ne prendra jamais littéralement l’épée contre elles, mais elle utilisera tous les moyens légaux et efficaces pour veiller à ce qu’on ne leur permette pas de propager leurs fausses doctrines. Par conséquent, dans un État où prédomine le catholicisme, l’Église insistera pour que l’on refuse toute reconnaissance légale aux croyances erronées et pour que, si certaines minorités religieuses persistent, on ne leur tolère qu’une simple existence de facto, mais qu’on leur nie la possibilité de propager leurs croyances. Au cas où les circonstances rendraient impossible l’application rigoureuse de ce principe, soit à cause de l’hostilité du gouvernement, soit à cause de l’importance numérique des groupes dissidents, l’Église s’efforcera de s’obtenir le maximum de concessions pour elle et tolérera l’existence illégale d’autres cultes comme un moindre mal. Dans certains pays, les catholiques eux-​mêmes seront forcés de soutenir le droit absolu à la liberté de religion et de se résigner à cœxister avec d’autres cultes là où eux seuls devraient avoir le droit de prospérer (...).” (C’est nous qui soulignons.)

En d’autres termes, le clergé catholique dit pratiquement à tous les groupements religieux comme les Témoins de Jéhovah: ‘Si nous en avions les moyens, nous nous débarrasserions de vous.’ Mais Jéhovah n’a pas permis à cette opposition de prendre le dessus sur le peuple qui en est venu à ‘connaître son nom’. — Ps. 91:14.

PERTURBATIONS ORGANISÉES DES ASSEMBLÉES

Le clergé a fait tout ce qui était en son pouvoir pour troubler notre activité paisible, adoptant toutes sortes de moyens pour troubler nos assemblées. C’est ainsi que des perturbateurs, en général des jeunes gens, envoyés par les curés, se glissaient dans l’assistance. Ils entraient, s’asseyaient tranquillement quelque temps parmi les délégués, puis commençaient à perturber la réunion en criant et en créant des troubles. C’est alors que la police venait prêter main-forte. Mais, au lieu d’emmener les fauteurs de troubles, elle interrompait bien souvent l’assemblée sous prétexte que la réunion “troublait l’ordre public”.

William Wengert évoque un autre souvenir: “Quand nous commencions une assemblée, nous n’étions jamais sûrs de la terminer. À l’époque il y avait vraiment beaucoup d’incidents et de difficultés.”

Les surveillants de circonscription et de district qui organisaient les assemblées ont trouvé une solution simple et pratique. Ils veillaient à ce qu’il y ait toujours un groupe efficace de frères musclés qu’ils postaient à proximité de l’entrée. Voici par exemple ce que raconte un surveillant itinérant: “L’assemblée de circonscription venait de commencer et on s’attendait à des incidents provoqués par le clergé. Le surveillant de district avait donné des instructions aux frères qui servaient à l’entrée pour qu’ils arrêtent toutes les personnes qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils leur posent discrètement des questions comme ‘D’où venez-​vous?’ ‘Qui est le surveillant de votre congrégation?’ On ne laissait entrer que ceux qui répondaient avec conviction.

“Mais comment réagir si un trublion avait réussi à se glisser dans l’assistance? Dans ce cas, la ‘patrouille volante’, c’est-à-dire un groupe de placeurs à l’aspect particulièrement résolu, se présentait et invitait aimablement le perturbateur à se taire. Si l’agitation se poursuivait, la ‘patrouille’ soulevait discrètement l’agitateur de son siège et l’‘aidait’ à quitter la salle. Comme la police ne nous secondait pas pour maintenir l’ordre dans nos réunions, il nous fallait bien résoudre nous-​mêmes le problème.”

Mentionnons à présent quelques-uns des multiples incidents à mettre au compte du clergé. Le premier d’entre eux se produisit lors d’une assemblée de circonscription qui se tenait à Sulmona, petite ville du centre de l’Italie située dans une vallée fertile des Abruzzes. Le dimanche 26 septembre 1948, près de 2 000 personnes étaient venues assister au discours public, ce qui représentait une foule considérable si l’on se souvient qu’il n’y avait alors que 472 proclamateurs dans tout pays. Mais que se produisit-​il? Voici un extrait de l’édition anglaise de l’Annuaire 1950:

“Le dimanche matin, à 10 h 30, plus de 2 000 personnes affluaient dans la plus grande salle municipale. Il fallut fermer les portes plusieurs minutes avant l’heure prévue pour le discours. Quantité de gens durent être renvoyés, mais non sans avoir reçu au préalable une brochure. Il ne restait plus une seule place libre. Même les allées étaient occupées. À l’intérieur, un auditoire extrêmement attentif montra combien il appréciait et approuvait la vérité en applaudissant plusieurs fois durant la conférence, ainsi qu’au moment de la conclusion.

“Mais avant que la réunion se termine, un jeune militant catholique, qui se tenait au fond de la salle avec des notes que lui avaient remises deux prêtres, gagna l’estrade, leva la main et commença à crier pour demander qu’on l’écoute. Calmement le président lui expliqua que les questions du public recevraient une réponse personnelle et privée après la clôture de la réunion. Mais il était clair que ce fanatique avait l’intention de nous créer des ennuis et d’utiliser nos réunions publiques pour sa propagande religieuse. Il ne fait aucun doute que tout comme le clergé, ce jeune homme était conscient que les bancs étaient vides dans les églises et il cherchait un autre endroit pour haranguer les foules. À l’instigation des prêtres qui le conseillaient, et qui agissaient en sous-main, le jeune homme joua des coudes jusqu’à l’estrade dès la clôture de l’assemblée, agita les bras comme un forcené et se mit à crier à s’en faire éclater les poumons pour attirer l’attention. À l’arrière, les deux curés, rentrant la tête dans les épaules pour cacher leur col retourné, se mirent à crier et à siffler en signe d’approbation, espérant susciter ainsi un élan d’enthousiasme pour leur homme de main. Mais cela ne marcha pas. L’auditoire refusa cette tentative d’invitation au prosélytisme religieux. Au lieu d’applaudir le jeune homme et de lui permettre de parler, les membres de l’auditoire le noyèrent sous leurs protestations, aux cris des ‘Fascistone!’ [fasciste!], ‘Vergogna!’ [c’est une honte!] ‘Combien te paient-​ils pour faire cela?’ Voyant que les choses tournaient mal, l’intrus quitta d’un bond la scène et disparut rapidement avec les prêtres qui l’accompagnaient. Ensuite, l’assistance quitta la salle, tranquillement et dans l’ordre, et accepta avec plaisir la brochure gratuite qui était remise à chacun.”

Le récit se conclut sur ces mots: “Les rôles avaient changé, et, une fois de plus, Jéhovah nous avait fait remporter la victoire.”

LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE DISTRICT

Nous allons à présent vous décrire un autre épisode d’intolérance religieuse. Nous devions tenir notre première assemblée de district jamais organisée en Italie au Teatro dell’Arte de Milan, du 27 au 29 octobre 1950. Au tout dernier moment, le commissaire de police annula notre autorisation de tenir l’assemblée à cet endroit. Les deux frères responsables de l’organisation de l’assemblée apprirent que la mesure avait été prise afin d’éviter des réactions des catholiques, qui pourraient se juger offensés par une réunion protestante. Quelle absurdité! Ce n’était qu’une excuse pour empêcher des citoyens honnêtes de jouir paisiblement de leur droit de réunion.

Malgré la logique de ce genre d’argument et de bien d’autres que les frères présentèrent au chef de la police, celui-ci refusa de revenir sur sa décision. Quand, et dernier ressort, les frères menacèrent d’informer la presse de cet abus de pouvoir, il ne sut que dire et les expulsa de son bureau. En reliant ses dires à d’autres faits que nous avons en notre possession, nous avons la certitude que le clergé agissait en sous-main. Cette fois il avait mis au point une nouvelle méthode, en jouant sur son influence auprès des forces de police.

Frère George Fredianelli, le surveillant adjoint du congrès, poursuit:

“Les choses se présentaient ainsi: il restait à peine 24 heures avant le début de l’assemblée; les frères arrivaient à Milan depuis toute l’Italie, et nous ne pourrions pas trouver une autre salle. Qu’allions-​nous faire? Nous étions très inquiets. Mais, là encore, Jéhovah est intervenu en notre faveur.

“Le matin du jour précédant l’assemblée, frère Anthony Sideris, le surveillant de l’assemblée, et moi-​même étions sortis à la recherche d’une autre salle. Lorsque nous sommes passés devant un lopin de terre entouré par une haie, nous avons tout à coup eu une idée: ‘Pourquoi ne pas demander au propriétaire s’il nous laisserait utiliser son terrain pendant trois jours?’ Ce dernier nous loua le terrain à un prix très raisonnable, et nous partîmes donc chercher un grand chapiteau pour tenir l’assemblée. Finalement, nous avons trouvé une célèbre usine de tentes qui était disposée à nous en louer et même à nous aider à les monter. Ils étaient ravis de la publicité que cela allait leur faire.

“Mais il nous restait un autre problème: obtenir une nouvelle autorisation. Comme il n’y avait que peu de chances, voire aucune, que nous la recevions à temps, nous avons décidé de placer les autorités devant le fait accompli. Il n’y avait pas d’autre alternative. Nous ne pouvions tout de même pas renvoyer les frères chez eux. Nous avons donc dressé les chapiteaux et organisé les différents services du jour au lendemain, à l’insu de quiconque. Le lendemain matin, à 9 heures, l’assemblée commençait comme prévu.

“Peu après, la police se présenta. Les policiers sautèrent de leur jeep, armés jusqu’aux dents. Quel contraste avec nous! Quelle situation ridicule! Voilà que des policiers armés venaient surveiller des gens réunis paisiblement pour chanter des cantiques. Frère Sideris déclara aux autorités que si elles interrompaient l’assemblée, elles auraient à le regretter. Les faits seraient signalés à la presse locale et internationale, pour montrer que l’on n’observait pas la nouvelle Constitution italienne et qu’il y avait une résurgence de dictature fasciste. Intimidés, les policiers rebroussèrent chemin pour demander à leur supérieur des instructions. Ils revinrent un peu plus tard nous informer que nous pouvions poursuivre notre assemblée.”

Nous étions près de 800 au moment du discours public et il y eut 45 baptêmes. Comme les tentes avaient été dressées dans un quartier où se trouvaient plusieurs usines, les frères eurent l’occasion de donner le témoignage à beaucoup d’ouvriers qui profitaient de leur pause du déjeuner pour venir voir ce qui se passait. Qu’est-​ce qui pouvait bien se tenir sous ces tentes par le temps froid et humide d’octobre? Fern Fraese n’a pas oublié: “Pour écouter le programme, nous avions nos manteaux sous lesquels beaucoup tenaient une bouteille d’eau chaude pour se réchauffer. Néanmoins, nous étions très heureux et ravis de recevoir une aussi bonne nourriture spirituelle.”

L’INTOLÉRANCE DU CLERGÉ SE RETOURNE CONTRE LUI

Un autre épisode d’intolérance fomentée par le clergé eut lieu durant la dernière semaine de juin 1951, à l’occasion d’une assemblée de circonscription qui devait se tenir à Cérignole. Que se passa-​t-​il donc? Voici ce qu’on peut lire dans l’édition anglaise de l’Annuaire 1952:

“À midi, deux policiers se sont présentés dans la salle pour nous aviser que nos réunions ‘privées’ y étaient interdites. Nous nous sommes immédiatement rendus au commissariat local de la police, pour savoir ce qui se passait. En entrant dans le commissariat, nous avons croisé un jeune prêtre qui quittait les lieux, un grand sourire aux lèvres. Il avait l’air bien joyeux, et nous avons appris que la police lui avait donné des raisons d’être satisfait. Le ‘commissario’ lui-​même nous fit comprendre clairement que notre permis délivré par la police avait été annulé pour des raisons qui le dépassaient lui-​même. Les autorités lui avaient fourni comme ‘raison’ que la salle ne présentait pas des conditions de sécurité suffisantes, mais personne ne pouvait le croire. Après une discussion quelque peu échauffée, on nous conseilla de nous rendre dans la capitale provinciale et de parler au ‘patron’, le ‘questore’.

“Quelques heures plus tard, en entrant au siège provincial de la police, nous avons rencontré, à notre grande surprise, le même curé que nous avions croisé au bureau du ‘commissario’, mais accompagné cette fois d’un prêtre plus âgé et qui semblait plus haut placé. Par la suite, nous avons appris plus tard que ce dernier était le ‘vicario’ de la ville où nous devions tenir notre assemblée. Les prêtres attendaient de parler avec le ‘questore’, mais lorsque son adjoint, le chef de la police, se présenta, ils demandèrent à le voir plutôt dans son bureau. Quelques minutes plus tard arriva le ‘questore’ (...). Il montra sans équivoque qu’il avait déjà pris sa décision avant même d’écouter nos arguments, puis (...) il se mit à nous menacer de nous arrêter pour avoir loué une salle qui, à son avis, ne se prêtait pas aux réunions. Sa tactique consistait à nous effrayer et à nous donner l’impression que nous étions les coupables et que nous méritions d’être remis en place. (...)

“Mais nous étions résolus à ne pas céder à cette action arbitraire, fascisante, de la police sans nous battre et, pendant plus d’une heure, nous sommes restés dans le bureau du ‘questore’ et avons débattu avec lui de l’aspect légal de l’affaire.”

Malgré tout cela, le questore ne revint pas sur sa décision. Qu’allait donc devenir l’assemblée? Le rapport poursuit:

“Nous sommes revenus et avons pris des dispositions pour tenir l’assemblée dans deux foyers privés. Avec des haut-parleurs, nous avons donné le même programme simultanément aux deux endroits. L’intolérance du clergé souleva l’indignation de nombre de personnes sincères, bien que les prêtres aient essayé de se couvrir en annonçant le lendemain dans l’église que personne ne devrait assister à la réunion des Témoins de Jéhovah ce jour-​là, alors qu’ils savaient pertinemment qu’elle avait été interdite et qu’elle ne se tiendrait donc pas. (...) Mais, là encore, les prêtres furent vaincus, car les Témoins de Jéhovah refusèrent de se taire et continuèrent de dénoncer l’hypocrisie et les enseignements fallacieux des fanatiques religieux, ce qui permit d’ouvrir les yeux à davantage de personnes bien disposées.”

UNE LONGUE BATAILLE LÉGALE

En 1956, il y avait environ 190 000 non-catholiques en Italie. À l’époque, les proclamateurs du Royaume n’étaient que quelques milliers, mais ils se montraient actifs et zélés. Par contraste avec l’expansion extraordinaire des Témoins de Jéhovah, les autres religions avaient, en général, subi un déclin régulier. La vérité se propageait comme une traînée de poudre, particulièrement le long de la côte Adriatique, dans les Abruzzes et en Romagne, où des proclamateurs zélés se rendaient en cars pour prêcher dans les villes avoisinantes jusqu’à ce que des congrégations s’établissent là aussi.

Sentant le danger venir, la hiérarchie catholique essaya d’organiser une campagne contre notre prédication. L’Osservatore Romano, l’organe du Vatican, dans ses éditions du 1er et du 2 février 1954, encouragea le clergé et les membres de l’Église à s’opposer à l’œuvre effectuée par les Témoins de Jéhovah. Bien que les articles n’aient pas cité de nom, ils étaient visiblement dirigés en premier lieu contre les Témoins de Jéhovah. En effet, on relève ce qui suit:

“Nous souhaitons également attirer l’attention sur l’intensification de la propagande protestante, généralement d’origine étrangère, qui a pour objectif de semer des erreurs pernicieuses dans ce pays (...). Nous aimerions inviter tous les curés de paroisse, les organisations ecclésiastiques et les fidèles à veiller assidûment aux manifestations de cette propagande et à informer les autorités compétentes avec toute la promptitude voulue.” (C’est nous qui soulignons.)

Les “autorités compétentes” mentionnées ici ne pouvaient désigner que la police. Ainsi, le Vatican incitait bel et bien les prêtres à faire arrêter les proclamateurs. En effet, des centaines d’entre eux furent gardés à vue après avoir été arrêtés par la police. Nombre d’entre eux furent relâchés aussitôt, mais d’autres furent condamnés à une amende ou emprisonnés. Le peuple de Jéhovah dut mener une longue bataille légale, jusqu’au début des années 70. Entre 1947 et 1970, plus de 100 cas de Témoins de Jéhovah furent portés devant les tribunaux.

On accusait les proclamateurs de violer les articles 113, 121 et 156 du code de police fasciste. Ces articles exigeaient que quiconque distribuait des imprimés (art. 113), participait à une vente de porte en porte (art. 121) ou collectait de l’argent pour quelque raison que ce soit (art. 156), possède une licence ou soit enregistré officiellement.

Il est évident que les proclamateurs du Royaume ne se livraient pas à une activité commerciale et qu’ils n’effectuaient pas non plus de collectes. Lorsqu’ils prêchent la “bonne nouvelle”, ils laissent des périodiques ou d’autres publications contre une contribution volontaire, pour les personnes qui sont à même de la donner. Donc, notre œuvre doit être considérée comme la propagation de convictions religieuses ou, ainsi que le stipule l’article 19 de la Constitution italienne, comme une façon de faire la “propagande” de sa foi. De toute évidence, on s’efforçait à l’époque de mettre en vigueur des lois sur la répression de la liberté de culte. Finalement, en 1956, cette partie de l’article 113 qui interdisait la distribution d’imprimés sans licence fut reconnue contraire à la Constitution et abrogée.

Presque tous les procès eurent une issue favorable, et les quelques frères condamnés furent acquittés un peu plus tard en appel. Quelques cas durent être examinés par la cour de cassation, mais tous les verdicts furent rendus en faveur des frères.

Examinons quelques-uns de ces procès pour illustrer combien les accusations portées contre nos frères n’étaient que des prétextes pour arrêter l’œuvre. Frère Romolo Dell’Elice, qui sert au Béthel depuis plus de 32 ans, a été condamné par le tribunal de première instance de Rome “à une amende de 4 000 lires (...) pour s’être livré à la mendicité à l’occasion de la distribution de brochures et de tracts”. Frère Dell’Elice s’est porté en appel et a été acquitté par le tribunal de Rome le 2 décembre 1959. Il fut reconnu que “la distribution des brochures et des tracts susmentionnés ne constitue nullement une forme de mendicité. Elle s’intègre au contraire à une propagande religieuse en faveur des (...) Témoins de Jéhovah”.

UNE ASSEMBLÉE À ROME!

Depuis bien des années, les frères souhaitaient une assemblée à Rome. Même les frères jugés devant le Tribunal spécial s’étaient demandé intérieurement si un jour nous pourrions tenir une assemblée à Rome et nous réunir librement dans cette ville même où on les emprisonnait.

Cette attente reçut une réponse en décembre 1951, lorsqu’une assemblée nationale se tint dans les locaux de la Foire de Rome. Elle avait pour thème “Le culte pur”, ce qui contrastait notoirement avec la religion qui prospérait traditionnellement dans cette cité historique. Comme des frères de 14 autres pays d’Europe étaient présents, l’assemblée revêtit un caractère international. Dans son édition anglaise, l’Annuaire 1953 publia le rapport suivant:

“L’assemblée de Rome a constitué le clou inoubliable de l’année. Quand on a annoncé que le président de la Société la présiderait, les frères italiens ont été résolus à faire tous les sacrifices pour y être. En Italie, la pauvreté rend difficile les voyages à l’étranger pour assister à une assemblée internationale. Aussi, lorsque frère Knorr suggéra que l’on invite les pays voisins à assister à l’assemblée de Rome, la réaction des frères fut excellente. Pus de 700 à 800 délégués arrivèrent de Grande-Bretagne, du Danemark, de France, de Belgique, de Suisse et de nombreux autres pays d’Europe. C’est ce qui donna à l’assemblée de Rome un caractère international que jamais les frères d’Italie n’oublieront. Ce fut leur premier avant-goût de l’amour et de l’unité qui existent entre les frères appartenant à des races et à des nationalités différentes. À présent, nous pouvons attendre avec impatience d’autres rassemblements aussi bénis du peuple de Jéhovah en Italie ainsi que dans d’autres pays, et nous savons que nos frères feront de plus grands efforts encore pour assister aux assemblées dans l’avenir.”

CAMPAGNE AVEC UNE BROCHURE SPÉCIALE

Deux événements importants marquèrent l’année 1955. Le premier fut une campagne mondiale avec la brochure Qui est la “lumière du monde”, la chrétienté ou le christianisme?. Chaque proclamateur fut invité à en distribuer 30 exemplaires, tous les membres du clergé italien devant recevoir cette brochure par la poste. Cela exigeait un travail considérable pour se procurer toutes les adresses et expédier 100 000 exemplaires de la brochure, en les accompagnant à chaque fois d’une lettre.

Peu de membres du clergé répondirent aux lettres des proclamateurs, mais certains réagirent violemment par des lettres ouvertes aux journaux. C’est ainsi que le 4 septembre 1955, le journal catholique de Faenza Il Piccolo publia un article qui portait ce gros titre: “Attention aux faux prophètes — notre réponse aux Témoins de Jéhovah”. Dans le corps de l’article, on relevait ce qui suit:

“Dernièrement, les Témoins de Jéhovah (que la plupart des gens appellent les bigots de la Bible) ont expédié une brochure de leur propagande aux prêtres et aux institutions religieuses en leur demandant une réponse.” Après avoir décrit les Témoins comme “de pauvres imbéciles” dotés “d’une incroyable ignorance ainsi que d’un entêtement et d’une présomption outrageux”, l’article concluait en leur conseillant de “méditer” sur un extrait de la Divine Comédie de Dante.

Ce type d’article et bien d’autres furent écrits contre les Témoins de Jéhovah. Dans certains cas, les articles eurent pour effet d’éveiller la curiosité des gens, les amenant à poser quantité de questions lorsque nous leur rendions visite chez eux.

L’ASSEMBLÉE DU “ROYAUME TRIOMPHANT”

L’autre événement marquant de l’année 1955 fut l’assemblée du “Royaume triomphant”. Parmi les 4 351 congressistes venus à cette assemblée internationale se trouvaient des délégués de 32 pays. Il y eut 378 baptêmes, ce qui veut dire que près de 10 pour cent de l’assistance symbolisa son vœu par le baptême d’eau. Ce chiffre était vraiment remarquable. Cinq trains spéciaux étaient venus de Paris, remplis de frères dont la plupart arrivaient des États-Unis. Leur venue causa un certain émoi, car c’était la première fois que Rome recevait en une seule fois un aussi important groupe de touristes américains.

Il n’avait pas été facile d’obtenir le Palazzo dei Congressi pour tenir notre assemblée. À l’époque, cette salle de congrès était l’une des plus belles d’Europe. Elle était plaquée de marbre blanc et entourée de parcs de verdure que les délégués de l’assemblée pouvaient utiliser. Notre première demande avait été acceptée, et tout semblait se dérouler normalement lorsque, dix jours avant la date prévue pour le début de l’assemblée, on nous avisa que l’on nous retirait la permission d’utiliser la salle. On nous déclara officiellement que l’on en avait besoin pour un autre engagement. Finalement, deux jours avant la date limite, quand il semblait que l’assemblée ne pourrait pas se tenir à Rome, la direction nous informa que, en fin de compte, nous pourrions avoir la salle.

Qui donc tirait les ficelles en coulisses? La réponse apparut dans un article intitulé “La Tour de Babel — une corneille à Campidoglio”. L’article était publié par le journal Meridiano d’Italia, dans son édition du 30 octobre 1955. Il déclarait:

“Il semble que M. Cornacchiola, [dont le nom signifie littéralement ‘petite corneille’] conseiller démocrate chrétien de la ville de Rome, est encore plus favorable au Vatican que M. Rebecchini [le maire de Rome de l’époque], lequel occupe pourtant une position, même si ce n’est qu’à titre honorifique, dans la Cité du Vatican.

“En effet, M. Cornacchiola — oui, c’est bien son nom, Cornacchiola — a demandé au maire de Rome d’expliquer ‘pourquoi les locaux de l’EUR [Esposizione Universale Roma] allaient être utilisés par une secte protestante, celle des “Témoins de Jéhovah”, pour leur assemblée’. Pour le bien du peuple de Rome, le conseiller Cornacchiola déclara qu’il souhaitait ‘protester contre cette situation et reprendre les responsables de l’affaire. Rome, résidence du Vicaire de Notre Seigneur Jésus Christ, ne saurait tolérer semblable rassemblement qui offense la résidence du pape’.”

“Or, poursuit l’article, à part le fait que le permis en question a été délivré par la ‘Prefettura’ (en la personne du ministre, M. Tambroni, membre influent de l’‘Azione Cattolica’ [l’Action catholique]), il faut garder présent à l’esprit que Rome est la résidence du chef de l’État de la République italienne, alors que le Vicaire du Christ réside dans la Cité du Vatican.

“Entre autres tâches, le président Gronchi a pour rôle de sauvegarder la Constitution de la République italienne, qui stipule, dans son article 8, que ‘toutes les religions ont le même droit de s’exercer et de s’organiser d’après leurs statuts individuels’.

“Si M. Cornacchiola fait une exception à la Constitution italienne, il devrait commencer par donner sa démission du poste qu’il occupe dans le Conseil municipal de Rome.”

De plus, la presse publia des commentaires favorables sur la conduite des Témoins. Dans son édition du 7 août 1955, Il Giornale d’Italia publiait ce qui suit:

“L’observateur impartial ne manquera pas d’être impressionné par trois points particuliers: Premièrement, la conduite exemplaire des assistants, qui suivent dans un silence respectueux et avec un intérêt spirituel évident tout ce qui est dit; deuxièmement, le fait que l’on puisse réunir tant de races différentes au nom d’une religion qui, apparemment, inspire leurs pensées et leurs actions avec autant de sérénité que de droiture morale; troisièmement, le nombre exceptionnel d’enfants, âgés d’un an à treize ans, aussi bien des Noirs que des Blancs ou des Jaunes, qui, fait étonnant, se sont tous bien conduits, quand ils n’étaient pas occupés à chercher des versets dans la Sainte Bible tout en suivant l’allocution de leur prédicateur.”

Les nouvelles publications présentées à l’assemblée furent accueillies avec un immense enthousiasme. La nouvelle la plus excitante était assurément que Réveillez-vous! allait être publié en italien à partir du 8 août 1955. Parmi les publications présentées en italien figuraient le livre “De nouveaux cieux et une nouvelle terre” ainsi que les brochures Raisons de croire en un monde nouveau, Conquête prochaine du monde par le Royaume de Dieu et “Cette bonne nouvelle du royaume”.

DEUX VICTOIRES MARQUANTES EN 1957

En 1957, les Témoins de Jéhovah italiens ont remporté deux victoires marquantes. La première avait trait aux 26 frères condamnés par le Tribunal spécial. Après la chute du fascisme, beaucoup de gens qui avaient été condamnés par cette juridiction avaient fait réviser leur procès et s’étaient vus acquittés. Les frères fidèles savaient qu’ils avaient subi une injustice en raison de leur position. Bien que ne se souciant pas particulièrement de leur statut aux yeux du monde, ils avaient décidé de demander une révision de leur procès, afin de défendre les droits des Témoins de Jéhovah en tant que peuple. Cette mesure était nécessaire, car le Tribunal spécial avait accusé l’organisation théocratique d’être “une société secrète qui se livrait à des activités visant à changer la forme de gouvernement et à répandre une propagande nuisible pour l’identité nationale”; ils étaient également censés poursuivre “des objectifs criminels”.

Il était donc de notre intérêt que soient cassés de tels verdicts, afin d’établir de bonnes relations avec les autorités gouvernementales.

Le procès fut révisé par la cour d’appel d’Aquila, le 20 mars 1957, en présence de 11 des 26 frères concernés. L’un des avocats de la défense était Nicola Romualdi. Sans être Témoin, cet avocat n’avait pas hésité à défendre les droits de nos frères dès le début des années 50, alors qu’il était très difficile de trouver des avocats disposés à nous défendre. Depuis plus de 30 ans, cet homme défend spontanément des centaines de nos frères qui combattent pour faire valoir leurs droits à la neutralité chrétienne ainsi que leur liberté de prêcher la “bonne nouvelle”.

Le compte rendu des débats révèle que lorsque Maître Romualdi expliqua à la cour que les Témoins de Jéhovah considéraient la hiérarchie catholique comme une prostituée, à cause de son ingérence dans les affaires politiques, “le regard des juges se croisa, et ils échangèrent un sourire”. La cour décida de casser les verdicts précédents, reconnaissant par conséquent que l’activité des Témoins de Jéhovah n’était ni illégale ni subversive.

L’autre victoire fut remportée à l’occasion de l’assemblée de district de Milan, à la fin juin. Cette assemblée avait commencé le jeudi après-midi dans la salle des Jardins d’Hiver de l’Odéon, et tout alla bien jusqu’à la clôture de la session du soir, moment où se produisit un fait insolite. Frère Roberto Franceschetti raconte ce qui suit:

“Il restait encore dix minutes avant que le programme s’achève lorsque l’orateur, Giuseppe Tubini, conclut son discours à la hâte et invita toutes les personnes présentes à se préparer pour la prière finale. Tout le monde avait remarqué que le discours s’était terminé brusquement et qu’il n’y avait pas eu de cantique de clôture. Pourquoi? Pendant que les Témoins étaient debout, près de l’entrée principale, inclinant respectueusement la tête durant la prière, ils se sont trouvés entourés par des individus qui gardaient la tête droite pendant toute la prière et portaient une coiffure. Il ne pouvait s’agir que d’agents de police.

“Les détails, nous les avons appris un peu plus tard. Au moins 30 à 40 agents de police étaient entrés dans la salle et avaient ordonné l’interruption de l’assemblée sous prétexte que les propriétaires de la salle n’avaient pas rempli les demandes d’autorisation nécessaires. Les responsables de l’assemblée avaient essayé de faire valoir que la clôture allait pénaliser les Témoins et non pas les propriétaires, mais en vain. Comme le vendredi matin avait été prévu pour le témoignage dans le champ, les services s’occupant des territoires, des périodiques et des publications fonctionnaient dans une rue avoisinante. Tout le monde reçut ce qui était nécessaire pour s’acquitter comme prévu de cette activité. Mais, tandis que nous cherchions fiévreusement une nouvelle salle, les heures s’écoulaient rapidement. Deux heures avant la reprise du programme, nous n’avions toujours pas trouvé de solution.

“C’est alors que les propriétaires des jardins d’Hiver nous firent savoir qu’ils avaient trouvé un local au cinéma Arenella. Tous les frères prêtèrent main-forte, et les différents services furent déménagés d’un endroit à l’autre en un rien de temps. Malgré tous ces événements, la session reprit à l’heure dite.

“Mais la police n’abandonnait pas. Elle revint dans la nouvelle salle pour créer d’autres difficultés. Comme j’étais placeur, on m’avait dit de ne laisser entrer aucune personne de l’extérieur dans la salle, pas même la police. Je me suis donc retrouvé face à un ‘commissario’ de police et deux de ses adjoints. Je les ai arrêtés et leur ai demandé d’attendre un instant. Nullement impressionnés, ils persistaient dans leur intention d’entrer. J’ai donc été obligé d’étendre la main et d’arrêter le ‘commissario’ en le retenant par sa chaîne de montre. Mes genoux tremblaient, mais, heureusement, le surveillant de l’assemblée est intervenu à point nommé.”

L’assemblée put se tenir, et les frères furent particulièrement édifiés et réjouis par cette victoire manifeste. Mais l’affaire n’allait pas en rester là. Une campagne de presse sans précédent se déroula en notre faveur. Nombre de journaux décrivirent la manière d’agir de la police comme “un abus d’autorité sans précédent”, et son intervention illégale fut l’objet de questions orales au Parlement durant une session du Sénat. Voici ce que rapporté Il Paese à ce sujet, dans son édition du 8 février 1958:

“La partie la plus animée de la session fut celle des questions orales. En effet, plusieurs questions portaient sur un sujet assez délicat, celui de l’interférence de l’État dans les activités religieuses. Un sénateur républicain, M. Spallicci, demanda pourquoi la Questura de Milan avait ordonné l’arrêt immédiat d’une assemblée organisée par l’Association culturelle et religieuse des ‘Témoins de Jéhovah’ (ou Étudiants de la Bible), alors qu’elle se tenait dans une salle privée. Dans sa réponse, le sous-secrétaire du ministère de l’Intérieur, le Très Honorable Bisori, se montra plutôt évasif. Il expliqua que ces mesures avaient été adoptées pour des raisons d’organisation. Dans une ambiance d’ironie générale, le représentant du gouvernement déclara que cette mesure ne visait nullement à limiter la liberté de culte. Au contraire, elle avait été provoquée par un défaut d’observation des règles de sécurité publique.”

À la suite de cet incident, le nom de Jéhovah et celui de son peuple furent portés à l’attention générale, jusque dans les milieux gouvernementaux. Mais qui avait réellement intérêt à ce que l’assemblée soit interrompue? L’hebdomadaire libéral romain Il Mondo publia cette remarque dans son édition du 30 juillet 1957:

“Dans son article 17, la Constitution garantit à tous les citoyens le droit de se réunir du moment qu’il y a de l’ordre. Le premier paragraphe spécifie que ‘les autorités n’exigeront aucune notification préalable au sujet des réunions publiques’. En outre, l’assemblée tenue à l’Odéon était prévue pour les adhérents d’une association religieuse. Comme la salle en question avait été louée pour quatre jours, elle devait être considérée comme un lieu de réunion privé pendant toute la durée de ce contrat. Non seulement tout avait été prévu conformément à la loi, mais il faut même reconnaître aux organisateurs une correction scrupuleuse, puisqu’ils ont informé suffisamment à temps la Questura de leur réunion. Après tout, les Témoins de Jéhovah ne sont ni des conspirateurs clandestins contre la sécurité de l’État ni de dangereux agitateurs.

“Il est évident que le respect scrupuleux de la loi et des responsabilités civiques compte très peu lorsque les autorités de l’État profitent d’une législation sur la sécurité qui remonte au fascisme pour satisfaire l’archevêque [Giovanni Battista Montini, qui allait devenir par la suite le pape Paul VI].”

UNE RÉSOLUTION HARDIE

Pour tous les Témoins de Jéhovah du monde entier, l’été 1958 fut mémorable. C’est en effet à cette date que se tinrent simultanément au Yankee Stadium et aux Polo Grounds de New York les sessions de l’assemblée internationale ayant pour thème “La victoire divine”. Parmi les 253 922 délégués qui composaient l’assistance se trouvait un petit groupe d’italiens. Ils revinrent chez eux bouillonnants de joie et émerveillés par ce qu’ils avaient vu et entendu.

Le programme de l’assemblée de New York fut repris lors des assemblées de district tenues à Florence, à Naples et à Messine, et jamais les personnes présentes n’oublieront la résolution hardie intitulée “Comment la chrétienté a-​t-​elle failli à sa mission envers l’humanité?”, résolution qui fut adoptée pendant le programme.

Comme on pouvait s’y attendre, les frères étaient remplis d’enthousiasme, particulièrement en apprenant que cette résolution allait être distribuée durant une campagne spéciale. En décembre 1958, chaque proclamateur fut invité à en distribuer 100 exemplaires, ce qui porta à un demi-million le nombre de brochures diffusées dans toute l’Italie.

LA VRAIE LIBERTÉ À SAINT-MARIN

Lorsque les touristes se rendent à Saint-Marin par la route principale, ils sont accueillis dans la plus vieille république du monde par le slogan “Bienvenue dans la terre séculaire de la liberté”. L’œuvre des Témoins de Jéhovah dans cette république indépendante, complètement cernée par le territoire italien, se fait sous la supervision de la filiale italienne.

Quand donc la véritable liberté arriva-​t-​elle dans ce petit État d’à peine 60 kilomètres carrés? Des pionniers spéciaux avaient commencé à visiter ce territoire en 1958. Un peu plus de dix ans plus tard, un petit groupe de neuf proclamateurs fut établi. Ce groupe devint une congrégation en 1971. En 1972, on tint la première assemblée de circonscription dans la République, avec une assistance de 1 700 personnes. Cet événement insolite donna assurément matière à réflexion aux habitants de la localité. À l’heure actuelle, la congrégation comprend 81 proclamateurs actifs, nombre appréciable quand on considère que Saint-Marin compte un Témoin pour 252 habitants.

LA QUESTION DE LA NEUTRALITÉ

Dans la congrégation chrétienne, les jeunes gens prennent à cœur l’exhortation divinement inspirée qui les invite à “forger leurs épées en socs de charrue et leurs lances en cisailles à émonder”. (És. 2:4.) Ils prennent donc personnellement position pour maintenir leur neutralité à l’égard des controverses mondiales. — Jean 17:14, 16.

Nous avons déjà décrit l’“odyssée” de Remigio Cuminetti ainsi que les procès par lesquels avaient dû passer les jeunes Témoins dans les années 30. Malgré tout, le problème de la neutralité chrétienne allait revêtir un caractère encore plus brûlant après la Seconde Guerre mondiale, lorsque de plus en plus de jeunes chrétiens manifestèrent, par motif de conscience, le désir de se tenir séparés du monde.

Les premiers frères traduits devant les tribunaux à l’époque furent condamnés à de lourdes peines et en purgèrent péniblement une bonne partie en prison. Certains avaient été condamnés jusqu’à cinq et six fois, chaque sentence ajoutant quatre années d’emprisonnement, voire plus. La raison en était que lorsqu’un jeune témoin sortait de prison, on lui demandait de nouveau d’effectuer son service militaire et on le renvoyait en prison chaque fois qu’il refusait d’obéir. En théorie, ces condamnations en chaîne auraient pu durer jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 45 ans, âge à partir duquel on n’est plus susceptible d’être appelé. Mais en général, après quelques condamnations, les autorités militaires exemptaient les frères pour motif de santé, afin d’éviter d’en faire des martyrs. On les classait comme “paranoïaques religieux” ou “délirants religieux”. En d’autres termes, on les considérait comme des malades mentaux.

Le bref récit d’expériences faites par des frères qui ont dû surmonter cette épreuve est édifiant pour nous. Par exemple, Ennio Alfarano, condamné à cinq reprises durant les années 50, se souvient de quelle manière il réussit à traverser cette période critique:

“J’avais été mis en prison à Gaète. Le capitaine avait essayé d’obliger trois d’entre nous à faire le salut militaire. Comme nous avions refusé, il nous avait punis en nous attachant les bras et les jambes dans le dos pendant huit heures. C’était extrêmement douloureux. Néanmoins, nous gardions tout notre courage en priant et en chantant pour nous exhorter mutuellement. Cela nous avait aidés. Ensuite, nous étions censés rester au pain et à l’eau pendant trois jours, mais d’autres frères de la prison l’avaient appris et réussirent toujours à nous procurer de la nourriture.”

Voici les souvenirs d’un autre Témoin condamné à cinq reprises entre 1956 et 1961, Giuseppe Timoncini:

“Les autorités militaires avaient essayé de me décourager en disant: ‘Aucun Témoin de Jéhovah ne résiste longtemps. Au pire, il supporte un procès, puis il décide de faire son service militaire.’ D’habitude, je répondais que ce n’était pas vrai. C’est alors que l’on me présentait une liste de noms de tous ceux qui avaient accepté d’entrer dans les rangs de l’armée. Évidemment, les noms étaient fictifs.

“Pour m’aider à supporter les mois d’isolement, j’essayais de penser le moins possible à la fin de ma peine, si bien que, parfois, j’oubliais complètement combien de mois et de jours il me restait à faire. Je pense que cette période de ma vie m’a donné une formation utile. Elle m’a permis d’apprendre à m’adapter à toutes les situations et à me confier humblement et davantage en Jéhovah Dieu.”

Lisons également le récit de Gino Tosetti, qui a passé plus de quatre ans en prison:

“Mes premiers jours dans l’isolement de la prison furent très durs. Je me rappelle ce qui est arrivé à Palerme: Un matin, le garde m’a réveillé en me disant: ‘Tosetti, sors du lit. Il y a un tas de bois à fendre.’ Tous les matins, en effet, il me faisait couper du bois, mais, ce jour-​là, je n’étais plus en état de le faire. Mes mains avaient tant d’ampoules et me faisaient si mal que je n’aurais même pas pu tenir le manche de la hache.

“J’ai demandé à voir le docteur. ‘Tu ne peux rester au lit que si tu as de la fièvre. Si tu n’en as pas, tu auras des ennuis.’, me rétorqua-​t-​il en s’en allant. M’attendant au pire, j’ai prié Jéhovah de m’aider et, à ma grande surprise, quand on vint prendre ma température, le thermomètre marquait 39° C.

“J’avais quantité d’occasions pour tonner le témoignage. Un jour, j’ai pu parler à un groupe d’une quarantaine de soldats, debout autour de moi, qui m’ont écouté attentivement pendant près de deux heures. Notre bonne conduite encouragea quantité de gens, y compris des gardiens, à accepter la vérité. Un matin, un soldat de garde m’a dit: ‘Tosetti, je te prie de me pardonner pour toutes les mauvaises choses que je t’ai faites. Malgré ma conduite, tu n’as jamais essayé de me rendre la pareille. L’année dernière, j’étais de garde, et j’ai lu ta revue ‘La Tour de Garde’. Cela m’a aidé à comprendre quantité de choses que je ne jugeais pas importantes. Je veux que tu m’aides à mieux les comprendre.’

“Ce jeune soldat avait toujours été le premier à me créer des ennuis, mais j’étais plus que disposé à lui pardonner. Par la suite, nous nous sommes perdus de vue et plusieurs années se sont écoulées. Un jour, alors que j’avais recouvré la liberté et que j’assistais à une assemblée de district, un homme s’est présenté à moi et m’a dit: ‘Eh bien, tu ne te rappelles pas de moi [il m’a alors donné son nom]? J’ouvrais et je fermais les portes de la prison pour toi, et tu me parlais de la vérité.’ Il était devenu frère. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, les larmes aux yeux.”

À mesure qu’augmentait le nombre des Témoins, cette question de la neutralité attirait continuellement l’attention du public et des autorités. Finalement, une loi fut promulguée selon laquelle ceux qui ne voulaient pas faire de service civil seraient condamnés à une seule peine de prison, si bien qu’à l’heure actuelle, nos frères font entre 12 et 15 mois de prison.

Pendant tout ce temps, les conditions qui régnaient dans les prisons militaires s’étaient également améliorées. Les Témoins ont à présent des réunions régulières et une bibliothèque théocratique qui les aide dans leur étude personnelle. Ils peuvent tenir des assemblées de circonscription et de district, et même jouer des drames bibliques en costume. On leur a aussi permis de baptiser certains d’entre eux qui avaient décidé de vouer leur vie à Jéhovah alors qu’ils se trouvaient en prison. Chaque prison militaire reçoit régulièrement la visite de chrétiens qui sont anciens dans les congrégations et nommés spécialement à cette tâche.

Entre 1978 et 1980, il y a eu, en moyenne, 500 jeunes frères chaque année en prison pour cette question de la neutralité. On a calculé que, jusqu’à présent, plusieurs milliers de Témoins ont gardé une conscience pure devant Jéhovah Dieu sous ce rapport. En décembre 1980, le ministre de la Défense a annoncé sur une chaîne de télévision nationale qu’un projet de loi qui améliorerait la situation de nos frères était à l’examen. Durant l’interview, il a décrit les Témoins comme “des gens respectables” et a déclaré qu’avec la nouvelle loi “l’État montrera du respect pour toutes les religions”.

Par leur attitude à l’égard de la neutralité chrétienne, les jeunes Témoins ont contribué à ce que grandisse l’estime dont jouit le peuple de Jéhovah. Voici par exemple ce que l’on relève dans Il Corriere di Trieste:

“On devrait admirer les Témoins de Jéhovah pour leur fermeté et leur logique. Contrairement aux autres religions, leur unité les empêche de prier le même Dieu au nom du même Christ pour bénir deux camps adverses dans un conflit, ou bien de mélanger la politique et la religion pour servir les intérêts des chefs d’État ou de partis politiques. Enfin, le plus remarquable, c’est qu’ils sont prêts à affronter la mort plutôt que de violer le précepte fondamental pour le salut de l’homme, à savoir le commandement: ‘TU NE TUERAS POINT!’”

L’ASSEMBLÉE LA “BONNE NOUVELLE ÉTERNELLE”

L’assemblée “La bonne nouvelle éternelle” marqua un jalon important dans notre histoire. Il ne nous était pas possible de la tenir à Rome, car l’Église catholique avait décidé, en 1963, de tenir le concile Vatican II, et un représentant du gouvernement nous avait expliqué on ne peut plus clairement que l’on ne jugerait pas convenable de permettre à une religion non catholique de tenir une assemblée à Rome en même temps que le concile. Il avait ajouté que les non-catholiques se verraient refuser l’accès à Rome pendant toute l’année 1963. On leur permettrait de visiter la ville comme touristes, mais toute manifestation collective serait interdite.

C’est pour cette raison que notre assemblée internationale de huit jours se tint à Milan, au Vélodrome Vigorelli. L’organisation d’une assemblée aussi importante, qui devait accueillir près de 20 000 délégués, représentait une expérience nouvelle pour les frères italiens. Quel fut le problème le plus difficile qu’ils rencontrèrent? Frère Giuseppe Cialini, surveillant itinérant, qui avait pris part aux travaux préparatoires, dit: “En plus des logements mis à notre disposition par les hôtels, il nous fallait des milliers de chambres supplémentaires. Nous avons donc décidé de chercher des logements dans des foyers privés, et des pionniers spéciaux ont été invités à effectuer la prospection. C’était la première fois qu’en Italie on cherchait des chambres chez l’habitant. Près de 6 000 frères ont été logés de cette façon.”

Il n’est guère surprenant que le clergé se soit immédiatement opposé à nos efforts. Quelques jours avant le congrès, les prêtres se mirent à prévenir leurs paroissiens qu’ils ne devaient pas loger de Témoins de Jéhovah. Le curé de la paroisse Saint-André, à Milan, avait affiché un avis bien visible sur le mur de son église, sur lequel il était écrit: “Les Témoins de Jéhovah ne sont pas chrétiens.” En raison de cette propagande du clergé, quantité de personnes retirèrent leur offre de chambre.

Mais tous les prêtres ne se montrèrent pas hostiles à l’organisation de l’assemblée, comme le relate ce pionnier spécial:

“Alors que je discutais le prix de la chambre avec la maîtresse de la maison, je me suis aperçu qu’elle voulait le réduire par rapport à la somme qu’elle avait fixée lors de ma première visite. Elle m’expliqua qu’elle avait demandé à son prêtre si elle pouvait nous louer des chambres. Et celui-ci lui avait dit: ‘Faites tout votre possible pour loger les Témoins de Jéhovah qui viennent tenir leur assemblée ici. Ce sont les seules personnes sincères qui se réunissent pour parler de leur Dieu. Par les temps qui courent, il nous faudrait davantage de gens comme eux, des gens disposés à se réunir dans le but excellent d’apprendre à mieux connaître Dieu. Quiconque montre de l’hospitalité aux Témoins de Jéhovah rend un bon service à l’humanité.’”

La prospection des chambres remporta un franc succès également à un autre point de vue. Elle contribua en effet à concentrer le témoignage dans la ville de Milan, et beaucoup de maîtresses de maison se mirent à apprécier la conduite des Témoins de Jéhovah, comme le relate cette sœur pionnier spécial:

“J’ai frappé à la porte. Une femme m’a répondu. Après lui avoir expliqué le but de notre visite, elle m’a dit qu’elle avait des chambres pour près de 10 personnes, mais qu’elle voulait consulter un ami, un officier de police, avant de s’engager. Quand, le lendemain, je suis revenue, la dame m’a accueillie avec un sourire radieux et m’a dit: ‘Chère Mademoiselle, je suis ravie de loger 10 personnes pour vous. Savez-​vous ce que m’a dit mon ami? Eh bien, je vais vous répéter ses paroles mot pour mot. Il m’a dit: “Signora, non seulement vous pouvez loger ces gens en toute sécurité, mais vous pouvez même leur donner les clés de la maison et partir en Amérique si l’envie vous en prend.” Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir partir pendant votre assemblée, car j’aurais été ravie de vous laisser l’appartement tout entier.’”

L’une des tâches les plus ardues dans les travaux préparatoires à l’assemblée consistait à nettoyer le vélodrome. Qu’est-​ce qui rendait ce nettoyage si difficile? Voici le fin mot, de la part du frère Antonio Capparelli: “Un peu avant notre assemblée, une réunion catholique s’était tenue au vélodrome, sous l’égide du cardinal Montini, juste avant la mort du pape Jean XXIII. Tous les catholiques présents à la réunion portaient un cierge allumé, si bien que les marches du vélodrome étaient couvertes de cire et de chewing-gum. Il a fallu des centaines de frères, dont certains venaient de Turin, pour tout gratter et tout nettoyer. Le travail nous a pris une semaine entière.”

Lors de cette assemblée, il y avait des délégués de 52 pays. L’assistance était répartie en quatre sections, une française, une italienne, une portugaise et une espagnole, pour que l’on puisse présenter simultanément le programme dans toutes ces langues. Il y avait également un certain nombre de sessions en anglais. À la fin du mercredi après-midi, l’assistance a été ravie d’apprendre par frère Knorr que les Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau seraient désormais à la disposition des quatre groupes nationaux présents à l’assemblée, ainsi qu’en allemand et en néerlandais.

Quelques-uns des 70 participants de la toute première assemblée tenue à Pignerol, en 1925, étaient présents en cette occasion mémorable. Comme on l’imagine facilement, ils connurent une émotion inoubliable à se trouver parmi les 20 516 personnes qui écoutèrent le discours public. L’une des sœurs a écrit par la suite: “Après avoir assisté à l’assemblée de Pignerol, imaginez ce que cela représentait pour moi de me retrouver, 40 ans plus tard, à Milan. Cette expérience à elle seule suffirait à expliquer ma joie profonde.”

À la fin de l’assemblée, personne ne voulait partir, et les frères des différentes nationalités prolongeaient leurs adieux, plutôt tristes, puisque le temps était venu de se quitter. Nombre d’entre nous se rappellent encore nos frères espagnols et portugais, debout sur les gradins, qui nous disaient adieu en agitant des centaines de mouchoirs.

LA SURVEILLANCE DE LA FILIALE

Lors de son arrivée en Italie, en 1947, frère Joseph Romano avait été nommé surveillant de filiale, et il avait servi ainsi jusqu’en mai 1954. De 1954 à 1960, frère Anthony Sideris se vit confier cette charge, puis frère Romano le remplaça quelque temps, jusqu’en 1964, année où frère Valter Farneti devint surveillant de filiale. Peut-être vous rappelez-​vous la visite de frère Vannozzi à la congrégation de Faenza, des années auparavant, visite après laquelle il écrivit: “J’espère qu’un jour certains de ces jeunes gens se décideront à entrer dans les rangs de ceux qui saisissent ce privilège de service (comme pionniers).” Eh bien, l’un de ces jeunes gens était frère Farneti. Après avoir servi comme surveillant de district, il a suivi un cours de dix mois à Galaad, l’École biblique de la Société Watchtower, et a été nommé surveillant de filiale. Il est toujours le coordinateur de notre filiale.

DEUX PUBLICATIONS STIMULENT LES PROGRÈS

Y a-​t-​il un meilleur moyen de progresser que de posséder sa propre version de la Sainte Bible et un petit manuel qui l’explique dans un langage clair? C’est assurément le rôle qu’ont rempli Les Saintes Écritures — Traduction du monde nouveau ainsi que le livre La vérité qui conduit à la vie éternelle sortis en même temps pour édifier les vrais adorateurs.

Les Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau étaient disponibles en italien depuis 1963, mais, bien que la publication de cet ouvrage ait représenté un pas en avant considérable, il était évident que le peuple de Dieu avait besoin d’une traduction de la Bible tout entière. Les Témoins italiens achetaient d’énormes quantités de Bibles catholiques et protestantes à des prix relativement élevés. Lors des réunions, lorsqu’un orateur lisait un texte dans une version, l’auditoire devait adapter le texte en fonction de la version que chacun avait sous les yeux. Même lorsque l’on se servit des Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau, il fallait une autre version pour les citations bibliques tirées des Écritures hébraïques.

Que les frères étaient joyeux lorsqu’ils ont appris que la Traduction du monde nouveau complète était finalement imprimée en italien! Le premier envoi, qui nous parvint au printemps 1968, fut rapidement épuisé, du fait d’une campagne spéciale de distribution de cette Bible au mois de juin. Depuis lors, on a distribué plus de 1 600 000 exemplaires de cette version. Le peuple de Dieu a pu acquérir une unité de langage dans l’adoration qu’il rend à l’Auteur de cet ouvrage et lorsqu’il enseigne à des personnes sincères les préceptes qu’il renferme.

On peut à juste titre décrire le livre La vérité qui conduit à la vie éternelle comme le “livre de la situation”. Sa parution fut annoncée lors des assemblées tenues en été 1968, et les congrégations purent en obtenir des exemplaires vers l’automne. Cette publication, dont on a déjà distribué plus de 4 000 000 d’exemplaires en italien en 1980, a certainement contribué à accélérer les progrès de l’œuvre du Royaume.

L’ASSEMBLÉE INTERNATIONALE “PAIX SUR LA TERRE”

En été 1969, un autre grand banquet spirituel s’est tenu à Rome: l’assemblée internationale “Paix sur la terre”. Les frères espagnols, qui à l’époque ne jouissaient pas de la liberté de se réunir dans leur pays, étaient présents eux aussi. Les Italiens tinrent leur programme dans le magnifique Palazzo dello Sport, tandis que les Espagnols se trouvaient au Palazzo dei Congressi, où on avait tenu l’assemblée du Royaume triomphant en 1955.

Parmi les personnes présentes se trouvaient des délégués de 35 pays. Lors du discours public, l’assistance s’est élevée à 25 648. Le nombre des baptisés atteignit 2 212. Personne ne pensait que les candidats à l’immersion seraient aussi nombreux. C’était le signe qu’un grand accroissement était en cours.

La presse donna une publicité inhabituelle à l’assemblée. Le quotidien Roma, dans son édition du 15 août 1969, publia ce reportage sur le baptême: “Tout se déroulait dans une atmosphère de paix et de sérénité, si bien que la présence des carabiniers, envoyés pour faire face à Dieu sait quelle urgence, semblait tout à fait déplacée. Devant la patience de chacun, l’ordre, on ne pouvait s’empêcher hier matin de penser que s’il y avait davantage de Témoins de Jéhovah en Italie, bien des choses, comme les trajets en autobus, les queues dans les endroits publics et dans les stades, voire (pourquoi pas) les voyages lors des jours fériés, tout cela serait bien plus facile.”

L’ŒUVRE EN LIBYE

La Libye occupe un vaste territoire, presque complètement désert, au bord de la mer Méditerranée. Elle est peuplée de près de 2 500 000 habitants dont la plupart sont des Arabes musulmans. Avant la Seconde Guerre mondiale, le pays vivait sous le régime italien et possédait une communauté italienne prospère. Mais, vers la fin des années 60, la plupart des Italiens ont été obligés de quitter la Libye.

L’œuvre des Témoins de Jéhovah en Libye a commencé en avril 1950, lorsque Michel Antonovic est arrivé à Tripoli en provenance d’Égypte, pour son travail profane. La prédication de ce frère n’a pas tardé à porter du fruit, particulièrement au sein de la population italienne. C’est ainsi qu’en janvier 1953, on décida de transférer la supervision de l’œuvre dans ce pays de la filiale égyptienne à la filiale d’Italie. À mesure que l’œuvre progressait, toutes sortes de difficultés apparurent. Il y eut des arrestations, des procès, des publications confisquées, etc.

En 1957, les Témoins remplirent une demande pour que l’œuvre soit reconnue légalement, mais ils furent éconduits, par suite de fausses accusations portées contre eux, dont des allégations selon lesquelles nous étions une société secrète affiliée au mouvement sioniste. Malgré tout, l’œuvre progressa au point qu’en 1959 il y avait 89 proclamateurs et un pionnier spécial. Mais, peu après, l’œuvre s’est mise à décliner, parce que les autorités ont expulsé quantité de frères qui ont été obligés de rentrer en Italie.

L’année 1964 vit l’interdiction de l’œuvre. Après le changement de gouvernement en 1969, presque tous les Italiens, y compris les frères qui avaient pu rester, durent partir. C’est ainsi que si la Libye a produit des fruits de première qualité dans le passé, l’avenir est à présent entre les mains de Jéhovah.

CONSTRUCTION DU NOUVEAU BÉTHEL

Lors de sa visite à la filiale italienne, en 1968, frère Knorr avait confié aux frères la tâche de rechercher un terrain qui se prêterait à la construction d’un nouveau complexe pour le Béthel. On trouva un site particulièrement favorable dans la banlieue nord-est de Rome. De plus, ce quartier se trouvait à proximité de “l’autoroute du soleil”, l’artère la plus importante de l’Italie, ce qui était l’idéal pour les transports.

On soumit les plans au conseil municipal de Rome afin d’obtenir le permis de construire, mais plusieurs difficultés se présentèrent du fait que l’organisation théocratique n’était pas encore bien reconnue par l’État. Toutefois, en 1969, les responsables du programme d’urbanisme de la ville apprirent par la presse que plus de 25 000 personnes avaient pris part à notre congrès international, ce qui eut pour résultat de les convaincre enfin que cette religion était devenue une réalité dont il fallait bien tenir compte désormais. Finalement, en mars 1971 le permis de construire a été délivré et les travaux on commencé tout de suite. La construction a été effectuée presque uniquement par des frères. Au printemps 1971 le bâtiment de trois étages était achevé.

Le nouveau Béthel fut inauguré le 27 mai 1972. Le lendemain, frère Knorr prononça l’allocution “Une maison pour l’instruction spirituelle” devant un auditoire de 15 700 personnes réunies au stade Flaminio. Nombre de ces frères se rendirent en visite au nouveau Béthel et ils furent ravis de voir que Jéhovah bénissait l’œuvre dans le champ italien.

L’ASSEMBLÉE “LA VICTOIRE DIVINE”

“La victoire divine” était le thème enthousiasmant de l’assemblée nationale qui se tint en août 1973 au stade Flaminio. Les 30 000 proclamateurs d’Italie furent comblés de voir 57 000 personnes réunies. Le stade était comble, et cette foule impressionnante indiquait en elle-​même l’ampleur du rassemblement en cours. Le baptême, qui vit 3 366 personnes symboliser leur vœu à Jéhovah, fut la plus grande immersion collective jamais observée en Italie.

Les colonnes des journaux, qui représentaient près de 60 mètres de texte, parlaient d’une “foule exceptionnellement grande” et de “l’accroissement spectaculaire” des Témoins de Jéhovah.

Voici ce qu’écrivit Il Messaggero dans son édition du 11 août 1973: “Tous ces croyants, si jeunes, si zélés, si fervents et si pleins d’amour fraternel (...).”

Dans son édition du 14 août 1973, Il Tempo publiait ce commentaire: “Dans un monde où les institutions s’effondrent et où les gens s’efforcent de réinventer leur propre code moral, voire leur propre religion, il est intéressant de voir des gens de toutes origines, venant de cultures très différentes, se réunir dans une harmonie parfaite pour faire progresser leur croyance dans un moyen sûr de salut commun.”

LA BÉNÉDICTION DE JÉHOVAH SUR SON PEUPLE

“Ta bénédiction est sur ton peuple”, avait dit le psalmiste (Ps. 3:8). Vous rappelez-​vous du petit groupe de 120 proclamateurs, en 1946? Eh bien, après des débuts lents et pénibles, ces adorateurs fidèles avaient été bénis et avaient contribué à une “moisson” encore plus abondante. Les tableaux qui accompagnent ce texte montrent le magnifique accroissement qu’a connu le peuple de Jéhovah, particulièrement depuis le milieu des années 60. En 1980, il y avait 84 847 proclamateurs en Italie. En juin 1981, ce nombre était passé à 90 191.

Non seulement les chiffres des tableaux donnent la preuve de l’expansion qu’ont connue les intérêts du Royaume, mais ils indiquent également que les perspectives d’avenir sont excellentes.

À l’heure où nous écrivons, il y a 1 357 congrégations réparties en 84 circonscriptions et en cinq districts. Des statistiques sérieuses montrent que les Témoins de Jéhovah sont le groupement religieux non catholique le plus important du pays. Néanmoins, toutes statistiques mises à part, nous sommes conscients que ce qui compte aux yeux de Jéhovah, c’est de recevoir son approbation et sa bénédiction. — Prov. 10:22.

IMPRESSION DES PÉRIODIQUES AU BÉTHEL

À mesure que progressait le nombre des proclamateurs du Royaume et des abonnés à nos périodiques, on notait une demande croissante pour La Tour de Garde et Réveillez-vous! en italien. Pendant un temps, ces périodiques arrivaient directement de Brooklyn. Après 1969, on les a imprimés pendant quelque temps à Londres. Puis, à partir de 1971, ils ont été imprimés par la filiale suisse. Mais cela a créé un certain nombre de problèmes. Aussi, à partir de juin 1972, La Tour de Garde et Réveillez-vous! ont été imprimés par une firme commerciale de Rome. Mais, par suite de grèves et d’autres inconvénients, cette mesure s’est rapidement révélée inappropriée, d’autant qu’il y avait de fréquents retards dans les expéditions.

Devant cette situation, la Société envisagea d’installer une rotative au Béthel de Rome, ce qui fut fait. Finalement, à la fin de 1975, l’imprimerie de Rome était prête à produire ses propres périodiques. Les éditions du 22 janvier 1976, pour Réveillez-vous!, et du 1er février 1976, pour La Tour de Garde, ont été les premières à sortir de cette presse.

Durant l’année de service 1980, plus de 18 500 000 périodiques ont été imprimés en Italie. Le tirage moyen de La Tour de Garde en italien atteint 520 000 exemplaires, et celui de Réveillez-vous! avoisine les 470 000.

PRÉDICATION DANS LES RUES AVEC LES PÉRIODIQUES

Jusqu’en 1974, La Tour de Garde et Réveillez-vous! étaient distribués par les frères italiens de maison en maison, mais ni dans les rues ni sur les places publiques. Quelle en était la raison? Vous vous rappelez sans doute que les frères avaient été obligés d’engager plus de 100 procès pour faire valoir leur droit de prêcher la “bonne nouvelle”. Aussi, bien qu’aucune loi n’interdise de prêcher dans les rues avec les périodiques, les conseillers juridiques de la Société avaient laissé entendre qu’il valait mieux procéder par étapes. D’abord, nous voulions établir notre droit de prêcher de maison en maison, puis nous pousserions un peu plus les choses par la suite.

Comme l’œuvre progressait très bien dans tout le pays, on jugea que le temps était venu d’accroître notre activité. Avant de commencer la prédication dans les rues avec les périodiques sur tout le territoire italien, on fit une campagne d’essai dans quelques villes, comme Milan, Florence et Naples. Devant les excellents résultats et l’absence de problèmes particuliers, le Ministère du Royaume de novembre 1975 donna des instructions sur la manière de prêcher dans les rues avec les périodiques, conformément à la loi du pays. Depuis lors, cette activité se poursuit sur tout le territoire italien.

RECONNAISSANCE LÉGALE DE L’ORGANISATION

En 1951, on tenta de faire reconnaître officiellement l’organisation théocratique. On forma une association légale à Milan, puis on remplit une demande de reconnaissance légale. Le 11 février 1953, la prefettura (préfecture) de Milan rejeta notre demande sous prétexte que “les conditions nécessaires à la satisfaction de la demande” n’existaient pas. Quelles étaient donc ces “conditions nécessaires” dont dépendait notre reconnaissance légale? D’après la loi, il fallait remplir deux conditions principales: 1) La religion devait être “connue” par le gouvernement, et 2) ses objectifs ne devaient pas être contraires aux intérêts de la loi et de l’ordre ni à la moralité publique.

Vers la fin des années 50, on fit une nouvelle tentative auprès du ministère de l’Intérieur, une fois de plus sans succès. La raison principale de notre échec venait de ce que notre organisation était peu connue dans les milieux du gouvernement et qu’on la présentait souvent sous un jour défavorable. L’homme de loi qui s’occupait de notre affaire écrivit qu’en Italie, “l’absence d’esprit traditionnellement libéral” se faisait encore sentir.

Plusieurs années s’écoulèrent. Avec l’aide de l’esprit de Dieu, l’œuvre des Témoins de Jéhovah prospéra, et les frères devinrent bien connus dans le pays pour leurs excellentes qualités morales. En février 1976, nous avons donc renouvelé notre demande, qui a enfin été acceptée. Au mois de juin de la même année, la filiale fut informée de la décision selon laquelle la Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania était reconnue légalement.

De nouvelles perspectives s’ouvraient donc devant nous. En effet, à la fin de l’année 1976, nous avons obtenu de l’État la permission de nommer des ministres religieux autorisés à célébrer des mariages. De plus, en 1976 et en 1979, deux décrets ministériels ont été passés pour autoriser les ministres à plein temps à bénéficier des services de santé et des retraites dont jouissent les ministres religieux. Récemment, on est parvenu à un autre accord autorisant un certain nombre de surveillants à visiter dans les prisons les personnes qui demandent à recevoir l’aide des Témoins de Jéhovah.

La reconnaissance officielle de la Société Watch Tower signifie que celle-ci peut à présent acquérir des biens en son nom, aussi plusieurs congrégations achètent-​elles ou construisent-​elles leur propre Salle du Royaume et en font-​elles enregistrer la propriété au nom de la Société. Auparavant, presque toutes les Salles du Royaume étaient louées. Rares étaient celles qui appartenaient aux Témoins de Jéhovah, du fait que les congrégations étaient obligées de les enregistrer au nom d’un ou de plusieurs frères.

Il y a à présent deux Salles d’assemblées en Italie. La première, inaugurée à Milan en octobre 1977, est un ancien cinéma qui a été rénové et adapté à nos besoins. L’autre, dans la banlieue de Turin, a été construite spécialement en fonction de nos besoins et a été inaugurée en 1979.

Sans aucun doute, depuis que le gouvernement italien a reconnu officiellement notre œuvre, les Témoins de Jéhovah ont pu agir avec une plus grande liberté et utiliser des moyens plus efficaces pour faire avancer les intérêts du culte pur.

LES PROGRAMMES À LA RADIO ET À LA TÉLÉVISION

Il paraît qu’il y a 3 000 stations de radio et 600 stations émettrices de télévision en Italie, sans parler du réseau national. En 1976, nous avons commencé à utiliser les réseaux privés pour propager la “bonne nouvelle” de façon plus intensive. À présent, nos programmes sont retransmis gratuitement par 280 stations de radio et 30 stations de télévision. En ce qui concerne les programmes télévisés, la filiale fournit aux frères des plans de conversation pour les interviews et même des programmes illustrés avec des diapositives tirées de discours donnés par les surveillants de circonscription. À l’heure actuelle, nous avons mis en circulation près de 200 programmes radiophoniques et une cinquantaine de programmes télévisés.

D’après les rapports que nous avons reçus, il semble que ces programmes rencontrent un franc succès. Quelquefois, ils entraînent des résultats immédiats, comme à Oristano, en Sardaigne, où 15 personnes ont demandé à recevoir la visite des Témoins de Jéhovah. Dans trois villes de la province de Salerne, quelque 35 personnes ont commencé à étudier la Bible avec nous après avoir suivi nos programmes. Voici le rapport d’un surveillant: “Dans la province de Ragusa [en Sicile], un proclamateur qui allait de maison en maison a rencontré un homme qui lui a dit: ‘Je vous attendais. Je suis votre programme tous les jeudis et j’étais sûr que vous me rendriez visite tôt ou tard.’ Il a accepté l’offre d’une étude biblique.”

Évidemment, les résultats ne sont pas toujours immédiats. Mais, grâce à nos programmes, quantité de gens ont une meilleure attitude à l’égard du message du Royaume, et, lorsque les proclamateurs passent, les gens les écoutent avec davantage d’attention.

LA CAMPAGNE AVEC LA BROCHURE SUR LE “SANG”

En Italie, la question des transfusions de sang s’est posée particulièrement durant les années 60. À l’époque, les médecins considéraient les transfusions de sang comme la thérapie indispensable dans quantité de cas, et ils ne prêtaient guère attention aux risques qu’elles faisaient courir. Il était donc très difficile de trouver des chirurgiens disposés à nous opérer sans transfusion de sang, et les proclamateurs devaient souvent se rendre de ville en ville pour contacter un chirurgien disposé à les opérer. En cas d’urgence, les journaux publiaient des articles qui revenaient à des campagnes de publicité contre nous. En de telles circonstances, les frères avaient beaucoup de peine à surmonter l’hostilité qu’on leur témoignait dans certains cas.

Vers le milieu des années 70, la situation s’est améliorée, à mesure que davantage de médecins commençaient à comprendre notre point de vue. Mais il ne fait aucun doute que l’on a observé une amélioration notable après le mois de décembre 1977. Quelle en est la raison? C’est ce mois-​là que s’est effectuée une campagne nationale avec la brochure Les Témoins de Jéhovah et la question du sang. En Italie, la brochure a été remise à 87 000 médecins, 48 000 avocats et magistrats et environ 200 000 infirmières. Les résultats de cette campagne ont été extrêmement positifs, dépassant de loin ce que nous en attendions.

En premier lieu, l’opprobre a cessé de retomber injustement sur le nom de Jéhovah parce que nous nous ‘abstenions du sang’. (Actes 15:19, 20, 28, 29.) À l’heure actuelle, les frères eux-​mêmes comprennent mieux les principes fondamentaux de cette question et se montrent plus confiants dans les contacts qu’ils ont avec le monde médical. De plus, davantage de médecins disposés à respecter nos convictions proposent à présent leurs services.

CONFÉRENCES SUR LES TRANSFUSIONS DE SANG

Par suite de l’intérêt suscité par la diffusion de la brochure, des experts ont organisé un certain nombre de conférences pour approfondir la question. Le 21 février 1978, à la célèbre “Fondation Carlo Erba” de Milan, s’est tenue une conférence sur le thème “La chirurgie, les transfusions de sang et les Témoins de Jéhovah”. Cette conférence, présidée par le professeur Carlo Sirtori, homme de science de renommée mondiale, contribua à ce que beaucoup de personnes déclarent maintenant comprendre notre position sur cette question.

Le 21 avril 1979, l’institut de médecine locale de l’université de Sienne organisa une autre conférence. Celle-ci avait pour thème “Le refus de transfusion de sang par des adultes Témoins de Jéhovah et l’ordre constitutionnel”. Durant les paroles d’ouverture, le professeur Mauro Barni, directeur de l’institut de médecine légale et ex-recteur de l’université, déclara:

“La question fondamentale à établir est de savoir comment nous devons considérer la conduite d’un médecin qui décide de passer outre au refus explicite d’un Témoin de Jéhovah en lui administrant une transfusion de sang. Eh bien, à l’heure actuelle, il ne fait aucun doute que cette conduite est inadmissible du point de vue éthique et qu’elle entre à coup sûr dans le cadre de l’article 610 du Code pénal, en tant que coercition violente pour passer outre à un refus exprès.”

Le 7 juin 1979, dans la petite ville de Ripatransone, dans la province d’Ascoli Piceno (centre de l’Italie), un hôpital municipal a organisé une conférence sur le thème “Les transfusions de sang et les traitements de remplacement”. L’un des principaux orateurs, le docteur Cesare Buresta, discuta les résultats obtenus au cours de plus de 240 opérations chirurgicales réussies sans transfusions de sang. Dans son édition du 23 juillet 1979, le périodique Panorama déclarait:

“Depuis des années, on les renvoie des hôpitaux, les médecins leur tournent le dos, on les laisse à eux-​mêmes, on les trompe, on les condamne. (...) Mais, à l’heure actuelle, grâce au développement de nouvelles techniques de remplacement, même les Témoins de Jéhovah, qui constituent l’une des minorités religieuses les mieux organisées et les plus actives de l’Italie, (...) semblent toucher le terme d’un long cauchemar. (...) D’après le docteur Buresta, le recours à de telles techniques de remplacement permet de pratiquer des interventions chirurgicales sans transfusions de sang dans 99 pour cent des cas. Les résultats de ces recherches vont aboutir à des avantages considérables.”

Jamais nous n’aurions osé rêver que l’on comprenne si bien notre position à l’égard des transfusions de sang, après toute la publicité défavorable qu’on nous a faite sans discontinuer pendant tant d’années. Le peuple de Jéhovah est reconnaissant de ce que Dieu ait béni la distribution de la brochure Les Témoins de Jéhovah et la question du sang.

LE CONGRÈS “LA FOI VICTORIEUSE”

L’énorme foule rassemblée pour l’assemblée “La foi victorieuse” atteste indéniablement que la foi dans le vrai Dieu a remporté la victoire, malgré l’opposition des années écoulées. En 1978, il a fallu tenir deux assemblées pour pouvoir accueillir tous les frères, l’une à Milan, l’autre à Rome. Au total, l’assistance s’était élevée à 111 320 personnes.

Mais le record d’assistance a été atteint en 1981, avec 132 200 personnes présentes lors des 22 assemblées de district “La fidélité au Royaume”.

LE CONCOURS EFFICACE DES PIONNIERS

Certains que Jéhovah n’oublie pas nos efforts ni l’amour que nous montrons pour son nom, beaucoup se sont sentis encouragés à le servir plus pleinement (Héb. 6:10). En 1946, il n’y avait qu’un pionnier dans tout le pays. Puis, à mesure que passaient les années, le nombre de ceux qui entreprenaient ce service précieux a augmenté peu à peu. En 1980, il y avait plus de 500 pionniers spéciaux. En février 1981, le nombre des pionniers ordinaires a atteint le nouveau maximum de 2 142. En mai 1981, 10 051 proclamateurs ont pris part à l’œuvre de prédication du Royaume comme pionniers auxiliaires.

La majorité des pionniers spéciaux ont été nommés en Sicile et en Sardaigne, si bien que l’on observe d’excellents progrès dans ces deux territoires. En Sicile, il y a sept circonscriptions et 125 congrégations. En Sardaigne, où l’œuvre a commencé un peu plus tard, il y a trois circonscriptions et 53 congrégations, bien que la population de cette région soit beaucoup plus clairsemée. Grâce au travail des pionniers, 99 pour cent du territoire italien est attribué et prêché régulièrement. Le pourcentage restant est prêché de façon occasionnelle.

LES FRÈRES EN PÉRIODE DE BESOIN

Comme l’Italie se trouve sur l’une des zones sismiques du globe, il n’est guère surprenant que la majorité des désastres naturels qui frappent le pays soient des tremblements de terre. En mai 1976, l’un de ces séismes avait ravagé presque toute la région du Frioul jusqu’à la frontière entre l’Autriche et la Yougoslavie, causant la mort d’un millier de personnes et la destruction de milliers de maisons. Bien que nombre de Témoins aient perdu leur domicile, aucun d’entre eux ne fut tué ni grièvement blessé. Aussitôt après le sinistre, les frères des régions avoisinantes se sont mis à l’œuvre pour pourvoir aux besoins les plus urgents de ceux de la zone frappée par le tremblement de terre.

Le séisme qui a frappé une vaste partie du sud de l’Italie à 19 h 34, le dimanche 23 novembre 1980, a atteint des proportions encore plus catastrophiques. Tout le pays a ressenti la secousse. Des rapports en provenance de Campanie et de Basilicate parlaient de milliers de morts et de blessés ainsi que de villes entièrement rasées. Dans la région, il y avait 130 congrégations, et les archives de la filiale indiquaient qu’il s’y trouvait 8 500 proclamateurs et 4 500 personnes intéressées à la vérité, soit 13 000 personnes au total.

Au début, tout le monde était très inquiet sur leur sort. Le lendemain matin de la catastrophe, la filiale recevait déjà des informations précises. Aucun Témoin de Jéhovah ni aucun ami de la vérité ne figurait parmi les morts ou les blessés. Malgré la tristesse que nous ressentions devant le nombre des morts et toutes les souffrances qu’enduraient de nombreux survivants, ce fut un grand soulagement d’apprendre que nos frères étaient en vie.

Les proclamateurs de la zone sinistrée avaient montré leur confiance en Jéhovah durant tous ces moments critiques où le sol et les bâtiments s’étaient mis à trembler. Ils ne modifièrent pas leur attitude par la suite, quand ils durent affronter les rigueurs de l’hiver dans des conditions difficiles. Certaines congrégations tenaient des réunions au moment où le séisme avait frappé. Voici par exemple ce que raconte un ancien de la congrégation d’Eboli (Salerne):

“Nous venions de commencer l’étude de ‘La Tour de Garde’ lorsque nous avons tout à coup senti que le sol de la Salle du Royaume vibrait violemment, tandis que les murs et le plafond au-dessus de nos têtes produisaient des craquements sinistres au fur et à mesure des déplacements. Pendant quelques secondes, nous sommes tous restés pétrifiés, et, avant même que nous ayons compris ce qui se passait, il y eut une nouvelle secousse, encore plus violente. Nous avons pensé que les quatre étages de l’immeuble allaient s’effondrer sur nous. De tous nos souvenirs, ces moments terribles sont ceux qui ont semblé durer le plus longtemps.

“Comme je conduisais l’étude de ‘La Tour de Garde’ je me suis rendu compte qu’il fallait prendre une décision immédiate pour protéger l’assistance. Mais que faire? Nous pouvions soit rester ensemble dans la salle, soit sortir. J’ai prié intensément Jéhovah pour qu’il me guide afin que je prenne la bonne décision. Puis, je me suis rappelé qu’une situation identique s’était présentée aux frères de Gemona, dans le Frioul, quelques années auparavant. J’ai donc invité les frères à rester dans la salle pendant que je prononçais une prière. Aucun des 130 assistants n’a couru à l’extérieur ou manifesté de signes de panique. Puis, confiants en Jéhovah, nous avons poursuivi l’étude de ‘La Tour de Garde’, pendant qu’à l’extérieur toute la ville était dans la confusion.

“Nous avons conclu la réunion par une prière reconnaissante qui venait du cœur, et nombre d’assistants versaient des larmes de gratitude pour la protection évidente que nous venions de recevoir. Combien nous étions reconnaissants d’avoir obéi à l’exhortation de l’apôtre Paul renfermée en Hébreux 10:24, 25! L’obéissance à ce commandement venait de nous sauver la vie. Nous avons immédiatement pris contact avec nos frères d’une ville voisine où 50 d’entre eux étaient à la réunion. Eux aussi étaient sains et saufs, alors que tout autour les bâtiments étaient gravement endommagés et que les deux plus importantes églises de la ville étaient partiellement détruites.”

Un surveillant de la congrégation de Bellizzi (Salerne) raconte de son côté: “Cinq minutes après la clôture de la réunion, nous nous sommes trouvés en plein cauchemar. On avait l’impression que la Salle du Royaume était devenue folle. Quelqu’un s’est mis à crier: ‘Jéhovah, sauve-​nous!’ J’ai crié aux frères: ‘Gardez votre calme. Ne descendez pas les escaliers!’ Nous étions tous sains et saufs.”

Les frères de la zone sinistrée n’ont pas tardé à s’entraider, et les Témoins de toute l’Italie et d’autres pays d’Europe ne se sont pas fait prier pour offrir des contributions en argent, en vêtements ou sous d’autres formes. Un centre de secours d’urgence a été établi pour diriger les secours là où ils étaient les plus nécessaires. Le premier camion de la Société chargé de nourriture, de tentes, de couvertures et de vêtements est arrivé dans la région le lendemain soir du séisme.

“Les frères étaient stupéfaits de la vitesse à laquelle les secours nécessaires arrivaient”, raconte un surveillant itinérant nommé dans cette zone. Il ajoute: “Nous avons immédiatement monté notre propre cuisine, et la nourriture préparée par des sœurs était distribuée chaque jour aux frères. Les autres habitants de la ville devaient encore recevoir des secours et faisaient de leur mieux. Évidemment, les frères n’étaient pas égoïstes, et ils ont partagé la nourriture avec beaucoup de personnes qui n’étaient pas Témoins. Quand nous avons emporté des provisions au village de Montella, les familles qui vivaient à proximité des frères ont reçu des pâtes, du riz, de l’huile, du sucre, du pain et du lait, ainsi que des biscuits pour les enfants.”

Le mois de ce désastre, le chiffre des proclamateurs atteignit un nouveau maximum avec 86 192, ce qui s’explique par le fait que les frères de la zone du séisme avaient contribué à cet accroissement en maintenant leur zèle remarquable pour l’œuvre du Seigneur. Nous sommes reconnaissants pour l’amour qu’ont montré à leurs frères les Témoins de divers pays, qui, outre l’aide matérielle qu’ils ont envoyée, ne les ont pas oubliés dans leurs prières. Nos remerciements vont à Jéhovah, parce que c’est Lui qui vient à notre aide en période de troubles. — Ps. 54:4.

AGRANDISSEMENT DU BÉTHEL

Lors de l’inauguration du nouveau Béthel, au printemps 1972, personne ne pensait que quatre ans plus tard seulement, il serait trop petit. À l’époque, il y avait à peu près 25 000 adorateurs du vrai Dieu dans le pays, mais, vers 1976, le bâtiment ne suffisait déjà plus pour les besoins des proclamateurs, dont le nombre était passé au chiffre incroyable de 60 000.

En 1975 et en 1976, nous avons acheté deux terrains adjacents à notre propriété, si bien que la surface dont nous disposions passait à présent à 14 hectares. Mais la commission de l’urbanisme de Rome ne nous a autorisé qu’à construire une petite ferme sur le nouveau terrain. Nous avons rempli une demande de modification du plan et, avec le temps, nous avons réclamé l’autorisation de construire une petite ferme avec une étable et des granges qui allaient nous permettre de pourvoir aux besoins de la famille du Béthel. Les travaux ont commencé en 1978, et cette petite ferme fut achevée au printemps 1980.

Enfin, en octobre 1979, nous avons reçu l’autorisation de construire le nouveau Béthel ainsi qu’un édifice qui abriterait l’imprimerie. Nous nous sommes mis immédiatement au travail et, en octobre 1980, l’imprimerie était achevée. La rotative et les services des périodiques sont d’ores et déjà installés. D’un autre côté, il nous reste encore beaucoup à faire avant de finir la construction du Béthel. Ce sont des frères qui s’acquittent exclusivement des travaux. Il est encourageant de les voir arriver de toute l’Italie pour participer à ce travail, conscients qu’il est nécessaire pour faire face à l’expansion que connaît notre pays. Lorsque l’édifice sera achevé, il abritera 70 chambres, une salle à manger, une cuisine, une Salle du Royaume et d’autres installations.

À l’heure actuelle, il y a 98 frères au Béthel qui forment une famille heureuse au service de leurs compagnons chrétiens. Certains d’entre eux travaillent dans la ferme pour pourvoir aux besoins matériels de la famille, tandis que d’autres s’activent à l’expédition. Ils sont très occupés par les envois de publications, de périodiques et d’autres articles indispensables aux congrégations.

L’ENVOI DE PUBLICATIONS AUX CONGRÉGATIONS

Il fut un temps où, bien souvent, par suite des retards et des grèves dans les postes, les congrégations les plus éloignées ne recevaient pas leurs publications à temps. C’est ainsi qu’un surveillant de circonscription raconte: “Durant ma visite dans une congrégation de Sicile, j’allais de maison en maison avec une sœur. Je me suis cru obligé de lui faire remarquer qu’elle distribuait des périodiques périmés depuis deux mois. Sur quoi la sœur m’a répondu que c’étaient les derniers périodiques que la congrégation avait reçus.”

En raison de ces retards, la majorité de nos livraisons se font à présent par quatre camions que la Société a achetés exprès. L’un d’entre eux, équipé d’une remorque, peut transporter 34 tonnes. C’est celui que l’on utilise pour aller chercher les publications à Wiesbaden, la filiale d’Allemagne. Les commandes des congrégations sont livrées dans plus de 120 dépôts éparpillés dans toute la péninsule ainsi qu’en Sicile et en Sardaigne. Ensuite, les publications sont distribuées localement à partir de ces dépôts. Dans le cadre de ces dispositions, les congrégations reçoivent à temps la nourriture spirituelle indispensable, et les frais sont considérablement réduits.

GRATITUDE POUR LA PROTECTION DIVINE

Telle est l’histoire moderne de l’activité des Témoins de Jéhovah en Italie. Mais tout le crédit du bilan de ces années écoulées ne saurait aller à un individu. Bien que nous ayons mentionné certaines personnes par leur nom, cette histoire est la chronique de la venue à l’existence d’un peuple, de sa résistance devant l’opposition intense du clergé et de sa prospérité, grâce à la protection et à la direction divines.

Plus de 1 920 années se sont écoulées depuis l’époque où l’apôtre Paul a réalisé son désir le plus cher qui était de voir la congrégation chrétienne de Rome ‘pour lui communiquer quelque don spirituel’. (Rom. 1:11.) Depuis lors, la grande apostasie avait maintenu le pays pendant plusieurs siècles dans des ténèbres spirituelles très denses. Mais tel n’est plus le cas. Appartiennent également au passé les temps qui ont vu, au début de ce siècle, les premiers rayons de vérité illuminer le sentier de quelques individus dispersés et l’endurance fidèle du peuple de Jéhovah face à une vague continuelle de persécution religieuse.

La situation actuelle suffit à nous réjouir le cœur. En effet, il y avait une moyenne de 90 proclamateurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’ils sont maintenant plus de 90 000. Les perspectives d’avenir sont excellentes. En mai 1981, l’Italie a atteint un maximum de 62 068 études bibliques. Lors du Mémorial de 1981, l’assistance s’est élevée à 187 165 personnes. Dans la ville de Rome, cité chargée d’histoire, il y a aujourd’hui 51 congrégations actives.

Tous ces chiffres indiquent qu’avec l’approbation de Dieu nous devrions enregistrer un nouvel accroissement qui rendra encore plus de louanges à notre Dieu Jéhovah. Ses adorateurs joyeux lui attribuent le mérite, oui, à lui seul, de leur prospérité actuelle. En revoyant ces épisodes de l’histoire moderne du vrai christianisme en Italie, la gratitude qu’ils éprouvent est la même que le psalmiste David, lorsqu’il se sentit poussé à écrire ce qui suit:

“Si Jéhovah n’avait été pour nous, quand les hommes se levèrent contre nous, alors ils nous auraient engloutis vivants, quand leur colère brûlait contre nous. Béni soit Jéhovah qui ne nous a pas livrés en proie à leurs dents! Notre âme est comme un oiseau qui s’est échappé du piège de ceux qui utilisent l’appât. Le piège s’est brisé, et nous, nous nous sommes échappés. Notre secours est dans le nom de Jéhovah, l’Auteur du ciel et de la terre.” — Ps. 124:2, 3, 6-8.

[Note]

^ § 220 Les passages extraits de ces trois circulaires ont été repris du livre Provvedimenti ostativi dell’autorità di polizia e garanzie costituzionali per il libero esercizio dei culti ammessi (Mesures répressives prises par les autorités policières et liberté de pratiquer certains cultes, telle que la garantit la constitution), par Giorgio Peyrot, édité par Giuffrè.

[Graphique, page 247]

(Voir la publication)

ACCROISSEMENT DU NOMBRE DES PROCLAMATEURS

100 000

90 191

75 000

60 156

50 000

25 000

22 196

10 278

120 1 742 3 491 6 304

0 1946 1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981

[Graphique, page 248]

(Voir la publication)

ACCROISSEMENT DU NOMBRE DES CONGRÉGATIONS

1 600

1 357

1 200

1 141

800

433

400

35 97 139 242 275

0 1946 1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981

[Graphique, page 249]

(Voir la publication)

ASSISTANTS AU MÉMORIAL

200 000

187 165

150 000

130 348

100 000

53 590

50 000

200 2 897 5 790 12 113 19 682

0 1946 1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981

[Carte, page 114]

(Voir la publication)

ITALIE

Gemona

Sondrio

Aoste

Varèse

Côme

Gallarate

Brescia

Vicence

Novare

Milan

Turin

Plaisance

Pignerol

Alexandrie

Bologne

Gênes

Cuneo

Faenza

Florence

Sienne

Pérouse

Teramo

Popoli

Avezzano

Sulmona

ROME

Foggia

Cérignole

Bisceglie

Molfetta

Gaète

Naples

Avellino

Bari

Salerne

SICILE

Palerme

Messine

Caltanissetta

CORSE

SARDAIGNE

FRANCE

SUISSE

AUTRICHE

HONGRIE

YOUGOSLAVIE

MER MÉDITERRANÉE

[Illustration, page 119]

La maison de Fanny Lugli près de Pignerol. C’est là, au rez-de-chaussée, sous le balcon, que se tinrent les premières réunions.

[Illustration, page 127]

Remigio Cuminetti, le premier témoin italien qui prit position en faveur de la neutralité chrétienne; il fut aussi le premier frère italien chargé de s’occuper de l’œuvre en Italie.

[Illustration, page 135]

Ignazio Protti et ses deux sœurs, Albina et Adèle, qui, de Suisse, vinrent en Italie où ils servirent avec zèle comme colporteurs.

[Illustration, page 137]

L’Hôtel Corona Grossa, à Pignerol, où eut lieu, en 1925, la première assemblée en Italie.

[Illustration, page 153]

Maria Pizzato, dont la mère acheta quelques exemplaires de “La Tour de Garde” dans ce kiosque à journaux en 1903 et 1904. C’est ainsi que Maria connut la vérité.

[Illustration, page 177]

Aldo Fornerone put constater la valeur de la neutralité chrétienne durant la Seconde Guerre mondiale. Il assume encore aujourd’hui la fonction d’ancien.

[Illustration, page 193]

La première assemblée de circonscription eut lieu en 1947 à Roseto degli Abruzzi; les frères se réunirent au bord d’un chemin privé, sous un figuier et une treille.

[Illustration, page 209]

La première assemblée de district fut organisée à Milan, sous de grandes tentes, du 27 au 29 octobre 1950, malgré l’opposition du clergé.

[Illustration, page 223]

Le Palais des Congrès de Rome où se tint, en 1955, l’assemblée internationale “Le Royaume triomphant”.

[Illustrations, pages 240, 241]

Les bâtiments de la filiale. En haut à gauche: Le bâtiment acheté à Rome en 1948. En haut à droite: Le bâtiment de la filiale achevé en 1972. En bas à droite: Une vue d’ensemble du Béthel avec les dernières constructions.

[Illustrations, page 250]

La Salle d’assemblées de Turin, inaugurée en 1979.