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Suriname

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Serpents et jaguars se dissimulent dans l’immense forêt tropicale qui couvre la majeure partie du Suriname — le plus petit pays de l’Amérique du Sud, aussi bien en superficie qu’en nombre d’habitants. Mais les adorateurs de Jéhovah Dieu manifestent dans ce pays autant de courage que leurs compagnons du monde entier.

LE 31 JUILLET 1667, l’Empire britannique et l’Empire hollandais, qui étaient constamment en conflit, signèrent un traité de paix et échangèrent leurs possessions: Les Hollandais donnèrent aux Britanniques New Amsterdam, tandis que les Britanniques cédèrent le Suriname aux Hollandais. Vous connaissez probablement la part des Britanniques: New Amsterdam, qu’ils ont rebaptisé New York. Mais que dire du Suriname?

Autrefois appelé Guyane hollandaise et plus tard Surinam, ce pays s’étend sur la côte nord-est de l’Amérique du Sud; il est entouré par la Guyana, le Brésil et la Guyane française. Son climat tropical rappelle celui de la Floride, aux États-Unis, bien que le Suriname soit légèrement plus petit que cette péninsule. Mais si vous aimez nager dans les eaux bleues ou vous détendre sur les plages de sable blanc, le Suriname n’est peut-être pas l’endroit idéal auquel vous aspirez. À vrai dire, les côtes marécageuses de ce pays semblent si peu accueillantes que dès le début les colons l’ont surnommé “la Côte sauvage”. Toutefois, si vous avez l’esprit aventureux, prenez avec vous une crème anti-insecte, des pilules contre le paludisme ainsi qu’une moustiquaire et venez, explorez la nature la plus luxuriante et mystérieuse qui soit, celle de l’imposante forêt tropicale.

Vue d’avion, la voûte de la forêt tropicale forme un tapis vert uniforme déchiré par endroits par les nombreux cours d’eau qui serpentent vers le nord pour se déverser dans l’océan Atlantique. Maintenant, si vous jetez un coup d’œil sous ce tapis, vous découvrez un habitat plus varié que partout ailleurs: l’univers de l’insaisissable jaguar, du ara au plumage éclatant, du singe hurleur et du serpent géant, l’anaconda.

Ce qui fait aussi la caractéristique du Suriname, c’est la diversité de ses habitants. Les indigènes étaient des Amérindiens. Puis des esclaves noirs d’Afrique occidentale sont venus pour travailler dans les plantations de café. Plus tard, des esclaves fugitifs, ou Bosnegers, ont formé des tribus éparpillées un peu partout dans la dense forêt tropicale, qui recouvre 80 % de la superficie du Suriname. Peu après, des Indiens de l’Inde ainsi que des Indonésiens sont arrivés. À tous ces gens ajoutez les Chinois, les Libanais, les Juifs ainsi que les descendants des colonisateurs hollandais, et vous comprendrez pourquoi la population du Suriname, qui compte 400 000 habitants environ, est appelée quelquefois “le monde de poche”.

Dans ce pays, les différentes croyances des hindous, des musulmans, des Frères Moraves (une branche du protestantisme), des catholiques, des animistes, des fétichistes et de bien d’autres ont abouti à un mélange de religions. De plus, différentes langues sont parlées, 10 environ, allant du néerlandais (la langue officielle) au sranan tongo (la langue du pays). C’est pourquoi le livre Suriname — Le pays des sept peuples (angl.) montre que pour atteindre l’unité nationale il reste encore “un long chemin à faire”.

Mais un peu après le début du siècle, une langue supplémentaire — la “langue pure” de la Bible — a été introduite au Suriname et a engendré l’unité partout où elle a été apprise (Soph. 3:9). Cependant, pour communiquer la vérité biblique dans les villes, les villages et la forêt tropicale, il fallait se montrer courageux, endurant, faire de nombreux sacrifices et, par-dessus tout, avoir le soutien de Jéhovah Dieu. Comment les serviteurs de Jéhovah ont-​ils atteint leur but? Nous vous invitons à revivre avec nous les moments les plus marquants de la prédication du Royaume au cours des neuf dernières décennies. Alors, faisons un retour en arrière, jusqu’en 1903. Nous sommes dans le nord-ouest du Suriname.

La vérité circule

Le canot avançait péniblement vers l’embouchure de la Courantyne, transportant des passagers de la Guyana à la petite ville de Nieuw Nickerie, au Suriname. Un voyageur, M. Herbonnet, un commerçant de vingt et quelques années, était impatient de descendre à terre pour montrer à ses amis les livres qu’il avait apportés.

Ses amis — le boulanger Marie Donk, l’épicier Alfred Buitenman et le cordonnier Julian Dikmoet — ont été rapidement attirés par les explications claires des vérités bibliques que les livres renfermaient. Bientôt, les quatre amis ont formé un centre d’étude biblique chez le boulanger, Marie Donk. Là, ils ont étudié d’autres publications dont l’auteur était Charles Russell, le premier président de la Société Watch Tower, aux États-Unis.

Marie Donk, un Juif éloquent, a pris la tête et a exhorté ses clients à se joindre à leur groupe d’étude. La réaction des clients a été lente, jusqu’à ce que le boulanger emploie la devise dont les Nickeriens les plus âgés se souviennent aujourd’hui encore: “Nyan brede sondro frede!” (Mangez du pain sans crainte!) “Cela voulait dire que nous aurions du pain gratuitement après la réunion”, explique Lien Buitenman, la fille d’Alfred Buitenman, aujourd’hui âgée de 83 ans.

Ça marchait. Le nombre des assistants aux réunions “levait” comme de la pâte fraîchement pétrie, à vrai dire jusqu’à ce que le boulanger incite son auditoire à participer avec lui à l’œuvre de prédication dans les villages le dimanche. À ce moment-​là, beaucoup de personnes ont abandonné.

Néanmoins, entre 1910 et 1914, quelques “fidèles” ont suivi frère Donk jusque dans un polder à l’écart de Nickerie, se sont avancés dans le canal de drainage d’une plantation de cacao et se sont fait baptiser. “Ces baptêmes ont attiré des centaines de spectateurs”, déclare James Brown, maintenant âgé de 86 ans. Il se souvient d’avoir observé, subjugué, frère Donk, qui, tandis qu’il plongeait dans l’eau un nouveau disciple tout habillé, s’écriait: “Au nom du Père.” Puis il a immergé la même personne une deuxième fois et a dit: “Au nom du Fils”, et une troisième fois encore: “Au nom du Saint-Esprit.” Ceci fait, le baptiseur s’est tourné vers les spectateurs et a déclaré d’une voix forte: “Venez! Faites-​vous baptiser et restez en vie!” Quelques-uns ont accepté cette invitation, mais, pour la plupart, c’était parce qu’ils avaient peur que le monde prenne fin en 1914. Quand l’année 1914 s’est achevée, un grand nombre d’entre eux ont abandonné la vérité.

“Le Royaume de Dieu est venu”

Toutefois, vers 1920, les Étudiants de la Bible qui avaient persévéré ont reçu un encouragement lorsqu’un frère arrivant des États-Unis par bateau leur a montré le Photo-Drame de la création.

“Toute la ville en parlait, raconte James Brown. Je me suis rendu de bonne heure au hangar de la plantation de cacao et me suis assis au premier rang. L’endroit était bondé. Il y avait 500 personnes. La projection a commencé. Je n’avais jamais rien vu de pareil — les diapositives, le film, la musique! Un homme s’est levé et a déclaré: ‘Ce soir, le Royaume de Dieu est venu à Nickerie!’”

À cette époque-​là, un accroissement s’est de nouveau manifesté, et dans le début des années 30 les frères ont construit un petit lieu de réunion sur une partie du terrain de frère Donk. Cependant, des difficultés allaient encore mettre à l’épreuve la congrégation de Nickerie.

Un frère effacé se manifeste

Dans le milieu des années 30, il est devenu notoire que Marie Donk menait une vie qui n’était pas conforme aux principes moraux de la Bible. Mais, malgré tout, il continuait de diriger les réunions. Qui redresserait la situation?

Alfred Buitenman, petit de taille et ayant une voix douce, avait discrètement soutenu sur le plan financier la congrégation depuis 1903, date à laquelle il s’était fait baptiser. “Mais au cours d’une réunion, se rappelle Lien, j’ai été surprise en voyant mon père s’avancer, élever la voix et annoncer qu’à partir de maintenant les réunions se tiendraient dans la salle de séjour de notre maison.” Heureusement, la plupart des frères ont soutenu cette disposition, mais quelques-uns sont restés avec frère Donk, et ce groupe s’est dissous petit à petit.

Frère Buitenman est alors entré en contact avec le bureau central de la Société à New York, il a reçu des publications et, à partir de 1936, il a fidèlement pris soin de la congrégation qui lui avait été confiée.

Mais, pour l’instant, tournons notre attention vers l’est, à 240 kilomètres, et 25 ans en arrière. Nous sommes en 1911, nous arrivons à Paramaribo, la capitale.

Un peintre nécessiteux donne l’exemple

Au cours d’une visite dans le port de Paramaribo, deux pèlerins (comme on appelait autrefois les surveillants de circonscription), Blake et Powell, venus des États-Unis, ont rencontré Frederic Braighwaight, un humble peintre originaire de la Barbade ayant près de quarante ans. Frederic a reconnu le son de la vérité et en a parlé à sa femme Cleopatra ainsi qu’à l’un de ses amis. Il a commencé à diriger des réunions dans sa toute petite maison en bois.

À l’exemple des pèlerins, Frederic cherchait des moyens de communiquer les vérités bibliques. Ainsi, dans le cadre de son travail, il a donné le témoignage à un menuisier, Willem Telgt. Le menuisier a été conquis par ce qu’il a entendu et, en compagnie d’un de ses amis, il a commencé à assister aux réunions des “Étudiants fervents de la Bible”, le nombre des étudiants passant ainsi de trois à cinq.

Frère Braighwaight appréciait ces réunions. “Bien qu’il fût pauvre, racontait Willem Telgt il y a quelques années, frère Braighwaight portait toujours aux réunions un costume blanc fraîchement repassé. Certains jours, quand il ne pouvait pas s’offrir un repas, on entendait gargouiller son estomac vide, mais malgré cela il dirigeait chaque réunion avec le même enthousiasme.”

Encouragé par l’exemple de frère Braighwaight, Willem Telgt s’est fait baptiser le 19 février 1919, et plus tard il a joué un rôle prépondérant dans l’expansion des intérêts du Royaume.

En public

Durant les années 20, les Étudiants de la Bible étaient peu connus dans la capitale. Cependant, les choses ont changé vers le milieu des années 30, lorsque l’un d’eux, frère Graham, a mis un banc devant un magasin en face du marché, qui était très animé. Il ouvrait sa sacoche usée et présentait les livres de la Société aux couvertures très colorées. Chaque jour de la semaine ce frère âgé, parlant anglais, rejoignait son poste.

Souvent les clients se rassemblaient autour de sa sacoche, désireux d’avoir une discussion avec lui. “Frère Graham faisait pourtant des remarques brèves, très brèves, racontait Leo Muijden, décédé récemment à l’âge de 78 ans. Un jour, j’ai vu dans sa sacoche une brochure dont l’illustration était celle d’un jeune homme en train de courir. J’ai demandé à frère Graham: ‘Où court-​il comme ça?’ Le vieux frère a levé les yeux vers moi et m’a dit: ‘Si tu la lis, tu sauras la réponse.’ C’était exact. Alors j’ai lu Le Royaume: un refuge dans la détresse et j’ai trouvé la réponse.”

Le message du Royaume est amplifié

Outre les livres, les disques ont aussi permis aux habitants de Paramaribo d’entendre le message du Royaume. De quelle façon? Le dimanche soir, Cornelus Voigt, qui possédait un magasin et se montrait bienveillant envers les Témoins, plaçait son tourne-disque et son puissant haut-parleur au premier étage de sa maison. “Puis, raconte frère Telgt, il passait l’enregistrement d’une messe catholique, suivie d’une musique religieuse. Ensuite, quand un nombre assez important de gens étaient rassemblés, il changeait le disque et augmentait considérablement le volume. Soudain, la voix de Joseph Rutherford, le second président de la Société, tonitruait parmi l’assistance et bien au-delà.”

Cependant, les soirs de la semaine Voigt n’avait pas à attirer le public, mais devait simplement attendre que son fils, Louis, médecin bien connu, commence à donner des consultations dans une clinique à côté de sa maison. Dès qu’il y avait suffisamment de patients dans la salle d’attente, Voigt passait ses enregistrements. Helen Voigt, la femme du docteur, se rappelle: “Les patients étaient obligés d’écouter frère Rutherford, que ça leur plaise ou non.” Ainsi, par l’intermédiaire des livres et des enregistrements, les Témoins s’étaient à présent fait connaître au public.

Scission d’un groupe en trois — mais pas d’accroissement

Étant donné que la Seconde Guerre mondiale a eu lieu bien loin du Suriname, les frères n’ont pas souffert des vents mortels de la guerre. Néanmoins, la congrégation de Paramaribo a dû faire face à une certaine agitation. De quel genre? Il y avait des querelles parmi les frères.

“Vers 1945, déclare Leo Liefde, qui est âgé de 80 ans et assiste aux réunions depuis 1938, la congrégation s’est divisée en trois groupes et les assistants se réunissaient dans trois lieux différents, alors que ces trois groupes continuaient de s’appeler Témoins de Jéhovah.” Du reste, quand on a annoncé en 1946 que le troisième président de la Société, Nathan Knorr, visiterait le Suriname, “les trois groupes étaient impatients de recevoir ‘leur’ président”, ajoute frère Muijden. Comment frère Knorr allait-​il réagir?

Le lundi 1er avril 1946, frère Knorr ainsi que frère Frederick Franz, alors vice-président de la Société, sont arrivés à Paramaribo. Le soir même, 39 frères des trois groupes se sont réunis sur un terrain neutre, dans une école, pour écouter parler frère Franz et frère Knorr. À ce moment-​là, pendant le temps réservé aux questions, les frères ont exprimé leurs désaccords. Le président les a écoutés un moment, mais il en avait suffisamment entendu.

“Frère Knorr régla le problème rapidement, se souvient frère Muijden. Il a demandé: ‘Qui d’entre vous désire qu’un missionnaire vienne ici?’ Nous avons tous levé la main. ‘Très bien, a déclaré frère Knorr. Il sera là ce mois-​ci.’” Frère Knorr a tenu sa promesse, puisque le 27 avril 1946 est arrivé Alvin Lindau, diplômé de l’École de Galaad.

Une nouvelle époque commence: un missionnaire arrive

Alvin Lindau, un Américain âgé de 26 ans, logeait chez le frère Baptista. Il a commencé à unir les différents groupes en un seul noyau. Un mois plus tard, frère Lindau était heureux d’annoncer: ‘Le nombre des proclamateurs est passé de 2 à 18.’ Frère Knorr, quant à lui, avait de bonnes nouvelles concernant le Suriname. Il a écrit qu’à partir du 1er juin 1946 on créerait une filiale. “Je suis sûr, a-​t-​il ajouté, que c’est le moment de faire avancer l’œuvre à Paramaribo.”

Nommé surveillant de filiale, frère Lindau s’est attelé au travail. Tout d’abord il a fait transférer la filiale, qui se trouvait chez frère Baptista, dans un bâtiment spacieux d’un étage, au 50 Zwartenhovenbrug Street, et le rez-de-chaussée a été aménagé en Salle du Royaume. Puis il a organisé chaque semaine l’étude de livre, la réunion de service et l’étude de La Tour de Garde. Ensuite, il a appris aux frères comment diriger des études bibliques à domicile.

Après cela, frère Lindau a annoncé: “Nous passons à l’offensive!” Un frère âgé se souvient: “Il nous a invités à participer à la diffusion du livre Enfants de maison en maison. Au début j’étais hésitant, mais frère Lindau m’a dit: ‘Ou tu coules ou tu survis.’ Alors j’ai rempli mon sac de livres et j’ai proposé le nouveau livre aux personnes habitant aux alentours. À ma plus grande joie, mon sac s’est vidé en très peu de temps.”

Toutefois, quelques frères qui préféraient donner des discours plutôt que d’offrir des livres ont murmuré: ‘Nous n’avons rien à voir avec la Société Watchtower. Nous croyons au pasteur Russell.’ Ils ont donc ‘coulé’. Néanmoins, la plupart des frères ont soutenu cette campagne, mais ils sentaient qu’une formation leur était nécessaire. Les mois suivants allaient leur procurer ce dont ils avaient besoin.

Une année de formation progressive

En septembre 1946 on a organisé l’École du ministère théocratique dans la congrégation de Paramaribo. Ce même mois, on a inauguré une série de discours publics qui allaient avoir lieu à la Salle du Royaume. Des prospectus ont attiré l’attention du public, la police y compris.

Le mercredi précédant le premier discours, l’orateur a été convoqué au commissariat de police. ‘Est-​ce le premier pays dans lequel la Société Watch Tower déploie ses activités?’ ont demandé les policiers. Lorsqu’ils ont appris que le Suriname était en fait l’un des derniers endroits que la Société avait atteints, ils n’ont plus soulevé d’objections. Les réunions publiques se sont tenues depuis lors.

Le mois suivant, en octobre, la congrégation a accueilli chaleureusement Max et Althea Garey ainsi que Phyllis et Vivian Goslin, tous diplômés de l’École de Galaad. En travaillant en étroite collaboration avec les frères locaux, les “cinq Américains de la Watchtower” (c’est ainsi que les missionnaires étaient connus partout dans la ville) s’assuraient des progrès des proclamateurs.

À la fin de l’année 1946, le dur travail et l’attention pleine d’amour des missionnaires avaient produit de bons résultats: la prédication s’était intensifiée, les divisions avaient fait place à l’unité. Mais il y avait encore beaucoup de progrès à faire.

En décembre a eu lieu l’“Assemblée théocratique des nations joyeuses”, une première. Enthousiasmés par la parution du livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai!”, il n’a fallu qu’une heure à 20 proclamateurs pour distribuer 8 000 prospectus qui annonçaient qu’un discours public serait prononcé. Deux cent treize personnes y ont assisté, un maximum sans précédent.

Durant ce même mois, les frères ont défilé dans les rues commerçantes tenant les périodiques La Tour de Garde et Réveillez-vous! devant eux. Les passants, curieux, se sont rassemblés autour des proclamateurs. Un homme, qui conduisait une charrette tirée par un âne, a aperçu une sœur qui avait des périodiques. Il a dirigé sa charrette droit vers l’angle de la rue où la sœur se trouvait. Il voulait des périodiques. En cette matinée, on a distribué 101 périodiques. C’est de cette façon qu’a débuté la prédication dans la rue.

Retour au point de départ

En 1948 le cap des 100 proclamateurs a été dépassé. Et pourtant, aussi vite que, sous les tropiques, la nuit surprend le jour en tombant subitement, aussi vite cet accroissement a fait place à une baisse. En mars 1949, seulement 88 proclamateurs étaient toujours actifs. Des désaccords ont ressurgi. Qu’est-​ce qui n’allait pas?

Un missionnaire a révélé que d’importantes irrégularités se commettaient au sein de la maison de missionnaires. Frère Knorr et frère Henschel, du bureau central, ont étudié la question au cours de leur visite au Suriname en avril 1949. Peu de temps après est arrivé John Hemmaway, alors missionnaire à la Guyana, pour examiner l’affaire. Ses conclusions ont abouti au renvoi de trois missionnaires, laissant les Garey seuls avec une congrégation de 59 proclamateurs. Les frères revenaient au point de départ. Le défi était le suivant: comment réchaufferaient-​ils leur zèle?

Max Garey a été nommé temporairement surveillant de filiale et s’est révélé être un berger plein d’amour tout au long de cette sombre période. Nellie van Maalsen, une sœur pionnier maintenant âgée de 76 ans, se rappelle: “Comme beaucoup dans la congrégation, à cette époque j’étais triste et désorientée, mais, dit-​elle avec enthousiasme, Max était un frère bienveillant. Il nous mettait à l’aise. Maintenant encore, quand je pense à frère et sœur Garey, j’ai les larmes aux yeux.”

Durant trois mois Max Garey a pansé les blessures, figurément parlant, du groupe restreint. Puis, en novembre 1949, Francis Coleman et “Burt” Simmonite, de nouveaux diplômés de l’École de Galaad originaires du Canada, sont venus soutenir les frères pour qu’ils repartent sur de bonnes bases.

Auparavant, la filiale ainsi que la maison de missionnaires avaient changé de lieu. Elles se trouvaient dans une résidence exiguë au 80 Gemeenelands Road. C’est pourquoi, afin de loger les nouveaux venus, on a loué une seconde maison dans la rue Prinsen. Burt Simmonite, âgé de 27 ans, a été désigné pour être le nouveau surveillant de filiale.

Le 22 janvier 1950, les frères ont pris conscience de l’amour que leur témoignait l’organisation de Jéhovah. Ce jour-​là, en effet, frère Knorr est venu tout spécialement au Suriname pour les encourager. ‘Même si les gens bavardent et disent des choses méchantes sur les Témoins de Jéhovah, a déclaré frère Knorr en s’adressant à 75 frères, n’en soyez pas troublés. Par votre façon de vivre et grâce au message que vous prêchez, vous pouvez réconforter ceux qui recherchent la vérité. C’est ce que nous devons faire sans nous soucier de ce que les autres ont fait ou feront dans le futur.’

Après ces trois jours édifiants, frère Knorr a fait ses adieux aux frères, qui, fortifiés, sont allés de l’avant.

De nouveau sur la bonne voie

La congrégation de Paramaribo étant rétablie, les missionnaires ont alors porté leur attention sur Nickerie, à l’ouest, où frère Buitenman et cinq autres proclamateurs ne s’étaient pas laissé perturber par les arrivées et les départs à Paramaribo, et n’avaient pas cessé d’annoncer le message du Royaume depuis 1936. Pour soutenir frère Buitenman, qui était alors âgé de 71 ans, les Garey sont allés à Nickerie. Quelque temps plus tard, les réunions, qui avaient lieu chez frère Buitenman, ont été organisées dans la maison de missionnaires, rue du Gouverneur.

John et James Brown, des frères sérieux ayant près de 50 ans, ont aidé frère Garey et ont reçu en retour une solide formation. Avec le temps, les vendredis soir à la lueur d’une lampe à pétrole, John et James donnaient des discours en plein air à Nickerie et dans les villages environnants.

À cette époque-​là, leur frère, Anton Brown, a aussi accepté la vérité, et “l’Église des Brown” (c’est ainsi que les habitants de la ville appelaient la congrégation) a intensifié ses activités. Quand la première assemblée de circonscription a été organisée à Nickerie en février 1953, le nombre des proclamateurs avait triplé et s’élevait à 21. Manifestement, la congrégation tirait profit de la présence des missionnaires. Mais comment les choses se passaient-​elles pour les autres missionnaires qui étaient à Paramaribo, Burt Simmonite et Francis Coleman?

Prédication contre médicaments

Burt et Francis faisaient de leur mieux pour revigorer certains des plus anciens proclamateurs, mais sans grand résultat. Souvent ces proclamateurs se dispensaient de venir au rendez-vous de prédication prévu en donnant cette réponse classique: “Frère, je ne pouvais pas venir. Je prends des médicaments.”

Effectivement, en raison de la multitude de parasites intestinaux qui pullulent sous les tropiques, une telle réponse pouvait être parfois fondée. “Mais, disait Burt, que ce soit vrai ou faux, j’en arrivais à la conclusion que dans cette petite congrégation on avalait une quantité énorme de médicaments.” Que faire alors?

Sœur van Maalsen a apporté son aide. Un jour, alors qu’elle n’était pas allée prêcher, elle a déclaré: “Frère, je dois te dire la vérité. J’étais tout simplement trop fatiguée.” Touché par son honnêteté, le grand Burt s’est courbé, l’a légèrement étreinte et lui a dit: “Nellie, pour autant que je le sache, je crois que tu es la première qui me dise la vérité à ce sujet.” Burt pensait que cette remarque se répandrait parmi les proclamateurs. “C’est ce qui s’est produit, dit-​il, car la quantité de médicaments prise a semblé diminuer considérablement.”

“Mes garçons”

Beaucoup dans la congrégation appréciaient le dur travail des missionnaires. Il n’a pas fallu longtemps pour que Burt et Francis aient une place dans les foyers et dans les cœurs des proclamateurs. Aujourd’hui encore, si on parle de Burt et de Francis à des “vétérans”, les yeux ternes s’illuminent, les visages ridés sourient et les souvenirs reviennent.

“C’était comme si Burt et Francis faisaient partie de la famille. Ils étaient mes garçons”, dit Oma (Grannie) de Vries, maintenant âgée de 91 ans. De son rocking-chair, elle montre du doigt le premier étage de la maison d’à côté. “Ils habitaient là. C’étaient des voisins pleins d’entrain.”

“Lorsqu’on entendait Burt siffler, on savait qu’il allait partir prêcher”, commence Loes, la fille d’Oma.

“Et quand Francis jouait du violon et faisait, on ne sait pas comment, de la musique avec deux cuillères, il se détendait, ajoute sa fille Hille. Mais chaque fois que Burt chantait à pleins poumons le cantique 81, ‘Entonnez le cantique de la joie du Royaume!’, on savait qu’il prenait sa douche.”

“Et, renchérit Dette, une autre de ses filles, quand on sentait leur nourriture brûler, on se doutait que les garçons étaient en train d’étudier.” C’est pourquoi Oma a commencé à leur fournir de la nourriture à emporter. Elle rit de bon cœur et clôt le récit en ajoutant: “J’attachais une casserole de nourriture à un manche à balai que j’accrochais à ma fenêtre du premier étage. Puis Burt tendait ses longs bras et saisissait la casserole; le repas était prêt.”

Les frères ont été très attristés lorsque Francis a contracté la filariose, une redoutable maladie tropicale. Malgré les poussées de fièvre et l’œdème énorme de sa jambe, Francis a prolongé son service missionnaire pendant plus de deux ans. Néanmoins, la maladie l’a finalement contraint à retourner au Canada. Frère Coleman a puissamment soutenu la congrégation. Grâce à son aide, l’état d’esprit de la congrégation s’est remarquablement amélioré, et le nombre des proclamateurs s’est élevé à 83.

Souvenirs de travailleurs appréciés

Comme le nombre des proclamateurs augmentait, Burt Simmonite a écrit à Brooklyn: “Ce serait merveilleux de franchir le cap des 100 proclamateurs cette année!” Et effectivement, en avril 1952 il y a eu un total de 109 proclamateurs, soit un accroissement de 30 %.

Faisons la connaissance de deux travailleurs appréciés à cette époque-​là: Hendrik Kerk et William Jack. Hendrik, un homme grand et fort avec un charmant sourire et un regard amical, avait été un chef de bande mieux connu de la police que de la bonne société. “Hendrik, sous son apparente dureté, était un homme plein de bonté”, se rappelle Burt. Il a accepté la vérité et a soutenu la congrégation de tout son cœur; quelque temps plus tard, il est devenu le premier pionnier spécial du pays.

Il y avait ensuite William, un travailleur septuagénaire dynamique et infatigable. Il vivait dans une misérable cabane et portait des vêtements rapiécés, mais propres. Il passait des heures dans sa pirogue et donnait le témoignage aux gens qui vivaient le long de la rivière. Quand il trouvait des personnes qui manifestaient de l’intérêt, son cœur fatigué ne l’empêchait pas de faire de longs voyages pour les revoir.

“Un matin très tôt, raconte Burt, nous avons pagayé contre le courant pendant des heures, afin de rendre visite à une famille qui s’intéressait au message. Nous sommes finalement arrivés à destination, et après nous être reposés un peu nous avons commencé à étudier aux environs de six heures de l’après-midi. Frère Jack a commencé l’étude avec le livre ‘La vérité vous affranchira’. Puis il a pris La Tour de Garde, et après cela, tandis que je somnolais, il a examiné une troisième publication. En raison de la distance, il ne pouvait rendre visite à cette famille que tous les quinze jours, mais il rachetait le temps. Le lendemain nous avons fait le chemin inverse. Nous avons passé de très bons moments.”

La tactique particulière du surveillant de la filiale

En décembre 1951 on nous a annoncé une bonne nouvelle: quatre autres missionnaires étaient nommés au Suriname. Il s’agissait de Shedrick et Wilma Poyner, Muriel Simmonite et Connie McConnell. Mais bientôt nous avons reçu une mauvaise nouvelle: le procureur général, sous l’influence des membres du clergé de la chrétienté établi dans la colonie, refusait de leur donner les visas d’entrée.

Le surveillant de la filiale lui a malgré tout rendu visite. Le procureur général a finalement déclaré: ‘Deux missionnaires peuvent venir. Choisissez les deux que vous voulez.’ Puisque la congrégation avait besoin d’un frère supplémentaire, frère Simmonite a opté pour les Poyner. ‘Demande acceptée.’ Mais le surveillant de la filiale n’en est pas resté là.

“Je lui ai alors signalé que Muriel Simmonite était ma sœur, rapporte Burt, et que j’espérais qu’il ne nous séparerait pas en l’empêchant d’entrer dans le pays.” Le procureur général aurait eu du mal à me refuser une telle chose. Une fois encore: ‘Demande acceptée.’ Mais il n’y avait pas moyen d’obtenir une autorisation pour Connie McConnell. On en était toujours à trois sur quatre. Burt, pourtant, ne perdait pas espoir. Il a simplement changé de tactique.

Il explique: “À travers les lettres que ma sœur m’envoyait lorsqu’elle était dans la province du Québec, au Canada, en compagnie de sœur McConnell, je suis arrivé à mieux connaître cette jeune personne. Plus tard, quand je l’ai rencontrée à l’assemblée de New York en 1953, nous nous sommes promis l’un à l’autre, et elle a ainsi obtenu l’autorisation d’entrer au Suriname puisqu’il était reconnu qu’elle était ma fiancée. Nous nous sommes mariés dans ce pays. Nous en étions finalement à quatre sur quatre, ce qui me procurait une profonde satisfaction et nous a bien fait rire.”

Débuts dans la campagne

Jusqu’ici les frères avaient concentré leurs efforts sur les villes de Paramaribo et Nickerie. Toutefois, en 1953, la vérité a pénétré dans le village de Meerzorg lorsque Leo Tuart s’est installé là.

Leo, alors âgé de 40 ans, a connu la vérité en 1944. Petit, plein de vie et coiffé de son éternel feutre marron, Leo travaillait comme docker dans le port de Paramaribo et avait la réputation d’être un homme honnête. Bien que très apprécié dans son village, Leo ne parvenait toujours pas à faire des disciples parmi les habitants du village. Cette situation a persisté jusqu’à ce que la filiale envoie quelqu’un de “l’équipe de choc”, et ce fut Hendrik Kerk.

En peu de temps Hendrik et Leo sont entrés en contact avec trois hommes, qui ont accepté une étude biblique. Grâce à l’esprit de Jéhovah et à l’attention soutenue de Hendrik, les trois hommes ont progressé et se sont fait baptiser. Ensemble avec Leo, ils étaient unis et formaient une merveilleuse équipe.

La coopération était également indispensable pour l’élaboration de leur nouveau projet: la construction d’une Salle du Royaume. Aucun d’entre eux n’avait d’argent, mais les trois nouveaux frères ont réservé des parcelles de leurs champs à la culture du riz et ont fait don de la somme qu’ils ont recueillie de leur récolte pour financer cette entreprise.

Frère Tuart, pourtant, n’avait pas de terre sur laquelle il pouvait planter du riz. Afin de participer à cette opération, il a emprunté 200 florins à la banque, qu’il rembourserait petit à petit avec une partie de son maigre salaire. Ces quatre frères d’humble condition ont atteint le but qu’ils s’étaient fixé et ont construit une coquette Salle du Royaume.

Alors qu’ils étaient à la moitié de la construction, ces frères ont interrompu leur travail pour assister à l’assemblée spéciale qui se tenait à Paramaribo. Lors de la soirée du lundi 18 janvier 1954, ils étaient parmi les 159 personnes présentes pour écouter les discours de frère Knorr et de frère Henschel.

“À l’assemblée, frère Knorr et frère Henschel ont déclaré qu’ils désiraient visiter la nouvelle salle, se remémore frère Leo Tuart, maintenant âgé de 77 ans. J’étais un peu inquiet, dit-​il en rajustant son feutre, mais cela n’en valait pas la peine. Les deux frères nous ont félicités pour le travail effectué. ‘Mais, a déclaré frère Knorr, ne coupez pas ce magnifique manguier devant la salle. Il vous donnera de l’ombre et de la fraîcheur.’ Nous avons suivi le conseil de frère Knorr; cet arbre est toujours là et nous donne de l’ombre, de la fraîcheur et des mangues.”

Plus loin dans la campagne

Pour faire face à l’accroissement, la filiale a été transférée dans une maison de trois étages dans la rue Zwartenhovenbrug. Un magasin de chaussures, qui s’appelait Fathma, occupait le rez-de-chaussée. Au premier étage il y avait la Salle du Royaume et la cuisine, au deuxième étage le bureau de la filiale et les chambres des missionnaires, et au dernier étage le stock des publications.

De cet endroit, Muriel Simmonite, alors âgée de 28 ans, allait prêcher jusqu’à Onverdacht et Paranam, des villages qui se situent à environ 30 kilomètres au sud de Paramaribo. “Tôt le matin, nous prenions gratuitement le car qui amenait les ouvriers dans les mines de bauxite, se rappelle Helen Voigt, qui accompagnait Muriel une fois par semaine. Nous prêchions donc aux personnes qui habitaient près des mines, mangions notre sandwich à midi, prêchions de nouveau et remontions dans le car avec les ouvriers. Fatiguées mais heureuses, nous arrivions chez nous vers six heures du soir.”

Avec le temps, Muriel est entrée en contact avec Rudie Pater, un homme svelte et calme qui a accepté la vérité. Mais Rudie désirait faire connaître la vérité plus loin et possédait un moyen de locomotion, une puissante Harley-Davidson.

Il se souvient: “Muriel se rendait de bonne heure à Paranam et prêchait toute la journée. Puis, dans la soirée, j’allais en moto à Paranam rejoindre Muriel et nous dirigions d’autres études bibliques. Aux environs de minuit, Muriel montait à l’arrière de l’Harley et nous repartions chez nous en faisant vrombir la moto.”

Mariage ou voiture?

Les réactions dans ces villages étaient si prometteuses que Rudie a songé à acheter une voiture afin que davantage de proclamateurs puissent s’y rendre. “J’avais quelques économies, déclare Rudie, mais j’avais besoin de cet argent pour couvrir les dépenses qu’entraînerait mon mariage qui était imminent. J’en ai donc parlé à Mary, ma fiancée, qui étudiait aussi la Bible; elle a été d’accord pour reporter la date du mariage. Alors j’ai acheté une Hillman, une marque anglaise, et à partir de ce jour-​là nous avons prêché à cinq dans les villages.” Les résultats? En 1954 il y avait des groupes d’étude à Paranam, à Onverdacht et à trois autres endroits en dehors de la ville.

À propos, le mariage a bien eu lieu. Aujourd’hui frère et sœur Pater sont des proclamateurs très appréciés à Paramaribo.

Changement de surveillant

À la fin de l’année 1954, il y a eu plusieurs changements. Shedrick et Wilma Poyner, des missionnaires efficaces, ont quitté le pays. Max et Althea Garey sont allés à Curaçao, où ils ont servi dix autres années comme missionnaires avant de retourner aux États-Unis. Les premiers pionniers spéciaux autochtones, Hendrik Kerk et Melie Dikmoet, la fille du cordonnier Julian Dikmoet, ont été affectés dans de nouveaux territoires. Enfin, la femme de Burt Simmonite, Connie, attendait un bébé; il était donc nécessaire de nommer un autre missionnaire susceptible de remplacer en temps voulu frère Simmonite, en qualité de surveillant de filiale.

Ainsi, en novembre 1954, Burt a transmis la surveillance de la filiale à Dirk Stegenga, un missionnaire hollandais, timide, âgé de 22 ans. Inutile de dire qu’il a fallu un certain temps à frère Stegenga pour s’y retrouver.

Les débuts d’un missionnaire

“Deux jours après mon arrivée, se souvient Dirk, maintenant âgé de 57 ans, Burt et Connie sont partis dans la circonscription et Muriel était en voyage. Je me retrouvais donc seul et inquiet, là dans cette grande maison.”

Puis, au moment où Dirk commençait à s’endormir, un bruit perçant a retenti dans sa chambre. C’était le sifflement d’un train à vapeur qui franchissait une longue courbe près de la maison. Lorsque le train a repris de la vitesse, tout le vacarme de la rue a été couvert par le bruit de la locomotive. Une fumée noire ainsi que de grandes étincelles ont envahi la rue, la maison et la chambre de Dirk. “Ensuite, poursuit-​il, j’ai regardé bouche bée les étincelles qui sautillaient et atterrissaient sur les chemises 100 % nylon que j’avais ramenées de New York, les brûlant un peu partout et y faisant beaucoup de trous. J’étais vraiment malheureux.”

Les jours suivants, il y a eu davantage de chaleur, de bruit, de fumée, d’étincelles et de trous à ses chemises. “À ce moment-​là, pour couronner le tout, ajoute Dirk, j’ai aperçu de gros rats dans la cuisine. Cette fois-​ci je n’en pouvais plus.” Heureusement, Helen Voigt a eu pitié de ce missionnaire solitaire et lui a fait sentir qu’il était le bienvenu en lui préparant à manger. “Helen, déclare Dirk plein de reconnaissance, était une mère pour moi.”

Toutefois, après le retour des autres missionnaires, Dirk n’a pas tardé à se sentir à l’aise, et, guidé par Burt, il s’est attelé au travail.

Quelques mois plus tard, Dirk et Burt ont tourné leur attention sur un territoire difficile: la forêt tropicale où l’on n’avait jamais prêché. ‘Saurons-​nous nous faire accepter?’ se sont-​ils demandé. Pour le savoir, en septembre 1955 ils ont fait leurs valises, sont montés dans le train à vapeur et ont pénétré dans la forêt épaisse. Un épisode passionnant de la prédication du Royaume commençait.

Des correspondants de Réveillez-vous! en territoire hostile

Jusqu’ici, aucun des habitants de la forêt tropicale, des Amérindiens et des Bosnegers, n’avait accepté la vérité. Quelques Bosnegers, cependant, avaient entendu pour la première fois le message du Royaume en 1947 lorsque des frères avaient prononcé des discours dans une caserne où les Bosnegers logeaient pendant qu’ils séjournaient dans la capitale.

De plus, en 1950, deux frères étaient allés à Gansé, un village de 1 300 Bosnegers sur les rives du Surinam. Mais, là-bas, le pasteur des Frères Moraves s’était écrié: “Deux faux prophètes vendent des livres.” Puis, juste après que les frères eurent laissé quatre livres à un homme assez âgé habitant dans une hutte, des centaines de fidèles endoctrinés avaient poursuivi les Témoins jusqu’au fleuve. Les frères étaient rapidement montés dans leur canoë et n’avaient pas cessé de pagayer, échappant de justesse au lynchage.

Or, cinq années plus tard, Burt et Dirk avaient tous les deux présent à l’esprit cet événement, tandis que le train entrait à Kabel, la dernière station. Il leur fallait pagayer pendant deux heures encore pour arriver à destination de Gansé. Comment seraient-​ils accueillis cette fois-​ci? Pour prévenir les réactions hostiles, la filiale avait écrit au chef du village pour lui demander d’autoriser deux correspondants de Réveillez-vous! à visiter Gansé afin d’obtenir des renseignements pour écrire un article sur les Bosnegers. Le chef a répondu que les correspondants seraient les bienvenus.

Ce jour-​là, lorsque Burt et Dirk sont arrivés à Gansé en canoë, le chef et ses adjoints étaient là pour les accueillir. “Nous avons été reçus comme des rois, raconte Dirk. Ils nous ont montré notre logement, l’une des plus jolies maisons du village, puis ils nous ont conduits à la rivière et se sont poliment retournés jusqu’à ce que nous ayons fini de nous laver. Ensuite, nous avons fait plus ample connaissance avec eux, tandis que Burt, qui parlait le sranan tongo, menait la plus grande partie de la discussion.”

Le lendemain, pendant qu’ils visitaient le village, les frères ont donné le témoignage avec prudence à plusieurs habitants du village. Quelques jours plus tard, le dimanche matin de bonne heure, ils ont quitté le village pour Kabel. Là, ils ont réservé une chambre dans une pension de famille et ont pris le train le lendemain *.

En canoë, à la recherche des missionnaires

Cependant, quelques heures après que les missionnaires eurent quitté Gansé, un Bosneger de 18 ans, Frederik Wachter, est arrivé dans le village. Des amis lui ont fait part de la venue de deux hommes blancs de grande taille qui étaient, croyaient-​ils, Témoins de Jéhovah. Frederik était vraiment déçu. Pendant un an il avait été à la recherche des Témoins, et voilà qu’ils étaient venus au village et repartis! Mais lorsqu’il a appris que les missionnaires ne s’en iraient par le train que le lendemain, Frederik a dit: “Il faut que je les rattrape avant que le train ne parte.” Y arriverait-​il?

Le lundi matin, lorsque les missionnaires se sont réveillés, ils ont remarqué qu’un Bosneger de petite taille et timide attendait dehors. “Avez-​vous prêché dans mon village?” a demandé Frederik. “Oui, ont répondu les missionnaires étonnés. Pourquoi nous demandez-​vous cela?”

“J’ai raté votre visite, mais je suis venu vous voir pour en savoir plus sur vos enseignements.” Les missionnaires se sont assis avec Frederik et ont répondu à ses questions concernant le sabbat, le baptême, le Royaume, et à beaucoup d’autres; mais ils étaient curieux de savoir comment ce jeune homme intelligent avait appris à connaître Jéhovah. Voici l’histoire de Frederik:

En 1950, juste avant d’être chassés de Gansé, les deux frères avaient proposé quatre livres à l’oncle de Frederik, qui les avait acceptés. Quatre ans après, Frederik a découvert ces livres, les a lus et a appris quelle est la véritable condition des morts. À partir de ce moment, il a refusé de suivre les cérémonies superstitieuses de la tribu. Il a également quitté l’Église des Frères Moraves et désirait ardemment rencontrer un jour les Témoins de Jéhovah.

Ce lundi matin, son désir est devenu réalité. Mais déjà le train entrait en gare. Les missionnaires ont quitté Frederik en lui donnant le livre “Que Dieu soit reconnu pour vrai!” ainsi qu’une invitation pour visiter la filiale lorsqu’il se rendrait dans la capitale, ce que Frederik a promis de faire.

Le premier Témoin bosneger

Le mois suivant, en octobre, un jeune homme, pieds nus, frappait à la porte de la maison de missionnaires. Dirk Stegenga se rappelle: “Frederik avait lu le livre ‘Que Dieu soit reconnu pour vrai!’, retenant chaque détail, et il avait compris que c’était la vérité. Tous les jours, pendant deux semaines, il est venu à la maison de missionnaires pour étudier. Mais jusqu’ici il n’assistait pas aux réunions. Nous ne savions que penser.”

“Un jour, après que nous l’avons invité à nouveau, poursuit Dirk, Frederik a baissé les yeux et a marmonné: ‘Je n’ai pas de chaussures.’ Il était gêné de venir ainsi. Mais nous ne voulions pas faire de lui un ‘chrétien assisté’ en lui donnant des chaussures. Au lieu de cela, je lui ai dit: ‘Nous allons projeter un film. Il fera donc noir. Personne ne verra que vous n’avez pas de chaussures.’ Comme nous nous sommes réjouis ce soir-​là de remarquer Frederik parmi l’assistance!” De son côté, il fut heureux d’apprendre par ce film, ‘La Société du Monde Nouveau en action’, que des milliers d’Africains servaient joyeusement Jéhovah — et sans chaussures!

Deux semaines plus tard, Frederik rentrait chez lui avec un autre désir: assister à l’Assemblée du “Royaume triomphant” en décembre de la même année. Il travaillait jour après jour afin d’économiser de l’argent pour faire ce voyage. Le 11 décembre, il s’est fait baptiser. Quelle joie cela a été, ce jour-​là, de souhaiter la bienvenue à notre premier frère bosneger! Frère Wachter a une excellente mémoire des passages bibliques, et il l’utilise d’une bonne manière puisqu’il sert maintenant comme pionnier spécial. “Le cas de Frederik, résume Dirk, m’a rappelé que nous ne sommes que d’humbles instruments entre les mains de Jéhovah. Après tout, nous n’avions pas trouvé Frederik; c’est lui qui nous avait trouvés.”

Le film de la Société influence la décision du gouvernement

Au début de cette année-​là, le film qui avait aidé frère Wachter a été utilisé d’une autre façon encore. Comment cela? Eh bien, quand la filiale a appris que deux nouveaux missionnaires avaient été affectés au Suriname, elle a fait une demande pour obtenir des visas, mais le procureur général, un protestant convaincu, les lui a refusés. Cependant, lorsque ce dernier est parti en vacances, une entrevue a rapidement été ménagée avec le ministre de la Justice et de la Police, qui, lui, était musulman. Allait-​on réussir à le persuader? Dirk raconte:

“Après m’avoir écouté, le ministre a sorti un dossier contenant des périodiques La Tour de Garde qui avaient été soulignés. Il a lu dans l’un des périodiques que les Témoins de Jéhovah ne soutiennent pas les plans quinquennaux du monde. ‘Le Suriname a un plan quinquennal, a-​t-​il dit, et nous ne voulons pas d’une religion qui s’oppose à notre plan.’”

Le surveillant de filiale a alors expliqué notre point de vue sur l’obéissance aux gouvernements, ce qui a paru satisfaire le ministre. En fait, c’était le clergé de la chrétienté le véritable obstacle à l’obtention des visas. “Comme ce ministre était musulman, poursuit Dirk, je lui ai dit que la chrétienté ne nous aimait pas parce que nous ne croyons pas à la Trinité. Comme les musulmans, nous croyons en un seul Dieu. Le ministre a trouvé cela intéressant; il est devenu plus compréhensif et a promis de nous aider.”

Les semaines ont passé, sans aucune réponse. Puis le docteur Louis Voigt, qui est devenu Témoin par la suite, a suggéré: “Puisque le ministre et le procureur général remplaçant sont mes patients, je vais les inviter chez moi, eux et leurs femmes. Et vous, les missionnaires, vous viendrez aussi pour projeter le film de la Société. Peut-être cela fera-​t-​il tomber les préjugés.”

Les représentants du gouvernement ont effectivement regardé le film et ont été impressionnés. “Deux semaines plus tard, raconte Dirk, nous avions les visas.” Les missionnaires Willem (Wim) et Grietje (Gré) van Seijl étaient en route.

Un accueil glacial

Le 7 décembre 1955, le procureur général, revenu de vacances et fort en colère, attendait avec impatience que le Cottica, un vieux bateau, se mette à quai. Quand Wim et Gré van Seijl ont débarqué, il les a alors convoqués. “Le procureur général nous regardait comme si nous étions des criminels, se rappelle Wim. Il a déclaré: ‘Vous ne pouvez accomplir votre activité que dans Paramaribo. Si vous évangélisez à un pas au dehors de la ville, vous serez expulsés!’ Puis il nous a tendu un document qui spécifiait ces restrictions, et on nous a autorisés à partir.” “C’était un accueil très chaleureux”, dit frère van Seijl en plaisantant.

Néanmoins, les deux missionnaires se sont révélés être d’une très grande aide pour la congrégation. En effet, avant de venir au Suriname, ils avaient déjà fait un bon travail dans le service. Ils ont tous les deux connu la vérité pendant l’occupation nazie aux Pays-Bas; ils se sont fait baptiser en 1945. Plus tard, ils ont acquis de l’expérience dans le service de la circonscription.

Grâce à l’aide supplémentaire qu’ils ont apportée, il y a eu de l’accroissement. En février 1956, la filiale a écrit: “Nous scindons la congrégation.” En avril: “Nous y sommes arrivés! Nous avons enregistré un accroissement de 47 %.” Et en juin: “Nous avons atteint les 200 proclamateurs!” La filiale concluait: “Quelles perspectives réjouissantes!”

Quant à frère et sœur Simmonite, qui avaient maintenant un bébé, Candy, ils se sont installés l’année suivante dans une plantation de cocotiers en Coronie, pour y servir comme pionniers spéciaux. Mais, plus tard, en 1957, la santé fragile de Burt les a obligés à retourner au Canada. Pendant ces huit années passées au Suriname, il avait donné son cœur et son âme. Grâce à la bénédiction de Jéhovah, Burt avait pour ainsi dire fait passer la congrégation de l’instabilité de l’enfance au sérieux d’une jeunesse responsable. Ce n’était pas une mince affaire! Aujourd’hui, la famille Simmonite apporte son aide à l’expansion des intérêts du Royaume au Guatemala.

Un acte de foi d’une sœur dans le besoin

En 1955, après une réunion dans la Salle du Royaume délabrée au-dessus du magasin de chaussures, Stella Daulat retournait chez elle, plongée dans ses pensées. Quand elle est entrée dans sa petite maison entourée de manguiers et de cainitiers, elle était décidée. ‘Je vais offrir une parcelle de terre à la congrégation pour qu’elle ait un endroit où construire une meilleure salle.’ Elle en a discuté avec sa mère, qui était aussi Témoin, et elles ont toutes les deux décidé de ‘donner le terrain gratuitement’. Comme Stella n’avait nulle part où aller, elle a seulement demandé si sa maison pouvait être déplacée au fond du terrain. “Pas de problème, ont dit les frères. Nous la déplacerons.”

Pourtant, la propriété de sœur Daulat était un héritage de son arrière-grand-mère, qui l’avait elle-​même reçue en 1863 quand elle avait été affranchie de l’esclavage. Elle lui fournissait plus qu’un logement. La vente des fruits de ses arbres lui faisait une petite rentrée d’argent. Ainsi, donner sa propriété signifiait donner son gagne-pain. “La décision de Stella, dit un frère avec admiration, était un acte de foi.”

Les frères ont accepté ce don avec reconnaissance. Mais il manquait les fonds pour pouvoir construire. Toutefois, quelques mois plus tard, ils n’avaient plus le choix. Pourquoi? En décembre 1955, alors que plus de cent personnes étaient assises dans la vieille Salle du Royaume, le bâtiment a commencé à trembler. L’édifice ne pourrait plus supporter tant de monde bien longtemps. “Nous étions inquiets, se rappelle Wim van Seijl. C’était comme si le plancher était près de s’effondrer et nous allions tous atterrir au milieu des chaussures à l’étage au-dessous.” À la fin de la réunion, on a prié ceux qui étaient assis au premier rang de se lever et de descendre les escaliers pendant que les autres resteraient assis. Puis la rangée suivante de frères sortirait et ainsi de suite, jusqu’à ce que la salle soit vide. “Ce jour-​là, ajoute Wim, nous avons tranché; et nous nous sommes dit: ‘Argent ou pas, construisons une autre salle.’”

Une nouvelle salle annonce une ère nouvelle

Willem Telgt, baptisé en 1919, dirigeait les travaux. “Ce n’est pas la peine de faire sortir tes meubles, a-​t-​il dit à Stella. Nous allons déplacer ta maison telle qu’elle est.” Les passants regardaient les frères soulever la maison fragile sur des rondins et la faire rouler au fond du terrain. “Est-​ce que ma fenêtre peut donner sur la rue? a demandé Stella; j’aurai ainsi une meilleure vue.” Pas de problème. On a fait faire un quart de tour à sa maison. Plus tard, Stella est entrée chez elle, a ajusté les tableaux accrochés au mur et a placé une chaise devant sa fenêtre: elle était prête à regarder l’équipe de construction au travail. Qu’a-​t-​elle vu?

Tout d’abord, les frères ont déraciné les arbres. Puis ils ont posé les fondations et ont construit des murs en béton épais et solides. Mais ensuite les fonds sont venus à manquer. La Société a toutefois accordé un prêt, et on a pu continuer la construction. Six mois plus tard, et avec l’équivalent de 50 000 francs français, une salle d’une capacité de 200 places assises était achevée. On avait prévu l’inauguration pour le 13 janvier 1957.

Pendant la construction, des proclamateurs ont fait cette remarque: “Cette salle nous servira jusqu’à Har-Maguédon.” Mais après l’inauguration, ils n’en étaient plus sûrs, car on a compté 899 assistants dans la salle, sur les rebords des fenêtres et à l’extérieur! Ils avaient apprécié le programme, qui comprenait des discours et une projection de diapositives, avec la participation d’une excellente chorale composée uniquement de Témoins. Les frères, heureux, sont rentrés chez eux ce soir-​là avec le sentiment qu’une nouvelle ère d’expansion commençait à Paramaribo.

Un voisin charmeur de serpent

Finalement, les missionnaires ont dû déménager dans des locaux plus accueillants, car leur maison n’abritait plus seulement des rats, mais aussi des serpents. Comment étaient-​ils venus là? Un sorcier, qui pratiquait le démonisme à l’aide de tapijtslangen (boas constricteurs), vivait avec ses serpents dans l’arrière-cour de la maison de missionnaires. Parfois les boas de deux mètres de long s’échappaient de leurs paniers et rampaient jusqu’au garage à vélos de la maison. “Quand Gré et Muriel allaient prendre leurs bicyclettes, raconte Wim van Seijl, elles se trouvaient nez à nez avec les boas qui se balançaient au plafond.” Gré ajoute: “Ces serpents glissaient même jusqu’à l’escalier menant à la cuisine.”

Rien d’étonnant que les missionnaires n’aient pas eu de regrets lorsque les bureaux de la filiale et la maison de missionnaires ont été transférés dans la rue Weide!

Au revoir et bon voyage

En 1958, après le départ de Muriel Simmonite, la famille des missionnaires a été réduite à quatre membres. Cette sœur travailleuse avait aidé beaucoup de personnes à accepter la vérité. Après son mariage avec Walter Klinck, missionnaire lui aussi et alors surveillant de filiale au Liberia, elle a enduré de durs traitements dans ce pays à cause de la vérité. La maladie les a forcés, elle et son mari, à retourner aux États-Unis. Aujourd’hui, Muriel accompagne son mari dans le service de la circonscription.

En 1958 également, on a souhaité un bon voyage à Max Rijts, âgé de 25 ans, le premier pionnier local à aller à l’École de Galaad. Max, qui avait connu la vérité grâce à Burt alors qu’il était professeur en Coronie, était un frère réfléchi. Il a fait partie de la 32classe de Galaad et est revenu au Suriname. Et quel travail l’attendait!

Des habitants de la forêt tropicale implorent de l’aide

Fraîchement arrivé de Galaad, Max a reçu une affectation qui demandait beaucoup d’endurance: trouver les personnes qui manifestaient de l’intérêt pour la vérité le long des rivières dans la forêt tropicale. Quelques semaines après le premier voyage de Max, la filiale a reçu une lettre d’un village bosneger: ‘Merci de m’avoir fait la joie de m’envoyer frère Rijts pour me faire connaître l’évangile, écrivait un membre de la tribu. J’essaie de prêcher la bonne nouvelle de maison en maison. Je veux en apprendre davantage, et je ne suis pas le seul.’ Le message était retentissant et clair: “Nous sommes pleins de bonne volonté, mais nous avons besoin d’aide!”

La circonscription a prêté son concours et a acheté un petit bateau avec un moteur de dix chevaux. L’équipage, composé de trois hommes, a remonté le Surinam. Les frères avaient une double mission: prêcher dans tous les villages et repérer un endroit pour y faire venir des pionniers spéciaux.

Après avoir pénétré à l’intérieur des terres sur 100 kilomètres, les frères ont découvert avec surprise un village qui ne figurait pas sur la carte. Ils ont appris que 800 Bosnegers de tous les coins de la forêt tropicale s’étaient temporairement installés là pour travailler à la construction d’une usine hydro-électrique et d’un barrage. Les frères ont réalisé qu’ils avaient fait une découverte d’une grande portée. Ce village, Suralcokondre, offrait une possibilité extraordinaire, celle de prêcher à des membres de nombreuses tribus différentes — Saramaccas, Aucas, Matuaris, Alukus, Paramaccas et Kwintis — tous en un seul endroit! Sans aucun doute possible, c’était là qu’il fallait envoyer les pionniers spéciaux.

Deux mois plus tard, le bateau était de retour. La cargaison comportait des publications, des sacs de riz, des ustensiles de cuisine et des hamacs, ce qui indiquait que l’équipage, Max Rijts et Frederic Wachter, avait l’intention de s’installer. Comme il n’y avait pas de chef de village ni de prêtre pour s’opposer à eux, 20 Bosnegers de différentes tribus n’ont pas tardé à étudier la Bible avec les Gado Wortu sma (les gens de la Parole de Dieu), comme les villageois appelaient les frères. Plus tard, on a organisé des réunions, et l’année suivante Suralcokondre est devenue la première congrégation de la forêt tropicale.

Puis, quand le barrage a été achevé, vers la fin de 1963, les Bosnegers de Suralcokondre sont retournés dans leurs villages d’origine. Néanmoins, vingt et un d’entre eux ont ramené quelque chose de précieux: la connaissance exacte de Jéhovah Dieu. Ainsi, la vérité a pénétré dans plusieurs villages de la forêt tropicale. “C’est sous la direction de Jéhovah que nous avons découvert Suralcokondre”, conclut frère Rijts.

“Jéhovah les fait venir”

Pareillement, la direction de Jéhovah était évidente dans ce qui s’est passé le long d’un autre fleuve, le Saramacca. Un matin, vers la fin de 1960, Seedo, un Bosneger qui craignait Dieu, pagayait en direction de l’église. Des années auparavant, il avait quitté l’animisme pour être baptisé morave; il avait déménagé pour se rapprocher de l’église et essayer de servir Dieu d’une meilleure façon.

Comme il approchait de l’église, il a entendu un tumulte. Il a alors vu des tables chargées de marchandises devant l’édifice. Il se trouvait en plein milieu d’une vente de charité. Il s’est rappelé le récit biblique qui disait que Jésus avait chassé les marchands du temple et il s’est demandé: “Comment peut-​il y avoir un marché ici?” Dégoûté, il a fait demi-tour, puis est rentré chez lui. Il a dit à sa compagne: “Plus jamais je ne retournerai à l’église.”

Cependant, son désir de servir Dieu n’avait pas faibli. Ainsi, quand une de ses connaissances lui a parlé des Témoins, son intérêt a été immédiatement éveillé. ‘Ce sont peut-être de vrais chrétiens’, a-​t-​il pensé. Et il a décidé de se renseigner. En janvier 1961, Seedo et son amie, Baya Misdyan, sont allés jusqu’à la capitale; ils se sont rendus au stade de football, où se déroulait l’assemblée. Plus d’une personne s’est retournée.

“‘Des Bosnegers’, avons-​nous laissé échapper quand nous les avons vus”, se rappelle Natalie Hoyt Stegenga, qui avait été missionnaire en Uruguay avant d’épouser Dirk. “C’était sensationnel.” Jusque-​là Frederik Wachter était le seul frère bosneger, et maintenant deux autres arrivaient, comme tombés du ciel. Sœur Stegenga ajoute: “Nous disions entre nous: ‘Jéhovah les fait venir. Ils arrivent.’” C’était le cas pour Seedo et Baya. Après avoir appris les exigences de Jéhovah, ils ont fait légaliser leur mariage, se sont fait baptiser et sont devenus des prédicateurs zélés le long du Saramacca.

Pendant ce temps, d’autres pionniers ont aussi trouvé de l’intérêt pour la vérité le long du fleuve le plus à l’est du pays, le Maroni. Ainsi, au début des années 60, la vérité a pris racine le long de trois rivières. Le terrain avait été préparé pour aller de l’avant dans la forêt tropicale.

Première publication en sranan tongo

De nombreux Bosnegers qui ont accepté la vérité durant ces années se souviennent de Philie Slagtand. Philie avait été une militante politique zélée, mais était devenue Témoin; bien que souffrant de la filariose, maladie qui faisait enfler l’une de ses jambes, elle a traduit patiemment la brochure “Cette bonne nouvelle du Royaume” en sranan tongo, la première publication de la Société dans la langue locale. Plus tard, sœur Slagtand a traduit d’autres publications en sranan tongo. Finalement, on a dû l’amputer d’une jambe à cause de sa maladie, et elle est retournée aux Pays-Bas. “Maintenant, chaque fois que je vais aux Pays-Bas, dit un ancien, des frères bosnegers me remettent des lettres pour elle. Ils n’ont pas oublié le travail plein d’amour de leur première traductrice.”

Des milliers de personnes touchées dans les campagnes

Au début des années 60, on a utilisé d’autres instruments pour prêcher le Royaume. À l’assemblée de 1961, Milton Henschel a annoncé la parution du livre Du paradis perdu au paradis reconquis en néerlandais. Huit mois plus tard, 3 800 exemplaires de cet ouvrage avaient été distribués.

Durant la même semaine, la radio nationale Apinti a interviewé frère Henschel. Après l’interview, frère Henschel a demandé la permission de préparer des émissions radiodiffusées régulières. Le propriétaire de la station a donné son accord et, depuis près de trente ans, une émission de 15 minutes intitulée “Ce à quoi pensent les gens” passe chaque semaine sur les ondes, propageant la vérité biblique.

En plus de la radio, on a aussi largement utilisé les films de la Société, quoique les projeter fût toute une entreprise. “D’une façon ou d’une autre, j’attachais sur ma moto le projecteur, des cartons de bandes et un générateur, raconte un pionnier, et j’allais dans les campagnes. Les films attiraient des centaines de villageois, et des milliers de moustiques.” En 1961, 30 000 personnes avaient entendu le message du Royaume par l’intermédiaire de ces films. On avait en quelque sorte labouré la bonne terre et semé les graines. C’était maintenant le moment d’envoyer des ouvriers pour arroser les graines de vérité. Mais qui?

De jeunes pionniers déterminés

Prévoyant le besoin de pionniers prêts à prêcher dans les territoires ruraux, Dirk Stegenga et Wim van Seijl ont réuni une douzaine de jeunes gens. Jusuf Sleman, alors âgé de 20 ans, se souvient: “Une fois par semaine, Dirk et Wim discutaient avec nous des doctrines bibliques, des objections soulevées dans le ministère du champ et des problèmes que nous rencontrerions. Après cette préparation, nous savions exactement ce qu’on attendait de nous. Il nous fallait nous lancer et faire un véritable travail de pionnier.” Ils sont donc partis vers leurs nouvelles affectations par tous les moyens possibles: à pied, en autobus, à bicyclette, en pirogue.

Paul Naarendorp, un frère capable qui n’avait pourtant guère plus de 20 ans, a toujours en mémoire ses déplacements en moto. “J’avais entre les jambes un lit de camp, et à l’arrière ma valise, une sacoche contenant des publications et d’autres affaires. Mais, lorsque je me suis marié en 1963, mon chargement a doublé; désormais, j’avais deux lits de camp, une valise plus grande, deux sacoches pour la prédication et, bien évidemment, ma femme!” Il ajoute: “C’était vraiment de bons moments.”

Hille de Vries, âgée de 23 ans, ainsi que sa sœur de 19 ans, Loes, ont été envoyées dans un village situé dans le nord-ouest du Suriname. “Avec notre allocation mensuelle de 45 florins (environ 150 francs), nous avons loué une maison pour 15 florins, se souvient Hille. Pas d’eau courante, pas d’électricité! Nous utilisions l’eau des fossés pour nous laver et l’eau de pluie pour boire.”

Loes se rappelle: “Nous n’avions pas d’argent pour acheter suffisamment de pétrole, c’est pourquoi nous allumions la lampe seulement pendant les réunions. Les autres soirs nous étions dans l’obscurité. Néanmoins, nous avons toujours réussi à joindre les deux bouts du fait que nous laissions les publications en échange de nourriture. Malgré ces épreuves, nous étions heureuses.”

Y a-​t-​il des serpents ici?

Les événements vécus par ces jeunes pionniers sont nombreux, mais les visites qu’ils rendaient aux proclamateurs isolés étaient des moments dont ils se souviennent avec émotion. Accompagnons Paul Naarendorp dans un de ses périples avec Richenel Linger, un modeste pêcheur d’une soixantaine d’années qui vivait dans une hutte près de la côte atlantique.

Bien qu’habituellement seul, frère Linger faisait chaque semaine une tournée de prédication. Ce jour-​là, Paul l’accompagnait. Ils sont partis à 3 heures du matin et ont pagayé contre le courant pendant 3 heures pour atteindre un village amérindien où ils ont prêché toute la journée. De retour chez eux, le soir vers 19 heures, ils n’ont pris leur premier repas chaud de la journée qu’environ deux heures plus tard. Ils l’ont apprécié.

Mais Paul, citadin dans l’âme, était inquiet: “Y a-​t-​il des serpents ici?” demanda-​t-​il. “Eh bien, quelques-uns, répondit frère Linger sans sourciller; en général des sakasnekis [des serpents à sonnettes].” Paul s’exclama, le souffle coupé: “La morsure de ce serpent est mortelle!” “La semaine dernière il y en avait un, continua frère Linger tout en fixant des yeux le toit de chaume juste au-dessus de la tête de Paul. Je mangeais quand je l’ai vu. Je me suis dit: ‘Ne bouge surtout pas, je vais te donner une leçon.’ Après avoir fini de manger et avoir fait la vaisselle, je l’ai tué avec un coutelas. Il était grand comme ça”, a-​t-​il ajouté en écartant les mains d’un mètre vingt. Paul en a perdu à nouveau la respiration.

Toutefois, frère Linger n’avait pas l’intention d’effrayer son visiteur. Pour lui, c’était une simple réalité de la vie. “Cette nuit-​là, se rappelle Paul, je me suis recroquevillé et me suis mis la tête sous la couverture, et j’ai longuement prié Jéhovah avant de m’endormir.”

En vérité, un grand nombre de ces jeunes pionniers des années 60 ont mûri grâce à ces expériences et, aujourd’hui, ce sont des piliers dans les congrégations.

Un étudiant passionné s’installe

Un autre pionnier de cette époque, Cecyl Pinas, âgé de 19 ans, prêchait inlassablement à Wageningen, un village situé à environ 190 kilomètres à l’ouest de la capitale. Il y a rencontré Adolf (Jef) Gefferie, un mécanicien de 21 ans, qui a été attentif au message et a immédiatement accepté la vérité avec enthousiasme.

Les études bibliques avec Jef duraient trois ou quatre heures. Après une étude, Cecyl et son compagnon ont dit: “Jef, nous sommes fatigués. Nous rentrons chez nous.” Jef a répondu: “Je fais la moitié du chemin avec vous.” Les pionniers se sont arrêtés à mi-chemin comme convenu, mais Jef a continué de poser des questions sur la Bible. Ils ont poursuivi leur chemin toujours accompagnés de Jef. Arrivés chez eux, les pionniers ont dit: “Bonne nuit, Jef.” Mais Jef s’est remis à les questionner. “Écoute, Jef, dit Cecyl, tu peux encore poser des questions, mais moi je vais me coucher. Lorsque je ne te répondrai plus, c’est que je me serai endormi.” “Quelle bonne idée!” a pensé Jef. Il s’est allongé sur le sol, et la discussion a continué jusqu’à ce que Cecyl ne réponde plus.

Le lendemain, Jef a apporté ses effets personnels chez les pionniers. “Avant que nous ayons réalisé, dit Cecyl en riant, il s’était déjà installé chez nous. Nous avons utilisé chaque instant libre pour étudier. Trois mois plus tard, Jef était baptisé, et deux ans après il devenait pionnier spécial.”

D’une pelle mécanique à une nouvelle Salle du Royaume

Jef le passionné, un des trois mécaniciens à Wageningen, a découvert une pelle mécanique abandonnée et a proposé: “Achetons-​la, réparons-​la et vendons-​la; puis utilisons l’argent de la vente pour construire une Salle du Royaume.” Les propriétaires nous ont dit: “Cet engin ne peut être réparé. Ce n’est qu’un tas de ferraille tout rouillé. Prenez-​le.”

Après avoir enlevé les mauvaises herbes aussi hautes qu’un homme, les frères ont trouvé l’épave en pièces détachées. Ensuite, ils ont acheté les pièces manquantes et ont peu à peu réparé la pelle mécanique. Après deux ans de travail, le moment était venu d’essayer l’engin. “Nous étions impatients, raconte Jef. Un frère a fait démarrer le moteur, et il a marché! Nous avons crié de joie. La pelle mécanique s’est mise à avancer. Nous avons crié encore plus fort. Quel merveilleux moment!”

L’engin a été vendu 15 000 florins (environ 50 000 francs). Cet argent complété par un emprunt a été utilisé pour construire une Salle du Royaume et une maison pour les pionniers. Ainsi, le vrai culte a eu un autre centre dans les territoires ruraux.

Pendant des années, différents pionniers et missionnaires ont construit sur le fondement ainsi posé. Aujourd’hui, l’activité déployée par Riaan et Martha du Raan, originaires de Namibie, est très appréciée à Wageningen.

En 1963, frère Telgt, bien qu’âgé, a eu de nouveau la responsabilité d’un autre projet de construction: l’édification d’un bâtiment pour la filiale et d’une maison de missionnaires dans la capitale. Afin que les frères connaissent ce nouvel emplacement, une réunion a été organisée sur le terrain en friche du futur chantier. Le sol a été nivelé grâce au piétinement des centaines de personnes présentes ce jour-​là, ce qui l’a préparé pour la construction. Plus tard, une centaine de volontaires, dont beaucoup étaient des ouvriers à la retraite, ont participé aux travaux du début à la fin sur une période d’un an et demi. Il s’agissait d’un bâtiment d’un étage qui abritait des bureaux, une Salle du Royaume et des chambres pour les missionnaires. Depuis août 1964, la filiale occupe toujours ces locaux de Wichersstraat.

Le livre “Paradis” ouvre la voie

Une fois réalisé le projet concernant la filiale, les frères se sont consacrés à la prédication le long des trois fleuves, la Saramacca, le Surinam et le Tapanahoni. Nel Pinas, le frère de Cecyl, et Baya Misdyan se sont rendus chez les Bosnegers Aucanas qui vivent le long du Tapanahoni, un fleuve très éloigné, où jusqu’alors aucun Témoin n’était jamais allé. Pourtant, le message du Royaume y avait été entendu. Le livre Du paradis perdu au paradis reconquis avait préparé la voie. Comment cela?

En 1959, Nel Pinas avait commenté les images du livre à Edwina Apason, une femme aucana analphabète qu’il avait rencontrée à Albina, un village situé dans le nord-est du Suriname. Edwina avait beaucoup apprécié ce qu’elle avait appris, mais, après sept mois d’étude, elle était retournée sur le Tapanahoni où tout contact avait été rompu.

Huit ans plus tard, cependant, Nel a rencontré Edwina dans la capitale une semaine avant son voyage à destination du Tapanahoni. Elle lui a raconté qu’elle avait prêché pendant toute cette période dans sa tribu en utilisant les images du livre Paradis. Quand elle a appris que Nel allait se rendre sur le Tapanahoni, elle l’a supplié de contacter deux personnes intéressées par la vérité: Yabu, un jeune homme, et Tyoni, une jeune femme.

Un accueil chaleureux

Deux jours après avoir atteint le Tapanahoni, les frères ont trouvé Yawsa, le village de Yabu, mais celui-ci était absent. Cependant, le lendemain soir, Yabu a rendu visite aux frères. Il leur a raconté qu’il avait rompu avec le démonisme et voulait servir Dieu. Il s’est libéré de son travail pendant 5 jours et a étudié avec les frères huit heures par jour. Après cela, il a manifesté le désir de servir le vrai Dieu, Jéhovah.

Les frères se sont ensuite mis à la recherche de Tyoni, une jeune Bosneger de 20 ans qui prêchait déjà dans son village, Granbori, en montrant les images du livre Paradis. Malheureusement, son frère, un sorcier, lui avait confisqué le livre. Tyoni avait prié en pleurant: “Jéhovah, s’il te plaît, donne-​moi un autre livre Paradis.” Rien d’étonnant à ce que les deux frères se soient sentis poussés à la retrouver!

Un jour, Tyoni a entendu dire que des Témoins étaient arrivés dans un village tout proche. En toute hâte elle y est allée en canoë, mais les frères étaient déjà partis. Quelle déception! Cependant, les frères sont revenus plus tard et ont étudié avec elle pendant trois jours. Elle a expliqué que lorsqu’elle n’avait pas de quoi manger, sa famille lui proposait du gibier non saigné, mais elle avait toujours refusé. Son père l’a menacée de la battre si elle ne voulait pas abandonner ses croyances. Elle a ajouté: “Même s’ils menacent de me tuer, je ne céderai pas.” Quelle détermination de la part d’une jeune fille analphabète qui avait appris la vérité avec seulement des images! Touchés par sa foi, les frères lui ont donné leur dernier exemplaire du livre Paradis qu’elle a serré avec émotion contre elle. Au comble de sa joie, elle a remercié Jéhovah d’avoir si bien répondu à sa prière.

Deux mois après, les frères sont revenus à Paramaribo, mais quelque temps plus tard Nel et sa femme, Gerda, ont été nommés pionniers spéciaux sur les bords du Tapanahoni, et ils ont travaillé sur ce fondement dans la forêt tropicale.

Une aide supplémentaire venue de Galaad

Peu de temps après, en 1968, Roger et Gloria Verbrugge, arrivant du Canada, et Rolf et Margret Wiekhorst, d’Allemagne, tous diplômés de Galaad, sont venus grossir les rangs des missionnaires dont le nombre a doublé, passant de 4 à 8. Les nouveaux missionnaires se sont rapidement fait aimer des frères locaux grâce à leur personnalité chaleureuse et à l’intérêt sincère qu’ils portaient au bonheur des autres.

Peu de temps après, un autre diplômé de Galaad, Albert Suhr, est également arrivé à Paramaribo. Après avoir été diplômé de la 20classe de Galaad en 1953, Albert avait servi pendant 13 ans comme missionnaire à Curaçao jusqu’à ce que des crises d’épilepsie l’obligent à partir et à rejoindre sa famille au Suriname. Faisant peu de cas de sa maladie, il a repris son activité de pionnier jusqu’au moment où sa santé défaillante a nécessité son admission dans un hospice. Mais Albert n’était pas près d’abandonner la prédication du Royaume. Rendons-​lui une petite visite!

Le matin, il expose toute une série d’exemplaires de La Tour de Garde et de Réveillez-vous! dans la salle de détente. Ensuite, il recopie le texte du jour en gros caractères pour un voisin de 80 ans dont la vue est mauvaise, puis il distribue des périodiques aux pensionnaires et aux infirmières. À la fin de la journée, Albert s’installe confortablement pour faire son étude personnelle. “Ma mauvaise santé m’empêche de faire davantage, dit Albert, maintenant âgé de 68 ans, mais servir Jéhovah est toujours ce que mon cœur désire.” Modestement, il oublie de dire que, malgré son handicap, il a consacré 126 heures à la prédication durant l’un des derniers mois. “Des travailleurs discrets comme Albert, dit un missionnaire, nous rappellent ce qu’est vraiment la foi.”

L’“assemblée du déluge”

Le nombre des proclamateurs a oscillé autour de 500 pendant quelques années, puis il est passé à 550. Comment expliquer cette augmentation? Un rapport de la filiale fait remarquer: “L’assemblée internationale ‘Paix sur la terre’ a eu un effet stimulant sur l’activité.”

On se souvient de cette assemblée de 1970 comme de l’“assemblée du déluge”. Dans la nuit du 16 janvier, la pluie est tombée comme jamais depuis 1902 et a provoqué l’inondation de Paramaribo et de son stade, le lieu de l’assemblée. “Ce matin-​là, quand certains proclamateurs se sont réveillés, dans leur maison l’eau leur montait aux genoux”, se souvient Gré van Seijl. “Néanmoins, ils se sont rendus avec détermination à l’assemblée, dit l’un des organisateurs de celle-ci. Nous avons été ébahis de voir plus de 1 200 personnes patauger dans l’eau boueuse en direction du stade. Nous n’avions jamais vu une telle foule.”

Oh! ces autobus!

Des inondations n’ont lieu qu’occasionnellement, mais les pannes d’autobus, elles, sont un fait courant avant et après les assemblées. Un dimanche, vers la fin des années 60, 48 personnes attendaient un autobus de 30 places qui devait les ramener à Paramaribo, mais l’autobus n’est pas venu. “Nous avons cherché le conducteur, se rappelle Rolf Wiekhorst, et l’avons trouvé au milieu des pièces du moteur de l’autobus, éparpillées par centaines autour de lui. ‘Des ennuis avec la boîte de vitesses, a dit le chauffeur, mais je vais la réparer.’”

Quatre heures plus tard, nous nous sommes mis en route. Une odeur de brûlé pénétrait dans l’autobus. “Seule la quatrième vitesse marche”, expliqua le chauffeur. Il était plus de minuit lorsque l’autobus a dévalé une pente aboutissant à un minuscule bac. Mais comment monter la côte en quatrième? “Quel spectacle, raconte Rolf, de voir des jeunes, des personnes âgées et même des mères portant leurs bébés pousser l’autobus au rythme d’un cantique et du vrombissement du moteur! C’est ainsi que péniblement l’autobus atteignit le sommet de la colline. Nous sommes arrivés chez nous à 3 heures du matin.”

Une autre fois, la congrégation de Nickerie avait également loué un autobus pour se rendre à une assemblée. Le groupe est parti à 7 heures du matin, mais vers 10 heures l’autobus est tombé en panne sur une route non goudronnée et isolée. “Je reviens”, a promis le chauffeur alors qu’il partait. “Nous ne l’avons jamais revu”, précise Max Rijts, l’un des passagers. Quand l’eau et la nourriture sont venues à manquer, deux frères se sont mis en route le long d’un canal pour chercher de l’aide. Quinze heures plus tard, ils étaient de retour avec un bateau et le voyage a pu se poursuivre. À midi, le groupe est arrivé à l’assemblée après avoir parcouru 240 kilomètres en 30 heures! “Ah oui! ajoute Max en riant, sur l’autobus était écrit ‘Bienvenue’!”

Déterminés à rester

Les Stegenga ont quitté la maison de missionnaires en septembre 1970 parce que Natalie attendait un bébé. Dirk avait été un surveillant de filiale zélé pendant 16 années. Désormais, la surveillance de l’œuvre dans le pays serait confiée à un autre missionnaire, Wim van Seijl.

“Nous étions déterminés à rester, confie Dirk, mais cela n’était vraiment pas facile.” Natalie ajoute: “Nous avons trouvé un logement, mais nous n’avions pas assez d’argent pour payer la location. Nous ne possédions même pas un gant de toilette.” Par la suite, des amis les ont tirés d’embarras et Dirk a trouvé un emploi lui permettant de subvenir aux besoins de sa femme et de sa fille, Cheryl. Aujourd’hui, les Stegenga sont toujours au Suriname, tous les trois étant des ministres à plein temps.

L’émigration entraîne la création d’une congrégation et d’une école

Au début des années 70, des milliers de Bosnegers ont émigré vers la capitale à la recherche d’un emploi. “Certains d’entre eux, se souvient Margret Wiekhorst, ont démontré à quel point ils désiraient connaître la vérité en assistant aux réunions en néerlandais dans notre congrégation, alors qu’ils ne comprenaient pas cette langue.” Aussi, afin de les aider, Frederik Wachter faisait-​il un résumé des réunions dans leurs langues tribales. Plus tard, davantage de réunions ont été organisées dans leurs langues, et, en juin 1971, la première congrégation bosneger a été formée dans la capitale.

Deux sœurs bosnegers, qui avaient récemment appris à lire et à écrire, ont été nommées pionniers spéciaux dans cette nouvelle congrégation et ont aidé plusieurs familles à prendre position pour Jéhovah. À leur tour, ces nouveaux disciples désiraient apprendre à lire. Aussi la congrégation a-​t-​elle créé une école.

Depuis 1975, la brochure Comment apprendre à lire et à écrire en sranan tongo est utilisée pour enseigner plusieurs classes et ce, deux fois par semaine. “Les élèves suivent assidûment le cours, explique Elvira Pinas, l’un des huit enseignants, parce qu’ils désirent ardemment lire la Bible personnellement. Ils font également preuve d’endurance. Par exemple, une sœur âgée a assisté aux cours pendant sept ans, mais maintenant elle sait lire!” Aujourd’hui, 20 % de la population est illettrée; mais grâce à notre école, cette proportion est tombée à seulement 5 % parmi les Témoins baptisés.

Un conflit de croyances

L’école de lecture a eu un autre avantage. En 1974, Edwina Apason (la femme analphabète qui avait appris la vérité grâce aux illustrations du livre Paradis) a écrit: ‘À ma plus grande joie, j’ai été nommée pionnier spécial sur les bords du Tapanahoni. Lorsque j’ai quitté cette région, je ne savais pas lire, mais maintenant ce n’est plus le cas. Je me sens mieux équipée pour aider ma tribu.’

Mais il a fallu beaucoup de courage à Edwina pour retourner dans sa région d’origine. Pourquoi? Les gens de sa tribu vivent, mangent, travaillent dans la crainte de leurs ancêtres décédés, et ils attachent beaucoup d’importance à des amulettes censées les protéger des esprits malfaisants. Ils vénèrent aussi la nature, croyant que les rivières, les arbres et les pierres sont habités par des esprits. “Celui qui change sa façon de vivre, dit Edwina, provoque de l’agitation.”

Les enseignements de la Bible et les croyances tribales se sont heurtés pour la première fois quand Edwina attendait ses règles. En effet, les villageois croient que leurs amulettes perdent leurs pouvoirs lorsqu’elles se trouvent en présence d’une femme qui a ses règles, et qu’en conséquence un esprit malfaisant frappera leur famille tout entière d’une maladie mortelle. Pour éviter cela, toutes les femmes qui ont leurs règles doivent aller dans des huttes loin du village. Étant donné que la crainte des démons est à l’origine de cette croyance, Edwina a refusé de partir, et, comme elle s’y attendait, cela provoqua de l’agitation.

Elle fut menacée et frappée, mais elle ne céda pas. Plus tard, certaines des femmes avec lesquelles elle étudiait la Bible imitèrent sa prise de position courageuse; elles furent pour cela rejetées et chassées de chez elles. Edwina les accueillit, et, ensemble, ces femmes courageuses subirent la vengeance de la tribu, mais ne se relâchèrent pas dans l’activité de prédication. Par la suite, un libérateur inattendu intervint. Qui était-​ce?

Un homme maudit obtient l’approbation de Dieu

Auparavant, sœur Apason avait prêché à Paitu, un sorcier septuagénaire surnommé Amaka (Hamac). Un sorcier rival lui avait jeté un sort; depuis lors, sa santé s’était détériorée au point qu’il était obligé de rester confiné dans son hamac. Paitu a rapidement compris le message de la Bible et un jour, sous l’œil inquiet des villageois, il est sorti de son hamac et a rassemblé ses idoles, ses amulettes et ses potions. Puis il est monté dans sa pirogue et a jeté son attirail de magie dans la rivière. Par la suite, sa santé s’est améliorée, et il a commencé à défendre les proclamatrices.

D’abord, Paitu construisit des huttes pour les femmes qui avaient perdu la leur à cause de la persécution. Ensuite, il défricha un coin de terre pour l’ensemencer afin qu’elles aient de quoi vivre. Ces femmes ont fait de rapides progrès et ont été baptisées. Encouragée par l’aide qu’elles avaient reçue, l’une d’elles, sœur Dyari, s’est exclamée: “Comment remercier Jéhovah sinon en devenant pionnier?” Et c’est ce qu’elle a fait depuis lors. En 1975, Paitu a été baptisé, et cette même année une congrégation de 20 proclamateurs a été formée à Godo Olo, le village d’Edwina. Quelle belle récompense pour ces défenseurs de la pure adoration!

Des représentants d’autres groupes ethniques

Toutefois, dans quelle mesure le vrai culte avait-​il été embrassé par des musulmans et des Indiens du Suriname? Jusqu’au début des années 70, seulement quelques-uns d’entre eux s’étaient intéressés à la Bible. Mais en 1974 la filiale a signalé que des musulmans d’origine indonésienne avaient enfin accepté le message. C’était là une décision courageuse. Pourquoi?

“Beaucoup vivent dans des familles très strictes, où la tradition exerce une forte emprise”, expliquent Jan et Joan Buis, des diplômés de Galaad d’origine indonésienne qui ont fait connaître la vérité à plusieurs musulmans. “Ils sont souvent persécutés lorsqu’ils rompent avec ces traditions, ajoute Jan. Un jour, alors que j’étudiais la Bible avec un jeune musulman, ses parents m’ont fait comprendre que je n’étais pas le bienvenu: ils se sont mis à balayer énergiquement le sol, mais nous avons poursuivi notre étude, dans un nuage de poussière.” Après cet échec, les membres de sa famille se sont mis à prendre le jeune homme à partie. Comme il n’a pas cédé pour autant, ils l’ont mis à la porte, chassé de la famille. Il a quitté la capitale et a continué d’étudier la Bible; par la suite, lui et sa femme sont devenus Témoins.

“Quelques années plus tard, raconte Jan, les proches de ce frère se sont rendu compte qu’il était le seul d’entre eux à ne pas avoir des problèmes conjugaux. Quand, par la suite, il a invité sa mère à s’installer chez lui, ils ont modifié leur façon de voir les Témoins.” Le courage de ce frère a incité d’autres musulmans à accepter la vérité.

Et les Indiens?

Aujourd’hui les Indiens constituent le plus important groupe ethnique du pays. Bien que leur vie soit ponctuée de cérémonies religieuses, le message du Royaume a attiré à l’organisation de Jéhovah un nombre croissant d’Indiens épris de vérité. Shama Kalloe, une jeune fille née dans une famille indienne près de Nickerie, est un exemple typique.

Le père de Shama, un riziculteur courageux qui se souciait beaucoup de ses 12 enfants, lui recommandait depuis qu’elle était toute jeune d’être fidèle à l’hindouisme et de ne se marier qu’avec un Indien. “Chaque fois qu’un jeune de notre région rompait avec ces principes, déclare Shama, mon père, les larmes aux yeux, me rappelait ce qu’il attendait de moi.” Comme Shama aimait son père, elle était décidée à ne pas lui faire de peine.

En 1974, à l’âge de 19 ans, Shama s’est installée à Paramaribo pour entrer à l’École normale. Chez son frère, elle a trouvé des exemplaires de La Tour de Garde et de Réveillez-vous! Ces périodiques ont éveillé son intérêt, mais l’ont aussi amenée à se poser de nombreuses questions. “J’ai prié Dieu de me faire entrer en contact avec les personnes qui distribuaient ces périodiques, poursuit Shama, et le lendemain un couple de Témoins m’a rendu visite.”

Roger et Gloria Verbrugge, tous deux missionnaires, ont commencé à étudier la Bible deux fois par semaine avec elle. “Peu après, raconte Roger, elle s’est mise à assister aux réunions de la congrégation et à participer à la prédication. En septembre 1976, cette jeune fille zélée s’est fait baptiser.”

Après avoir reçu son diplôme, Shama a obtenu un poste d’enseignante à Nickerie et s’est installée chez ses parents. Certes, la nouvelle foi de Shama inquiétait son père, mais il était fier qu’elle soit enseignante. De son côté, Shama désirait prêcher à plein temps chez les Indiens de son voisinage, sans toutefois contrarier son père. Elle a trouvé une solution.

Pour contenter ses parents, elle a continué à enseigner, mais s’est mise à effectuer le service de pionnier après ses heures de travail. Au bout de quelques mois, elle dirigeait 18 études bibliques avec des Indiens, et son enthousiasme en a incité beaucoup à se faire baptiser. “Dans le même temps, ajoute Gloria, Shama continuait à traiter ses parents avec amour et respectait les coutumes de sa famille, tout en adoptant une position ferme lorsque cela s’avérait nécessaire.” Peu de temps après, son amour pour Jéhovah a été mis à l’épreuve.

‘Se marier dans le Seigneur seulement’

Shama avait maintenant 25 ans environ. Or, au Suriname, comme les jeunes Indiennes se marient entre 15 et 19 ans, les femmes seules sont rares. Les membres de sa famille faisaient en sorte que des prétendants rendent visite à Shama, mais elle ne voulait épouser aucun d’eux. Elle priait Jéhovah de l’aider à résister aux pressions et à rester résolue à se marier “dans le Seigneur seulement”. (1 Cor. 7:39.) Elle désirait se marier avec un Indien, pour faire plaisir à ses parents, mais elle a fait ce vœu: “Si je ne trouve pas un conjoint indien dans l’organisation de Jéhovah, je resterai célibataire.”

À l’âge de 28 ans, sa fidélité a été récompensée. En effet, elle a rencontré Alfons Koendjbiharie, d’origine indienne, qui était ancien dans une congrégation des Pays-Bas. Ils se sont épris l’un de l’autre et ont décidé de se marier. Comme ses parents n’avaient jamais rencontré Alfons, un jour Shama a lu à sa mère les conditions bibliques requises des anciens. Sa mère a écouté attentivement, puis a dit: “Tu auras un bon mari.” Plus tard, le discours de mariage a été prononcé dans la maison des parents de Shama. Son père, profondément touché, s’est avancé vers un missionnaire et s’est exclamé: “Votre Dieu m’a donné un fils!”

Depuis 1984, Shama est pionnier aux Pays-Bas, mais on se souvient toujours de son exemple au Suriname. Elle a contribué à changer le cours des événements et, depuis, d’anciens hindous affluent dans la grande famille chrétienne.

Une idée originale

En août 1974, l’accueil réservé à la bonne nouvelle parmi les différents groupes ethniques du Suriname a permis d’atteindre un nouveau maximum de 831 proclamateurs. Mais il y avait deux fois plus d’assistants aux assemblées. Où allait-​on organiser les rassemblements pour recevoir ces gens toujours plus nombreux? Des frères ont eu une idée originale:

‘Comment construire une Salle du Royaume qui puisse servir d’estrade de Salle d’assemblées? Eh bien, surélevez le plancher de la Salle du Royaume d’environ un mètre, puis installez deux grandes portes coulissantes sur un des côtés de la salle. Lors des assemblées, ouvrez ces portes, et la salle devient une estrade. Mettez ensuite en place un immense toit en face de cette estrade pour protéger les assistants du soleil ou de la pluie, et vous avez une Salle d’assemblées idéale sous les tropiques.’

On a acheté un terrain de 200 mètres sur 40 et les travaux ont débuté. Un an plus tard, le 28 novembre 1976, cette modeste Salle d’assemblées a été inaugurée. Elle a été fort utile aux Témoins au fil des ans.

Noé — un sujet de conversations le long du fleuve

Le long du Tapanahoni, l’accroissement du nombre des proclamateurs avait entraîné l’élaboration d’un autre projet: la fabrication d’une korjaal (une pirogue) suffisamment grande pour transporter toute la congrégation aux assemblées organisées dans la capitale. “Ce projet constituait un défi, raconte Cecyl Pinas, qui s’occupe de l’œuvre à l’intérieur du pays. Personne n’avait jamais fabriqué une korjaal aussi grande. Mais frère Paitu a dit: ‘Nous le pouvons.’”

Frère Paitu, un fabricant de korjaal expérimenté, a choisi un arbre gigantesque, que quatre frères ont mis une journée à abattre. Puis, pendant deux mois, ils l’ont évidé pour en faire une pirogue de 18 mètres, la plus grande jamais fabriquée dans la région. Bientôt, cette embarcation remplie de Témoins est devenue le sujet de conversations le long de la rivière. Chaque fois qu’elle passait, les enfants des villages sortaient en courant et criaient: “Noa e psa!” (Noé passe!)

Première Salle du Royaume dans la forêt tropicale

En septembre 1976, la nouvelle congrégation de Godo Olo a connu un nouvel accroissement lorsque quatre jeunes Témoins, tous enseignants, se sont installés sur les rives du Tapanahoni. “Bien que nous soyons venus ici pour enseigner à l’école, a expliqué Hartwich Tjon A San, notre principal objectif est de collaborer avec cette nouvelle congrégation.” Et c’est ce qu’ils ont fait. Patiemment, ils ont appris à leurs frères analphabètes à lire et à écrire. En outre, ils ont participé au nouveau projet de la congrégation: la construction d’une Salle du Royaume à Godo Olo.

Auparavant, le chef du village, M. Alufaisi, avait offert aux frères un terrain pour y construire une salle. Cependant, comment allaient-​ils faire, puisqu’ils n’avaient pas d’argent? Ils ont tenu le raisonnement suivant: “La forêt donne le bois. La rivière donne le sable et le gravier. Et Jéhovah nous donne la force de les rassembler.” Il ne leur manquait que le ciment, mais la pirogue Noé allait les dépanner.

Noé avait la réputation d’être une embarcation sûre et pratique. C’est pourquoi des fonctionnaires l’ont louée 4 000 guilders l’an (environ 15 000 francs français) pour se rendre jusqu’à la côte. Cet argent a permis d’acheter le ciment nécessaire dans la capitale. Mais comment allait-​on transporter ce ciment jusqu’à Godo Olo? Une fois encore avec la pirogue Noé.

À Albina, Do Amedon, un Bosneger grand et musclé, réputé pour son habileté à diriger les pirogues, ainsi que plusieurs autres Témoins ont chargé 40 sacs de 50 kilos de ciment dans la korjaal Noé. Puis ils ont dirigé cette pirogue, très enfoncée dans l’eau, sur le Maroni en direction du sud, vers les sulas (les rapides) qui portent des noms comme Manbari (les hommes crient [quand ils passent à travers les rapides]) et Pulugudu (les biens perdus [de nombreuses embarcations ont chaviré dans les rapides, et les passagers ont perdu leurs biens]). Réussiraient-​ils à passer?

L’équipage a entendu le mugissement de la première chute. En avant d’eux, l’eau déferlait sur une grande quantité de rochers qui formaient une sorte d’immense escalier; elle frappait d’énormes blocs qui obstruaient le cours de la rivière, s’engouffrait dans des canaux peu sûrs, pour finalement se jeter violemment contre Noé. Le Témoin qui se tenait debout à l’avant du bateau a scruté le fleuve en tumulte à la recherche d’un passage. Puis il a plongé sa longue perche dans l’eau bouillonnante, s’est cambré et a engagé la pirogue dans un canal. Il a ensuite fait signe d’arrêter le moteur et d’amarrer Noé au bas du sula.

Do Amedon a alors mis prestement un sac de ciment sur sa tête et, sautant d’un rocher glissant à l’autre, il a remonté le rapide et déposé le sac dans un endroit sec. Les autres Témoins l’ont imité. Un à un, les sacs ont ainsi été transportés. Ensuite, les frères ont tiré avec précaution Noé sur l’eau blanche d’écume et l’ont rechargée avec les sacs. Le voyage a repris jusqu’au sula suivant, où ils ont recommencé la même opération. Finalement, après avoir passé sept rapides et navigué pendant 11 jours, ils sont arrivés avec le ciment à Godo Olo.

Entre-temps, les autres Témoins avaient abattu des arbres, et les sœurs et les enfants avaient tiré 250 tonneaux de sable et de gravier jusqu’au terrain où devait avoir lieu la construction. Les travaux ont commencé, et un an plus tard, le 15 avril 1979, la première Salle du Royaume construite dans la jungle a été inaugurée.

Et Noé? “Habituellement une pirogue sert environ quatre ans, dit Cecyl Pinas, mais Noé a servi une dizaine d’années.” Où est cette pirogue maintenant? “À la retraite, répond Cecyl en souriant, bien qu’on l’utilise encore quelquefois. Elle mérite un autre nom: Métuschélah!”

Une baisse — Pourquoi?

Vers la fin des années 70, on a enregistré une baisse dans l’activité de prédication dans le pays. En 1977, 1 %; en 1978, 4 %; en 1980, 7 %! Quelle en était la cause? Une émigration en masse.

Quand le Suriname a obtenu son indépendance en novembre 1975, des milliers de Surinamiens ont émigré aux Pays-Bas par crainte des troubles politiques. Dans son livre Suriname, le sociologue J. Moerland fait remarquer que d’autres émigrants ‘sont partis pour chercher un emploi, recevoir une formation, trouver la sécurité ou rejoindre les membres de leur famille’. En ces jours-​là, poursuit-​il, ‘on ne demandait pas: “Envisagez-​vous de partir?” mais: “Quand partez-​vous?”’ En 1981, lorsque l’exode a pris fin, près d’un habitant sur trois avait quitté le pays. Aujourd’hui, 200 000 Surinamiens vivent aux Pays-Bas, dont des centaines de Témoins qui continuent à servir Jéhovah dans leur nouveau pays.

Un nouvel élan pour les Témoins

En 1976, une disposition a permis de redonner un nouvel élan à l’œuvre de prédication: la formation d’un comité de filiale. Le serviteur de la filiale, Wim van Seijl, est devenu le coordinateur de ce comité dont les autres membres sont Cecyl et Nel Pinas, et Dirk Stegenga. Comme ailleurs, cette nouvelle disposition a permis de donner une direction plus équilibrée dans le domaine spirituel.

Pour conserver cet élan, dix autres missionnaires ont été envoyés pour aider diverses congrégations du pays entre 1974 et 1980. Cependant, deux d’entre eux, Hans et Susie van Vuure, n’étaient pas des débutants. Ils avaient des dizaines d’années d’expérience. Hans était diplômé de la 21classe de Galaad, et Susie de la 16classe, et ils avaient été missionnaires en Indonésie.

Deux mois après leur arrivée au Suriname, ils participaient à l’activité de la circonscription. “Ce service nous a aidés à découvrir le pays et à faire rapidement la connaissance des frères”, explique Hans, 60 ans. Susie ajoute: “J’ai remarqué que les gens acceptent nos publications avec empressement.” Un exemple? “Durant les deux ans et demi que nous avons passés dans le service de la circonscription, nous avons distribué à nous deux environ 4 000 livres et 10 000 périodiques. Cela montre, dit Susie, qu’il nous reste encore beaucoup à faire dans la prédication.”

Une autre “porte” s’ouvre dans la forêt tropicale

Le gouvernement a fait construire une route longue de 350 kilomètres à travers la jungle dans le sud-ouest du Suriname. Cette route a ouvert une porte à l’activité dans un territoire nouveau, lui aussi: les villages amérindiens d’Apoera et de Washabo, le long de la Courantyne.

En 1977, Pepita Abernathy et Cecilia Keys, des Témoins originaires des États-Unis, ont franchi cette porte quand elles ont rejoint leurs maris, employés par une société de construction, pour vivre à proximité d’un chantier situé à 50 kilomètres d’Apoera. Plus tard, deux missionnaires ont été envoyés pour les aider à donner le témoignage aux Indiens Arawaks de la région. Leur activité a-​t-​elle été couronnée de succès?

Pepita raconte: “Nous avons trouvé une vingtaine de personnes désireuses d’étudier la Bible. Plus tard, Cecilia et moi leur rendions visite deux fois par semaine. Nous nous levions à 4 heures du matin; à 7 heures, nous dirigions notre première étude biblique et nous rentrions chez nous vers 17 heures.” Pendant deux ans ces sœurs ont enseigné avec zèle les Amérindiens d’expression anglaise; mais, par la suite, elles ont dû quitter le pays. Qui allait poursuivre leur activité?

Le clergé réagit

En septembre 1980, les missionnaires Herman et Kay van Selm se sont enfoncés dans la jungle avec leur vieille Land-Rover en direction d’Apoera; ils y sont restés les cinq années suivantes. “Nous avons hérité de 30 études bibliques et nous en avons trouvé d’autres”, se rappelle Kay. Les personnes qui étudiaient étaient groupées en trois études de livre. Soixante villageois venaient écouter les discours publics, et l’année suivante 169 personnes ont assisté au Mémorial. Bientôt six personnes ont été prêtes à participer à la prédication et ont écrit des lettres pour indiquer qu’elles se retiraient de leur Église.

Quelle a été la réaction du clergé? “Comment osent-​ils? a rugi le prêtre en serrant les lettres dans ses mains. Ils me citent même des versets bibliques!” Sur ce, il a déclaré la guerre aux Témoins. Les étudiants de la Bible ont été menacés de perdre leur emploi et leur maison; on leur a dit qu’ils devraient avoir leur école, leur clinique et leur cimetière. Le nombre des études bibliques a diminué à cause de cette opposition, ainsi que l’assistance aux réunions. Un jour, une personne est arrivée à l’heure de la réunion, mais c’était juste pour demander une boîte vide. “Nous étions tristes, raconte Kay, mais nous avons continué à encourager les gens et à prêcher. À notre plus grande joie, un petit nombre d’étudiants de la Bible ont tenu ferme et se sont fait baptiser; par la suite, la congrégation d’Apoera a été formée.”

“Quand viendrez-​vous nous voir?”

En 1982, quelques Amérindiens d’Orealla, un village de la Guyana, ont pagayé pendant huit heures pour remonter la Courantyne et ont demandé aux missionnaires: “Quand viendrez-​vous nous voir? Nous voulons étudier la Bible.” Lorsque le groupe d’Apoera a été suffisamment affermi, les missionnaires se sont déplacés tous les mois à Orealla; là, ils ont appris que certains villageois attendaient depuis longtemps les Témoins. “Un matin, raconte Herman, j’ai rencontré un vieux chasseur; il m’a raconté qu’il lisait le périodique Consolation, mais que par la suite il avait perdu tout contact avec la Société. Puis il m’a dit en montrant sa radio: ‘J’ai entendu parler de votre station de radio de New York, mais vous savez, je n’arrive pas à la capter.’ Quand je lui ai dit que la WBBR n’émettait plus depuis les années 50, il a secoué sa tête, incrédule. Puis il a éclaté de rire et a admis qu’il était grand temps pour lui de se remettre à jour; sur quoi il a accepté une étude biblique.”

Quelle joie de voir qu’à Orealla l’étude de la Bible a aidé des buveurs invétérés à devenir des pères aimants! Après qu’on lui a montré comment diriger une étude familiale, un homme de 50 ans a fait un essai, quoique d’une manière un peu brusque. “Lis!” ordonnait-​il. Il posait ensuite une question. Grand silence. “Parle maintenant! Ne fais pas le timide.” À ce moment-​là, les yeux des enfants se remplissaient de larmes. Toutefois, avec le temps, le père a amélioré sa méthode. Plus tard, on pouvait voir les enfants rentrer à la maison en courant. Pourquoi se dépêchaient-​ils? “L’étude familiale!” répondaient-​ils joyeusement.

Un peu plus tard, les Témoins ont obtenu un terrain à Orealla, et Jethro Rübenhagen, diplômé de Galaad (qui sert maintenant à Apoera), a aidé les frères locaux à construire leur Salle du Royaume — signe qu’un autre groupe national, les Amérindiens, avait commencé à apprendre la “langue pure” unificatrice. — Soph. 3:9.

Accroissement parmi la population d’expression anglaise

Dans les années 70, de nombreux travailleurs d’expression anglaise sont venus de la Guyana pour s’installer à Nickerie. On y a donc envoyé deux missionnaires pour organiser des réunions en anglais. Les ouvriers ont réservé un bon accueil à la vérité, et une congrégation de 30 proclamateurs a été formée.

Quelques-uns de ces nouveaux proclamateurs aspiraient à connaître la vérité depuis des années. Indradevi, par exemple, a obtenu à 12 ans, à la Guyana, le livre Du paradis perdu au paradis reconquis grâce à un voisin. Elle l’a gardé précieusement. Plus tard, elle s’est mariée et a déménagé à Klein Henar, un polder situé près de Nickerie, où l’on cultive le riz. En 1982, Hans van Vuure l’a rencontrée. “Parmi ses quelques affaires, raconte Hans, j’ai vu un livre Paradis tout usé. Indradevi m’a dit que depuis le jour où elle avait eu ce livre en 1962, elle l’avait toujours gardé. Elle désirait ardemment en apprendre davantage sur Jéhovah. Vingt ans plus tard, son souhait s’est réalisé!” Elle a étudié, s’est débarrassée de ses images de dieux hindous et s’est fait baptiser.

Les frères ont rencontré une réaction semblable parmi les Guyanais à Paramaribo. Un petit groupe y a été formé en 1980. Il comprenait 20 proclamateurs en 1982, et quatre ans plus tard ce chiffre était passé à 90. Aujourd’hui, l’assistance aux réunions laisse augurer un accroissement encore plus grand.

“Plus de 150 personnes assistent aux réunions, et pour certains cela demande des sacrifices”, explique Paul van de Reep, missionnaire dans la congrégation anglaise. Par exemple, une famille qui a de faibles revenus part de chez elle à 8 heures, parcourt une longue distance à pied, attend pendant plus d’une heure qu’un autocar passe, puis assiste enfin à la réunion. Elle ne rentre qu’à 14 heures. “Chaque semaine, ajoute Paul, elle dépense l’équivalent d’une journée de salaire en tickets d’autocar pour se rendre aux réunions.”

Aujourd’hui les quelque 150 Témoins d’expression anglaise constituent l’un des trois groupes linguistiques qui adorent Jéhovah dans l’unité à Paramaribo.

Dur retour à la réalité

Le 25 février 1980, les habitants de Paramaribo ont été réveillés par des coups de feu. Un groupe de caporaux avait renversé le gouvernement. Ce tout premier coup d’État a secoué plus d’un Surinamien satisfait de la situation de son pays. Comme celui-ci n’avait jamais été frappé par la guerre, par une épidémie ou par un cyclone, les gens disaient souvent: “Le Suriname est un pays béni par Dieu.” Mais depuis 1980, à cause des difficultés économiques qui ne cessent d’augmenter, nombreux sont ceux qui admettent que les prophéties bibliques s’accomplissent sous leurs yeux.

En 1982, l’aide étrangère a été suspendue à cause des troubles politiques, ce qui a paralysé l’économie du pays. Le prix des denrées est monté en flèche, et la pauvreté s’est installée. “Depuis lors, rapporte un ancien de Paramaribo, beaucoup de nos frères bosnegers ont du mal à loger, à habiller et à nourrir leurs dix enfants ou plus avec un salaire mensuel équivalant à environ 1 400 francs seulement.”

Néanmoins, les difficultés économiques n’ont pas ralenti les Témoins. Au contraire, dans une congrégation matériellement pauvre, 106 des 171 proclamateurs ont récemment entrepris le service de pionnier auxiliaire! Et dans l’ensemble du pays, le nombre des proclamateurs s’est élevé à plus de 1 200 en 1986.

Le nombre de publications distribuées a également continué d’augmenter. Demandez à Leo Tuart ce qu’il en pense. Il a transporté les publications depuis le port jusqu’au bureau de la filiale pendant 46 ans. “Il y a des années, se rappelle frère Tuart, nous recevions une douzaine de cartons par mois. Je louais une charrette tirée par un âne pour 75 cents et j’amenais tous les cartons à la filiale. Mais maintenant, dit-​il avec un large sourire, nous recevons une centaine de cartons toutes les deux semaines et je dois louer un camion pour les livrer.” Aujourd’hui, nos frères surinamiens distribuent plus de 32 000 périodiques La Tour de Garde et Réveillez-vous! par mois, soit un périodique pour 13 habitants!

Mais Leo Tuart n’a pas été le seul à remarquer l’accroissement. Récemment, un prêtre a appelé le bureau de la filiale et a dit à un missionnaire qu’il avait exhorté ses ouailles à imiter le zèle des Témoins de Jéhovah. “Mais ils ont fait la sourde oreille”, s’est-​il lamenté. Puis il a demandé: “Quel est votre secret?” Le missionnaire lui a répondu: “L’esprit saint.”

Pris entre deux feux

Au milieu de 1986, la guérilla a éclaté. Quelques mois plus tard, comme les combats entre les troupes gouvernementales et les “commandos de la jungle” (pour la plupart des Bosnegers) se livraient principalement autour d’Albina, un village situé sur le Maroni, les Témoins bosnegers du sud-est du Suriname se sont demandé s’ils allaient ou non se rendre à l’assemblée de Paramaribo. “Ils savaient que s’ils y allaient il leur faudrait passer dans la zone des combats, explique Cecyl, mais ils ne voulaient pas manquer l’assemblée; ils ont donc décidé d’y aller.” Dix jours avant l’assemblée, 60 frères, sœurs et enfants ont descendu la rivière en pirogue, en direction de la région où avaient lieu les combats. Le vendredi, ils ont atteint Albina, ont attaché leurs hamacs dans la Salle du Royaume et ont dormi là.

Avant l’aube, les rues d’Albina résonnaient de coups de feu. Les commandos de la jungle envahissaient le village, les troupes gouvernementales ripostaient. Des balles ricochaient sur le toit de la salle. Les Témoins se sont mis à plat ventre et sont restés dans cette position toute la journée.

Cette nuit-​là, l’un d’entre eux a réussi à appeler le bureau de la filiale. “Venez nous chercher”, a-​t-​il supplié. Dimanche après-midi, trois anciens étaient en route. Vers 23 heures, ils sont arrivés auprès des Témoins bloqués.

Les anciens voulaient attendre le lendemain pour repartir, mais les Témoins bosnegers les ont pressés: “Partons tout de suite. La fusillade risque de recommencer.” Les anciens ont prié Jéhovah de leur accorder sa direction et, après minuit, trois véhicules bondés se sont lentement dirigés vers la capitale.

“La route était déserte, se rappelle Paul Naarendorp, l’un des conducteurs. Comme nous approchions d’un poste de contrôle militaire, mon cœur s’est mis à battre. Imaginez un peu: l’armée combattait contre les commandos de la jungle, et voilà qu’un convoi transportant 60 Bosnegers, pour la plupart des hommes jeunes et forts, surgissait devant eux.” Allaient-​ils les prendre pour des membres d’un commando de la jungle?

De derrière un pilier, un soldat a fait signe au convoi de s’arrêter. “C’était comme si nous étions juste en face du canon d’un tank, poursuit Paul. Nous étions entourés de soldats armés jusqu’aux dents. Un mouvement inattendu de notre part, et ils risquaient d’ouvrir le feu. Pourtant, après que nous leur avons expliqué que nous étions Témoins de Jéhovah, les soldats ont fouillé les véhicules et nous ont laissés partir.”

Quand les Témoins sont arrivés à Paramaribo, ils ont appris que la bataille avait de nouveau éclaté à Albina. Ils étaient partis à temps.

Mais maintenant, il faut rentrer!

Après l’assemblée, les Témoins ont appris que l’armée avait barré la seule route qui menait à Albina. Les frères bosnegers étaient donc de nouveau bloqués. Ils ont attendu pendant deux semaines, mais ensuite ils avaient tant la nostalgie de la jungle qu’ils ont supplié: “Emmenez-​nous jusqu’à la rivière. De là, nous rentrerons chez nous.”

Les frères ont dressé un plan et ont demandé la direction de Jéhovah. Dans un premier temps, les dix frères qui allaient diriger les bateaux et quelques anciens de Paramaribo essaieraient d’atteindre Albina. “Je ne peux pas expliquer pourquoi, raconte un ancien, mais bien qu’ils nous aient vus, les militaires ne nous ont pas fait faire demi-tour.” Quand les frères bosnegers ont enfin vu le Maroni, ils ont dansé de joie.

Le lendemain, les sœurs et les enfants se sont mis en route, et on les a aussi laissés passer au poste de contrôle, alors que d’autres étaient arrêtés. Les frères les attendaient sur le fleuve dans les pirogues. Quelles retrouvailles!

Il était prévu de faire un autre voyage. Les Témoins ont chargé dans deux camions 96 sacs de riz, 16 jerricanes d’essence, 7 de pétrole, ainsi que des denrées, et ils se sont mis en route vers le poste de contrôle. Alors que la nourriture et le carburant étaient transportés vers le territoire occupé par les commandos de la jungle et que personne n’était autorisé à y faire entrer des marchandises, les gardes ont laissé passer les camions. “C’était un miracle, a dit un frère. La main de Jéhovah était manifestement avec nous.”

Une semaine plus tard, les 60 Témoins sont arrivés à bon port avec toutes leurs provisions. Ils avaient quitté leur village cinq semaines pour assister à une assemblée de trois jours. Quelques semaines plus tard, l’armée a coupé les vivres aux habitants de l’intérieur du pays et une grande pénurie de denrées alimentaires s’est installée. Mais les frères, qui avaient assisté à l’assemblée, avaient de la nourriture pour quelques mois et de l’essence pour leurs déplacements liés à la prédication. “En repensant à tout cela, dit Cecyl, je vois que Jéhovah nous a dirigés pour que nous prenions la bonne décision au bon moment.”

Ils fuient pour sauver leur vie

L’année suivante, les combats se sont déplacés vers Moengo, une ville minière située à l’est de Paramaribo. Les troupes gouvernementales progressaient, mais elles rencontraient une résistance farouche. Des balles volaient dans toute la ville, les maisons brûlaient et les gens fuyaient.

La plupart des frères sont entrés dans la jungle et ont fui pour sauver leur vie. Certains ont atteint Paramaribo, tandis que d’autres ont pagayé vers le Maroni et ont traversé ce fleuve de trois kilomètres de large qui marque la frontière avec la Guyane française. Une cinquantaine de Témoins ont passé cette frontière et se sont ainsi retrouvés en sécurité.

Les Témoins de la Guyane française leur ont immédiatement donné de la nourriture, des vêtements, des draps, des couvertures et des médicaments. La filiale de la Martinique a aussi envoyé de l’aide, et un fonds spécial a été créé pour aider ces réfugiés. “Les responsables des camps de réfugiés ont été étonnés par la rapidité avec laquelle notre organisation a envoyé des secours, raconte Cecyl Pinas. Ils ont dit: ‘Vous ne parlez pas, mais vous agissez.’”

Pilote de pirogue et berger

Durant ces années agitées, Do Amedon, l’homme qui avait guidé la pirogue Noé à travers les rapides, s’est révélé être un berger capable. Ce Bosneger Aucana, qui a quitté Paramaribo en 1974 pour servir comme pionnier spécial dans sa tribu, se soucie des autres, comprend leurs problèmes et est un organisateur capable. En fait, ses conseils basés sur la Bible sont si appréciés que les hommes de sa tribu l’appellent “Pappie” (papa), bien qu’il n’ait encore que 40 ans.

Tout d’abord, Do a aidé les Témoins qui habitent sur les rives du Tapanahoni. Puis, dans le milieu des années 80, il est parti avec d’autres pionniers vers le Maroni. L’accueil que leur ont réservé les Bosnegers de la région était vraiment très chaleureux, mais ils étaient si dispersés qu’il était impossible de tous les atteindre. Toutefois, en 1985, le problème a été résolu. De quelle façon?

Cette année-​là, le Collège central a augmenté la quantité d’essence allouée aux pionniers spéciaux qui prêchent dans la forêt tropicale. Grâce au carburant supplémentaire dont ils disposaient désormais, les pionniers se sont rendus d’un village à l’autre avec leurs canots à moteur; ils ont ainsi pu rencontrer de nombreuses personnes qui manifestaient de l’intérêt. En 1985, une nouvelle congrégation d’une trentaine de proclamateurs a été formée dans le village de Gakaba. Quelques mois plus tard, le nombre des proclamateurs s’élevait à 50, et 20 d’entre eux ont entrepris le service de pionnier. Bientôt, Do Amedon a de nouveau dû transporter des sacs de ciment à travers les rapides, et une deuxième Salle du Royaume a été bâtie dans la forêt tropicale.

Dix fois plus nombreux

“Un groupe de jeunes frères a construit une salle de 200 places sur une très belle île du Maroni”, rapporte Wim van Seijl, coordinateur du comité de la filiale, qui s’est récemment rendu dans la région. “Ils se sont ensuite proposés pour prêcher sur les rives du Lawa, où le témoignage n’avait encore jamais été donné. La vérité se répand donc aussi là-bas, parmi les Bosnegers Alukus.”

Malgré la guerre civile, le message du Royaume a pénétré plus profondément dans la forêt tropicale. Alors que seulement 20 Témoins bosnegers prêchaient sur les rives du Tapanahoni dix ans auparavant, il y en avait maintenant 200, répartis en quatre congrégations, le long des rivières de l’est du Suriname. Ils étaient donc dix fois plus nombreux!

Un accroissement semblable se manifestait dans le reste du pays. De nombreuses congrégations rapportaient une assistance aux réunions correspondant au double du nombre des proclamateurs; les Salles du Royaume devenaient donc trop petites. C’est pourquoi, en 1987, le Collège central a autorisé la filiale à construire une vaste Salle d’assemblées de 60 mètres sur 34, et quatre Salles du Royaume. Cette décision a été prise au bon moment.

“Peu de temps après que nous avons acheté le ciment, raconte Henk Panman, qui était alors gardien de la Salle d’assemblées, le pays est venu à en manquer. Les chantiers ont fermé, mais nous, nous avons pu achever nos travaux.” Plus tard, la filiale des Pays-Bas a apporté son aide en envoyant quatre conteneurs de matériaux de construction. L’équipe de construction et des centaines de volontaires ont travaillé pendant un an et demi et ont achevé quatre nouveaux lieux de réunion attrayants.

À propos de construction, vous souvenez-​vous de Stella Daulat, qui avait fait don de sa propriété en 1955? Après que sa maison a été déplacée, elle y a vécu heureuse. Cependant, la congrégation lui a récemment réservé une surprise en annonçant lors d’une réunion: “Nous allons construire une nouvelle maison pour sœur Daulat.” Les Témoins ont construit une spacieuse maison en briques et l’ont offerte à Stella, âgée de 78 ans. “Quel merveilleux don de Jéhovah!” s’est-​elle exclamée en pleurant de joie.

Jéhovah n’oubliera pas leur œuvre

Comme Stella, des centaines de gens ont goûté les bénédictions de Jéhovah au Suriname. Nous manquons malheureusement de place pour parler de tous ceux qui se sont montrés fidèles, mais Jéhovah voit l’endurance dont ils font preuve jour après jour dans son service, et ‘il n’oubliera pas leur œuvre et l’amour qu’ils ont montré à l’égard de son nom’. — Héb. 6:10.

Durant les 40 dernières années, 41 missionnaires ont travaillé épaule contre épaule avec les Témoins surinamiens, et nombreux sont ceux qui se souviennent de leur zèle. Aujourd’hui, les 18 diplômés de Galaad qui sont restés au Suriname se dépensent encore pour le bien des congrégations disséminées dans tout le pays.

Nous remercions Jéhovah d’avoir accru le nombre des proclamateurs. Ils sont maintenant 1 466 (deux tiers d’entre eux s’expriment en néerlandais, un quart en sranan tongo et les autres en anglais), et tous parlent la langue pure de la vérité. Mais le rassemblement n’est pas fini, car 4 443 personnes ont assisté au Mémorial en 1989 — plus de trois fois le nombre des proclamateurs!

Cet afflux de Témoins est à l’origine d’un autre projet de construction — celui d’un nouveau bâtiment pour la filiale. C’est pourquoi on envisage d’acquérir un terrain de 3 hectares dans la banlieue de Paramaribo. Grâce à ces nouveaux locaux, la filiale sera mieux équipée pour s’occuper de tous ceux qui répondent à l’invitation lancée de plus en plus fort: “‘Viens!’ Et que quiconque a soif vienne; que quiconque le veut prenne l’eau de la vie, gratuitement.” Que Jéhovah continue de bénir le travail que nous effectuons dans le monde entier en obéissance à ce commandement divin: ‘Ayez bon courage et dites: “Jéhovah est mon aide.”’ — Rév. 22:17; Héb. 13:6.

[Note]

^ § 115 Leur article, “La vie dans la brousse du Suriname”, est paru dans le Réveillez-vous! du 8 février 1956, édition anglaise.

[Graphiques, page 252]

(Voir la publication)

Suriname

Max. proclamateurs

2 000

1 466

810

561

361

67

1950 1960 1970 1980 1989

Moy. pionniers

400

235

 

 

 

 

63

54

41

10

1950 1960 1970 1980 1989

[Encadré/Carte, page 192]

(Voir la publication)

Mer des Antilles

Courantyne

GUYANA

SURINAME

Nieuw Nickerie

Paramaribo

Wageningen

Meerzorg

Moengo

Onverdacht

Paranam

Albina

Orealla

Saramacca

Maroni

Granbori

Tapanahoni

BRÉSIL

GUYANE FRANÇAISE

[Encadré]

Capitale: Paramaribo

Langue officielle: néerlandais

Religion principale: hindouisme

Population: 400 000

Filiale: Paramaribo

[Illustration, page 194]

Alfred Buitenman a servi fidèlement Jéhovah pendant plus de 60 ans.

[Illustration, page 197]

Lien Buitenman et James Brown se souviennent très bien d’avoir vu le “Photo-Drame de la création” aux alentours de 1920.

[Illustration, page 199]

Willem Telgt, baptisé en 1919, a plus tard construit les Salles du Royaume du pays.

[Illustration, page 207]

Grannie de Vries a pris soin de ses “garçons” missionnaires.

[Illustration, page 215]

Frederik Wachter fut le premier Bosneger à devenir Témoin.

[Illustration, page 218]

Stella Daulat fit don de son terrain pour y construire la première Salle du Royaume dans la capitale.

[Illustration, page 230]

Albert Suhr, diplômé de la 20classe de Galaad, donne le témoignage dans un hospice.

[Illustration, page 241]

Les membres du Comité de la filiale: C. Pinas, W. van Seijl, N. Pinas et D. Stegenga.

[Illustration, page 246]

Leo Tuart est Témoin depuis près d’un demi-siècle.

[Illustration, page 251]

Le bâtiment de la filiale, 8-10 Wichersstraat.