Aller au contenu

Aller à la table des matières

Mozambique

Mozambique

Mozambique

“ TENEZ-​vous-​le pour dit, Chilaule : vous êtes au Mozambique et votre œuvre ne sera jamais reconnue dans ce pays. (...) N’en parlons plus ! ” C’est à l’apogée de la domination coloniale du Portugal au Mozambique que des agents de la Police pour l’Investigation et la Défense de l’État (PIDE), qui n’existe plus aujourd’hui, ont exprimé avec rage ces paroles à un Témoin de Jéhovah. Nul ne contestait alors la domination de l’Église catholique.

Pourtant, les Témoins de Jéhovah n’ont pas cessé d’exprimer ouvertement leur foi en Jéhovah et ils ne se sont pas non plus arrêtés de faire part de son dessein bienveillant à leur prochain. Leur histoire au Mozambique témoigne de façon remarquable de la profondeur de leur attachement à Jéhovah. Ils ont été affermis grâce à leur confiance dans l’amour de Dieu et de son Fils, le genre d’amour dont l’apôtre Paul a parlé en ces termes : “ Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le danger, ou l’épée ? Comme c’est écrit : ‘ À cause de toi nous sommes mis à mort tout au long du jour; oui, on nous regarde comme des moutons destinés à l’abattage. ’ (...) Je suis convaincu que ni mort ni vie, (...) ni gouvernements, ni choses présentes ni choses à venir, (...) ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre création ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Christ Jésus notre Seigneur. ” — Rom. 8:35-39.

L’histoire des serviteurs de Jéhovah du Mozambique est celle d’hommes et de femmes qui, même lorsqu’ils se sont vu privés de tous leurs biens matériels, étaient riches en raison de leur foi profondément enracinée. Ils ont constaté l’amour que Dieu leur portait, et ils se témoignaient un profond amour les uns envers les autres. Mais avant de nous plonger dans leur histoire, intéressons-​nous quelque peu au pays lui-​même.

Son charme et ses particularités

Peuplé d’environ 17 400 000 habitants, le Mozambique s’étend sur près de 2 500 kilomètres sur la côte sud-est de l’Afrique. Le climat est essentiellement tropical et les cultures sont celles des tropiques : noix de coco, ananas, noix de cajou, manioc et canne à sucre. Les fruits de mer constituent également une part importante de l’alimentation locale.

Les Mozambicains sont pour la plupart des gens joviaux et de bonne composition qui aiment la vie. Certains d’entre eux sont devenus des sportifs de renommée mondiale. Il est vrai qu’ils ne sont pas nombreux. Mais plus de 19 000 personnes arrivent en vainqueurs dans une épreuve sportive d’un autre genre. Il s’agit des Témoins de Jéhovah, dont l’histoire au Mozambique remonte à 1925.

Des graines de vérité prennent racine

Cette année-​là, Albino Mhelembe, un Mozambicain, a entendu parler de la bonne nouvelle du Royaume de Dieu alors qu’il travaillait en Afrique du Sud, dans les mines de Johannesburg. Les graines de vérité relatives au Royaume ont pris racine dans son cœur, et il n’a pas tardé à se faire baptiser. De retour chez lui, il s’est mis à prêcher aux membres de son ancienne Église, l’Église missionnaire suisse, à Vila Luísa (aujourd’hui Marracuene), province la plus au sud du Mozambique. Les Africains qui connaissaient la vérité depuis peu étaient très zélés et parcouraient souvent 30 kilomètres pour se rendre aux réunions. De nouveaux groupes ont été formés, dont un à Lourenço Marques, aujourd’hui Maputo.

À peu près à la même époque, la prédication relative au message de la Bible débutait bien plus au nord. Gresham Kwazizirah, originaire du Nyassaland (aujourd’hui le Malawi), avait étudié le livre La Harpe de Dieu avec l’aide de John et Esther Hudson, d’Afrique du Sud. En 1927, Gresham est parti pour le Mozambique à la recherche d’un emploi, en compagnie de Biliyati Kapacika. Ils sont entrés dans le pays par la région de Milange et ont pris la direction du sud jusqu’à Inhaminga, dans la province de Sofala. C’est là qu’ils ont tous les deux trouvé du travail, aux chemins de fer de Trans-Zambézia.

Ils ont également trouvé à Inhaminga une congrégation du mouvement dit de la Watch Tower, dont le pasteur était Robinson Kalitera. Les enseignements bibliques présentés dans La Harpe de Dieu lui ont ouvert les yeux. Reconnaissant qu’il s’était trompé, il s’est joint avec toute sa congrégation à l’organisation de Jéhovah.

On s’intéresse aux Européens

Venant d’Afrique du Sud, les premiers Témoins européens, Henry et Edith Myrdal, sont arrivés à Lourenço Marques en 1929. Ils se sont mis à prêcher aux personnes d’expression portugaise. Quatre ans plus tard, frère et sœur de Jager les ont rejoints. Leur arrivée a permis que de nombreuses graines de vérité soient répandues.

En 1935, deux autres pionniers, Fred Ludick et David Norman, ont séjourné à Lourenço Marques, chez la famille Myrdal. Mais après cinq jours d’activité, ils ont soudainement été arrêtés par la police secrète au domicile de la famille Myrdal, puis enfermés dans le fourgon cellulaire et emmenés devant un fonctionnaire de haut rang, un certain M. Teixeira. Quand David a courageusement déclaré qu’il savait que l’évêque était l’instigateur de toute cette conspiration, M. Teixeira a bondi et a vociféré : “ Si vous étiez citoyens du pays, je vous aurais déportés sur-le-champ sur l’île de Madère, mais étant donné que vous êtes citoyens d’Afrique du Sud, j’exige que vous soyez expulsés immédiatement ! ” Le jour même, ils ont été escortés jusqu’à la frontière par deux véhicules remplis de policiers armés jusqu’aux dents. Cependant, arrivés à la frontière, les frères ont donné le témoignage à ceux qui les escortaient; ils leur ont laissé des publications et ont poursuivi leur route après avoir serré la main de chaque policier.

Des épreuves de taille

Janeiro Jone Dede, humble cultivateur africain, a connu la vérité en 1939 à Inhaminga. Lorsqu’il est retourné chez lui à Mutarara, il a communiqué la vérité aux membres de sa famille, qui appartenaient à des groupements religieux adeptes de la polygamie. Il est devenu pionnier spécial et deux de ses frères, Antonio et João, ont servi comme pionniers permanents. Cependant, Janeiro a été arrêté en 1946 et envoyé à Tete, où pendant quatre ans on lui a fait nettoyer les toilettes utilisées par la population européenne. Il a ensuite été transféré à la prison centrale de Beira, d’où il a été emmené par bateau en direction de Lourenço Marques dans des conditions aussi étranges qu’inhumaines : on l’a placé dans une caisse remplie d’eau salée, d’où seule sa tête dépassait. Arrivé à Lourenço Marques, il en est sorti nu; ses vêtements s’étaient décomposés. On lui a donné un sac pour tout vêtement. Au cours de cette épreuve, on lui a ordonné d’abandonner sa religion et son Dieu, mais à l’exemple des apôtres de Jésus Christ il a répondu : “ L’important, c’est d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. ” — Actes 5:29.

Après cela, Janeiro s’est retrouvé en isolement dans une petite caisse de bois qui comportait juste une minuscule ouverture à travers laquelle on lui faisait passer quelques morceaux de fruits chaque jour. Quand il en est sorti au bout d’une semaine, il lui était presque impossible de se tenir debout. Il a ensuite été déporté à Sao Tomé-et-Principe avec ses deux frères, Antonio et João, pour purger une peine de sept ans. Durant cette période, les frères Dede ont contribué à la formation d’une congrégation sur ces îles pénitentiaires. Lorsque Portugal Dede, alors en Afrique du Sud, a appris que ses frères avaient été déportés, il est retourné à Mutarara pour s’occuper de la congrégation jusqu’à leur libération.

Que devenaient les Témoins dans le sud ? Malgré une persécution intense, ils démontraient eux aussi leur fidélité. Albino Mhelembe, avancé en âge, était des leurs. En 1957, il a également été déporté à Sao Tomé avec d’autres frères de Lourenço Marques, mais ils ont continué à donner le témoignage. Sional Tomo a été libéré de Sao Tomé au bout de deux ans, mais il a de nouveau été déporté, cette fois-​ci à Meconta, dans la province de Nampula. C’est là qu’il est mort, laissant derrière lui une congrégation en témoignage de son ministère.

“ Je serai berger du troupeau de Dieu ”

C’est ce qu’a répondu Calvino Machiana quand le professeur a demandé aux élèves de la classe ce qu’ils voulaient faire quand ils seraient grands. Plus tard, à Johannesburg, un ancien camarade de classe lui a donné le témoignage. Cependant, ce n’est que lorsqu’il est retourné à Lourenço Marques en 1950 qu’il a finalement coupé les ponts avec l’Église missionnaire suisse. Quand la police coloniale, la PIDE, a arrêté et déporté les plus expérimentés du groupe, ceux qui sont restés manquaient d’encadrement.

Grâce à Dieu, Nelli Muhlongo, d’Afrique du Sud, a rendu visite à sa famille non loin de l’endroit où vivait Machiana. Ayant appris qu’elle était Témoin de Jéhovah, Machiana lui a parlé de ceux qui s’intéressaient au message dans la région. Elle les a réunis et a organisé un groupe d’étude de la Bible constitué de six personnes. Sœur Muhlongo a demandé à Machiana de le diriger, mais il a refusé, expliquant : “ Je ne suis pas baptisé. ” Elle a répliqué : “ Je suis juste de passage. Quand je partirai, il te faudra assumer la direction. ” C’est ainsi que Machiana est devenu “ berger du troupeau de Dieu ” plus tôt qu’il ne le pensait.

‘ Zunguza, retourne dans ton pays ’

En 1953, le jeune Francisco Zunguza a quitté Beira pour se rendre à Cape Town, en Afrique du Sud. Son objectif était de décrocher une bourse pour faire des études de médecine à Londres. Il avait dans ses bagages le livre Enfants, qu’un ami lui avait offert. Il logeait à Pretoria chez une famille anglicane. Un jour, cette dernière l’a aperçu en train de lire ce livre et lui a demandé s’il était Témoin de Jéhovah. Il a répondu que non mais qu’il lisait simplement le livre. Cependant, la famille l’a gentiment mis en relation avec un Témoin de Jéhovah qui a commencé à étudier avec lui. Deux ans après son arrivée en Afrique du Sud, il était baptisé.

Frère Zunguza se souvient d’avoir reçu ce conseil de la part de frères mûrs de la congrégation : “ Zunguza, il serait préférable que tu retournes dans ton pays, au Mozambique, et que tu te dépenses là-bas. À présent tu es baptisé. Pourquoi poursuivre d’autres objectifs ? Ils n’en valent pas la peine. ” (Voir Romains 11:13 ; Philippiens 3:7, 8 ; 1 Jean 2:15-17.) Frère Zunguza a accepté ce conseil et est retourné sans hésiter à Lourenço Marques, où il s’est joint au petit groupe de la localité. Par la suite il s’est marié, et avec sa femme ils ont été grandement utilisés par l’organisation de Jéhovah dans le service itinérant à travers le Mozambique. Son amour pour Dieu lui a valu de grandes épreuves d’endurance. Il est resté fidèle malgré quelque 14 années passées en prison et en camps de concentration et en dépit des restrictions imposées par le gouvernement. Il n’est pas étonnant qu’il soit aimé et beaucoup apprécié de ses frères mozambicains. Comme il le reconnaît lui-​même : “ Il était préférable que je retourne dans mon pays. ”

Tentatives pour obtenir la reconnaissance officielle de l’œuvre

Comme elle se préoccupait de la persécution et des déportations dues au gouvernement colonial, la filiale d’Afrique du Sud a décidé en 1954 d’envoyer au Mozambique Milton Bartlett, diplômé de Guiléad, l’École biblique de la Société Watchtower. Durant son séjour de quelques jours, il a pu discuter avec le consul américain et avec un fonctionnaire portugais de haut rang qui lui a recommandé de s’adresser au gouverneur général en vue d’obtenir la reconnaissance officielle des Témoins de Jéhovah. Cependant, le fonctionnaire a ajouté qu’en raison du concordat liant le gouvernement et le Vatican, même si une certaine liberté leur était accordée, les Témoins de Jéhovah ne bénéficieraient jamais de la liberté accordée à l’Église catholique.

L’année suivante, John Cooke, également diplômé de Guiléad, a rendu visite au consul britannique au Mozambique. Celui-ci s’est montré amical, mais il a précisé que, peu de temps auparavant, le cardinal catholique avait attaqué dans la presse toutes les formes de protestantisme. De plus, il a ajouté que la police considérait les Témoins de Jéhovah comme dangereux. Pour terminer, il a déclaré que de toutes les “ sectes ”, pour reprendre son expression, les Témoins étaient ceux qui avaient le moins de chances d’être reconnus officiellement.

Néanmoins, la visite de frère Cooke a produit de bons résultats. Il a pu effectuer une nouvelle visite auprès de Pascoal Oliveira, un jeune Portugais qui s’intéressait au message. Pascoal avait entendu parler de la vérité quelques années auparavant à Lisbonne. Une étude a été commencée avec lui et ses parents, et par la suite Pascoal s’est voué à Jéhovah.

En 1956, la filiale du Nyassaland, qui s’occupait alors de l’œuvre au Mozambique, a commencé à envoyer des pionniers spéciaux de l’autre côté de la frontière, afin qu’ils prêchent dans les villages situés au nord. D’autres encore sont venus servir là où il y avait besoin d’aide au Mozambique, et on a ressenti particulièrement leur influence dans les régions frontalières.

Retour d’exil

Un peu plus tard, Janeiro Dede et ses frères sont rentrés de Sao Tomé. Là-bas ils avaient pu prêcher librement, mais de retour chez eux, ils ont été flagellés et on leur a ordonné de cesser toute activité de prédication, sous peine d’être déportés à nouveau de façon définitive. Cela ressemblait étrangement au traitement que le Sanhédrin juif avait infligé aux apôtres de Jésus Christ ! — Actes 5:40-42.

Janeiro et ses frères n’ont pas permis à ces menaces de les refroidir dans leur service pour Jéhovah. En mars 1957, Janeiro a été nommé pionnier spécial et il a ensuite servi pendant plus de dix ans comme surveillant itinérant à travers presque tout le pays.

Prédication nocturne

Des personnes qui s’intéressaient au message continuaient de se joindre au groupe de Lourenço Marques. La maison d’Ernesto Chilaule, un Mozambicain, était l’une de celles où l’on étudiait la Bible. C’était également là qu’habitait Antonio Langa. Il était catholique, posait des questions et voulait des preuves concernant certaines doctrines, principalement la Trinité. Les membres du groupe craignaient qu’il ne les dénonce à la PIDE (Polícia de Investigação e Defesa do Estado). Mais Langa s’intéressait sincèrement à la vérité et il suivait l’étude dehors, caché dans l’escalier. Ce qu’il entendait lui a fait comprendre que c’était la vérité.

Un jour, un frère a offert à Langa le livre “ Que Dieu soit reconnu pour vrai ! ”. Il a commencé à le lire le lendemain, après être rentré du travail. Il était deux heures de l’après-midi, et Langa n’a pas refermé le livre avant de l’avoir terminé, à deux heures du matin ! Il s’est alors mis à assister régulièrement aux réunions et a insisté pour que son ami Chilaule lise lui aussi le livre afin qu’ils puissent commencer à prêcher.

Tous deux ont décidé de prêcher à des groupes sionistes animistes (Mazione), aux alentours de Lourenço Marques. Ils allaient les voir de nuit, lorsque ces groupes se réunissaient au son du tambour pour leurs rituels, dansant et buvant au rythme de la musique. Après avoir obtenu l’autorisation du chef du groupe, ils présentaient un bref discours. Il n’était pas rare qu’ils rentrent chez eux à l’aube. Quel zèle ils déployaient pour communiquer leur foi nouvelle !

Des baptêmes à Lourenço Marques

Quand le groupe de ceux qui remettaient un rapport de service s’est élevé à 25 personnes, on a écrit à la filiale d’Afrique du Sud pour demander qu’un représentant vienne afin de baptiser les nouveaux. La filiale a répondu que frère Zunguza devait s’en occuper. Le 24 août 1958, 13 personnes ont été baptisées lors d’une réunion organisée dans un endroit discret. C’étaient les premiers baptêmes à Lourenço Marques ! Parmi les nouveaux baptisés figuraient Calvino Machiana, Ernesto Chilaule et Antonio Langa, en compagnie de leurs femmes, ainsi que Paulina Zunguza.

En 1959, après le départ de frère Zunguza pour Beira, frère Chilaule a été convoqué par la PIDE. Des agents avaient intercepté son courrier et l’avaient lu. Il a été interrogé toute une matinée. L’après-midi, la police est venue chez lui et a confisqué les publications. En apercevant la Land-Rover de la police devant le domicile de frère Chilaule, les frères et les personnes bien disposées ont eu peur d’être arrêtés à leur tour. Quelle surprise une semaine plus tard de voir que tous les livres étaient restitués ! Voilà un encouragement dont tous avaient besoin !

Encouragés par des visites opportunes

Dans le même temps, Pascoal Oliveira et le petit groupe d’Européens de Lourenço Marques étaient encouragés par les visites de Halliday et Joyce Bentley, un couple de missionnaires envoyé par la filiale du Nyassaland. Au cours de leurs visites, qu’ils effectuaient deux fois par an, ils se rendaient aussi à Beira, située à quelque 720 kilomètres de la capitale, ainsi que dans d’autres villes. Plus tard, Milton Henschel, du siège mondial, leur a également rendu visite et les a encouragés à continuer à collaborer avec l’organisation de Jéhovah.

Alors que la première congrégation de Mozambicains existait déjà dans la capitale depuis quelques années, une congrégation y a été formée pour les proclamateurs européens en 1963.

Ils proclament courageusement la bonne nouvelle

Le fait que la police coloniale, la PIDE, avait restitué les publications d’Ernesto Chilaule a renforcé le courage du groupe africain de Lourenço Marques. Le dimanche, les Témoins se réunissaient à l’ombre d’un arbre, non loin du marché très fréquenté de Xipamanine. Ils examinaient le texte du jour en se servant d’un système de sonorisation. Puis ils partaient deux par deux rendre visite aux habitants des maisons voisines et aux commerçants des environs. À 11 h 30, ils se retrouvaient au lieu de leur rendez-vous pour déjeuner et, à midi, le discours public pour lequel ils avaient fait une large publicité débutait. Parfois, quand des proclamateurs tardaient à revenir, on les appelait à l’aide de la sonorisation : “ C’est l’heure. (...) C’est l’heure. (...) Revenez, car il est l’heure. ”

Une foule importante se rassemblait alors. En plus des frères et des gens invités personnellement, de nombreux curieux attirés par les haut-parleurs s’approchaient. Ils formaient un large cercle dans cette zone d’activité, et le discours commençait. Les habitants du quartier sortaient de chez eux pour écouter, et nombre d’entre eux prenaient leur Bible afin de suivre la lecture des versets. Les frères ont fait cela pendant quelques années, s’installant tour à tour sur la place du marché de Xipamanine et de Chamanculo, et sur l’avenue Craveiro Lopes (à présent Avenida Acordos de Lusaka). Cela a contribué à l’accroissement dans les années 60, le nombre de congrégations passant de un à quatre.

D’abord fiché à la PIDE

Micas Mbuluane fait partie de ceux qui ont été contactés de cette façon. Quand il a accepté le livre “ Que Dieu soit reconnu pour vrai !” et qu’on lui a proposé une étude biblique, il a demandé : “ Combien cela va-​t-​il me coûter ? ” On ne fait jamais payer une telle étude, mais les frères lui ont suggéré de mettre sa maison à leur disposition le dimanche suivant pour qu’un discours y soit prononcé. Il a aussitôt accepté. L’orateur était Ernesto Chilaule, et on a dénombré 400 assistants. Un indicateur de la PIDE a parlé de cette réunion à la police. Le chef a convoqué Micas au poste, ce qui l’a inquiété. Il a raisonné ainsi : “ Je ne suis qu’un double Gentil et je n’ai assisté qu’à une seule réunion. Que vais-​je dire ? ” (Au Mozambique, le terme “ Gentil ” signifie incroyant ; “ double Gentil ” souligne à quel point il se sentait indigne.) Il a immédiatement appelé le frère avec lequel il étudiait, afin qu’il le forme durant les quelques minutes qui restaient avant l’interrogatoire.

Au poste de police, on a demandé à Micas quelle était sa religion. Sans hésiter il a répondu : “ Témoin de Jéhovah. ” Mario Figueira, le chef de la police, s’est alors mis à le questionner : “ Ainsi, il y a eu une grande réunion chez vous, à l’initiative d’étrangers ; les portes étaient verrouillées et la police ne pouvait pas entrer. À tous les coups il y a du Frelimo là-dessous. ” Il voulait parler du Front de Libération du Mozambique (Frente da Libertação de Moçambique), le mouvement qui combattait à l’époque en faveur de l’indépendance du pays. Micas se demandait quoi répondre ; on n’avait pas abordé ce point dans sa “ formation ”. Il s’est efforcé d’expliquer avec diplomatie tout ce qu’il avait vu et ce à quoi il avait participé pour la première fois.

M. Figueira l’a interrompu : “ C’est bon, Micas, on en reste là. ” Il poursuivit, le prenant par les épaules : “ Vous dites la vérité. Depuis le début de l’Histoire, les serviteurs de Dieu sont persécutés parce qu’ils disent la vérité, tout comme vous. Je vous demande juste une chose : La prochaine fois que vous tiendrez une réunion importante de ce genre, prévenez-​nous pour éviter toute ambiguïté. Allez en paix. Mais revenez demain avec deux photos pour que nous puissions établir une carte de Témoin de Jéhovah à votre nom. ” (À l’époque, tous ceux qui avaient des responsabilités dans la congrégation étaient fichés à la PIDE.) Micas aime dire avec un sourire en coin : “ Moi qui n’étais qu’un double Gentil, j’ai été fiché à la PIDE avant de l’être dans la congrégation ! ” Hélas ! il était rare que les agents de police soient aussi aimables.

Les événements survenus au Malawi favorisent l’œuvre dans le Nord

En 1967, trois des assemblées de district “ Faites des disciples ” organisées au Malawi ont eu lieu près de la frontière du Mozambique, ce qui a permis à quelques frères mozambicains d’y assister plus facilement. Mais en octobre, le président H. Kamuzu Banda a déclaré que l’organisation des Témoins de Jéhovah était désormais interdite au Malawi. Une persécution virulente a fondu sur eux. À travers tout le pays leurs possessions ont été détruites, ils ont été battus, certains tués et plus d’un millier de chrétiennes ont été violées. En désespoir de cause, bon nombre de survivants sont venus se réfugier au Mozambique. Contre toute attente, les autorités portugaises se sont montrées hospitalières. Elles leur ont procuré de la nourriture dans deux camps spacieux situés près de Mocuba, dans la province de Zambézie. Dans l’un de ces camps on comptait 2 234 frères. Leur présence a contribué dans une large mesure à répandre le message du Royaume dans le Nord.

Durant cette période, les Témoins mozambicains ont bénéficié d’une plus grande liberté à Beira, la deuxième ville du pays, que dans la capitale. Ils pouvaient se réunir mais ne pouvaient pas prêcher librement de maison en maison, en particulier dans les quartiers résidentiels européens.

Un avis controversé suscite des divisions

En 1968, les anciens de Lourenço Marques ont reçu une sommation de la PIDE. On leur a présenté un “ Avis ” établissant que les Témoins de Jéhovah n’avaient pas le droit de faire du prosélytisme et qu’ils devaient se réunir uniquement en famille. Ils devaient signer cet “ Avis ” pour attester qu’ils l’avaient reçu.

Les anciens ont signé, comprenant que cela ne constituait en aucune façon un renoncement de leur foi, mais qu’ils reconnaissaient seulement par là avoir pris connaissance de cet “ Avis ”. Cependant, ils étaient déterminés à continuer d’obéir aux commandements bibliques demandant de se réunir et de prêcher, même s’il leur fallait le faire discrètement et en groupes restreints (Mat. 10:16 ; 24:14 ; 28:18-20 ; Héb. 10:24, 25). Sans la moindre considération pour la motivation de ces anciens, certains ont suscité une division parmi les frères. Ils pensaient que les anciens avaient fait un compromis en signant ce document.

Désireux de montrer au groupe dissident qu’ils n’avaient pas agi par crainte et qu’ils ne s’étaient livrés à aucun compromis, les anciens ont formé un comité présidé par Ernesto Chilaule. Ils se sont enquis auprès des autorités de la PIDE de la raison de l’interdiction. “ Que reprochez-​vous aux Témoins de Jéhovah ? ”, ont-​ils demandé. On leur a répondu : “ Nous n’avons rien à vous reprocher, mais cette religion est interdite au Mozambique. Même si vous ne faites rien de mal, le gouvernement n’autorise pas cette religion. ” Les officiers ont ajouté que quiconque désirait pratiquer cette religion devait aller dans un autre pays.

Frère Chilaule et ses compagnons ont répondu fermement : “ S’il est mal aux yeux du gouvernement d’enseigner les gens à ne pas voler, à ne pas tuer et à ne rien faire de mauvais, arrêtez-​nous. Nous continuerons à enseigner la vérité, et c’est exactement ce que nous allons faire en sortant d’ici. ” Ces propos nous rappellent la façon dont les apôtres ont un jour répondu devant le Sanhédrin. — Actes 4:19, 20.

Cet acte de courage allait-​il ramener les dissidents ? Malheureusement non. Malgré toute l’aide qui leur a été apportée, y compris la visite à plusieurs reprises de représentants spécialement envoyés par la filiale d’Afrique du Sud, ils ont continué à agir de façon indépendante, se faisant appeler “ les Témoins libres de Jéhovah ”. Ils ont dû être exclus pour apostasie. La Société a écrit par la suite que ce n’était pas faire preuve de crainte que de se montrer prudent en face de la persécution, mais qu’agir ainsi était en harmonie avec le conseil de Jésus rapporté en Matthieu 10:16.

La PIDE porte un coup sévère

Moins d’un an après cette rébellion, la PIDE a arrêté 16 frères qui assumaient des responsabilités, dont Ernesto Chilaule, Francisco Zunguza et Calvino Machiana. C’est à ce moment-​là que les agents de la PIDE ont adressé à frère Chilaule les paroles reproduites au début de ce récit.

Nombre d’arrestations se sont succédé. Comment la PIDE se procurait-​elle le nom et l’adresse des serviteurs nommés ? Lors d’une perquisition au domicile de frère Chilaule, ils avaient trouvé sur une table un dossier contenant les lettres de la Société où étaient inscrits les noms des serviteurs nommés, ainsi que le manuel Pour rester unis dans la prédication. Disposant de ces renseignements, ils ont recherché précisément le serviteur de congrégation, l’adjoint au serviteur de congrégation, le conducteur à l’étude de La Tour de Garde, le conducteur à l’étude de livre, etc. Tous ces frères ont été incarcérés dans la prison de Machava sans être jugés, et condamnés à deux ans d’emprisonnement.

La filiale d’Afrique du Sud a encouragé les frères qui étaient incarcérés et est venue en aide à leurs familles. Amnesty International a cherché à obtenir la libération des frères et s’est efforcée de soutenir leurs familles. Les Témoins du Mozambique qui étaient libres ont pris des dispositions visant à procurer de la nourriture à ceux qui étaient dans le besoin. Alita, la fille de frère Chilaule, dit à ce propos : “ Nous n’avons jamais manqué de la nourriture quotidienne. Il arrivait même qu’elle soit de meilleure qualité que ce à quoi nous avions été habitués. ”

L’activité de prédication se poursuit

Bien que traversant une “ époque difficile ”, le peuple de Jéhovah ne pouvait cesser l’activité salutaire consistant à prêcher la bonne nouvelle du Royaume (2 Tim. 4:1, 2). Fernando Muthemba, qui est devenu un des piliers de l’œuvre dans le pays, se souvient que dans sa congrégation aussi bien le serviteur de congrégation que son adjoint ont été arrêtés. Étant à l’époque le serviteur aux études bibliques, il lui a fallu prendre les choses en mains. La Société l’a informé qu’une série de discours basés sur le livre La vérité qui conduit à la vie éternelle devait être présentée. Tout en prenant les précautions nécessaires, il a fait en sorte que ces discours aient lieu la nuit, dans les groupes d’étude de livre, chaque orateur présentant son discours devant deux groupes. Ainsi, les nombreuses personnes invitées ont pu profiter de cette nourriture spirituelle, ce qui leur a fait davantage apprécier la vérité.

Les nouveaux ont reçu une formation intensive pour leur permettre d’être efficaces dans leur ministère et de garder courage devant la persécution. Filipe Matola explique en quoi cette formation lui a été profitable : “ On nous enseignait comment communiquer à autrui ce que nous apprenions et prouver habilement toutes nos croyances à l’aide de la Bible. Après deux semaines d’étude, nous commencions à prêcher de façon informelle. La troisième semaine, nous invitions ceux qui s’intéressaient depuis peu au message à prendre part à l’étude. La quatrième semaine, nous commencions à prêcher de maison en maison. On encourageait les nouveaux à endurer en dépit des épreuves et de l’emprisonnement, et à rester courageux. Parmi les frères qui avaient des responsabilités dans la congrégation, un seul était en liberté ; il nous disait : ‘ J’ignore quand je serai emprisonné. C’est pourquoi chacun de vous doit apprendre comment veiller sur la congrégation. ’ ” Lorsque frère Matola a été incarcéré à son tour à la prison de Machava, il n’a pas laissé son zèle se refroidir.

La prédication et les réunions en prison

Dès que ce fut possible, le groupe de la prison de Machava a organisé toutes les réunions afin que chacun reste fort sur le plan spirituel. Étant sous surveillance, comment s’y prenaient-​ils ? Filipe Matola raconte : “ Nous profitions du moment où nous étions dans la cour. Celui qui devait présenter un exposé à l’École du ministère théocratique se promenait avec quatre autres frères, faisant mine d’avoir une conversation. Puis il laissait ce groupe et recommençait avec un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce que chaque groupe ait entendu son exposé. ”

Au départ, ils ont essayé d’avoir une étude de livre en cellule à l’aide d’une publication, mais ils ont été découverts et on leur a interdit de la poursuivre. Ils ont donc changé de méthode. Un des prisonniers, Luis Bila, se souvient : “ Nous nous préparions individuellement et fixions un jour et une heure où, en nous promenant, nous utilisions la même méthode que pour l’École du ministère théocratique. Nous n’avions pas de publication sur nous, mais chacun faisait ressortir les points principaux de l’étude. Cette méthode était très avantageuse, car elle nous obligeait à faire un effort de mémoire, si bien que nous n’oubliions pas les idées. ”

Les membres de leur famille qui étaient libres leur apportaient de l’aide en camouflant des publications dans de la nourriture et en les introduisant dans la prison lorsqu’ils étaient en visite. C’est ainsi que les frères étaient nourris tant physiquement que spirituellement.

En certaines occasions, les autres prisonniers ont également pu bénéficier des réunions. À un moment donné, alors que trois frères partageaient une aile de la prison avec 70 autres détenus, un discours public a été présenté. Un frère a présidé et un autre a prononcé la prière. Les trois frères ont chanté un cantique, et le discours a été donné. On a dénombré 73 assistants.

Ernesto Chilaule partageait sa cellule avec un membre du Frelimo qui avait été arrêté par la PIDE alors qu’il combattait en vue de l’indépendance. Frère Chilaule a eu aussi la possibilité d’avoir des conversations amicales avec lui et de lui donner le témoignage au sujet du Royaume de Dieu. Plus tard, ils allaient se rencontrer dans une toute autre situation.

Un vif désir de communiquer la vérité à Inhambane

Inhambane, une province du Sud, est devenue le théâtre d’une activité intense effectuée par un humble maçon. Cet homme, du nom d’Arão Francisco, fut convaincu qu’il avait trouvé la vérité après avoir entendu un discours à Lourenço Marques. De retour chez lui, il s’est senti poussé à faire part de ce qu’il avait entendu aux gens de son entourage. C’est ce qu’il a fait. Il est reparti à Lourenço Marques et a été baptisé presque au même moment où un nombre important d’anciens a été arrêté par la PIDE. Arão s’est senti responsable vis-à-vis de l’intérêt que des gens de sa région avaient manifesté ; il craignait d’être emprisonné avant d’avoir pu les aider davantage. Certains frères ont essayé de le dissuader d’y retourner, disant qu’il était encore trop jeune dans la vérité pour se débrouiller seul. Il a attendu encore quelques mois mais n’a pas pu résister davantage à l’envie de donner le témoignage aux habitants de sa région. Accompagné de sa femme et de leurs deux enfants, il a repris le chemin d’Inhambane. Il a organisé toutes les réunions, auxquelles seule sa famille assistait au début.

Il a semé des graines de vérité dans la ville d’Inhambane, à Maxixe et dans d’autres villes de la région, posant ainsi le fondement des congrégations que l’on trouve là-bas aujourd’hui. Un jour, un prêtre catholique a essayé de s’interposer, disant : “ Vous n’avez pas le droit de former un groupe ici. ” Arão a répondu courageusement : “ La bonne nouvelle que j’annonce n’a pas de limite. Elle peut être proclamée en tout lieu. ” Et, selon Actes 1:8, c’est effectivement ce que Jésus avait annoncé.

Le prêtre a organisé une réunion pour décider si Arão devait être expulsé de la région. Arão a affirmé qu’il ne partirait pas. Comme par hasard, le prêtre a convoqué son allié favori, la PIDE.

La PIDE recherche un prédicateur-bâtisseur

Un dimanche, tandis qu’Arão visitait d’autres groupes éloignés, quatre agents de la PIDE ont assisté à la réunion à Inhambane. Ils se sont fait passer pour des Témoins de Jéhovah de passage. Cependant, à la fin de la réunion, ils ont décliné leur identité et ont demandé à voir Arão. N’ayant pu le trouver, ils ont arrêté huit frères parmi ceux qui étaient présents.

Comme Arão construisait une maison pour l’administrateur de Ngweni, les agents sont allés le chercher là-bas. Arão a entendu l’administrateur leur dire : “ Je ne peux pas le laisser partir pour une histoire de religion. Il doit d’abord terminer ma maison. ” Les agents lui ont alors demandé : “ Vous voulez dire que c’est lui qui construit cette maison ? ” “ Exactement, a répondu l’administrateur, et il en a également construit une à Maxixe, et beaucoup d’autres. Le travail qu’il effectue actuellement sur ma maison, personne dans les environs n’est capable de le faire. C’est lui qui a construit la mairie de Maxixe, et il doit encore bâtir un hôtel. ” Sur ces mots, les agents ont dit : “ Nous reviendrons chercher Arão pour qu’il construise la maison de l’administrateur des travaux publics. ”

Arão a été arrêté et contraint de construire plusieurs bâtiments pour le gouvernement. Bien que prisonnier, il a néanmoins eu de nombreuses occasions de donner le témoignage.

Le soir, un fonctionnaire convoquait Arão dans son bureau pour qu’il l’aide à étudier le livre Vérité. Quand d’autres personnes entraient, le fonctionnaire, M. Neves, attrapait rapidement quelques documents et feignait de diriger un interrogatoire. Il a avoué un jour : “ Arão, avec tout ce que vous m’enseignez, vous m’avez convaincu. Toute ma vie durant, depuis l’époque où je vivais à Lisbonne jusqu’à présent, j’ai discuté avec des Témoins de Jéhovah. Je vais bientôt prendre ma retraite et je deviendrai l’un des vôtres. Mais avant de partir, il faut que j’obtienne votre libération. Terminez le travail que vous avez entrepris, après quoi je suggérerai à l’inspecteur général de prendre un autre maçon. Pour éviter tout problème, je ne retournerai pas à Lisbonne ; je vais vendre tout ce que je possède et je me rendrai en Amérique. Vous m’entendez, Arão ? Ne dites rien à personne. ”

M. Neves s’est efforcé de tenir sa promesse, libérant même les frères emprisonnés à Inhambane. Cependant, libérer Arão n’était pas aussi simple que cela. Les membres de la PIDE en étaient venus à le considérer comme leur bâtisseur. Entre-temps, M. Neves avait pris sa retraite, mais il venait chaque jour voir son ami et solliciter l’inspecteur général pour obtenir sa libération. Comme il l’avait promis, il n’est parti qu’après la libération d’Arão. Nous ignorons ce qu’est devenu M. Neves à présent. A-​t-​il tenu le reste de sa promesse ? Nous le souhaitons sincèrement.

Des changements politiques procurent un soulagement temporaire

Le 1er mai 1974, un cri de joie s’est répercuté dans toute la prison de Machava. La “ révolution des œillets ” (Revolução dos Cravos) du 25 avril avait mis fin à la dictature au Portugal, ce qui entraînait des changements radicaux pour ses colonies d’outre-mer. Le 1er mai, tous les prisonniers politiques ont été amnistiés. Cela concernait également les Témoins de Jéhovah, qui avaient été emprisonnés pour leur neutralité politique. À présent, le Mozambique se préparait à devenir une nation indépendante.

À leur libération, les frères ont été encouragés en voyant que le nombre des serviteurs de Jéhovah s’était accru. Ils se sont aussi réjouis de constater que ceux qui étaient restés libres étaient forts sur le plan spirituel. (Voir Philippiens 1:13, 14.) Profitant de leur liberté retrouvée, ils ont organisé une assemblée de circonscription magistrale. Pour ajouter à leur joie, deux frères d’Afrique du Sud qui leur étaient chers étaient présents : Frans Muller, le coordinateur du comité de la filiale, qui s’était beaucoup soucié du bien-être des frères du Mozambique, et Elias Mahenye, qui avait été surveillant de circonscription dans le sud du Mozambique pendant de nombreuses années.

Lors de cette assemblée, on a encouragé ceux qui avaient été emprisonnés à servir de concert avec l’organisation de Jéhovah, qui avançait d’un bon pas. Frère Mahenye a rappelé aux frères : “ La PIDE n’est plus, mais son père, Satan le Diable, rôde toujours. Affermissez-​vous et soyez courageux. ” Il a demandé à ceux qui avaient été emprisonnés de se lever. On en comptait des dizaines. Puis il a demandé à ceux qui étaient venus à la vérité durant la période où les frères étaient emprisonnés de se lever à leur tour. La moitié de l’assistance, qui comptait environ 2 000 personnes, s’est levée. Frère Mahenye a conclu : “ Vous n’avez aucune raison d’avoir peur. ”

Ces paroles d’encouragement arrivaient à point nommé. Des nuages noirs se formaient à l’horizon, et une épreuve sans précédent qui allait mettre en jeu leur amour pour Dieu attendait tous les serviteurs de Jéhovah du Mozambique.

L’année 1974 est passée rapidement. Au cours de cette année-​là, 1 209 personnes ont été baptisées ; on en a enregistré 2 303 en 1975. Bon nombre de ceux qui sont anciens aujourd’hui ont été baptisés à cette époque-​là.

Cependant, la ferveur révolutionnaire envahissait le pays. Le slogan “ Viva Frelimo ” est devenu le symbole des dix années de lutte pour la liberté et l’indépendance. La nation entière était euphorique, et il paraissait impensable à la plupart des gens que quelqu’un puisse se démarquer. Étant donné les sentiments qui prédominaient, un rideau de fer était sur le point de se refermer sur les courts instants de liberté accordés aux frères.

Il faut les arrêter

Tandis que les préparatifs pour le jour de l’indépendance, le 25 juin 1975, allaient bon train, la position de neutralité des Témoins de Jéhovah était de plus en plus évidente. Des frères désignés par la Société ont sollicité une entrevue avec le nouveau gouvernement, mais sans succès. Le nouveau président a presque donné un ordre à la population en criant lors d’un discours radiodiffusé : “ Nous allons faire entièrement disparaître ces Témoins de Jéhovah. (...) Nous pensons que ce sont des agents issus de la colonisation portugaise ; ils faisaient partie de la PIDE. (...) Par conséquent, nous suggérons à la population de les arrêter sur-le-champ. ”

L’orage avait éclaté. Des groupes ont été mobilisés avec pour but commun d’arrêter tous les Témoins de Jéhovah à travers le pays : sur leur lieu de travail, chez eux, dans la rue, à toute heure du jour et de la nuit. Chacun devait être présent aux réunions régionales qui avaient lieu au travail et dans les endroits publics, et quiconque ne s’associait pas à la foule pour proclamer “Viva Frelimo” était considéré comme un ennemi. Voilà l’esprit qui prédominait alors que la ferveur nationaliste était à son comble.

Pourtant, il est notoire que les Témoins de Jéhovah obéissent aux lois, respectent les fonctionnaires, sont des citoyens honnêtes et paient consciencieusement leurs impôts, tout en étant neutres quant aux affaires politiques. C’est ce qu’allait constater le gouvernement du Mozambique avec les années. Mais pour le moment, la situation des Témoins de Jéhovah du Mozambique était semblable à celle des premiers chrétiens mis à mort dans les arènes romaines pour avoir refusé de brûler de l’encens à l’empereur, et à celle des frères incarcérés dans des camps de concentration en Allemagne pour avoir refusé de dire : “ Heil Hitler. ” Dans le monde entier ils sont connus pour leur refus de transiger avec leur obéissance à Jéhovah et à Jésus Christ, lequel a dit de ses disciples : “ Ils ne font pas partie du monde, comme moi je ne fais pas partie du monde. ” — Jean 17:16.

Déportation massive vers une destination inconnue

En un rien de temps, les prisons du Mozambique ont été surpeuplées de milliers de Témoins de Jéhovah. Beaucoup ont été séparés de leur famille. Toute la propagande qui a été faite a suscité une telle hostilité envers les Témoins que, bien que les anciens ne l’encourageaient pas, un grand nombre ont préféré se rendre. Ils se sentaient plus en sécurité avec leurs frères et les membres de leur famille déjà emprisonnés.

À partir d’octobre 1975, les filiales du Zimbabwe (alors la Rhodésie) et d’Afrique du Sud ont reçu une montagne de rapports provenant de surveillants de circonscription, de divers comités et de frères en particulier qui dépeignaient un triste tableau. Ces rapports ont été transmis au Collège central des Témoins de Jéhovah. Dès que la famille internationale des frères a été informée de la situation critique des Témoins au Mozambique, des prières ferventes venant des quatre coins de la terre se sont élevées vers les cieux en faveur des frères persécutés, conformément au conseil donné en Hébreux 13:3. Seul Jéhovah était en mesure de les soutenir, ce qu’il a fait à sa façon.

Il est fort probable que les autorités gouvernementales les plus élevées n’avaient pas l’intention d’infliger aux Témoins de Jéhovah les traitements violents qu’ils ont subis. Cependant, déterminées à faire changer les convictions profondément enracinées dans la conscience des gens, d’autres autorités d’un rang inférieur ont utilisé la violence pour les forcer à dire le “ Viva ”. Julião Cossa, de Vilanculos, est un exemple parmi tant d’autres. On l’a battu pendant trois heures afin de le faire renoncer à sa foi, mais sans succès. Quand bien même il arrivait que les bourreaux parviennent à extirper un “ Viva ” de la bouche de quelqu’un, ils n’étaient pas satisfaits. Ils demandaient au Témoin de crier en plus : “ À bas Jéhovah ” et : “ À bas Jésus Christ. ” Les atrocités qu’ont subies nos frères seraient trop nombreuses à raconter et trop horribles à décrire. (Voir Réveillez-vous! du 8 mai 1976, pages 16-25.) Quoi qu’il en soit, conformément à ce que l’apôtre Paul a écrit aux chrétiens philippiens du Ier siècle, ils savaient que leur attitude courageuse face à la tribulation et à la persécution attestait de la profondeur de leur amour pour Dieu et leur donnait l’assurance qu’il les récompenserait en leur accordant le salut. — Phil. 1:15-29.

La surpopulation dans les prisons rendait les conditions de vie étouffantes, sans parler de la saleté et du manque de nourriture, ce qui a provoqué, en quatre mois, la mort de plus de 60 enfants dans les prisons de Maputo (anciennement Lourenço Marques). Les frères qui étaient libres s’efforçaient au mieux de soutenir ceux qui étaient emprisonnés. Fin 1975, des Témoins ont vendu leurs biens afin de continuer à procurer de la nourriture à leurs frères. Pourtant, ils mettaient leur propre liberté en jeu en montrant qu’ils étaient eux aussi Témoins de Jéhovah, et beaucoup ont ainsi été arrêtés. Jésus avait dit que ses véritables disciples auraient un amour semblable les uns pour les autres. — Jean 13:34, 35 ; 15:12, 13.

Paradoxalement, des Témoins de la province de Sofala ont reçu un traitement bien différent pendant la même période. Après leur arrestation, ils ont été emmenés au luxueux hôtel Grande à Beira, où on les a nourris en attendant de les conduire à leur destination finale.

Quelle destination ? Le mystère était total, même pour les chauffeurs des nombreux autocars et camions qui allaient les transporter.

Destination : Carico, dans le district de Milange

De septembre 1975 à février 1976, tous les Témoins de Jéhovah détenus, que ce soit en prison ou dans des camps, ont été transférés. La destination était inconnue : encore une arme utilisée par la police et les autorités locales pour tenter d’intimider les frères. “ Vous allez être dévorés par des animaux féroces, leur disait-​on. C’est un endroit inconnu dans le nord, d’où vous ne reviendrez jamais. ” Les membres de leur famille qui n’étaient pas Témoins les accompagnaient dans un concert de pleurs et de lamentations, les pressant de capituler. Cependant, très peu ont cédé. Même des personnes qui s’intéressaient depuis peu à la vérité ont partagé courageusement le sort des Témoins de Jéhovah. Ce fut le cas d’Eugênio Macitela, qui défendait avec zèle ses idéaux politiques. Son intérêt a été éveillé lorsqu’il a entendu dire que les prisons étaient remplies de Témoins de Jéhovah. Désirant savoir qui ils étaient, il avait demandé une étude biblique, ce qui lui a valu d’être arrêté et déporté au bout d’une semaine. Il a été parmi les premières personnes à se faire baptiser dans un camp de concentration et il est à présent surveillant de circonscription.

Les Témoins n’ont manifesté aucune crainte ou appréhension quand on est venu les chercher dans les prisons pour les transporter en autocar, en camion, voire en avion. L’une des caravanes des plus impressionnante est partie de Maputo le 13 novembre 1975. Elle était composée de 14 autocars, ou machibombos comme on les appelle là-bas. La joie que manifestaient les frères semblait inexplicable ; elle amena donc les soldats à leur demander : “ Comment pouvez-​vous être aussi heureux alors que vous ne savez même pas où vous allez ? L’endroit où vous serez n’a rien de réjouissant. ” Mais cela n’a pas refroidi la joie des frères. Alors que leurs parents non Témoins pleuraient, inquiets pour l’avenir de ceux qu’ils aimaient, les Témoins chantaient des cantiques du Royaume, comme celui intitulé “ Courage, avançons ! ”

Dans chaque ville qu’ils traversaient, les chauffeurs téléphonaient à leurs supérieurs pour connaître leur destination, et on leur disait d’avancer jusqu’à la prochaine étape. Il arrivait que certains se perdent. Mais ils ont fini par arriver à Milange, ville située dans la province de Zambézie, à 1 800 kilomètres de Maputo. Ils ont été accueillis par un “ discours de bienvenue ” plein de menaces de l’administrateur.

Puis on les a emmenés à 30 kilomètres vers l’est, dans un endroit appelé Carico, situé sur les rives du Munduzi, toujours dans le district de Milange. Des milliers de Témoins de Jéhovah du Malawi, qui avaient fui la vague de persécutions dans leur pays, vivaient là depuis 1972. L’arrivée inattendue des frères mozambicains a surpris les Malawites. Et quelle surprise pour les frères du Mozambique d’être reçus par des frères parlant une autre langue ! Cependant, c’était une surprise très agréable, et les Malawites ont accueilli les Témoins mozambicains d’une façon tellement chaleureuse et hospitalière que les chauffeurs en ont été impressionnés. — Voir Hébreux 13:1, 2.

L’administrateur du district avait été emprisonné avec des frères à Machava, quelques années auparavant. À chaque fois qu’un groupe arrivait, il demandait : “ Où sont Chilaule et Zunguza ? Je sais qu’ils vont arriver. ” Quand frère Chilaule est enfin arrivé, l’administrateur lui a dit : “ Chilaule, je ne sais pas trop comment vous recevoir. À présent, nous ne sommes plus dans le même camp. ” Il restait attaché à ses idéaux et n’a nullement rendu les choses plus faciles pour ses anciens compagnons de cellule. Il était, comme il le disait lui-​même, “ une chèvre qui dirigeait au milieu des brebis ”.

Un soutien plein d’amour venant des frères du monde entier

Les Témoins de Jéhovah du monde entier ont exprimé l’intérêt plein d’amour qu’ils portaient à leurs frères du Mozambique. Ils ont inondé les services postaux du pays de messages en appelant aux autorités. Augusto Novela, un Témoin qui travaillait aux télécommunications, était sans arrêt harcelé par ses collègues de travail qui disaient que les Témoins de Jéhovah n’étaient qu’une secte locale. Mais ils ont été réduits au silence quand leurs télex ont commencé à recevoir des messages provenant du monde entier. Cette réponse remarquable démontrait que les serviteurs de Jéhovah sont véritablement unis par l’amour.

Environ dix mois plus tard, un ministre venu inspecter les camps a reconnu que les frères avaient été emprisonnés à la suite d’accusations mensongères. Cependant, il était encore trop tôt pour qu’ils espèrent être libérés.

Les difficultés d’une vie nouvelle

Un nouveau chapitre commençait dans l’histoire des serviteurs de Jéhovah du Mozambique. Les frères malawites qui se trouvaient là s’étaient répartis entre huit villages. Ils avaient appris à s’adapter à un style de vie nouveau dans la brousse et étaient devenus habiles dans la construction de maisons, de Salles du Royaume et même de Salles d’assemblées. Ceux qui n’avaient pas d’expérience en agriculture avaient également beaucoup appris dans ce domaine. Ne s’étant jamais occupés d’un machamba (champ en culture), la plupart des Mozambicains allaient être confrontés pour la première fois aux durs travaux des champs. Les premiers mois, les nouveaux arrivants ont bénéficié de l’hospitalité pleine d’amour de leurs frères malawites, qui les ont accueillis chez eux et ont partagé leur nourriture. Mais à présent, c’était au tour des frères du Mozambique de bâtir leurs propres villages.

Ce n’était pas une tâche facile. La saison des pluies avait commencé, et la région était abondamment arrosée comme jamais auparavant. Cependant, quand le Munduzi, qui coupait le camp en deux, a débordé dans cette région où régnait habituellement la sécheresse, pour les frères ce fut un symbole de la façon dont Jéhovah allait prendre soin d’eux. En effet, au cours des 12 années qui ont suivi, la rivière ne s’est jamais asséchée comme par le passé. En revanche, frère Muthemba se souvient que “ le sol était naturellement boueux et glissant à cause du temps pluvieux, ce qui a présenté une difficulté supplémentaire pour les anciens citadins ”. Qui plus est, il n’était pas facile pour les femmes de traverser la rivière en équilibre sur des ponts improvisés qui n’étaient rien de plus que des troncs d’arbres. “ Pour nous qui étions habitués à un bureau, raconte Xavier Dengo, la difficulté consistait à nous rendre dans des forêts épaisses afin d’abattre des arbres pour construire nos maisons. ” Ces conditions de vie se sont révélées être une épreuve à laquelle certains n’étaient pas préparés.

Aux jours de Moïse, “ la foule mêlée ” qui accompagnait les Israélites commença à se plaindre à la sortie d’Égypte ainsi que dans le désert, et cet esprit se répandit parmi les Israélites (Nomb. 11:4). De même, dès le début, un groupe de personnes qui n’étaient pas des Témoins baptisés a commencé à se plaindre, et des proclamateurs baptisés se sont joints à eux. Ils se sont adressés à l’administrateur et lui ont fait savoir qu’ils étaient disposés à payer n’importe quel prix pour être renvoyés chez eux le plus rapidement possible. Mais contrairement à ce qu’ils espéraient, ils ne sont pas rentrés chez eux pour autant. Ils sont restés à Milange et la plupart d’entre eux sont devenus comme une épine dans le pied de ceux qui étaient fidèles. On les appelait “ les rebelles ”. Ils vivaient parmi les autres frères mais étaient toujours prêts à les trahir. Leur amour pour Dieu n’avait pas résisté à l’épreuve.

Les Salles d’assemblées s’effondrent

Dans les camps, les frères malawites avaient bénéficié d’une grande liberté de culte. Lorsque les frères mozambicains sont arrivés, ils en ont profité également, dans un premier temps. Ils se réunissaient chaque jour dans l’une des grandes Salles d’assemblées pour examiner le texte du jour. C’était souvent un surveillant de circonscription malawite qui présidait. “ Après avoir passé des mois en prison et en transfert, nous étions fortifiés par ces encouragements spirituels en compagnie de tant de frères ”, raconte Filipe Matola. Hélas ! cette liberté relative n’a pas duré !

Le 28 janvier 1976, des autorités gouvernementales ainsi que des soldats sont passés dans les villages et ont annoncé : “ Il vous est interdit d’exercer votre culte ou de prier dans ces salles, ou ailleurs dans les villages. Les salles vont être nationalisées, et le gouvernement les utilisera comme il l’entend. ” Ils ont ordonné aux frères de sortir tous leurs livres, qu’ils ont confisqués. Bien entendu, les frères ont caché tout ce qu’ils ont pu. Puis des drapeaux ont été installés devant chacune des salles et des soldats y ont été postés, afin de veiller à ce que le décret soit respecté.

Les salles, bâties avec des pieux et d’apparence rustique, étaient assez solides. Pourtant, toutes ont commencé à se détériorer en un temps relativement court. Xavier Dengo se souvient d’un jour où, alors qu’il venait d’arriver dans un village avec l’administrateur, la salle a commencé à s’effondrer bien qu’il n’y ait eu ni vent ni pluie. L’administrateur s’est écrié : “ Que se passe-​t-​il ? Malheureux ! À présent que nous avons nationalisé les salles, elles s’effondrent toutes ! ” Dans une autre circonstance, l’administrateur a dit à un ancien : “ Vous avez dû prier pour que les salles s’écroulent, (...) et votre Dieu les fait s’écrouler. ”

L’organisation des villages

Neuf villages mozambicains ont poussé comme des champignons en face des huit villages malawites déjà existants. Ces deux communautés unies par la “ langue pure ” allaient cohabiter pendant les 12 années qui suivraient (Tseph. 3:9). Chaque village se composait de plusieurs quartiers, délimités par des rues bien entretenues ; chaque quartier était divisé en huit parcelles mesurant environ 35 mètres sur 25. La répartition des congrégations était faite par quartier. Par suite de l’interdiction, il n’a plus été possible de construire ouvertement des Salles du Royaume dans les camps. Pour les remplacer, les frères ont décidé de bâtir des maisons spéciales en forme de “ L ”. De telles maisons étaient occupées par une veuve ou par une autre personne seule, afin de leur donner l’apparence de résidences. Ainsi, durant la réunion, l’orateur se plaçait à l’angle du “ L ”, ce qui lui permettait de voir les assistants de chaque côté.

Il y avait des machambas à la périphérie de chaque village. Chaque congrégation possédait aussi son propre “ machamba ” , qui était cultivé par l’ensemble des habitants du village en guise de contribution pour les besoins de la congrégation.

La taille de chaque village dépendait du nombre d’habitants. Un recensement qui a été effectué en 1979 révèle que le village mozambicain n7 était le plus petit, avec seulement 122 proclamateurs répartis dans 2 congrégations, tandis que le n9, qui était le plus étendu et le plus éloigné, en comptait 1 228 répartis dans 34 congrégations. L’ensemble du camp regroupait 11 circonscriptions. Ce camp, composé de villages malawites et mozambicains et de leurs dépendances, en est venu à être appelé par les frères le Cercle de Carico. Le dernier recensement disponible date de 1981, donnant une population totale de 22 529 habitants, dont 9 000 proclamateurs actifs. Mais ces chiffres se sont accrus par la suite. (Selon la brochure Consolidemos Aquilo Que nos Une [Affermissons les liens qui nous unissent], pages 38-9, le président de l’époque, Samora Machel, a évalué la population à 40 000 habitants.)

La période Chingo : une période difficile

Il va de soi que les Témoins de Jéhovah n’avaient pas été déportés vers Milange dans le seul but de devenir une communauté agricole. Ce n’était pas pour rien que le gouvernement appelait le camp Centre de rééducation de Carico. D’ailleurs, des fonctionnaires travaillaient dans le centre administratif comportant des bureaux et des logements qui se trouvait au milieu du camp malawite n4. Il y avait également un commandant, des soldats et une prison dans laquelle de nombreux frères ont été incarcérés pour des peines diverses, suivant ce que décidait le commandant.

De tous les commandants, Chingo est celui qui s’est le plus distingué. On a appelé période Chingo les deux années durant lesquelles il a été commandant. Déterminé à briser la position inébranlable des Témoins de Jéhovah et à les “ rééduquer ”, il a recouru à toutes les méthodes psychologiques de sa connaissance, ainsi qu’à la violence pour arriver à ses fins. Bien que très peu instruit, c’était un orateur éloquent et persuasif qui avait un penchant pour les illustrations. Il a utilisé ses talents pour tenter d’endoctriner les frères avec sa philosophie politique et de miner leur amour pour Dieu. “ Le séminaire de cinq jours ” faisait partie de son programme.

“ Le séminaire de cinq jours ”

Le commandant a annoncé qu’un “ séminaire de cinq jours ” avait été programmé et que les Témoins de Jéhovah devaient choisir dans les villages les hommes les plus capables, qui pourraient communiquer aux autres des renseignements utiles. Ils allaient être envoyés à un séminaire qui aurait lieu dans un endroit éloigné. Se méfiant de ses intentions, les frères ont refusé. Cependant, “ les rebelles ” qui se trouvaient là ont désigné les frères assumant des responsabilités, y compris les surveillants de circonscription. Parmi eux figuraient Francisco Zunguza, Xavier Dengo et Luis Bila. Un camion a emmené 21 hommes et 5 femmes. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres en direction du nord pour arriver dans un endroit situé au nord de Lichinga, dans la province de Niassa. Puis les hommes ont été placés dans un “ camp de rééducation ” avec des criminels, tandis que les femmes ont été conduites dans un camp de prostituées.

Ils ont été affreusement torturés, subissant entre autres ce que les bourreaux appelaient “ le supplice du Christ ”. La victime devait écarter les bras, comme si elle se trouvait sur une croix, et on plaçait une pièce de bois le long de ses bras. Du fil de nylon était solidement enroulé autour du bois et des bras sur toute leur longueur, de l’extrémité des doigts d’une main à l’extrémité des doigts de l’autre. La circulation sanguine ne se faisant plus dans les mains, les bras et les épaules, la victime était maintenue dans cette position pendant un temps considérable, dans l’espoir illusoire de lui extirper un “ Viva Frelimo ”. Luis Bila, un ancien fidèle, est mort d’une attaque cardiaque par suite de ce traitement cruel et inhumain.

Les sœurs ont été soumises au supplice des “ exercices ”, durant lesquels on les obligeait à courir presque sans s’arrêter, parfois même dans l’eau ; elles devaient gravir et descendre des pentes raides en faisant sans arrêt des roulades ; sans parler des innombrables choses insensées qu’on leur ordonnait de faire. Quel séminaire ! Quelle “ rééducation ” !

Malgré la cruauté de ce traitement, deux frères seulement ont cédé ; la majorité sont restés intègres. Un des frères a réussi à envoyer une lettre au ministre de l’Intérieur de Maputo afin de lui faire part de ce qu’ils subissaient, ce qui n’a pas été sans résultat. Le gouverneur de Niassa en personne est venu en hélicoptère. Il a aussitôt retiré tout pouvoir au commandant et à ses adjoints et a déclaré : “ Ces hommes peuvent se considérer en état d’arrestation pour avoir pratiqué des choses que le Frelimo n’a jamais autorisées. ” En entendant cela, les autres prisonniers qui avaient subi le même traitement que les frères ont poussé des cris de joie, disant : “ Merci à vous, nous avons été délivrés. ” Ce à quoi les frères ont répliqué : “ Remerciez plutôt Jéhovah. ”

Au bout de quelque temps, les frères ont été transférés dans d’autres camps où ils ont simplement été contraints aux travaux forcés. Ils y sont restés presque deux ans en tout avant de retourner à Carico, et Chingo était là pour les accueillir. Il a poursuivi en vain ses efforts visant à briser leur fidélité pour Jéhovah en organisant d’autres “ séminaires ”. Puis, avant de quitter Carico, il a présenté un discours dans le style imagé qui était le sien. Reconnaissant son échec, il a dit : “ Un homme peut donner de nombreux coups dans un arbre et, alors que celui-ci est prêt à tomber, être remplacé par un autre qui, du premier coup, achèvera le travail. J’ai donné de nombreux coups, mais je n’ai pas pu terminer. D’autres me succéderont et utiliseront des méthodes différentes. Ne renoncez pas. (...) Demeurez fermes. (...) Sinon, c’est à eux qu’on attribuera toute la gloire. ” Cependant, en gardant un puissant amour pour Jéhovah, les frères se sont efforcés de démontrer que Jéhovah seul doit recevoir la gloire. — Rév. 4:11.

Ceux qui sont restés en ville

Tous les Témoins mozambicains vivant à cette époque ont-​ils été jetés en prison ou emmenés dans des camps de détention ? Bien que leurs ennemis les aient cherchés sur leurs lieux de travail et aient passé presque tous les quartiers au peigne fin, certains sont passés au travers. Tous ne souhaitaient pas qu’ils aillent en prison ou subissent un autre châtiment. Mais les Témoins risquaient à chaque instant d’être arrêtés. Les activités quotidiennes comportaient un risque, par exemple acheter des denrées alimentaires ou prendre de l’eau au robinet public.

Lisete Maienda, qui était resté à Beira, se souvient : “ On a refusé de me délivrer une carte indispensable pour acheter à manger, parce que je n’assistais pas aux réunions politiques obligatoires. Par bonheur, un commerçant amical me permettait de venir en cachette dans son magasin et me vendait quelques kilos de farine. ” (Voir Révélation 13:16, 17). Frère Maienda a été renvoyé six fois du poste qu’il occupait au port de Beira, mais à chaque fois ses employeurs venaient le rechercher parce que ses qualifications professionnelles étaient très précieuses à l’entreprise.

Bien qu’il fût très risqué de donner le témoignage et de se réunir, la lumière n’a cessé de briller dans toutes les villes principales du pays. Dans le quartier Esturro, à Beira, un groupe de jeunes, courageux et assoiffés de vérité, s’est associé à la famille Maienda. Ensemble, ils ont continué à faire briller la lumière dans la capitale de la province de Sofala. Le zèle de ce groupe était tel que, malgré le danger, il passait la frontière pour aller en Rhodésie (l’actuel Zimbabwe) afin de ramener de la nourriture spirituelle.

Le bureau de la filiale de Salisbury (ancien nom de Harare) a courageusement travaillé d’arrache-pied pour prendre soin de tous les frères éparpillés dans le nord du pays. C’est pourquoi, quand elle a appris qu’il y avait toujours un groupe qui se réunissait à Tete, la filiale a envoyé deux frères pour veiller aux besoins de ce groupe, car, à l’exemple d’Épaphrodite, compagnon de travail de l’apôtre Paul, ils désiraient ardemment voir leurs compagnons (Phil. 2:25-30). L’un de ces frères, Redson Zulu, était très apprécié et connu dans tout le nord pour ses discours stimulants en chichewa. Lui et son compagnon ont traversé la brousse en bicyclette à leurs risques et périls, afin de venir voir leurs frères mozambicains qui étaient isolés.

La lumière de la vérité a également continué de briller dans la province de Nampula. Là, un groupe de personnes non baptisées tenaient toujours les réunions à leur façon. De 8 assistants au départ, ils sont rapidement passés à 50. Quand un frère de Carico est arrivé à Nampula pour être hospitalisé, il est entré en contact avec un membre de ce groupe qui travaillait à l’hôpital. Ce frère en a parlé à la filiale de la Société, qui lui a demandé d’étudier avec le groupe afin de préparer au baptême ceux qui remplissaient les conditions requises. Cinq personnes se sont fait baptiser. Elles ont reçu une aide supplémentaire lorsqu’un frère des Pays-Bas se trouvant à Nampula pour son travail a proposé sa maison pour y tenir les réunions. Avec le temps, des membres de ce groupe se sont qualifiés en vue d’endosser des responsabilités et sont devenus des anciens.

Libérés de la prison centrale

En 1975, on faisait sortir un groupe de prisonniers après l’autre des prisons de Maputo pour les envoyer en direction du nord, tandis que d’autres prenaient leur place. Puis, vers la fin février 1976, le gouvernement a décidé d’en finir avec ces mouvements incessants de prisonniers Témoins.

Quelques mois plus tard, le président Samora Machel s’est rendu à la prison centrale de Maputo. Sœur Celeste Muthemba, qui était prisonnière, en a profité pour lui donner le témoignage. Il a écouté amicalement, mais après son départ la sœur a été sévèrement réprimandée par les autorités pénitentiaires. Cependant, celles-ci ont reçu une semaine plus tard l’ordre de la libérer, ainsi qu’un document garantissant qu’elle ne serait plus ennuyée pour des raisons d’ordre politique et l’autorisant à reprendre son emploi à l’hôpital du centre. Qui plus est, on a donné l’ordre de libérer tous les Témoins de Jéhovah qui se trouvaient dans cette prison.

Ceux qui étaient à Maputo ont été constitués en congrégations. Assez rapidement, 24 congrégations ont été formées dans une circonscription qui s’étendait au nord-est, de Maputo jusqu’à Inhambane. Fidelino Dengo a été désigné pour les visiter. De plus, la filiale d’Afrique du Sud a nommé un comité d’anciens qui avait pour rôle de veiller aux besoins spirituels de ces groupes. Ils ont mis en place des méthodes pour prêcher de façon informelle avec prudence, et ont pris des dispositions pour que les frères assistent aux assemblées se tenant dans le pays voisin, le Swaziland. Pour ce qui est du Mozambique, lorsque certains frères sont revenus de Carico, ils ont organisé des assemblées camouflées en réceptions.

Et à Carico ? Quelles dispositions y étaient prises en rapport avec les activités spirituelles ?

Le comité “ ON ” dirige l’œuvre dans les camps

Les frères malawites, qui étaient sous la direction de la filiale du Zimbabwe, avaient formé un comité spécial pour veiller aux besoins spirituels dans les camps. Quand les frères du sud du Mozambique sont arrivés à Carico, ils ont eux aussi bénéficié des dispositions en place. Deux des frères du sud, Fernando Muthemba et Filipe Matola, ont rejoint ce comité.

Le comité ON (Ofisi ya Ntchito: Bureau pour le service, en chichewa) correspondait avec la Société et organisait des assemblées. Il totalisait les rapports de tous les proclamateurs du camp et se réunissait régulièrement avec les anciens dans les villages. De plus, il dirigeait l’activité des 11 circonscriptions. Sa responsabilité n’était pas des moindres, notamment du fait de la précarité des relations des frères avec les autorités gouvernementales.

Ils prêchent et font des disciples dans les camps

Bon nombre de personnes bien disposées et d’étudiants de la Bible qui avaient accompagné les frères à Milange en 1975 se sont fait baptiser en novembre 1976.

Beaucoup de ceux qui étaient pionniers permanents ont continué de prêcher malgré leur incarcération et leur transfert dans les camps. Mais à qui prêchaient-​ils ? Au départ, ils étudiaient avec ceux qui n’étaient pas encore baptisés, y compris les enfants des frères. Une famille qui comptait beaucoup d’enfants était considérée comme un “ bon territoire ”. Les parents étudiaient avec quelques-uns des enfants, et des proclamateurs célibataires se partageaient les autres. C’est ainsi que beaucoup ont pu rester actifs dans l’œuvre consistant à faire des disciples.

Mais ce n’était pas suffisant pour ceux qui avaient l’esprit d’évangélisation. Un pionnier zélé s’est mis à explorer un territoire en dehors des camps. Nul doute que cela comportait des risques, étant donné les limites imposées par les autorités du camp. Il a compris qu’il lui faudrait trouver un prétexte pour quitter le camp. Lequel ? Après avoir prié pour recevoir la direction de Jéhovah, il a décidé d’aller vendre du sel et d’autres denrées alimentaires aux gens à l’extérieur du camp. Il réclamait un prix élevé afin d’éviter toute transaction, tout en suscitant l’occasion de donner le témoignage. C’était efficace. Rapidement, beaucoup de “ vendeurs ” de ce genre sont allés proposer leurs produits en dehors des camps. Il fallait couvrir de longues distances pour parcourir ce territoire dispersé, partir à l’aube et revenir avec la nuit. Il y avait si peu de “ végétation ” pour autant de “ sauterelles ”. Mais c’est grâce à cette méthode que de nombreuses personnes vivant dans la région ont connu la vérité.

“ Le centre de production de Zambézie ”

Grâce au travail assidu et consciencieux de ces “ étudiants en rééducation ” et à la pluie qui arrosait la région, la production agricole était florissante. Dans les camps, les Témoins en sont venus à avoir d’abondantes récoltes de maïs, de riz, de manioc, de millet, de patates douces, de canne à sucre, de haricots et de fruits tels que le mafura. Les greniers à grain du Cercle de Carico débordaient. L’élevage de volailles et de petit bétail (poulets, canards, pigeons, lapins et porcs) constituait un apport en protéines. L’époque des restrictions alimentaires appartenait au passé. Paradoxalement, le reste du pays faisait face à la famine la plus grande qu’il ait jamais connue. — Voir Amos 4:7.

Reconnaissant le succès agricole des frères, le gouvernement s’est mis à parler de ces camps comme du “ Centre de production de Zambézie ”. Grâce aux revenus provenant de la vente de leurs excédents, les frères ont pu s’acheter des vêtements et même des postes de radio et des bicyclettes. Bien que prisonniers, ils étaient dans l’abondance grâce à leur bon travail. Ils payaient scrupuleusement les impôts fixés par le gouvernement ; qui plus est, ils étaient les principaux contribuables de la région. Conformément aux principes bibliques, payer consciencieusement ses impôts, même dans une telle situation, était une des conditions requises pour se voir confier des privilèges dans la congrégation. — Rom. 13:7 ; 1 Tim. 3:1, 8, 9.

Échange de cultures

À Carico, les frères ont partagé leurs aptitudes et leur culture. Beaucoup ont appris des choses nouvelles : la maçonnerie, la menuiserie et la sculpture sur bois, par exemple. Ensemble, ils ont appris à travailler la fonte, à fabriquer des outils, des meubles de qualité et d’autres choses encore. Non seulement ils ont tiré profit pour eux-​mêmes des aptitudes qu’ils ont acquises ou améliorées, mais en plus cette activité est devenue une source de revenu supplémentaire.

Leur plus grande difficulté au niveau culturel a été la langue. Les Mozambicains ont appris le chichewa, parlé par les Malawites. Cette langue est devenue la principale dans les camps, et la plupart des publications disponibles étaient en chichewa. Lentement et de façon élégante, les Malawites ont également appris le tsonga et ses variantes parlées dans le sud du Mozambique. Beaucoup ont appris aussi l’anglais et le portugais, ce qui allait leur être très utile pour assumer par la suite des privilèges de service spéciaux. Un ancien se souvient : “ Il nous arrivait de rencontrer un frère ou une sœur qui parlait couramment notre langue sans pouvoir dire s’il était Mozambicain ou Malawite. ”

Comment la nourriture spirituelle pénétrait-​elle dans les camps ?

Elle arrivait de Zambie via le Malawi. Par quel moyen ? Un surveillant de circonscription répond : “ Jéhovah seul le sait. ” Dans les camps, le comité ON désignait de jeunes Malawites, souvent des pionniers, pour passer la frontière à bicyclette et rencontrer, en un endroit fixé à l’avance, ceux qui avaient été envoyés pour apporter le courrier et les publications. Ainsi, les congrégations disposaient d’une nourriture spirituelle à jour.

Par ailleurs, les membres du comité ON allaient chaque année en Zambie ou au Zimbabwe pour bénéficier de la visite du surveillant de zone envoyé par le Collège central. Grâce à de telles dispositions, les frères de Carico sont restés étroitement attachés à l’organisation visible de Jéhovah et ont ainsi pu demeurer unis dans son culte.

Il fallait apporter quelques modifications aux réunions de la congrégation. Les frères étant constamment surveillés, un bon nombre de réunions avaient lieu à l’aube ou plus tôt encore. Les assistants se rassemblaient à l’extérieur, comme s’ils mangeaient du porridge dans la cour, tandis que l’orateur était dans la maison. Certaines réunions avaient lieu dans le lit des rivières ou à l’intérieur de cratères naturels. Cependant, la préparation des assemblées demandait beaucoup plus de travail.

L’organisation des assemblées

Après avoir reçu de la Société toutes les matières de l’assemblée, le comité ON se retirait pendant quelques semaines dans le village n9. Dans cet endroit relativement isolé, il travaillait des nuits entières à la lueur d’une lanterne pour traduire les plans des discours, enregistrer les drames et choisir les orateurs. Une machine à polycopier manuelle venant du Zimbabwe leur était particulièrement utile. Leur travail ne s’achevait que lorsque l’ensemble du programme pour la série de six assemblées était terminé.

Par ailleurs, une équipe était chargée de trouver et de préparer un lieu adéquat pour l’assemblée. Il pouvait se situer à flanc de montagne ou dans les bois, mais à une distance d’au moins 10 kilomètres des camps. Tout devait être fait à l’insu des autorités ou des “ rebelles ”. On empruntait des radios portables, ce qui permettait d’installer un système de sonorisation pour un auditoire de plus de 3 000 personnes. Il y avait toujours un ruisseau non loin de là, où il était possible d’aménager une piscine pour les baptêmes en construisant un barrage. On faisait d’avance l’estrade, l’auditorium, le nettoyage, l’entretien, après quoi tout était prêt pour l’assemblée, qui se tenait en un lieu différent chaque année.

On s’organisait dans les villages pour que tous puissent être présents. Cela se passait bien grâce au magnifique esprit de coopération des frères. Tous ne pouvaient pas assister à l’assemblée en même temps ; un village désert aurait attiré l’attention des autorités. Il y avait donc un tour de rôle entre voisins : une famille assistait à une journée, tandis que la famille voisine venait le lendemain. Celle qui restait au village s’activait autour de la maison de ses voisins ; ainsi, personne ne remarquait leur absence. Cela veut-​il dire que certains manquaient une partie de l’assemblée ? Non, car le programme de chaque journée était présenté deux fois. En d’autres termes, une assemblée de trois jours durait six jours ; et une assemblée de deux jours, quatre.

Une chaîne de communication était formée par un réseau de frères vifs chargés de l’accueil. Elle reliait le centre administratif du camp au lieu de l’assemblée ; il y avait un homme tous les 500 mètres. Toute action douteuse susceptible d’être une menace pour l’assemblée mettait en action cette chaîne de communication. Il suffisait de 30 minutes pour transmettre un message à 30 ou 40 kilomètres alentour. Cela laissait suffisamment de temps aux responsables de l’assemblée pour prendre une décision, par exemple interrompre l’assemblée et se cacher dans les bois.

José Bana, un ancien de Beira, se souvient : “ Un jour, un policier nous a prévenus la veille au soir qu’ils étaient au courant de notre assemblée et allaient l’interrompre. Les frères responsables en ont été informés. Allaient-​ils annuler l’assemblée ? Après avoir prié Jéhovah, ils ont décidé d’attendre le lendemain matin. Le dénouement ne s’est pas fait attendre : durant la nuit, une pluie torrentielle a fait déborder la rivière Munduzi, la transformant en une véritable mer. La police se trouvait sur l’autre rive. Ainsi, tout le monde a pu assister à l’assemblée ; il n’a pas été nécessaire de former la chaîne de communication humaine, ni de demander à certains de rester au village. Nous avons chanté des cantiques à cœur joie. ”

L’apostasie et le village n10

Un mouvement a suscité une grande agitation ; il a été formé par un groupe d’apostats qui se faisaient appeler “ les oints ”. Ses adeptes provenaient principalement de villages malawites. Ils prétendaient que les “ temps des anciens ” s’étaient achevés en 1975, et qu’il fallait désormais suivre la direction des “ oints ”. Le contenu du livre de la Société intitulé La vie éternelle dans la liberté des fils de Dieu s’est révélé très utile pour aider ceux qui avaient du mal à comprendre ce qu’impliquait l’onction véritable. Mais l’influence des apostats s’est répandue, et beaucoup de ceux qui les écoutaient se sont laissé égarer. Ils disaient également qu’il n’était pas nécessaire d’envoyer les rapports à la Société et se contentaient de les jeter en l’air après avoir prononcé une prière.

On estime à 500 le nombre de ceux qui ont été exclus à cause de cette influence apostate. Avec la permission des autorités, ils ont décidé eux-​mêmes de construire leur propre village, le village n10. Par la suite, le leader du mouvement en est venu à avoir de nombreuses jeunes femmes à son service, et beaucoup d’entre elles lui ont donné des enfants.

Le village n10 et son groupe ont subsisté pendant toute la période où les frères ont vécu dans les camps. Ils ont causé de nombreuses difficultés aux frères fidèles. Certains de ceux qui s’étaient laissé influencer au départ se sont repentis et sont revenus à l’organisation de Jéhovah. Ce groupement apostat a fini par disparaître lorsqu’un terme a été mis à la vie dans les camps.

“ Le camp est notre prison et les maisons sont nos cellules ”

Jusqu’au début de 1983, la vie dans les camps paraissait relativement normale. Mais les frères n’oubliaient pas qu’ils étaient prisonniers. Certes, il en est qui, de leur propre initiative, ont fait le nécessaire pour regagner leur ville. D’autres venaient mais ne restaient pas. Quoi qu’il en soit, la communauté en tant que telle est restée. Il était normal que les frères souhaitent retrouver le foyer qu’ils avaient laissé derrière eux. Ils échangeaient du courrier qu’ils faisaient parvenir par la poste ou par l’intermédiaire de frères qui venaient courageusement dans les camps pour rendre visite à des membres de leur famille ou à des amis de longue date, quoique certains de ces frères aient été arrêtés et emprisonnés.

Xavier Dengo avait l’habitude de dire : “ Vous les Malawites, vous êtes réfugiés, mais nous, nous sommes prisonniers. Le camp est notre prison et les maisons sont nos cellules. ” En fait, la situation des frères malawites étaient sensiblement la même. Cependant, la vie qui semblait paisible dans les villages allait connaître une fin soudaine.

L’invasion armée suscite la panique et la mort

Début 1983, des membres armés du mouvement de résistance ont commencé à occuper la région de Carico, obligeant le commandant du centre administratif à chercher refuge à Milange, le siège du district situé à 30 kilomètres de là. Pendant une courte période, les frères ont pu respirer un peu, bien qu’étant toujours surveillés par les autorités.

Hélas ! un drame est survenu le 7 octobre 1984, alors que s’achevaient les préparatifs en vue de l’assemblée de district. Un groupe d’hommes armés sont arrivés de l’est. Ils ont traversé le village n9, provoquant la panique et répandant le sang et la mort. Après avoir tué frère Mutola dans le village malawite n7, ils ont tué Augusto Novela dans le village mozambicain n4. Dans le village mozambicain n5, frère Muthemba a été alerté par des coups de feu. Quand il a vu le corps d’un frère sur le sol, il a imploré l’aide de Jéhovah. Les hommes armés ont brûlé et saccagé les maisons. Les hommes, les femmes et les enfants fuyaient dans tous les sens, cherchant désespérément un abri. Cette attaque violente n’était que le prélude de ce qui allait suivre. Après avoir traversé les camps, le groupe a choisi un emplacement au nord du village n1 pour y établir sa base.

Chaque jour qui a suivi, ces hommes faisaient une incursion dans les camps : ils volaient, brûlaient des maisons et tuaient. Un jour, ils ont tué six Témoins malawites, y compris la femme de Fideli Ndalama, surveillant de circonscription.

D’autres ont été retenus prisonniers dans le camp du groupe armé. L’épreuve touchait particulièrement les jeunes hommes que l’on cherchait à recruter de force dans ce mouvement militaire. Bon nombre de jeunes se sont enfuis des villages pour aller se cacher dans les machambas (les champs), et des membres de leur famille leur apportaient à manger. Les jeunes femmes étaient réquisitionnées pour faire la cuisine, mais ensuite leurs envahisseurs ont tenté de les contraindre à devenir leurs “ maîtresses ”. Hilda Banze fait partie de celles qui ont résisté à ces pressions. Cela lui a valu d’être battue si cruellement qu’elle a été laissée pour morte. Par bonheur, elle en a réchappé.

Les hommes armés ont demandé aux frères de les approvisionner en vivres et de transporter leur équipement. Jugeant que cette requête était contraire à leur position de neutralité chrétienne, les frères ont refusé. Ce refus a suscité la colère de leurs opposants. La neutralité et les droits de l’homme n’avaient pas leur place dans un monde isolé où seuls les coups et les armes faisaient la loi. Une trentaine de frères sont morts au cours de cette période de violence. L’un d’eux, Alberto Chissano, a refusé de collaborer d’une quelconque façon et a essayé d’expliquer : “ Je ne participe pas à la politique, et c’est la raison pour laquelle on m’a transféré de Maputo jusqu’ici. J’ai refusé par le passé et ma position reste la même. ” (Voir Jean 18:36). C’en était de trop pour les oppresseurs ; furieux, ils l’ont emmené. Se doutant de ce qui allait se passer, frère Chissano a fait ses adieux aux frères, montrant une foi inébranlable. Ses derniers mots ont été : “ Rendez-vous dans le monde nouveau ”, après quoi il a été battu sauvagement et blessé à mort. Les frères de l’équipe médicale ont essayé de le sauver, mais en vain. Il a pu assurément leur donner “ rendez-vous dans le monde nouveau ”, car même la menace de mort n’avait pu briser sa foi. — Actes 24:15.

Délivrés d’une fournaise de feu

Il fallait faire quelque chose pour apaiser la situation qui devenait insupportable. Le comité ON s’est réuni avec les anciens et les assistants ministériels pour discuter de la façon dont ils pourraient établir le dialogue avec le mouvement de résistance. Mais les hommes de ce mouvement avaient déjà invité tous ceux de la région à venir à leur base. Les anciens ont décidé de s’y rendre, accompagnés d’un groupe important de Témoins qui s’étaient portés volontaires. Deux frères ont été désignés pour prendre la parole en faveur des habitants des villages. L’un d’eux, Isaque Maruli, est repassé chez lui pour en informer sa jeune femme et lui dire au revoir. Inquiète de ce qui risquait d’arriver, elle a essayé de le dissuader de partir. Il l’a réconfortée et lui a dit : “ Penses-​tu que si nous sommes restés en vie jusqu’à présent c’est parce que nous avons été plus avisés que les autres ? Et crois-​tu que nous sommes plus importants que nos frères ? ” Sans rien dire, elle a acquiescé. Ils ont prié ensemble et se sont dit au revoir.

Les Témoins n’étaient pas les seuls à être présents à ce rassemblement ; il y avait aussi des personnes non Témoins désireuses de soutenir le mouvement armé. Mais les frères, environ 300, étaient les plus nombreux. La réunion était mouvementée, certains criant des slogans politiques et chantant des chants militaires. Puis on a annoncé : “ Aujourd’hui nous allons proclamer ‘ Viva Renamo ’ [Resistência Nacional de Moçambique (Résistance nationale du Mozambique), le mouvement qui combattait le gouvernement du Frelimo] jusqu’à ce que nous n’ayons plus de voix ! ” Le commandant, les soldats et les autres personnes se sont irrités du silence des frères. Un commissaire politique qui présidait la réunion a expliqué quelle était l’idéologie du mouvement. Il a dit que le haut commandement était déterminé à démanteler les villages et à disperser tous leurs habitants pour qu’ils aillent vivre dans les machambas. Puis il a autorisé ceux qui étaient dans l’assistance à s’exprimer. Les frères ont expliqué leur position de neutralité. Ils espéraient être compris en donnant les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient fournir des vivres, transporter l’équipement, etc. Quant à se disperser, ils avaient déjà été contraints de le faire.

Le commandant n’a pas du tout apprécié la réponse courageuse des frères, mais, grâce à Dieu, le commissaire s’est montré plus compréhensif. Il a apaisé le commandant et a laissé les frères partir en paix. Ils sont donc sortis sains et saufs de ce qu’ils appelaient une “ fournaise de feu ”. (Voir Daniel 3:26, 27.) La paix n’était pas garantie pour autant. L’épisode le plus bouleversant allait survenir quelques jours plus tard.

Le massacre du village n7

Même si le soleil brillait, le dimanche 14 octobre 1984 allait être une journée bien sombre à Carico. Après la réunion qui avait eu lieu de bonne heure, des Témoins sont allés faire un tour dans les villages à la recherche de quelques provisions, avant de retourner rapidement là où ils vivaient désormais, dans les champs. Sans crier gare, un groupe d’hommes armés a quitté la base et s’est dirigé vers le village mozambicain n7. Ils ont capturé un frère qui se trouvait aux abords du village n5 et lui ont demandé : “ Conduis-​nous au village n7 ; vous allez voir de quel bois nous nous chauffons. ” Arrivés au village, ils ont rassemblé tous ceux qui s’y trouvaient et les ont fait asseoir en cercle, dans l’ordre du numéro de leur village. Puis ils les ont interrogés.

“ Quel est celui qui a battu et dévalisé notre mudjiba [espion non armé, ou indicateur] ? ” ont-​ils demandé. Ne comprenant pas de quoi ces hommes voulaient parler, les frères ont répondu qu’ils ne savaient pas. “ Bien, si personne ne se décide à parler, on va faire un exemple avec cet homme assis là devant. ” Après quoi ils ont abattu un frère à bout portant. Tous étaient bouleversés. Puis ils ont reposé la question encore et encore, et à chaque fois ils tiraient sur une nouvelle victime. On a obligé les femmes, qui serraient leurs bébés, à assister à l’exécution barbare de leurs maris. Ce fut le cas pour sœur Salomina, qui a vu mourir son mari, Bernardino. Les femmes n’ont pas été épargnées, et Leia Bila a également perdu la vie. Elle était la femme de Luis Bila, qui avait succombé à une attaque cardiaque dans le camp situé près de Lichinga. Leurs jeunes enfants se sont donc retrouvés orphelins. Les exécutions ont également touché les jeunes, tel Fernando Timbane qui, après avoir été atteint d’une balle, a prié Jéhovah et s’est efforcé d’encourager les autres.

Après qu’ils eurent sauvagement exécuté dix personnes, un désaccord a surgi entre les tortionnaires, mettant fin au cauchemar. À leur commandement, frère Nguenha, qui devait être la 11victime, s’est levé. Il raconte : “ J’ai prié Jéhovah pour qu’il prenne soin de ma famille, car mes heures étaient comptées. Après quoi je me suis tenu debout et j’ai eu un courage hors du commun. Ce n’est que par la suite que j’ai ressenti un choc émotionnel. ”

On a ensuite ordonné aux survivants de brûler dans les villages les maisons qui restaient. Avant de partir, les hommes armés ont lancé cet avertissement : “ Nous avions l’ordre d’en tuer 50 parmi vous, mais ceux qui sont morts suffisent. Ils ne doivent pas être ensevelis. Nous aurons l’œil, et à chaque fois qu’un corps disparaîtra, nous en tuerons dix de plus. ” Quel ordre étrange et monstrueux !

Alors que les coups de feu retentissaient dans la région et que l’on commençait à savoir que certains avaient fui, un nouveau vent de panique a soufflé sur les villages. En désespoir de cause, les frères se sont enfuis dans les bois et dans les montagnes. On n’a découvert que plus tard que les accusations ayant provoqué le massacre étaient venues d’un exclu qui désirait se joindre au mouvement de résistance. Il était également devenu voleur. Il avait porté des accusations mensongères contre les frères de son village dans l’espoir de se faire bien voir et de gagner la confiance du groupe. Lorsque ce dernier a découvert qu’il avait été dupé, il a arrêté le coupable et l’a mis à mort de façon encore plus barbare.

Les frères sont dispersés

Tous les habitants du Cercle de Carico étaient bouleversés et en pleine confusion. Les anciens, eux-​mêmes en larmes, se sont efforcés de consoler les familles qui pleuraient la disparition d’êtres chers dans le massacre. Il était inconcevable de rester dans la région. C’est ainsi que les frères ont commencé à se disperser. Des congrégations entières sont parties vers un endroit plus sûr, parcourant jusqu’à 30 kilomètres. Certains ont décidé de rester du côté des machambas. En conséquence, les anciens du comité ON avaient deux fois plus de travail. Il leur fallait parcourir des kilomètres pour maintenir l’unité et veiller sur la sécurité physique et spirituelle du troupeau dans les congrégations très éloignées les unes des autres.

Ayant appris la triste nouvelle, la filiale du Zimbabwe a pris des dispositions pour que des membres de son bureau rendent visite aux frères afin de les affermir. Elle a également informé le Collège central à Brooklyn des besoins en nourriture, en vêtements et en médicaments dans les camps de Milange. Pleinement soucieux du bien-être des frères, le Collège central a donné comme instruction d’utiliser les fonds disponibles pour répondre aux besoins des frères, et, si cela était jugé nécessaire, de prévoir leur départ de Milange et leur retour chez eux. Cette solution paraissait vraiment sage.

Début 1985, les membres du comité ON ont quitté Milange comme chaque année pour rencontrer le surveillant de zone, envoyé par le Collège central. C’est Don Adams qui est venu de Brooklyn. Réunis avec le comité de la filiale de Zambie et celui du Zimbabwe, les membres du comité ON ont fait part de leurs inquiétudes concernant le Cercle de Carico. On leur a conseillé de réfléchir à la situation : était-​il sage de rester à Carico ? L’accent a été mis sur le principe biblique énoncé en Proverbes 22:3 : “ Il est astucieux celui qui, ayant vu le malheur, s’est alors caché. ” Puis ils sont retournés aux camps sur cette pensée.

Partir ? Comment ? Et où ?

Le conseil a aussitôt été transmis aux congrégations. Certains ont réagi sans tarder, à l’exemple de João José, un frère célibataire qui a participé par la suite à la construction de bâtiments pour les filiales de Zambie et du Mozambique. À plusieurs, ils ont passé la frontière avec le Malawi et se sont rendus en Zambie sans trop de difficultés.

En revanche, cela n’a pas été aussi facile pour d’autres. Beaucoup de familles ont dû tenir compte de leurs jeunes enfants. Les membres du mouvement de résistance surveillaient constamment les routes, et quiconque les empruntait courait le risque de se faire attaquer. À la frontière avec le Malawi, les frères se trouvaient face à une autre difficulté, particulièrement les Malawites, car les Témoins de Jéhovah étaient toujours haïs et poursuivis dans ce pays. Des questions embarrassantes se posaient donc : Comment allaient-​ils fuir ? Où iraient-​ils ? Après avoir vécu tant d’années dans la brousse sans aucun papier d’identité, comment allaient-​ils passer les frontières ? “ Nous ne savons pas non plus ”, ont répondu les membres du comité ON lors d’une réunion avec tous les anciens au cours de laquelle l’atmosphère s’est révélée très tendue. “ Une chose est sûre, nous devons nous disperser ”, ont-​ils ajouté avec insistance. Et de conclure : “ Que chacun prie, prépare son plan et agisse. ” — Voir 2 Chroniques 20:12.

Dans les mois qui ont suivi, ce fut le thème principal des réunions. La plupart des anciens appuyaient l’idée selon laquelle il fallait partir, et ils encourageaient les frères à agir en conséquence. D’autres ont décidé de rester. C’est ainsi qu’un exode a débuté de façon éparpillée. Les frères malawites qui ont tenté de rentrer chez eux ont été bloqués à la frontière pour la même raison que par le passé, et ont été contraints de revenir. Cela a ralenti l’enthousiasme de ceux qui avaient décidé de partir et apporté de l’eau au moulin de ceux qui voulaient rester. Une “ invitation ” à assister à une autre “ réunion importante ” à la base militaire allait être un facteur décisif pour beaucoup.

L’exode

Le 13 septembre 1985, deux jours seulement avant la réunion en question, frères Muthemba, Matola et Chicomo, les trois membres restants du comité ON, se sont réunis une nouvelle fois. Qu’allaient-​ils recommander aux frères concernant cette “ invitation ” ? La réunion a duré la nuit entière. Après avoir beaucoup prié et réfléchi, ils ont pris une décision : “ Nous fuirons demain soir. ” Aussitôt, et aussi vite que possible, ils ont fait connaître leur décision ainsi que l’heure et le lieu où ils se retrouveraient. Les congrégations qui étaient d’accord pour partir se sont rassemblées. Ce fut la dernière action du comité ON dans les camps.

Dès 20 h 30, après une prière, l’exode minuté des frères a débuté. Le secret avait été bien gardé, à l’insu des soldats et des “ rebelles ”. Il aurait été désastreux que les frères soient découverts. Protégée par l’obscurité, chaque congrégation avait 15 minutes pour partir, soit 2 minutes par famille. Une longue file s’est éloignée silencieusement à travers la brousse ; nul ne savait ce que le lever du soleil lui réservait à la frontière avec le Malawi, si tant est qu’il puisse y parvenir. Les bergers spirituels du comité ON ont été les derniers à partir, à 1 heure du matin. — Actes 20:28.

Après une marche d’une quarantaine de kilomètres, Filipe Matola était épuisé ; il était resté deux jours sans dormir. Il s’est assoupi sur le côté de la file en attendant les personnes âgées qui étaient à la queue. Nous pouvons imaginer sa joie lorsque son “ neveu ”, Ernesto Muchanga, a accouru du devant de la file avec la bonne nouvelle : “ ‘ Tonton ’, les frères sont acceptés au Malawi ! ” Frère Matola s’est exclamé : “ C’est une démonstration de la façon dont Jéhovah nous ouvre la voie quand il semble ne pas y avoir d’issue, comme ce fut le cas à la mer Rouge. ” — Ex. 14:21, 22 ; voir Psaume 31:21-24.

Au cours des mois qui ont suivi, les frères ont vécu dans les camps de réfugiés au Malawi et en Zambie, avant de retourner dans leurs villes d’origine, au Mozambique. Mais qu’est-​il arrivé à ceux qui étaient restés dans la région de Carico ?

Ceux qui sont restés

Les congrégations qui étaient dispersées n’avaient pas toutes eu écho de la décision du comité ON avant le début de l’exode. Certains frères, au courant, ont décidé de rester et se sont rendus à la réunion qui a eu lieu à la base militaire. La congrégation de Maxaquene, ainsi que d’autres, n’avait pas eu vent du départ en masse, mais avait déjà décidé de fuir. Avant d’aller à la réunion, ces frères ont demandé à leurs familles de préparer la fuite. Environ 500 frères étaient présents à cette réunion, qui fut brève et précise. Le commandant a dit : “ Nos supérieurs ont pris la décision de vous conduire, vous tous qui êtes présents, à notre principale base régionale. La route sera longue. Vous resterez là-bas au moins trois mois. ” Et le voyage a aussitôt débuté.

Profitant du manque de vigilance des soldats, les frères qui avaient décidé de s’enfuir se sont esquivés. Ils ont rejoint leurs familles et ont passé comme ils ont pu la frontière avec le Malawi. Les autres qui, soit étaient d’accord avec les ordres du mouvement armé, soit n’avaient pas pu s’échapper, ont commencé leur voyage vers le sud-ouest, en direction de la base de Morrumbala, où ils sont arrivés au bout de quelques jours. Là, on a exercé sur eux de plus fortes pressions pour qu’ils soutiennent le mouvement. À cause de leur refus, ils ont subi d’épouvantables tortures et reçu d’innombrables coups causant la mort d’au moins un frère. Ce n’est que trois mois plus tard qu’ils ont enfin pu rentrer chez eux.

Beaucoup ont continué d’habiter dans la région de Carico, entièrement sous le contrôle du mouvement de résistance. Ils se sont retrouvés isolés du reste de l’organisation de Jéhovah pendant les sept années qui ont suivi. Ils constituaient un groupe important comprenant quelque 40 congrégations. Ont-​ils gardé une bonne spiritualité ? Leur amour pour Dieu était-​il suffisamment fort pour leur éviter de sombrer dans le désespoir ? Nous en reparlerons plus loin.

Les camps de réfugiés au Malawi et en Zambie

Ceux qui se sont enfuis de Carico ne sont pas tous entrés facilement au Malawi. Après avoir passé la frontière, les frères de la congrégation de Maxaquene ont été découverts par la police malawite alors qu’ils se reposaient, et on leur a ordonné de repartir. Ils ont discuté avec les policiers, expliquant qu’ils fuyaient à cause de la guerre qui sévissait dans la région où ils habitaient. La police s’est montrée indifférente. Apparemment sans le vouloir et en désespoir de cause, quelqu’un a crié : “ Nous allons pleurer, mes frères ! ” Et c’est effectivement ce qu’ils ont fait ; ils ont pleuré si fort qu’ils ont attiré l’attention du voisinage. Embarrassés, les policiers leur ont enjoint de s’arrêter. Une sœur les a suppliés : “ Permettez-​nous au moins de faire à manger pour les enfants. ” Les policiers ont accédé à sa requête, ajoutant qu’ils reviendraient plus tard. Par bonheur, ils ne sont jamais revenus. Par la suite, des personnes investies d’une certaine autorité sont venues en aide aux Témoins ; elles leur ont apporté de la nourriture et les ont dirigés vers le camp de réfugiés où se trouvaient les autres frères.

À présent, c’étaient les Témoins de Jéhovah mozambicains qui envahissaient les camps de réfugiés du Malawi. Le gouvernement du Malawi les a accueillis en tant que réfugiés de guerre. La Croix-Rouge internationale a apporté son concours, fournissant le nécessaire pour améliorer le confort et surmonter les désagréments causés par la vie dans ces camps à ciel ouvert. D’autres Témoins se sont rendus en Zambie, où ils ont été dirigés vers des camps de réfugiés. Filipe Matola et Fernando Muthemba collaboraient alors avec les membres du comité du Malawi et recherchaient les frères mozambicains qui se trouvaient dans ces camps, afin de les réconforter sur le plan spirituel et de leur fournir l’aide financière prévue par le Collège central.

Le 12 janvier 1986, Albert Schroeder, membre du Collège central, a prodigué des encouragements spirituels aux frères et leur a fait part du profond amour que leur exprimait le Collège central. Il ne lui a pas été possible d’entrer dans les camps, mais il a prononcé un discours en Zambie qui a été traduit en chichewa, enregistré et mis à la disposition des frères mozambicains qui se trouvaient dans les camps.

Peu à peu, on a aidé les réfugiés à atteindre leur destination suivante : le Mozambique. Beaucoup se sont dirigés sur Moatize, dans la province de Tete. En effet, l’attitude du gouvernement du Mozambique à l’égard des Témoins de Jéhovah était en train de changer, mais cela n’était pas encore manifeste chez les fonctionnaires de toutes les localités.

De retour au Mozambique

Les uns après les autres, des groupes ont commencé à envahir les communes situées à l’est de la ville de Tete. Ils étaient logés dans des wagons à l’abandon, qui avaient auparavant servi de toilettes. Une fois nettoyés, beaucoup ont fait office de lieux de réunion pour le Mémorial de la mort du Christ célébré le 24 mars 1986.

Des frères originaires de toutes les régions du Mozambique ont attendu là pendant des mois sans savoir comment ils pourraient rentrer chez eux. Ils ont alors eu leur lot de tribulations. Ils ont essayé de se créer des emplois pour subvenir à leurs besoins ou mettre de l’argent de côté pour se payer un billet d’avion, mais n’ont pas eu beaucoup de résultat. Il n’était pas possible de prendre la route à cause de la guerre. Les autorités n’étaient pas toujours très tendres avec eux, essayant encore de les obliger à scander des slogans politiques. Ce à quoi les frères répliquaient hardiment : “ C’est pour cette raison que nous avons été déportés à Carico. Nous y avons purgé notre peine et avons été abandonnés à la merci d’agresseurs armés. Nous avons fui comme nous avons pu. Que nous voulez-​vous encore ? ” Sur ces mots, on les laissait tranquilles. Mais les jeunes étaient toujours harcelés et emprisonnés en vue d’être recrutés dans l’armée du gouvernement pour combattre les mouvements de révolte armés qui sévissaient dans la région. Nombre de jeunes frères ont utilisé tous les moyens judicieux possibles pour s’en aller et se cacher.

Le comité du Malawi a décidé d’envoyer Fernando Muthemba à Tete afin d’y aider les frères. Quand frère Muthemba est arrivé à Moatize, les autorités ont demandé à fouiller ses bagages. À temps, les frères avaient pu retirer les publications qu’il portait. Ainsi, au moment où la police a fouillé ses sacs, qu’a-​t-​elle trouvé ? “ Seulement quelques haillons ”, répond-​il. Déçus, les policiers ont demandé : “ C’est tout ? ” Effectivement, c’était tout. C’étaient les seuls bagages d’un homme qui avait assumé de si grandes responsabilités dans les camps. Comme les autres, il était de retour, dépouillé de ses biens. Pour tout dire, l’apparence physique des frères n’était alors guère agréable : ils étaient sales, vêtus de loques, affamés et manifestement l’objet de mauvais traitements. Ils correspondaient tout à fait à la description faite sous inspiration de nombreux serviteurs de Dieu du passé : “ Ils sont allés çà et là vêtus de peaux de moutons, de peaux de chèvres, alors qu’ils étaient dans le besoin, (...) en butte aux mauvais traitements ; et le monde n’était pas digne d’eux. Ils ont erré dans les déserts, (...) dans les grottes et les antres de la terre. ” — Héb. 11:37, 38.

Enfin reconduits à Maputo

À Maputo, un comité nommé par la Société a pris contact avec diverses agences nationales ou privées en vue du transport des frères qui se trouvaient à Tete et en Zambie. Imaginez la joie qu’ont eue Isaque Malate et Francisco Zunguza quand ils se sont présentés devant le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, et qu’on leur a dit : “ Plus de 50 vols ont déjà été autorisés pour rapatrier les Témoins de Jéhovah. ” Ils étaient reconnaissants que le gouvernement ait pris de telles dispositions.

À Tete, dans des camps situés près de l’aéroport, les frères ignoraient cette disposition. Ils allaient tous les jours à l’aéroport dans l’espoir qu’un avion-cargo pourrait en emmener au moins quelques-uns. C’est avec beaucoup d’émotion que Fernando Muthemba repense au 16 mai 1987 : “ Il était 7 h 30. À l’aéroport, j’ai vu deux gros Boeings qui allaient effectuer le ‘ pont aérien ’ pour rapatrier tous les Témoins de Jéhovah à Maputo. ” Quelle émotion ! Après 12 années, ils allaient retourner dans leurs villes !

Malheureusement, leur apparence était loin d’être présentable. Emídio Mathe, ancien dans la congrégation de Maxaquene, a emprunté un pantalon à quelqu’un qui en avait plusieurs, afin d’être habillé décemment en arrivant à Maputo. Les frères qui les attendaient ont également apporté des vêtements à l’aéroport pour permettre aux réfugiés de débarquer avec une certaine dignité. Avaient-​ils honte ? “ Non, répond Emídio. Nous étions dépouillés sur le plan matériel, mais nous avions l’espérance que Jéhovah nous utiliserait un jour pour magnifier son nom. Les choses matérielles n’étaient pas notre préoccupation ; nous n’avons pas ressenti de honte. Nous étions en haillons, mais notre foi en Jéhovah n’avait pas faibli. ” Les frères d’Afrique du Sud et du Zimbabwe ont offert de bon cœur des tonnes de nourriture et de vêtements à leurs frères mozambicains qui étaient de retour.

Le gouvernement a également pourvu au rapatriement des Témoins qui rentraient dans d’autres provinces. Pour ceux qui se rendaient dans la province de Sofala, région appelée le couloir de Beira (du fait de la protection assurée par des soldats du Zimbabwe), les ennuis n’étaient pas finis. Dix-huit d’entre eux, dont un ancien, ont été enlevés et emmenés à une base du mouvement de résistance.

‘ Jéhovah est grand, Jéhovah est grand ! ’

Après les avoir interrogés et constaté qu’ils étaient Témoins de Jéhovah, le commandant de la base a convoqué le pasteur d’une Église de la région placée sous le contrôle du mouvement de résistance. Il a dit à cet homme : “ Ce sont des Témoins de Jéhovah ; ils prieront dorénavant avec vous. Traitez-​les convenablement. ” À la surprise des frères, le pasteur (qui s’était procuré des publications de la Société Watch Tower au Zimbabwe quelque temps auparavant) a hoché la tête et s’est exclamé : “ Jéhovah est grand (...) Jéhovah est grand ! ” Et d’ajouter : “ Nous avions prié Jéhovah de nous envoyer au moins une personne pour nous enseigner. ”

Le lendemain, il a réuni les 62 membres de son Église et a demandé à l’ancien de s’adresser à eux. Le frère a commencé par dire qu’ils devaient se débarrasser de toutes leurs images (Deut. 7:25 ; 1 Jean 5:21), ce qu’ils ont fait promptement. Il a également montré que Jéhovah n’approuve ni n’autorise ses serviteurs d’aujourd’hui à expulser des démons, et que le rite consistant à jouer du tam-tam n’a rien à voir avec le vrai culte, comme le souligne la Bible (Mat. 7:22, 23 ; 1 Cor. 13:8-13). À la fin, le responsable du groupe s’est levé et a dit : “ À partir d’aujourd’hui, ma famille et moi sommes Témoins de Jéhovah. ” À l’exception d’un couple, la congrégation entière a exprimé le même désir.

Les frères sont restés là quatre mois et y ont tenu régulièrement des réunions. Au moment de leur départ, bon nombre des membres de ce groupe, dont la plupart avaient été actifs dans des factions armées, les ont suivis.

Beaucoup se sont joints au peuple de Jéhovah durant cette période, car malgré les conditions de vie difficiles, les frères n’ont jamais renoncé à prêcher la bonne nouvelle du Royaume de Dieu et à faire des disciples. — Mat. 24:14 ; 28:19, 20.

Retour à la vie urbaine

Les frères étaient heureux de regagner la ville. Mais comme ils étaient sans papiers, sans logement et sans emploi, la vie continuait d’être difficile pour eux. C’était une nouvelle étape dans leur parcours semé d’embûches. La nation elle-​même était en butte à des bouleversements consécutifs à la guerre civile, à la famine, à la sécheresse et au chômage. Les serviteurs de Jéhovah réussiraient-​ils à s’en sortir dans ces conditions extrêmement difficiles ?

Le gouvernement les a aidés en créant le Service de réintégration sociale. De nombreux Témoins ont pu reprendre leur ancien emploi à des postes importants dans des entreprises du secteur public ou privé. D’autres sont devenus chefs d’entreprise.

Beaucoup se sont réinstallés dans leur ancien logement où vivaient encore des membres de leur famille. Pour d’autres cependant, la situation n’était pas aussi facile. Des étrangers ou des membres de leur famille peu aimables s’étaient installés dans leurs maisons, quand celles-ci n’avaient pas été réquisitionnées par l’État. Humblement, les Témoins qui étaient de retour ont décidé de ne pas causer de trouble, contrairement aux craintes du gouvernement. Les Témoins qui n’avaient pas été déportés dans les camps ont accueilli chez eux leurs frères sans abri. Peu à peu, ils ont trouvé ou construit des logements. Jéhovah a béni leurs efforts, et aujourd’hui beaucoup ont une maison convenable, à l’étonnement de ceux qui ont été témoins de la condition misérable dans laquelle ils sont revenus. Il est à noter que malgré une pauvreté affligeante, pas un Témoin de Jéhovah n’a eu besoin de mendier. Au bout de quelques années, quand les gens ont eu le droit d’acheter des maisons à l’État, devenant ainsi propriétaires, la première personne du pays à le faire a été un Témoin de Jéhovah revenu de Carico. C’est dans cette maison que se trouve à présent le dépôt de publications de Maputo.

Cependant, les frères n’avaient pas pour principal souci d’acquérir une maison ou de retirer quelque profit matériel. Pour eux le plus important était de trouver des lieux de culte. Après tout, n’était-​ce pas la principale raison pour laquelle Jéhovah les avait reconduits sains et saufs ? C’est à n’en pas douter ce que croyaient fermement les frères. (Voir Haggaï 1:8.) Rapidement, ils ont utilisé comme Salles du Royaume toutes sortes de lieux : jardins, salles de séjour et cuisines, ou encore cabanes en tôle ou en paille ; parfois, et c’était un luxe, ils louaient une salle dans une école ou un hôpital. La plupart des 438 congrégations du Mozambique se réunissent toujours dans ces Salles du Royaume de fortune. Les exceptions sont rares, par exemple à Beira où, grâce à l’aide de la filiale du Zimbabwe et de son équipe de construction dynamique, les frères ont pu surmonter de nombreux obstacles et inaugurer enfin, le 19 février 1994, les deux premières Salles du Royaume “ en dur ” du Mozambique.

Reconnaissance officielle de comités spéciaux

Dans le but de subvenir aux besoins matériels et spirituels des frères en train de reconstruire leur vie, le Collège central a nommé des comités spéciaux à Tete, à Beira et à Maputo, sous la direction des filiales du Zimbabwe et d’Afrique du Sud. Grâce à ces dispositions, les congrégations allaient être l’objet d’une plus grande attention. Des dépôts ont été installés dans ces villes, afin de mettre les publications bibliques les plus appropriées à la disposition des frères. Ces dépôts ont également servi de centres de secours pour la distribution de nourriture et de vêtements. Des assemblées ont été organisées, mais il y avait encore quelques obstacles à surmonter avant de pouvoir le faire ouvertement.

Puis, le 11 février 1991, une nouvelle saisissante s’est propagée dans tout le pays, à la grande joie des serviteurs de Jéhovah du monde entier. Le gouvernement du Mozambique avait accordé la reconnaissance officielle à l’Associação das Testemunhas de Jeová de Moçambique (Association des Témoins de Jéhovah du Mozambique). Fernando Muthemba, qui avait aidé fidèlement les frères à Carico, allait en être le premier président. Les serviteurs de Jéhovah du Mozambique se réjouissaient également d’avoir pour la première fois parmi eux des missionnaires formés à Guiléad. Ils se trouvaient dans des maisons de missionnaires à Maputo et à Beira. On se préparait à ouvrir une autre maison à Tete en vue de recevoir d’autres missionnaires qui n’allaient pas tarder à arriver.

Les missionnaires apportent de la joie à leurs frères

Un véritable champ missionnaire s’ouvrait au Mozambique. Mus par un esprit de sacrifice et désireux de prendre part à l’œuvre de reconstruction spirituelle et de moisson dans ce pays, des diplômés de Guiléad ainsi que des pionniers spéciaux expérimentés qui avaient déjà servi dans d’autres pays ont accepté avec empressement l’invitation à servir ici. Ils venaient des cinq continents et la plupart étaient originaires de pays où l’on parle le portugais, tels que le Brésil et le Portugal. Tout n’était pas rose pour eux, car en 1990 et en 1991, le pays commençait tout juste à sortir du gouffre économique causé par la guerre et la sécheresse. Hans Jespersen, missionnaire danois qui avait servi au Brésil et qui est aujourd’hui surveillant de district, se souvient : “ Les magasins étaient pratiquement vides, et les conséquences de la guerre étaient évidentes. ” Il est clair à présent que l’économie se redresse. Néanmoins, nombre de nos frères qui habitent dans les régions rurales et dans le Nord vivent toujours dans des conditions extrêmement difficiles.

Pour les missionnaires, beaucoup de choses étaient nouvelles. Par exemple, avant que le gouvernement du Frelimo et le Renamo ne signent un accord de paix, ils devaient parfois se déplacer dans des colunas (longs convois de véhicules escortés par des forces armées du gouvernement), et il arrivait que ceux-ci soient attaqués. Mais ils ont eu beaucoup de joie à faire la connaissance de leurs frères ; et pour de nombreux Mozambicains, rencontrer des Témoins de races et de nationalités différentes réalisait un rêve.

Dans une région éloignée du Nord, un enfant a marché une journée entière avec son père pour voir un missionnaire venu d’Australie. Constatant l’étonnement qui se lisait sur le visage de l’enfant, le père a dit : “ Ne t’avais-​je pas raconté que nous avions des frères blancs ? ” Beaucoup, en saluant les missionnaires, manifestaient leur joie en disant : “ Nous ne connaissions sur vous que les faits rapportés dans l’Annuaire. ” Les Témoins mozambicains qui se trouvaient encore dans les camps de réfugiés de Zambie en 1993 ont dit : “ Quand nous avons appris en Zambie qu’il y avait une maison de missionnaires à Tete, nous avons fait l’impossible pour revenir au pays, afin de la voir de nos propres yeux et d’y poursuivre notre service, 18 ans après la déportation à Carico. ”

L’objectif principal des missionnaires au Mozambique est de prêcher la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Cela leur procure de grandes joies. Les premiers missionnaires de Maputo et de Beira racontent : “ La famine spirituelle était telle que nous distribuions chaque jour des quantités astronomiques de publications. ” Les publications de la Société sont les seules à paraître en quatre couleurs dans le pays, ce qui éveille grandement la curiosité des gens. Souvent, les maisons de missionnaires servent de “ centres ” où l’on dirige des études bibliques, ce qui semble convenir à de nombreux étudiants.

Actuellement, il y a six maisons de missionnaires dans le pays, et 50 missionnaires se dépensent dans différentes formes de service. Certains d’entre eux effectuent chaque mois des tournées programmées par la Société pour relever les rapports et livrer du courrier, des périodiques et des publications. L’une de ces tournées comprend l’ancien emplacement du Cercle de Carico, à Milange.

Que sont devenus les Témoins restés dans cette région et qui avaient été isolés du reste de leurs frères ?

Le Cercle de Carico ouvre ses portes

Le 4 octobre 1992, le Frelimo et le Renamo ont signé un accord général de paix à Rome, mettant officiellement un terme aux 16 années de guerre civile au Mozambique. Cet événement, largement célébré, a permis l’ouverture des barrières qui avaient complètement isolé la région où se trouvait le Cercle de Carico. Et qu’a-​t-​on découvert ? Plus de 50 congrégations de Témoins de Jéhovah émergeant d’un isolement qui avait duré sept ans. Comment ces Témoins avaient-​ils pu survivre spirituellement parlant ?

En février 1994, 40 des frères qui y assumaient des responsabilités ont été interviewés à Milange. À leurs côtés se trouvaient également un millier d’autres personnes qui avaient parcouru plus de 30 kilomètres à pied dans le seul but de voir les missionnaires. Les anciens qui étaient restés après l’exode ont raconté : “ Beaucoup d’entre nous ont été battus à la base militaire, après quoi on nous a autorisés à retourner vivre dans les machambas des villages disparus. Avec le temps, le Renamo nous a autorisés à construire des Salles du Royaume et à tenir nos réunions. Ils nous ont fait la promesse, qu’ils ont tenue, que tant que nous serions dans nos salles ou sur le chemin des réunions, nous n’aurions pas d’ennuis. Cependant, ils nous ont dit qu’ils ne seraient pas responsables de ce qui pourrait arriver un jour de réunion à quelqu’un se trouvant chez lui ou en dehors de la Salle du Royaume. ” Que dire de la prédication ? La réponse est émouvante : “ N’ayant pas de vêtements et dépouillés de tout, nous vivions comme des bêtes, mais nous n’avons jamais oublié que nous étions Témoins de Jéhovah et que nous avions le devoir de prêcher le Royaume. ” Quelle manifestation éloquente de reconnaissance et d’amour pour Dieu !

En 1993, le surveillant de district et sa femme ont vécu un moment unique à l’assemblée de district tenue à Milange, une preuve vivante que les frères avaient effectivement continué à faire des disciples. Lorsque l’orateur qui donnait le discours du baptême a demandé aux candidats de se lever, 505 personnes parmi les 2 023 assistants ont répondu à l’invitation en vue de se faire baptiser ! Mais ce n’est pas tout.

“ Saul ” de Carico

Saul de Tarse, persécuteur acharné des disciples de Jésus Christ au Ier siècle, est devenu un serviteur zélé de Jéhovah. Carico a aussi son “ Saul ”. Il s’agit d’un homme aux traits fins, d’apparence humble, qui est actuellement assistant ministériel et pionnier permanent. Rien ne le distingue de ses collègues lorsque, comme eux, il travaille dur et transpire pour gagner sa vie. Mais pendant qu’il marque une pause, laissons-​le raconter son parcours :

“ En juin 1981, le mouvement de résistance a pris le contrôle de la région où j’habitais. J’ai été conduit à son camp avec les autres hommes. Les soldats nous ont expliqué que leur lutte visait un but louable et qu’il était important de soutenir la libération du peuple. J’ai reçu une formation militaire et j’ai participé à des combats que nous avons remportés. C’est devenu ma vie durant les sept années qui ont suivi. En raison de mon dévouement, on m’a promu au poste de commandant. J’ai commandé sept petites armées. Nous avons pris la direction de nombreuses régions, dont Carico. J’ai envoyé un détachement d’hommes pour s’emparer des villages où se trouvaient les Témoins de Jéhovah, afin d’obtenir leur soutien. J’ai cautionné l’incendie de leurs maisons et le meurtre de certains d’entre eux. Les soldats du commando m’ont avoué : ‘ Nous les tuerons tous, mais nous ne les changerons jamais. ’ Par la suite, j’ai été envoyé vers d’autres bases. ”

Bien que ce commandant n’ait eu aucun scrupule à persécuter le peuple de Dieu, Jéhovah, dans sa miséricorde, lui a offert la possibilité de changer. L’homme ajoute : “ Après avoir passé sept ans sans voir ma femme, j’ai demandé une permission pour lui rendre visite. Et c’est dans un camp de réfugiés au Malawi que j’ai eu pour la première fois un contact personnel avec la vérité. Je l’ai tout d’abord rejetée. Par la suite, quand j’entendais parler du monde nouveau, du Royaume de Dieu et d’un monde sans guerre, je me demandais : ‘ Quelqu’un qui a fait autant de mal que moi peut-​il en bénéficier ? ’ On m’a donné cette réponse tirée de la Bible : ‘ Oui, en manifestant la foi et en obéissant à Dieu. ’ J’ai accepté une étude biblique et je me suis fait baptiser en juin 1990. Depuis, je suis pionnier et j’aide nombre de mes anciens compagnons d’armes. Rien que dans un camp, j’ai aidé 14 personnes à devenir des serviteurs de Jéhovah. J’ai servi là où il y avait besoin d’aide, et j’ai eu mon lot de souffrances en raison de ma position de neutralité. Je remercie grandement Jéhovah de m’avoir fait miséricorde, d’avoir fermé les yeux sur les temps de mon ignorance et d’être disposé à me pardonner grâce au sacrifice de Jésus Christ. ” (Actes 17:30). C’est un exemple parmi tant d’autres qui illustre pourquoi les frères mozambicains disent si souvent, animés d’une profonde reconnaissance : “ Jéhovah est grand ! ” — Ps. 145:3.

Une filiale à Maputo

Qui l’eut cru ? Cela est arrivé plus rapidement qu’on ne l’aurait pensé. Le Collège central a donné son accord pour l’établissement d’une filiale au Mozambique. Depuis 1925, date à laquelle le mineur Albino Mhelembe avait ramené la vérité de Johannesburg, l’œuvre au Mozambique avait été dirigée par les filiales d’Afrique du Sud, du Malawi et du Zimbabwe. Enfin, à Maputo, dans une grande maison achetée et rénovée par la Société, au voisinage de nombreuses ambassades, la filiale du Mozambique a commencé à s’occuper de son territoire immense le 1er septembre 1992. Un travail considérable attendait le comité de la filiale nouvellement nommé, aidé pour commencer d’une petite famille composée de sept membres. Il leur fallait organiser l’œuvre de prédication, veiller aux besoins spirituels et même matériels des frères, superviser la construction de Salles du Royaume et bâtir de nouveaux bâtiments pour la filiale. Une œuvre gigantesque à n’en pas douter. Mais du renfort commençait à arriver.

Des équipes de volontaires internationaux venant des quatre coins du monde travaillent actuellement en compagnie de leurs frères mozambicains à la construction de nouveaux bâtiments pour la filiale, dans un endroit agréable qui longe la plage. La famille du Béthel s’est agrandie et compte à présent 26 membres permanents. Les frères et sœurs de la région de Maputo apportent également leur aide. Formant un groupe uni, ils œuvrent tous en vue de promouvoir le culte du vrai Dieu, Jéhovah, dans cet endroit de la terre. — Is. 2:2.

“ Continuez à chérir de tels hommes ”

Les surveillants itinérants effectuent également un travail difficile dans le pays. On rencontre des hommes tels qu’Adson Mbendera, qui visitait les congrégations dans le Nord et a été par la suite membre du comité ON dans les camps ; Lameck Nyavicondo, dont les frères de Sofala se souviennent avec gratitude ; Elias Mahenye qui, venu d’Afrique du Sud pour servir, a enduré des atrocités et avait lancé cette mise en garde : “ La PIDE n’est plus, mais son père, Satan le Diable, rôde toujours. Affermissez-​vous et soyez courageux. ” (1 Pierre 5:8). Ne recherchant aucun avantage, ils ont abandonné tout le confort qu’ils ont pu avoir afin de servir leurs frères.

Tout récemment dans la région de Milange, là où se trouvaient les villages des déportés, une circonscription a été formée. Les frères de cette région sont particulièrement reconnaissants à Jéhovah de pouvoir bénéficier plus pleinement de l’attention que leur témoigne son organisation visible. Pour Orlando Phenga et sa femme, c’est un privilège d’avoir quitté Maputo pour servir dans la région où Orlando ainsi que des milliers d’autres frères ont fait leur part sur la “ scène de Carico ”. À l’ouest de la ville de Tete, Benjamin Jeremaiah et sa femme ont marché durant des jours pour se rendre là où de nombreuses personnes n’ont jamais vu une automobile, afin d’aider au rétablissement des frères qui avaient été isolés par la guerre pendant des années. Raymond Phiri, un célibataire manifestant l’esprit de sacrifice, a dû dormir au sommet d’une montagne avec les autres membres de la congrégation dans laquelle il servait, pour échapper aux attaques éventuelles ; c’est là qu’il a préparé ses rapports pour le bureau de la filiale. Il y a également Hans et Anita Jespersen qui, servant dans le district à travers tout le pays, ont pu constater combien leurs frères étaient riches sur le plan spirituel et pauvres dans le domaine matériel.

Tous ces frères manifestent l’état d’esprit qui a poussé l’apôtre Paul à écrire au sujet d’Épaphrodite : “ Continuez à chérir de tels hommes. ” — Phil. 2:29.

Stimulés par leur zèle pour Dieu

Si les serviteurs fidèles du Mozambique sont restés intègres face à des épreuves sévères, ils manifestent également leur amour pour Dieu et pour leur prochain d’une autre façon. Dans leur ministère public, ils utilisent abondamment la liberté dont ils jouissent depuis peu, ainsi que tout ce que Jéhovah met à leur disposition, les périodiques et d’autres publications par exemple. On les voit prêcher librement dans les rues, dans les jardins publics et sur les places de marché, comme à Xipamanine. Les résultats sont indéniables, car le nombre d’adorateurs de Jéhovah s’accroît rapidement.

L’accroissement du nombre des proclamateurs est accentué par le retour des frères des camps de réfugiés situés dans les pays voisins. Des circonscriptions entières sont revenues. Ces frères bâtissent rapidement des Salles du Royaume avec les matériaux dont ils disposent, parfois même dans des communautés de réfugiés où ils se trouvent temporairement, comme c’est le cas à Zóbuè, à la frontière avec le Malawi, et à Caboa-2, près de Vila Ulongue. Sans attendre que la situation s’améliore, beaucoup sont devenus pionniers. À présent, plus de 1 900 proclamateurs se dépensent dans le service à plein temps. Ils apprécient beaucoup la formation qu’ils reçoivent à l’École pour les pionniers qui est organisée dans le pays depuis 1992.

À votre avis, quels ont été les instructeurs de la dernière classe à Maputo, laquelle était presque exclusivement composée de frères et sœurs ayant vécu dans le Cercle de Carico ? Francisco Zunguza, le Mozambicain qui détient le record pour ce qui est du nombre de fois où il a été emprisonné en raison de sa foi, et Eugênio Macitela, qui a été arrêté et envoyé à Milange alors qu’il n’étudiait la Bible que depuis une semaine. Tous deux sont aujourd’hui surveillants de circonscription. Ernesto Chilaule figurait parmi les élèves. Il aime raconter cette anecdote : “ Quand je passe dans cette rue où se trouve le bâtiment qui servait à la PIDE, je regarde cette fenêtre en me souvenant que c’est là que des agents m’avaient dit : ‘ Tenez-​vous-​le pour dit, Chilaule : vous êtes au Mozambique et votre œuvre ne sera jamais reconnue dans ce pays. ’ Et rendez-​vous compte ! Le bureau de la filiale se trouve juste en bas de la rue ! ”

Quelle récompense pour frère Chilaule de songer que sa fille Alita, qui s’approvisionnait en nourriture auprès de la congrégation lorsque son père était incarcéré à la prison de Machava, est à présent la femme de Francisco Coana, l’un des membres du comité de la filiale ! Frère Coana n’est autre que ce pionnier zélé de Carico qui “ vendait ” astucieusement des denrées aux gens se trouvant en dehors des camps, dans le but de pouvoir leur prêcher. Nul doute que Jéhovah a béni les milliers de Témoins fidèles du Cercle de Carico, eux qui, là-bas dans le Nord, dans le district de Milange, sont devenus des modèles en amour, en foi et en intégrité à l’honneur et à la gloire de Jéhovah. — Prov. 27:11 ; Rév. 4:11.

Mais la bataille n’est pas terminée. Il faut faire face à de nouveaux dangers. L’esprit laxiste du monde qui se propage sur la terre entière peut également faire des victimes au Mozambique, et cela s’est déjà produit. L’immoralité, le matérialisme et l’indifférence engendrés par une vie apparemment plus facile ont fait des victimes. Cependant, les serviteurs fidèles de Jéhovah du Mozambique s’efforcent au maximum de rester sur leurs gardes. Ils sont sortis vainqueurs des épreuves difficiles touchant leur foi. Grâce à l’aide de Jéhovah, ils sont déterminés à continuer de démontrer qu’ils l’aiment de tout leur cœur, de tout leur esprit, de toute leur âme et de toute leur force, et qu’ils aiment leur prochain comme eux-​mêmes. Ils ont une foi inébranlable, étant convaincus que le Royaume de Dieu transformera bientôt la terre en paradis, où non seulement la guerre et la famine auront disparu, mais aussi où ils auront la joie immense de voir ressusciter leurs chers disparus, y compris tous ceux qui sont restés fidèles à Dieu face à la mort dans le Cercle de Carico. — Prov. 3:5, 6 ; Jean 5:28, 29 ; Rom. 8:35-39.

[Cartes/Illustration, page 123]

(Voir la publication)

ZAMBIE

ZIMBABWE

AFRIQUE DU SUD

MALAWI

MOZAMBIQUE

Tete

Milange

Carico

Mocuba

Inhaminga

Beira

Maxixe

Inhambane

Maputo

En médaillon : De nombreux frères ont été exilés à Sao Tomé, à quelque 3 900 kilomètres, dans l’océan Atlantique.

[Illustrations pleine page, page 116]

[Illustration, page 131]

On a répliqué à Ernesto Chilaule : “ Votre œuvre ne sera jamais reconnue dans ce pays. (...) N’en parlons plus ! ”

[Illustrations, pages 140, 141]

Dans le camp de réfugiés de Carico, les frères 1) coupaient du bois et 2) piétinaient de l’argile pour faire des briques, tandis que 3) les sœurs apportaient de l’eau. 4) Ils ont réussi à tenir des assemblées. 5) Xavier Dengo, 6) Filipe Matola et 7) Francisco Zunguza, surveillants de circonscription, ont apporté leur aide dans la direction spirituelle. 8) Cette Salle du Royaume construite par des Témoins malawites est toujours utilisée.

[Illustration, page 175]

Témoins réunis pour l’assemblée de district “ La piété ” qui a eu lieu près de Maputo en 1989, peu après le retour des camps.

[Illustrations, page 177]

En haut : Des anciens et des surveillants de circonscription devant un dépôt où des missionnaires apportent chaque mois des publications et du courrier.

En bas : À Tete, des missionnaires suivent des cours de chichewa.

[Illustrations, page 184]

Le comité de la filiale (de gauche à droite : Emile Kritzinger, Francisco Coana, Steffen Gebhardt), avec une représentation des bâtiments de la filiale actuellement en construction à Maputo.