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Belgique

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LA BELGIQUE se situe à la croisée des chemins entre la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Angleterre. Son histoire est étroitement liée à celle de ces nations qui ont souvent réglé leurs différends politico-religieux sur son territoire. Soit dit en passant, l’Église catholique n’est pas restée neutre sous la domination qu’y ont successivement exercée les puissances espagnole, autrichienne, française et hollandaise. Ainsi que l’Histoire en témoigne, elle s’est plutôt distinguée par sa cruauté en faisant massacrer des milliers d’humains au nom de Dieu pendant l’Inquisition.

La Belgique proclama son indépendance en 1830, mais cela ne dissipa nullement les épaisses ténèbres spirituelles qui l’enveloppaient. En 1891, Charles Russell, le premier témoin de Jéhovah qui ait foulé le sol belge, remarqua l’obscurantisme ambiant lorsqu’il visita Anvers et Bruxelles. Comme dans bien d’autres endroits, il y rencontra en effet des personnes opprimées par la chrétienté apostate et ignorantes des vérités bibliques.

La crainte du clergé et de l’enfer de feu, doctrine qui n’a pas sa source dans les Écritures, retenait ces gens d’ouvrir la Bible. “Nous n’avons pas le droit de lire la Bible, disaient-​ils... ce livre est à l’Index... il est proscrit.” D’ailleurs, dans les petits villages, on trouve encore des personnes âgées qui se souviennent de l’interdiction que l’Église faisait peser sur la lecture de la Bible.

Mais l’emprise de la religion catholique sur le pays n’allait pas empêcher la bonne nouvelle du Royaume d’être prêchée conformément au commandement du Christ. Ce message que frère Russell avait commencé à répandre allait trouver un écho dans le cœur des catholiques sincères, qu’ils soient d’expression néerlandaise, française ou allemande.

La population belge est composée d’environ 60 pour cent de Flamands, qui occupent la partie septentrionale du pays (les Flandres) et parlent le néerlandais. Quant aux Wallons, qui représentent à peu près 40 pour cent des Belges, ils vivent dans le sud et parlent le français. Par ailleurs, ces deux communautés linguistiques se côtoient aussi à Bruxelles, la capitale. Enfin, quelque 60 000 germanophones habitent près de la frontière allemande, dans l’est de la Belgique.

LES PREMIÈRES GRAINES SONT SEMÉES

Jean-Baptiste Tilmant père vivait au début du siècle à Jumet-Gohissart, petite localité minière de la banlieue de Charleroi. Un beau jour de 1901, il vit dans un journal une publicité pour les livres de la série L’aurore du Millénium *. Il commanda sur-le-champ les deux premiers volumes et, dès réception, il se mit à les lire. Quel réconfort! Quelle émotion fit naître en lui l’éclat de la vérité de l’Évangile! Comment aurait-​il pu se retenir d’en parler à ses amis? L’année suivante, en 1902, il les réunissait chez lui pour étudier les Saintes Écritures. Par la suite, ce petit groupe continua à tenir de telles réunions tous les dimanches.

À cette époque, la lumière de la vérité avait déjà commencé à luire dans d’autres pays européens, notamment en Suisse, d’où frère Adolphe Weber s’occupait de l’œuvre du Royaume pour une partie de l’Europe. Poussé par son désir ardent d’en savoir plus sur la vérité, Jean-Baptiste Tilmant écrivit donc à ce frère pour obtenir de plus amples renseignements. En guise de réponse, frère Weber se rendit à Charleroi dans le cadre de ses tournées missionnaires afin de fortifier la foi du petit groupe.

La nourriture spirituelle que “l’esclave fidèle et avisé” dispensait déjà aux personnes de langue anglaise allait maintenant être mise à la disposition des francophones. En 1903, Le Phare de la Tour de Sion parut pour la première fois en français. La lumière de la vérité commençait à briller d’une manière particulièrement éclatante dans cette région minière. En effet, chaque dimanche matin, le petit groupe d’Étudiants de la Bible, comme on les appelait alors, se rendaient dans le “champ” pour semer les graines de vérité que contenait ce périodique de huit pages; ils le présentaient notamment à la sortie des églises. C’est ainsi que les deux premiers numéros du Phare de la Tour de Sion connurent une large diffusion.

LES DÉBUTS DE L’EXPANSION

Le petit groupe de Jumet-Gohissart repoussa peu à peu les limites de son territoire, surtout vers le sud, dans la partie francophone du pays. Il fallut attendre davantage pour que la vérité du Royaume de Dieu se propage aussi parmi la population flamande.

Dès le mois d’août 1904, dix ans avant que n’éclate la Première Guerre mondiale, ces courageux messagers de la bonne nouvelle allaient jusqu’à Denain, en France, pour offrir les périodiques aux gens qui sortaient du temple baptiste. Quels furent les résultats de leur activité? Deux ans plus tard, en 1906, une congrégation voyait le jour à Denain.

Jean-Baptiste Tilmant et ses compagnons continuant à propager courageusement les vérités bibliques, d’autres groupes d’étude vinrent à l’existence. Pour faire face à cette expansion, il devint nécessaire d’ouvrir un dépôt de publications chez frère Tilmant, à Jumet-Gohissart.

DE L’AIDE EN PROVENANCE DE FRANCE

Comme chacun le sait, la Belgique et la France sont des pays limitrophes. Jusque-​là, les frères belges s’étaient rendus en France pour y apporter leur aide; désormais, c’est l’inverse qui allait se produire. Effectivement, les groupes qui avaient été organisés en France grandirent tant et si bien qu’en 1913, plus de mille personnes se rassemblaient à Denain pour écouter un discours prononcé par frère J. Rutherford.

Vers 1910, François Caré, qui avait connu la vérité en France, se rendit à Liège, chez un ami protestant nommé Édouard Verdière. Frère Caré ne put s’empêcher de lui parler de la vérité, qui était en lui comme un feu brûlant. Il désirait aider son ami à sortir de la fausse religion. Toutefois, celui-ci s’opposa tant au message que frère Caré finit par lui dire: “Je ne discute plus avec toi. Je ne veux pas jeter mes perles aux pourceaux.” Sur ce, il alla se coucher.

Cette phrase tracassa M. Verdière toute la nuit. Le lendemain matin, il demanda au frère ce qu’il avait voulu dire. Ce dernier lui répondit qu’il ne lui parlerait plus de la vérité, puisqu’il n’appréciait visiblement pas les “perles” qui lui étaient offertes. À la suite de cette explication, son ami devint plus conciliant, de sorte qu’après son retour en France, frère Caré se mit à lui envoyer régulièrement les périodiques. Il lui expédia également plusieurs volumes des Études des Écritures. Édouard Verdière ne tarda pas à accepter la vérité et entreprit même de présenter des discours publics. Il était d’ailleurs au nombre des frères qui prirent la parole à l’enterrement de frère Jean-Baptiste Tilmant, en 1911.

Ainsi donc, dans une autre région de Belgique, à Liège, la lumière commençait aussi à percer les ténèbres.

L’OPPOSITION DU CLERGÉ

Dans la mine de charbon où il travaillait, Édouard Verdière avait un collègue nommé Léonard Smets qui, lui aussi, cherchait la vérité. C’était un catholique sincère qui fréquentait assidûment les offices avec sa famille. En se rendant à l’église, il avait même l’habitude de prier à l’aide d’un chapelet. Cet homme d’origine flamande avait élu domicile à Heure-le-Romain, à proximité de Vivegnis (Liège). En 1900, un protestant lui avait offert une Bible en lui disant: “J’ai le Livre de Dieu.”

Un jour, au confessionnal, Léonard Smets avoua au prêtre qu’il lisait les Écritures. Ce dernier lui répliqua que s’il voulait recevoir l’absolution de ses péchés, il devait d’abord lui remettre sa Bible. À partir de ce moment-​là, Léonard Smets cessa d’assister aux offices. Il se disait en effet: ‘S’ils sont sincères, ils viendront me voir, puisqu’ils doivent aller à la recherche des brebis perdues.’ Or, le prêtre ne vint jamais le voir. Léonard Smets se mit donc à fréquenter le temple protestant.

Même sur son lieu de travail, à la mine, Smets lisait le Nouveau Testament. Un jour, Verdière s’en aperçut. Curieux de connaître sa religion, il entonna un cantique protestant. Il n’en fallut pas plus pour attirer l’attention de Smets, qui lui demanda s’il était également protestant. “Je l’étais, répondit frère Verdière, mais j’ai quelque chose de meilleur pour toi.” Sur quoi il lui offrit un numéro du Phare de la Tour de Sion et rendit témoignage à fond à la vérité. Cela se passait en 1912.

Léonard Smets ne garda pas non plus cette bonne nouvelle pour lui. Il la partagea avec un collègue de travail flamand du nom de Joseph Poelmans, qui était père de sept enfants. Désabusé par les enseignements du catholicisme, cet homme s’était aussi tourné vers le protestantisme. Cependant, lorsqu’il lut le périodique que Smets lui avait donné, il y reconnut à son tour l’accent de la vérité.

Quelque temps plus tard, nos trois mineurs, Verdière, Smets et Poelmans, décidèrent d’aller interroger le ministre du culte protestant de Herstal (Liège) sur les doctrines de l’immortalité de l’âme, de la trinité et du feu de l’enfer. Au lieu de les aider, le pasteur, en grande colère, les mit à la porte. S’étant ainsi rendu compte qu’il n’était pas meilleur que le prêtre catholique, ils commencèrent à se réunir régulièrement entre eux pour étudier les Saintes Écritures à l’aide des périodiques qu’ils recevaient de France.

EN BUTTE À L’OPPOSITION FAMILIALE

La femme de frère Smets, qui ne savait ni lire ni écrire, s’opposa à la prise de position de son mari pour la vérité au point de se préparer à le quitter en emmenant ses huit enfants. Un jour, avant que son mari ne rentre du travail, elle les rassembla tous pour leur faire part de ses intentions. Marcel, son fils aîné, qui était âgé de 15 ans et qui devint Témoin par la suite, lui demanda alors: “Est-​ce que papa te bat? Est-​ce qu’il boit? Est-​ce qu’il garde sa paye pour lui tout seul?” “Non”, reconnut sa mère. En réponse, Marcel décréta qu’il ne quitterait pas la maison. Sur ces entrefaites, le père arriva. Il déclara calmement à sa famille: “Si vous partez, j’irai quand même vous aider à faire le jardin et à couper du bois.” Ces paroles empreintes d’amour permirent à la famille de rester unie.

LA SITUATION EN 1912

En 1912, sept groupes se réunissaient pour étudier et pour prêcher dans les villes suivantes: Haine-Saint-Paul, Flémalle-Haute, Engis, Amay, Ampsin, Liège et Jumet-Gohissart, là où le premier groupe avait été formé en 1902. Chacun de ces groupes organisait des réunions mensuelles et recevait périodiquement la visite de frère Weber, du bureau de Suisse.

UNE PREMIÈRE ASSEMBLÉE STIMULANTE

Vers le début de l’année suivante, les chrétiens de Belgique reçurent la visite de frère J. Rutherford et tinrent à cette occasion leur première assemblée à Jumet-Gohissart. Ce rassemblement affermit profondément leur foi dans l’établissement imminent du Royaume messianique.

PREMIÈRE ASSEMBLÉE INTERNATIONALE

Quelques mois plus tard, le 31 août 1913, ces mêmes frères eurent le privilège d’assister à une autre assemblée, non pas en Belgique cette fois, mais à Paris. Ils se réunirent donc pour une journée avec d’autres Étudiants de la Bible venus de Suisse, d’Allemagne et de France, afin d’écouter frère Russell, président de la Société. Celui-ci arrivait de Southport, en Angleterre, où s’était déroulée une assemblée un peu plus importante. Néanmoins, il était profondément touché de voir 70 frères et sœurs zélés qui avaient dû parcourir de longues distances pour venir de quatre pays. Bien qu’il ne connût pas leur langue, il pouvait lire sur leurs visages le profond intérêt qu’ils portaient à la vérité. Par l’entremise d’un interprète, il les fortifia en expliquant que 1914 serait une année extraordinaire. Ce fut vraiment une journée mémorable!

1914 — L’ANNÉE MARQUÉE

Vers la fin de 1913, juste avant le début de l’année marquée, l’assistance moyenne aux études organisées par l’ensemble des groupes était d’environ 70 personnes. Alors qu’ils voyaient poindre 1914, les gens n’avaient pas oublié ce que les fidèles proclamateurs avaient annoncé pour cette année-​là. Ainsi, certains se moquaient des frères en les voyant arracher leurs pommes de terre, car l’année précédente ceux-ci avaient prédit qu’en 1914 on arracherait les pommes de terre au son des canons. Cependant, peu après, la Première Guerre mondiale éclatait en Europe, transformant la Belgique en un véritable champ de bataille. Cette preuve évidente que les temps des Gentils avaient réellement pris fin encouragea les Étudiants de la Bible à poursuivre leur œuvre de prédication. — Luc 21:24-26.

Pendant la guerre, ces humbles mineurs firent aussi montre de zèle pour assister aux assemblées. À cette fin, il leur fallait parfois parcourir à pied les 99 kilomètres qui séparent Liège de Charleroi en longeant la voie ferrée.

La foi de tous allait être pleinement éprouvée au cours des années qui suivirent 1914 (Rév. 2:10). Certes, 1914 se révéla bien être l’année marquée par la Bible; toutefois, le moment n’était pas encore venu pour les membres de la congrégation chrétienne d’être enlevés aux cieux, contrairement à ce que de nombreux frères espéraient. Une œuvre de témoignage sans précédent restait à effectuer. Qui donc se montrerait disposé à obéir au commandement du Christ en prêchant “cette bonne nouvelle du Royaume” avant la fin (Mat. 24:14)? Le zèle et le désir de proclamer le Royaume firent défaut à un certain nombre d’individus qui se retirèrent du peuple de Jéhovah. Par ailleurs, des écrits polémiques qui mettaient en avant des opinions personnelles plutôt que les vérités révélées par Dieu commencèrent à circuler parmi les petits groupes.

UN TEMPS DE PURIFICATION

En 1918, lorsque l’organisation de Dieu eut été purifiée de tous ceux qui s’opposaient à l’œuvre de la moisson, il ne restait plus que cinq fidèles serviteurs de Jéhovah pour annoncer son Royaume. Il s’agissait de la famille Tilmant, de frère Fontaine, qui habitait Haine-Saint-Paul, ainsi que de frères Smets et Poelmans, de Liège. Même Édouard Verdière, lui qui avait pourtant déployé tant d’empressement pour présenter des discours publics et projeter le Photo-Drame de la Création, n’était plus des leurs. Frère Poelmans ne pouvait contenir ses pleurs en voyant un si grand nombre de chrétiens quitter l’organisation de Jéhovah. Une trentaine d’années plus tard, vers 1950, Édouard Verdière revint à l’organisation, et il resta uni aux frères jusqu’à sa mort.

Les écrits polémiques édités par le “mauvais esclave” continuaient à circuler dans les groupes d’étude. Il fallait posséder une foi inébranlable en Jéhovah et en son organisation pour tenir tête à ceux qui voulaient corrompre les frères fidèles. Lors d’une réunion, frère Poelmans prononça un discours direct et enthousiaste pour encourager ses auditeurs à se confier en l’organisation de Jéhovah. L’orateur suivant se retira sans présenter son sujet, car il n’avait pas du tout prévu de parler dans le même sens.

Les frères qui étaient restés fidèles ne perdaient pas courage. Au contraire, ils proclamaient le Royaume messianique avec plus de zèle qu’auparavant. Par tout le pays, ils annonçaient que ‘des millions d’hommes ne mourraient jamais’. Deux ans plus tard, en 1920, le fruit de leur travail était manifeste: Quatorze personnes assistèrent au Mémorial à Jumet-Gohissart et à Charleroi, et quarante à Liège. Ceux qui, par crainte de l’homme ou par refus de coopérer avec “l’esclave fidèle et avisé”, avaient quitté le peuple de Jéhovah en 1918 tombèrent vite dans l’oubli.

JÉHOVAH BÉNIT LES HUMBLES

Le message du Royaume ne tarda pas à gagner la partie flamande de la Belgique. Frère Poelmans parcourut 120 kilomètres à bicyclette pour se rendre de Liège à Anvers, la plus grande ville du pays, afin d’y propager la parole de vérité.

Mais frère Poelmans n’accomplissait pas seulement cette activité à Anvers. En compagnie de frère Smets, il prêchait également de porte en porte à Liège. Ils étaient d’ailleurs les seuls à le faire dans cette ville. Comme ni l’un ni l’autre ne savaient écrire correctement, ils demandaient à ceux qui ne prêchaient pas de remplir leurs rapports de service à leur place. Ces rapports étaient ensuite envoyés à la filiale suisse qui dirigea l’œuvre en Belgique jusqu’en 1929. Toutefois, le bureau de Suisse insista pour que ces deux frères établissent eux-​mêmes leurs rapports de la meilleure façon possible.

Frère Smets avait acquis une intelligence remarquable de la Bible. En 1931, il quitta son travail pour devenir pionnier de vacances, ou pionnier auxiliaire, selon l’appellation qu’on utilise maintenant. À l’exemple de l’apôtre Paul, il n’était un fardeau coûteux pour personne, car il travaillait comme cordonnier pour subvenir aux besoins de sa famille. Même en réparant les chaussures, il s’arrangeait pour lire la Bible en la plaçant ouverte devant lui. Il conserva une remarquable lucidité jusqu’à sa mort, qui survint en 1964 alors qu’il était âgé de 95 ans.

ANNONCEZ LE ROYAUME!

En 1922, frère Poelmans eut la possibilité d’assister à une assemblée organisée à Denain (France). Il se rappelle y avoir vu un frère qui tenait bien haut une grande bannière, tout en déclarant à haute voix: “Le Roi est présent. Proclamez le Roi et son Royaume.” Ce matin-​là, tous les assistants allèrent de maison en maison pour annoncer l’instauration du Royaume de Dieu.

UNE ACTIVITÉ ACCRUE À LIÈGE

L’œuvre était en plein essor dans la région de Liège. Ayant noté que frère Poelmans était d’origine flamande, les gens le surnommaient “le petit Flamand”. Lui et frère Smets saisissaient toutes les occasions pour donner le témoignage. Ils s’efforcèrent même de le faire lors du défilé organisé en 1925 en l’honneur d’Albert Ier, roi de Belgique. Ils se mêlèrent en effet au cortège en brandissant une pancarte sur laquelle on pouvait lire: “Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais.” Ils suivirent le défilé jusqu’au bout sans que personne ne les inquiète.

Les 13 proclamateurs de Liège virent encore leur petit groupe s’élargir en 1928, quand Ernest Heuse père se joignit à eux. Du reste, ce vaillant proclamateur du Royaume est toujours pionnier, bien qu’âgé de 82 ans. À présent, ses trois fils, ses belles-filles, ses trois petits-fils et les femmes des deux d’entre eux qui sont mariés servent tous Jéhovah à plein temps. Fin 1982, ces 12 chrétiens avaient passé l’équivalent de 244 années dans ce service, comme pionniers spéciaux pour la plupart; plusieurs sont maintenant surveillants de circonscription ou de district. En outre, un membre de cette famille fait partie du comité de la filiale.

Tandis que frères Poelmans, Smets et Heuse se dépensaient pour annoncer le Royaume de Dieu de maison en maison, les autres les critiquaient, prétextant qu’ils n’étaient pas qualifiés pour accomplir une telle œuvre. Ces railleurs oubliaient que “Dieu a choisi les choses sottes du monde pour faire honte aux hommes sages”. (I Cor. 1:27.) Ceux qui ne progressaient pas et qui restaient attachés à leur ancien mode de vie fondé sur les conceptions des fausses religions refusaient de revêtir la nouvelle personnalité chrétienne. Témoin l’attitude de celui qui présidait les réunions du petit groupe de Liège. À l’instar des chefs religieux, cet ancien élu démocratiquement préférait attirer l’attention sur sa personne plutôt que d’aller prêcher. Comme il était le président, avant de commencer l’étude de La Tour de Garde il se faisait servir une tasse de thé et un morceau de gâteau qu’il dégustait sous les yeux des assistants. Ensuite seulement, la réunion débutait.

D’autres encore, paralysés par la crainte de l’homme, n’osaient pas aller diffuser les publications de porte en porte dans la journée; aussi attendaient-​ils le crépuscule pour glisser quelques dépliants sous les portes. Il en était même qui payaient un retraité pour le faire à leur place. Mais Jéhovah se révéla être avec ceux qui l’aimaient vraiment et qui ne craignaient pas de faire connaître sa Parole de vérité au grand jour.

L’EXPANSION EN TERRITOIRE FLAMAND

Frère Poelmans continuait à prêcher dans le territoire flamand. En 1928, il retourna voir un ancien mineur polonais à Genk-Winterslag. À la suite de sa visite, cet homme nommé André Wozniak prit position pour la vérité. C’est à partir de cette année-​là que le message du Royaume se répandit vraiment parmi la population de langue néerlandaise. Jusque-​là, en effet, des groupes d’étude n’étaient organisés que dans la partie francophone de la Belgique.

Deux années plus tard, en 1930, frère Wozniak entreprit le service de colporteur (pionnier permanent). Il fut l’un des plus courageux colporteurs en territoire flamand. Cet homme actif, sincère et entièrement dévoué aux intérêts du Royaume servit fidèlement jusqu’à sa mort, à l’âge de 74 ans. Il passa 43 ans dans le service à plein temps, notamment comme surveillant de circonscription et pionnier spécial.

OUVERTURE D’UNE FILIALE

En 1929, il s’avéra utile d’ouvrir une filiale en Belgique. On estima que Bruxelles serait le siège le plus adéquat pour ce bureau. Frère Van Eijck, qui était originaire des Pays-Bas, fut nommé surveillant de filiale. Au début, le bureau de Berne, dont frère Martin Harbeck était responsable, exerçait toujours un contrôle sur cette nouvelle filiale. Mais par la suite, celle-ci passa sous la surveillance directe du siège mondial de la Société, à Brooklyn.

Pour la première fois en 1929, tous les rapports furent compilés. Au total, 28 proclamateurs s’étaient dépensés pour aider d’autres personnes à se libérer de l’esclavage religieux. Neuf de ces proclamateurs servaient comme colporteurs. Tous ces frères avaient distribué 41 358 livres et brochures au cours de l’année.

L’EXPANSION SE POURSUIT

En 1930, la moisson était grande mais les ouvriers du Seigneur peu nombreux. Seuls 27 des 46 frères de Belgique prêchaient le Royaume de Dieu de maison en maison. Or le pays comptait sept millions d’habitants à l’époque.

Cependant, les frères furent grandement encouragés par l’assemblée qui se tint cette année-​là à Bruxelles. Ce rassemblement stimula particulièrement le groupe qui avait été formé tout récemment dans cette ville. Sur les cent assistants, vingt venaient de France, de Suisse et d’Angleterre. Bien qu’appartenant à douze communautés linguistiques différentes, tous ces frères ressentirent la profonde unité qui régnait parmi eux. C’est lors de cette assemblée que frère Wozniak décida d’entreprendre le service de pionnier. Il se constitua donc une réserve de publications en prévision de son activité de témoignage, qui allait l’emmener dans une autre province flamande de Belgique, le Limbourg.

Au cours de la même année, plusieurs pionniers anglais s’installèrent dans les Flandres. Sœur Louie Berry, qui était de leur nombre, se souvient d’une réunion où treize Étudiants de la Bible rassemblés dans une cuisine, à Bruxelles, examinaient le texte d’Ésaïe 60:22 qui dit: “Le petit deviendra un millier.” Ces paroles devaient se réaliser en Belgique.

La première assemblée internationale importante organisée à Paris en mai 1931 réunit 3 000 frères de 23 pays différents. Elle insuffla aux frères belges la motivation et la détermination dont ils avaient besoin pour aller de l’avant en faisant le maximum dans l’œuvre que Dieu leur avait confiée.

Mais comment ce petit noyau de 27 proclamateurs pouvait-​il propager la bonne nouvelle dans tout le pays malgré les assauts répétés de l’Église, qui excitait continuellement les gens contre eux et qui faisait pression sur la police pour obtenir l’expulsion des pionniers étrangers? Heureusement, Jéhovah était là pour protéger ces proclamateurs hardis qui prêchaient la bonne nouvelle du Royaume, conformément au commandement du Christ. — És. 51:16; Mat. 24:14.

L’ENDURANCE DES PIONNIERS

La plupart des pionniers qui servaient en Belgique venaient d’Angleterre, de France ou de Suisse. Ceux qui avaient du mal à parler le néerlandais ou le français se servaient d’une carte de témoignage. Les efforts de ces frères furent couronnés de succès. Par exemple, au cours de l’année 1931, un frère polonais plaça 2 110 livres et 10 338 brochures. Un pionnier anglais, lui, distribua 15 000 brochures. Mais pareils résultats ne furent pas atteints sans que l’opposition se manifeste. Dès que les pionniers entraient dans un village, les prêtres se précipitaient au poste de police pour inciter les forces de l’ordre à les arrêter. Malgré tout, les pionniers persévéraient dans leur prédication. Ils ont beaucoup soutenu et encouragé les petits groupes.

CRÉATION D’UNE ASSOCIATION LÉGALE

Incontestablement, les adversaires de la vérité ne voyaient pas d’un bon œil la tournure que prenaient les événements. Ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour que les proclamateurs soient arrêtés et les pionniers étrangers expulsés. Afin que l’organisation soit dûment représentée devant la loi, on créa une association à but non lucratif déclarée sous le nom de Watch Tower Bible and Tract Society. Ses statuts furent publiés le 7 mai 1932 dans Le Moniteur Belge, le journal officiel du pays.

La même année, juste avant que le pape Pie XI proclame 1933 “année sainte” et que le nazisme se hisse au pouvoir en Allemagne, les frères belges distribuèrent plus de 196 000 livres et brochures; ce chiffre avait plus que doublé par rapport à l’année précédente.

DES CATHOLIQUES EFFRAYÉS

Les ennemis s’opposaient toujours à l’œuvre avec acharnement. Les menaces d’expulsion des pionniers étrangers et d’arrestation des proclamateurs belges étaient directement liées aux sermons que les prêtres prononçaient pour exciter leurs ouailles contre les proclamateurs du Royaume de Dieu. Les gens étaient transis de peur. Les paysans de la province catholique du Limbourg pensaient même que frère Wozniak était le Diable en personne. D’ailleurs, ils se signaient chaque fois qu’ils le croisaient. Pour écarter ces préjugés, frère Wozniak s’acheta un chapeau melon noir qui lui donnait un air très distingué. Il passait désormais pour quelqu’un de respectable, ce qui lui permettait de distribuer en moyenne dix livres et cent brochures par jour.

UNE OPPOSITION ACCRUE

Dans la partie germanophone du pays, des groupes nazis commençaient à se former. Ils s’en prirent tout d’abord aux frères Belflamme et Novak, qui diffusaient les périodiques à Eupen. Une douzaine de jeunes nazis leur arrachèrent sauvagement leurs sacs de périodiques. Les attaques devinrent si brutales, si scandaleuses, que la police dut intervenir pour protéger les frères.

Ailleurs, les autorités interdirent aux pionniers étrangers de prêcher le Royaume; plusieurs furent même expulsés du pays. Sur les 26 qui étaient là en 1933, six seulement parvinrent à rester en Belgique. En 1934, on fit appel à la sollicitude du roi Léopold III, du premier ministre et du ministre de la Justice, mais en vain. Frère Wozniak, qui était recherché par la police, échappa de justesse à l’expulsion. À la suite d’un changement de gouvernement, le nouveau ministre de la Justice, homme plus libéral, lui accorda la permission de rester.

DANS L’ARDENNE

Dans un village du grand-duché de Luxembourg, deux frères catholiques parlaient religion un jour de 1934. “S’il n’y a rien d’autre que ce que les curés nous ont enseigné, disait l’un, alors nous ne savons rien sur Dieu.” Et l’un d’entre eux d’ajouter: “Si seulement nous avions une Bible!” Quelques jours plus tard, leur désir se réalisa. En effet, un Témoin de Jéhovah frappa à leur porte; ces deux hommes sincères en quête de vérité purent enfin se procurer la Parole de Dieu.

Peu après, l’un d’eux mourut. L’autre alla s’installer à Bruxelles, où il devint une nouvelle colonne pour l’œuvre du Royaume en Belgique. Ce frère, nommé Emile Schrantz, entreprit le service de pionnier en 1936. La patience et l’humilité qui le caractérisent ne l’empêchèrent pas de faire montre de dynamisme dans l’accomplissement de son ministère en faveur des Belges de langues française et néerlandaise. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il visita les frères dans la clandestinité en tant que serviteur de zone (surveillant de circonscription). D’ailleurs, malgré son grand âge, cet homme de foi et d’action est toujours pionnier spécial.

Il commença son service de pionnier itinérant dans une région de Belgique appelée l’Ardenne. Il se déplaçait en bicyclette dans cette contrée à la population clairsemée, pour atteindre les villages perchés sur des collines boisées où les gens vivaient dans une crainte superstitieuse des prêtres. Bien que souvent appréhendé par la police, il n’obtempéra jamais à l’ordre d’arrêter de prêcher le Royaume. À Bastogne, il fut interpellé plusieurs fois au cours d’une même semaine et, devant sa persistance, les policiers finirent par l’emmener au commissariat. Là, le commissaire lui enjoignit de cesser son activité sur-le-champ. Frère Schrantz répondit tout simplement: “Non.” Il n’interrompit jamais sa prédication, en dépit des nombreuses menaces qui lui furent adressées à l’instigation du clergé.

Il ne lui était pas facile de trouver de l’encouragement. Les gens ne l’invitaient que très rarement à entrer chez eux pour leur présenter son message. En fait, c’est Jéhovah qui se révéla être son principal soutien. Les lettres qu’il recevait de la Société constituaient son seul contact avec les frères. Elles lui conseillaient de suivre l’exemple des prophètes. Par conséquent, lorsqu’il se sentait découragé, il s’isolait à l’orée d’un bois pour lire et relire un article de L’Âge d’Or qui retraçait ce que les prophètes avaient dû supporter; après quoi il reprenait sa route.

Il dispensa l’enseignement de la Bible à quelques humbles paysans de l’Ardenne qui parvinrent à connaître Jéhovah et sa vérité. Cette région compte de nos jours sept congrégations qui louent le vrai Dieu.

LA “GRANDE FOULE”

À compter de 1935, la “grande foule” commença à se manifester. Les membres de cette classe se mirent à servir Jéhovah avec autant de zèle que les chrétiens oints de l’esprit auxquels ils venaient se joindre. Ils se réjouissaient des privilèges qui leur étaient octroyés. Cela démontrait à l’évidence que la place que Jéhovah nous assigne est sans aucun doute celle qui nous convient le mieux, comme frère Rutherford l’expliqua cette année-​là à l’assemblée de Washington. Le discours capital du président de la Société fut d’ailleurs retransmis à Bruxelles où même les frères qui ne connaissaient pas l’anglais comprirent, grâce aux interminables applaudissements de l’assistance de Washington, qu’un message important venait d’être proclamé jusqu’aux confins de la terre.

Sur les treize congrégations de Belgique, on comptait alors trois congrégations polonaises à Liège, Charleroi et Beringen, ainsi que trois congrégations allemandes à Genk, Eisden et Roux. Une nouvelle congrégation de dix proclamateurs fut formée à Ypres (Ieper), ville flamande qui avait été complètement détruite pendant la Première Guerre mondiale. Qui plus est, une assemblée fut organisée dans cette cité catholique en 1936. Les cinquante frères qui s’y rendirent se réjouirent de voir cinquante-cinq Témoins venus spécialement de France pour prêcher avec eux. Parmi les orateurs, on remarqua la présence de frères Harbeck et Gertz, de Suisse. Il y a maintenant quinze congrégations dans le territoire dont s’occupaient à l’époque les dix Témoins qui composaient la congrégation d’Ypres.

L’EXPOSITON INTERNATIONALE DE 1935

L’exposition internationale organisée en 1935 à Bruxelles aida grandement les autorités belges à adopter une attitude plus conciliante à l’égard de l’œuvre du Royaume. Les frères y aménagèrent en effet un stand où ils disposèrent des publications. Une grande pancarte portant les mots “Watch Tower Bible and Tract Society” et “Les Témoins de Jéhovah” attira l’attention de milliers de visiteurs. Après avoir quitté le stand, de nombreuses personnes revenaient y retirer des publications, tandis que d’autres se rendaient sans plus attendre au bureau de la filiale pour se procurer une série complète de livres. Les frères distribuèrent des milliers de dépliants aux visiteurs qui passaient devant le stand. Quelques-uns s’exclamèrent d’ailleurs: “C’est ce que nous avons trouvé de mieux dans toute l’exposition!”

En revanche, les prêtres qui visitaient l’exposition internationale se mettaient en fureur quand ils voyaient le stand où étaient étalées les publications de la Société. L’un d’eux demanda aux frères s’ils avaient bien l’autorisation de vendre des livres à l’exposition. Un autre, après avoir pris quelques ouvrages en main pour y jeter un coup d’œil, les laissa soudain tomber comme s’il venait d’être frappé par la foudre.

Les frères exposèrent aussi des publications en 35 langues différentes dans deux grandes vitrines de la section des arts graphiques. Du reste, cela valut à la Société de se voir décerner la médaille d’argent de cette section. Toutefois, les frères furent encore beaucoup plus heureux d’obtenir le droit de prêcher la bonne nouvelle. Les pionniers étrangers furent de nouveau autorisés à s’établir dans le pays, et l’on compta bientôt 14 serviteurs à plein temps.

DES FRÈRES POLONAIS INTRÉPIDES

À Charleroi, de courageux frères polonais employés dans les mines de charbon se dépensaient beaucoup pour faire progresser l’œuvre. Frères François Brzoska, François Hankus, Albin Glowacz et Jean Radojewski, qui recevaient l’aide d’un pionnier allemand, n’hésitaient pas à proclamer le Royaume malgré leur connaissance limitée du français. Plusieurs pionniers anglais servaient sans crainte à leurs côtés dans cette œuvre de la plus haute importance; citons sœurs Mona Pratt, Nancy et Louie Berry, frère Ernest Senior ainsi que frère et sœur Trinder.

LE CLERGÉ PERD SON EMPRISE

Après quatre années de luttes juridiques contre la police, qui agissait à l’instigation du clergé, les frères remarquèrent que les autorités adoptaient une attitude plus conciliante à leur égard. Témoin le cas de ce pionnier traduit en justice par un bourgmestre (maire) catholique qui l’accusait de prêcher de porte en porte sans autorisation. Une discussion animée s’engagea entre le juge et le bourgmestre. Finalement, le juge, furieux, frappa du poing sur la table et s’écria: “C’est moi le juge ici; cet homme est libre, car il accomplit une bonne œuvre. Voudriez-​vous peut-être que je condamne les nonnes parce qu’elles se rendent de porte en porte?”

DES PHONOGRAPHES MONTÉS SUR DES TRIPORTEURS

Les frères se procurèrent deux phonographes. À Liège, l’un de ces appareils fut acheté avec les économies des frères Smets et Poelmans. Ceux-ci l’installèrent sur un triporteur qui, une fois équipé avec les accessoires et la batterie, pesait 55 kilogrammes. Ils l’amenaient sur les places de marché ou devant les églises, et l’on pouvait entendre les discours enregistrés à plusieurs centaines de mètres à la ronde. Vu son poids, les frères se mettaient à deux pour tirer le triporteur sur lequel ils faisaient parfois asseoir un ou deux de leurs enfants. Ils surveillaient toujours l’appareil, car, à Visé, une bande de jeunes catholiques avaient essayé de le renverser. Au cours de l’année 1935, les frères passèrent 27 journées de dix heures à diffuser le message à l’aide de ces phonographes. En outre, ils distribuèrent 369 brochures, 79 exemplaires de L’Âge d’Or, 7 livres et une Bible parmi les 3 595 personnes qui écoutèrent les discours.

UN EXEMPLE DE FIDÉLITÉ

En 1936, de nouveaux pionniers arrivèrent en Belgique. Ce fut notamment le cas de Werner Schutz, de Suisse, qui avait servi en France jusqu’en 1935, date à laquelle la police de Bar-le-Duc l’expulsa du pays. Frère Schutz se présenta au bureau de Bruxelles en janvier 1936. Sa nouvelle affectation étant la cité flamande d’Anvers, il lui fallut apprendre le néerlandais. Il était le seul Témoin dans cette ville de 300 000 habitants, qui avait pourtant été visitée en partie par frère Poelmans et par deux sœurs anglaises, Nancy Berry et Jessie Whitmore.

L’année 1936 fut particulièrement mémorable pour les frères belges qui eurent la possibilité d’assister à l’assemblée de Lucerne, en Suisse. En effet, frère Rutherford y prononça le discours public tandis que la police assurait la protection de la salle. Pour assister à cette assemblée, frère Schutz parcourut à vélo les 700 kilomètres qui séparent Anvers de Lucerne.

Frère Schutz combattit vaillamment pour la théocratie jusqu’à sa mort, qui survint en 1972. Il se dépensa dans le service à plein temps pendant 47 ans. Il poursuivit même son activité de prédication au cours de l’occupation nazie. Durant cette période, il fut d’ailleurs l’un des principaux piliers de l’œuvre aux côtés de frères Wozniak, Schrantz et Hartstang.

DE SOMBRES PRÉSAGES DE GUERRE

En 1937, la menace d’une Seconde Guerre mondiale se fit plus inquiétante. L’Église catholique profita du nationalisme exacerbé qui prévalait pour inciter de nouveau la police à arrêter les frères. Malgré tout, des graines de vérité continuaient à germer, non seulement à Anvers, mais dans tout le territoire flamand. Des pionniers s’affairaient à brandir l’“étendard” du Royaume à Gand, la ville natale de Charles Quint, empereur d’Espagne. Les habitants de cette ville, dont le nombre dépassait les 160 000, n’avaient encore jamais entendu parler de la vérité. À la fin de l’année de service 1937, le pays comptait 16 congrégations prêtes à étendre leur activité.

RÉTABLISSEMENT DE L’ORDRE THÉOCRATIQUE

En 1938, le rétablissement de l’ordre théocratique dans les congrégations fut un sujet d’exultation. Cependant, quelques anciens élus démocratiquement, excellents orateurs au demeurant, n’acceptèrent pas sur-le-champ cette disposition divine. Ainsi, dans une congrégation du Limbourg, plusieurs frères étaient restés attachés à l’élection démocratique des anciens. Toutefois, frère Wozniak les aida à adopter le bon point de vue sur cette question. Grâce aux visites que trois surveillants de circonscription leur rendaient, les 20 congrégations du pays prospéraient. Les 22 pionniers de l’époque, pour leur part, diffusaient largement les écrits bibliques, aux côtés de 135 proclamateurs mieux organisés.

UNE NOUVELLE VAGUE DE NATIONALISME

Quand la Belgique mobilisa ses troupes pour prévenir l’agression nazie qui s’annonçait, le clergé profita une fois de plus de la fièvre nationaliste pour faire obstacle à la prédication de la bonne nouvelle du Royaume. Les frères furent convoqués de plus en plus fréquemment pour des interrogatoires par les autorités militaires ou par la police belge.

Un jour, à Braine-le-Comte, une sœur laissa un numéro de Consolation à la femme d’un militaire. Or, l’illustration qui figurait sur la couverture de ce périodique représentait Hitler monté sur une bête féroce, foulant aux pieds le genre humain. Dès que le mari aperçut cette image, il saisit le périodique et retourna à la caserne pour signaler aux officiers que des Témoins de Jéhovah étaient passés dans son quartier. Le soir même, trois officiers arrêtaient les frères, les accusant d’être des espions à la solde de Hitler. Ces hommes aveuglés par Satan refusèrent d’écouter les explications pourtant claires que les Témoins leur fournirent. Ils leur dirent qu’ils seraient traduits devant le conseil de guerre pour espionnage. Toutefois, le déclenchement de la guerre les empêcha de parvenir à leurs fins.

Malgré les menaces de la police, qui était manœuvrée par le clergé, l’œuvre faisait de bons progrès dans la ville portuaire d’Anvers. Frères Schrantz et Wozniak continuaient d’y préparer la formation d’une première congrégation. Frère Schrantz ne se laissait pas intimider par les officiers de police qui lui disaient: “Si vous voulez jouer les martyrs, vous finirez rue des Béguines (la prison d’Anvers).” En fait, il n’a pas terminé sa carrière chrétienne rue des Béguines. Bien qu’en 1940 les nazis l’aient jeté dans cette prison parce qu’il refusait de leur révéler l’adresse de son compagnon de service, frère Wozniak, il est toujours pionnier aujourd’hui, grâce à la direction et à la protection de Jéhovah.

Dans le Limbourg, des frères virent un prêtre indiquer à un officier de police le pâté de maisons dans lequel d’autres Témoins prêchaient la bonne nouvelle. Ce jour-​là, frère Vincent Golic et ses compagnons de service furent arrêtés. On les informa qu’ils s’exposaient à de longues peines de prison s’ils poursuivaient leur prédication de maison en maison.

Dans la partie francophone de la Belgique, les prêtres s’opposaient eux-​mêmes aux pionniers, car ils n’étaient pas contents de les voir marcher sur leurs plates-bandes. Ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour se débarrasser d’eux: ils mettaient leurs ouailles en garde contre eux, ils les menaçaient, ils alertaient la police, ils poussaient des enfants à les harceler en leur jetant des pierres ou en crevant les pneus de leurs vélos, et ils passaient derrière eux pour se faire remettre les publications qu’ils distribuaient. Malgré tout, il arrivait souvent que des villageois disent aux frères: “Donnez-​moi plusieurs de vos brochures; quand monsieur le curé viendra, je lui en donnerai une pour le contenter et je garderai les autres pour les lire.”

À Ciney, un moine de l’ordre des Pères Blancs s’opposa farouchement à Mona Pratt et à sa compagne. Il leur ordonna d’abord de cesser immédiatement leur activité. Les deux sœurs lui rétorquèrent que Dieu les avait ordonnées pour qu’elles annoncent le Royaume. “Je suis dans les saints ordres, répliqua le moine, et je peux vous dispenser de cette ordination de Dieu.”

Courageusement, nos deux pionniers reprirent néanmoins leurs bicyclettes pour se rendre au village voisin afin d’y distribuer la brochure intitulée La Guerre universelle est proche. Mais le moine les suivit pour demander aux gens de lui remettre les brochures. Cependant, il ne les récupéra pas toutes, car ceux qui avaient pris deux brochures ne lui en donnèrent qu’une. Finalement, il s’approcha des sœurs avec les quelques brochures qu’il avait réussi à s’approprier et leur dit qu’il allait en faire un grand feu de joie. Mais cela n’empêcha pas la vérité de prendre racine dans cette région; aujourd’hui, en effet, des congrégations prospèrent à Dinant, à Namur et à Ciney, là où ces sœurs anglaises ont prêché la parole de Jéhovah.

UN TÉMOIGNAGE SANS PRÉCÉDENT EST DONNÉ AVANT LA GUERRE

Un témoignage sans précédent fut donné en Belgique avant l’invasion allemande. En 1939, un maximum de 218 proclamateurs et de 33 pionniers avaient été progressivement formés pour le ministère du Royaume; de plus, le service était maintenant organisé d’une manière théocratique. Pendant les onze années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, les Témoins avaient étendu leur activité à une grande partie du pays et distribué près de 1 500 000 publications. Onze nouvelles congrégations avaient été créées en 1939, ce qui portait leur nombre total à 31. Mais durant l’occupation, qu’allait-​il advenir de ce “champ” en culture?

L’INTERDICTION ET LA GUERRE

Les premiers assauts furent lancés contre l’œuvre du Royaume avant même l’arrivée des troupes de Hitler. Le 30 mars 1940, le ministre de l’Intérieur annonçait que toutes les publications de la Société étaient désormais interdites, sous prétexte qu’elles sapaient le moral des troupes et de la population. Cependant, le gouvernement belge n’eut pas le loisir d’appliquer cette décision, car, à peine deux mois plus tard, les nazis arrivaient et s’en chargeaient à sa place.

Le 10 mai 1940, la Belgique était à nouveau transformée en champ de bataille. Les pionniers anglais se demandaient ce qu’ils devaient faire. Ils attendaient les instructions du bureau, mais ils apprirent que le nouveau surveillant de filiale avait disparu. Ils se rangèrent donc à l’avis de leur consulat et retournèrent en Angleterre. Seule sœur Pratt resta en Belgique et continua son activité de prédication dans la clandestinité. C’est aussi ce que fit François Brzoska, un frère d’origine polonaise qui devint son mari par la suite.

Un jour, en allant de porte en porte pendant la guerre, sœur Brzoska entra sans le savoir dans un magasin tenu par un agent nazi. Elle ne se rendit compte du danger qu’au moment où elle remarqua un grand portrait de Hitler. Mais il était trop tard pour s’éclipser, car le nazi était là, devant elle. Elle lui proposa donc le Nouveau Testament en expliquant qu’il offrait l’espérance de la vie éternelle dans un nouvel ordre de choses où régnerait la paix.

“Oh, oui, je crois en un nouvel ordre de choses, répondit-​il. Et je sais, ajouta-​t-​il en désignant du doigt le portrait de Hitler, qu’il s’efforce de l’instaurer pour mille ans. Évidemment, nous ignorons combien de temps il faudra pour l’établir, car il y a une race qui doit être exterminée au préalable.”

Dans sa réponse, sœur Brzoska laissa entendre qu’il faisait sans doute allusion aux Juifs. “Non, rétorqua-​t-​il, aux Anglais!” Comble de malchance, il vouait une haine implacable aux Anglais. Fixant du regard la sœur, qui avait un accent en raison de ses origines britanniques, il lui demanda: “Quelle est votre nationalité?”

“Polonaise”, s’empressa de répondre la sœur (sans préciser, on s’en doute, qu’elle ne l’était que par son mariage). “Bien, poursuivit-​il, mais sachez que vous n’obtiendrez aucun résultat tant que tous les Anglais n’auront pas été exterminés. Si seulement je pouvais en attraper un, je me ferais un plaisir de le tuer moi-​même pour le bien de l’humanité.” Comme on l’imagine, notre sœur claquait des dents. Quel ne fut pas son soulagement lorsque cet homme accepta non pas un mais deux exemplaires du Nouveau Testament, le second à l’intention d’un de ses amis. Il ne sut probablement jamais qu’il avait eu là l’occasion rêvée de supprimer un représentant de l’‘engeance anglaise’.

1940 — SOUS L’OPPRESSION DES NAZIS

Jéhovah préparait son peuple à endurer l’oppression acharnée que le “roi du nord” nazi allait lui faire subir (Dan. 11:40). Ainsi, les frères furent fortifiés dans leur détermination à rester exclusivement attachés à Jéhovah par l’examen d’un article de La Tour de Garde (édition française de janvier 1940) consacré à la neutralité. Ce sujet arrivait à point nommé juste avant l’invasion allemande. Par ailleurs, la brochure Fascisme ou Liberté venait d’être expédiée aux congrégations.

L’arrivée des troupes hitlériennes fit croire aux frères que la bataille d’Har-Maguédon avait commencé. De peur que les nazis ne les surprennent en possession de ces brochures, quelques-uns se mirent à les distribuer. Dans la région de Charleroi, par exemple, frère Albin Glowacz, qui en avait reçu 20 cartons 15 jours seulement avant le début des hostilités, les glissait dans les boîtes aux lettres. D’autres les remettaient aux gens qui partaient se réfugier en France, tandis qu’à Liège, certains les offraient aux passants dans les rues.

Puisque le bureau de Bruxelles ne donnait plus signe de vie, frère Wozniak prit des dispositions pour assurer la continuité de l’œuvre. Il prit contact avec les frères pour les convaincre qu’Har-Maguédon n’avait pas encore commencé et pour les dissuader de distribuer gratuitement les publications. “Gardez-​les, leur disait-​il, vous en aurez besoin.” Il les encouragea plutôt à cacher ces ouvrages en vue de l’activité qu’ils auraient à effectuer par la suite.

Au bureau de la filiale, on mura les publications ou on les cacha sous les planchers. Le travail fut si bien fait que les soldats allemands ne découvrirent rien lorsqu’ils perquisitionnèrent les locaux en octobre 1940. Plus tard, on déposa les imprimés dans des cachettes plus sûres. Ainsi, frère et sœur Coenen transportèrent la plus grande partie du stock à l’aide d’une charrette à bras. Avec une extrême prudence, ils réussirent à effectuer six voyages sans être appréhendés. Frère Michiels aida frère Floryn à cacher 500 livres et 4 000 brochures derrière les étagères du magasin qui se trouvait au rez-de-chaussée de sa maison. Malheureusement, la Gestapo réussit à découvrir ce stock lors de l’arrestation de frère Floryn, en juin 1941, ce qui valut à ce dernier d’être déporté dans un camp de concentration. Comme les publications se faisaient rares, on ne les laissait plus contre une contribution; on se contentait de les prêter pour qu’un plus grand nombre de personnes puissent en bénéficier.

Satan semblait avoir considérablement affaibli l’œuvre du Royaume en Belgique. En 1940, il était certainement mécontent de voir que la bonne nouvelle était annoncée dans ce pays par un maximum de 275 proclamateurs, dont 34 étaient pionniers. Profitant de la fermeture de la filiale, il se servit des troupes nazies pour semer la terreur dans les congrégations. À Bruxelles, par exemple, plus de la moitié des frères devinrent inactifs. Seuls quelques chrétiens continuaient à mettre le Royaume à la première place dans leur vie au cours de cette période difficile. En 1941, il ne restait plus que 86 proclamateurs dans le pays. De plus, quatorze congrégations avaient sombré dans l’inactivité. Mais la jubilation de Satan allait être de courte durée.

RÉORGANISATION CLANDESTINE

L’esprit de Jéhovah aida les Témoins à comprendre qu’ils devaient se réorganiser pour continuer de prêcher dans la clandestinité. Frère Wozniak, qui était surveillant de circonscription, parla de cette nécessité au surveillant de filiale, mais celui-ci ne prit aucune initiative à cause des menaces de la Gestapo et parce qu’il se sentait épié. La réunion secrète des anciens qu’il avait projetée n’ayant pas eu lieu, frère Wozniak demanda au frère qui dirigeait clandestinement l’œuvre aux Pays-Bas de s’occuper également de la Belgique.

Frère Winkler, qui était alors responsable de l’œuvre aux Pays-Bas, invita donc frère Hartstang à se rendre sur place. Ce dernier, qui avait une grande expérience de l’activité clandestine, arriva en Belgique en juillet 1941, avec la lourde responsabilité de réorganiser l’œuvre.

LA PRODUCTION DE LA TOUR DE GARDE

Cependant, les Témoins belges n’avaient pas attendu l’arrivée de frère Hartstang pour s’approvisionner en nourriture spirituelle. Avant tout, il leur fallait se procurer La Tour de Garde afin de la traduire et d’en faire des copies. Un frère se porta volontaire pour aller chercher un exemplaire de chaque numéro aux Pays-Bas. Avant de passer la frontière, il retirait la selle de son vélo, roulait le périodique pour l’introduire dans la tubulure du cadre et remettait la selle à sa place.

Une fois en possession de La Tour de Garde, frère Wozniak la faisait traduire en polonais, en allemand et en français. Mais pour obtenir des périodiques en nombre suffisant, il fallait disposer d’un matériel de reproduction adéquat. Or, même les machines à écrire, pourtant indispensables, se faisaient rares. Un frère spirituellement faible d’Anvers en possédait bien une sur laquelle on avait dactylographié pendant quelque temps des lettres et des notes contenant des directives sur la façon de réorganiser l’œuvre; mais comme il entretenait des relations avec une secte issue de la classe du “mauvais esclave”, il devenait nécessaire de l’éviter. Pourtant, on avait besoin de sa machine à écrire. Que faire?

Frères Floryn et Wozniak allèrent le voir pour lui demander de leur vendre la machine à écrire, mais il refusa. Comment le décider à s’en défaire? Puisqu’il n’était pas entier pour Jéhovah et son organisation, il ne possédait pas la hardiesse et le courage qui caractérisent les serviteurs fidèles de Jéhovah. Aussi frère Floryn lui fit-​il remarquer que cette machine avait déjà servi à produire des écrits clandestins et que, chaque machine possédant des caractères dissemblables, la Gestapo n’aurait aucun mal à identifier celle qui avait servi à taper ces textes. Dès lors, cette machine représentait un danger permanent pour son possesseur. Tout à coup, l’homme se résolut à la céder aux frères, trop content de pouvoir ainsi s’en débarrasser.

LA PRÉPARATION DES ÉCRITS CLANDESTINS

Le petit groupe de frères étrangers qui résidaient dans la région minière du Limbourg figurait parmi ceux qui assuraient la production des publications clandestines. Les familles Golic et Pajk, entre autres, utilisaient leur maison pour cette activité. On y traduisait La Tour de Garde en allemand, en néerlandais, en italien, en polonais et en slovène, puis on dactylographiait les textes en plusieurs exemplaires, avec des carbones, sur de vieilles machines à écrire. Pour assourdir le bruit des machines, la famille Pajk accrochait d’épaisses couvertures devant les fenêtres. Les Golic, quant à eux, avaient installé un double vitrage. Mais cela n’empêchait pas les voisins de se douter qu’ils se livraient à quelque activité clandestine, car ils n’étaient pas sans remarquer les fréquentes allées et venues des frères qui venaient chercher les publications. Toutefois, personne ne les dénonça, car les Belges tenaient tout ce qui était clandestin pour hostile au régime nazi, qui leur répugnait. Les frères réussirent même à imprimer le livre Enfants en slovène.

LE CENTRE CLANDESTIN

L’un des plus importants centres pour la production des publications se trouvait à Ougrée, près de Liège, chez la famille Doyen. C’était en quelque sorte le Béthel clandestin. On y disposait pour tout équipement de deux machines à écrire et d’un duplicateur. Frère et sœur Hartstang logeaient et travaillaient le plus souvent en cet endroit débordant d’activité.

Frère Fritz Schneider, qui était de nationalité allemande, y travaillait aussi, en qualité d’imprimeur pour sa part. De temps à autre, frère Werner Schutz y venait également pour traduire en français des textes allemands ou néerlandais. Ces deux frères habitaient à proximité. En outre, on y imprimait L’Informateur (maintenant Le Ministère du Royaume), et on y produisit même le livre Enfants en polonais.

À propos des Doyen, il est intéressant de noter que le père n’était pas dans la vérité et que l’un des fils était prisonnier de guerre. Deux autres fils furent réquisitionnés pour le travail obligatoire en Allemagne. S’ils s’étaient tenus cachés pour éviter la déportation, la maison aurait été surveillée jour et nuit par les soldats allemands et n’aurait plus été un endroit sûr pour la production des écrits bibliques. Bien qu’un seul d’entre eux s’intéressât à la vérité, les deux fils acceptèrent d’être déportés afin que leur maison puisse continuer à être utilisée pour l’œuvre.

On peut douter qu’une activité aussi intense ait pu s’effectuer sans attirer l’attention des voisins; en effet, la maison était une véritable ruche. Les frères arrivaient ou repartaient en portant parfois jusqu’à quatre valises ou paquets. Mais là comme dans le Limbourg, les gens s’enfermaient dans le mutisme le plus complet, car ils tenaient le travail des Témoins pour une forme de résistance à l’envahisseur.

LES ADVERSAIRES SONT DÉROUTÉS

Pour déjouer la surveillance de l’ennemi, frère Hartstang voyageait de temps à autre, ce qui lui permettait de rendre visite aux frères, ou même d’aller en France. D’ailleurs, pendant quelque temps, il traversait clandestinement la frontière tous les quinze jours afin de se procurer l’édition anglaise de La Tour de Garde qui parvenait en France via la Suisse. Il va sans dire que cette période fut fort angoissante pour sœur Hartstang, qui ne savait jamais si son mari allait revenir.

LA COOPÉRATION DES IMPRIMERIES COMMERCIALES

À Bruxelles, frère Hartstang était parfois hébergé par frère Ista. Ce dernier fit beaucoup pour approvisionner les frères en nourriture spirituelle. Par exemple, il prit contact avec M. De Prince, qui travaillait à l’imprimerie Érasme, dans la capitale. Vers la fin de l’occupation, cet homme accepta d’éditer clandestinement La Tour de Garde ainsi que 6 000 exemplaires du livre Enfants.

Comme l’œuvre de prédication avait moins progressé en territoire flamand qu’en Wallonie, les publications en néerlandais vinrent à manquer. Heureusement, frère Wozniak réussit à faire imprimer dans cette langue 10 000 exemplaires de la brochure Choisissez. L’imprimeur de Charleroi qui se chargea de cette tâche ne le fit pas par sympathie pour les Témoins, mais parce que c’était un ennemi juré des Allemands.

UNE ENTREPRISE RISQUÉE

Des publications étaient même secrètement acheminées des Pays-Bas en Belgique par voie navale. Un frère flamand les cachait dans son bateau baptisé le Lichtdrager et les débarquait à Brée, dans le Limbourg, ou dans la région de Courtrai. Les frères se rendaient en vélo sur les lieux du déchargement et emportaient les cartons chez eux.

Évidemment, cela faisait courir un risque considérable aux proclamateurs. Un jour qu’il transportait un carton de livres Enfants, l’un d’eux fut arrêté par une patrouille allemande occupée à traquer les contrebandiers qui alimentaient le marché noir. Après avoir ouvert le carton, le soldat s’exclama: “Oh, c’est pour les enfants!” et laissa le frère poursuivre son chemin.

Un autre bateau, le Dolphijn, fut utilisé cinq fois pour passer des écrits des Pays-Bas en Belgique.

LE TRANSPORT DES PUBLICATIONS

Si la production des ouvrages clandestins posait des problèmes, ce n’était pas non plus chose facile que de les transporter dans les différentes régions du pays. Il était préférable de ne pas utiliser le chemin de fer ou la poste, car ces services publics étaient placés sous contrôle militaire. D’autre part, le rationnement de l’essence empêchait les frères de se servir d’une automobile. Restait la bicyclette, encore que ce moyen de déplacement ne fût pas sans inconvénient. En effet, les pneus étaient tout bonnement introuvables. Les Témoins du Limbourg devinrent experts dans l’art de fabriquer des pneus de vélo en utilisant de vieux pneus de voiture. Bien sûr, ces pneus manquaient un peu de souplesse; mais ce qui comptait, c’était de pouvoir circuler.

Les frères qui transportaient les publications étaient tellement chargés qu’il leur était difficile de passer inaperçus. En outre, ils risquaient d’être pris pour des fraudeurs en train de faire du marché noir. Malgré tout, ils persévéraient courageusement dans ce service. Frères Wozniak, Schrantz, Floryn et Schutz se distinguèrent particulièrement dans cette forme d’activité.

LA PROTECTION DE JÉHOVAH

Un jour, près de Malines, frère Schrantz avait tant de publications sur sa bicyclette qu’il perdit l’équilibre et tomba aux pieds d’un soldat allemand. Celui-ci l’aida à se relever et à remettre ses paquets sur le vélo, puis il lui souhaita bonne journée. Ces Témoins dévoués parcouraient souvent de 110 à 160 kilomètres chargés comme des mulets, mais le ventre creux, pour apporter des publications à leurs frères.

En une autre occasion, frère Schutz partit pour Charleroi afin d’y emmener des publications. Toutefois, au bout de plusieurs jours, il n’était toujours pas arrivé à destination. Inquiets, frères Heuse père et Schrantz partirent à sa recherche et finirent par le trouver dans une clinique de Liège. Il avait été blessé près de Val-Saint-Lambert au cours d’un bombardement. Cependant, il ne semblait pas avoir trop souffert de ces péripéties. Au contraire, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas si bien mangé! Une seule chose le tourmentait: Qu’était-​il advenu de son vélo et des publications?

Les frères passèrent les alentours au peigne fin et dénichèrent finalement la bicyclette et son précieux chargement dans une institution catholique. Les religieuses, qui l’avaient soigneusement mise à l’abri, la leur rendirent sans se douter de ce qu’elle transportait.

Parfois, il faisait tellement mauvais que les frères étaient obligés de voyager par le train au risque d’être pris dans un contrôle de la Gestapo ou des Feldgendarmes (la police militaire allemande). Un jour, frère Schutz se trouvait dans un convoi qui fut l’objet d’une telle inspection. Or il transportait deux lourdes valises, l’une pleine de publications, l’autre remplie de charbon que des frères mineurs lui avaient donné. Quel soulagement ce fut pour lui quand les soldats décidèrent d’ouvrir celle qui renfermait le charbon! En voyant son contenu, ils éclatèrent de rire et passèrent leur chemin. Une autre fois, par contre, un agent de la Gestapo lui fit ouvrir sa valise, qui contenait des écrits. En les feuilletant, il trouva l’expression “Adam et Ève” et s’exclama: “Allez-​vous-​en avec ces bêtises!” Point n’est besoin de dire que frère Schutz ne demanda pas son reste. Étant de nationalité suisse, il avait moins de chances d’être soupçonné par les Allemands.

Apparemment, les sœurs aussi étaient moins suspectes que les frères. C’est pourquoi la liaison entre Liège et Namur était assurée par Marie Smets. Celle-ci voyageait en vélo ou en train, selon le temps qu’il faisait; en tout cas, elle était toujours très chargée. Un jour, elle se rendit à la gare en portant de lourdes valises et avec des pneus de vélo autour du cou, mais le train n’arriva pas. Au bout de deux heures, on annonça un train militaire allemand dans lequel les civils allaient être autorisés à monter. Notre sœur fit donc le voyage dans ce train avec tout son chargement de publications clandestines et arriva finalement à 5 heures du matin chez frère Février, à Namur. Tout s’était bien passé.

DE JEUNES FRÈRES COURAGEUX

De jeunes chrétiens transportaient aussi les publications avec le même courage. Par exemple, à l’âge de 16 ans, Ernest Heuse fils prit le train de Liège à Verviers. Il relate ainsi son voyage: “Quelques minutes seulement après le départ, six Feldgendarmes sont montés dans le train en criant: ‘Les mains en l’air!’ Tout le monde a obéi. Ils semblaient rechercher quelqu’un. Soudain, le premier d’entre eux m’a désigné du doigt. Ils m’ont donné l’ordre de me lever. J’ai aussitôt pensé que quelqu’un m’avait dénoncé. L’un des soldats s’est placé derrière moi et m’a appliqué le canon de son pistolet dans le dos, un autre m’a fait face tandis qu’un troisième s’est posté à côté de moi. Ils m’ont demandé mes papiers d’identité, mais, comme je m’apprêtais à prendre mon portefeuille dans ma poche, l’un d’eux m’a frappé sur la main et l’a pris lui-​même. Après quoi ils m’ont fouillé. Quand ils sont repartis, j’avais l’impression qu’ils oubliaient quelque chose.

“Un homme âgé qui était assis en face de moi m’a alors fait remarquer que la police n’avait pas examiné mes bagages. C’est seulement là que je me les suis rappelés. Si j’y avais pensé pendant qu’on me fouillait, cela m’aurait sans doute rendu nerveux, car ils contenaient des copies du numéro de La Tour de Garde expliquant la prophétie de Daniel sur le ‘roi du nord’ et le ‘roi du sud’, ainsi que plusieurs brochures, dont celle qui s’intitulait Fascisme ou Liberté. Le vieil homme pensait que les trois policiers qui avaient fouillé tous les bagages avaient laissé les miens de côté en se disant que leurs trois collègues avaient dû s’en occuper avant d’examiner mes papiers. Mais, pour ma part, j’étais persuadé que Jéhovah m’avait protégé.”

LES RELATIONS AVEC LA FILIALE

Certains se demanderont peut-être comment les publications étaient réparties dans les congrégations. Voyons la façon dont les choses se passaient dans l’un des centres de distribution, chez frère Février. Ce dernier recevait les publications bien enveloppées dans de petits colis sur lesquels seul un chiffre était indiqué. Chaque congrégation envoyait quelqu’un, le plus souvent de nuit, pour retirer le paquet qui lui était destiné. En arrivant, l’émissaire se contentait de dire: “Je voudrais le colis 22.” Dès que le paquet lui avait été remis, il repartait sans souffler mot.

On compilait les rapports de service de la manière suivante: Chaque congrégation était représentée par une lettre, et chaque proclamateur par un numéro. Les congrégations étaient réparties en groupes d’étude de huit à dix personnes. Les proclamateurs ne connaissaient que le responsable de leur groupe, dont ils ignoraient parfois jusqu’au nom et à l’adresse. Après avoir réuni les rapports des membres de leur groupe, les responsables les faisaient parvenir au surveillant-président de la congrégation, qui n’était connu que d’eux.

Une fois que les rapports des différents groupes étaient totalisés, il fallait attendre le passage du surveillant de circonscription. Celui-ci assurait en effet la liaison entre les congrégations et le Béthel clandestin. Tout en recueillant les rapports, il s’informait des besoins de la congrégation en exemplaires de La Tour de Garde et de L’Informateur. En prévision d’une fouille éventuelle, il codait le rapport afin de le rendre incompréhensible à toute personne de l’extérieur.

LES RÉUNIONS PENDANT L’OCCUPATION

Les frères étaient conscients de l’importance de se réunir pour s’encourager mutuellement. Aussi se retrouvaient-​ils par petits groupes dans des maisons particulières. Cependant, ils devaient prendre de multiples précautions. Entre autres, 1) les membres du groupe ne venaient pas tous en même temps. Ils échelonnaient les arrivées et les départs afin de ne pas attirer l’attention. 2) Chaque semaine, on changeait le lieu de rassemblement, ainsi que le jour et l’heure si possible. Il était donc nécessaire d’être présent à chaque réunion pour connaître l’endroit où la suivante allait se tenir. Inutile de dire que personne ne pouvait prendre l’initiative d’amener un nouveau sans s’être assuré au préalable de sa sincérité. 3) En période critique, on organisait les réunions de telle sorte qu’elles prenaient l’allure de rassemblements familiaux. Par exemple, il arrivait qu’on mette la table comme pour un repas. En cas d’imprévu, il suffisait alors de cacher les publications et de rester assis en feignant d’attendre les plats. Cette manière de procéder dissipait les soupçons que le rassemblement de dix personnes pouvait faire naître.

Par ailleurs, les matières étudiées convenaient aux circonstances. Il s’agissait de récits qui trouvent un parallèle prophétique chez les serviteurs de Dieu à notre époque, comme l’histoire d’Éhud, de Barak, de Jephté et de Daniel. De telles études s’étendaient parfois sur plusieurs mois; ce fut notamment le cas de la prophétie de Michée. Cette riche nourriture spirituelle permettait aux frères de résister aux efforts de leurs ennemis politico-religieux qui cherchaient à les faire disparaître, efforts qui avaient d’ailleurs été préfigurés dans les récits historiques et prophétiques qu’ils examinaient.

LA GESTAPO RECHERCHE FRÈRE WOZNIAK

Bien avant 1940, le régime nazi avait déjà montré la haine implacable qu’il vouait aux Témoins de Jéhovah en s’efforçant de les supprimer. On comprend donc aisément pourquoi ses agents criminels s’attaquèrent à leur œuvre dès qu’ils pénétrèrent en Belgique. Ils visaient surtout les frères qui étaient les plus actifs, les plus intrépides, et particulièrement André Wozniak, qui était pionnier à Anvers avec frère Schrantz.

Un jour que frère Wozniak était parti fortifier les congrégations et les aider à se réorganiser, la Gestapo vint perquisitionner chez lui et emmena frère Schrantz. Celui-ci subit un interrogatoire au cours duquel il dut faire preuve d’une extrême prudence pour ne pas trahir son compagnon. Par exemple, on lui montra une liste de frères en lui demandant s’il les avait déjà rencontrés. Il répondit qu’il en connaissait effectivement quelques-uns et cita ceux qui étaient décédés ou qui avaient quitté le pays. Quand on l’interrogea sur son compagnon, il déclara: “Il est allé rendre visite à sa famille, mais aucun de nous deux ne s’intéresse aux affaires personnelles de l’autre. C’est le seul moyen d’éviter les problèmes entre amis.” L’agent de la Gestapo acquiesça en disant que c’était en effet la meilleure chose à faire. Après 40 jours de prison, notre frère fut relâché. Les policiers espéraient sans doute trouver frère Wozniak en filant frère Schrantz, mais pour les dépister, ce dernier changea de territoire et s’en alla dans l’Ardenne.

PIÉGÉ PAR LA GESTAPO

Quelque temps plus tard, frère Wozniak vécut des moments qu’il n’allait pas oublier de sitôt. Laissons-​le nous les raconter: “C’était en juin 1941, au début du mois. Je m’étais rendu à vélo dans la région de Charleroi pour y fortifier les frères. J’étais allé passer la nuit chez frère Hankus, à Couillet. Il avait été convenu qu’en cas de danger, je monterais au grenier afin de me sauver par les toits.

“Le lendemain, j’ai été réveillé à 7 heures par une voix qui hurlait: ‘Ouvrez!’ J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu trois hommes en civil; c’était la Gestapo. À moitié habillé, pantalon et veston sur le bras, j’ai monté les escaliers quatre à quatre et je me suis caché tant bien que mal entre le toit et le faux plafond de la mansarde. Il était temps, car les agents de la Gestapo étaient déjà au grenier. Ne voyant rien, ils sont redescendus et ont demandé à frère Hankus où j’étais. Comme il ne leur répondait pas, ils ont commencé à le frapper. Mon cœur battait si fort qu’il me semblait qu’on pouvait l’entendre.

“J’ai prié Jéhovah de les aveugler. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils ont fouillé toute la maison de la cave au grenier en compagnie de frère Hankus et ils ne m’ont pas vu. Finalement, ils ont découvert mon vélo et mon sac, et ils se sont mis à frapper mon hôte de plus belle. Mais il est resté inflexible; il ne m’a pas dénoncé. Deux des agents l’ont donc emmené en prison.

“Le troisième est resté dans la maison, revolver au poing, pour surveiller sœur Hankus. Toutes les deux heures, la relève était assurée. Mais moi, j’étais sous les tuiles; il faisait chaud; j’avais faim et surtout soif. Vers midi, j’ai entendu quelqu’un dire tout doucement: ‘Descends, ils sont partis!’ Comme tout était calme, je m’apprêtais à descendre, mais j’ai finalement décidé de rester caché. Plus tard, la sœur m’a appris que c’était l’agent qui m’avait tendu un piège.”

UNE ISSUE

La nuit tomba et frère Wozniak était terriblement assoiffé. Il poursuit ainsi sont récit: “J’étais aussi très fatigué et j’avais peur de m’assoupir, car j’étais grand dormeur et je ronflais bruyamment. Si je m’endormais dans cette position peu confortable, j’étais perdu. Avec une agrafe, je me piquais jusqu’au sang pour me tenir éveillé, mais finalement, je n’en ai même plus eu la force et j’ai cru que tout était fini.

“Vers minuit, la sœur a obtenu de son cerbère l’autorisation d’aller se coucher. Elle a réussi à m’apporter un peu d’eau et du pain. J’en ai profité pour lui dire que j’avais l’intention de m’enfuir. Par la fenêtre de sa chambre, j’ai pu passer sur la terrasse. Ensuite, je me suis laissé glisser prudemment le long de la descente de gouttière et, après un saut de quatre mètres, je me suis retrouvé dans les jardins. Pas question toutefois d’aller plus loin, car j’aurais rencontré des patrouilles. Je me suis donc couché en attendant le jour.

“À l’aube, j’ai vu une femme dans son jardin et je lui ai demandé de l’eau. La peur se lisait sur son visage; pourtant, elle m’a procuré de l’eau, du savon et un rasoir. À ma requête, elle est même aller m’acheter une paire de pantoufles, car je m’étais sauvé pieds nus. Plus tard, une personne qui s’intéressait à la vérité est venue m’apprendre que la Gestapo était finalement partie à sept heures en emportant ma bicyclette. On m’a donné le vélo de frère Hankus à la place, et je suis parti en toute hâte chez frère Brzoska, qui m’a remis une mallette et une Bible. Après avoir dormi un jour et une nuit, je me suis dirigé vers la congrégation suivante.”

UN SOUDAIN CHANGEMENT DE PROGRAMME

Quand frère Wozniak arriva dans le territoire de cette congrégation, il se rendit chez Albin Glowacz, qui devait l’héberger pendant sa visite. “Il avait été convenu que je resterais une semaine chez lui, raconte frère Wozniak, mais je n’ai pas pu dormir; j’ai passé une nuit blanche.” Il décida alors de changer de programme. “Au petit déjeuner, explique-​t-​il, j’ai fait part à mon hôte de mon intention de partir le jour même pour Carnières, là où se trouvait la congrégation suivante. Il a essayé de m’en dissuader, en me disant qu’il y avait chez lui de la bonne nourriture, du pain de froment et du beurre, ce qui était alléchant à l’époque. Toutefois, rien ne pouvait me faire changer d’avis. Je suis donc parti pour Carnières.

“Le lendemain, j’ai appris avec effroi que la Gestapo était venue le matin même chez frère Glowacz et qu’elle l’avait emmené. Il allait finalement être déporté dans un camp de concentration. Heureusement que je ne m’étais pas laissé tenter par le bon pain et le beurre! Une chose était certaine: la Gestapo était à mes trousses. Il fallait que j’essaie de la semer.

“Je suis retourné à Anvers, pour m’apercevoir que les scellés avaient été mis sur la porte de notre chambre et que la femme de notre propriétaire, qui s’intéressait à la vérité, avait été emmenée par la Gestapo. Quant au propriétaire, il avait reçu l’ordre de me dénoncer dès mon arrivée. Là aussi, les choses se gâtaient; il me fallait quitter Anvers le plus vite possible.

“Je suis donc parti dans le Limbourg pour visiter les congrégations. Deux heures après mon départ de Waterschei, où j’avais logé, la Gestapo fit une descente et fouilla la maison de la cave au grenier. Cela devenait terrible! Ils étaient sur mes talons, comme guidés par les démons.”

FRÈRE FLORYN TOMBE DANS UN PIÈGE

Mais revenons au 7 juin 1941, où frère Wozniak quitta la maison de frère Hankus, peu après l’arrestation de ce dernier. Ce jour-​là, frère Floryn, qui faisait office d’agent de liaison, arriva à bicyclette chez frère Hankus avec 400 brochures et 24 livres. Comme son mari venait d’être arrêté, sœur Hankus le conjura de partir au plus vite. Il s’en alla donc, en emportant les chaussures de frère Wozniak pour les déposer ailleurs. Il avait prévu de se rendre ensuite chez frère Glowacz, mais vu ces événements il retourna le jour même à Bruxelles, où il arriva épuisé.

Là, il apprit que la Gestapo avait perquisitionné chez lui et confisqué toutes les publications qui y étaient cachées, soit 20 Bibles, 500 livres et 4 000 brochures. Sa femme et ses beaux-parents avaient été surveillés toute la journée. Il était tombé dans la souricière. À cinq heures du matin, la Gestapo fit de nouveau irruption et l’emmena, menottes aux poings. Il fut emprisonné puis déporté dans les camps de concentration allemands où il resta jusqu’à la fin de la guerre. Sa femme subit d’ailleurs le même sort un an plus tard, ce qui l’obligea à laisser ses deux enfants en bas âge à la garde de ses parents.

LA GESTAPO MULTIPLIE SES INTERVENTIONS

À cette époque, un chef de la Gestapo qui avait déjà arrêté de nombreux Témoins en Allemagne venait d’être muté en Belgique. Ce fut peu après son entrée en fonctions à Bruxelles que les arrestations mentionnées plus haut furent effectuées et que les recherches dont frère Wozniak était l’objet s’intensifièrent. Parmi ceux qui furent appréhendés à cette époque, on peut également citer frères Midi, Schockaert, Michiels, Coenen et Martin (l’ancien surveillant de filiale), ainsi que sœurs Michiels et Coenen.

Quant à frère Hankus, après avoir été arrêté par la Gestapo pour avoir caché frère Wozniak chez lui, il fut battu par les agents hitlériens au point de perdre connaissance, parce qu’il refusait de leur révéler les noms des frères. Il fut transféré à la prison Saint-Gilles, à Bruxelles, le 6 juillet 1941. Là, même sous la torture, il ne trahit pas ses compagnons. Il fut ensuite interné dans la prison centrale de Louvain. Plus tard, les nazis le déportèrent dans un de leurs camps de concentration. Après sa libération à la fin de la guerre, il servit comme surveillant pendant de nombreuses années.

LA FILIALE EST RÉORGANISÉE MALGRÉ LES DANGERS

Un mois après cette série d’arrestations, frère Hartstang arriva secrètement des Pays-Bas pour réorganiser l’œuvre de prédication. Chez une sœur d’Anvers qui habitait seule au rez-de-chaussée, il tint une réunion confidentielle avec les trois surveillants de circonscription et deux frères qui faisaient office d’agents de liaison. En la circonstance, nos six frères passèrent à deux doigts de l’arrestation. Comment cela?

Au cours de la réunion, la sonnette retentit. Qui était-​ce? Trois agents de la Gestapo! Ils venaient enquêter sur un Juif et son fils qui étaient censés habiter au deuxième étage. La sœur expliqua que ces personnes s’étaient enfuies au début de la guerre. Néanmoins, l’un des agents resta à la porte pour garder l’entrée, tandis que les deux autres montaient fouiller les étages et le grenier.

Pendant ce temps, les frères priaient Jéhovah de fermer les yeux de l’ennemi. S’ils avaient été découverts, cela aurait entraîné l’arrestation, en un seul coup de filet, des principaux responsables de l’œuvre en Belgique. Mais Jéhovah ne permit pas que cela arrive. La Gestapo repartit. Un par un, les frères en firent autant, pour ne plus jamais remettre les pieds dans cette maison. Deux semaines plus tard, la Gestapo y fit une autre descente surprise, cette fois pour perquisitionner dans tout l’immeuble.

L’ENNEMI TRAQUE FRÈRE HARTSTANG

Frère Hartstang était arrivé seul en Belgique, mais sa femme le rejoignit au bout de six mois. Comme lui, elle passa la frontière hollandaise à bicyclette, en empruntant les chemins de campagne peu fréquentés. Elle resta auprès de lui jusqu’à la fin de la guerre, sauf quand il avait des missions particulièrement dangereuses à accomplir.

La Gestapo ne tarda pas à s’apercevoir de la présence de frère Hartstang en Belgique, et elle se mit aussitôt à le traquer. Elle avait réussi à obtenir des renseignements au sujet de ce frère et de son épouse en interceptant une lettre. Munie de grandes photographies du couple, la Gestapo remua ciel et terre pour les trouver, comme s’ils étaient de dangereux criminels. Cependant, ils parvinrent toujours à éviter les pièges qu’on leur tendait, parfois de justesse il est vrai. Dans tous les cas, ils furent protégés d’une manière ou d’une autre.

Il est intéressant de signaler ce qui est arrivé au chef de la Gestapo mentionné plus haut, celui qui avait lancé la campagne de persécution acharnée contre les Témoins en général et contre frère Hartstang en particulier. Un jour qu’il était assis près de la fenêtre de son bureau, il entendit le vrombissement d’un avion, mais il ne prit aucune précaution, car il pensait qu’il s’agissait d’un appareil allemand. Tout à coup, les mitrailleuses lourdes de l’avion ouvrirent le feu, et il fut mortellement touché. En fait, c’était un appareil anglais piloté par un Belge.

L’ENNEMI EST AVEUGLÉ

De nombreux cas démontrent à l’évidence que les anges de Jéhovah peuvent aveugler l’ennemi. Une fois, par exemple, on avait demandé à sœurs Michelic et Golic de se rendre du Limbourg aux Pays-Bas pour apporter une lettre au frère responsable de l’œuvre dans ce pays. Cette lettre devait passer la frontière en fraude. Sœur Golic la mit dans son porte-monnaie, sur quoi elle partit avec sa compagne par des chemins peu fréquentés. En route, elles se firent arrêter par des douaniers qui les fouillèrent. Ils commencèrent par sœur Michelic et, entre autres choses, ils examinèrent son porte-monnaie. Or il se trouvait que les deux sœurs avaient le même porte-monnaie. Quand le douanier fouilla sœur Golic, il prit aussi son porte-monnaie, mais il le lui rendit aussitôt en disant: “Oh, je l’ai déjà regardé, celui-ci!” Elle le reprit donc avec la précieuse lettre qu’il contenait.

Un autre jour, frère Février aidait frère Schutz à porter ses lourdes valises jusqu’à la gare de Namur. En chemin, ils rencontrèrent un contrôle allemand à Montagne-Sainte-Barbe. Voyant qu’il leur était impossible de faire demi-tour, frère Schutz dit à frère Février: “Faisons semblant de ne pas être ensemble; peut-être l’un de nous réussira-​t-​il à s’en tirer.”

Frère Février resta donc en arrière. Frère Schutz passa le contrôle sans difficulté, vraisemblablement grâce à son passeport suisse. Puis ce fut au tour de frère Février de présenter ses papiers d’identité. Il était porteur d’un Ausweis (laissez-passer de nuit que les occupants délivraient au personnel des chemins de fer). Le soldat paraissait satisfait, mais il demanda quand même au frère d’ouvrir son bagage. Celui-ci contenait un article d’étude de La Tour de Garde traitant de la guerre qui opposait le “roi du nord” nazi au “roi du sud” démocratique d’après la prophétie de Daniel. À l’instar de Néhémie, notre frère se mit à prier en silence (Néh. 2:4). Au moment où il se baissait pour ouvrir son bagage, un camion surgit; le soldat se précipita pour lui barrer le passage et ne s’occupa plus du frère, qui s’éloigna discrètement avec un soupir de soulagement.

Mentionnons aussi ce qui arriva à frère Armand Hébrant à Ougrée, alors qu’il revenait de chez frère Heuse. Il avait trois fausses cartes d’identité dans une de ses poches; l’une était destinée à frère Hartstang, qui œuvrait clandestinement, et une autre à frère Schrantz, qui était alors surveillant de circonscription. Une patrouille arrêta frère Hébrant sur le pont qui enjambe la Meuse pour le fouiller.

Toutes les poches de son veston furent inspectées, ainsi que l’une des poches intérieures de son pardessus. Mais chaque fois que le soldat tâtait du côté de celle qui contenait les cartes, il écartait par mégarde le veston avec le pardessus et plongeait sa main dans la poche intérieure du veston. Pourtant, quand le soldat repassait sa main sur le pardessus, notre frère sentait très bien les documents compromettants. Le soldat répéta les mêmes gestes à plusieurs reprises en oubliant cette poche à chaque fois, comme si une main invisible l’en écartait. Heureusement, car frère Hébrant aurait été bien incapable de justifier la présence de ces faux papiers dans sa poche.

UNE ASTUCE

Frère Gheys explique l’astuce à laquelle il lui fallut recourir pour échapper à l’ennemi. Un soir qu’il revenait de chez quelques personnes bien disposées, il fut interpellé par une patrouille allemande. Un soldat lui appliqua le canon de son fusil dans le dos, tandis qu’un autre l’éblouissait avec sa torche électrique. Ils lui demandèrent ses papiers d’identité. Pour les trouver, le frère mit sa sacoche entre ses genoux. Puis, quand ils commencèrent à le fouiller, il la prit en main et leva les bras en l’air, pour leur faciliter la tâche, certes, mais aussi par ruse. Le soldat fouilla soigneusement les vêtements du frère, mais il ne songea pas un instant à regarder dans sa sacoche, qui contenait des publications.

SOUS L’AILE DES ANGES

À l’évidence, le cours des événements fut parfois dirigé en vue de la protection des frères. Un jour, par exemple, frère Hartstang revenait à son logement clandestin d’Ougrée en trolleybus. D’habitude, il allait jusqu’au terminus, mais cette fois-​ci, il eut soudain l’idée de descendre avant pour se dégourdir un peu les jambes, car la plupart du temps il était confiné à l’intérieur. En arrivant chez lui, il trouva tout le monde blême d’inquiétude. Les soldats allemands avaient effectué un contrôle très strict au terminus, et la famille craignait le pire pour lui. Sans le savoir, il avait échappé au danger.

Outre le matériel qui servait à imprimer les écrits clandestinement, il y avait des publications en cours d’impression dans la maison où vivait frère Hartstang. Un vieil homme sourd habitait un logement qui donnait sur la même cour. Il n’était jamais debout avant huit ou neuf heures du matin. Or, un beau jour, il se leva vers quatre heures. Personne ne sut jamais pourquoi. Toujours est-​il qu’il sortit prendre l’air dans la cour. C’est alors qu’un groupe de soldats allemands arriva, revolvers aux poings.

Ils faisaient une descente pour réprimer une grève surprise des travailleurs de l’usine Cockerill, qui protestaient contre la déportation de 500 de leurs collègues. Ils recherchaient l’un des meneurs, dont ils connaissaient l’adresse, et ils demandèrent au vieillard de leur indiquer sa maison. Aussi étonnant que cela puisse paraître en raison de sa surdité, celui-ci comprit ce qu’ils désiraient et les dirigea vers la rue voisine, où l’homme en question demeurait. S’il ne s’était pas trouvé là à cette heure matinale, les soldats auraient pénétré plus avant dans la cour et tambouriné à la porte suivant leur habitude. Sans doute la réaction des habitants de la maison les aurait-​elle amenés à perquisitionner et à découvrir le pot aux roses. Mais Jéhovah veillait.

L’endroit où les publications étaient imprimées tenait aussi lieu de chambre à frère et sœur Hartstang. C’était une ancienne porcherie. Du reste, vu de l’extérieur, ce bâtiment en avait gardé l’aspect. Le couple se levait généralement entre six heures et demie et sept heures afin de commencer la journée par l’examen du texte quotidien. Mais un matin, ils eurent du mal à se réveiller, et cela s’avéra être une protection pour eux. Que se passait-​il donc dehors?

Au petit jour, des soldats allemands avaient encerclé tout le quartier et commencé à perquisitionner systématiquement dans chaque maison, peut-être dans l’espoir de trouver frère Hartstang. Ils frappèrent à la porte du vieil homme sourd dont nous avons parlé précédemment. Comme à l’accoutumée, ils crièrent très fort, alors qu’ils n’étaient qu’à deux mètres environ de frère et sœur Hartstang. Toutefois, ils ne frappèrent pas à la porte de la “porcherie”, et le couple ne se réveilla pas malgré tout le bruit qu’il y avait à l’extérieur. Frère et sœur Hartstang se seraient sans doute fait arrêter s’ils s’étaient réveillés. En effet, on imagine aisément quelle aurait été leur réaction. Ils auraient certainement essayé de s’échapper par une autre porte et se seraient trouvés pris au piège. Heureusement, les anges de Jéhovah firent en sorte qu’ils continuent à dormir profondément, ce qui leur évita de tenter quoi que ce soit et de s’exposer à des conséquences funestes. Ils n’apprirent ce qui s’était passé qu’après le départ des soldats.

UN EXEMPLE DE COURAGE

Frère Schutz fut le protagoniste d’un autre épisode marquant. À Tournai, il fut arrêté par les Gardes wallons, des Belges à la solde de la Gestapo. Ses pièces d’identité n’étant pas en règle, il fut emmené à la kommandantur pour un contrôle, puis transféré à la prison de Tournai. Après un interrogatoire, on lui ordonna de retourner chez lui pour qu’il fasse régulariser ces documents par les autorités locales. Cependant, il lui fallut laisser sa valise, qui contenait un certain nombre d’exemplaires de la brochure Fascisme ou Liberté.

Il se rendit donc à Courtrai et, quand ses papiers furent en règle, il revint les présenter à Tournai pour récupérer son bagage. Quand on pense au contenu de cette valise et à ce qui aurait pu se passer entre-temps, on prend conscience du courage qu’il lui fallut pour aller la rechercher. Mais tout se passa bien, et elle lui fut rendue. Si les ennemis ne l’ouvrirent pas, c’est certainement grâce à une intervention angélique.

L’ENDURANCE JUSQU’À LA FIN

Les Témoins n’échappèrent pas tous aux griffes des nazis. Quatorze frères et sœurs furent arrêtés et subirent de mauvais traitements lors d’interrogatoires menés selon les méthodes de la Gestapo. Certains furent relâchés au bout de quelques semaines ou de quelques mois. Sept d’entre eux, dont deux sœurs, furent déportés dans des prisons ou dans des camps de concentration. Frère Alphonse Midi décéda en prison, et frère Lodewijk Schockaert fut mis à mort.

Frère Midi avait été condamné à cinquante-cinq mois d’emprisonnement sous l’inculpation de propagande contre l’Allemagne pour avoir été trouvé en possession de plusieurs exemplaires de la brochure Fascisme ou Liberté. Il mourut dans la prison de Hagen en 1943, de la gangrène qu’il avait contractée à la suite d’une blessure mal soignée. Ses gardiens le laissèrent agoniser dans sa cellule sans lui apporter la moindre assistance médicale.

Frère Schockaert, pour sa part, avait été communiste avant d’accepter la vérité. Les nazis l’appréhendèrent en l’accusant de toujours appartenir au même parti. Dès qu’il arriva au camp de Sachsenhausen, en Allemagne, il demanda à voir le commandant SS et lui fit savoir qu’il n’était pas communiste, mais Témoin de Jéhovah. On lui donna donc un triangle violet, l’insigne que les Témoins portaient dans le camp. Il fut abattu par les SS en 1943 au cours de son transfert vers un autre camp.

Quant à frère Hankus, il mourut en 1954 des suites des mauvais traitements qui lui avaient été infligés pendant la guerre. Sa femme persévéra fidèlement durant toutes ces années difficiles et poursuivit son activité chrétienne jusqu’à sa mort, qui survint le 16 mai 1982.

LES SS CHERCHENT À BRISER L’INTÉGRITÉ DES CHRÉTIENS

Chaque fois qu’un Témoin se faisait arrêter, le même scénario se reproduisait invariablement. Avant tout, notre frère subissait un de ces interrogatoires dont les SS avaient le secret. En recourant à la tentation, à la ruse ou à la brutalité, ceux-ci s’efforçaient de l’amener à révéler les noms de ses frères, puis à renier sa foi.

Citons le cas de frère Glowacz. À la suite de son arrestation, celui-ci fut interrogé dans le bureau des SS. On avait mis devant lui une miche de pain blanc, du saucisson et des poires sur une table. S’il était disposé à parler, il pouvait manger à satiété. Par contre, s’il refusait, il devait s’attendre à subir le pire des traitements. Quand frère Glowacz expliqua qu’il allait suivre le principe énoncé par l’apôtre Pierre en Actes 5:29, à savoir: “On doit obéir à Dieu, comme à un chef, plutôt qu’aux hommes”, le nazi qui l’interrogeait blêmit de rage et s’écria: “Eh bien, tu resteras en prison jusqu’à ce que ta barbe soit aussi longue que celle de l’apôtre Pierre!” Effectivement, notre frère est resté en détention pendant neuf mois sans être autorisé à se raser.

LA VIE DANS LES CAMPS DE CONCENTRATION

Frères Hankus, Michiels, Floryn et Glowacz furent emmenés dans différentes prisons et camps de concentration. L’un de ces camps se trouvait près de Strasbourg. Là, pour la moindre peccadille, les Témoins étaient battus sauvagement à coups de bâton ou de fouet. Les SS les traitaient de “chiens du ciel”. Entre outre, leur nourriture était réduite au strict minimum, et ils accomplissaient un travail exténuant; ils devaient élargir des routes à l’aide des outils les plus rudimentaires. Entre autres choses, il leur fallait charger des wagonnets de pierres, puis les pousser sur des rails jusqu’à l’endroit voulu. Quand un de ces chariots déraillait, le Kommando-Führer (surveillant-chef) écartait les autres prisonniers et obligeait les quatre frères à le remettre tout seuls sur la voie ferrée, alors qu’il pesait plus d’une tonne.

Un frère entendit un jour un caporal faire la réflexion suivante au Kommando-Führer: “Ce sont des gens étranges, ces Bibelforscher (Étudiants de la Bible); les prisonniers les plus costauds tombent comme des mouches, et eux, ils restent pleins de vigueur. Je pense que Jéhovah les aide!”

UNE ÉPREUVE DE LA NEUTRALITÉ DANS LES CAMPS

Alors qu’il était à Buchenwald, frère Glowacz passa par un moment difficile; laissons-​le nous le raconter: “Afin de nous mettre à l’épreuve, on nous a ordonné d’aller au Kommando (section de travail) où on fabriquait des armes. Le lendemain matin, après l’appel, nous avons tous refusé de nous y rendre. Conduit devant le commandant, un frère a expliqué que nous accepterions n’importe quel travail dans le camp, sauf la fabrication des armes. Furieux, le commandant a ordonné aux SS de nous emmener à l’endroit réservé aux exécutions et de mettre les mitrailleuses en batterie, ce qui a été fait.

“Sur ce, il s’est adressé à nous en ces termes: ‘Réfléchissez bien et dites-​moi si oui ou non vous acceptez ce travail. Si vous refusez, je vous fais tous fusiller.’ Il a réitéré sa menace, mais nous sommes restés impassibles, sans bouger, sans répondre un mot. Voyant qu’il n’obtiendrait rien de nous, il a changé de tactique et nous a dit: ‘Hitler est un homme très bon; il ne désire pas que vous soyez fusillés. Que chacun retourne à son ancien travail.’”

L’ENTRAIDE SOUS L’OCCUPATION

Les frères qui organisaient clandestinement la production des écrits bibliques ne percevaient aucun salaire; ils n’avaient pas même les timbres de ravitaillement nécessaires pour se procurer de la nourriture. De plus, il leur fallait acheter des fournitures, et notamment du papier, au marché noir. Comment s’y prenaient-​ils donc pour accomplir leur service?

Dans chaque congrégation, les frères, qui n’avaient pourtant que de faibles ressources, mettaient de côté des dons et des timbres de ravitaillement. Après les avoir regroupés, ils les confiaient au surveillant de circonscription avec leurs rapports de service. Cela permettait aux Témoins recherchés de subsister et de continuer à produire la nourriture spirituelle indispensable.

Même les enfants y allaient de leur contribution. Un soir, par exemple, frère Hartstang et l’un de ses compagnons arrivèrent à l’improviste chez la famille Golic. La table était mise pour le souper, mais les deux enfants, Antoine et Anne-Marie, semblaient avoir déjà dîné, et ils allèrent se coucher. Frère Hartstang apprit après la guerre que lui-​même et l’autre frère avaient mangé leur part. Comme il ne restait plus de nourriture dans la maison, les enfants avaient spontanément proposé de leur laisser leur repas en allant se coucher sans manger. Ils donnèrent ainsi un excellent exemple de considération pour l’organisation théocratique.

LES MÉTHODES DE PRÉDICATION

Dès que la prédication fut réorganisée clandestinement, les frères ne se contentèrent plus de présenter le témoignage d’une manière occasionnelle. Ils le firent d’une façon plus systématique, tout en restant extrêmement prudents. Par exemple, ils n’utilisaient que la Bible de porte en porte. Ils proposaient également des exemplaires du Nouveau Testament ou des Évangiles lorsqu’ils pouvaient s’en procurer dans les librairies protestantes, ce qui n’était d’ailleurs pas facile. En effet, les pasteurs grinçaient des dents devant l’activité effectuée par les Témoins, et ils refusaient de leur fournir des Bibles quand ils savaient à quelle œuvre elles étaient destinées.

Il fallait donc user de diplomatie pour se procurer des Bibles auprès des protestants. De fait, les démarches des frères n’étaient pas toujours couronnées de succès. Ainsi, Jules Ista rapporte qu’il se rendit un jour à la Mission évangélique de Bruxelles pour y acheter quelques exemplaires du Nouveau Testament. Le pasteur qui le reçut lui demanda à quelle Église ces ouvrages étaient destinés. Le frère essaya d’éluder la question, mais quand son interlocuteur comprit qui il était, il lui cracha au visage, le traita de sale Étudiant de la Bible et refusa de les lui vendre.

Les frères disposaient de quelques publications de la Société, notamment des brochures Dévoilées et Réfugiés, mais ils les utilisaient avec parcimonie. Un service de prêts était organisé pour que chaque publication puisse servir à plusieurs personnes. D’autre part, ils se souvenaient des gens qui avaient accepté des livres avant la guerre et leur rendaient visite pour les encourager à les lire, afin de stimuler leur intérêt pour la vérité. Si toutefois une personne se montrait indifférente, les frères lui suggéraient de leur remettre la publication pour qu’un autre puisse en profiter. Quelques-uns acceptaient de la rendre, mais il en était aussi qui refusaient. La démarche ayant piqué leur curiosité, ceux-là commençaient parfois à la lire et à s’intéresser au message du Royaume. Certains d’entre eux prirent même position pour la vérité par la suite.

DE MAISON EN MAISON — AVEC PRUDENCE

Les proclamateurs étaient encouragés à prêcher de maison en maison avec une extrême prudence. Par exemple, il fallait absolument qu’ils accomplissent leur activité seuls, en frappant à une porte ici, puis à une autre plus loin dans la rue pour ne pas attirer l’attention. Si certaines demeures leur paraissaient suspectes, il était préférable qu’ils ne s’y rendent pas. Lorsqu’un proclamateur apercevait un uniforme dans le logement, il devait simplement demander un renseignement quelconque au lieu de donner le témoignage.

Un jour, un frère se présenta sans le savoir chez un agent de la Gestapo. Celui-ci l’invita à entrer, puis il lui demanda ses papiers d’identité. Sur ce, il ferma la porte à clef et partit téléphoner pour le faire arrêter. Heureusement, dans l’intervalle sa femme rentra et dit au Témoin de se sauver. Point n’est besoin de préciser qu’il ne se fit pas prier.

LES NOUVELLES VISITES

Quand une personne s’intéressait à la vérité, on retournait la voir plusieurs fois pour discuter avec elle des doctrines élémentaires de la Bible à l’aide de sujets de conversation préparés. On se servait aussi de brochures, notamment de celles qui s’intitulaient Dévoilées et Réfugiés, pour dispenser l’enseignement au cours de discussions semblables aux études de la Bible à domicile qui s’effectuent de nos jours.

À cette époque, on n’invitait pas les étudiants à venir aux réunions aussi vite que maintenant. En règle générale, on n’amenait pas quelqu’un dans un groupe d’étude avant qu’il ait commencé à prêcher, au cas où il s’avérerait être un indicateur.

BAPTÊMES DANS LES FOYERS

Les baptêmes étaient administrés secrètement, dans des foyers. Un jour, 40 personnes furent baptisées chez frère Heuse, qui habitait une toute petite maison à Sclessin, non loin de Liège. Une autre fois, 27 personnes reçurent le baptême chez frère Wladek, à Waterschei. En fait, la cérémonie ne passait pas toujours inaperçue, car on entendait parfois les enfants qui jouaient dehors se dire entre eux: “C’est une messe protestante.”

DES BÉNÉDICTIONS ACCRUES

En 1941, l’ennemi semblait avoir remporté la victoire. En effet, le nombre des proclamateurs était tombé de 275 à 86. Mais en 1942 le nombre des soldats du Royaume remonta à 253, dont huit pionniers. Durant cette année de guerre, les Témoins imprimèrent 10 000 exemplaires de la brochure Choisissez en néerlandais, ainsi que 7 455 périodiques La Tour de Garde. Puis, en 1943, grâce à l’aide de Jéhovah, le nombre des proclamateurs du Royaume augmenta encore en Belgique pour atteindre le chiffre de 396. Ces prédicateurs consacrèrent plus de 46 000 heures au service et distribuèrent 7 868 livres, 17 106 brochures et 2 234 périodiques. On comptait désormais 19 congrégations. Quant à l’imprimerie clandestine, elle produisit 11 000 brochures et 14 500 périodiques.

L’année suivante fut encore plus heureuse, car elle vit le nombre des ministres du Royaume s’élever à 545. Jéhovah l’avait indéniablement emporté sur la fausse religion et sur les tyrans qui s’étaient alliés à elle. De plus, 609 personnes assistèrent au Mémorial, et l’on édita 6 000 exemplaires du livre Enfants avec la coopération d’un imprimeur de Bruxelles.

De 1942 à 1944, les frères accomplirent donc une excellente activité. Ils imprimèrent en tout plus de 64 000 livres, brochures et périodiques. Grâce à cette production et au stock de publications qui avait été caché au moment de l’invasion allemande, ils purent distribuer 107 587 écrits bibliques au cours de la guerre. Les nazis ne réussirent jamais à détruire l’œuvre, ni à découvrir le Béthel où cinq frères et sœurs s’affairaient à la fin du conflit.

UNE OBÉISSANCE SCRUPULEUSE

Les frères suivaient scrupuleusement les directives de la Société et n’essayaient pas d’en savoir plus qu’il n’était nécessaire. Même les enfants obéissaient fidèlement aux instructions qu’ils recevaient. Un jour, par exemple, frère Schrantz apporta un carton de publications chez frère Golic, à Waterschei. Or, seule la petite Anne-Marie, qui était âgée de neuf ans à l’époque, se trouvait à la maison. Frère Schrantz lui remit donc le carton en lui disant de n’en parler à personne, excepté à son père.

Anne-Marie cacha le carton sous le lit. Lorsque sa mère rentra, elle ne lui dit pas un mot de ce qui s’était passé. Quand vint l’heure de dormir, elle refusa d’aller se coucher; il fallait absolument qu’elle attende le retour de son papa. Évidemment, sœur Golic trouvait son attitude pour le moins mystérieuse. En tout cas, Anne-Marie resta debout jusqu’à ce que son père rentre à la maison. Alors seulement elle lui parla, en particulier, de la visite de frère Schrantz et révéla qu’il y avait un carton de publications sous le lit.

1944 — LA GUERRE TOUCHE À SA FIN

Le pays se réjouit de voir les Alliés repousser peu à peu les troupes allemandes. Une fois la Gestapo et ses sbires partis, les frères n’avaient plus qu’une seule idée en tête: organiser une assemblée dès que possible. Ils s’empressèrent de rétablir le programme des réunions, car ils éprouvaient un vif désir de se retrouver. Le 23 décembre 1944, 70 d’entre eux assistèrent à une assemblée qui se déroula à Waterschei, dans une salle qui n’avait ni fenêtre ni chauffage.

Une autre assemblée se tint en même temps à Liège, dans un bâtiment marqué par les cicatrices d’une guerre qui n’était pas encore finie. Des assemblées eurent lieu par la suite à Bruxelles, puis à Charleroi. Frère Hartstang assista à chacun de ces rassemblements, en se faisant désormais connaître par son vrai nom.

LA MENACE DES BOMBES VOLANTES

Mais Hitler ne s’avouait pas vaincu. En 1944, il recourut à une nouvelle arme, une bombe volante que les Allemands appelaient “Arme de représailles”. Il l’utilisa après le retrait de ses troupes d’abord contre l’Angleterre puis contre la Belgique. Ces missiles autopropulsés, plus connus sous l’appellation V1, portaient environ une tonne d’explosif. Leurs deux premières cibles furent des centres industriels et portuaires, Liège et Anvers. Ils y causèrent de grands dégâts matériels et de lourdes pertes en vies humaines. C’est sur cette toile de fond que se déroula, début 1945, une assemblée qui fut l’objet d’une plus grande publicité que celles dont nous venons de parler. Elle se tint à Liège, dans le Home des Invalides, alors que la menace des V1 planait sur la ville.

La salle de 500 places était comble. Pendant le programme, on perçut tout à coup le bruit d’une bombe volante qui se rapprochait. On la reconnaissait aisément au vrombissement saccadé de son moteur. Tant qu’on l’entendait, il n’y avait rien à craindre. Par contre, si le moteur s’arrêtait, la bombe n’irait pas plus loin et plongerait vers le sol. Soudain, tandis qu’elle survolait la ville, le moteur se tut. Elle était donc en train de piquer. Où allait-​elle tomber?

Dans la salle, les frères chantaient un cantique à ce moment-​là. Aucun d’eux ne quitta sa place; en revanche, le directeur du Home et tout le personnel coururent aux abris. Le V1 explosa à proximité de la salle. Le lendemain, quand frères Heuse père et Smets revinrent régler le prix de la location, le directeur leur demanda: “Mais quelle sorte de personnes êtes-​vous donc? Hier, pas un de vous n’a bougé dans la salle lorsque le V1 est tombé.” Les frères saisirent l’occasion pour lui présenter un bon témoignage.

FIN DE LA CLANDESTINITÉ

Dès le départ des troupes allemandes, le Béthel fut installé à Bruxelles, chez frère Notebaert. Plus tard, frère Hartstang loua deux pièces rue Rubens, à Schaerbeek. L’une faisait office de chambre et de bureau, l’autre de cuisine et de local d’expédition. C’était l’hiver, et le charbon était rare et rationné. Il faisait si froid que frère et sœur Hartstang devaient travailler assis dans leur lit.

Cet hiver-​là, il y eut une assemblée à La Cour de Tilmont. En s’y rendant, les frères des régions minières du Limbourg et de Liège s’arrêtaient au Béthel avec des valises et des colis pesants. Mais que transportaient-​ils? Du charbon? Exactement. En effet, ces mineurs pouvaient s’en procurer facilement, et ils désiraient en faire profiter leurs frères moins favorisés du Béthel. Ainsi, la cave à charbon fut bientôt remplie.

Il fallait aussi des travailleurs pour que le Béthel puisse se réorganiser. On lança donc un appel à la suite duquel un jeune frère nommé José Nicolas Minet vint offrir ses services. Comme il n’y avait pas de place pour le loger rue Rubens, il allait dormir chez frère Notebaert après sa journée de travail. Il devenait nécessaire de trouver un endroit plus spacieux, mais il n’y avait pas beaucoup de logements libres dans la ville. Après maintes recherches, on loua finalement une maison au 47 rue Wayenberg, à Ixelles. Cependant, frère et sœur Hartstang ne purent s’y installer, car le personnel du Béthel avait encore augmenté dans l’intervalle.

RÉORGANISATION DE L’ŒUVRE

Les frères avaient du mal à s’habituer à la lumière après être restés si longtemps dans l’obscurité. Par exemple, les congrégations avaient été invitées à envoyer leurs rapports d’activité sur des cartes postales imprimées spécialement à cet effet. Les frères responsables se servaient bien de ces cartes, mais ils les glissaient dans des enveloppes pour que les informations restent secrètes. Ils continuaient à indiquer seulement les initiales du nom de l’expéditeur et identifiaient toujours leur congrégation par le code utilisé pendant la guerre, bien qu’il leur ait été suggéré de marquer désormais le nom de leur localité.

Les agissements de la police secrète nazie avaient tellement marqué les frères qu’environ un an et demi après le départ des SS, la Société devait encore leur rappeler qu’ils n’œuvraient plus dans la clandestinité et qu’il leur était à nouveau possible de le faire ouvertement.

Une des causes de cette lenteur de l’adaptation à l’après-guerre résidait dans le fait que la majorité des frères de Belgique n’avaient jamais connu la liberté de prêcher. En effet, les proclamateurs, qui n’étaient que 86 au début de la guerre, se retrouvaient à 747 en août 1945. Ils avaient donc beaucoup à apprendre sur les méthodes de prédication et d’organisation afin de marcher du même pas que leurs frères des pays où l’œuvre n’avait pas été interdite.

En décembre 1945, frères Nathan Knorr, président de la Société, et Milton Henschel firent une halte à Bruxelles pour voir quelles dispositions pouvaient être prises afin d’accélérer la réorganisation de l’œuvre de témoignage. Peu après, le 15 janvier 1946, un premier missionnaire diplômé de l’École de Galaad arrivait en Belgique. C’était frère Calvin Holmes, qui allait faire beaucoup pour restructurer l’œuvre. Il débarqua à Ostende et fut accueilli par toute la famille du Béthel à la gare de Bruxelles. C’était vraiment un événement!

Frère Holmes fut nommé surveillant de la filiale. Frère Hartstang, qui s’était dépensé sans compter pendant ces difficiles années de guerre, accueillit ce changement avec joie. Il s’était fait connaître comme un homme fort humble, zélé et déterminé dans le service de Jéhovah. Il resta fidèle jusqu’à ce qu’il s’endorme dans la mort, le 5 avril 1964. Sœur Hartstang, pour sa part, sert toujours Jéhovah au Béthel des Pays-Bas à l’âge de 81 ans.

PURIFICATION DES CONGRÉGATIONS

Il fallait effectuer une œuvre de purification dans certaines congrégations. Frère Holmes s’attela à cette tâche, ce qui n’était pas toujours facile, car il ne parlait ni le français ni le néerlandais. Dans certains cas, notamment à Bruxelles et à Ypres, il fut nécessaire d’agir avec sévérité pour expulser des congrégations les personnes immorales qui provoquaient des troubles et des divisions. Frère Holmes visitait une congrégation chaque week-end, ce qui aida les frères à se sentir plus proches de la Société.

ACHAT D’UN BÉTHEL

La maison qui avait été louée pour servir de Béthel devenait trop exiguë. Après bien des recherches, on en acheta une autre qui comportait un grand atelier à l’arrière. Ce bâtiment était situé au 28 avenue du Général Eisenhower à Schaerbeek, dans la banlieue de Bruxelles. Par rapport à ce que la famille du Béthel avait connu jusque-​là, c’était un véritable palais. On pouvait y stocker une plus grande quantité de publications pour répondre aux besoins sans cesse croissants. Il n’y avait pas beaucoup de mobilier dans cette maison. Heureusement, la filiale de Suisse expédia en Belgique les meubles qui se trouvaient dans une vieille ferme qu’elle venait de vendre. Ce don fut très apprécié.

LE SERVICE DE PIONNIER

En 1945, on encouragea les frères à devenir pionniers. Au mois d’octobre, cette année-​là, 18 frères et sœurs se dépensaient dans cette forme d’activité. En décembre, ce chiffre s’éleva à 24, et 3 pionniers spéciaux furent nommés. Les pionniers n’avaient pas la vie facile en ces jours-​là. L’un d’eux raconte qu’il dormait sur un matelas à même le sol. Pour toute batterie de cuisine, il ne disposait que d’une casserole et d’un poêlon avec lesquels il préparait tous ses repas. Il est vrai que les menus n’étaient pas compliqués. Quoi qu’il en soit, Jéhovah n’a jamais abandonné ses serviteurs.

L’AIDE DES FRÈRES AMÉRICAINS

Un frère dont les parents n’étaient pas Témoins quitta son travail bien rémunéré pour devenir pionnier. Lorsqu’il prit cette décision, sa mère lui dit, en sanglots: “Qui va s’occuper de toi? Comment vas-​tu pouvoir t’acheter des vêtements?” Il rétorqua: “Les oiseaux ne sèment pas, et ils restent en vie quand même; ils ont toujours de quoi manger!”

Quelques mois plus tard, ce pionnier fut invité à passer au Béthel de Bruxelles. Les frères des États-Unis avaient réuni une grande quantité de vêtements, et la Société en avait envoyé une partie en Belgique pour aider les Témoins qui avaient souffert de la guerre. Les pionniers furent les premiers à bénéficier de ce don, et notre frère reçut deux costumes, un pardessus, quelques chemises et deux paires de chaussures. Peu après, il rendit visite à sa mère, qui s’exclama en le voyant: “Comme tu es bien habillé! D’où viennent tous ces beaux vêtements?” Et le frère de répondre en souriant: “Du ciel!”

En 1946 et en 1947, les frères américains expédièrent 10,5 tonnes d’habits et 1,5 tonne de chaussures par bateau. Tous ces effets furent répartis entre 1 431 frères, qui furent de ce fait en mesure de prêcher la bonne nouvelle du Royaume dans une tenue convenable.

Après la guerre, une assemblée fut organisée au cirque royal de Bruxelles du 4 au 6 octobre 1946. Le programme fut présenté en deux langues. Environ 2 000 personnes vinrent écouter le discours public intitulé “Le Prince de paix”.

LE NATIONALISME ENGENDRE L’OPPRESSION

Le régime nazi avait été vaincu, mais le nationalisme était plus fort que jamais. Satan s’en servit comme d’une nouvelle arme contre les représentants du Royaume de Dieu. Puisqu’ils n’avaient plus besoin d’œuvrer clandestinement, les frères étrangers qui avaient échappé aux nazis signalèrent leur présence aux autorités belges et américaines. Ainsi, frère et sœur Hartstang sollicitèrent un permis de séjour. Non seulement celui-ci leur fut refusé, mais encore, le 4 juin 1947, le ministre de la Justice leur signifiait qu’ils devaient quitter le pays dans les huit jours. Tous les appels interjetés contre cette mesure injuste se révélèrent inutiles.

En outre, trois pionniers, Fritz Schneider, Erwin Klose et Willy Klopper, furent emprisonnés, car on les accusait d’être des agents nazis. C’était vraiment le comble pour ces hommes que la Gestapo avait traqués comme des bêtes! Frère Schneider retourna en Allemagne après son incarcération. Il souffrait d’une affection pulmonaire, et il mourut quelques années plus tard. Quant à frère Klose, il fut emprisonné pendant 11 mois avec des nazis, en dépit de pétitions signées par des centaines de frères et même par des officiels locaux. Les autorités militaires américaines et britanniques essayaient vainement de prouver qu’il était lui aussi un agent du nazisme.

DES VISITEURS VENUS DE BROOKLYN

Malgré l’opposition des nationalistes, on passa pour la première fois le cap des 1 000 proclamateurs. Les pionniers, pour leur part, étaient au nombre de 57. En juin 1947, frères Frederick Franz et Grant Suiter se rendirent en Belgique. À cette occasion, on tint simultanément deux assemblées, l’une en néerlandais et l’autre en français. Les visiteurs venus du siège mondial de la Société aidèrent les frères de la filiale à accomplir leur activité plus efficacement et à renforcer la structure théocratique de l’organisation.

Quelques mois plus tard, la première assemblée de circonscription de l’après-guerre se déroulait à La Louvière. Bien qu’il n’y eût que 295 proclamateurs dans la circonscription, 485 personnes écoutèrent le discours public avec enthousiasme. Cette année-​là, on dénombra 1 525 assistants au Mémorial, contre 1 099 l’année précédente.

D’AUTRES MISSIONNAIRES ARRIVENT

La Société essayait d’envoyer d’autres missionnaires pour aider les frères, mais leur arrivée fut retardée à cause de l’hostilité des nationalistes. Malgré tout, frère et sœur Buisset réussirent à pénétrer en Belgique vers la fin de l’année 1947, et ils y servirent pendant de nombreuses années. En 1948, cinq autres missionnaires vinrent les rejoindre. Elmer Johnston, qui se dépensa fidèlement dans son territoire jusqu’à sa mort en 1972, était de leur nombre.

Allan Coville et Gijsbertus van der Bijl figuraient parmi les dix missionnaires qui arrivèrent en 1949. Ils furent suivis en 1955 par Markus Hartlief et en 1965 par Aalzen Wiegersma. Les quatre frères que nous venons de mentionner sont toujours en Belgique, où ils servent comme surveillants itinérants.

LA PRESSION DU CLERGÉ

Le clergé s’opposa aux Témoins de multiples façons lorsqu’il vit que le nom de Jéhovah devenait de plus en plus connu. À Lantin, par exemple, des adversaires chassèrent les frères en leur lançant des pétards, à l’instigation du prêtre. À Bolland, un petit village du pays de Herve, le prêtre distribua à ses paroissiens un pamphlet dans lequel il leur dictait en ces termes l’attitude qu’ils devaient adopter quand les Témoins se présentaient à leur porte: “1) Fermez votre porte à ces colporteurs du Diable. 2) S’ils entrent par surprise, faites marcher la radio à fond, ou, faute de mieux, prenez deux couvercles de marmite et cognez-​les l’un contre l’autre; cela fera l’affaire.”

Compte tenu des pressions exercées par le clergé, il était difficile de louer une salle pour y donner des discours. À Tervuren, le prêtre dit à un propriétaire qu’il préférait le voir ‘louer sa salle aux communistes plutôt qu’aux propagandistes de ce nouveau dieu’. Dans un autre village, le prêtre rassembla tous les enfants pour les envoyer dans le lieu de réunion, où ils firent tant de bruit avec des couvercles et des casseroles que le discours ne put être prononcé. Un autre prêtre menaça le propriétaire d’une salle en l’avertissant que s’il la louait aux Témoins, son commerce ferait faillite, car il veillerait personnellement à ce qu’aucun de ses paroissiens ne se fournisse chez lui.

La façon dont les villageois considéraient les Témoins à cette époque est bien illustrée par l’anecdote suivante: Emile Schrantz se rendait un jour chez un frère dont il ignorait l’adresse exacte. Il demanda donc à la première personne qu’il rencontra dans le village de ce Témoin: “Savez-​vous où habite un monsieur qui a une drôle de religion?” Son interlocuteur le renseigna immédiatement, sans même qu’il ait besoin de mentionner le nom du frère.

INTERDICTION DU TRANSPORT DES ÉCRITS BIBLIQUES

En 1950, le retour d’exil du roi Léopold III mit la Belgique en effervescence. Cet événement déclencha des manifestations, des grèves et des menaces de guerre civile au sein du peuple belge, qui était profondément divisé sur la question royale. Les 2 462 Témoins que le pays comptait alors adoptèrent une attitude de neutralité au milieu de toute cette agitation. Toutefois, deux jours seulement après la mise en place d’un nouveau gouvernement catholique, Satan profita du tumulte pour essayer à nouveau de paralyser l’œuvre du Royaume.

En effet, le 6 juin 1950, le ministre des Transports interdisait sans préavis l’acheminement des publications de la Société par le chemin de fer et le service postal. Le gouvernement feignit d’ignorer toutes les lettres que la filiale lui écrivit à ce sujet. Comment les frères et les abonnés allaient-​ils donc recevoir la nourriture spirituelle?

La Société prit des dispositions pour que les publications et les périodiques soient livrés par camion à toutes les congrégations. Après réception, les proclamateurs se chargeraient désormais d’apporter les périodiques aux abonnés. Jéhovah bénit abondamment cette nouvelle façon de procéder, qui donna aux frères l’occasion de rendre régulièrement visite aux abonnés.

Le gouvernement belge ne leva pas l’interdiction qui pesait sur le transport des publications de la Société avant le 30 octobre 1981, en dépit des demandes qui avaient été formulées maintes et maintes fois au cours des 31 années précédentes.

EN ARDENNE ET DANS LES FLANDRES

En 1951, la Belgique passa le cap des 3 000 proclamateurs. La prospérité dont jouissaient les 80 congrégations de Témoins inquiétait vivement le clergé. Celui-ci se lamentait d’en voir se former même dans les villages de l’Ardenne, pourtant réputés pour leur attachement au catholicisme. D’ailleurs, dans son édition du 2 décembre 1950, le journal catholique L’Avenir du Luxembourg (de la province belge du Luxembourg) se faisait l’écho de cette inquiétude en ces termes: “Nous ne savons pas ce qui se passe (...), mais nous remarquons que dans plusieurs villages de la région de Neufchâteau et de Bertrix les Témoins de Jéhovah prennent pied.”

L’emprise du clergé sur les habitants des grandes villes diminuait, mais les ecclésiastiques s’efforçaient de défendre leur position dans les villages. À Erps Kwerps (dans les Flandres), un prêtre somma un pionnier de quitter la bourgade, mais le Témoin refusa d’obtempérer. Le lendemain, il réitéra son ordre. Puisque notre frère persistait dans son refus de partir, l’ecclésiastique se mit à l’accompagner de porte en porte en l’accusant d’être protestant et de vendre des Bibles que les gens n’étaient pas autorisés à lire. Cependant, le pionnier réfuta ces accusations devant tous ceux qu’ils rencontrèrent. Finalement, au bout de trois heures, le prêtre cessa de se présenter aux portes; néanmoins, il continua de suivre le frère pour s’adresser aux gens depuis le milieu de la rue. Le troisième jour, il emboîta de nouveau le pas au pionnier, mais celui-ci appela la police. Aussitôt l’ecclésiastique disparut comme par enchantement. Visiblement, le clergé ne faisait plus marcher les agents au doigt et à l’œil.

LA MÉFIANCE DES AUTORITÉS

À cause de la neutralité chrétienne observée par les Témoins, les autorités semblaient ne pas reconnaître qu’ils accomplissaient une œuvre purement pacifique et éducative. Deux policiers en civil assistaient à la plupart des discours publics pour prendre note de ce qui s’y disait. Même dans de petites congrégations comptant une quinzaine de proclamateurs, dès qu’un discours faisait l’objet d’une certaine publicité on pouvait être sûr de voir deux agents dans l’assistance. Ceux-ci devaient souvent prendre place dans la cuisine d’un frère, transformée pour la circonstance en Salle du Royaume. Compte tenu de la situation, il semblait plus judicieux que les Témoins étrangers, y compris ceux qui servaient comme surveillants itinérants, ne prononcent pas de discours publics.

LES PRÊTRES RECOURENT DE NOUVEAU À LEURS ANCIENNES MÉTHODES

Les frères avaient désormais la possibilité d’accorder plus d’attention aux territoires non attribués. Ainsi, en 1952 ils donnèrent le témoignage dans 591 villes et villages malgré l’opposition acharnée des prêtres; ceux-ci avaient cru jusque-​là que les Témoins ne reviendraient jamais, du moins dans les territoires isolés. Ils réutilisèrent alors leurs anciennes méthodes, mais sans l’appui de la police cette fois. Ils incitaient les gens à chasser les Témoins. À l’occasion d’une assemblée de circonscription à Bastogne, l’un d’eux arracha une poignée de pages à la Bible catholique qu’une chrétienne utilisait pour prêcher. En la circonstance, une autre sœur fut rouée de coups par une femme que le prêtre avait fanatisée.

À Anvers, d’autres faux bergers tentèrent d’empêcher une chrétienne invalide de donner le témoignage dans la rue. Avec son fauteuil roulant, notre sœur s’était postée près d’un magasin. Le commerçant essaya d’abord de la faire partir en appelant la police; cependant, l’agent qu’il contacta lui rétorqua que la sœur était dans son droit. Il fit alors appel aux prêtres qui cherchèrent à persuader la sœur de s’en aller, mais en vain. Les ecclésiastiques décidèrent donc de pousser son fauteuil sur la chaussée, mais des chauffeurs de taxi qui observaient la scène de l’autre côté de la rue accoururent et leur dirent qu’ils feraient mieux de décamper s’ils ne voulaient pas s’attirer des ennuis. Inutile de dire qu’ils déguerpirent aussitôt.

LES PROGRÈS RÉALISÉS GRÂCE À L’AIDE DES MISSIONNAIRES

Malgré l’opposition, le nombre des proclamateurs s’éleva à 3 623. Les diplômés de l’École de Galaad continuaient à affermir les frères afin de les aider à assumer davantage de responsabilités. Bientôt, la Belgique ne fut plus considérée comme un champ d’activité missionnaire. Aussi la plupart des missionnaires furent-​ils employés à des fonctions de surveillance, au Béthel ou en tant que surveillants itinérants. À l’époque, tous les surveillants de circonscription et de district étaient étrangers. Par ailleurs, il n’y avait que trois frères belges au bureau de la filiale.

EXPULSION DU SURVEILLANT DE LA FILIALE

Une fois encore, les représentants du gouvernement catholique montrèrent la haine qu’ils nourrissaient contre les Témoins en s’attaquant aux responsables de l’œuvre. Le 11 avril 1953, frère Calvin Holmes, qui était pourtant marié à une sœur belge, fut avisé de son expulsion. Frère van der Bijl fut nommé surveillant de filiale à sa place.

Mais qu’allait-​il arriver à frère Wozniak, l’homme que la Gestapo n’avait pas réussi à capturer et qu’un autre gouvernement catholique avait déjà essayé vainement d’expulser en 1934? Il fut convoqué devant une commission qui décida son expulsion. Cependant, avant que la sentence puisse être mise à exécution, un changement se produisit dans le gouvernement. Le nouveau ministre de la Justice, qui n’était pas catholique, annula l’arrêt d’expulsion. Comme en 1934, frère Wozniak échappa donc à ses persécuteurs.

Le nouveau gouvernement, plus libéral que le précédent, se révéla assez favorable à l’œuvre du Royaume. D’ailleurs, le 28 juillet 1954, un ministre adressa une lettre à la Société pour lui faire savoir que la distribution de Bibles et d’écrits bibliques ne serait plus considérée comme du colportage, mais comme une œuvre de bienfaisance à but non lucratif.

UNE ASSEMBLÉE

La Belgique se situant à la croisée des chemins entre Londres, Nuremberg, Paris et La Haye, les frères n’eurent pas de mal à assister en 1955 aux assemblées internationales “Le Royaume triomphant”. Ils louèrent spécialement deux trains pour faire le voyage. Toutefois, l’un de ces convois fut arrêté à la frontière par les autorités françaises. Plusieurs frères furent appelés par un haut-parleur. La gendarmerie leur signifia qu’ils n’étaient pas autorisés à entrer en France pour “raisons de sécurité”. Ils descendirent donc du train, mais ils se rendirent quand même à l’assemblée par les lignes régulières et en faisant un détour par le grand-duché de Luxembourg.

LES AUTORITÉS PRENNENT DE BONNES DÉCISIONS

Alors que l’influence du clergé était sur le déclin, les autorités adoptaient une attitude plus respectueuse à l’égard de l’œuvre du Royaume. Elles allèrent jusqu’à prendre des décisions unilatérales en faveur des frères afin d’assurer leur liberté de culte conformément à la constitution. Par exemple, un décret royal promulgué le 8 janvier 1958 et publié au Journal officiel le 14 mars de la même année leva l’interdiction qui pesait sur les discours en plein air depuis l’arrêté qui avait été pris le 8 juin 1957 par le bourgmestre (maire) et les échevins (magistrats adjoints) de la commune d’Anvaing. Le décret royal reprochait au collège échevinal d’avoir outrepassé ses pouvoirs en la circonstance.

Désormais, les pressions du clergé ne se faisaient plus sentir que dans les territoires ruraux. Ce fut encore le cas à Orp-le-Grand, où il avait été prévu que de nombreux frères logent dans une grande maison à l’occasion d’une assemblée de circonscription organisée du 23 au 25 mai 1958. Juste avant l’assemblée, le prêtre de la paroisse parvint à faire annuler la réservation des chambres. De plus, il contraignit le boulanger de la commune à revenir sur son accord de fournir du pain à la cafétéria pour le repas du dimanche midi. Mais cela n’empêcha pas les frères de se nourrir et de se reposer. On aménagea un grand dortoir dans la salle où l’assemblée se déroula, et de grands sacs de paille firent office de lits. Ainsi, malgré les obstacles, 532 personnes purent assister à ce rassemblement.

PAS DE BARRIÈRE LINGUISTIQUE

Le point culminant de l’année de service 1959 fut l’assemblée de district des “Ministres éveillés”, qui se tint au Palais des Sports de Bruxelles. Le discours public fut prononcé simultanément en français et en néerlandais devant un auditoire de 6 896 personnes. À l’occasion de ce rassemblement de cinq jours, 378 nouveaux Témoins furent baptisés. L’unité qui régnait entre les frères flamands (de langue néerlandaise) et wallons (de langue française) donna un cachet particulier à cette assemblée. En effet, tous se réunirent dans la même salle, côte à côte, la sonorisation étant prévue pour que chacun puisse suivre le programme dans sa langue. À cette fin, l’auditoire se répartissait en deux sections pendant les sessions. Ce rassemblement bilingue ne passa pas inaperçu; il fut d’ailleurs l’objet d’une grande publicité.

De plus, l’assemblée montra que les différences linguistiques ne provoquent pas de division parmi les vrais chrétiens, ce qui contraste avec la profonde désunion qu’elles occasionnent en Belgique. Ainsi, dans certaines églises d’Anvers et de Vilvorde, la police a parfois dû intervenir pour séparer des catholiques flamands de leurs coreligionnaires wallons. Pour quelle raison? Parce que les Flamands ne supportaient pas d’entendre leurs prêtres dire la messe en français!

EXONÉRATION FISCALE

En 1960, un grand pas fut franchi pour ce qui est de la défense et de l’affermissement légal de la bonne nouvelle dans le pays. Il y avait maintenant plus de 7 000 proclamateurs, et 10 237 personnes assistèrent au Mémorial cette année-​là. Les Salles du Royaume se faisant trop petites, plusieurs congrégations avaient entrepris d’agrandir la leur ou d’en construire une nouvelle. Celles qui étaient propriétaires de leur salle demandèrent à être exemptées de l’impôt foncier au même titre que les Églises. Toutefois, elles furent déboutées de leur demande, sous prétexte que les Témoins de Jéhovah ne constituaient pas une religion. Le ministère des Finances décréta en outre que les Salles du Royaume n’étaient pas des lieux de culte publics. Il va sans dire que ces affirmations étaient complètement injustifiées.

Le 29 juin 1960, la cour d’appel de Liège rejeta les allégations de l’État. Les Salles du Royaume furent donc exonérées de l’impôt foncier. De plus, le tribunal condamna l’État à rembourser aux frères les taxes qu’il avait perçues antérieurement pour leurs salles de réunion.

LES PROCLAMATEURS ÉTRANGERS

Dans ce petit pays de 30 513 kilomètres carrés, la majeure partie des habitants vivent dans les villes. L’industrie étant la principale source d’emplois, on comprend aisément qu’il y ait beaucoup d’ouvriers étrangers en Belgique. De fait, ceux-ci représentent maintenant 10 pour cent de la population. Le tiers de ces immigrés sont d’origine italienne.

À leur arrivée, les étrangers trouvent généralement un travail dans les mines de charbon. La vérité se répandit donc à nouveau dans les régions de Charleroi, de Liège et du Limbourg, parmi les immigrés cette fois. Les frères belges entreprirent sans délai d’étudier la Bible avec ceux qui s’intéressaient sincèrement à la vérité. Certains apprirent même l’italien pour pouvoir les aider plus efficacement.

DES COURS DE LANGUES

Le rapport de l’année 1962 révélait qu’environ 40 pour cent des proclamateurs étaient étrangers et ne savaient s’exprimer correctement ni en français ni en néerlandais. Pour résoudre ce problème, Le Ministère du Royaume de février 1962 annonça l’ouverture d’une nouvelle école destinée à aider ces frères à acquérir une meilleure connaissance d’une des langues du pays. Au lieu d’assister à l’École du ministère théocratique, les intéressés apprenaient à parler et à écrire la langue locale en se servant du livre intitulé Du paradis perdu au paradis reconquis. Cette école les a beaucoup aidés à devenir des enseignants de la Parole. Les élèves étaient bientôt capables de tenir des conversations bibliques, alors qu’auparavant ils se bornaient généralement à offrir les périodiques. Parmi eux, plusieurs sont maintenant anciens ou serviteurs ministériels.

DES CONGRÉGATIONS COMPOSÉES DE PROCLAMATEURS ÉTRANGERS

Du 7 au 11 juin 1965, un événement remarquable et inédit se produisit en Belgique: Une grande assemblée internationale fut organisée à Charleroi, là où, 63 ans auparavant, la vérité avait commencé à prendre racine. Des frères du nord de la France et de Paris y assistèrent aux côtés des Témoins de Belgique, et le dimanche on dénombra une assistance record de 11 710 personnes.

Comme les années précédentes, il y eut une session italienne à ce rassemblement; mais cette fois, les frères italiens n’étaient plus une poignée. En effet, 725 personnes de langue italienne assistèrent à l’assemblée ayant pour thème “La Parole de vérité”. Leur cœur se remplit de gratitude quand frère Knorr annonça que dix congrégations italiennes allaient être formées en Belgique, et ils accueillirent cette nouvelle à grand renfort d’applaudissements. Un accroissement considérable s’ensuivit. Au moment où nous écrivons ces lignes, il y a en Belgique plus de 2 500 proclamateurs italiens répartis en 32 congrégations et en 3 circonscriptions.

D’autres personnes comparables à des brebis ont été trouvées parmi les ressortissants grecs, espagnols, portugais, turcs et anglais. Ainsi, au nombre des congrégations récemment formées, on en compte une portugaise, trois anglaises, sept espagnoles et huit grecques. Les membres de ces congrégations sont pleins de zèle pour Jéhovah, et leur endurance est exemplaire. Citons le cas de la congrégation grecque de Bruxelles, dont les 47 proclamateurs baptisés ont tous été pionniers auxiliaires au moins une fois au cours de l’année de service écoulée.

UN NOUVEAU BÉTHEL

Le Béthel situé au 28 avenue du Général Eisenhower à Schaerbeek (Bruxelles) avait amplement répondu aux besoins de l’œuvre du Royaume au cours des vingt années précédentes. Mais maintenant, il était trop petit pour abriter le stock de publications et loger tous les membres de la famille du Béthel. C’est pourquoi, en 1966, frère Knorr fit savoir à frère Marcel Gillet, qui servait alors comme surveillant de la filiale et qui est aujourd’hui coordinateur du comité de la filiale, qu’un nouveau Béthel allait être construit. Les travaux commencèrent en novembre de la même année, et en février 1968 un bâtiment coquet et spacieux était achevé à Kraainem, dans la banlieue de Bruxelles. Il était sans commune mesure avec le local qu’on avait loué en 1945.

CONFUSION DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Alors qu’une profonde unité régnait parmi les plus de 10 000 proclamateurs des parties wallonne et flamande de la Belgique, l’Église catholique, elle, était déchirée par la confusion, la haine et l’anarchie. Les journaux ne la ménageaient plus; au contraire, ils allaient parfois jusqu’à la ridiculiser ouvertement. Bon nombre de catholiques révélaient leurs sentiments aux frères en leur disant: “Rien ne va plus dans notre Église!” “C’est la fin de l’Église catholique!” et: “Nous ne savons plus comment prier.”

Des échauffourées entre catholiques éclataient jusque dans les églises. À Anvers, à Vilvorde et dans d’autres villes, des Flamands assaillirent les édifices consacrés au culte parce qu’ils étaient mécontents d’y voir célébrer la messe en français à l’intention des francophones. Il fallut faire appel aux forces de l’ordre pour mettre un terme aux rixes. Il était bien révolu, le temps où les prêtres incitaient la police à chasser les frères. À Anvers, des extrémistes écrivaient sur les murs: “Cessez de dire la messe en français à Vilvorde!” C’est dans cette dernière ville que le clergé avait jadis fait étrangler et brûler William Tyndale, le célèbre traducteur de la Bible. À présent, une congrégation de 70 proclamateurs du Royaume se délecte de la Parole de Dieu à cet endroit. À Louvain, cité renommée pour son université catholique, de jeunes prêtres scandaient dans les rues: “À bas l’évêque!” Là aussi, le gouvernement dut intervenir pour rétablir l’ordre.

EMPRISONNÉS POUR LEUR NEUTRALITÉ

Au fil des années, des centaines de jeunes Témoins ont été incarcérés à cause de leur neutralité chrétienne. Encore de nos jours, leur refus de transiger avec ce principe leur vaut des peines de deux ans de prison. Pendant près de 40 ans, les frères emprisonnés ne furent autorisés ni à se réunir ni à recevoir la visite des anciens. Il fallut attendre le 5 août 1976 pour qu’un ministre de la Justice plus tolérant permette à des anciens accrédités de les visiter.

UN ÉVÉNEMENT INOUBLIABLE

L’assemblée internationale “La victoire divine” organisée du 8 au 12 août 1973 à Bruxelles fut vraiment un événement inoubliable, non seulement parce qu’on y enregistra une assistance record, mais aussi parce que nos frères espagnols et portugais y étaient invités. Le droit de se réunir ne leur ayant pas été accordé dans leur pays, ils furent très nombreux à venir en Belgique. L’assistance maximum fut de 19 687 personnes à la session espagnole, de 14 625 à la session française, de 11 101 à la session néerlandaise et de 8 152 à la session portugaise, soit un total de 53 565 assistants.

Conscients des persécutions que les frères espagnols et portugais supportaient depuis bien des années, les Témoins belges s’étaient préparés à les recevoir avec hospitalité et à démontrer la vive affection qu’ils éprouvaient pour eux. De leur côté, les visiteurs, déjà réputés pour être chaleureux, étaient eux aussi déterminés à témoigner leur profond amour et leur reconnaissance sans bornes pour la possibilité qui leur était offerte de s’assembler avec leurs frères de Belgique. Beaucoup de marques d’amour et de cadeaux se sont échangés en cette circonstance joyeuse.

DES PROCLAMATEURS ÉTRANGERS RETOURNENT DANS LEUR PAYS

Quantité d’organisations ont établi leur siège en Belgique. Citons l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), les CE (Communautés européennes) et le SHAPE (“Supreme Headquarters of the Allied Powers in Europe”, c’est-à-dire “Grand quartier général des forces alliées en Europe”). Cela explique la présence de nombreuses personnes de nationalités différentes dans le pays. Ainsi, bien des gens deviennent Témoins de Jéhovah en Belgique, puis repartent dans leur nation d’origine. Avec les années, nombre d’Italiens, d’Espagnols et de Grecs venus travailler dans les mines de charbon en ont fait autant. Après avoir séjourné plus ou moins longtemps en Belgique, ils ont contribué dans une large mesure à l’extension de la prédication dans leur pays natal. Ces retours se sont multipliés ces derniers temps à cause de la conjoncture économique.

LA PROSPÉRITÉ SPIRITUELLE EST À L’ORDRE DU JOUR

Le message de la “bonne nouvelle du royaume” s’est maintenant répandu dans toute la Belgique. Il n’y a plus de territoire non attribué, car l’ensemble du pays est réparti entre 288 congrégations florissantes. En avril 1983, on a enregistré un nouveau maximum de 20 018 proclamateurs.

Que dire de la situation actuelle? Comment les gens réagissent-​ils habituellement à la prédication? La religion catholique est beaucoup moins influente que par le passé. Bien que nombre de ses membres se disent encore attachés à leur Église, les commodités de la vie en ont manifestement incité plus d’un à adopter une optique matérialiste. Leur attitude, ainsi que le manque total d’intérêt que d’autres affichent pour les questions religieuses, se traduisent par une indifférence généralisée. Aussi est-​il à présent difficile de parler de Dieu et de ses desseins. Cela constitue un défi que les proclamateurs doivent relever. Par ailleurs, cette situation les encourage à utiliser des entrées en matière frappantes afin d’éveiller l’intérêt de leur interlocuteur pour le message du Royaume.

DES SALLES D’ASSEMBLÉES

La plupart des salles dans lesquelles nous tenions nos assemblées de circonscription étaient louées très cher, et beaucoup ne correspondaient pas à nos besoins. Les circonscriptions se sont donc cotisées pour acquérir leurs propres salles. Elles en ont acheté deux en 1980, l’une à Bioul et l’autre à Bornhem. Avec enthousiasme, les frères et sœurs ont donné de leur argent et de leur temps pour aménager ces locaux en vue de leurs rassemblements. Ces salles étant toujours bien entretenues, les frères ne sont plus obligés de faire de grands nettoyages avant de se réunir.

LA BONTÉ DE CŒUR DE JÉHOVAH — UNE COURONNE

En 1902, frère Tilmant, le premier proclamateur de Belgique, s’est peut-être demandé: “Comment entendront-​ils sans quelqu’un qui prêche?” (Rom. 10:14). À cette époque, qui aurait cru que les premières graines de vérité semées par ce frère fidèle auraient produit plus de 20 000 Témoins courageux quelque 80 ans plus tard?

On peut se faire une idée de la joie que frères Smets et Poelmans ont déjà dû éprouver en constatant que le nombre des personnes fidèles à Jéhovah était passé de 5, après l’épreuve de 1918, à plus de 3 500 en 1952.

Ces chrétiens intrépides sont morts en pensant aux paroles suivantes de Jésus: “Réjouissez-​vous et bondissez de joie, puisque votre récompense est grande dans les cieux.” (Mat. 5:12). Maintenant qu’ils sont cohéritiers du Christ au ciel, on imagine l’allégresse qu’ils ressentent en constatant les nombreuses bénédictions que Jéhovah déverse sur son peuple.

Que Jéhovah soit loué pour sa bonté de cœur! Nous lui rendons grâce d’avoir suscité tant de Témoins fidèles en notre temps. De fait, en achevant ce récit nous n’avons qu’un seul regret: C’est de ne pas avoir disposé d’assez de place pour mentionner les centaines d’autres chrétiens moins connus qui, à l’instar d’Andronicus et de Junias, ont aussi été des colonnes et des ‘hommes marquants’, et qui se sont dépensés fidèlement dans l’œuvre du Seigneur. — Rom. 16:7.

Nous pouvons tous puiser un profond encouragement dans les remarquables exemples d’endurance que ces frères fidèles nous ont laissés, et en songeant à la direction que Jéhovah a accordée à ses serviteurs ici même, en Belgique, par l’entremise de ‘l’esclave fidèle et avisé’. Voilà qui nous incite à poursuivre “le beau combat de la foi”, jusqu’au jour où le Roi Jésus Christ prononcera les paroles suivantes: “Venez, vous qui avez été bénis par mon Père, héritez le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.” — I Tim. 6:12; Mat. 25:34.

Quand ce glorieux jour poindra, alors nous ne risquerons plus de voir les plaines de Belgique se transformer en champ de bataille, comme cela s’est produit deux fois depuis 1914. En effet, à l’image du reste de l’Europe et de la terre entière, elles seront affranchies à jamais de la guerre et de l’oppression pour devenir un véritable paradis. En attendant ce jour, tous ceux qui aiment la justice en Belgique et ailleurs partagent les sentiments de l’apôtre Jean qui déclara: “Amen! Viens, Seigneur Jésus.” — Rév. 22:20.

[Note]

^ § 8 Plus tard, cette série a été rebaptisée Études des Écritures.

[Carte, page 39]

(Voir la publication)

Belgique

Anvers

Bornhem

Malines

Vilvorde

Erps Kwerps

Louvain

Kraainem

Schaerbeek

Bruxelles

Ixelles

Tervuren

Orp-le-Grand

Beringen

Brée

Waterschei

Eisden

Genk

Heure-le-Romain

Vivegnis

Visé

Herstal

Lantin

Liège

Bolland

Flémalle-Haute

Engis

Ampsin

Amay

Sclessin

Herve

Ougrée

Eupen

Verviers

Val-Saint-Lambert

Meuse

Namur

Bioul

Dinant

Ciney

Bertrix

Bastogne

Neufchâteau

La Louvière

Haine-Saint-Paul

Carnières

Roux

Jumet

Charleroi

Couillet

Braine-le-Comte

Tournai

Anvaing

Courtrai

Ypres

Ostende

Gand

[Illustration, page 47]

Frère Ernest Heuse père et sa famille composée exclusivement de serviteurs à plein temps.

[Illustration, page 48]

Lors d’une assemblée qui s’est tenue à Liège en 1952, frères Poelmans et Smets se réjouissent de constater que les 5 proclamateurs des débuts sont devenus plus de 3 000.

[Illustration, page 55]

Frère Emile Schrantz, en compagnie de sa femme et de frère Février (à droite), alors qu’il était surveillant de circonscription. À l’époque, il fallait se rendre de congrégation en congrégation à bicyclette.

[Illustration, page 58]

Werner Schutz, un vaillant soldat de la théocratie. Il a servi à plein temps pendant 47 ans, jusqu’à sa mort en 1972

[Illustration, page 81]

André Wozniak, l’un des principaux piliers de l’œuvre clandestine pendant la Seconde Guerre mondiale. La Gestapo l’a poursuivi sans jamais réussir à le capturer.

[Illustration, page 89]

Frère et sœur Hartstang, venus secrètement des Pays-Bas. Frère Hartstang a servi comme surveillant de filiale au cours de cette période difficile, et il a échappé aux mains d’un chef de la Gestapo qui avait juré sa perte.

[Illustrations, page 90]

François Hankus, l’un des Témoins déportés dans des prisons et dans des camps de concentration en Allemagne.

Sœur Hankus est restée fidèle et active pendant la détention de son mari, puis jusqu’à sa mort en 1982.

[Illustration, page 92]

Frère et sœur Floryn après leur retour des camps de concentration.

[Illustration, page 95]

Frère Glowacz, l’un des frères menacés de mort à Buchenwald à cause de leur refus de travailler à la fabrication des armes.

[Illustration, page 118]

La filiale de Belgique à Kraainem, dans la banlieue de Bruxelles.

[Illustrations, page 123]

La Salle d’assemblées de Bioul, l’une des deux qui ont été achetées en 1980.

L’intérieur de la Salle d’assemblées de Bornhem.