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Irlande

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“DURANT l’âge des ténèbres”, l’Irlande “fut ‘l’île des saints et des savants’, la patrie de ceux qui gardèrent vive la lumière du christianisme, qui s’éteignait partout ailleurs”, écrivit Donald Connery dans son livre Les Irlandais (angl.). Pourtant, la lumière du véritable christianisme ne se mit véritablement à briller en Irlande qu’après des années d’activité énergique déployée par de fidèles serviteurs de Jéhovah. Leur lutte face à une opposition opiniâtre atteste la solidité de leur foi et de leur détermination. Elle témoigne aussi de leur profond amour pour Jéhovah et pour les gens qu’ils ont aidés. Mais qui sont au juste ces serviteurs de Jéhovah et quelle est leur histoire?

L’Irlande compte un peu plus de 5 000 000 d’habitants. Les idéologies politiques et les haines qui les divisent profondément peuvent aboutir, comme ces dernières années, à des conflits ouverts et sanglants. Malgré cela, l’Irlandais est par nature à la fois chaleureux et jovial et se montre tranquille et hospitalier.

Depuis l’époque des envahisseurs celtes au IVsiècle avant notre ère jusqu’aux rois d’Angleterre, en passant par les incursions vikings et normandes, l’histoire de l’Irlande est entachée de violence, d’effusions de sang et d’oppression. L’île fut coupée en deux en 1922 à la suite d’une lutte indépendantiste. Sa partie septentrionale, essentiellement peuplée de protestants, resta attachée au Royaume-Uni, et le reste de l’île (80 % des terres) forma la République indépendante d’Irlande, à dominante catholique.

UNE ÉMERAUDE

Mis à part ces aspects sinistres de son histoire, l’Irlande s’avère être un magnifique pays verdoyant. Sa campagne brumeuse, tout de vert vêtue et sertie de côtes rocheuses, la rend comparable à une émeraude en pleine mer. En la parcourant d’est en ouest (270 kilomètres), vous pourrez admirer en son centre une plaine fertile entourée de montagnes imposantes et de collines en pentes douces. En la traversant du nord au sud (environ 480 kilomètres), vous serez enchanté par ses lacs et ses rivières pittoresques, ses magnifiques panoramas côtiers et la variété de ses couleurs, sa végétation abondante et ses fleurs innombrables. On ne peut oublier les charmes de l’Irlande après les avoir contemplés.

Bien que l’Irlande soit essentiellement agricole, certaines industries se sont développées au cours des dernières années. Les grandes agglomérations, comme Dublin, capitale de la République d’Irlande, et Belfast, capitale de l’Irlande du Nord, offrent un contraste saisissant avec les villes et les villages paisibles situés en zone rurale. C’est dans ce contexte que la lumière de la vérité commença à briller vers la fin du siècle dernier.

RUSSELL COMMENCE À FAIRE BRILLER LA LUMIÈRE DE LA VÉRITÉ

Charles Taze Russell, premier président de la Société Watch Tower, vint en Irlande en 1891. Ce fut la première escale d’un voyage qui le conduisit des États-Unis en Europe où il avait l’intention de propager les vérités chrétiennes. Russell, qui était lui-​même de descendance écossaise et irlandaise, débarqua à Queenstown (maintenant Cobh) dans le sud de l’Irlande.

Des ecclésias ou congrégations furent ainsi formées à Dublin et à Belfast, et de là, le message de vérité commença à se répandre peu à peu. À cette époque, les frères distribuaient des tracts à la sortie des temples protestants et donnaient le témoignage occasionnellement plutôt que de façon organisée. Voici ce qu’on pouvait lire dans La Tour de Garde en 1904: “En Irlande aussi, la vérité se répand: nos chers frères à Dublin sont très joyeux de répandre le message d’amour.”

En 1908, Russell prononça à Belfast le discours intitulé “La chute de l’empire de Satan” devant une salle de 300 personnes. L’ecclésia de Belfast comptait alors 24 frères. Après avoir rencontré à Dublin un groupe d’environ 40 frères et personnes bien disposées, Russell s’adressa à plus de mille auditeurs.

Trois ans plus tard, à la faveur d’une autre visite, Russell rencontra à Belfast 40 Étudiants de la Bible. Ce soir-​là, environ mille personnes se rendirent à l’Ulster Hall pour écouter son discours “Quel est le vrai évangile?”. Dans cet exposé, Russell défendait vigoureusement la Bible contre la haute critique et mettait l’accent sur la nécessité de revenir à la Bible plutôt que de s’accrocher à des croyances ou à des doctrines humaines.

L’UNITÉ D’ESPRIT FAIT DÉFAUT

Malgré ces débuts prometteurs, la prédication ne progressait pas comme elle aurait dû. En ces années, les Étudiants de la Bible irlandais commençaient tout juste à comprendre les vérités bibliques et on ne connaissait pas encore l’unité d’esprit qui règne aujourd’hui au sein du peuple de Dieu sur la terre entière. Pourquoi cela? Beaucoup de ceux qui se réunissaient alors ne comprenaient pas la nécessité d’être “harmonieusement assemblés” pour accomplir la volonté de Dieu. — Éph. 4:1-6, 16.

En 1914, on comptait environ 70 Étudiants de la Bible. Pendant les réunions, beaucoup mettaient en évidence leur interprétation personnelle des Écritures, notamment lorsque la congrégation examinait la série de livres intitulée L’aurore du Millénium. Ils devinrent égotistes au point d’estimer leur compréhension des Écritures supérieure à toute autre. Quand il fallut reconnaître que 1914 ne marquerait pas la fin du système de choses, un certain nombre de ces Étudiants de la Bible rejetèrent le canal utilisé par Jéhovah pour diffuser la vérité.

L’ORGUEIL SE DÉVELOPPE À DUBLIN

Alors que la Première Guerre mondiale traînait en longueur, l’orgueil de certains individus au caractère indépendant entraîna de nombreuses difficultés. Ils estimaient que les enseignements bibliques de frère Russell n’avaient somme toute que peu d’intérêt. Ils ne comprirent pas que Jéhovah allait confier un important travail à son peuple.

En 1919, les anciens électifs de la congrégation de Dublin s’opposaient vigoureusement aux conseils et aux directives de l’organisation de Jéhovah. Ils prenaient ombrage de tout ce qui empiétait sur leur autorité dans la congrégation. Ils accordaient la première place à leurs idées personnelles (Rom. 12:3). Bien que ces anciens aient lu à la congrégation les lettres de la Société, ils ne tenaient aucun compte des conseils et des directives qu’elles renfermaient. Dans la congrégation, seuls quelques membres fidèles continuaient à faire tout leur possible pour diffuser des tracts et des livres comme Le divin Plan des Âges, mais la plupart n’avaient pas le moindre désir de participer à cette activité.

Charles Wilson, un frère qui appartint à la congrégation primitive de Dublin, se rappelle comment la crise éclata un soir de 1920. La majorité des membres de la congrégation avaient alors perdu toute considération envers l’organisation de Jéhovah. Il raconte:

“Lorsque nous nous sommes rendus à la réunion ce soir-​là, un des anciens nous a déclaré que la congrégation allait voter notre exclusion du groupe. Quand ils nous annoncèrent qu’ils rompaient avec l’organisation internationale des Étudiants de la Bible pour créer leur propre mouvement, je leur dis: ‘Dans ce cas, ne vous donnez pas la peine de voter notre exclusion. Nous nous en allons!’ Je leur ai alors tourné le dos et me suis dirigé vers la porte. Frère et sœur Brown et sœur Rutland m’ont emboîté le pas.”

Le conflit portait entre autres sur la prédication avec L’Âge d’Or et d’autres publications. Une autre pomme de discorde touchait la soumission aux dispositions plus théocratiques exposées alors dans La Tour de Garde. Cette période difficile donna lieu à une véritable épuration. Sur les cent membres que comptait la congrégation, quatre seulement restèrent attachés à l’organisation de Jéhovah. Ceux qui quittèrent l’organisation formèrent ensuite des factions plus petites et opposées, avec leurs propres dirigeants.

La prédication fut pratiquement interrompue à Dublin. Avec le temps, cependant, certains relevèrent le défi qui consistait à annoncer la bonne nouvelle comme colporteurs ou prédicateurs à plein temps, non seulement à Dublin, mais aussi dans toute l’Irlande.

Il arrivait parfois que des colporteurs soient chassés du lieu où ils étaient hébergés en raison de l’opposition fomentée par le clergé. Ils étaient par contre toujours bien accueillis chez sœur Rutland, autrefois agent de police, une des rares à être restée fidèle au sein du groupe de Dublin. Beaucoup de frères et sœurs se souviennent encore de celle qu’ils appelaient affectueusement “Maman” Rutland. Ils lui sont reconnaissants d’avoir ouvert sa maison à ceux qui en avaient besoin en ces années difficiles. On pouvait toujours trouver “quelque chose à se mettre sous la dent et une bouilloire au coin du feu” chez “Maman” Rutland.

L’ŒUVRE EN IRLANDE DU NORD

Avant de poursuivre notre récit sur l’œuvre en République d’Irlande, voyons à présent ses débuts en Irlande du Nord. Située à l’angle nord-est de l’île, cette région se compose de zones rurales vallonnées et de montagnes peu élevées. Elle fut colonisée au XVIIsiècle par des protestants venus d’Angleterre. Les deux tiers de la population d’Irlande du Nord descendent par conséquent de protestants anglais et écossais. Un protestantisme particulièrement militant s’y est développé depuis lors, marqué d’une haine virulente envers le catholicisme. Les gens de cette partie de l’île vivent également dans les ténèbres et ignorent le dessein de Dieu. Tout comme les gens du sud de l’île, ils sont eux aussi aveuglés par les doctrines de Babylone la Grande et ont besoin d’aide pour se libérer. — Rév. 17:1, 2; 18:2-4.

LE PHOTO-DRAME OUVRE LES ESPRITS

À partir de 1914, on utilisa le Photo-Drame de la Création pour aider les gens à y voir clair. Ce spectacle, composé de clichés en couleurs et de projections animées synchronisées avec des disques de phonographe, montrait la réalisation du dessein de Dieu depuis la création jusqu’à la fin du Règne millénaire de Jésus Christ. Sœur Maggie Cooper apporta son concours pour présenter le Photo-Drame dans toute l’Irlande du Nord.

Elle raconte: “La salle était pleine à craquer tous les soirs et les gens manifestaient beaucoup d’intérêt. Rares étaient ceux qui faisaient de l’opposition. La projection a fait tomber bien des préjugés à notre encontre.” Elle se rappelle à quel point il était difficile de transporter tous les accessoires nécessaires à la projection du Photo-Drame qui durait huit heures. “Quand j’y repense, dit-​elle, je n’arrive pas à comprendre comment nous y sommes parvenus. Nous avons rencontré tellement d’obstacles, sans parler de la multitude de bagages que nous devions transporter.” Pourtant, en plaçant leur confiance en Jéhovah, ils ont pu surmonter toutes ces difficultés.

LA VÉRITÉ SUR L’ENFER

Des tracts dévoilant de fausses doctrines telles que les tourments de l’enfer pénétrèrent les ténèbres qui prévalaient en Irlande du Nord. Pendant la Première Guerre mondiale, l’intérêt de Bob Oliver fut capté par la lecture d’une annonce parue dans un journal de Belfast. Voici ce qu’on y lisait: “Qu’enseignent les Écritures sur l’enfer? Recevez un tract gratuit sur cette question en écrivant à l’Association internationale des Étudiants de la Bible, 34 Craven Terrace, Londres, W.2.” M. Oliver, qui était alors membre de l’Église presbytérienne, nourrissait de sérieux doutes quant à l’existence d’un enfer de feu. Il répondit donc à l’annonce et reconnut, en lisant le tract, le son de la vérité. La réponse qu’il fit à cette annonce marqua le début d’une vie entièrement consacrée au service de Jéhovah, dans lequel il s’emploie toujours aujourd’hui.

Durant sa jeunesse, Susan Milne avait souvent assisté en Irlande du Nord à des réunions tenues sous des tentes par de nombreuses sectes adeptes de la nouvelle naissance. Durant ces réunions, qui faisaient appel à l’émotion, les prédicateurs rabâchaient les mêmes refrains à propos des flammes de l’enfer et de la damnation éternelle. Susan finit par penser qu’elle ne méritait pas d’être sauvée puisqu’elle n’avait jamais fait l’expérience du salut que prétendaient goûter ceux qui assistaient à ces réunions. En 1922, elle lut pourtant un tract intitulé Où sont les morts?, ce qui, dès lors, lui fit voir les choses sous un jour différent.

Quelque temps auparavant, elle avait été fort surprise en entendant son père déclarer: “Je commence à croire que le feu de l’enfer n’existe pas.” C’était à ses yeux un blasphème. À présent, elle comprenait le sens de ces paroles de Jésus: “La vérité vous libérera” — et tout spécialement des faux enseignements religieux (Jean 8:32). Après qu’elle eut donc lu ce tract, elle rendit visite à son père. Quelle ne fut pas leur joie de découvrir qu’ils lisaient tous deux des écrits provenant d’une même source: l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Susan, son mari, ainsi que son père et d’autres membres de sa famille acceptèrent la vérité.

“ANNONCEZ (...) LE ROI ET SON ROYAUME”

Très rapidement sœur Milne vit la nécessité de se mettre à l’œuvre. Elle répétait souvent ces paroles prononcées à l’assemblée de Cedar Point en 1922: “Annoncez, annoncez, annoncez le Roi et son Royaume.” Pour y répondre, elle-​même et sa famille parcouraient le territoire avec le livre La Harpe de Dieu et dirigeaient avec enthousiasme des cours bibliques à l’aide de ce livre révélateur.

Les frères et les sœurs, y compris Bob Oliver et Susan Milne, commencèrent l’activité de prédication du dimanche matin en Irlande du Nord en proposant le livre La Harpe de Dieu. Les gens à qui ils donnaient le témoignage étaient profondément enracinés dans la tradition presbytérienne, qui exigeait entre autres d’avoir une sainte horreur pour tout ce qui constituait à leurs yeux une violation du sabbat. Cette activité dominicale provoqua donc la colère.

Les Témoins firent preuve du même courage pour distribuer des numéros de L’Âge d’Or qui renfermaient de puissants messages à l’encontre du clergé, accusé d’avoir dissimulé la vérité et persécuté les vrais chrétiens. Frère Oliver se souvient très bien de l’illustration qui accompagnait un numéro spécial de L’Âge d’Or; on y voyait un ecclésiastique qui tenait un poignard dégouttant de sang. En guise de légende on lisait les paroles consignées en Jérémie 2:34 (selon la version anglaise du roi Jacques): “Dans tes pans on a trouvé le sang des âmes des pauvres innocents.”

Les frères donnèrent également des discours publics destinés à faire connaître le Royaume partout où ils le pouvaient. C’est ainsi que Bob Dempster entendit parler de la vérité dans sa ville natale de Comber, à proximité de Belfast. Mais en s’intensifiant, l’œuvre de témoignage suscitait une opposition croissante. Quand frère Dempster se mit à annoncer le Royaume, le clergé usa de manœuvres tortueuses pour tenter de l’en empêcher. Tirant parti du fort taux de chômage qui existait à l’époque, il fit pression pour que l’on refuse de servir à frère Dempster ses indemnités de chômage. Mais frère Dempster ne se laissa pas intimider. Il commença à se joindre à la petite congrégation qui se réunissait chez les Milne, pour le plus grand profit de tous.

Lentement mais sûrement, la lumière du Royaume se répandait, et le nombre des congrégations augmentait peu à peu. Pourtant, les ennemis de la vérité ne se trouvaient pas tous à l’extérieur.

CRIBLAGE À BELFAST

En Irlande du Nord, et notamment à Belfast, les frères connurent les mêmes difficultés que ceux de Dublin en 1920 à cause d’anciens électifs au caractère indépendant. Débuta alors une époque de criblage. Là encore, la controverse portait sur la fidélité à l’organisation de Jéhovah et sur la nécessité de prêcher. Un Étudiant de la Bible, qui avait rencontré frère Russell lors de sa visite à Belfast en 1908, en vint à préférer ses idées personnelles et constitua son propre mouvement, qu’il appela les Étudiants fidèles de la Bible.

Plus tard, en 1917, après la parution du livre Le mystère accompli, qui condamnait sévèrement la fausse religion, d’autres prirent peur et quittèrent l’organisation. Un membre en vue de la congrégation de Belfast mit dans la vitrine de sa boutique un écriteau portant ces mots: “Je n’ai rien à voir avec l’Association internationale des Étudiants de la Bible, ni avec le livre Le mystère accompli.” Il forma également son propre groupe, prétendant qu’il s’en tenait aux enseignements de frère Russell. La foi et la fidélité des frères étaient donc éprouvées lorsqu’ils voyaient des personnalités en vue dans la congrégation se détourner ainsi du canal utilisé par Jéhovah.

Mais une épreuve plus sévère encore allait surgir du sein même de la congrégation. Alors que l’œuvre de prédication était en plein essor, une divergence d’opinion devint de plus en plus évidente entre ceux qui percevaient clairement la nécessité d’annoncer le Roi et son Royaume, et les anciens électifs qui voyaient les choses tout autrement.

À l’instar des scribes et des Pharisiens du temps de Jésus, qui ‘aimaient la place la plus en vue’, ils étaient plus soucieux de leur position et de leurs privilèges que de soutenir l’œuvre de prédication (Mat. 23:2-7). Leur attitude empreinte de suffisance et d’orgueil créait un malaise et peinait la congrégation. Ce désir de chaque ancien de s’élever et de renforcer sa position dans la congrégation finit par engendrer un climat de suspicion et de méfiance.

Quand la période des élections arrivait, on cherchait à rallier des suffrages. Des anciens invitaient spécialement les frères et sœurs à prendre le thé dans l’unique intention de gagner leur soutien et d’influencer les votes. Comme ces anciens ne reconnaissaient pas en Christ le Chef de la congrégation, des désaccords surgissaient et des clans se formaient. C’est ce qui se produisit autrefois à Corinthe. Parce qu’ils accordaient une attention exagérée à des hommes, les membres de la congrégation de Corinthe formèrent des clans, chacun disant: “‘Moi [j’appartiens] à Apollos!’ ‘Mais moi à Céphas!’ ‘Mais moi à Christ!’” — 1 Cor. 1:11, 12.

À l’exemple de Diotrèphe au temps de l’apôtre Jean, quelques frères faisaient peu de cas des directives émanant de l’organisation de Jéhovah et essayaient délibérément de semer le discrédit sur la Société dans le cœur et l’esprit des frères humbles et dociles. Ils imitaient ainsi Diotrèphe en ‘jasant sur les frères de la filiale avec des paroles méchantes’. — 3 Jean 9, 10.

Jéhovah est finalement intervenu. Les numéros du 15 août et du 1er septembre 1932 de l’édition anglaise de La Tour de Garde expliquèrent que la surveillance de la congrégation doit être exercée par un groupe de chrétiens mûrs appelé comité de service et non par des “anciens électifs”. Cette nouvelle façon de procéder provoqua le criblage des derniers rebelles. À Belfast, à peine une douzaine de proclamateurs réguliers restèrent attachés à la vérité.

LES DISCOURS DE RUTHERFORD DONNENT UNE NOUVELLE IMPULSION

Au cours des années 30, ce petit groupe de frères d’Irlande du Nord mit en œuvre les méthodes employées par le peuple de Jéhovah sur la terre entière. On commença à se servir avec enthousiasme des discours enregistrés par J. Rutherford, alors président de la Société. L’utilisation du phonographe donna lieu à des épisodes mouvementés.

Alex Mitchell était chef mécanicien dans la marine. En 1927, il lut les livres Le divin Plan des Âges, Le Temps est proche, et La Harpe de Dieu pendant qu’il naviguait. Il comprit que ces livres renfermaient la vérité. De retour chez lui à Belfast, il se mit immédiatement à la recherche de quelqu’un qui pourrait l’aider à comprendre la Bible. Des membres des Étudiants fidèles de la Bible tentèrent de le dissuader d’étudier les publications de la Société. Mais comme il avait déjà discerné dans ces publications l’accent de la vérité, il finit par trouver les véritables Étudiants de la Bible.

Il se mit bientôt à prêcher. Il se revoit encore en compagnie de frère Oliver en train de transporter le phonographe dans tous les quartiers de Belfast. Ils ne disposaient au départ d’aucun véhicule. Imaginez deux hommes courant la ville et la campagne, portant tout leur équipement sur des sangles de cuir suspendues à leurs épaules!

Frère Mitchell avait entre autres la responsabilité de trouver des salles pour y faire entendre les discours enregistrés. Il était possible d’en louer, mais pas plus d’une fois la même salle. Pour quelle raison? Parce que la plupart de ces locations se faisaient sous l’œil vigilant du clergé de la localité, qui supportait mal le message que l’on y diffusait. Quand il n’était pas possible de louer des salles, les frères faisaient tourner le phonographe dans les rues de Belfast et dans la campagne environnante.

Ils préféraient généralement diffuser ces discours dans les quartiers protestants qui, à cette époque, se montraient plus réceptifs. Une fois, frère Mitchell et frère Milne arrêtèrent leur véhicule dans une rue tranquille sans penser à vérifier l’endroit où ils se trouvaient. Comme à l’accoutumée, ils montèrent leur équipement, passèrent un peu de musique pour attirer l’attention des gens, et invitèrent les riverains à écouter le discours biblique. Or, sans le savoir, ils s’étaient installés dans un quartier très catholique, où on les prit pour des protestants. Les gens de l’endroit commencèrent à les cribler de pierres. Frère Mitchell et frère Milne rangèrent précipitamment tout leur matériel et quittèrent les lieux. Pendant qu’ils partaient, la populace se mit à taper sur la voiture avec des barres de fer. Le pare-brise vola en éclats. Mais à ceci près, les frères s’en sortirent sans trop de mal, et leur aventure n’entama nullement leur enthousiasme pour ce genre d’activité.

Un après-midi, frère Mitchell fut bombardé de pommes de terre. Fort heureusement, elles étaient cuites, donc molles. En partant, frère Mitchell s’adressa à la foule par le haut-parleur et dit qu’il se félicitait de n’être pas venu dans la matinée, car les pommes de terre auraient alors sûrement été plus dures!

Les frères faisaient aussi un bon usage du phonographe portatif. Mis à part quelques mésaventures, comme celle d’oublier de mettre le disque en place avant de partir en prédication, ils devinrent experts dans le maniement de cet instrument. Armés d’une bicyclette, d’un phonographe, d’un jeu de disques et d’une boîte remplie de livres, ils étaient fin prêts pour une bonne journée de prédication.

AFFERMIS PAR LES LIAISONS RADIOTÉLÉPHONIQUES

Les discours de frère Rutherford, diffusés en direct de Londres ou de New York, contribuaient à fortifier les frères. En 1938, le puissant discours intitulé “Face aux réalités” réunit un auditoire de plus de 2 500 personnes au King’s Hall à Belfast.

Les frères se souviennent encore avec précision des marches publicitaires organisées à Belfast pour annoncer ce discours. Comme il régnait à ce moment-​là en Irlande du Nord une forte tension religieuse, beaucoup d’entre eux étaient inquiets. On organisa pourtant 25 marches dans les rues principales de la ville sans enregistrer la moindre réaction violente.

Des hommes-sandwiches annonçaient le discours public. D’autres Témoins tenaient des écriteaux portant des slogans comme “Servez Dieu et Christ, le Roi” ou encore “La Religion est un piège et une escroquerie”. Quand un jeune journaliste aperçut ce dernier slogan, il dit aux frères: “Vous avez mis tout ce temps pour vous en apercevoir?”

Le discours “Gouvernement et paix” fut diffusé par liaison téléphonique depuis le Madison Square Garden à New York. À Belfast, la police assura la protection de la salle où les frères s’étaient rassemblés. L’IRA (Armée républicaine irlandaise) avait en effet menacé de la faire sauter si le discours n’était pas annulé. Mais les frères ne se laissèrent pas intimider. Les intimidations de l’IRA à Belfast n’eurent pas plus d’effet que les efforts de l’Action catholique pour interrompre le discours à New York.

Ces discours diffusés en direct communiquèrent aux frères un sentiment d’unité. En dépit de la montée du zèle religieux et du patriotisme en Europe à l’approche de la guerre, ce petit groupe de frères d’Irlande restait ainsi conscient de son rattachement à une organisation internationale en plein essor. Quittons maintenant l’Irlande du Nord, pour reprendre notre récit sur l’œuvre en République d’Irlande là où nous l’avons laissé.

OPPOSITION ACHARNÉE DANS LE SUD

De 1920 à la Première Guerre mondiale, seuls quelques frères et sœurs fidèles poursuivirent le combat à Dublin même, tandis que le sud de l’île à dominante catholique ne recevait qu’épisodiquement la visite de colporteurs.

L’Annuaire des Témoins de Jéhovah de 1935 nous donne un aperçu des conditions qu’ils devaient affronter.

1935: “Les frères vivent dans l’incertitude, certains ont été battus et leurs précieuses publications ont été détruites.”

1937: “De toutes les îles Britanniques, l’Irlande connaît la situation la plus sombre (...). Les prêtres (...) filent les pionniers pour savoir où des publications ont été laissées (...) et les font immédiatement détruire.”

1938: “Les proclamateurs du Royaume rencontrent une vive opposition. Des foules excitées par un prêtre catholique s’en sont prises à des Témoins de Jéhovah. (...) L’opposition n’est pourtant pas à son comble.”

Quelque temps plus tôt, en 1926, frère Pryce Hughes, qui servira plus tard comme vice-président de l’Association internationale des Étudiants de la Bible, s’était rendu avec trois de ses compagnons à Waterford, en Irlande du Sud. Ils furent accueillis par trois frères qui les y avaient précédés. Avant l’arrivée de frère Hughes à Waterford, ces frères avaient été attaqués par une foule d’agitateurs catholiques qui avaient brûlé ce qu’ils considéraient être des ‘publications malfaisantes’.

Les frères quittaient rapidement les lieux après avoir placé des publications. Ils logeaient chez des protestants et essayaient de couvrir le plus possible de territoire avant que le prêtre de la localité ne s’en rende compte. Dans une ville, la presse locale fit imprimer une mise en garde contre les frères, si bien que des enfants crachèrent sur eux alors qu’ils passaient dans la rue. Pour éviter d’être identifiés trop rapidement, ils commençaient leur activité dans les parties les plus reculées du territoire choisi et finissaient par la ville où ils logeaient.

Dans la petite ville de Graiguenamanagh, où se tient le marché, ils durent aussi affronter une opposition haineuse. Alors qu’ils retournaient à leur logement, ils furent pris à partie par une foule composée de jeunes, qui les conspuèrent et leur jetèrent des pierres. “C’était un ‘jour de fête’, la fête de ‘saint’ Patrick, raconte frère Hughes, et les voitures tirées par des ânes avaient afflué toute la journée vers la ville pour la messe célébrée en son honneur. À l’église, le prêtre avait monté tout le monde contre nous.” Comprenant qu’ils devaient promptement quitter les lieux, frère Hughes et ses compagnons transportèrent à bicyclette tous leurs bagages jusqu’à la gare la plus proche.

Les colporteurs apprirent à s’adapter à ce climat permanent de violence. Une fois, frère Hughes fut poursuivi dans un champ par un homme armé d’une fourche. Une autre fois, sans prévenir, un fermier lui tira un coup de feu dans les pieds!

Un autre colporteur, Jack Corr, arriva à Dublin en 1930. Comme ses parents étaient catholiques, il était en bonne position pour discuter avec les catholiques qu’il rencontrait. Il constata que beaucoup de gens considéraient que la Constitution irlandaise, qui garantit la liberté de culte, ne s’appliquait pas à l’œuvre de prédication des Témoins de Jéhovah.

Frère Corr subit bien souvent la fureur du clergé et de ses ouailles. À minuit, une foule excitée par le curé vint le tirer du lit et brûla toutes ses publications sur la place. Une autre fois, une foule de plus de 200 personnes commença à frapper violemment à la porte du logement qu’il occupait. Il raconte: “Terrifiée, la maîtresse de maison se mit à lancer une bordée d’injures à travers la fenêtre à l’adresse de la foule, tout en essayant de me pousser sous le lit. Je parvins à la rassurer et, un quart d’heure plus tard, la foule se dispersa comme la brume. Je me rendormis comme si de rien n’était.”

L’OPPOSITION RELIGIEUSE SE FAIT PLUS VIOLENTE

En 1931, Victor Gurd et son compagnon Jim Corby arrivèrent à Cork, non loin de l’endroit où frère Russell avait débarqué en Irlande 40 ans plus tôt. Un autre groupe de frères se joignirent à eux pour quelque temps. Chacun parcourait le pays à sa façon, distribuant des exemplaires des Études des Écritures et de La Harpe de Dieu.

Alors que les frères donnaient le témoignage à Roscrea, dans le comté de Tipperary, des hommes armés leur firent mettre les mains en l’air, prirent leurs publications et leur dirent de quitter la région. Quand les frères arrivèrent à leur domicile, une agitation encore plus grande les y attendait. Des opposants s’étaient emparés de leur stock de publications et y avaient mis le feu après l’avoir arrosé de pétrole. La police locale, le clergé et les enfants du quartier assistaient à l’autodafé en chantant “Foi de nos pères”!

À cette époque, John Retter et ses compagnons vinrent à Limerick. Comme frère Retter était d’origine autrichienne, il donna le témoignage à beaucoup d’Allemands qui avaient émigré sur la côte occidentale d’Irlande. Il y avait là aussi John Cooke (qui sert aujourd’hui au Béthel d’Afrique du Sud). En 1936, il fut jeté dans une prison à Dublin pour avoir poursuivi l’œuvre de Jéhovah.

LA PROTECTION DE JÉHOVAH SE FAIT SENTIR DANS LE NORD

D’autres colporteurs ont été le fer de lance de l’œuvre en Irlande du Nord durant les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. Sarah Hall arriva dans le comté de Tyrone en 1926. Elle avait connu la vérité en Angleterre en 1915, grâce au livre Le divin Plan des Âges. Ce qu’elle lut la décida à entreprendre l’œuvre de colportage.

La plupart des gens à qui elle parlait ne partageaient pas son enthousiasme pour la vérité. Elle était de petite taille, de frêle constitution et de tempérament doux, mais cela n’empêcha pas une femme de la chasser un jour à coups de fourche, ni un homme, mis en fureur par le message, d’essayer de l’attraper à la gorge en la traitant de “Dalila”.

Loin de se décourager, elle fit preuve d’une détermination et d’une persévérance remarquables. “En fin de compte, ce n’était pas si difficile, dit-​elle en repensant à ces conditions éprouvantes. Nous nous sommes habitués à entendre les gens nous crier dessus. Mais le Seigneur nous accordait sa protection quand nous la lui demandions.” Les colporteurs étaient confiants que Jéhovah serait ‘avec eux pour les délivrer’. Et c’est ce qui s’est toujours produit! — Jér. 1:7, 8; Ps. 23:4, 5.

JÉHOVAH POURVOIT

Billy Holland a découvert la vérité en 1926 en lisant Le divin Plan des Âges. Comme tant d’autres colporteurs, il s’appuyait pleinement sur la promesse de Jéhovah selon laquelle les serviteurs de Dieu ne seraient jamais ‘complètement abandonnés’. — Ps. 37:25; Mat. 6:28-34.

Frère Holland explique: “Parfois je me passais de petit déjeuner; ou bien il m’arrivait de n’avoir que quelques tranches de pain sec pour repas. Je me rappelle qu’un jour je me trouvais dans la campagne dans le comté de Down. Après avoir prêché quelque temps, j’ai appuyé ma bicyclette contre une haie, en bas d’un petit chemin. Je me suis assis et je mangeais mon pain sec en écoutant chanter les oiseaux. En regardant la haie de plus près, j’aperçus des belles mûres. J’en cueillis quelques-unes que je glissai entre mes tranches de pain. On aurait dit de la confiture. Quel régal!”

La baisse de ses finances n’entamait pas son moral. “Mes chaussures commençaient à s’user et elles prenaient l’eau, raconte-​t-​il. Or un jour, je marchais en plein soleil sur une route de campagne. Il faisait si chaud que le goudron de la route fondait. Les trous de mes semelles se remplirent de goudron, si bien que mes chaussures se trouvèrent ‘réparées’.” Et sans bourse délier!

LA NOURRITURE SPIRITUELLE EST FOURNIE DURANT LA GUERRE

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de 1939 à 1945, la République d’Irlande resta neutre, mais l’Irlande du Nord, rattachée au Royaume-Uni, subit des bombardements et les rigueurs de la guerre.

S’est alors posée la question de l’approvisionnement en nourriture spirituelle. Durant la guerre, le gouvernement britannique avait interdit d’importer ou d’exporter La Tour de Garde et d’autres publications de la Société. Cette machination de Satan visant à rompre les communications et à arrêter l’approvisionnement des frères en nourriture spirituelle fut déjouée et mise en échec. De quelle façon? La Société prit des dispositions pour que des frères des États-Unis ou du Canada envoient La Tour de Garde sous pli discret aux frères de Belfast.

Dès sa réception, les frères responsables entamaient la duplication des articles principaux. Ils les distribuaient ensuite aux congrégations. Grâce à l’apparition de ces périodiques, les frères ne furent jamais privés de la nourriture spirituelle qui leur était essentielle.

Frère Oliver se rappelle qu’il recevait La Tour de Garde d’un certain frère Kelly des États-Unis. Frère Kelly racontait aussi de quoi avait parlé “l’oncle Nathan” (Nathan Knorr, le troisième président de la Société Watch Tower), donnant ainsi des échos des assemblées et d’autres nouvelles. Parfois les frères trouvaient La Tour de Garde ou un livre comme “La vérité vous affranchira” au milieu d’un colis de nourriture qui leur était adressé. Quand un numéro de La Tour de Garde arrivait intact, les frères de Belfast disaient en riant qu’il avait dû passer inaperçu pendant que le censeur prenait le thé.

TRAITÉS AVEC MÉPRIS

Pendant la guerre, les frères d’Irlande du Nord eurent à faire face à une forte hostilité de la part du clergé et de ses ouailles, qui soutenaient pleinement l’effort de guerre. Combien s’avérèrent exactes ces paroles de Jésus: “Parce que vous ne faites pas partie du monde (...), à cause de cela le monde vous hait.“—Jean 15:18,19.

La lettre suivante, envoyée à la congrégation de Belfast en août 1943, illustre bien le mépris des gens à l’égard des frères:

“Monsieur,

“Ayant reçu malgré moi un des tracts que vous avez l’audace d’imposer à des gens par trop tolérants, je saisis cette occasion pour interdire formellement à n’importe lequel de vos adeptes de venir chez moi sous quelque prétexte que ce soit. Veuillez par conséquent avertir votre bande malavisée d’évangélisateurs d’opérette morveux que, s’ils passent outre, ils seront mis dehors avec perte et fracas. Je ne leur enverrai pas mon chien, car je n’ai nulle envie d’infliger à cette pauvre bête un repas d’aussi piètre qualité, mais si l’idée lui en prenait, soyez certain que je ne ferai rien pour l’en empêcher.“

En dépit de ces conditions adverses, on fit tout ce que l’on put pour étendre l’activité de prédication. Jéhovah a-​t-​il continué de bénir le travail de tous les frères fidèles? Sans aucun doute! Quand la guerre s’acheva en 1945, on comptait environ 120 proclamateurs à Belfast et une vingtaine d’autres à Dublin.

L’ACTIVITÉ DES PIONNIERS EN RÉPUBLIQUE D’IRLANDE

L’Annuaire de 1946 montrait que la prédication de la bonne nouvelle en République d’Irlande ne devait pas se relâcher au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il ajoute: “Certains ont du mal à se rendre compte de la triste situation en Irlande du Sud pour ce qui est de l’enseignement de la Parole de Dieu.“ Le rapport conclut: “Un grand travail va devoir être accompli par d’authentiques pionniers; certains vont d’ailleurs bientôt être envoyés.“

Fred Metcalfe, aujourd’hui membre du Comité de la filiale d’Irlande, fut parmi les premiers pionniers spéciaux à partir. Il fut affecté à Cork, ville située au sud de l île. Ses compagnons et lui-​même devinrent bientôt la cible de l’opposition suscitée par le clergé. Afin d’attiser la haine contre les Témoins de Jéhovah, les prêtres les traitaient constamment de “diables communistes“.

“À l’époque, raconte frère Metcalfe, le mot ’communiste’ signifiait, dans l’esprit des gens, que nous étions d’entre tous les humains ceux qui ressemblaient le plus au Diable!“

L’opposition grandissait. “Je n’ai jamais mieux saisi qu’à cette époque la portée de Révélation 12:17, déclare frère Metcalfe. Le Diable était manifestement furieux de voir l’œuvre de témoignage débuter dans cette région.“ Les mensonges des prêtres et l’animosité générale atteignirent leur comble: en 1948, frère Metcalfe et son compagnon frère Chaffin furent pris à partie par la foule à Cork.

VIOLENCE À CORK

Alors qu’il prêchait, frère Chaffin se trouva un jour encerclé par un groupe de femmes belliqueuses. Elles l’accusèrent d’être un communiste et s’en prirent violemment à lui. Comme il n’était pas possible de calmer leur rage, frère Chaffin essaya de monter dans un bus qui se trouvait à proximité. Mais le personnel du bus se mit aussi à l’attaquer. Des émeutiers lançaient des pierres; d’autres hurlaient: “Sale communiste!“ “Jetons-​le dans la rivière!“ Il finit cependant par échapper à ses poursuivants en franchissant le mur d’enceinte du presbytère, qui était assez haut.

Pendant ce temps, frère Metcalfe courait à toute vitesse pour prendre sa bicyclette, mais il fut rattrapé par le même groupe. Il reçut des coups de poing et des coups de pied et l’on jeta ses publications dans la rue. Fort heureusement pour frère Metcalfe, un policier passait par là et dispersa la foule. “Quand j’ai vu cet homme arriver juste au bon moment pour mettre fin à cette agression, raconte frère Metcalfe, j’ai eu le sentiment que Jéhovah était intervenu.“

La Société décida de porter l’affaire devant les tribunaux pour faire savoir que les Témoins de Jéhovah ne sont pas des communistes, et pour faire reconnaître légalement notre droit de prêcher librement la bonne nouvelle. Malgré plusieurs renvois destinés à entraver le jugement, le procès finit par s’ouvrir en juillet 1948.

Bien qu’il fût lui-​même catholique, le policier accepta de comparaître et fit une relation sincère des faits. Plusieurs agresseurs furent inculpés pour coups et blessures. Ce procès permit dans une large mesure de faire savoir que les Témoins de Jéhovah ne sont pas des communistes et servit aussi à établir légalement notre droit de prêcher la bonne nouvelle. Il ne fit pas cesser pour autant l’opposition violente à la prédication de la bonne nouvelle.

L’OPPOSITION HAINEUSE PERSISTE

À Athlone, au centre de l’Irlande, une femme en rage envoya aux frères le contenu d’une bouilloire pleine d’eau bouillante. Les habitants de cette ville ont même adressé à la Société une pétition stipulant qu’ils ne voulaient plus jamais revoir les Témoins de Jéhovah!

On menaça avec des fusils les quatre pionniers spéciaux envoyés à Drogheda et la populace les prit plusieurs fois à partie. Une grande réunion fut organisée dans la ville, et une résolution fut adoptée, priant le gouvernement d’interdire les Témoins de Jéhovah dans le pays. Des affiches fleurirent dans toute la ville, portant ces mots: “Action catholique! Citoyens de Drogheda! Une réunion publique se tiendra en présence du maire et des représentants des collectivités locales (...) pour étudier les moyens de combattre les activités d’une certaine secte qui opère dans la région.“

Toutes ces manœuvres ont-​elles miné la résolution des frères? Pas le moins du monde! Ils résistèrent à toutes les pressions qui s’exerçaient contre eux et commencèrent à voir les premiers fruits de leur travail.

L’INTÉRÊT S’ÉVEILLE À DUBLIN

Dudley Levis fut, à Dublin, le premier à répondre au message de vérité dans les années d’après-guerre. Il était membre de l’Église d’Irlande. Les protestants, isolés au sein d’un monde presque exclusivement catholique, le tinrent pour un traître. Ses anciens coreligionnaires se prirent de haine pour sa nouvelle foi et l’accablèrent de railleries et d’injures. Il fit ce commentaire: “L’exemple des frères plus âgés m’a beaucoup encouragé. Je pense notamment à Edwin Ridgewell qui a, bien avant moi, conservé une foi inébranlable dans des circonstances très pénibles. Tout cela m’a affermi.“

Les Témoins concentraient leurs efforts sur les quartiers protestants, où les réactions étaient habituellement moins vives que dans les bastions catholiques. Mais peu à peu, ils risquèrent quelques incursions en zone catholique. Ce n’était pas chose aisée, mais ils adoptaient la même détermination que le psalmiste qui déclara: “En Dieu j’ai mis ma confiance. Je n’aurai pas peur. Que peut me faire l’homme tiré du sol?“—Ps. 56:11; Josué 1:9.

UNE FAMILLE CATHOLIQUE ÉCOUTE LE MESSAGE

Avec le temps, certains catholiques commencèrent à écouter le message. Citons par exemple John Casey, qui fut contacté par une sœur en 1949. Cet homme, catholique, écouta le message avec beaucoup d’intérêt, mais sa femme, Bridie, refusa de lui donner l’argent pour se procurer le livre “La vérité vous affranchira“. Il demanda à la sœur de repasser la semaine suivante. Elle revint donc et John lui prit alors le livre avec joie. “J’ai trouvé la vérité, déclara-​t-​il. Je ne fréquenterai plus jamais l’Église catholique.“

Bridie, quant à elle, ne manifestait pas d’intérêt. Elle posa aux frères une question qui revenait souvent au cours de leur prédication: “Qui est Jéhovah? Est-​ce le nom de votre chef en Amérique?“ Mais après qu’on lui eut montré que la Bible n’enseigne ni les tourments de l’enfer, ni la Trinité, ni d’autres doctrines qui déshonorent Dieu, elle accepta elle aussi la vérité.

Comme d’autres personnes, qui commençaient à discerner la vérité, John et Bridie Casey furent soumis à des pressions familiales et religieuses destinées à les dissuader d’étudier la Bible. Sœur Casey explique: “Chaque semaine ma mère faisait venir la Légion de Marie (un groupement rattaché à l’Action catholique) ou un prêtre. Mais le prêtre était incapable d’apporter la preuve biblique que nous étions à présent dans l’erreur. À la fin, il est parti en trombe de la maison, nous condamnant à l’enfer pour avoir tordu le sens des Écritures!“

LES MISSIONNAIRES ARRIVENT EN RENFORT

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, on envoya des pionniers d’Angleterre dans des petites localités d’Irlande du Nord. Au cours de l’assemblée de 1946 tenue à Édimbourg en Écosse, quelques-uns de ces pionniers vinrent demander au président de la Société s’ils pouvaient assister aux cours de Galaad. “Oui, leur dit-​il, si vous promettez de revenir en Irlande.“ Cinq sœurs ont tenu cette promesse.

L’arrivée en 1949 des missionnaires de Galaad, l’École biblique de la Société Watchtower, donna une nouvelle impulsion à l’œuvre. Ils furent accueillis par Maurice et Mary Jones, qui avaient déjà accompli un gros travail. On ouvrit deux maisons de missionnaires, l’une à Dublin, avec l’aide de frère Jones, et la deuxième à Cork. L’Annuaire de 1950 soulignait l’énorme travail qu’il fallait fournir pour libérer quelqu’un des ténèbres spirituelles omniprésentes, d’autant que les gens n’avaient jamais vu de Bible. “Les gens, lisait-​on, ont peur d’abandonner les traditions qu’ils suivent depuis longtemps, et ne progressent qu’au prix de beaucoup de tact et de patience.“

Les missionnaires nouvellement arrivés parcouraient de vastes territoires à pied ou à bicyclette. Ils étaient bien souvent en butte à des agressions tant verbales que physiques et travaillaient dur jusque tard dans la nuit pour cultiver patiemment le moindre intérêt.—Voir Osée 11:4.

L’un de ces missionnaires, Elsie Levis (autrefois Lott), se rappelle qu’elle était mentalement préparée à affronter les rigueurs de la prédication en Irlande. Elle explique: “Avant de quitter Galaad, frère Franz nous a dit que, mis à part l’Inde, il considérait l’Irlande comme le territoire le plus difficile au monde. Il estimait qu’en raison de l’attitude de l’Église, c’était le territoire catholique le plus ardu de la terre.“ Difficile, elle le trouva en effet, “mais, poursuit-​elle, nous sentions aussi que les gens avaient subi un matraquage politico-religieux, et nous nous intéressions à eux, parce qu’au fond, sous leur abord hostile. c’étaient de braves gens“.

LES MISSIONNAIRES SURMONTENT L’OPPOSITION CATHOLIQUE

Tel un orage prêt à éclater à tous moments, la menace d’agression de la part des catholiques planait constamment au-dessus des missionnaires. Pour ne pas éveiller les soupçons et irriter les gens, ils allaient seuls de porte en porte sans toutefois se perdre de vue. Avant de quitter la maison de missionnaires, chacun répétait avec son équipier de la journée quelques signes de la main ou des épaules. Ces gestes leur permettraient de s’avertir mutuellement de l’approche d’un groupe mal intentionné.

Mildred Barr (autrefois Willett, qui sert aujourd’hui au Béthel de Brooklyn en compagnie de son mari John) se souvient d’un jour où elle partit prêcher avec son vélomoteur gris. À son porte-bagages arrière étaient attachées des sacoches en cuir sombre, contenant publications, repas, thermos de thé et galoches. Frieda Miller et elle se dirigèrent vers un quartier catholique de Dublin. Arrivées dans le territoire, elles se quittèrent et garèrent leur vélomoteur séparément, hors de la vue des gens, mais suffisamment près pour le retrouver rapidement en cas de départ précipité.

Mildred attacha son vélomoteur à une grille et commença à prêcher de maison en maison. Voici ce qu’elle raconte: “J’étais en train de parler à une femme très intéressée par la discussion quand, tout à coup, elle ouvrit de grands yeux et prit un air hébété. Je lui ai demandé ce qui se passait. Je n’eus pour toute réponse qu’un regard fixe et terrorisé. Je me suis donc retournée et j’ai vu qu’un groupe de huit ou neuf femmes bloquaient le portail. Du coin de l’œil, j’aperçus le signe de la main que me faisait Frieda, mais trop tard, d’autres femmes accouraient déjà vers la maison. Je savais qu’il me serait impossible de passer par le portail... J’ai donc filé par le jardin, traversé à toute vitesse celui du voisin et enjambé le mur pour me précipiter vers mon vélomoteur.

“Entre-temps Frieda avait démarré; mon vélomoteur par contre était toujours cadenassé. Je le détachai, sautai sur la selle, mais il ne voulut pas partir. La bougie était restée dans ma poche! Je la revissai, actionnai le kick et pus enfin démarrer. Mais c’était déjà trop tard. Ce qui arriva alors nous fait encore rire aujourd’hui: une femme surgit dans mon dos en brandissant un balai à franges. Elle plongea la tête du balai dans une bouche d’égout et, comme je m’éloignais, elle le secoua sur moi. Je fus couverte de vase du sommet du crâne jusqu’en bas du dos. Quand je rattrapai Frieda elle me dit: ’Pouah! Surtout, Mildred, ne rentre pas dans la maison quand nous serons arrivées!’

“Lorsque nous fûmes de retour, elle raconta ma mésaventure à nos compagnes missionnaires. Elles mirent pour moi des journaux par terre près du jardin et me lancèrent des seaux d’eau. Et pendant plusieurs jours, chacune m’a proposé son flacon de parfum. Néanmoins, un assez grand nombre de personnes acceptèrent la vérité dans ce quartier de Dublin.“

Bridie Casey se souvient d’une réflexion entendue à Dublin. Elle prêchait en compagnie d’un missionnaire quand une femme leur dit que leur activité revenait à se cogner la tête contre les murs. La réponse du frère illustre bien l’état d’esprit des missionnaires de l’époque. “C’est peut-être vrai, lui répondit-​il, mais quelques briques au moins commencent à bouger.“ Oui, tel un bélier, l’activité des missionnaires ouvrit des brèches dans les murailles du catholicisme qui emprisonnait des Irlandais sincères.

VIOLENCE PRÈS DE LIMERICK

Les chefs religieux parvenaient toujours, en dépit de la nature amicale et hospitalière des Irlandais, à pousser quelques-uns d’entre eux à la violence. Le 13 mai 1956, un missionnaire nommé Stephen Miller parcourait un territoire rural situé à l’ouest du pays en compagnie d’un nouveau proclamateur. Un groupe de Personnes leur coupèrent soudain la route. Frère Miller et son compagnon enfourchèrent leur vélomoteur pour leur échapper, mais les gens les poursuivirent en voiture et les bloquèrent au bout d’une route en impasse.

Menés par un prêtre, ces individus s’en prirent à frère Miller et une des brutes lui porta un coup de poing au menton. Puis on le dépouilla de ses publications qui furent brûlées sur la place publique de Cloonlara près de Limerick.

Le parti pris de la justice apparut clairement lors du procès. Le prêtre ainsi que huit autres agresseurs furent disculpés. La brute qui avait frappé frère Miller fut reconnue coupable, mais laissée en liberté. Enfin, on somma frère Miller et son compagnon de ne plus troubler l’ordre public, sous peine d’une amende de 200 livres. Quelle parodie de justice! La Cour disculpa les agresseurs et punit les victimes. Alors que Dublin commençait à réserver un meilleur accueil aux Témoins, beaucoup de gens dans les campagnes restaient cramponnés à des points de vue et des procédés moyenâgeux.

LA DUPLICITÉ DE LA JUSTICE SUSCITE DES RÉACTIONS

Les Témoins de Jéhovah furent victimes de tant de préjugés et d’injustices que cela ne passa pas inaperçu. Les journaux s’en firent l’écho dans toute la République d’Irlande, ce qui souleva une vague de protestation et d’indignation. Un pasteur protestant, qui ne s’était pas laissé aveugler par la désinformation organisée par la religion pour brouiller les pistes, émit ce commentaire vigoureux dans le Dublin Evening Mail du 28 juillet 1956 sous le titre “Liberté religieuse“:

“Des membres de la Légion de Marie visitent mes paroissiens afin de propager des doctrines que je désapprouve totalement. Mais pourrais-​je impunément rassembler mes ouailles pour me saisir de ces légionnaires et brûler leurs livres (et peut-être aussi leur assener un coup de poing sur le menton pour bien leur montrer que nous sommes chrétiens nous aussi)? Pourrais-​je espérer, s’ils portent plainte, qu’ils soient condamnés pour violation de l’ordre public?

“Ou se pourrait-​il alors qu’il existe une loi pour la Légion de Marie et une autre pour les Témoins de Jéhovah?“

Beaucoup de gens, même s’ils n’acceptaient pas les doctrines des Témoins, estimaient cependant que la liberté de culte garantie par la Constitution de la République d’Irlande devait être respectée. Voici ce que déclare l’article 44: “La liberté de conscience, l’appartenance à une religion et son libre exercice sont, dans le respect de l’ordre public et de la moralité, garantis à chaque citoyen.“

Malgré tout, l’antipathie envers les Témoins de Jéhovah et l’opposition à leur œuvre restaient bien ancrées. Un peu plus tard cette année-​là, un journal local de Limerick fit paraître l’annonce suivante à l’intention de ses lecteurs catholiques:

“Nous demandons instamment à toute personne qui serait abordée par des représentants de la Société [des Témoins de Jéhovah] de ne pas écouter leur propagande et de refuser avec fermeté de discuter avec eux. Nos lecteurs doivent détruire sur-le-champ toute publication qu’ils auraient pu se procurer. Tout catholique qui lirait des écrits émanant de cette société se rendrait passible d’excommunication, tant l’Église tient à se prémunir contre ces doctrines néfastes. L’héritage de la foi irlandaise, conservé à travers des siècles de persécution, ne doit pas être troqué contre un plat de lentilles venu de Brooklyn.“

“LA VOIE DE DIEU EST UNE VOIE D’AMOUR”

On organisa une campagne marquante en vue de propager la lumière du Royaume. L’Annuaire 1954 la décrit comme “probablement la plus importante campagne de témoignage à la vérité jamais effectuée en Eire [République d’Irlande]“. En quoi consistait-​elle? Il s’agissait de la diffusion au plan national de la brochure intitulée La voie de Dieu est une voie damour. Cette brochure de 32 pages, dont l’édition anglaise portait quatre harpes en couverture, citait exclusivement des Bibles catholiques. Sa présentation claire et nette des principales doctrines bibliques était tout particulièrement destinée à intéresser les lecteurs catholiques. Arthur Matthews, qui est aujourd’hui coordinateur du Comité de filiale d’Irlande, sa femme Olive ainsi que le frère d’Olive et son épouse firent équipe dans cette activité enthousiasmante.

Frère Matthews raconte: “Nous avons rassemblé nos ressources et avons pu acheter pour un bon prix une vieille Morris 10. Aucun de nous ne savait conduire, mais nous nous y sommes vite mis en nous entraînant sur une route tranquille non loin de chez ’Maman’ Rutland. Deux jours plus tard nous avons commencé à parcourir le pays avec entassé dans la voiture, tout l’équipement nécessaire à la prédication.“

Ils ne parvinrent cependant pas à trouver à se loger et durent passer une nuit blanche dans la voiture, où ils eurent très froid. Le lendemain, ils décidèrent d’acheter une caravane ou une roulotte C’était prendre un risque, car des caravanes appartenant à des frères avaient déjà par le passé été attaquées ou avaient fait l’objet d’actes de vandalisme, mais ils n’avaient pas le choix. En vendant quelques affaires ils réunirent assez d’argent pour acheter une caravane de près de quatre mètres de long. Elle leur donna certes bien des frissons d’angoisse sur les routes accidentées et en montagne mais au moins leur problème de logement était résolu.

Leur territoire était très étendu: il n’y avait en effet pas un seul proclamateur dans la zone comprise entre Dublin et Cork, à 250 kilomètres au sud. Pour prêcher le plus possible, le groupe se mettait au travail à 8 heures du matin. Ces membres se rendaient dans la zone la plus éloignée du territoire puis, tout en prêchant, se rapprochaient du lieu où se trouvait leur caravane. Ils se déplaçaient alors dans un autre endroit, pour éviter que l’on s’en prenne à leurs biens quand ils commençaient à prêcher à proximité de leur caravane. Dans les grandes villes, ils essayaient de visiter les gens avant le dimanche, où, immanquablement, le prêtre les attaquait de la chaire.

Ces deux couples rencontrèrent de nombreuses personnes qui n’avaient jamais vu de Témoins de Jéhovah. Les gens leur disaient souvent que leur Église leur interdisait même de lire la Bible. “C’est pourquoi, explique frère Matthews, outre la brochure La voie de Dieu est une voie damour, nous utilisions aussi la Bible catholique de Douay et nous la proposions aux personnes.“

Grâce à cette brochure, les frères ont compris que leur message s’adressait à tous et pas uniquement aux protestants. On toucha en effet toutes sortes de gens. On en distribua au moins 20 000 exemplaires dans la partie orientale du pays, pendant qu’un autre groupe s’affairait à la même tâche dans la partie occidentale. De nombreuses personnes se montrèrent hospitalières. “Nous n’avons jamais acheté de pommes de terre, de lait, ni d’autres choses semblables.“

ENFIN! UNE SALLE DU ROYAUME À DUBLIN

Jusqu’alors la congrégation de Dublin s’était réunie dans toutes sortes d’endroits qui n’étaient jamais très confortables. L’un d’eux était un grenier situé au-dessus d’une écurie qui appartenait à un blanchisseur. Il n’était pas rare d’apercevoir, en levant les yeux, des rats trottiner sur les chevrons. Les frères décidèrent par conséquent qu’il était temps de chercher un lieu de réunion pour leur seul usage. Au terme de nombreuses recherches, ils purent louer à bail un ancien garage situé sur la place James, dans une petite rue donnant sur l, rue Baggot, dans le sud de Dublin.

Il fallait être armé d’une solide détermination pour convertir cette vieille bâtisse en une Salle du Royaume convenable. Au prix de beaucoup d’efforts, les frères finirent par transformer l’ancien bâtiment en une belle Salle du Royaume. L’inauguration, qui eut lieu en 1953, réunit 134 personnes.

Le 3 décembre 1954, la nouvelle salle accueilli des visiteurs venus spécialement du siège mondial en la personne de frère Frederick Franz et de frère Grant Suiter. Étaient présents pour les écouter plus d’une vingtaine de missionnaires, ceux-là même qui ébranlaient l’île par leur témoignage en faveur du Royaume.

Dans les années qui suivirent, la Salle d Royaume de Dublin fut également utilisée pour toutes les assemblées de circonscription tenues en République d’Irlande. Essayez d’imaginer 200 frères et sœurs ou plus, entassés dans une petite salle de 13,50 mètres de long sur 6,50 mètres de large. L’escalier qui conduisait à l’étage était si étroit que l’on ne pouvait s’y croiser. Pendant les assemblée les repas étaient préparés en haut, et on devait les faire passer de main en main, assiette par assiette, à ceux qui attendaient en bas. Cette salle était loi d’être aussi agréable que les Salles du Royaume d’aujourd’hui, mais à côté de celles utilisées jusqu’alors, c’était le paradis.

OUVERTURE D’UNE FILIALE

L’année 1957 marqua une étape importante dans l’histoire de l’œuvre en Irlande. Frère Knorr prit en effet des dispositions pour qu’une filiale distincte soit ouverte à Dublin. Jusque-​là l’œuvre était supervisée par la filiale britannique, alors qu’à Dublin il y avait un dépôt de publications.

Cette nouvelle filiale, installée dans une maison de deux étages située 86 Lindsay Road, dans le nord de Dublin, allait désormais s’occuper tout particulièrement des besoins spécifiques du territoire irlandais. L’œuvre en République d’Irlande serait dorénavant supervisée par cette nouvelle filiale, mais l’Irlande du Nord resterait pour l’instant sous la direction de la filiale britannique.

LES MANQUEMENTS DE LA CHRÉTIENTÉ SONT MIS EN LUMIÈRE

Malgré le mépris tenace de la religion à leur égard, les frères s’employaient à montrer la chrétienté sous son vrai jour. La Tour de Garde (anglaise) du 1er novembre 1958 leur fut utile sous ce rapport. Ce numéro renfermait le texte d’une résolution prise lors de l’assemblée “La paix divine” tenue la même année. Cette résolution accusait la chrétienté d’avoir complètement négligé de diriger l’attention des gens vers le Royaume de Dieu, seul remède aux maux de l’humanité.

Ce périodique fut largement diffusé auprès du clergé irlandais. Et il suscita bien des réactions! Un exemplaire fut retourné, barré du mot “boniments” sur la couverture. Un ecclésiastique en renvoya un autre portant ces lignes: “Ne m’envoyez plus ces inepties. (...) Vous travaillez pour le Diable, et de surcroît pour de l’argent. (...) Laissez tranquilles les braves gens d’Irlande. De toute façon, ils ne se laisseront pas influencer par vous. Je vous le redis: ne m’envoyez plus ces inepties. Je n’en ai pas lu un traître mot.”

Pourtant, certains parmi ces “braves gens d’Irlande” étaient affamés de vérité et se montrèrent réceptifs. Beaucoup avaient cependant du mal à croire que les frères donnaient de leur temps et de leur argent pour aider les autres à connaître la vérité par pur altruisme et mus par un amour sincère. De même, ils étaient enclins à penser que ceux qui acceptaient la vérité le faisaient pour de l’argent. Le bruit courait en effet que l’on offrait de l’argent ou d’autres avantages aux personnes qui écoutaient.

ATTAQUÉS PAR LA FOULE À WEXFORD

Si les conditions dans lesquelles s’effectuait la prédication en Irlande s’amélioraient peu à peu, tous n’étaient pas pour autant disposés à écouter paisiblement le message du Royaume. Rendons-​nous par exemple dans la ville pittoresque de Wexford, située au sud-est de l’Irlande. Nous sommes en 1960.

Frère Alex Turner et sa femme se trouvaient à Wexford depuis 10 mois lorsqu’un incident éclata. Frère Turner prêchait de maison en maison. Comme il parlait à des gens, un prêtre s’approcha de lui par derrière. “Donnez-​moi ces écrits dégoûtants”, s’écria-​t-​il, en essayant de s’emparer vivement du sac de prédication de frère Turner. Il se forma un attroupement où se trouvait un deuxième prêtre. Comme frère Turner refusait de remettre son sac, il fut pris à partie et on se mit à le battre. Il parvint toutefois à s’échapper avec sa femme, et se rendit avec elle au commissariat de police pour signaler l’agression.

Bien qu’il n’y eût à l’époque aucun proclamateur à Wexford, l’activité de ces pionniers mettait la collectivité en effervescence. La haine couvait jusque dans la magistrature. Les propos tenus par le juge du district lors du procès qui s’ensuivit sont à cet égard très révélateurs:

“Je me vois contraint de conclure que ce procès est un coup monté théâtral qui n’a d’autre but que de faire de la publicité aux Témoins de Jéhovah; que ces gens-​là mènent une conspiration destinée à jeter le discrédit sur le clergé avec qui ils entendent rivaliser; qu’ils participent à une tentative, à mon sens peu avisée et vouée à l’échec, visant à convertir les gens de ce pays et de ce comté. Ils imposent et ont imposé leur zèle mal ressenti à des gens qui n’en veulent pas. (...) Je suis convaincu qu’ils se sont mis d’accord pour renverser la foi traditionnelle des habitants de Wexford et que leur attaque a échoué, échouera encore, et doit échouer.”

Les penchants du juge ne faisaient pas de doute et il était peu probable que justice soit faite. Devant la Cour, les deux prêtres nièrent avoir attaqué frère Turner. Ils furent cependant reconnus coupables de voies de fait — après quoi ils purent repartir sans être inquiétés.

Les journaux rapportèrent les événements dans toute l’Irlande et en Angleterre. Le procès provoqua tout d’abord des réactions hostiles. Mais il eut somme toute des effets positifs. La presse critiqua le comportement illicite des prêtres et des autres agresseurs, ce qui, semble-​t-​il, mit un frein à ce type d’agissements contraires à la loi. Quand les passions s’estompèrent, les gens raisonnables reconnurent que ces actes de violence étaient inacceptables.

Quelque temps plus tard une congrégation fut formée à Wexford. Un des prêtres qui avaient pris part à l’agression accepta alors un exemplaire du livre La vérité qui conduit à la vie éternelle et fit des excuses à un frère pour sa responsabilité lors des événements.

LA PRÉSENCE DES PIONNIERS SE FAIT REMARQUER

Dans l’ouest du pays, la présence des pionniers se faisait aussi remarquer. Voici comment un journal local décrivit leur activité: “Une fois de plus, un fléau s’est abattu sur Donegal. Bien plus rusés que des renards ou des blaireaux, une armée d’hommes et de femmes, dont certains se déplacent en scooter, visitent les gens de maison en maison dans la ville et la campagne, pour laisser gratuitement leurs périodiques.”

Quelle était l’ampleur de cette “armée”? Deux sœurs pionniers sur un scooter! À quoi devait-​on cette réaction? Elle faisait suite à la diffusion d’un numéro spécial de Réveillez-vous!, l’édition anglaise du 8 octobre 1960, intitulé “L’Église catholique du XXsiècle”. La description de la prédication de ces deux pionniers brossée par le journal nous rappelle la description de ‘l’armée de sauterelles’ faite par l’apôtre Jean en Révélation 9:1-10.

Des pionniers jouèrent ainsi un grand rôle dans la prédication de la bonne nouvelle du Royaume dans les années 50 et 60. La République d’Irlande ne comptait alors que quatre ou cinq congrégations. On ne trouvait par ailleurs que quelques groupes isolés de pionniers et de proclamateurs, bien déterminés à remplir leur ministère malgré toutes sortes de privations et de difficultés.

Les pionniers affectés dans des territoires isolés avaient toujours beaucoup de mal à se procurer un logement stable. Il était presque impossible de trouver à se loger dans la plupart des villes. Beaucoup de pionniers spéciaux jugeaient plus simple de louer de petites maisons de campagne non meublées, situées à la périphérie des villes pour réduire les risques d’expulsion. La Société leur fournissait ensuite des meubles pour un loyer symbolique. Ces maisons servaient également de lieux de réunion pour les personnes bien disposées. Quand l’hostilité des gens se calma, les pionniers spéciaux purent aménager dans les villes. Le travail assidu de ces pionniers fut à l’origine de l’accroissement du nombre des Témoins en République d’Irlande. Le nombre de proclamateurs passa de 211 en 1962 à 253 en 1965.

L’ASSEMBLÉE INTERNATIONALE DE DUBLIN EN 1965

Quand on annonça qu’une assemblée internationale des Témoins de Jéhovah se tiendrait à Dublin en 1965, ce fut la consternation parmi les gens. Au fur et à mesure que les événements se précisaient, il devint de plus en plus évident qu’un grand nombre de Dublinois ne voulaient pas que cette assemblée ait lieu.

“Nous avons rencontré toute une série de difficultés. Les événements se combinaient pour nous faire croire qu’il serait impossible de tenir l’assemblée, raconte Arthur Matthews, chargé des préparatifs. Mais la lutte qu’il fallut mener pour préparer et tenir cette assemblée suscita un excellent état d’esprit chez les frères.” Comment combattaient-​ils le découragement alors que les problèmes se multipliaient? Frère Matthews mit sur son bureau une carte portant le texte de Proverbes 24:10 qui déclare: “T’es-​tu montré découragé au jour de la détresse? Ta vigueur sera mince.”

Une opposition fanatique se fit jour parmi quelques membres du conseil municipal. Ceux-ci avaient l’autorité voulue pour refuser l’usage du terrain de football qui avait été loué pour l’assemblée. Un conseiller municipal déclara que les Témoins constituaient “une menace”, et d’autres firent pression pour que les Témoins ne soient pas autorisés à utiliser les installations. Un autre conseiller fit cependant observer avec sagesse qu’il serait peu judicieux qu’un pays qui a lui-​même enduré, pendant des années, des persécutions religieuses, n’autorise pas cette assemblée.

Le Bord Failte (Office national du Tourisme irlandais) voyait quant à lui l’assemblée d’un œil favorable. “Le Bord Failte veut-​il faire de l’Irlande la risée du monde?” protesta un lecteur dans une lettre adressée au journal local. “Son attitude constitue une menace bien plus grave pour l’Église catholique que les activités des Témoins de Jéhovah et de tous les propagateurs de fausses religions réunis.”

Après avoir comparé les Témoins de Jéhovah au tristement célèbre Ku Klux Klan et à la mafia, un correspondant posa cette question: “Y a-​t-​il une seule personne qui veuille voir ces gens ici?” Cette question suscita une réponse positive qui invitait de plus l’auteur de cette attaque contre les Témoins de Jéhovah à “avoir honte de tenir de tels propos”.

TOUS LES OBSTACLES SONT RENVERSÉS

Finalement, on obtint l’autorisation de tenir l’assemblée. Mais les problèmes ne faisaient que commencer. Il s’avéra impossible de louer un terrain à proximité pour la cafétéria. Le problème se posait dans toute son acuité quand, de façon inattendue, la direction du stade dit aux frères qu’ils pouvaient dresser un chapiteau ou une tente sur le terrain proprement dit. Toutefois, les gens de la région qui apportèrent le chapiteau sur le terrain ne voulurent pas l’installer. Les frères, fort peu expérimentés en la matière, se retrouvaient donc seuls pour le monter. Mais Jéhovah leur vint en aide. Il s’avéra en effet que les employés d’une autre société venus pour livrer les tables et les chaises étaient également des spécialistes du montage de chapiteaux. Ayant perçu l’embarras des frères, ils offrirent leur aide technique et leur donnèrent de nombreux conseils pratiques.

Arthur Hewson, président de l’assemblée, se rappelle à quel point il était difficile de trouver des chambres pour tous les délégués qui étaient attendus. “Dès que nous trouvions des chambres, les prêtres s’en mêlaient et les réservations étaient annulées, raconte-​t-​il. Au total, la moitié des réservations effectuées furent annulées et même quelques hôtels affichaient ‘Complet’ lorsque nous les interrogions. Certains jours, nous enregistrions plus d’annulations que de réservations.”

Les frères allaient de l’avant, confiants que l’assemblée se tiendrait, si telle était la volonté de Jéhovah. En fin de compte, on trouva à Dublin assez de chambres convenables pour loger chez l’habitant plus de 3 500 Témoins de Jéhovah. Quelles répercussions cela a-​t-​il eues sur le plan local? Les préjugés à l’encontre des Témoins de Jéhovah commencèrent à tomber. “On ne nous a pas dit la vérité sur vous”, fit observer une des logeuses à l’issue de l’assemblée. “Les prêtres nous ont menti, mais maintenant que nous vous connaissons, nous serons toujours heureux de vous accueillir.”

Aucune des innombrables machinations ourdies pour faire échouer l’assemblée ne fut couronnée de succès. “Je n’ai jamais connu d’assemblées où l’esprit de Jéhovah ne se faisait pas sentir, explique frère Hewson, mais je n’avais jusqu’alors jamais assisté à une assemblée où l’esprit de Jéhovah était aussi manifeste et cela ne m’est plus arrivé depuis.” Ce fut une victoire d’autant plus remarquable qu’elle fut obtenue en dépit d’une intense opposition. Elle rendit les frères plus confiants encore en cette promesse de Jéhovah: “Assurément ils combattront contre toi, mais ils ne l’emporteront pas sur toi. Car je suis avec toi pour te sauver et pour te délivrer.” — Jér. 15:20.

UNE PERCÉE REMARQUABLE

L’assemblée internationale de 1965 marqua un tournant décisif dans les activités du peuple de Jéhovah en Irlande. Elle connut un grand retentissement, favorable dans son ensemble. Pour la première fois, la télévision nationale filma de l’intérieur une assemblée des Témoins de Jéhovah. L’immersion fit également l’objet d’un bon reportage. Comme on n’avait pu louer d’endroit couvert, les frères décidèrent de baptiser dans la mer, dans un lieu de baignade, le long d’une jetée dans la baie de Dublin. C’est là que, bravant une pluie cinglante et un vent glacial, 65 personnes symbolisèrent leur vœu à Jéhovah.

Le dernier jour de l’assemblée, Frederick Franz (qui devint plus tard le quatrième président de la Société Watch Tower) prononça un vibrant discours sur le thème “Un gouvernement mondial sur les épaules du Prince de paix” devant un auditoire de 3 948 personnes. Sachant qu’il se trouvait en Irlande catholique, frère Franz tira toutes ses citations de la Bible catholique de Douay. Ce fut un excellent témoignage.

UNE FILIALE UNIQUE POUR L’IRLANDE

L’année suivante, en 1966, une nouvelle étape fut franchie dans le domaine spirituel: l’île entière, à savoir l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, fut placée sous la responsabilité de la filiale de Dublin. Ainsi, les serviteurs de Jéhovah seraient unis sur tous les plans malgré les divisions politiques et religieuses de leur pays. On compta cette année-​là 268 Témoins en République d’Irlande et 474 en Irlande du Nord, soit au total une famille de 742 membres travaillant ensemble pour accomplir la volonté de Jéhovah.

NEUTRES EN DÉPIT DES PRESSIONS

Les années 70 et 80 furent des années agitées en raison de l’émergence de mouvements nationalistes et de l’escalade du terrorisme, notamment en Irlande du Nord. Il en résulta un antagonisme croissant entre les communautés catholiques et protestantes dans le nord-est de l’île.

Norman Richards était surveillant de circonscription au début des événements. Il se souvient des pressions subies par les frères pour les amener à prendre parti.

“On essaya d’embrigader les frères dans des patrouilles de surveillance nocturne et de les employer à l’érection de barricades bloquant l’accès des quartiers où ils habitaient, raconte frère Richards. Les membres des groupes de surveillance demandaient aussi de l’argent pour assurer leur ravitaillement pendant qu’ils défendaient ces quartiers. Ils voulaient aussi placer des drapeaux nationalistes sur toutes les maisons.”

Les frères ne se laissèrent pas intimider. Personne ne fit de compromis et chacun se rendit bientôt compte qu’ils restaient tout à fait neutres dans ce conflit. Les gens comprirent vite la position des Témoins vis-à-vis de la guerre et des drapeaux, ainsi que leur détermination à ne pas ‘faire partie du monde’. — Jean 17:16; És. 2:2-4; 1 Cor. 10:14; 1 Jean 5:21.

Quand les frères faisaient connaître clairement leur position, il s’ensuivait généralement des réactions hostiles de la part de la communauté. Bien souvent, ceux de leurs voisins qui participaient à des activités paramilitaires refusaient de leur adresser la parole. Mais comme les frères continuaient à se montrer bienveillants et serviables dans les limites permises par les Écritures, ils étaient, avec le temps, de nouveau acceptés par la communauté et l’on reconnaissait leur position de stricte neutralité.

ILS APPRENNENT À VIVRE AU SEIN DE LA CONFUSION

Au plus fort de l’agitation, les attentats à la bombe et les coups de feu étaient monnaie courante dans plusieurs régions de la province. Comme les gens avaient peur d’ouvrir leur porte à la tombée de la nuit, le témoignage en soirée se ralentit. Mais l’activité des nouvelles visites et des études bibliques avançait à grands pas.

Comme on pouvait s’y attendre, les gens avaient peur de recevoir des visiteurs inconnus. Frère Richards se souvient: “Un dimanche après-midi, nous avons frappé à une porte. Un homme nous a ouvert avec précaution. Nous nous sommes présentés et lui avons expliqué la raison de notre visite. Il retira alors sa main de derrière son dos et nous vîmes qu’il tenait un pistolet. ‘Je suis policier, nous a-​t-​il expliqué, et j’ai cru que vous étiez de l’IRA.’”

Comment les frères s’adaptaient-​ils à ce climat de guerre? Ils suivaient le conseil de Jésus rapporté en Matthieu 10:16 leur enjoignant de se montrer “prudents” en évitant toute action téméraire. Si une bombe explosait à proximité du lieu où ils prêchaient, ils le mentionnaient à leur interlocuteur en disant par exemple: “Saviez-​vous que Dieu a promis de mettre fin à ce genre de choses?” puis ils poursuivaient la discussion. Bien sûr, la violence ne sévissait pas partout en Irlande du Nord et il n’y avait pas constamment des vagues de terrorisme. “Nous ne vivions pas tous les jours sous une pluie de balles et de bombes, raconte un frère. La plupart du temps tout était calme.”

LA BONNE NOUVELLE SE RÉPAND EN TOUS LIEUX

Au début des années 70, des activistes paramilitaires avaient prévenu les frères qu’on leur tirerait dessus s’ils pénétraient dans certaines zones. Un retrait momentané semblait s’imposer. Certains quartiers catholiques de Belfast ne recevaient donc pas le témoignage. Un frère explique comment la prédication reprit dans ces quartiers. Il habitait à la limite des secteurs catholique et protestant de Belfast. Sa femme et lui mettaient leur petit enfant dans un landau et partaient prêcher en s’enfonçant chaque jour davantage en zone catholique. Ils furent bien vite rejoints par deux pionniers spéciaux. Comme on les acceptait de mieux en mieux, un nombre croissant d’autres proclamateurs se joignirent à eux, et on put bientôt tenir sur place des rendez-vous de prédication.

Qu’est-​ce qui protégeait les Témoins lorsqu’ils opéraient en zone catholique? C’était leur neutralité. L’anecdote suivante en témoigne: “Environ trois ou quatre mois après que nous avions commencé à prêcher dans un certain quartier, un homme nous fit entrer. Dans le cours de la conversation il nous déclara que les Témoins de Jéhovah étaient les bienvenus dans le quartier. Il connaissait notre position de neutralité vis-à-vis des questions politiques, position qui tranchait, nous dit-​il, avec les activités de nombreux prêtres. Quand je lui expliquai que je visitais les gens du quartier depuis quelque temps, il put même nous préciser par quel endroit et quel jour nous étions venus pour la première fois dans le quartier; il nous apprit qu’on ne nous avait pas quittés des yeux depuis lors!”

Un jour, ce frère fut arrêté par l’armée et conduit au quartier général pour y être interrogé. On lui proposa de jouer le rôle d’informateur pour la sécurité militaire et de faire de l’espionnage au cours de sa prédication. Mais il expliqua qu’étant Témoin de Jéhovah, il observait une position de neutralité vis-à-vis des affaires politiques. On le laissa alors repartir.

La congrégation d’une ville située à la frontière de l’Irlande du Nord et de la République d’Irlande comptait un certain nombre de frères venus d’Angleterre. En deux ou trois ans, le centre de la ville avait été détruit au cours de quelque 200 attentats à la bombe, sans compter les émeutes et les fusillades qui avaient lieu presque toutes les nuits. Mais durant tout ce temps, les frères ressentirent la main protectrice de Jéhovah. Parfois, les gens prévenaient les Témoins avant que des troubles n’éclatent. En dépit de l’agitation permanente, les frères continuaient à tenir leurs réunions et à participer au ministère. “Il arrivait que les forces de sécurité se voient refuser l’accès à certains secteurs, raconte un Témoin local. Mais comme ils avaient toujours fait connaître clairement leur neutralité, les Témoins, y compris les frères anglais, pouvaient aller y prêcher librement.”

ERREUR SUR LA PERSONNE

De temps à autre, des proclamateurs se retrouvaient dans des situations dangereuses. Mais les frères purent souvent éviter de subir de graves préjudices en mettant leur confiance en Jéhovah et en conservant leur calme. Un pionnier spécial fut ainsi pris à tort pour un membre des forces de sécurité. Voici son récit:

“J’étais en train de faire quelques nouvelles visites dans une cité ouvrière connue pour ses affinités avec l’IRA lorsqu’une voiture s’arrêta. L’un des passagers braqua sur moi un pistolet et m’ordonna de monter. Plusieurs hommes se mirent instantanément à me fouiller. J’ai cru tout d’abord qu’ils m’avaient pris pour un soldat en civil et qu’ils voulaient m’exécuter. On me conduisit dans une maison et l’on m’enferma dans une petite remise pendant ce qui me parut être une éternité. On me fit ensuite sortir, les yeux bandés, pour me conduire dans une maison où l’on me questionna longuement pour savoir qui j’étais et ce que je faisais dans ce quartier. Dès le début, j’avais prié Jéhovah de m’aider à ne rien dire qui puisse les faire mal réagir.

“J’expliquai que j’étais Témoin de Jéhovah et que mon seul désir était d’aider les gens à comprendre la Bible. J’entendais que plusieurs hommes passaient en revue le contenu de ma serviette de prédication en faisant des commentaires sur mes notes de maison en maison. L’un d’eux quitta la pièce en disant: ‘Gardez-​le en joue; et s’il fait le moindre mouvement, faites-​lui sauter la cervelle!’ Il est revenu au bout d’un long moment. Je suppose qu’il avait pu vérifier mes dires puisqu’il dit aux autres qu’on pouvait me relâcher. Ils me reconduisirent à la voiture, les yeux toujours bandés et sous la menace d’un pistolet, et me relâchèrent près du centre de la ville.

“Je suis certain que je dois à l’esprit de Jéhovah d’être resté parfaitement calme et d’avoir parlé et agi comme il le fallait pour les convaincre de ma totale neutralité. Dans l’après-midi, mon compagnon et moi-​même sommes revenus dans la même cité pour honorer un rendez-vous que nous avions pris avec une personne bien disposée. Par la suite, nous sommes souvent revenus dans ce quartier sans jamais plus être inquiétés.”

DES TÉMOINS SONT IDENTIFIÉS

Voici ce qui est arrivé à deux pionniers qui travaillaient dans la petite ville frontalière de Crossmaglen, située à la limite intérieure de l’Irlande du Nord, où peu de gens les connaissaient. Sans qu’ils le sachent, l’IRA avait récemment distribué des tracts informant les gens de la ville de l’arrivée imminente d’une unité spéciale de l’armée britannique, le SAS — unité d’élite qui opérait souvent en civil. Les gens de l’endroit se mirent donc à suspecter ces frères d’être des membres du SAS.

Alors qu’ils s’apprêtaient à rentrer chez eux à l’issue d’une journée de prédication, les frères s’arrêtèrent pour prendre une tasse de café en attendant leur autobus. Ils demandèrent à la patronne si l’autobus était arrivé en ville. Elle se mit en colère, les accusa d’être des soldats et partit en trombe. Les frères quittèrent eux aussi les lieux. Pendant qu’ils attendaient l’autobus, des hommes arrivèrent en voiture, pénétrèrent dans la boutique, en ressortirent presque aussitôt et firent lentement en voiture le tour de la place où se trouvaient les frères. Ils leur posèrent aussi quelques questions. Les frères pensaient qu’il s’agissait d’hommes de l’IRA. Laissons-​les nous raconter la suite:

“Un vieil autobus tout délabré est arrivé. Nous avons pris des tickets et nous sommes montés. Nous avons alors remarqué que les hommes qui nous avaient interrogés parlaient gravement avec le chauffeur. L’autobus a démarré peu après et la voiture et ses occupants sont également partis. Nous craignions qu’ils ne se soient donné rendez-vous sur une route tranquille à l’extérieur de la ville. La nuit précédente, un minibus avait été contraint à s’arrêter dans ce secteur et dix hommes avaient été mis en ligne, puis abattus. Neuf d’entre eux avaient trouvé la mort.

“Le chemin du retour nous a semblé interminable, mais comme nous approchions de la ville, nous avons compris que rien de fâcheux ne nous arriverait. Quand nous avons demandé au chauffeur de nous déposer, il s’est adressé à nous en ces termes: ‘Dites-​moi, avez-​vous des livres?’ Manifestement cet homme nous connaissait. Nous lui avons donné les derniers numéros de La Tour de Garde et de Réveillez-vous! et lui avons demandé qui étaient ces hommes qui nous avaient interrogés. ‘Oh! ne vous inquiétez pas, nous a-​t-​il répondu. Je savais qui vous étiez. Je les ai détrompés. Ne vous en faites pas. Vous êtes tirés d’affaire à présent!’”

L’INTÉRÊT S’ÉVEILLE DANS LES TERRITOIRES CATHOLIQUES

Pendant longtemps en Irlande du Nord, la vérité avait surtout trouvé un écho dans les secteurs protestants. Mais à présent, un intérêt croissant se développait parmi les catholiques. Ces derniers commençaient en effet à constater que l’actuel système n’avait rien à leur offrir et à remarquer la démission de l’Église vis-à-vis des principes bibliques. Un jeune infirmier catholique fit part de ses réactions après avoir reçu la visite des Témoins de Jéhovah.

“C’étaient des Anglais, fait-​il observer en parlant des frères qui lui avaient rendu visite, et mon premier réflexe a été de penser que des étrangers n’avaient pas à venir en Irlande pour nous enseigner la religion.” Les frères ont cependant utilisé les Écritures avec habileté pour répondre à ses questions et réfuter ses objections. D’abord méprisant puis plus respectueux, il accepta un exemplaire du livre La vérité qui conduit à la vie éternelle. Il souhaitait vivement en savoir plus sur la Parole de Dieu, car bien que trois de ses oncles soient prêtres catholiques, il se rendait compte qu’il ne connaissait pas grand-chose à la Bible. Mais sa situation professionnelle changea et il perdit contact avec les frères.

À l’hôpital où il travaillait, il constata personnellement les terribles conséquences des fusillades et des attentats à la bombe liés à l’effervescence grandissante en Irlande du Nord. Il se mit à fumer et à boire pour essayer d’oublier ces atrocités. Il ne pouvait s’empêcher de se demander: “Comment des choses pareilles peuvent-​elles se produire? Pourquoi Dieu permet-​il cela?” Malgré tout, il se souvenait de son premier contact avec la vérité et il reconnaissait que la Bible détenait la réponse à ces questions. Il commença à remettre de l’ordre dans sa vie et pria Dieu de l’aider.

Un jour qu’il rendait visite à ses parents, il eut l’agréable surprise d’apprendre que son jeune frère étudiait la Bible avec les Témoins de Jéhovah. “Mon frère et moi avons parlé jusqu’à quatre heures du matin de ce qu’il étudiait, explique-​t-​il. J’étais émerveillé d’apprendre qu’il existe un Dieu qui se soucie de nous, un Dieu qui va purifier la terre et supprimer la maladie et la mort. Il me fallait en savoir davantage.”

Il reprit son travail à Londonderry. Un matin, on sonna à sa porte. Comme il travaillait en équipe de nuit, il n’aurait pas dû entendre la sonnette, mais cette fois-​là il se réveilla et alla ouvrir, à moitié endormi. Pensant qu’il n’y avait personne, les deux sœurs qui avaient sonné étaient déjà reparties et se trouvaient au bout de l’allée. Il leur demanda si elles étaient Témoins de Jéhovah. “Quand elles m’ont répondu par l’affirmative, mon cœur a bondi de joie, raconte-​t-​il, et je leur ai aussitôt demandé une étude biblique!” Comme bien d’autres personnes issues du milieu catholique, ce jeune homme fit de rapides progrès dans la vérité.

ELLES TROUVENT LE VÉRITABLE MOYEN DE FAIRE CESSER LES CONFLITS

Dans un autre bastion très catholique de Belfast, deux jeunes femmes prenaient part au combat politique et participaient aux activités paramilitaires du moment. Elles finirent pourtant par comprendre que ces méthodes n’étaient pas les bonnes, et à contester la haine qui animait leurs camarades et le mépris pour la vie affiché par ceux qui n’hésitaient pas à tuer ou à mutiler dans l’intérêt de leur cause.

Elles se montrèrent de prime abord plutôt sceptiques lorsqu’un proclamateur vint leur parler de la vérité. Mais elles comprirent peu à peu que le gouvernement promis par Dieu pour rétablir l’ordre sur la terre offrait la seule solution concrète aux maux qui frappaient Belfast (Ps. 46:8, 9; És. 2:4; Dan. 2:44). Elles eurent tout d’abord du mal à croire que l’on puisse rester neutre dans le milieu où elles vivaient, mais en fréquentant d’autres personnes à la Salle du Royaume, elles se rendirent compte que la neutralité chrétienne était chose possible. Elles purent observer l’unité et l’amour véritables qui caractérisent les disciples du Christ et acceptèrent sans tarder la vérité. — Jean 13:34, 35.

JÉHOVAH CONTINUE DE FAIRE CROÎTRE

Jéhovah peut faire croître la graine de vérité dans le cœur des gens, même après des années de latence (1 Cor. 3:6, 7). Ces personnes peuvent alors faire soudainement de rapides progrès dans la vérité. Une sœur qui prêchait dans la rue en fit l’expérience. Écoutons-​la:

“J’ai été tout étonnée de voir un homme, qui tenait dans chaque main un sac à provisions, se diriger vers moi d’un pas décidé. Il s’est arrêté, a posé ses sacs et m’a demandé si j’étais Témoin de Jéhovah. Il m’a alors réclamé un exemplaire du ‘livre rouge’, Vous pouvez vivre éternellement sur une terre qui deviendra un paradis. Quelle ne fut pas ma surprise quand il me demanda si quelqu’un pouvait le visiter pour étudier la Bible avec lui!”

En 1963, un collègue de travail avait remis à cet homme le livre “Babylone la Grande est tombée!” Le Royaume de Dieu a commencé son règne! Il l’avait lu, avait compris qu’il s’agissait de la vérité, mais n’avait rien fait de plus. Plus tard, alors qu’il était encore célibataire, il pria Jéhovah de lui donner une femme et une famille. Il promettait en retour d’élever ses enfants pour qu’ils servent Dieu. Mais quelque vingt ans plus tard, marié et père de quatre enfants, il n’avait toujours pas tenu sa promesse. Il était même en passe de perdre sa famille en raison de problèmes personnels.

Conscient de ses besoins spirituels, il se mit à la recherche des frères. Il apprit par son voisin que l’on pouvait trouver des Témoins tous les samedis à tel coin de rue vers l’heure du repas. Il alla donc les trouver. Dès que le contact fut repris, il se mit à assister régulièrement aux réunions, accompagné de ses enfants. Et comme il comprenait mieux les exigences de Jéhovah, il commença à opérer certains changements dans sa vie. Environ deux mois après qu’il eut recontacté les frères, il assista à sa première assemblée de circonscription, ce qui le décida à cesser de fumer.

Il dut ensuite affronter une épreuve délicate. Sa femme, influencée par sa famille opposée, refusa de lui parler pendant des semaines et le menaça finalement de le quitter s’il n’abandonnait pas la vérité. Situation paradoxale: il avait recherché la vérité pour sauver son mariage, et celui-ci se trouvait à présent menacé parce qu’il servait Jéhovah. Avec sagesse, cet homme conclut pourtant que s’il renonçait maintenant à la vérité, sa famille et lui-​même subiraient une perte définitive. Il tint donc ferme. En réalité, sa femme ne souhaitait pas vraiment la séparation, mais elle avait cédé à sa famille. Elle reconnaît qu’ils ne seraient plus ensemble aujourd’hui si son mari n’était pas devenu Témoin de Jéhovah.

LA RÉPUBLIQUE D’IRLANDE CONNAÎT AUSSI UN ACCROISSEMENT CONSTANT

En République d’Irlande également, les efforts opiniâtres des frères et des sœurs pour faire briller la lumière de la vérité commençaient à porter leurs fruits.

Un homme et sa femme, des catholiques, étaient en proie au chagrin à la suite du décès de leur fillette de quatre ans. Certains disaient qu’elle devait mourir “parce que Dieu la réclamait au ciel” ou bien “qu’elle n’était pas faite pour ce monde”. Mais ces propos n’étaient d’aucun secours pour ces parents affligés. “Nous étions de bons catholiques, expliquent-​ils, nous allions à la messe et nous croyions en Dieu, mais nous n’arrivions pas à comprendre pourquoi il fallait qu’elle meure!”

La mère de la fillette commença à étudier la Bible, mais au début son mari n’était guère attiré par la vérité. ‘Ne plus fêter les anniversaires! Ne plus fêter Noël! Aller à toutes ces réunions! Laisser la cigarette! Tout ça, ce n’est pas pour moi’, se disait-​il. Cependant, dans son for intérieur, il s’étonnait de l’intérêt grandissant de sa femme pour Jéhovah. Lorsque les frères venaient faire les premières études, il s’esquivait par la porte de derrière. Mais avec le temps, il resta pour écouter ce qui se disait et il commença à apprécier la vérité.

Il eut un choc en apprenant que Jéhovah était en réalité le nom du vrai Dieu. “Je croyais que c’était un milliardaire américain”, explique-​t-​il. Finalement, ils se mirent tous deux à servir Jéhovah. Leur foi leur donna le courage d’endurer la mort de leur fils aîné, emporté par une leucémie. Le mari fit cet aveu: “Sans la vérité et sans nos amis dans la congrégation, nous nous serions suicidés.”

Un autre catholique était déconcerté par les injustices et les souffrances propres à ce monde. La guerre du Viêt Nam, la situation effroyable du Biafra, la mort de millions de gens affamés dans un monde où règne l’abondance — tout cela lui paraissait par trop injuste. Il se mit à boire pour se dissimuler ces tragédies. Le message renfermé dans la Bible lui permit cependant de comprendre la cause des maux qui accablent ce système de choses satanique.

Il progressa dans la vérité et se mit à servir pleinement Jéhovah. De passage à Belfast, il accompagna les frères en prédication dans un quartier loyaliste (opposé aux nationalistes). Il ne lui serait jamais venu à l’esprit d’aller un jour en Irlande du Nord et de se hasarder seul dans un secteur loyaliste. Il y était pourtant bel et bien. Un homme l’invita à entrer. Quand il sut que le frère avait été catholique, il lui demanda: “Souteniez-​vous l’IRA lorsque vous étiez catholique?” Le frère comprit que son interlocuteur pouvait devenir violent. Cet homme avait en effet été arrêté alors qu’il s’apprêtait à tirer sur un catholique et il n’avait été libéré que récemment. Le frère répondit: “Je ne suis plus catholique. Je suis Témoin de Jéhovah. Et en tant que chrétien, je ne tuerai jamais personne pour un gouvernement ou pour qui que ce soit.” Sur ce l’homme lui serra la main et lui dit: “Ce n’est jamais une bonne chose de tuer quelqu’un. Vous faites du bon travail. Continuez comme ça.”

ILS SERVENT LÀ OÙ LE BESOIN EST PLUS GRAND

De nombreux frères étrangers se montrèrent disposés à s’établir là où le besoin était grand et contribuèrent ainsi largement aux progrès de l’œuvre en Irlande. Ils obéirent à un appel semblable à celui qui parvint à l’apôtre Paul en ces termes: “Passe en Macédoine et viens à notre aide.” Ils étaient animés d’un profond amour pour Jéhovah et manifestaient un authentique esprit de sacrifice. Ils obtinrent des résultats remarquables et furent largement récompensés.

Ils durent bien entendu surmonter quelques difficultés; par exemple trouver un travail et organiser la scolarité des enfants. Mais ces frères et sœurs mirent Jéhovah à l’épreuve, et Jéhovah ne manqua jamais de leur venir en aide. “Nos enfants se sont adaptés facilement, fait observer un couple, et nous nous sommes aperçus que depuis que nous sommes installés ici, toute la famille s’intéresse de plus près aux choses spirituelles.” Un chef de famille expliqua en quoi ce déplacement pour l’Irlande avait été bénéfique à sa famille: “Cela nous a aidés à ne plus être distraits par les choses du monde, et nous avons pu atteindre notre objectif qui était de prendre le service de pionnier en famille.”

Pareillement, de courageux pionniers, d’origine anglaise pour la plupart, sont venus offrir leur soutien aux congrégations. Certains se sont même installés en Irlande après avoir fondé une famille. À l’origine, beaucoup de couples de pionniers sont venus dans ce pays dans l’intention d’y passer un an ou deux puis de rentrer chez eux. Certains ont ainsi contribué efficacement aux progrès de l’œuvre en Irlande. D’autres par contre ont pu s’y établir.

En Irlande, on s’attend à ce que les jeunes mariés fondent rapidement une famille nombreuse. Les Irlandais jugeaient donc insolites les couples de pionniers qui n’avaient pas fondé de famille. Quand les gens apprenaient que les pionniers qui les visitaient n’avaient pas d’enfants, ils leur disaient souvent d’un ton compatissant: “Je vais brûler un cierge pour vous!” Ces couples de pionniers vivant au sein de la communauté locale étaient bien mieux acceptés par le voisinage une fois qu’ils avaient des enfants. Cela contribuait à asseoir les congrégations qui, au lieu de connaître un constant mouvement de pionniers, gagnaient en stabilité.

Sur quatre-vingts congrégations, une trentaine environ sont dotées d’un excellent noyau composé d’anciens et de proclamateurs issus de familles de pionniers venus de l’étranger. Dans une congrégation, quatre anciens sur cinq sont venus à l’origine en Irlande comme pionniers. Quand on leur demande pourquoi ils sont restés ils répondent: “Nous sommes ici chez nous maintenant”, ou: “Nous voulions continuer à servir là où le besoin est grand”, ou encore: “Nous n’aurions aucune raison de repartir dans un endroit où il n’existe pas de grand besoin.” Jéhovah a béni leur ministère. En 1982, l’Irlande comptait 2 021 proclamateurs.

On devait s’attendre à ce que cette progression de l’œuvre en Irlande du Nord et en République d’Irlande incite les démons à déployer des efforts accrus en vue de l’entraver. De nouveau, ils recoururent à l’apostasie.

NOUVELLE VAGUE D’APOSTASIE À DUBLIN

Une forme particulièrement virulente d’apostasie se développa en 1982, principalement dans la région de Dublin. Certains frères commencèrent à s’offusquer de l’autorité exercée par la congrégation et à remettre en cause l’ensemble des enseignements que le peuple de Jéhovah tient pour la vérité. Ils soutenaient l’idée que chaque chrétien devrait pouvoir prendre lui-​même des décisions en rapport avec diverses questions doctrinales.

Ils semèrent discrètement le doute dans l’esprit de leurs compagnons au sujet des doctrines. On mit en doute l’intégrité des membres du Collège central. Les anciens et les serviteurs ministériels dissidents minimisaient les instructions en matière d’organisation. Du pupitre ou secrètement, ils propageaient leurs idées personnelles, ébranlant la confiance de leurs frères dans l’organisation de Jéhovah.

Alors que l’esprit de rébellion devenait de plus en plus manifeste, les anciens de la congrégation restés fidèles essayaient d’aider leurs compagnons à retrouver leur équilibre spirituel et leur foi pour leur éviter un naufrage sur le plan spirituel (1 Tim. 1:19). Ceux qui restaient fidèles connaissaient les dangers liés à une telle situation, dangers prédits par l’apôtre Paul et l’apôtre Pierre. — Actes 20:30; 2 Pierre 2:1, 3.

John Barr, membre du Collège central, et Robert Pevy, qui fut pionnier en Irlande et qui sert aujourd’hui au Béthel de Brooklyn, proposèrent leur aide. Ils prirent sur leur temps de vacances en Angleterre et se rendirent en Irlande pour parler aux frères et les encourager. Ils raisonnèrent longuement avec eux et examinèrent à fond de nombreuses questions touchant des points doctrinaux. Il apparut cependant clairement que les questions soulevées par les mécontents n’étaient destinées qu’à donner le change. Le véritable objet du débat était de savoir si l’organisation était ou non celle de Jéhovah.

Comme ce rejet de la vérité se faisait de plus en plus manifeste, les anciens s’efforcèrent d’aider ceux qui étaient contaminés par les raisonnements des apostats. Dans le même temps, ils virent aussi la nécessité d’appliquer le conseil donné par l’apôtre Paul à Timothée lui enjoignant d’‘ordonner à certains de ne pas enseigner une autre doctrine’. (1 Tim. 1:3.) Ainsi que Paul l’avait annoncé à Timothée, les enseignements de ces apostats ‘s’étendront comme la gangrène’. Les anciens n’eurent d’autre choix que d’exclure ces individus de la congrégation. — 2 Tim. 2:17.

Le retranchement de ceux qui avaient rejeté l’organisation de Dieu permit à l’œuvre de prospérer. Quand l’apostasie commença en 1982, l’Irlande comptait en moyenne 2 021 proclamateurs. En 1983, cette moyenne s’éleva à 2 124 pour atteindre 2 278 en 1984, 2 403 en 1985 et 2 472 en 1986 avec une pointe de 2 661 proclamateurs au mois de mai 1987. Les progrès sont réguliers. La fidélité des frères fut pleinement mise à l’épreuve, mais la grande majorité d’entre eux avaient placé leur fidélité envers Jéhovah et son organisation au-dessus de la fidélité envers n’importe quel homme. Ils montrèrent qu’ils savaient à la fois où se trouvait la vérité et de quelle source ils l’avaient apprise, et ils y restèrent fermement attachés. Ils continuèrent à prendre une part active à l’œuvre capitale de prédication et d’enseignement.

LE “RECUEIL D’HISTOIRES BIBLIQUES” EN IRLANDAIS

Pendant des années, le peuple de Jéhovah ne disposait en langue irlandaise que d’un ou deux tracts et d’une brochure. Le livre Recueil d’histoires bibliques en irlandais reçut donc un accueil enthousiaste lors de sa parution à l’assemblée de district de 1982. L’anglais est la langue la plus couramment parlée en Irlande. On a cependant observé ces dernières années un regain d’intérêt pour la langue irlandaise (une des plus anciennes langues celtiques). Dans certaines régions du pays (la zone de Gaeltacht), cette langue est la seule utilisée. Les frères disposaient donc maintenant, pour couvrir ces territoires, d’une publication de valeur, destinée tout particulièrement aux personnes intéressées par leur langue natale.

De nombreux enseignants, y compris des prêtres et des membres de l’ordre des “Frères chrétiens” qui se consacrent à l’enseignement, acceptèrent des exemplaires du Mo Leabhar de Scéalta ón mBíobla, ainsi nommé en irlandais. L’accueil réservé à ce livre révèle aussi un meilleur comportement de beaucoup de gens envers les Témoins de Jéhovah. Un prêtre enseignant eut ce commentaire, un rien excessif: “Si nous avions pris vos publications il y a 30 ans, nous aurions été mis au bûcher!”

Deux sœurs rencontrèrent une religieuse, directrice d’école. Elles lui donnèrent le témoignage à la fenêtre de la salle des professeurs. Elle examina le livre et leur dit aussitôt: “Attendez un instant.” Elle réapparut quelques minutes plus tard avec de l’argent et leur demanda: “Voudriez-​vous m’en donner neuf exemplaires, je vous prie.” Dans une autre école, le professeur qui était chargé de l’achat des livres scolaires parcourut le livre Recueil en irlandais et en commanda pour une classe entière, soit 35 exemplaires.

D’autres personnes, étrangères au corps enseignant, sont séduites par sa présentation remarquablement simple du récit biblique. Des gens qui, en temps ordinaire, n’auraient pas pris de publications aux Témoins de Jéhovah ont accepté ce livre.

Un frère rendit visite à une femme pour qui il avait travaillé et lui dit qu’il avait en sa possession un nouveau livre en irlandais. Elle lui répondit qu’elle n’était “pas le moins du monde intéressée par tout ce qui avait trait aux Témoins de Jéhovah”. Il lui montra toutefois le livre. “Je suppose qu’il n’a pas reçu l’imprimatur?” demanda-​t-​elle. Le frère reconnut que l’ouvrage ne portait pas en effet ce sceau des autorités catholiques, mais il lui montra qu’à la fin de chaque histoire étaient indiquées toutes les références bibliques. “Quel intérêt les Témoins de Jéhovah ont-​ils à publier un tel livre?” s’enquit-​elle, toujours quelque peu réticente. Le frère lui expliqua que les Témoins de Jéhovah veulent tout simplement aider les gens à comprendre la Bible et que ce livre avait été édité à cette fin. Elle prit donc un exemplaire du livre Recueil. Lors d’une autre visite, elle posa cette question: “Est-​ce que ce livre n’emploie pas un peu trop souvent le nom Jéhovah?” Quelle ne fut pas sa surprise lorsque le frère lui fit voir dans le dictionnaire de ses enfants que Jéhovah est le nom personnel de Dieu et que ce terme apparaît quelque 7 000 fois dans les manuscrits originaux de la Bible!

Une autre sœur rendit visite à ses voisins, munie du livre Recueil en anglais et en irlandais. Bien que ses enfants fréquentent la même école que de nombreux enfants de la cité, elle s’aperçut qu’elle n’avait jamais vraiment parlé de la vérité à ses voisins. Elle pria Jéhovah de lui donner du courage et se mit à prêcher. Elle eut d’excellentes discussions avec nombre de ses voisins, qui la reconnurent et l’invitèrent à entrer. Elle plaça finalement 75 exemplaires du Recueil!

L’EXPANSION STIMULE L’ACTIVITÉ DE CONSTRUCTION

Le nombre croissant de personnes acceptant la vérité fit naître en Irlande de nouveaux besoins — des bâtiments plus vastes pour la filiale et des lieux de réunion mieux adaptés pour les congrégations.

En 1980, on inaugura à Dublin les nouveaux locaux de la filiale. Pendant de nombreuses années, on avait été à l’étroit dans les anciens bâtiments. Fred Metcalfe explique quelles difficultés en résultaient: “Nous devions parfois utiliser la table de la salle à manger pour taper à la machine ou effectuer d’autres travaux de bureau. Il nous fallait chercher les publications destinées aux congrégations au fond du jardin, car on ne pouvait les stocker que dans la remise.”

Après 12 ans de recherches, les frères trouvèrent un terrain convenable et en firent l’acquisition, opération financée en grande partie par les Témoins irlandais. La filiale fut dotée de bâtiments plus spacieux et mieux adaptés au travail croissant requis par la riche moisson en cours en Irlande. La Salle du Royaume qui fut adjointe aux bâtiments de la filiale fournit un lieu de réunion bien nécessaire aux congrégations de plus en plus importantes, mais fit aussi germer l’idée de construire d’autres Salles du Royaume et de repenser leur conception.

Rares étaient jusqu’alors les congrégations qui possédaient leur propre Salle du Royaume, soit qu’elles ne disposaient pas de fonds suffisants en raison du petit nombre des proclamateurs, soit qu’il s’avérait impossible de louer des lieux convenables à cause des préjugés. Certaines congrégations se réunissaient dans de petites pièces situées au sommet d’escaliers interminables. Les lieux de réunion étaient froids, humides et souvent mal chauffés. Une congrégation se réunissait dans un bâtiment avec des murs de tôle ondulée. Les enfants du quartier semblaient prendre grand plaisir à faire cliqueter des bâtons le long des murs pendant les réunions.

Plusieurs petites congrégations se réunissent toujours dans des salles d’hôtel louées ou dans d’autres endroits, mais un nombre croissant de congrégations ont pu construire des Salles du Royaume. Leurs membres ont suivi avec joie ce conseil: “Honore Jéhovah avec tes choses de valeur.” — Prov. 3:9.

CONSTRUCTION DE SALLES DU ROYAUME SELON UN PROCÉDÉ RAPIDE

Les frères d’Irlande se sont enthousiasmés pour la construction de Salles du Royaume selon un procédé rapide. Au lieu d’avoir à travailler dur pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, on construit aujourd’hui des Salles du Royaume en moins de deux jours. Les congrégations ont ainsi pu se doter de lieux de réunion de qualité sans devoir interrompre pour de longs mois leur activité de prédication. Ces constructions ont aussi donné un excellent témoignage là où elles ont été réalisées.

La première salle de ce genre a été construite à Downpatrick, en Irlande du Nord, en juin 1985. L’équipe de construction se composait essentiellement de frères qualifiés venus d’Angleterre à leurs propres frais. Beaucoup de frères locaux qui étaient artisans et d’autres volontaires se joignirent à eux. Le projet réunit en tout plus de 600 volontaires.

Quand on proposa pour la première fois de construire une salle de ce genre, on se demanda si cela était réalisable en Irlande, étant donné le faible nombre de ses Témoins. La congrégation mit le projet en route, pleinement confiante dans le soutien de Jéhovah. Les frères racontent: “Nous nous sentions comme portés par Jéhovah.” Leur foi fut récompensée. Leur petite congrégation de 19 proclamateurs vit sa nouvelle Salle du Royaume s’élever en quelques heures sous ses yeux.

D’autres congrégations ont suivi et l’Irlande eut bientôt sa propre équipe de construction rapide. Qu’est-​ce qui rendit cela possible? “Ce fut un succès, déclare le responsable de la construction, parce que tous les frères et sœurs ont travaillé de concert sous l’influence de l’esprit de Jéhovah.”

Une congrégation a construit sa salle sous une pluie battante en moins de 36 heures. Dans un autre endroit, des centaines de catholiques vinrent visiter la construction après la messe du dimanche matin. Beaucoup furent si impressionnés qu’ils firent des dons généreux pour couvrir les frais de nourriture des travailleurs.

UNE RICHE MOISSON EN PERSPECTIVE

Que de changements en 80 ans! Un frère explique qu’il y a 20 ans, les pionniers spéciaux de sa congrégation ne plaçaient qu’environ 10 périodiques par mois en consacrant 150 heures au ministère, ce qui ne laissait que peu de possibilités de faire de nouvelles visites. Aujourd’hui, chaque proclamateur place en moyenne 13 ou 14 périodiques tous les mois. L’acrimonie et la haine du passé ont dans une large mesure disparu.

Il est à présent bien plus facile de prendre part au ministère, et il est très peu probable que l’on se heurte à des réactions violentes ou que l’on suscite des attroupements. L’opposition est toujours là, mais les gens écoutent bien plus volontiers. On a enregistré l’année dernière un total de 1 683 études bibliques, ce qui offre de larges perspectives d’accroissement.

En 1881, à l’issue de son voyage, frère Russell déclara: “L’Angleterre, l’Irlande et l’Écosse sont des champs mûrs qui attendent d’être moissonnés.” Certains ont pu penser, quand les choses étaient au plus mal, que la moisson ne serait jamais engrangée et que la lumière des vérités bibliques ne percerait jamais les ténèbres spirituelles qui aveuglaient l’esprit et le cœur des Irlandais. Cela a pris un peu plus de temps que prévu, mais nous assistons enfin à la moisson tant espérée. Au total, 2 661 proclamateurs répartis dans 81 congrégations s’activent dans le champ.

Un grand travail reste à effectuer, mais grâce à la bénédiction que Jéhovah déverse sur ses fidèles serviteurs en Irlande, de nombreuses autres personnes vont encore accepter la vérité. Tous les serviteurs fidèles de Jéhovah de ce pays reprennent à leur compte ces paroles de Jésus Christ: “Oui, la moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson.” — Mat. 9:37, 38.

[Carte/Illustrations, page 71]

(Voir la publication)

IRLANDE

ÉCOSSE

OCÉAN ATLANTIQUE

BELFAST

Londonderry

Downpatrick

Newry

Donegal

Crossmaglen

Drogheda

DUBLIN

Athlone

Galway

Roscrea

Limerick

Wexford

Waterford

Cork

Mer d’Irlande

PAYS DE GALLES

[Illustration, page 89]

Fred Metcalfe, un des premiers pionniers spéciaux affectés en République d’Irlande.

[Illustration, page 95]

Sept des premières sœurs missionnaires arrivées en Irlande en 1949. De gauche à droite: Mildred Willett (maintenant Barr); Bessie Jones; Joan Retter (maintenant Miller); Joey Orrom, Elsie Lott (maintenant Levis); Ann Parkin (maintenant Carter); Barbara Haywood (maintenant Steffens).

[Illustrations, page 98]

Olive et Arthur Matthews (en médaillon), accompagnés du frère d’Olive et de sa femme, utilisèrent cette caravane de 4 mètres de long lors de la campagne de diffusion de la brochure “La voie de Dieu est une voie d’amour”, en 1953.

[Illustration, page 104]

Les premiers locaux de la filiale d’Irlande, 86 Lindsay Road à Dublin.

[Illustrations, page 130]

L’actuel bâtiment de la filiale à Finglas, Dublin, et les membres du Comité de filiale, de gauche à droite: Peter Andrews, Arthur Matthews (coordinateur du Comité de filiale) et Fred Metcalfe.

[Illustrations, page 135]

En haut: Première Salle du Royaume bâtie selon un procédé rapide en République d’Irlande, en mai 1986, à Dun Laoghaire.

Au milieu et en bas: Première Salle du Royaume bâtie selon un procédé rapide en Irlande du Nord, en juin 1985, à Downpatrick.