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Bénin

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Nous sommes en avril 1976. Armes automatiques au poing, des soldats frappent à grands coups à la porte du Béthel. L’officier qui commande le groupe se met à crier : “ On hisse le drapeau. Sortez et joignez-​vous à la cérémonie ! ” Une foule en colère s’est rassemblée et chante des slogans patriotiques.

À l’intérieur, les missionnaires continuent d’examiner le texte du jour, comme ils en ont l’habitude. On lit le verset : “ Les puissances des cieux seront ébranlées. ” Un passage qui les fortifie particulièrement, ce matin-​là ! Dehors, les soldats hissent le drapeau dans l’enceinte même du bureau national des Témoins de Jéhovah. Ils viennent de s’emparer de la propriété !

Peu après, les soldats ordonnent aux missionnaires de sortir. On ne les autorise à emporter que les affaires personnelles qu’ils peuvent mettre dans leurs valises. Sans tarder, on les fait monter dans un camion de la Société. Ils vont devoir quitter le pays sous escorte.

Au moment où le camion quitte le Béthel, un jeune frère arrive en vélo. “ Que se passe-​t-​il ? Où est-​ce qu’ils vous emmènent ? ” demande-​t-​il. Mais les missionnaires lui font signe de s’éloigner, craignant que lui aussi ne soit arrêté.

Quels événements ont conduit à l’interdiction de l’œuvre des Témoins de Jéhovah au Bénin ? Comment les Témoins du pays ont-​ils réussi à rester forts sur le plan spirituel au cours de ces 14 années difficiles ? Les missionnaires sont-​ils revenus ? Et une fois les restrictions levées, comment les Témoins de Jéhovah du Bénin ont-​ils utilisé leur liberté retrouvée ?

Le Bénin en bref

Le Bénin a la forme d’un trou de serrure. Il est pris en sandwich entre le Togo et le Nigeria, sur la côte occidentale de l’Afrique. Vous le connaissez peut-être sous son ancien nom, le Dahomey. Ses habitants sont chaleureux et amicaux. Le climat y est agréable, et les quelque 60 groupes ethniques que compte le pays parlent plus de 50 langues différentes, la langue nationale étant le français.

C’est au Bénin que sont nés les palais miniatures et les anciennes royautés africaines. Au bord d’une lagune bleue se trouve Ganvié, un village sur pilotis que certains appellent la Venise africaine. Là, les rues sont des canaux ; les taxis, des pirogues colorées ou des canoës creusés dans des troncs d’arbres. Les parcs nationaux de la Pendjari et du W abritent des lions, des éléphants, des singes, des hippopotames et d’autres animaux qui parcourent la savane en toute liberté. Plus au sud, on peut voir des palmiers agités par les vents marins.

Malgré la beauté du pays, la vie de ses habitants a parfois été extrêmement pénible. Dans la première partie du XVIIsiècle, Kpassè, le chef du royaume de Houéda, développa des relations commerciales avec des marchands d’esclaves français, anglais et portugais. Contre de la pacotille et des armes, ce roi impitoyable vendit ses propres frères qui, embarqués sur des navires à Gléhoué (aujourd’hui Ouidah), étaient emmenés en Haïti, aux Pays-Bas, aux Antilles et en Amérique. La traite des esclaves a sévi du XVIIsiècle jusqu’au début du XIXsiècle : il a fallu attendre cette époque pour qu’elle soit enfin abolie dans de nombreux pays.

Ce n’est qu’à l’aube du XXsiècle, en revanche, que certains Béninois ont, pour la première fois, reçu une aide qui les a délivrés d’un autre type d’esclavage, encore plus cruel : l’asservissement à la fausse religion sous ses formes diverses. L’une de ces formes, très présente au Bénin, est le vaudou.

Le berceau du vaudou

La religion traditionnelle du pays est l’animisme. Pour les animistes de cette région, le dieu suprême est Mahou, représenté par de nombreuses divinités secondaires, les vaudous. Certains jours de fête, on offre des sacrifices à ces derniers. Hébiosso, par exemple, est le dieu du tonnerre ; on dit aussi qu’au cours de la nuit Zangbeto protège les champs des cultivateurs. Moins puissants que les vaudous, les dieux inférieurs sont, croit-​on, les esprits de personnes décédées. Il existe par conséquent un culte des ancêtres. Dans de nombreuses maisons, on trouve un asen, sorte de petit parapluie en fer forgé, orné de symboles à la mémoire d’un être aimé disparu.

Pour entrer en relations avec les dieux, il faut passer par un intermédiaire : le féticheur, qui peut être une femme ou un homme. Après trois ans dans une communauté fétichiste, les prêtres sont considérés comme suffisamment qualifiés pour entrer en communication avec les dieux et les autres esprits. La hiérarchie puissante qu’ils constituent exerce une influence considérable sur la vie des personnes qui reconnaissent leur autorité.

Ceux qui pratiquent ce type de culte croient que lorsqu’une personne meurt elle peut ensuite revenir sous forme d’esprit et tuer les autres membres de la famille. Beaucoup organisent des sacrifices d’animaux et des cérémonies somptueuses dans le but d’apaiser des proches récemment décédés. Pour cela, ils sont souvent obligés de vendre leurs biens ou de s’endetter lourdement. Une famille peut ainsi tomber dans la pauvreté. La crainte superstitieuse engendrée par ces croyances est bel et bien une forme de captivité.

Les religions prétendument chrétiennes ne sont pas étrangères à tout cela. Elles sont souvent pratiquées en parallèle avec l’animisme. La coexistence des deux cultes n’est généralement pas perçue comme un problème. En revanche, cesser de participer aux traditions animistes est considéré comme un péché grave. Beaucoup l’ont fait néanmoins.

Les premières années

C’est en 1929 que la vérité biblique, seule capable de chasser véritablement les craintes superstitieuses, est entrée au Dahomey. Frère Yanada, de la tribu des Gun, revenait alors d’Ibadan, au Nigeria. Les Étudiants de la Bible, comme on appelait autrefois les Témoins de Jéhovah, lui avaient enseigné cette vérité, et il voulait maintenant la faire connaître aux membres de sa tribu. Il a rassemblé un groupe de six personnes dans sa ville natale, Porto-Novo, la capitale du pays, et a commencé à étudier la Bible avec elles. Daniel Afeniyi, qui faisait partie de ce groupe et était originaire du Nigeria, a pris fermement position pour la vérité et s’est fait baptiser en 1935. Mais les persécutions suscitées par le clergé local ont obligé frère Yanada à repartir au Nigeria. Quant à Daniel Afeniyi, qui était baptisé depuis peu, il a dû retourner dans son village, Daagbe. Plus tard, quatre autres Témoins nigérians sont venus prêcher à Porto-Novo, mais ils ont été arrêtés et immédiatement expulsés.

En 1938, douze frères nigérians appartenant à la tribu des Ibo ont été affectés à Porto-Novo. Au grand dépit du clergé protestant, de nombreux habitants ont apprécié l’enseignement que les Témoins leur apportaient. Parmi eux se trouvait Moïse Akinocho, un marchand de la tribu des Yoruba. Il était auparavant méthodiste, et pratiquait en même temps le culte des ancêtres. À cause des pressions exercées par le clergé sur les autorités locales, les Témoins de Jéhovah ont dû, de nouveau, quitter Porto-Novo. Mais quand la persécution s’est abattue sur les frères Ibo, frère Akinocho est resté à leurs côtés et leur a dit : “ Si l’administration veut tuer tous les Témoins de Jéhovah, je suis prêt. ” Il est resté solide dans la foi jusqu’à sa mort en 1950.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Témoins nigérians n’ont plus eu accès au Bénin. Cependant, des graines de vérité avaient été semées, et plus tard, avec un peu d’arrosage et de soins, elles devaient rapidement germer. L’occasion s’est présentée peu après la fin de la guerre. Nouru Akintoundé, originaire du Bénin, était devenu Témoin de Jéhovah pendant un séjour au Nigeria. En 1948, il est retourné dans son pays en tant que pionnier, consacrant une partie importante de son temps à donner le témoignage au sujet de Jéhovah Dieu et de son dessein révélé dans la Bible. Les résultats ont dépassé tout ce que l’on pouvait raisonnablement espérer.

Le rapport de service de mai 1948 disait : “ Cela nous fait quelque chose d’envoyer le premier rapport d’un nouveau pays. L’Évangile se répand au Dahomey français [Bénin] et les gens se rallient à ‘ la bannière pour les nations ’. ” — Is. 11:12, Segond.

Le même mois, une demande de reconnaissance officielle était adressée au gouverneur du Dahomey. Elle fut transmise au haut commissaire de Dakar, au Sénégal, mais l’autorisation fut refusée après une attente de plus d’un an. Malgré cela, l’œuvre a continué de s’étendre. Wilfred Gooch, qui était à l’époque surveillant de la filiale du Nigeria, a écrit plus tard : “ Il y avait un tel intérêt latent qu’en six semaines 105 personnes se sont jointes au pionnier [frère Akintoundé] dans le service du champ. Au cours des deux mois qui ont suivi, ce pionnier a continué de propager la bonne nouvelle dans les villes voisines ; l’excellent accroissement s’est poursuivi, et en juillet 1948 on atteignait un maximum de 301 proclamateurs du Royaume. ”

La prédication de la bonne nouvelle progresse

À partir de Porto-Novo, la prédication de la bonne nouvelle s’est étendue aux villes et villages avoisinants. Frère Akintoundé emmenait avec lui certains nouveaux, et ils allaient donner le témoignage dans des endroits tels que Lokogbo et Cotonou. Ils restaient quelques jours dans chaque village, où ils étaient hébergés par les personnes bien disposées. À l’époque, ceux qui s’intéressaient au message de la Bible accompagnaient très rapidement les frères qui leur rendaient visite dans la prédication.

Moins de quatre mois après le retour au Bénin de frère Akintoundé, une assemblée de trois jours a été organisée à Porto-Novo. Étaient présents William Brown, Anthony Attwood et Ernest Moreton, de la filiale du Nigeria. Trente personnes ont été baptisées en cette occasion, ce qui n’a pas plu du tout aux missionnaires protestants. Ces derniers ont fait tout ce qu’ils ont pu pour amener les nouveaux à changer d’avis, mais ceux-ci sont restés fermes. L’un de ces baptisés leur a dit : “ Si vous passez tout en revue et que vous trouviez quelque chose de mauvais, c’est à vous de décider. En ce qui me concerne, je trouve que tout est très bon. ” Beaucoup d’autres ont examiné l’enseignement des Témoins de Jéhovah et l’ont trouvé “ très bon ”. En janvier 1949, il y avait trois congrégations au Bénin : Porto-Novo, Lokogbo et Cotonou.

Un polygame trouve la vérité

Bien que l’œuvre des Témoins de Jéhovah ne fût pas reconnue officiellement dans le pays, on nous a accordé, en janvier 1949, la permission de tenir une assemblée à Cotonou. Le programme a été annoncé grâce à des voitures équipées de haut-parleurs, et plus de 1 000 personnes ont assisté au discours “ Le gouvernement de paix ”.

L’un des assistants présents lors de cette assemblée s’appelait Sourou Houénou. Il était à la fois notaire et juge, et dirigeait un groupe appelé Les revenants, dont l’activité était liée au culte des ancêtres. De plus, il avait quatre femmes. Aurait-​il la force d’opérer les changements nécessaires pour marcher sur les traces de Jésus Christ ? Oui. Il a rompu tout lien avec le culte des ancêtres et avec ses amis spirites, en accord avec les paroles de Jésus : “ C’est Jéhovah ton Dieu que tu dois adorer, et c’est à lui seul que tu dois rendre un service sacré. ” (Luc 4:8). Il a également mis de l’ordre dans sa vie conjugale pour se conformer aux principes chrétiens. De même que Saul avant qu’il ne devienne l’apôtre Paul, de même il occupait une position élevée dans le présent système, mais il l’a regardée comme “ un tas de déchets ” et l’a abandonnée (Phil. 3:8). Afin de se rendre plus disponible pour servir les intérêts du Royaume, il a quitté ses fonctions de notaire et de juge et a entrepris le ministère à plein temps.

Par la suite, la congrégation de Cotonou s’est réunie régulièrement chez frère Houénou, dans le quartier Missebo de la ville. Une fois, des responsables catholiques ont incité un groupe de jeunes à perturber la réunion. Pendant le discours public, qui se déroulait dans la cour murée de la maison de frère Houénou, un jeune a grimpé sur un arbre et, de là, a lancé des pierres et des injures en direction de l’orateur. Apparemment, il visait plutôt mal, car aucune pierre n’a atteint le frère. En revanche, l’une d’elles, après avoir manqué sa cible, est allée frapper un autre jeune de la bande qui a dû être emmené à l’hôpital. Voyant cela, les autres ont cru qu’il s’agissait d’un châtiment divin et se sont enfuis sans demander leur reste. La réunion s’est poursuivie sans autres incidents.

Le vaudou contre Jéhovah

Une femme, Dogbo-Tindé Ogoudina, assistait à la scène depuis son magasin de tissus, situé en face de chez frère Houénou. Elle était secrétaire du couvent fétichiste de Porto-Novo, mais la réaction des Témoins face à l’opposition l’a fortement impressionnée et elle s’est intéressée au message du Royaume. Très vite, elle s’est heurtée à une violente opposition de la part des prêtres. Le féticheur en chef a proclamé qu’elle mourrait dans les sept jours pour s’être associée aux Témoins ! Il s’est ensuite servi de la sorcellerie pour réaliser sa prédiction.

Il est déjà arrivé que des gens soient tués par des esprits méchants. Mais sœur Ogoudina ne s’est pas laissé impressionner. Elle a dit : “ Si c’est le fétiche qui a fait Jéhovah, alors je mourrai ; mais si Jéhovah est le Dieu suprême, alors il vaincra le fétiche. ” La nuit du sixième jour, les féticheurs ont offert des boucs en sacrifice et adressé des incantations à leur fétiche, Gbeloko. Ils ont coupé un bananier, l’ont revêtu d’habits blancs et l’ont traîné à terre pour mimer sa mort. Après cela, ils étaient si certains du résultat qu’ils ont annoncé publiquement la mort de sœur Ogoudina. Que s’est-​il passé le lendemain ?

Comme presque tous les matins, sœur Ogoudina était au marché, et elle vendait du tissu. Elle n’était pas morte ; elle se portait même très bien ! Immédiatement, une délégation a été formée pour aller avertir le féticheur en chef de ce qui s’était produit, ou plutôt de ce qui ne s’était pas produit. L’échec de son sortilège l’a mis hors de lui. Sachant que son influence sur le peuple risquait d’en pâtir, il est parti pour Cotonou avec la ferme intention de trouver sœur Ogoudina et de la tuer. Les frères savaient que quelque chose se préparait. Ils ont donc aidé la sœur à fermer son magasin et l’ont emmenée en lieu sûr.

Après avoir caché sœur Ogoudina pendant une semaine, frère Houénou a loué une voiture et a promené la sœur dans toute la ville de Porto-Novo pour bien montrer qu’elle était encore en vie. En 1949, les automobiles étaient encore rares en Afrique ; elles ne passaient donc pas inaperçues. Frère Houénou a fait en sorte que le plus de personnes possible voient la sœur, puis il s’est arrêté devant son ancien couvent fétichiste. Elle est sortie de la voiture et a déclaré, de façon que tous entendent, que le féticheur en chef lui avait jeté un sort, mais Jéhovah, son Dieu, était sorti vainqueur ! Il s’était révélé pour elle “ une tour forte ”. (Prov. 18:10.) En dépit de sa mauvaise santé, elle a continué à servir Jéhovah fidèlement jusqu’à sa mort. Sa prise de position courageuse a aidé d’autres féticheurs à se dégager des liens du spiritisme.

L’opposition s’intensifie

À l’approche du Mémorial de 1949, un discours public a été organisé à Porto-Novo, auquel plus de 1 500 personnes bien disposées ont assisté. Le clergé n’a pas apprécié l’événement et, une nouvelle fois, s’est servi des autorités contre les frères. Dix d’entre eux ont été arrêtés.

Un chrétien a raconté plus tard : “ Les frères sont restés emprisonnés quelques jours, puis on les a relâchés après leur avoir formellement interdit ‘ d’enseigner et de prêcher en ce nom ’. Cette opposition a donné aux frères l’occasion de témoigner devant ‘ des rois et des chefs ’ et d’exposer l’espérance qui est en eux. ” — Voir Actes 4:17.

Cette année-​là, le Mémorial a eu lieu en secret. Les assistants étaient au nombre de 134, dont 5 qui ont participé aux emblèmes. Quand une personne se faisait baptiser, cela se passait la nuit, dans la lagune de Porto-Novo. Les lieux de réunion changeaient continuellement, et il y avait toujours un frère chargé de monter la garde. Avant chaque réunion, on préparait de la nourriture comme pour un repas. De cette façon, si quelqu’un s’approchait, les frères pouvaient se mettre rapidement à table et faire semblant d’être réunis pour une soirée entre amis. Et, de fait, ils étaient bien réunis pour un repas — un excellent repas spirituel !

Les frères devaient se montrer prudents en permanence ; comme l’a dit Jésus, “ prudents comme des serpents et pourtant innocents comme des colombes ”. (Mat. 10:16.) Les autorités recherchaient activement frère Akintoundé, qu’elles considéraient comme le meneur des Témoins. Un jour, un policier a été chargé de le retrouver. Ne sachant pas où habitait le frère, il a demandé à un passant de lui indiquer la maison. Conformément aux traditions des Béninois, l’homme l’a accompagné jusqu’au domicile de frère Akintoundé. Mais ce que l’agent ne savait pas, c’est que l’homme qui le renseignait était justement frère Akintoundé, qu’il n’avait pas reconnu ! Quand ils sont arrivés à destination, le maître des lieux n’était, bien entendu, pas chez lui ! En juin 1949, cependant, l’œuvre des Témoins de Jéhovah a été officiellement interdite, et frère Akintoundé est retourné chez lui, au Nigeria.

En août 1949, le gouvernement a publié une mise en garde contre les publications des Témoins de Jéhovah. Deux ans de prison et une amende de 500 000 francs C.F.A. : c’est ce que risquait désormais quiconque distribuerait ces publications, en quelque langue que ce soit. Le périodique La Tour de Garde et le livre “ Que Dieu soit reconnu pour vrai ! ” étaient particulièrement visés. Mais les frères ne se sont pas laissé décourager. Ils connaissaient bien les paroles de Jésus : “ Un esclave n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi. ” — Jean 15:20.

À cette époque, Kpoyè Alandinkpovi, l’un des premiers à accepter la vérité dans le pays, a fait bon usage, dans le ministère, de l’habit traditionnel des hommes béninois : le bubu, une tunique à manches longues pourvue d’une grande poche intérieure. Quand il était certain que son interlocuteur s’intéressait sincèrement à la vérité, frère Alandinkpovi plongeait la main dans sa robe et en ressortait un livre ou une brochure. À chaque fois, cela semblait être sa dernière publication, mais à peine rencontrait-​il une autre personne affamée de vérité qu’il trouvait de nouveau dans sa grande poche quelque chose à lui donner.

Dispersés, mais toujours actifs

“ Prêche la parole, fais-​le avec insistance en époque favorable, en époque difficile. ” (2 Tim. 4:2). Les Témoins de Jéhovah du Bénin ont pris à cœur ce conseil donné par l’apôtre Paul. L’œuvre de témoignage a continué de prospérer “ en époque difficile ”. Vers la fin de l’année 1949, Albert Yédénou Ligan, l’un des pionniers récemment nommés, s’est rendu à Zinvié, un petit village situé au nord de Cotonou. Le jour même de son arrivée, il a rencontré Josué et Marie Mahoulikponto, qui ont vite reconnu dans les enseignements bibliques l’accent de la vérité. Bien qu’étant protestant, Josué pratiquait le culte des ancêtres et avait deux femmes. Il était même le féticheur en chef du dieu Zangbeto. Dans le mois qui a suivi leur premier contact avec la vérité, Josué et Marie ont abandonné toutes ces pratiques. Leur famille n’a pas accepté leur nouvelle foi et s’est opposée à eux. Ils ont été chassés de la maison familiale et leurs récoltes ont été détruites.

Les Mahoulikponto ont fui leur village parce que leur vie était menacée, et ils se sont installés à Dekin, un village lacustre. Ce déplacement a permis que la vérité pénètre dans une nouvelle région. D’abord le chef du village puis, en l’espace de deux ans, 16 personnes ont embrassé le culte pur, malgré les arrestations, les coups et la destruction de toutes leurs publications, bibles comprises.

En 1950, alors qu’il prêchait dans un village, un pionnier a eu la surprise d’apprendre qu’un homme âgé enseignait les mêmes choses tirées de la Bible que lui. En fait, ce vieil homme était frère Afeniyi, l’un des membres du premier groupe qui avait connu la vérité en 1935. Bien qu’isolé, frère Afeniyi n’avait pas oublié Jéhovah, ni la joie ressentie à être libéré des croyances non bibliques de son Église protestante. Sa femme n’a pas accepté la vérité, et dans son village le vaudou était profondément enraciné, mais il n’a jamais abandonné. Pendant des années, inlassablement, il a enseigné autour de lui les vérités bibliques. Il est mort à l’âge de 80 ans, après avoir servi fidèlement Jéhovah pendant plus de 42 ans.

Au début de 1950, des vagues de persécutions se sont abattues sur les Témoins. Dans la région de Kouti, un policier a surpris un groupe de frères en train d’étudier le texte du jour. Certains ont été arrêtés, liés avec des cordes, puis sont passés devant le commandant ou officier de district. On les a relâchés un peu plus tard en leur défendant rigoureusement de prêcher et de se réunir. Néanmoins, les serviteurs de Jéhovah étaient conscients de l’importance de continuer à se rassembler régulièrement pour étudier la Parole de Dieu, même s’il fallait le faire en secret. Un ancien a écrit : “ Maintenant, pour se réunir et étudier, les frères n’ont plus qu’une seule solution : se lever très tôt le matin. Ceux qui ont un vélo vont prêcher loin de chez eux. (...) Il est même dangereux d’avoir une bible sur soi. Malgré ces difficultés, nous continuerons à prêcher la parole jusqu’à la fin. ” En mars 1950, ils se sont rassemblés pour le Mémorial de la mort de Christ. La peur ne les faisait pas ‘ reculer ’. (Héb. 10:38.) Début 1951, sept congrégations remettaient un rapport. Sur les 247 proclamateurs, 36 étaient pionniers.

Il s’est débarrassé de ses objets religieux

Au début des années 50, un grand nombre de frères ne savaient pas bien lire ; mais ils faisaient de leur mieux pour donner le témoignage et Jéhovah bénissait leurs efforts. Un jour, deux frères parlaient des vérités bibliques avec une personne quand Samuel Ogungbe est arrivé. Il a raconté par la suite : “ Je ne le savais pas à ce moment-​là, mais ils étaient Témoins de Jéhovah. Ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord entre eux, parce qu’ils avaient du mal à lire leurs propres bibles, des traductions en langue gun. Je me suis joint à la discussion et je les ai aidés à lire les passages bibliques. ” Samuel Ogungbe était trésorier et membre du conseil de l’Église des chérubins et des séraphins, dont les membres sont facilement identifiables : ils portent de longues robes blanches et des calottes parce qu’ils pensent être l’épouse de Christ. Toutefois, malgré ses attaches religieuses, Samuel Ogungbe a trouvé intéressante la conversation avec ces Témoins de Jéhovah. Il a pris rendez-vous avec eux pour le samedi, c’est-à-dire quatre jours plus tard, afin de poursuivre la discussion. Mais dans l’intervalle il s’est produit quelque chose qui l’a effrayé.

“ L’Église dont je faisais alors partie utilise la divination, la voyance et d’autres arts magiques, a-​t-​il expliqué. Le lendemain de ma première rencontre avec les Témoins de Jéhovah, je suis allé à l’église comme d’habitude. Dès mon arrivée, des coreligionnaires qui avaient déjà consulté les esprits m’ont prévenu que je devais faire très attention pour deux raisons : d’une part, malgré ma position importante dans l’Église je risquais de ‘ faire défection ’ ; d’autre part, j’aurais bientôt un grave problème à l’estomac qui se révélerait fatal si je ne suivais pas les conseils des esprits. Il fallait que j’achète sept chandelles, de l’encens et de la myrrhe pour une cérémonie spéciale de sept jours, au cours de laquelle je devrais jeûner et prier à voix haute. Si je désobéissais, je mourrais. ”

Plus tard, il a reconnu : “ Quand je suis rentré chez moi le jeudi soir, j’avais peur. Le vendredi, j’ai commencé à prier et à jeûner. Je savais que j’allais bientôt devoir décider si je continuerais ou pas mes discussions avec les Témoins. J’ai failli ne pas aller au rendez-vous, mais finalement, à la dernière minute, j’ai décidé de m’y rendre quand même. Nous avons abordé de nombreux sujets, puis ils m’ont invité à leur réunion du dimanche. ” Les changements ont été rapides. Des membres de l’Église que fréquentait Samuel ont essayé de le retenir, mais il était convaincu d’avoir trouvé la vérité. Il a rendu tous ses objets religieux et, le même mois, a fait ses débuts dans le service du champ. Six mois plus tard, il était baptisé. Précisons quand même que frère Ogungbe n’est pas mort à cause de sa nouvelle foi. Il a servi Jéhovah fidèlement pendant plus de 40 ans, jusqu’à sa mort survenue en 1996.

L’accent est mis sur l’alphabétisation

Il n’est pas indispensable de savoir lire et écrire pour donner le témoignage. Toutefois, la lecture de la Parole de Dieu peut fortifier quelqu’un et l’aider à endurer des situations difficiles. Pour enseigner de façon efficace, il est également important de savoir lire. Mais dans le passé, de nombreux Béninois, parmi lesquels des frères et sœurs, étaient analphabètes ; la Société a donc encouragé les frères à organiser des classes d’alphabétisation. Au début, il s’agissait plutôt de cours particuliers (un professeur enseignait un élève) ; puis, dans les années 60, de véritables classes ont été constituées dans les congrégations.

Aujourd’hui encore, de nombreuses congrégations du Bénin ont une classe d’alphabétisation. En outre, certaines personnes reçoivent une aide personnalisée. Mais depuis que le niveau des écoles publiques s’est amélioré, les besoins sont moins importants. Quand quelqu’un comprend le sens de ce qui est écrit, il lui est plus facile de mettre personnellement en pratique ce qu’il apprend dans la Parole de Dieu et d’utiliser efficacement cette connaissance pour aider les autres. — Éph. 6:14-17.

Les prêtres catholiques et juju unissent leur forces

Incapable de réfuter les enseignements des Témoins de Jéhovah, le clergé a souvent fait appel aux autorités civiles dans le but de mettre un terme à l’œuvre effectuée par les serviteurs de Dieu. Une fois, un prêtre catholique et un prêtre juju ont uni leurs forces pour chasser les Témoins de Jéhovah de la région de Dekin. Ils les ont dénoncés aux autorités, mêlant fausses accusations et demi-vérités : selon eux, les Témoins incitaient le peuple à se révolter contre le gouvernement, annonçaient une guerre mondiale, prêchaient la fin du monde et refusaient de payer leurs impôts ! Le prêtre juju a déclaré au commandant du district qu’à cause des Témoins les esprits refusaient d’accorder de la pluie, et que, de ce fait, le pays risquait la famine ! Quant au prêtre catholique, il a dit que si Dieu n’écoutait pas ses prières et ses messes, c’était de la faute des Témoins !

Les personnes sincères ont pris ces attaques pour ce qu’elles étaient : un signe révélateur de l’inquiétude qu’éprouvaient les chefs religieux devant le bon accueil reçu par les Témoins. Ces attaques n’ont fait que renforcer la confiance des frères en Jéhovah. Un rapport rédigé pendant cette période disait : “ Les frères ‘ tiennent ferme dans un même esprit, luttant côte à côte d’une même âme pour la foi de la bonne nouvelle ’, et Jéhovah bénit leurs efforts en leur donnant de l’accroissement (Phil. 1:27). Nous sommes persuadés qu’il continuera de le faire. ”

Jéhovah a-​t-​il continué de bénir leurs efforts et leur détermination ? Certainement ! Malgré l’opposition acharnée et les persécutions, le nombre de ceux qui rendaient témoignage à son nom et à son Royaume est passé de 301 en 1948 à 1 426 en 1958 ! Parfois, cependant, c’est en prison que le témoignage était donné.

On donne le témoignage en prison

Quand David Denon, de Porto-Novo, a été arrêté parce qu’il ne voulait pas cesser de servir Jéhovah, il a considéré la prison comme un nouveau champ d’activité. Son auditoire bien sûr était captivé ! Mais sa prédication n’a pas plu au directeur, qui l’a fait transférer dans un autre centre de détention. Là, il a été mieux traité et a pu prêcher sans entraves. Le directeur lui-​même s’est intéressé au message et deux prisonniers, après avoir accepté la vérité, ont commencé à prêcher avec frère Denon dans l’enceinte de la prison.

Dans la journée, on envoyait frère Denon, qui jouissait d’une entière confiance de la part de l’administration, faire des travaux de charpente chez le surintendant de police. Cet homme s’est lui aussi intéressé au message de la Bible, allant jusqu’à permettre à frère Denon de passer chez lui prendre des publications — exactement les mêmes que celles dont la possession lui avait valu d’être emprisonné !

Frère Denon a bientôt reçu de l’aide pour parcourir son territoire peu commun. En 1955, 50 proclamateurs nigérians sont passés au Bénin pour soutenir la prédication dans les régions isolées du pays, mais les autorités les ont regroupés et envoyés en prison. Toutefois, les places disponibles ne permettaient pas de loger tout le monde, si bien que toutes les sœurs et quelques frères ont été renvoyés chez eux. Les 27 frères restants, inculpés de “ distribution de publications interdites ”, ont ensuite été transférés dans une autre prison pour y attendre leur jugement. Une fois arrivés, ils n’ont pas perdu de temps. Ce n’était pas vraiment le territoire auquel ils avaient pensé en quittant le Nigeria, mais leurs codétenus devaient aussi entendre la bonne nouvelle. Au moins 18 d’entre eux ont manifesté de l’intérêt, ainsi que plusieurs surveillants et un médecin.

À la fin du mois d’août, les Témoins sont passés en jugement. Comme l’affaire s’était ébruitée, 1 600 personnes étaient présentes. Des prêtres catholiques, dont certains venaient d’assez loin, disaient à qui voulait l’entendre que les frères seraient tous condamnés à 12 ans de prison, et cela avant même le début des audiences !

Cependant, le juge était bien disposé à l’égard des frères et il leur a permis de donner un bon témoignage devant la cour. Il a comparé les Témoins à Jésus Christ, traîné devant un tribunal alors qu’il n’avait enfreint aucune loi. Il a dit qu’il était désolé d’avoir à condamner la majorité des frères à une peine de trois mois d’emprisonnement ; les peines, néanmoins, couraient à partir du jour de leur arrestation, survenue environ trois mois auparavant. Les frères ont mis à profit la fin de leur séjour en prison. Au mois d’août, tous ont passé plus de 100 heures à prêcher le message du Royaume dans ses murs ! En outre, les péripéties de leur affaire ont contribué de façon spectaculaire à faire connaître l’œuvre des Témoins de Jéhovah dans le pays.

Des publications en gun

Pour enseigner les vérités bibliques, il est particulièrement utile de disposer de publications dans la langue de tout le monde. La langue la plus parlée dans le pays est le gun. Les frères se sont donc beaucoup réjouis lorsqu’en 1955 est paru dans cette langue le tract Quelles sont les croyances des Témoins de Jéhovah ? suivi en 1957 par Le ministère du Royaume, qui a aidé les frères à organiser plus efficacement leurs réunions de service et leur activité de prédication. Une société biblique a également entrepris la réimpression de la Bible complète en gun.

Par la suite, la brochure “ Cette bonne nouvelle du Royaume ” a paru. Quand les premiers exemplaires sont arrivés dans les congrégations, les frères ont commencé à examiner cette brochure dans toutes les études de livre. Au début de l’année suivante, elle a pu être diffusée dans le public. Les résultats ont été remarquables. Les gens humbles ont accepté avec reconnaissance cette claire présentation des vérités bibliques. En avril 1958, un nouveau maximum de 1 426 proclamateurs était enregistré, ce qui représentait un accroissement de 84 % par rapport à l’année précédente.

L’accueil très encourageant réservé aux publications en gun a poussé les frères à entreprendre la traduction du livre “ Que Dieu soit reconnu pour vrai ! ”. La Tour de Garde a également été disponible dans cette langue, à partir du numéro du 1er décembre 1960, sous forme d’exemplaires ronéotypés. Grâce à toutes ces publications, les frères ont pu développer leur amour de la vérité et aider autrui à se libérer de l’esclavage de la fausse religion.

“ Pas de notre genre ”

Quelqu’un qui apprend qu’on lui a enseigné des mensonges peut changer rapidement de religion et se mettre à servir Jéhovah. Mais pour ensuite continuer à pratiquer le vrai culte, il faut être humble, éprouver un amour sincère pour Jéhovah ; il faut aussi vouloir progresser vers la maturité chrétienne et mettre en pratique la Parole de Dieu dans tous les aspects de son existence. Au Bénin, ceux qui, dans un premier temps, ont pris part avec enthousiasme à la prédication n’ont pas tous continué la course chrétienne. Certains ont montré qu’“ ils n’étaient pas de notre genre ”. — 1 Jean 2:19.

Quand un surveillant de la congrégation de Gbougbouta s’est détourné de la vérité, il a essayé de convaincre Kouadinou Tovihoudji de l’imiter. Frère Tovihoudji lui a rappelé avec tact qu’au temps où il servait Jéhovah, il avait prévenu les autres que l’amour de certains pour la vérité se refroidirait ; il a ajouté que maintenant, vu l’attitude du frère, il se rendait compte que la Bible disait vrai (Mat. 24:12). Frère Tovihoudji a eu la sagesse de ne pas suivre ce surveillant et de rester fidèle à Jéhovah.

Cependant, tous les frères n’ont pas compris clairement comment il convenait d’agir avec ceux qui ne voulaient plus obéir aux principes justes de Dieu. Ils avaient besoin d’aide. En 1959, Theophilus Idowu, un surveillant de circonscription nigérian, a été nommé à Porto-Novo avec l’objectif de fortifier les frères. Ces derniers se sont réjouis de le voir, mais ils ont été quelque peu découragés quand ils ont appris qu’il ne parlait pas leur langue. Ses discours et ses conversations avec les anciens devaient être traduits. Il s’est rendu compte que les congrégations rencontraient des problèmes qui devaient être réglés. Mais, ne parlant pas la langue du pays, il ne pouvait pas intervenir comme il l’aurait voulu. Contrarié par ce problème, il s’est mis à apprendre le gun. Il a fait de rapides progrès, et peu de temps après il a pu venir en aide aux frères, y compris à ceux qui devaient affronter des situations difficiles. Progressivement, les problèmes ont été résolus ; ceux qui avaient un mode de vie moralement impur et refusaient de changer ont été écartés de la congrégation.

L’une des principales faiblesses tenait à ce que les nouveaux qui ne savaient ni lire ni écrire avaient des difficultés de compréhension. Ceux qui, en revanche, avaient une vision claire de la vérité et la gravaient dans leur cœur opéraient de profonds changements dans leur vie. Germain Adomahou était de ceux-là.

Un polygame trouve une meilleure voie

Le père de frère Adomahou avait douze femmes. Mais lui, avant même de connaître la vérité, avait décidé qu’il n’aurait qu’une seule épouse. Le fait d’avoir plusieurs femmes était, certes, un signe de richesse et d’influence, mais les femmes de son père se disputaient et se jalousaient ; cela lui était pénible. Après son mariage, cependant, sa femme n’a pas eu d’enfant, ce qui est considéré comme un déshonneur par certains Africains. Malgré ses bonnes intentions du départ, Germain a donc pris deux autres femmes. Plus tard, il a recommencé, se retrouvant avec cinq épouses. Très vite, des rivalités et des jalousies sont apparues dans son foyer. Pour oublier ces problèmes, il s’est tourné vers d’autres femmes, qui n’étaient pas ses épouses. Sa maison ressemblait maintenant à celle de son père, qui lui avait tant déplu.

Bien qu’étant fétichiste, Germain a cherché conseils et réconfort auprès d’un prêtre catholique ; ce dernier lui a dit que pour aller au ciel il devait se faire baptiser, mais il ne lui a parlé ni de ses liens avec la religion fétichiste, ni de ses cinq épouses, ni de ce qu’enseigne la Bible au sujet des relations sexuelles en dehors du mariage. Germain s’est fait baptiser à l’église et il a continué à pratiquer la religion fétichiste et la polygamie. Rien n’avait vraiment changé. Puis, en 1947, on lui a donné le livre “ La vérité vous affranchira ”. Après l’avoir lu, il a rompu tout lien avec l’Église catholique et la religion fétichiste. Mais il restait prisonnier de la polygamie et d’un mode de vie immoral. Il a pris conscience que pour devenir un serviteur de Jéhovah, il lui fallait s’en affranchir. Puis, un jour, les événements l’ont amené à prendre une décision.

On a arrêté et envoyé en prison plusieurs membres de la congrégation des Témoins de Jéhovah d’Abomey. La nouvelle s’est répandue dans tout le village. Germain n’avait jamais vu d’adeptes d’une autre religion traités de cette façon. La détermination des Témoins de Jéhovah à continuer de prêcher le message de la Bible malgré les persécutions l’a profondément impressionné, et l’a convaincu qu’ils étaient les vrais chrétiens (2 Tim. 3:12). Sa décision était prise. Il a renoncé à la polygamie, s’est conformé aux enseignements bibliques et a voué sa vie à Jéhovah Dieu.

Cependant, sa nouvelle foi ne lui permettait pas d’abandonner purement et simplement ses anciennes femmes. Même s’il n’habitait plus avec elles, il a pourvu à leurs besoins matériels et spirituels jusqu’à ce qu’elles se remarient. Deux d’entre elles ont, par la suite, pris position pour Jéhovah ; la plus jeune a épousé un ministre à plein temps et elle est maintenant avec son mari dans le service de la circonscription. Parmi les enfants nés de ses mariages polygames, beaucoup ont également appris la vérité.

Les dernières volontés d’un mourant

D’autres encore avaient soif de vérité. Amos Djagun dirigeait l’Église méthodiste de Kilibo, un village dans le nord du Bénin. Silas Fagbohoun était un membre en vue de la même Église, mais quand un Témoin de Jéhovah est venu à sa porte, il lui a dit franchement que comme beaucoup d’autres il était déçu de voir la confusion qui régnait dans leur Église et les pratiques mauvaises qui y étaient tolérées. Lui-​même avait deux épouses et de nombreuses concubines, dont la femme de l’un des principaux prédicateurs laïques.

Quant à Amos Djagun, après une visite des Témoins, il a rassemblé un groupe de paroissiens qu’il savait être affamés de vérité. Le surveillant de circonscription, qui visitait la congrégation à ce moment-​là, leur a montré comment utiliser le livre “ Que Dieu soit reconnu pour vrai ! ” et la brochure “ Cette bonne nouvelle du Royaume ”, et comment tirer profit du texte du jour. Beaucoup ont accepté, débordants de joie, l’enseignement qu’on leur apportait. Parmi eux se trouvaient Amos Djagun et Silas Fagbohoun.

Bien entendu, Silas Fagbohoun était impatient de voir sa femme et ses enfants adopter sa nouvelle foi, mais ils ne semblaient pas disposés à le faire. En juin 1963, la nuit précédant sa mort, Silas a appelé Joseph, son fils aîné, près de son lit et lui a dit : “ Je suis désolé que jusqu’à présent tu n’aies pas pris position pour la vraie religion. Sache que ce que tu rejettes, c’est la vérité qui mène à la vie éternelle. Je prie Jéhovah pour qu’il te soutienne dans la tâche difficile que je te laisse ; à partir de maintenant, tu es responsable de tes frères. Prends soin d’eux sur le plan matériel, mais surtout sur le plan spirituel. ” Les dernières volontés de frère Fagbohoun allaient-​elles être suivies d’effet ?

Joseph semblait rester sur ses positions. Il a pris par la suite un travail dans une école secondaire protestante de Cotonou. Là, il a organisé un jour une discussion biblique avec un aumônier devant une classe de 80 élèves. À la plupart des questions posées par les élèves, l’aumônier a répondu que ‘ cela restait un mystère divin ’. À l’aide du livre “ Que Dieu soit reconnu pour vrai ! ”, Joseph a pu fournir des réponses satisfaisantes à de nombreuses questions bibliques. Entendant encore les dernières recommandations de son père, Joseph a demandé publiquement, devant toute la classe et l’aumônier, que son nom soit retiré des registres de l’Église protestante. Enfin, il était libre ! Il s’est fait baptiser en juillet 1964 et a entrepris le service de pionnier permanent en 1969.

Bien qu’étant pleine de gentillesse et de bonté, la femme de frère Fagbohoun, Lydie, ne voyait pas la nécessité de changer de religion. Elle se disait qu’elle pouvait très bien rester protestante et recevoir la vie éternelle. Elle a cependant commencé à voir clair quand un pasteur âgé de son Église a voulu avoir des relations sexuelles avec elle pour la “ consoler ” de son veuvage ! Jamais plus elle n’a mis les pieds à l’église ! Encouragée par son fils et aidée par un pionnier spécial, elle a commencé à étudier avec les Témoins de Jéhovah. Par la suite, elle s’est fait baptiser et presque tous ses enfants ont embrassé la vérité.

L’arrivée de missionnaires guiléadites

Quelle joie pour les frères quand, le 3 février 1963, les premiers missionnaires diplômés de l’École de Guiléad sont arrivés au Bénin ! Keith et Carroll Robbins avaient suivi les cours de la 37classe. Ils ont loué une maison et se sont vite mis à apprendre le gun. Les frères ont été très encouragés par la présence de ces compagnons blancs, révélatrice de l’unité qui règne au sein de la communauté internationale des frères. Non seulement les missionnaires ont rendu visite à bicyclette aux congrégations dans la savane, mais ils ont aussi formé ceux qui avaient également pour mission de le faire. Quand ils ont dû retourner au Canada en raison de leurs responsabilités familiales, les Témoins du pays ont ressenti une grande perte.

Dans les mois qui ont suivi, deux autres missionnaires canadiens, Louis et Eleanor Carbonneau, ont été affectés au Bénin. Comme ils parlaient le français, une congrégation francophone n’a pas tardé à voir le jour à Cotonou. La grande diversité de publications disponibles dans cette langue a favorisé une croissance spirituelle rapide.

Frère Carbonneau a présidé l’assemblée de district “ Le fruit de l’esprit ”, qui s’est tenue à Abomey en novembre 1964. La police était présente, comme dans tous les grands rassemblements, mais n’a rien trouvé à redire ; au contraire, les agents ont eu une attitude très amicale à l’égard des frères et ont apprécié les discours bibliques. Ils ont été très surpris de constater que 1 442 personnes, certaines venant du sud et d’autres du nord, se mélangeaient les unes aux autres fraternellement. C’était d’autant plus remarquable qu’au même moment des émeutes opposaient “ nordistes ” et “ sudistes ”.

D’autres missionnaires ont servi au Bénin, certains pendant peu de temps, d’autres avec le désir de s’installer. Après quelque retard dû à des soulèvements politiques, Don et Virginia Ward ainsi que Carlos et Mary Prosser sont arrivés au début de 1966. Peu après, une filiale a été ouverte à Cotonou pour diriger la prédication de la bonne nouvelle dans le pays.

Depuis 1948, les Témoins de Jéhovah n’avaient pas cessé de demander que le pays reconnaisse officiellement leur œuvre d’enseignement de la Bible, mais ils avaient toujours essuyé des refus. Quelle joie, donc, lorsqu’ils ont vu le nom Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania dans le journal officiel du Bénin, avec cette précision que les Témoins de Jéhovah pouvaient désormais enseigner la Bible de maison en maison partout dans le pays, et que les missionnaires étaient autorisés à poursuivre leurs activités sans restrictions !

Un temps pour se marier

Avant 1966, l’État ne prévoyait rien pour l’enregistrement des mariages. Les frères les célébraient de façon traditionnelle, mais en plus ils signaient un document qu’ils envoyaient au bureau de la filiale. Puis, en 1966, le gouvernement a pris des mesures pour que les mariages soient enregistrés légalement si les personnes concernées le désiraient. Les missionnaires ont montré aux Témoins du pays qu’il était important d’enregistrer les mariages conformément à cette disposition légale.

Les frères ont alors dû faire face à divers problèmes. D’abord, la démarche était payante, et l’argent extrêmement difficile à gagner. Ensuite, les mariés devraient fournir leurs dates de naissance, qu’ils ne connaissaient pas toujours, faute de registres bien tenus. Malgré ces obstacles, les serviteurs de Jéhovah étaient résolus à faire en sorte que leurs mariages soient ‘ honorables ’ aux yeux de Dieu. — Héb. 13:4.

À Hetin, un village essentiellement constitué de cases sur pilotis, les 25 couples de Témoins se sont dit qu’il leur coûterait moins cher de faire venir l’officier de l’état civil que de se déplacer tous. Comme ils étaient nombreux, l’officier a accepté. Quand il est arrivé, ce sont finalement 60 couples qui l’attendaient ! Que s’était-​il passé ? Pendant les préparatifs en vue de ce mariage en groupe, les habitants du village en avaient entendu parler. Comme les dirigeants des Églises auxquelles ils appartenaient ne faisaient rien pour les aider à légaliser leurs mariages, ils ont finalement demandé aux Témoins si eux aussi pourraient bénéficier des services de l’officier de l’état civil lors de son passage. En l’espace de quatre mois, la congrégation est passée de 69 à 90 proclamateurs.

Des locaux convenables pour la filiale

Des installations plus adéquates étaient nécessaires au bon fonctionnement du bureau de la filiale. Don Ward avait travaillé dans le bâtiment avant d’entreprendre le service à plein temps. Au cours de l’année 1968, il a mis son expérience à profit pour organiser la construction, à Cotonou, d’un bâtiment associant bureau de la filiale et maison de missionnaires. Grâce à l’aide de 16 pionniers et de nombreux autres Témoins, le travail de construction n’a pris que huit mois. Au rez-de-chaussée se trouvaient une belle Salle du Royaume, des bureaux, une salle à manger et une boutique pour les membres de la filiale. À l’étage, six chambres donnaient sur un jardin rempli de palmiers. Au-delà du mur, les occupants pouvaient voir la lagune étincelante, sur laquelle les canoës des pêcheurs formaient des taches sombres.

Le 12 janvier 1969 restera un jour important dans l’histoire théocratique du Bénin. Ce jour-​là, le bâtiment abritant la filiale et la maison de missionnaires a été voué à Jéhovah. Les frères ont vu dans ce bel édifice un signe de la bénédiction de Jéhovah. Chose plus importante, cependant, de belles personnalités chrétiennes étaient bâties au moyen de qualités conformes à la volonté de Dieu.

L’honnêteté : la voie à suivre

Daniel Aïnadou travaillait dans un hôtel de luxe. Un jour, sa belle personnalité chrétienne a été mise à l’épreuve : dans un pantalon qu’un client avait donné à nettoyer, il a trouvé l’équivalent de 8 000 francs français. Cette somme représentait pour lui plus de deux années de salaire. Qu’allait-​il faire ? Il se retrouvait avec une fortune entre les mains, et personne n’était là pour le voir.

Le frère était baptisé depuis peu, mais il avait étudié récemment un article de La Tour de Garde sur l’honnêteté. Il était déterminé à ne pas déplaire à Dieu à cause de biens mal acquis. Mais quand le réceptionniste a vu l’argent, il lui a dit en le prenant à part : “ Gardons l’argent, et que cela reste entre nous. ” “ Je ne peux pas faire ça, a répondu le frère. Je suis chrétien, Témoin de Jéhovah. ” “ Moi aussi, je suis chrétien, a répondu l’employé, agacé. Je vais à l’Église catholique régulièrement et je ne vois pas ce qu’il y a de mal à garder cet argent. Après tout, le propriétaire l’a perdu, non ? ” Sans se laisser intimider, notre frère est allé porter l’argent au propriétaire de l’hôtel, qui l’a mis dans le coffre.

Un peu plus tard, le client est retourné dans sa chambre et s’est mis à chercher fébrilement son argent : sous le lit, dans les toilettes, derrière les fauteuils... Il n’était nulle part. Très inquiet, il est allé voir le propriétaire de l’hôtel, qui lui a dit que son argent n’était pas perdu, mais en sécurité dans le coffre. Quand il a appris que c’était un employé de l’hôtel qui avait rapporté l’argent, il a voulu rencontrer l’honnête homme. Très impressionné, il a dit : “ Je sais que les Témoins de Jéhovah sont des gens bien. Une fois rentré en France, je vais sûrement prendre contact avec eux, parce que je veux en savoir plus à leur sujet. ” Même le directeur de l’hôtel, qui auparavant n’avait pas beaucoup de respect pour les Témoins de Jéhovah, a affirmé qu’il était heureux d’en avoir parmi ses employés.

L’incident est resté longtemps dans les mémoires. Par la suite, un autre client, qui avait perdu un peu d’argent, a accusé frère Aïnadou de le lui avoir volé. Mais le directeur de l’hôtel, en l’apprenant, a pris la défense du frère et a raconté au client l’histoire dont nous venons de parler.

À cours des années suivantes, le nombre des Témoins actifs a augmenté régulièrement. En 1971, 22 missionnaires servaient au Bénin, certains sur le terrain et d’autres au bureau de la filiale. En 1975, 2 381 proclamateurs participaient à la prédication, contre 290 en 1950. Jéhovah bénissait assurément les personnes au cœur sincère qui s’étaient libérées de la fausse religion. Mais cet accroissement n’était pas du goût de tout le monde. De noirs nuages s’amoncelaient de nouveau à l’horizon.

Changements politiques

“ Pour la révolution ? ” “ Prêt ! ” C’est ce genre de salutations que l’on entendait dans les rues au début de l’année 1975, lorsque les marxistes-léninistes ont pris le pouvoir au Bénin. Tous les courriers officiels se terminaient par ces mots : “ Prêts pour la révolution, le combat continue ! ”

Les Témoins de Jéhovah sont connus partout dans le monde pour leur stricte neutralité politique. Leur conscience éduquée par la Bible ne leur permettait pas de répéter de tels slogans (Jean 15:19 ; 18:36). Cela leur a valu une vive hostilité.

Novembre 1975 : Une arrestation

En novembre 1975, Pierre Worou participait à la prédication quand il a rencontré un homme qui l’a accueilli avec un slogan politique. Comme frère Worou ne donnait pas la réponse attendue, l’homme l’a emmené au poste de police. Les policiers ont essayé de lui faire dire les slogans, mais il a refusé. On l’a forcé à ramper sur les genoux et les coudes pendant plusieurs heures ; néanmoins, il est resté ferme.

Finalement, des frères ont pu parler avec les policiers responsables, et comme c’était un dimanche ils ont accepté de le relâcher à la fin de la journée. Cet événement a alerté les frères sur ce qui se préparait.

Décembre 1975 : Avertissements par voie de presse

Au cours du mois de décembre, “ La voix de la révolution ”, la radio d’État, s’est déchaînée contre l’ensemble des religions ; de nombreux révolutionnaires ont également averti les frères qu’ils devaient arrêter de prêcher. Le 14 janvier 1976, les autorités faisaient déjà obstacle au témoignage en public dans plusieurs parties du pays. Six Salles du Royaume étaient fermées et les réunions tenues dans trois foyers avaient été supprimées. Cependant, dans certaines grandes agglomérations, les pionniers et les missionnaires continuaient à prêcher sans trop de difficultés.

Mars 1976 : L’étau se resserre

Le 24 mars 1976, la filiale du Bénin a envoyé ce rapport au Collège central des Témoins de Jéhovah : “ Les autorités des différentes régions du pays continuent à restreindre les activités religieuses de diverses façons. De nombreuses cérémonies fétichistes et autres ont été interdites un peu partout. La prédication de maison en maison dans les villes et les villages est maintenant interdite. ”

Deux semaines plus tard, la filiale écrivait ceci : “ À Gouka, dans le Nord, tous les frères de la congrégation (mais pas les sœurs) ont été arrêtés et maintenus en détention pendant 72 heures. L’objectif était d’une part, de les effrayer pour qu’ils cessent la prédication ; d’autre part, de contraindre les frères à répéter des slogans politiques, ce qu’ils ont refusé de faire. (...) On a dit aux frères qu’ils pouvaient se réunir à la Salle du Royaume à condition de mettre un drapeau devant la salle et de chanter des hymnes et des slogans avant et après chaque rassemblement. Les frères savaient que ce n’était pas possible. Ils ont dû continuer à se réunir dans des foyers. ”

Avril 1976 : Arrestation des frères de Cotonou

Les tensions politiques s’aggravaient à travers tout le pays. Début avril, on organisait chaque semaine sur presque tous les lieux de travail des séances d’étude qui comprenaient : slogans politiques, cérémonies au drapeau, hymne national et cours d’“ idéologie ”. Ceux qui ne participaient pas à ces séances devaient être signalés aux autorités. L’un de ces rassemblements a eu lieu dans un quartier de Cotonou où trois frères et une sœur travaillaient. Les trois frères n’ont pas voulu s’y rendre. La sœur y est allée, mais a refusé de participer. Le lundi suivant, quand ils sont arrivés au travail, on les a forcés, d’abord les trois frères puis la sœur, à courir dans les rues devant un véhicule de la police jusqu’au commissariat, sur une distance de cinq kilomètres. La sœur était enceinte de quatre mois. Une fois arrivés au poste, ils n’ont pas changé d’avis et ont refusé de chanter des slogans politiques. On les a battus sauvagement, mais ils sont restés fermes : les coups n’ont pas brisé leur foi.

Carlos Prosser, au nom du Comité de la filiale du Bénin, a écrit ceci au Collège central le 7 avril 1976 : “ Je vous écris cette lettre alors que le chef de district vient de me rendre visite avec un garde et un secrétaire. Il m’a posé des questions au sujet des slogans, du salut au drapeau, etc. J’ai pu lui donner quelques explications. Il a parlé du fait que certains d’entre nous avaient été arrêtés pour avoir refusé de participer à ces choses et il a évoqué une liste de noms en cours de préparation. La visite était plutôt amicale, mais il a été catégorique sur certains points. Par exemple, nous ne sommes pas autorisés à prêcher chez les gens ; nous devons rester dans notre ‘ temple ’. Nous ne savons pas ce que les hommes au pouvoir vont décider, mais une chose est sûre : le public connaît mieux les Témoins de Jéhovah que jamais auparavant, et nous prions pour que tout cela aboutisse à un témoignage. Nous autres missionnaires commençons à nous demander pour combien de temps nous sommes encore ici. ”

Les attaques redoublent d’intensité

Le 16 avril 1976, le ministre de l’Intérieur a violemment critiqué les Témoins de Jéhovah dans un message radiodiffusé à la nation, où il disait entre autres que les Témoins refusaient de participer aux cours d’idéologie et qu’on leur enseignait qu’ils ne pouvaient pas répéter les slogans politiques. Sur un ton catégorique, il a déclaré que si les Témoins de Jéhovah ne changeaient pas d’attitude avant la fin du mois, tous leurs représentants seraient expulsés du pays, étant de toute évidence, disait-​il, des ‘ agents de la CIA ’. Une interprétation pour le moins étrange du rôle des missionnaires !

Pendant environ deux semaines, le message a été diffusé dans tout le pays. Nombre de personnes qui n’avaient jamais entendu parler des Témoins de Jéhovah auparavant se sont demandé : “ Mais qui sont ces gens dont ils n’arrêtent pas de parler ? ” La curiosité de beaucoup a été éveillée et le nom de Jéhovah a été prononcé partout dans le pays ; un résultat que les Témoins eux-​mêmes n’étaient plus en mesure d’obtenir, l’activité publique étant désormais soumise à des restrictions.

Un autre représentant du bureau du chef de district est alors venu à la filiale chercher les noms et les coordonnées de ceux qui s’y trouvaient. Il voulait aussi les noms de tous les frères responsables du pays. On lui a donné les noms des missionnaires vivant dans le bâtiment de la filiale. Dès son départ, les frères ont rassemblé tous les rapports et les dossiers de la Société et les ont mis en lieu sûr.

Le lendemain, le 17 avril, deux fonctionnaires sont revenus et ont demandé à voir le responsable. Comme tous les deux fumaient, frère Prosser leur a dit qu’ils devraient éteindre leurs cigarettes avant d’entrer. Ils l’ont fait et on les a invités à entrer dans le bureau. Ils voulaient toujours connaître les noms des frères responsables de tout le pays. Mais à ce moment-​là, les dossiers importants de la filiale étaient en lieu sûr, même au cas où ils auraient décidé de fouiller les locaux.

La fin des missionnaires

Le 26 avril 1976, quelques frères ont pensé qu’il serait sage de rendre visite au chef du district d’Akpakpa, à Cotonou, pour s’expliquer plus clairement. Si la filiale avait été au courant de leurs intentions, elle leur aurait déconseillé cette démarche. Des anciens ont essayé de les en dissuader, mais ils ont persisté. Malgré leurs bonnes intentions, le résultat a été désastreux. Après avoir discuté un moment avec eux, le chef de district a hurlé des slogans politiques, et comme ils ne répondaient pas il les a fait arrêter.

À ce moment-​là, 10 missionnaires sur 13 étaient encore dans le pays. Frère et sœur Mahon avaient prévu de retourner en Angleterre dans les semaines à venir parce que la sœur attendait un bébé, mais vu la situation plutôt menaçante, la filiale leur avait conseillé de partir le plus vite possible au lieu d’attendre la dernière minute. C’est ce qu’ils ont fait. Quant à Maryann Davies, qui logeait dans la maison de missionnaires de Porto-Novo, elle se trouvait au Canada parce que sa mère était malade.

Le soir du 26 avril, les missionnaires encore présents se sont retrouvés “ prisonniers ” dans le Béthel : ils ne pouvaient plus sortir, et personne n’était autorisé à leur rendre visite. Le téléphone était coupé. Ils ont commencé à emballer leurs affaires en prévision de leur expulsion.

27 avril 1976 : On emmène le coordinateur

Le lendemain matin, un policier armé est venu chercher frère Prosser, le coordinateur du Comité de la filiale. Il lui a ordonné de monter dans la camionnette de la Société et de prendre le volant. Pendant tout le trajet, il l’a tenu sous la menace de son arme. La destination était le commissariat d’Akpakpa. Frère Prosser devait y être interrogé. Il n’a pas été frappé, mais on a essayé de l’intimider par des insultes.

“ Donnez-​nous les noms de tous les responsables ! ”, hurlait le policier. Frère Prosser a répondu : “ Je ne peux pas vous donner les noms de mes frères. Si vous les voulez, il vous suffit de venir à la Salle du Royaume et de les noter vous-​mêmes. ” Sa réponse a été acceptée ; il savait cependant que depuis un moment aucune réunion ne se tenait plus à la Salle du Royaume. Les frères se réunissaient uniquement dans des foyers, avec leur groupe d’étude de livre.

“ Et Samuel Hans-Moévi ? Vous le connaissez ? C’est quelqu’un de chez vous ? ” Frère Prosser a reçu cette question comme un choc. C’était chez frère Hans-Moévi, dans deux vieilles valises, qu’ils avaient caché les dossiers de la Société. Ces dossiers contenaient les noms de nombreux frères. La police les avait-​elle déjà trouvés ? Tout en s’efforçant de garder contenance, au fond de lui-​même frère Prosser priait Jéhovah de lui accorder sa direction.

Finalement, l’interrogatoire s’est arrêté. Frère Prosser n’avait donné aucun nom et on ne lui avait fait aucun mal. La police l’a alors relâché, seul ! Des années plus tard, en repensant à ce moment, il a dit : “ J’ai d’abord pensé : ‘ Qu’est-​ce que je peux faire pour aider les frères ? ’ Puis je me suis dit : ‘ Sois prudent, c’est peut-être un piège. Ils peuvent te suivre dans l’espoir que tu les conduiras vers les frères. ’ ”

“ Au lieu de rentrer directement à la maison, se rappelle-​t-​il, j’ai traversé le pont et je suis entré dans la ville. Je suis passé à la poste pour voir s’il y avait du courrier. Je ne voulais pas attirer d’ennuis aux frères, mais je voulais absolument les voir pour les rassurer au sujet des missionnaires et pour leur donner des instructions en vue des jours suivants.

“ Je me suis dirigé vers la maison, tout en me demandant comment entrer en contact avec les frères. Soudain, un vent très fort s’est levé et une pluie torrentielle s’est mise à tomber. Sans prévenir, deux hommes à moto m’ont doublé à toute allure. Je me suis demandé qui cela pouvait être, car il était dangereux de doubler sur ce pont étroit, surtout sous une pluie battante. Quand la moto a été devant moi, l’homme assis à l’arrière a tourné la tête dans ma direction et a relevé son casque pour que je puisse voir son visage. À mon grand étonnement, c’était un membre du Comité de la filiale ! Et le chauffeur aussi ! Je ne les avais pas vus depuis plusieurs jours, depuis que les occupants du Béthel et de la maison de missionnaires étaient assignés à résidence.

“ La pluie continuait de tomber à seaux et tout le monde courait se mettre à l’abri. J’ai continué à rouler, j’ai dépassé la rue menant à la maison et je me suis garé (...). J’ai prié, (...) j’ai attendu (...) en espérant voir mes frères, peut-être pour la dernière fois.

“ J’ai eu l’impression que cela durait une éternité, mais la moto a fini par arriver. Il faisait un temps idéal pour parler : à cause de la pluie, il n’y avait personne autour de nous. J’ai dit aux frères qu’il fallait changer les dossiers de la Société de place et leur ai raconté ce que j’avais entendu lors de l’interrogatoire. Nous avons aussi parlé de questions relatives aux pionniers spéciaux et des dispositions à prendre pour que les surveillants de circonscription se rendent rapidement dans toutes les congrégations afin d’informer les frères de ce qui était en train de se passer. Il fallait prévoir de continuer à tenir les réunions par petits groupes dans des foyers. Nous étions presque certains que l’œuvre serait très bientôt interdite. ”

Le bâtiment de la filiale est fouillé

L’après-midi du 27 avril, l’armée a encerclé le bâtiment de la filiale. Les soldats avaient des armes automatiques. L’un d’eux était posté à l’entrée, un autre à la porte de derrière et quelques-uns dans le jardin. Tous les missionnaires ont été regroupés dans la salle à manger et tenus en respect. Un par un, on les a emmenés dans leur chambre, que des soldats fouillaient, sûrs de trouver quelque chose d’intéressant, puisque les missionnaires ne pouvaient être que des espions américains ou des révolutionnaires à la solde de l’étranger. Les soldats sont entrés dans la chambre de Margarita Königer et ont commencé à chercher. Tiens, tiens ! Enfin quelque chose de compromettant, ou en tout cas le pensaient-​ils. Ils avaient mis la main sur les dernières volontés et le testament du père de Margarita, le tout en allemand ! Un message codé, sans aucun doute ! Dans la chambre de Peter Pompl, ils ont découvert ce qu’ils croyaient être une instruction secrète : en réalité, une très banale ordonnance pour l’infection d’un orteil.

La chambre de Carlos et Mary Prosser a été fouillée en dernier. Dans une valise, les soldats ont trouvé une grosse somme d’argent. Elle avait été retirée du compte de la Société deux jours auparavant, car on craignait que la banque ne gèle le compte. Comme les missionnaires étaient en résidence surveillée depuis quelque temps, ils n’avaient pas eu la possibilité de sortir l’argent de la maison. Pour une raison ou une autre, quand les soldats l’ont trouvé, ils l’ont à peine touché et l’ont vite remis en place, dans la valise. Plus tard, la somme a pu être intégralement remise à la filiale de Lagos, au Nigeria.

Sœur Prosser a décrit la scène : “ L’un des soldats m’a dit : ‘ Vous êtes ici depuis longtemps. Vous devez sûrement connaître le nom d’au moins quelques personnes responsables de la congrégation. ’ J’ai répondu : ‘ Oh, vous savez comment ça se passe ici. On appelle rarement les gens par leur vrai nom. Moi, je connais papa Emmanuel, maman Eugénie, mais je ne sais pas quel est leur nom de famille. ’ Le soldat n’a pas pu s’empêcher de rire et lui a répondu : ‘ Vous êtes vraiment là depuis longtemps ! ’ ”

Sœur Prosser continue son récit : “ Nous avons remarqué qu’un des hommes était assis dans la chambre. Il s’était arrêté de fouiller. Son chef l’a remarqué aussi et il lui a dit de reprendre le travail. Il a levé les yeux et a fait cette réponse touchante : ‘ Je connais M. et Mme Prosser depuis des années. J’ai souvent parlé de la Bible avec eux, à la maison. Comment est-​ce que je peux venir chez eux et fouiller leur chambre ? ’ ”

Les soldats ont terminé de fouiller la chambre des Prosser et sont descendus au rez-de-chaussée. Rien de compromettant n’avait été trouvé. La plupart des missionnaires avaient passé une bonne partie de la nuit à supprimer, dans les dossiers qui se trouvaient encore dans les bureaux de la filiale, les documents où apparaissaient les noms des frères. Les papiers avaient été soit brûlés, soit jetés dans les toilettes. Pendant la fouille, un soldat a remarqué dans le jardin des braises encore chaudes. Il a interrogé frère Prosser, qui lui a répondu : “ Ça ? C’est l’endroit où nous brûlons nos ordures. ” Tous les deux savaient pertinemment que d’importants documents avaient été brûlés là.

“ Hé ! regardez ça ! ” a crié l’un des soldats qui fouillaient le local des expéditions. Ils venaient de trouver les bobines et le script d’un drame présenté lors d’une assemblée de district. Persuadés que les noms qui apparaissaient dans le drame étaient ceux des hommes clés de l’organisation, ils se sont emparés triomphalement de ces “ preuves ”.

Emmenés à la Sûreté Nationale

Les soldats ont ordonné aux missionnaires de prendre leurs passeports, puis ils les ont emmenés à la Sûreté Nationale, un service rattaché au ministère de l’Intérieur. On leur a lu leur avis d’expulsion et il était prévu de les reconduire à la frontière sur-le-champ, sans leur laisser le temps de repasser chez eux et de prendre quelques affaires ! Heureusement, il se faisait tard et la plupart des policiers étaient déjà rentrés chez eux. Comme personne ne pouvait les escorter vers la frontière, les missionnaires ont reçu l’ordre de retourner chez eux et de se tenir prêts à partir le lendemain à 7 heures.

“ Quand nous sommes rentrés, il était 20 heures, raconte frère Prosser. Nous savions que la nuit allait être longue. Des milliers de révolutionnaires avaient encerclé la maison. Ils chantaient des slogans politiques, urinaient contre les murs, insultaient les missionnaires. Ils ont continué toute la nuit. Nous avons à peine ou pas du tout dormi, parce que nous ne savions pas ce que la foule était capable de faire. Certains se demandaient intérieurement si nous serions attaqués et si nous passerions la nuit. Les sœurs ne se sont pas effondrées ; elles se sont occupées en faisant les bagages et se sont encouragées les unes les autres. Grâce à Jéhovah, les révolutionnaires n’ont pas pénétré dans la maison et personne n’a été brutalisé. Cependant, si les missionnaires ont supporté la tension émotive et le harcèlement psychologique, c’est uniquement grâce à l’aide de Jéhovah et aux encouragements mutuels. ” Il allait être particulièrement important de se soutenir les uns les autres et de se confier en Jéhovah au cours des heures suivantes !

Dernière journée au Bénin

Il est 6 heures. Les premiers rayons du jour percent les nuages ; nous sommes à l’aube du 28 avril : une journée que certains ne sont pas près d’oublier. Comme à leur habitude, les missionnaires se retrouvent à table pour l’examen du texte du jour et le petit-déjeuner. De toute évidence, ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut négliger l’étude de la Parole de Dieu ! Tous savent qu’au cours de la journée ils vont avoir besoin de forces supplémentaires.

Theophilus Idowu, un Nigérian qui avait appris le gun quelques années auparavant, servait à la filiale comme traducteur, mais il ne vivait pas dans la propriété. Il avait donc pu observer les événements de l’extérieur. Comme personne ne pouvait entrer ou sortir, les missionnaires n’avaient pas de pain pour leur petit-déjeuner. Le sachant, frère Idowu est allé à la boulangerie, a acheté du pain et s’est présenté à la porte du Béthel. Il a dit au soldat qui gardait l’entrée qu’il était le livreur. Il avait mis des vêtements en lambeaux et un chapeau rabattu sur le devant pour que la foule attardée devant le Béthel ne puisse pas le reconnaître. Le garde l’a laissé entrer. Quel encouragement pour les missionnaires de revoir une fois encore le visage souriant de frère Idowu ! Son geste donnait un sens nouveau à la prière : “ Donne-​nous aujourd’hui notre pain pour ce jour. ” (Mat. 6:11). Les missionnaires ont vu dans cette marque d’attention la main de Jéhovah et en ont été fortifiés.

“ Boum ! Boum ! Boum ! ” Quelqu’un martelait la porte principale. Au début de l’examen du texte du jour, on a entendu un grand tapage à l’extérieur de la propriété. Le chef de district et d’autres révolutionnaires avaient hissé un drapeau pour signifier que le bâtiment appartenait maintenant “ au peuple ”. On a ordonné aux missionnaires de sortir et de se joindre à la cérémonie du drapeau. Ils ne savaient pas si on les forcerait à sortir, mais ils étaient tous décidés à ne participer en aucune manière à la cérémonie. L’un d’eux, Paul Byron, a dit : “ Ils vont devoir me porter. ” Cette phrase a renforcé les autres dans leur détermination. Pour une raison ou une autre — peut-être parce que Jéhovah est intervenu — les soldats n’ont pas obligé les missionnaires à sortir, ce qui leur a permis de terminer le texte du jour.

Après la cérémonie du drapeau, des officiers ont demandé aux missionnaires de descendre leurs effets personnels, qui ont été minutieusement fouillés. On ne les a autorisés à emporter que leurs valises. Tout le reste a dû être abandonné. Des soldats ont fait le tour du Béthel avec frère Prosser pour qu’il ferme toutes les portes et lui ont demandé de leur remettre les clés. La filiale était saisie ! Les quelques frères originaires du pays qui assistaient de loin à la scène avaient le cœur lourd en voyant leurs chers missionnaires chassés de leur domicile et escortés comme des criminels par des gardes armés.

Expulsés !

Les missionnaires ont de nouveau été emmenés à la Sûreté Nationale où des avis d’expulsion ont été établis au nom de chacun. Tous sauf Margarita Königer et Gisela Hoffmann ont ensuite été entassés dans la camionnette de la Société et dirigés vers la frontière nigériane. Sœurs Königer et Hoffmann devaient être conduites plus tard à la frontière togolaise.

Le garde armé chargé de reconduire la majorité des missionnaires à la frontière, convaincu d’escorter de dangereux criminels, était très nerveux. Lorsqu’il a autorisé les frères à s’arrêter pour prendre de l’essence, un jeune employé de la station, qui avait reconnu le véhicule de la Société, a demandé ce que tout cela signifiait. “ Nous sommes des missionnaires. On nous expulse du pays parce que nous avons parlé de la Bible ”, a répondu un frère tristement. “ Ne vous inquiétez pas. Un jour, vous reviendrez ”, a dit le jeune homme. Ses paroles se sont finalement réalisées, mais il a fallu attendre des années.

Sous l’interdiction

Le 30 avril 1976, le journal béninois Ehuzu titrait : “ LA SECTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH INTERDITE EN RÉPUBLIQUE POPULAIRE DU BÉNIN. ” La persécution n’était pas une nouveauté pour les Témoins de Jéhovah du pays. Depuis les premiers jours, Satan avait lutté avec acharnement pour empêcher les eaux de la vérité de pénétrer dans ce bastion de la fausse religion.

Au cours des jours, des semaines et des mois qui ont suivi l’expulsion des missionnaires, de nombreux frères (plus de 600) ont fui le pays, matériellement démunis mais riches sur le plan spirituel. Parmi ceux qui sont restés, beaucoup ont été battus sauvagement. D’autres ont perdu leurs biens et leur emploi.

Ce sont les frères qui occupaient des postes importants qui ont été les plus touchés. En effet, on s’attendait à ce qu’à la fin de toute lettre, au début de toute conversation téléphonique ou en guise de salutation, ils utilisent les slogans politiques : “ Prêt pour la révolution ? ” “ Le combat continue ! ” Apollinaire Amoussou-Guenou dirigeait une clinique dans la région de Cotonou. Il refusait de prendre part aux activités politiques parce qu’il soutenait exclusivement le Royaume de Dieu. Des membres de sa famille l’ont supplié de répéter les slogans, même sans y croire. “ Pense à tes enfants ”, lui a dit l’un de ses neveux. Quand les persécutions contre les serviteurs de Jéhovah se sont intensifiées, il a décidé de partir s’installer au Nigeria.

Du Nigeria, il a écrit : “ En relativement peu de temps, j’ai tout perdu sur le plan matériel : maison, voiture et travail. Ici, je vis dans une maison en construction. Il n’y a ni fenêtres, ni portes, ni ciment sur le sol. Mes neuf enfants sont avec moi. Heureusement, les deux plus grands ont trouvé du travail. Nous nous battons contre les vers, les moustiques, la pluie et le froid. Un frère nous a donné un petit lit que nous utilisons comme berceau pour notre bébé de trois mois. Nous nous contentons de ce que nous avons et nous continuons d’espérer dans notre Dieu d’amour, Jéhovah, qui essuiera bientôt toute larme de nos yeux. ”

“ Prudents comme des serpents ”

Ces conditions difficiles n’ont pas éliminé le culte pur. Il y avait encore des personnes qui appréciaient d’avoir été libérées de l’esclavage de la fausse religion. Des surveillants de circonscription continuaient de rendre visite aux congrégations, mais souvent ils ne restaient que deux ou trois jours. Les frères devaient maintenant se montrer prudents et prévoyants pour éviter d’être appréhendés. Quand ils allaient en ville, généralement à l’aube ou au coucher du soleil, les surveillants itinérants portaient pour la plupart des vêtements vieux et sales, afin que personne ne remarque leur arrivée. Au cas où quelqu’un aurait des soupçons, ils avaient toujours sur eux de quoi se changer rapidement. Zacharie Elegbe, aujourd’hui membre du Comité de la filiale du Bénin, se rappelle ses visites aux congrégations, à l’époque en tant que surveillant de circonscription. “ Je me souviens d’avoir passé une journée entière dans un silo à grains en terre séchée pendant que les autorités étaient à ma recherche, dit-​il. J’entendais leurs voix, mais ils n’ont jamais pensé à aller voir dans le silo. Le soir, j’ai pu reprendre mon chemin. ”

À l’époque, pour tout rassemblement important, il fallait demander une autorisation à la mairie. Mais les serviteurs de Jéhovah se sont montrés “ prudents comme des serpents et pourtant innocents comme des colombes ”. (Mat. 10:16.) Lorsqu’on savait qu’un couple allait se marier, on adressait aux autorités locales une demande d’autorisation pour la réception, qui généralement était accordée sans difficulté. Le jour venu, un président annonçait aux invités le programme de “ la réception de deux jours ”. Deux jours ? En effet. La réception ressemblait fort à une assemblée de district en miniature ! Les jeunes mariés s’asseyaient au premier rang, en face des orateurs, et des discours fondés sur la Bible étaient prononcés pour leur édification et celle du joyeux auditoire. En une occasion, dans le village de Hetin, plus de 600 personnes ont assisté à la “ réception ” et 13 ont été baptisées. Les gens de l’extérieur étaient nombreux à se dire que les Témoins de Jéhovah avaient des réceptions de mariage assez inhabituelles ; surtout quand ils entendaient parler de baptêmes ! Les funérailles fournissaient également des occasions de se rassembler.

Les publications bibliques étaient introduites dans le pays par divers moyens : en pirogue, à vélo, dans des sacs à dos, sur des chemins de brousse, ou de quelque autre manière appropriée. Tous les fonctionnaires ne s’opposaient pas violemment à notre œuvre. Ainsi, en 1984, deux jeunes frères ont été surpris par deux douaniers alors qu’ils venaient de traverser une rivière en pirogue avec des publications en provenance du Nigeria. Les publications allaient-​elles être saisies ? Les frères seraient-​ils battus et emprisonnés ? “ Qu’y a-​t-​il dans les sacs ? ”, a demandé l’un des douaniers. “ Des publications bibliques ”, ont répondu les frères. “ Faites voir. ” Les frères leur ont alors offert à chacun une brochure Vivez éternellement heureux sur la terre ! qu’ils ont acceptée avec plaisir. “ Alors, vous introduisez toujours des publications pour les Témoins de Jéhovah ? ” Les frères se sont figés, ne sachant pas quoi répondre. “ Eh bien, allez-​y ”, a dit le douanier. Les frères ont remercié Jéhovah en silence. De tels exemples ont conforté nos compagnons dans l’idée que Jéhovah bénissait leurs efforts en vue de procurer aux frères la nourriture spirituelle “ en temps voulu ”. — Mat. 24:45.

“ La Parole de Dieu n’est pas liée ”

Les Témoins qui étaient restés au Bénin ne pouvaient pas se retenir de parler des précieuses vérités qu’ils avaient dans le cœur. C’est ainsi que la vie de Maurice Kodo a connu un tournant. Il était instituteur à Calavi, un village situé à une vingtaine de kilomètres de Cotonou. Jusque-​là, il pensait que s’il se montrait bon il irait au ciel. Cependant, lors de ses premiers contacts avec les Témoins de Jéhovah, il a appris que pour avoir l’approbation de Dieu cela n’était pas suffisant. Un cousin lui a ensuite présenté l’un de ses voisins, un Témoin, qui, en voyant l’intérêt de Maurice pour la Bible, lui a proposé sans tarder une étude biblique gratuite à domicile. Maurice et sa femme ont commencé à étudier la Bible et ont progressé rapidement. Convaincu d’avoir trouvé la vérité, Maurice a très vite voulu prendre part à la prédication. Bien sûr, les frères devaient s’assurer de sa sincérité. D’autres avaient feint de s’intéresser à la vérité dans le but de les trahir ensuite. Mais ce n’était pas le cas de Maurice Kodo. Il s’est mis à saisir toutes les occasions de parler de la vérité à sa famille et à ses collègues de travail.

Puis, le 11 février 1982, frère et sœur Kodo ont été arrêtés et emprisonnés avec le frère qui avait dirigé leur étude biblique dans un premier temps, ainsi qu’une personne qui s’intéressait depuis peu à la Bible et l’étudiait avec frère Kodo. De quoi étaient-​ils coupables ? Simplement d’être Témoins de Jéhovah et de parler à leurs voisins du Royaume de Dieu, ou même de s’intéresser à l’enseignement des Témoins. Selon un rapport rédigé par l’administration, le village de Calavi devenait “ une véritable ruche ” où les Témoins de Jéhovah s’activaient de plus en plus. Cette situation déplaisait fortement aux autorités.

Les quatre qui avaient été arrêtés, y compris la femme de frère Kodo, ont été placés dans une cellule où se trouvaient des délinquants de la pire espèce, dans des conditions épouvantables. On leur a dit qu’ils seraient libérés dès qu’ils accepteraient de signer une lettre attestant qu’ils n’étaient plus Témoins de Jéhovah. Les frères ont opposé un refus catégorique à cette proposition. Ils ne pouvaient pas renier Jéhovah, leur Dieu. Ils s’étaient voués à lui et ce vœu n’était ni conditionnel ni négociable. Cette attitude a rendu les fonctionnaires furieux et on a confisqué aux frères toutes les publications bibliques qu’ils avaient sur eux.

Quelque temps après, les deux enfants de frère et sœur Kodo, Nadine et Jimmy (âgés respectivement de six et trois ans), sont tombés malades. Sœur Kodo a demandé l’autorisation de rentrer chez elle pour prendre soin d’eux, mais on la lui a refusée. Néanmoins, elle a été autorisée à s’occuper d’eux sur place. Maintenant, ils étaient six en prison, dont deux enfants !

Comment allaient-​ils célébrer le Mémorial, qui approchait ? Les frères de l’endroit ont pu leur faire passer clandestinement du pain non fermenté et du vin pour le Repas du Seigneur. Frère Kodo se rappelle : “ C’était étrange. Pendant que nous célébrions le Mémorial, un certain calme est tombé sur la prison, si bien que la réunion n’a pas été perturbée. ”

Finalement, le fonctionnaire qui avait décidé leur emprisonnement a été muté dans une autre région. L’homme qui l’a remplacé était moins hostile aux Témoins ; le 26 mai, après trois mois et demi de détention, ils ont été relâchés.

Quatre ans plus tard, frère Kodo s’est de nouveau retrouvé derrière les barreaux, cette fois pour avoir refusé de prononcer des slogans politiques. Il a raconté plus tard qu’il s’était efforcé de faire un bon usage de ce temps : “ J’ai été pionnier auxiliaire pendant mon séjour en prison. Cette fois, j’ai pu garder une bonne réserve de publications pour ‘ mon territoire personnel ’. Je donnais le témoignage aux autres détenus, aux surveillants et aux policiers ; je dirigeais de nombreuses études bibliques. ” Même en prison, ‘ la Parole de Dieu n’était pas liée ’. — 2 Tim. 2:9.

Avec le recul, les frères reconnaissent que, dans le village de Calavi, les serviteurs de Jéhovah s’activaient effectivement comme dans “ une véritable ruche ”. Les proclamateurs n’étaient que 4 en 1982. Ils sont maintenant plus de 160, répartis dans deux congrégations florissantes. Depuis son baptême, frère Kodo a eu la joie d’aider plus de 30 personnes à sortir, non pas de prison, mais de Babylone la Grande, l’empire universel de la fausse religion.

À la fin des années 80, on a commencé à assister à des changements dans l’État. Personne ne savait exactement à quoi ils allaient aboutir. Mais les persécutions qui touchaient les Témoins de Jéhovah ont progressivement diminué. Ils ont même pu recommencer, mais seulement dans certaines régions, à se réunir ouvertement.

“ Je ne suis que le précurseur ”

Pendant ce temps, un homme a fourni la preuve qu’il y avait encore au Bénin de nombreuses personnes prêtes à recevoir avec reconnaissance les vérités libératrices de la Parole de Dieu. Pierre Awhanto était découragé par l’hypocrisie religieuse, l’amour de l’argent et l’immoralité qui régnaient dans l’Église du christianisme céleste, à laquelle il appartenait. Cette Église opérait des guérisons miraculeuses, mais cela n’avait pas empêché son enfant de mourir. ‘ Dieu a rappelé ton fils au ciel ’, lui avait dit un pasteur. Peu satisfait de cette explication et troublé par la tolérance de certaines pratiques dans l’Église, il l’a quittée en 1973 avec l’objectif de créer sa propre religion. Il voulait une religion débarrassée de l’hypocrisie et des pratiques impures qu’il avait vues ailleurs.

Il s’est donc autoproclamé fondateur et pasteur de l’Église Ayi-Wiwé (Église du Sacré-Cœur). En 1964, il avait été contacté par les Témoins de Jéhovah. Il les admirait. Il était convaincu que s’il créait sa propre Église, il pourrait avoir une religion exempte d’avidité et d’immoralité, comme celle des Témoins de Jéhovah. Peu de temps après sa création, son Église comptait 2 700 fidèles répartis dans 21 congrégations. Il était devenu riche et influent.

Un jour, un homme est venu le voir pour se faire guérir. Il était atteint d’une maladie de la peau qui persistait depuis assez longtemps. Pierre Awhanto l’a guéri. L’homme était si heureux qu’il lui a offert une maison pour le remercier !

Cependant, l’immoralité et l’avidité, les pratiques mêmes qui avaient décidé Pierre Awhanto à créer sa propre religion, faisaient leur apparition dans son Église. Il a commencé à se rendre compte que s’il voulait pratiquer le culte pur, il ne devait pas se contenter d’imiter les Témoins de Jéhovah. Il fallait devenir Témoin de Jéhovah. Il a donc accepté une étude biblique avec les Témoins. Peu à peu, il s’est mis à prêcher en chaire des choses qu’il avait apprises lors de son étude. Il terminait souvent ses sermons ainsi : “ Je ne suis que le précurseur. Les vrais porteurs de vérité viendront plus tard. ” Beaucoup, parmi ceux qui l’écoutaient, s’interrogeaient sur le sens de ces paroles.

Après avoir demandé à rencontrer les Témoins deux fois par semaine au lieu d’une, il a pris conscience qu’il lui fallait faire un choix. Il a donc réuni tous ses pasteurs, au nombre de 28, et, en utilisant les Écritures, il a expliqué la différence entre la vraie religion et la fausse. Lors de cette réunion, il a été décidé que l’on supprimerait toutes les images des églises et que le clergé ne porterait plus de robes spéciales. Les pasteurs ont été encouragés à demander une étude biblique aux Témoins de Jéhovah de leur localité. Nombre d’entre eux ont suivi l’exemple de Pierre Awhanto : le mercredi, ils étudiaient la Bible, et le dimanche, ils prononçaient un sermon fondé sur ce qu’ils avaient appris. Plus tard, l’étude du mercredi est devenue l’étude de livre de la congrégation et le sermon du dimanche, le discours public.

En 1989, Pierre Awhanto a réuni tous ses fidèles à Porto-Novo. Plus de 1 000 personnes étaient présentes. À cette occasion, il a déclaré : “ Vous vous souvenez, quand je terminais mes sermons en disant : ‘ Je ne suis que le précurseur. Les vrais porteurs de vérité viendront plus tard ’ ? Ils sont finalement venus. Ce sont les Témoins de Jéhovah ! ” Cette annonce a été suivie d’une séance de questions-​réponses qui a duré sept heures ! Tous ne voyaient pas cela d’un bon œil. Certains préféraient leur mode de vie, et notamment avoir plusieurs femmes. Néanmoins, à ce jour, et pour ne parler que du Bénin, plus de 75 membres de l’Église Ayi-Wiwé se sont fait baptiser et 200 autres étudient et progressent avec le même objectif. Dans ce groupe, beaucoup apprennent également à lire et à écrire.

Quant à Pierre Awhanto, il s’est fait baptiser en juin 1991. Il a rompu légalement toutes ses attaches avec son ancienne religion et huit de ses anciennes églises ont été converties en Salles du Royaume. Et la maison offerte par l’homme qu’il avait guéri ? Frère Awhanto la lui a rendue. L’homme était, bien entendu, très surpris. Mais notre frère lui a expliqué que maintenant qu’il connaissait la vérité il savait que les guérisons qu’il avait opérées ne venaient pas de Dieu, mais des démons.

Qu’il est encourageant de voir des personnes, parfois en grand nombre, être libérées de l’erreur religieuse et parvenir à “ une connaissance exacte de la vérité ” ! (1 Tim. 2:4.) De plus, le moment allait venir où ces personnes pourraient se réunir librement pour recevoir l’enseignement de la Parole de Dieu.

Une journée qui restera dans les annales

Le 24 janvier 1990, deux frères du Bénin se sont rendus à Lagos, au Nigeria, avec d’importants documents. Ils voulaient annoncer à la filiale du Nigeria, chargée de diriger l’œuvre au Bénin durant ces années difficiles, que le décret n004, daté du 23 janvier 1990, proclamait désormais nul et non avenu le décret (n111 du 27 avril 1976) interdisant l’œuvre des Témoins de Jéhovah en République du Bénin ! Les Témoins de Jéhovah étaient enfin officiellement libres de prêcher en public et de tenir des réunions chrétiennes ! Mais comment allait-​on annoncer la nouvelle aux frères du pays ?

Les frères ont organisé une réunion à Cotonou. Mais ils n’ont pas annoncé à l’avance la raison de ce rassemblement. Les Témoins du pays ne pouvaient pas s’empêcher de s’étonner qu’on les invite dans une salle publique en plein centre de Cotonou. Puis, en arrivant, ils ont eu la surprise de voir une grande banderole souhaitant la bienvenue aux Témoins de Jéhovah ! Beaucoup ont pensé : “ Mais comment ont-​ils pu faire cela ? Notre œuvre est interdite ! ” Certains se demandaient si ce n’était pas un piège.

La réunion devait commencer à 10 heures, mais dès 9 heures tout le monde était assis à sa place. Deux grandes banderoles étaient accrochées dans la salle. Sur l’une, on pouvait lire le texte de Révélation 4:11 : “ Tu es digne, Jéhovah, oui notre Dieu, de recevoir la gloire et l’honneur. ” L’autre affichait Psaume 144:15 : “ Heureux le peuple dont le Dieu est Jéhovah ! ”

Quand la réunion a commencé, le président a déclaré en montrant le document qu’il avait dans la main : ‘ Le gouvernement a levé l’interdiction qui frappait notre œuvre ! ’ Frère Olih, un membre du Comité de la filiale du Nigeria qui était présent ce jour-​là, raconte : “ L’annonce a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements et d’acclamations. Si le bâtiment n’avait pas été solide, il aurait pu s’écrouler sous le bruit des ovations. Puis les applaudissements se sont arrêtés brusquement, comme si les assistants avaient voulu se rappeler ce qui venait d’être dit. Ensuite, ils ont recommencé, et cela a duré plusieurs minutes. Le président a mentionné le Psaume 126, mais il n’a pas pu le lire à cause des applaudissements. Un certain nombre d’entre nous, y compris le président, avions les larmes aux yeux. Nous avions l’impression d’assister à une scène de résurrection. Les frères se tournaient les uns vers les autres et se serraient la main, débordants de joie et de reconnaissance. ”

Dans les discours qui ont été ensuite prononcés, les orateurs ont félicité les frères pour l’endurance manifestée au cours des 14 années d’interdiction. Ce n’était pas le moment de pleurer amèrement, mais de bâtir, d’utiliser sagement leur liberté retrouvée en entreprenant le service de pionnier si leur situation le leur permettait ou en aspirant à d’autres privilèges de service dans la congrégation. Il serait important de continuer à se reposer sur Jéhovah, qui venait de donner une victoire à son peuple ! Pour l’assistance, les quatre heures de réunion ininterrompues n’ont semblé durer que quelques minutes.

Le dernier orateur a rappelé que la veille encore des frères qui se croisaient dans la rue devaient rester distants afin de ne pas attirer l’attention. Puis il a encouragé les assistants à rattraper le temps perdu, maintenant qu’ils pouvaient se saluer librement. Près de deux heures après la touchante prière finale, de nombreux Témoins étaient encore devant le bâtiment à s’embrasser et à savourer leurs retrouvailles. La liberté religieuse avait un goût délicieux. Mais comment allait-​on l’employer ?

Joyeux de pouvoir se réunir

Pour pouvoir être de nouveau utilisées, les Salles du Royaume devaient être nettoyées, repeintes et réparées. Les frères ont généreusement donné de leur temps et de leurs ressources pour mener à bien ce travail. La Société a pris des dispositions pour que les surveillants de circonscription passent rapidement deux ou trois jours dans chaque congrégation. La réorganisation était en route.

Quelle joie de voir de nouveau des familles se rendre à la Salle du Royaume ! L’assistance est souvent deux ou trois fois plus élevée que le nombre des proclamateurs. Beaucoup viennent à vélo ; certains à moto ou en pirogue. D’autres vont à pied, même s’il faut faire plusieurs kilomètres. La mère attache le petit dernier dans son dos au moyen d’une pièce de tissu qu’elle enroule autour de son torse, les aînés aident les plus jeunes et, souvent, le père porte les précieux livres qui seront utilisés pendant la réunion ; précieux parce que Jéhovah nous instruit par leur intermédiaire, mais aussi parce que les plus gros peuvent coûter jusqu’à une journée de salaire.

Avec le temps, toutes les Salles du Royaume du pays, ainsi que la maison de missionnaires de Porto-Novo et les installations de la filiale saisies lors de l’interdiction, sont retournées à leurs propriétaires légitimes. On a effectué une rénovation rapide du bâtiment de la filiale et de la maison de missionnaires, et en août 1990, moins d’un mois après la restitution de la propriété de la filiale, une assemblée y a été organisée, à laquelle ont assisté 2 000 personnes. Tout le monde a ainsi été informé que les Témoins de Jéhovah utilisaient de nouveau la propriété en rapport avec leur œuvre d’enseignement biblique.

La filiale du Bénin a repris ses activités en septembre 1991, ce qui a favorisé la communication avec les frères et permis de mieux répondre aux besoins dans le domaine spirituel.

Impatients de rendre témoignage à la vérité

Les Témoins de Jéhovah du Bénin voulaient prêcher la bonne nouvelle de la même manière que ceux des autres pays. Au cours des 14 années d’interdiction, le témoignage avait été donné essentiellement de façon informelle. Certains anciens n’avaient même jamais connu la prédication de maison en maison. Mais, les encouragements et la formation aidant, ils s’y sont mis.

Il n’est pas difficile de donner le témoignage au Bénin. En général, les gens aiment la Bible. Souvent, ils offrent un siège aux Témoins et les écoutent attentivement. Il arrive régulièrement que quelqu’un qui passe en vélo leur demande les derniers numéros de La Tour de Garde et de Réveillez-vous !

Quand plusieurs logements donnent sur une cour intérieure commune, ils sont fréquemment occupés par des membres d’une même famille. Dans ce cas, par respect, le Témoin demande d’abord à parler au chef de famille. Ensuite, il peut frapper chez les fils adultes et leurs familles qui logent à côté.

En témoignage de leur reconnaissance pour tout ce que Jéhovah a fait pour eux, des centaines de Témoins ont entrepris le service de pionnier après la levée de l’interdiction. Début 1996, les pionniers spéciaux, permanents et auxiliaires étaient au nombre de 610, contre 162 en 1989.

Quels résultats ont-​ils obtenus ? Un couple de pionniers spéciaux a été nommé dans une ville où il n’y avait encore aucun Témoin. Quelques mois sont passés et la date de la commémoration de la mort de Christ a commencé à approcher. Les personnes bien disposées savaient que les Témoins célébraient habituellement le Mémorial dans une Salle du Royaume, mais qu’il n’y en avait pas à cet endroit. L’une d’elles a donc pris contact avec le propriétaire d’une grande propriété et lui a demandé s’il ne serait pas possible de disposer d’un morceau de terrain pour y construire une Salle du Royaume. Ayant une bonne opinion des Témoins, le propriétaire a accepté. En l’espace de quelques jours, les deux pionniers spéciaux et plusieurs personnes bien disposées ont nettoyé le terrain et construit une jolie Salle du Royaume avec des murs en palmes tressées et un toit en chaume. L’entrée était constituée de deux arcades faites de palmes et décorées avec des fleurs. Quand une prêtresse vaudou a tenté de susciter de l’opposition, les anciens du village lui ont dit : “ La terre de ce village ne t’appartient pas. Nous voulons que les Témoins de Jéhovah restent. S’ils s’en vont, tu t’en iras aussi ! ” Elle ne s’est plus manifestée. Le soir du Mémorial, 110 personnes étaient présentes, parmi lesquelles seuls les deux pionniers spéciaux étaient des Témoins baptisés.

Des installations pour les assemblées

Peu après la fin de l’interdiction, on a acheté à Calavi, un village près de Cotonou, un terrain de cinq hectares auquel on a ajouté par la suite une parcelle adjacente de quatre hectares. C’est dans ce village que certains de nos frères avaient été emprisonnés parce que les autorités leur reprochaient de transformer l’endroit en “ une véritable ruche ”. Cette comparaison était devenue plus appropriée que jamais. En 1990, les serviteurs de Jéhovah ont pu y tenir une assemblée en toute liberté et sur leur propre terrain !

Mais comment les frères, dont les moyens étaient limités, s’y sont-​ils pris pour construire une Salle d’assemblées destinée à accueillir 4 000 personnes ? Eh bien, ils ont employé une méthode typique des Témoins de Jéhovah d’Afrique occidentale : ils sont allés dans la brousse chercher des bambous et des feuilles de cocotier. Les bambous ont servi à fabriquer les sièges. On a planté des tiges dans le sol, tous les mètres environ, en les laissant dépasser d’une cinquantaine de centimètres. Ce seraient les pieds des sièges. Puis on a posé sur chaque rangée deux bambous plus longs. Et voilà ! Un banc pour 15 assistants. Pour soutenir le toit, fait de feuilles tissées, les frères ont utilisé des bambous plus gros. L’ensemble n’est pas imperméable, mais les assistants sont protégés du soleil de plomb et installés plutôt confortablement.

Dans l’avenir, une nouvelle filiale ainsi qu’une Salle d’assemblées ouverte doivent être construites au même endroit.

Le retour des missionnaires

Environ trois mois après la levée de l’interdiction, le gouvernement a promulgué un nouveau décret annulant celui qui avait provoqué l’expulsion des missionnaires en 1976. Les Témoins de Jéhovah étaient maintenant libres de reprendre leur œuvre missionnaire au Bénin.

À la suite de cette décision, des missionnaires ont été de nouveau affectés au Bénin en novembre 1990. Tab et Janis Honsberger, qui avaient servi entre-temps à Dakar, au Sénégal, ont été renommés dans le pays. Michel Muller et sa femme, Babette, ainsi que Claude et Marie-Claire Buquet, sont arrivés quelques jours plus tard. Ils avaient servi auparavant à Tahiti.

Frère Honsberger se rappelle : “ Quand nous avons commencé à prêcher de porte en porte dans notre nouvelle affectation, nous avons été agréablement surpris par la réaction des gens. Ils se réjouissaient littéralement de notre retour ! Un homme a même dit qu’à partir du moment où les missionnaires étaient partis le pays avait commencé à décliner. ” Souvenez-​vous de ce jeune employé de station-service qui, 14 ans plus tôt, avait prédit aux missionnaires expulsés : “ Ne vous inquiétez pas. Un jour, vous reviendrez. ” Ses paroles se sont bien réalisées : les missionnaires sont revenus !

En raison du profond amour pour Dieu et pour la Bible que manifestent de nombreux Béninois, frère Buquet appelle le Bénin “ le paradis des missionnaires ”. Les plus de 50 missionnaires qui y servent aujourd’hui sont souvent arrêtés dans la rue par des gens qui leur demandent une étude biblique ou leur posent une question biblique profonde !

Une liberté bien employée

Il y a des années, des habitants du Bénin étaient vendus comme esclaves et emmenés loin de chez eux. De nos jours, la fausse religion perpétue une autre forme d’esclavage. Elle rend captifs le cœur et l’esprit de gens qui se croient libres. Et elle est parfois plus effrayante que le fouet d’un garde-chiourme.

Des milliers de Béninois ont été libérés de cette captivité et sont devenus des Témoins de Jéhovah joyeux. Ils savent ce que signifie “ ne pas faire partie du monde ” à l’image de Christ. En conséquence, ils n’ont aucun lien avec “ le chef de ce monde ”, dont Jésus a dit qu’il n’avait aucune prise sur lui (Jean 12:31 ; 14:30 ; 15:19). Les années d’intense persécution qu’ont vécues les Témoins de Jéhovah ne les ont pas réduits de nouveau en esclavage. Ils connaissent bien ces paroles de Jésus Christ : “ S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi. ” (Jean 15:20). Ils savent également que l’apôtre Paul a écrit : “ Tous ceux qui veulent vivre dans l’attachement à Dieu par leur relation avec Christ Jésus seront eux aussi persécutés. ” (2 Tim. 3:12). Bien qu’ils aient été privés pour un temps de la liberté de se rassembler ouvertement pour le culte et de donner le témoignage en public — certains ayant même fait des séjours en prison — ils ont continué à jouir de libertés que personne ne pouvait leur enlever.

Sept années se sont maintenant écoulées depuis la levée de l’interdiction et la reconnaissance officielle de l’œuvre des Témoins de Jéhovah. Nos frères béninois ont-​ils employé sagement leur liberté ? Avant l’interdiction, il y avait environ 2 300 proclamateurs du Royaume actifs dans le pays. Aujourd’hui, ils sont plus du double. Quant aux prédicateurs à plein temps, leur nombre a plus que triplé. Nombreux sont ceux qui répondent à l’invitation de ‘ prendre l’eau de la vie gratuitement ’. Lorsque les congrégations se réunissent pour le Mémorial de la mort de Christ, un grand nombre de personnes bien disposées se joignent à elles, si bien que l’assistance est au moins quatre fois plus élevée que le nombre de Témoins. Il reste manifestement beaucoup à faire pour aider ces personnes à apprécier la valeur des commandements de Jésus et à les mettre en pratique. — Mat. 28:19, 20.

Tant que durera le présent système de choses, il faudra supporter de nombreuses situations difficiles. Néanmoins, il est particulièrement réconfortant de côtoyer les serviteurs de Jéhovah du Bénin et de constater personnellement à quel point la Parole de Dieu les libère dès à présent. Il y a l’ancien polygame de Logou qui, désireux d’avoir l’approbation de Jéhovah, a abandonné les traditions contraires aux Écritures et vit maintenant avec une seule femme. Il y a aussi le jeune homme de Togoudo Godomey qui a choisi de servir Jéhovah alors que son père lui proposait des études brillantes, la possibilité de devenir prêtre vaudou et d’hériter de sa maison et de ses épouses. La sœur de Tori-Cada Zounmé qui, après avoir passé sept ans dans une communauté vaudou, est aujourd’hui pionnière permanente. Un jeune homme qui vivait de rapines, mais a revêtu la personnalité nouvelle et sert maintenant comme pionnier spécial à Kotan. Un ancien militaire qui persécutait autrefois les Témoins de Jéhovah, puis est devenu pionnier et assistant ministériel. Tous ceux-là et beaucoup d’autres aident activement les personnes sincères à se libérer de l’esclavage religieux, comme eux-​mêmes ont été aidés. Ils savent par expérience que “ là où est l’esprit de Jéhovah, là est la liberté. ” — 2 Cor. 3:17.

[Illustrations pleine page, page 66]

[Illustration, page 72]

Nouru Akintoundé est retourné au Bénin comme pionnier. Il a aidé de nombreuses personnes à servir Jéhovah.

[Illustration, page 80]

Classe d’alphabétisation à Sekandji (1996).

[Illustration, page 86]

Germain Adomahou a renoncé à la polygamie ; il est resté avec Vigue, sa première femme.

[Illustration, page 89]

Amasa Ayinla avec sa famille à l’époque où il était surveillant de circonscription au Bénin.

[Illustration, page 90]

Les missionnaires Carlos et Mary Prosser prêts pour aller prêcher.

[Illustration, page 95]

L’École du ministère du Royaume en 1975, dans une période d’agitation politique.

[Illustration, page 102]

Peter Pompl avec Mary et Carlos Prosser : expulsés du Bénin, ils servent maintenant au Cameroun.

[Illustration, page 115]

Pierre Awhanto, qui autrefois s’était fait lui-​même pasteur, est aujourd’hui ministre ordonné du vrai Dieu.

[Illustrations, page 116]

La réunion où l’on a annoncé la levée de l’interdiction.

[Illustration, page 118]

Le terrain d’assemblées de Calavi.

[Illustration, page 123]

Le bureau de la filiale du Bénin et le Comité de la filiale tel qu’il était composé l’année de service passée (de gauche à droite) : Zacharie Elegbe, Tab Honsberger et Sou’ou Hounye.