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La Moldavie

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La Moldavie

Située à l’est du grand arc formé par les Carpates, la Moldavie est un pays fertile de plaines, de vallées profondes, de ravins et de versants boisés. Dans ce paysage contrasté qui s’étend sur 34 000 kilomètres carrés vivent de nombreux animaux : renards, loups, lièvres, blaireaux, cervidés, hermines, putois et sangliers.

Doté d’une terre noire et fertile, ainsi que d’un climat généralement doux, le pays fournit fruits, céréales, légumes et autres productions agricoles en abondance. L’irrigation et le drainage sont largement assurés par 2 200 sources naturelles ainsi que par 3 000 fleuves et rivières qui se jettent tous dans la mer Noire, au sud. L’artère principale est le Dniestr, un fleuve au cours rapide, navigable dans presque toute la République. Sur une bonne partie de sa longueur, il tient lieu de frontière avec l’Ukraine, pays limitrophe au nord, à l’est et au sud de la Moldavie, ou longe la frontière. Le Prout, un affluent du Danube, sert de séparation avec la Roumanie, à l’ouest.

Un passé mouvementé

Comprise donc entre le Dniestr et le Prout, la région qui fut connue pendant des siècles comme la Bessarabie-Moldavie se situe sur un axe terrestre majeur qui pénètre au cœur de l’Europe. Au Ier millénaire avant notre ère, cette région fait partie de la Scythie. Plus tard, l’Empire romain y exerce en partie sa domination. Elle connaît aussi les invasions successives d’autres peuples tels que les Goths, les Huns et les Avars. Aux XIIIe et XIVsiècles, la Moldavie est vassalisée par les Tartares ; puis, au XVIsiècle, elle est absorbée par l’Empire ottoman. En 1812, par le traité de Bucarest, les Turcs cèdent la Bessarabie et la moitié de la Moldavie à la Russie ; c’est alors que le nom de Bessarabie désigne l’ensemble de la région.

En 1918, cette Bessarabie est intégrée à la Grande Roumanie. Toutefois, elle redevient russe momentanément en 1940, et de nouveau en 1944. Sous le gouvernement de l’Union soviétique, elle prend le nom de République socialiste soviétique (RSS) de Moldavie. Finalement, avec l’effondrement du communisme soviétique, la RSS de Moldavie rompt ses liens avec Moscou et devient la République indépendante de Moldavie, le 27 août 1991 *. Chisinau, autrefois Kichinev, en est la capitale.

Après un accroissement rapide dans les années 60, la population moldave s’est mise à stagner au cours des années 70. Les statistiques actuelles font état d’environ 4,3 millions d’habitants. De nombreux Moldaves sont employés dans la viticulture, l’activité principale du pays, qui produit environ 3 % des vins du monde. Ces vins sont particulièrement appréciés en Russie et en Europe de l’Est (voir l’encadré de la page 71). Mais un vignoble bien plus important a enrichi la Moldavie, vignoble qui produit le meilleur fruit qui soit : des louanges joyeuses à Jéhovah.

“ Une vigne au vin écumant ! ”

Par l’intermédiaire du prophète Isaïe, Jéhovah a décrit l’Israël spirituel sous l’aspect d’“ une vigne au vin écumant ”. Conformément à cette prophétie, cette vigne symbolique a rempli “ de produits la surface du sol productif ”, autrement dit a fourni une nourriture spirituelle de qualité (Is. 27:2-6). En conséquence, les chrétiens oints ont été rejoints progressivement par des millions d’“ autres brebis ”. — Jean 10:16.

Les serviteurs de Jéhovah en Moldavie sont heureux de prendre part à l’accomplissement de cette merveilleuse prophétie. Grâce aux publications chrétiennes qui sont constamment dispensées par l’organisation de Jéhovah, la Moldavie compte aujourd’hui un proclamateur pour 229 habitants. En un certain village, il y a même un Témoin de Jéhovah pour quatre personnes !

Mais, comme nous allons le voir, cet accroissement s’est accompagné d’épreuves terribles. Pendant presque 70 ans, la monarchie roumaine, puis les fascistes, et ensuite les communistes, ont interdit, persécuté et emprisonné le peuple de Dieu. Toutefois, en Moldavie comme ailleurs, Jéhovah a accompli ses paroles prophétiques concernant sa “ vigne [spirituelle] au vin écumant ”. Par l’intermédiaire d’Isaïe, il avait déclaré : “ Moi, Jéhovah, je la préserve. À tout instant je l’arroserai. Pour que nul ne s’occupe d’elle à son détriment, je la protégerai nuit et jour. ” (Is. 27:2, 3). Lorsque vous considérerez l’histoire des serviteurs de Jéhovah en Moldavie, nous souhaitons que leur exemple de courage et de foi vous affermisse dans votre résolution de continuer à porter de bons fruits à la louange de Jéhovah, quels que soient les obstacles que Satan suscite sur votre chemin !

Frère Russell se rend sur le terrain

Dans une vigne, les sarments qui deviennent productifs ne sont au début que de minuscules pousses. En Moldavie, la croissance spirituelle a débuté de la même façon. Voyons comment Jéhovah a transformé une pousse délicate en une vigne robuste et productive, celle que nous observons aujourd’hui (1 Cor. 3:6). Il nous faut pour cela remonter à la fin du XIXsiècle, lorsque Charles Russell, un Étudiant de la Bible, est venu dans le pays au cours d’une tournée en Europe.

Dans l’édition de septembre 1891 du Phare de la Tour de Sion et Messager de la Présence de Christ, frère Russell a écrit qu’il a rendu visite à un chrétien d’origine juive, un avocat nommé Joseph Rabinowitch. “ Jusque-​là, l’un des moments les plus intéressants a été notre visite chez frère Joseph Rabinowitch, à Kichinev, en Russie [aujourd’hui Chisinau, en Moldavie]. Lui et sa famille, tous croyants dans le Seigneur Jésus, nous ont réservé un accueil chaleureux [...]. Nous nous sommes rendu compte qu’il connaissait bien les enseignements contenus dans l’AURORE [la série de livres L’Aurore du Millénium] et qu’il était en parfaite communion avec ceux-ci. ” Au cours de leurs discussions bibliques, les deux hommes sont tombés d’accord sur de nombreux points, comme en témoigne le fait que frère Russell parlait de son ami moldave en l’appelant “ frère Rabinowitch ”.

Frère Rabinowitch et sa famille s’employaient activement à aider les Juifs, plus de 50 000 à Chisinau, à accepter le Christ et l’espérance messianique. À côté de sa maison et de son bureau, il y avait un ‘ nouveau lieu de culte très bien entretenu qui, expliqua frère Russell, accueillerait environ 125 personnes ’. De plus, frère Rabinowitch possédait une presse manuelle toute neuve qu’il utilisait pour produire des tracts adaptés à la mentalité juive. Environ six ans plus tard, en 1897, il a écrit à frère Russell : “ Mon très cher frère Russell : En cette fin d’année, je ne peux m’empêcher de vous remercier pour le plaisir spirituel que vous me procurez par votre estimé journal, LE PHARE DE LA TOUR DE SION, que je reçois régulièrement. Il est pour moi tel un navire marchand, qui m’apporte de loin la nourriture spirituelle. ” Malgré l’amour et le zèle de ce Juif pour la vérité biblique, il a fallu attendre 30 ans pour que la semence du Royaume prenne solidement racine en Moldavie et se mette à produire. — Mat. 13:1-8, 18-23.

Le désenchantement d’après-guerre

En raison des bouleversements politiques survenus en Europe pendant la Première Guerre mondiale, la Moldavie est devenue une terre fertile pour la semence du Royaume. Quand la Grande Guerre, comme on l’a appelée, s’est terminée, le pays a rompu ses liens avec la Russie, où les communistes avaient pris le pouvoir, et s’est uni à la Roumanie. Ayant été témoins des horreurs de la guerre, de nombreux soldats moldaves sont rentrés chez eux désenchantés. La plupart étaient issus de familles très attachées à l’Église orthodoxe, mais désormais ils commençaient à remettre en question ses enseignements.

Ce fut le cas de Ion Andronic, de retour dans son village natal, Corjeuţi, en 1919. Alors qu’il était prisonnier de guerre, son intérêt pour la Bible avait été éveillé par les conversations qu’il avait eues avec des adventistes et des baptistes. Il est sorti du camp de prisonniers, ayant une bible en sa possession, et il s’est entretenu du message qu’elle contient avec sa famille et ses voisins, suscitant ainsi leur intérêt.

Ilie Groza était au nombre de ses voisins. Après avoir vécu les années de guerre aux États-Unis, il est rentré chez lui muni d’un exemplaire du “ Nouveau Testament ”, qu’il avait acquis au cours de ses voyages. Bons voisins, les Andronic et les Groza se sont mis à discuter ensemble de la Parole de Dieu. Ils ont aussi obtenu des publications éditées par les Étudiants de la Bible, comme on appelait alors les Témoins de Jéhovah.

Ioana, la fille d’Ilie Groza, se souvient : “ Je devais avoir tout juste six ans quand notre famille a découvert les publications des Étudiants de la Bible. J’ignore où nous nous les sommes procurées, mais je revois mes parents et aînés parler avec enthousiasme des explications claires des Écritures qu’ils avaient trouvées dans ces ouvrages. ”

Plus tard, Ion Andronic a décidé de ne pas vouer sa vie à Jéhovah. Mais il en a été autrement de sa famille et des Groza. “ Au début, nos réunions étaient une affaire de famille, se souvient Ioana. Chez nous, il y avait quatre filles, et chez les Andronic plusieurs garçons ainsi que des filles. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une idylle se noue et que Vasile Andronic épouse ma sœur Feodolina.

“ Tudor et Daria Groza, des parents éloignés, n’ont pas tardé à faire partie de notre groupe d’étude de la Bible. Tudor était un étudiant très assidu de la Bible. Il s’est même rendu à la filiale de Roumanie, à Cluj-Napoca, pour se procurer des publications qui répondraient à ses nombreuses questions bibliques. Par la suite, il s’est avéré un soutien spirituel considérable pour notre petite congrégation.

“ D’autres voisins, la famille Iacuboi, se sont joints aux discussions bibliques qui avaient lieu chez nous. Petru Iacuboi, le père, avait auparavant accueilli avec hospitalité un homme qui distribuait des bibles et qui avait stimulé son intérêt pour les Écritures. Il s’était plongé un temps dans les enseignements baptistes avant de décréter que la vérité se trouvait ailleurs. C’est alors qu’il s’est ajouté à notre groupe d’Étudiants de la Bible, qui s’étoffait de plus en plus.

“ Motivé par ce que nous apprenions, notre groupe a fait connaître avec zèle la bonne nouvelle du Royaume à tous nos amis et parents, dont beaucoup vivaient dans notre village ou dans les environs. ”

Dans son édition anglaise du 15 décembre 1921, La Tour de Garde a publié un rapport témoignant de la rapidité avec laquelle le message du Royaume se répandait dans le pays : “ De Bessarabie [comme on appelait alors la Moldavie], un frère, qui encore récemment était un prédicateur adventiste, écrit : ‘ Environ 200 habitants du village, sans compter ceux des communes alentours, ont accueilli la vérité biblique. ’ ”

Dans le village de Şirăuţi, Ilarion Bugaian, membre actif de l’Église orthodoxe, a découvert la vérité au début des années 20. Il a servi Jéhovah fidèlement jusqu’à sa mort. Quant à Moise Ciobanu, il était prisonnier de guerre en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale lorsqu’il a connu la vérité. Il est devenu Étudiant de la Bible et il est rentré chez lui, à Bălţi. Un groupe n’a pas tardé à y être formé, qui a donné naissance à la première congrégation de la ville.

L’aide des Témoins roumains

Dans les années 20, la filiale roumaine a envoyé des frères qualifiés en Moldavie afin qu’ils cultivent le champ et qu’ils fortifient ceux qui fréquentaient depuis peu le peuple de Dieu. Parmi ces premiers évangélisateurs figurait Vasile Ciucaş, de Transylvanie. Vasile parlait roumain et hongrois. À chaque fois qu’il rendait visite à la jeune congrégation de Corjeuţi, il logeait chez Ilie Groza et sa famille. Ioana aime se rappeler ces moments. “ Je crois que j’avais huit ans à l’époque, raconte-​t-​elle, mais je me souviens encore des visites de frère Ciucaş. C’était un homme d’une gentillesse exceptionnelle et qui avait toujours des histoires tellement intéressantes à raconter que personne ne voulait aller se coucher ! Ma sœur et moi, nous nous disputions pour nous asseoir à côté de lui. ”

Tout en collaborant avec des proclamateurs moldaves pleins d’entrain, les Témoins roumains ont continué de répandre la bonne nouvelle dans les villages voisins. À Tabani, à 11 kilomètres de Corjeuţi, Cazimir Cislinschii a fait part à d’autres des nouvelles réconfortantes qu’il avait apprises dans la Bible. Un écho du message du Royaume lui était parvenu quand il avait servi dans l’armée en Roumanie. Une des premières personnes réceptives à sa prédication fut Dumitru Gorobeţ, un étudiant particulièrement enthousiaste. Grâce à des personnes aussi zélées que lui, la population de Tabani, qui s’élève à 3 270 habitants, compte aujourd’hui 475 Témoins.

Au début des années 20, le message du Royaume a aussi pénétré dans le village de Caracuşeni, à trois ou quatre kilomètres de Corjeuţi. Parmi les premiers habitants de ce village à avoir accepté la vérité figure Vladimir Lungu, baptisé en 1927. Vladimir a enduré bien des persécutions à cause de ses croyances chrétiennes ; il est mort fidèle à Jéhovah en 2002. Au cours de sa vie, il a vu tellement de gens de Caracuşeni accepter la vérité que, sur les 4 200 habitants, le quart de la population est constitué de Témoins de Jéhovah !

Alexandru Mikitkov, un autre frère fidèle, a connu la vérité en 1929, lors d’un séjour à Iasi, en Roumanie. Son fils Ivan relate : “ Quand papa est revenu chez nous, à Ţaul, il s’est aussitôt mis à prêcher la bonne nouvelle et, peu après, nous avons tenu des réunions chrétiennes à la maison.

“ Papa se maintenait en contact avec la filiale de Roumanie, poursuit Ivan. De temps en temps, des frères mûrs de ce pays venaient nous voir. Malheureusement, au cours d’une de ces visites, en 1931, nous avons perdu ma petite sœur, qui était encore en bas âge. Comme notre famille était connue, beaucoup de voisins ont assisté aux funérailles. C’est frère Vănica, le frère roumain de passage, qui a présidé la cérémonie. Il a donné un témoignage remarquable et dénoncé la rumeur répandue par le clergé selon laquelle les Étudiants de la Bible ne célébraient pas dignement les enterrements. De plus, en exposant clairement l’espérance de la résurrection, son discours a planté une excellente semence dans le cœur de certains des présents. Rapidement, ces personnes aussi ont pris position pour la vérité biblique.

“ L’encouragement spirituel prodigué par frère Vănica a également exercé une profonde influence sur ma famille. Ainsi, Dumitru, mon frère aîné, a décidé de devenir colporteur (ministre à plein temps). Désireux d’aider autant de personnes que possible, il a quitté la maison pour prêcher des territoires vierges de Moldavie. Notre famille a soutenu de tout cœur sa décision. Mon grand frère me manquait terriblement, je dois l’admettre, mais d’un autre côté nous étions très contents lorsqu’il revenait nous voir avec un tas de faits de prédication passionnants à raconter ! ”

L’hostilité du clergé s’intensifie

Dès le début, les ecclésiastiques orthodoxes se sont opposés à la prédication de la bonne nouvelle. Mais ils sont devenus furieux lorsque des membres de leur Église, après avoir appris la vérité biblique, ont refusé de faire le signe de croix et de baptiser leurs nouveau-nés.

Alors que Ioana Groza avait environ dix ans, le prêtre de sa localité a fait pression sur elle pour qu’elle transige avec ses croyances. Elle se souvient : “ Mon père nous avait expliqué qu’il n’était pas biblique de se signer. Mais à l’école, le prêtre a insisté pour qu’on le fasse. J’avais peur de lui, mais je craignais aussi de déplaire à papa. Alors, au lieu d’aller à l’école, je me cachais dans une grange. Au bout de plusieurs jours, papa a été informé de mon absentéisme. Mais, au lieu de me gronder, il m’a gentiment demandé une explication. Quand je lui ai dit que j’avais peur du prêtre, il m’a prise par la main et nous sommes allés directement chez lui.

“ Papa lui a dit d’un ton ferme : ‘ Si c’était vous qui donniez à ma fille la nourriture, le vêtement et le logement, vous auriez peut-être le droit de lui dire quoi faire en matière de culte. Mais parce que vous ne faites pas ces choses, vous ne vous mêlerez pas de ce que j’enseigne à mon enfant. ’ Eh bien, je suis heureuse de dire que le prêtre ne m’a plus causé d’ennuis durant tout le reste de ma scolarité. ”

À l’époque, les gens les plus influents étaient les membres du clergé. À l’image des chefs religieux du temps de Jésus, ils usaient de cette influence pour salir la réputation des serviteurs de Jéhovah, afin que leurs paroissiens les éconduisent ou qu’ils aient peur de leur parler. Une de leurs tactiques préférées était d’exploiter les antagonismes politiques. Par exemple, les gens redoutaient la menace bolchevique venant de l’Union soviétique. Les prêtres orthodoxes jouaient sur ce sentiment en racontant que, si les Étudiants de la Bible refusaient de se signer, c’était pour des raisons politiques, parce qu’ils étaient communistes.

Mais ce n’était pas tout. Ces ecclésiastiques perfides abusaient encore davantage de leur autorité en incitant les responsables politiques à s’opposer au peuple de Dieu, à l’instar des scribes et des Pharisiens du temps de Jésus. — Jean 18:28-30 ; 19:4-6, 12-16.

Entre 1918 et 1940, la Moldavie a été assujettie à la Roumanie, qui était alors une monarchie. Le gouvernement roumain a nommé un ministre des Cultes, responsable des questions religieuses. Cédant à l’orthodoxie, cet homme s’est dressé contre l’œuvre des Étudiants de la Bible en essayant de faire interdire ces derniers, ainsi que leurs publications bibliques. Comme vous vous en doutez, le prétexte qu’il avançait était les soi-disant liens des frères avec les bolcheviks.

Un tel mépris du gouvernement pour le peuple de Jéhovah a donné lieu à une directive de l’inspecteur général de Moldavie, en date du 25 avril 1925, adressée à un certain officier de police. On y lisait : “ Conformément à la directive de police n17274/925, nous avons l’honneur de vous informer que le ministère de l’Intérieur a décidé d’interdire et de faire cesser la propagande des ‘ Étudiants [internationaux] de la Bible ’. Nous souhaiterions que vous preniez les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. ”

L’effet que cette opposition officielle a eu sur les frères ressort d’un rapport soumis par la filiale roumaine au siège mondial, le 17 octobre 1927. En résumé, ce rapport déclarait que les réunions avaient été interrompues et interdites partout, et que ‘ des centaines de frères avaient été traduits devant des tribunaux civils et militaires ’. Il ajoutait : ‘ Peu de réunions ont pu avoir lieu pendant l’été, car les congrégations étaient et demeurent sous l’étroite surveillance des services secrets et de la police, surtout dans les villages, c’est-à-dire là où se trouvent la majorité des congrégations. La plupart des réunions se sont tenues dans la forêt, à des endroits bien cachés.

‘ Depuis le mois de mars, l’activité des surveillants itinérants aussi a été restreinte, poursuivait le rapport. Ce mois-​là, le ministre de l’Intérieur a donné des ordres stricts et confidentiels pour trouver les colporteurs, ces “ propagandistes ”, et les arrêter tous. En peu de temps, presque tous les colporteurs ont été emprisonnés. Même si aucun de nous n’a peur, étant donné que nous endurons l’opposition depuis le début de l’œuvre dans le pays, les méthodes mises en œuvre cette fois-​ci pour nous traquer sont si rigoureuses que nous pouvons à peine lever le petit doigt. ’

Vers la fin des années 20, d’autres personnes, seules ou en famille, ont eu le courage de quitter l’Église orthodoxe et d’adhérer fermement à la vérité biblique. C’est ce dont témoigne une lettre, écrite en 1928 par le prêtre d’un village à son supérieur. Cette lettre comprenait une liste de 43 noms d’adultes et d’enfants de sa paroisse, à Şirăuţi. On y lisait : “ Nous avons l’honneur de joindre une liste qui comporte les noms des membres de la secte des ‘ Étudiants de la Bible ’. Malgré leurs efforts, ils n’ont eu aucun succès. Ils ne possèdent pas non plus de maison de prières, mais ils se réunissent dans des foyers. ”

En réalité, la liste de noms fournie par le prêtre démentait son affirmation que les Étudiants de la Bible ‘ n’avaient eu aucun succès ’, car sur les 43 personnes, la plupart étaient d’anciens membres de l’Église qu’il représentait. Un des enfants cités était Agripina Barbuţă, aujourd’hui octogénaire et toujours active dans le service de Jéhovah.

Lorsqu’il est devenu difficile de prêcher publiquement, les frères se sont concentrés sur le témoignage informel, surtout parmi leurs proches. À l’époque, les familles passaient beaucoup de temps ensemble. Cette coutume a permis aux frères de communiquer la bonne nouvelle à autrui. Évidemment, aucune loi ne pouvait empêcher les membres d’une famille de se parler.

Les efforts déployés pour légaliser la prédication

Après que la prédication a été interdite en 1925, les frères de la filiale de Cluj-Napoca, en Roumanie, ont soumis un rapport dactylographié de 50 pages au ministre des Cultes. Ce rapport commençait par une brève présentation de nos enseignements et de nos croyances, puis il demandait solennellement de lever l’interdiction. En conséquence, au mois de septembre 1927, on a accordé à un frère, à trois reprises, une audience personnelle avec le ministre. Après la dernière entrevue, le frère est sorti en espérant que la loi serait modifiée en faveur de la liberté de culte. Malheureusement, le gouvernement a été indifférent aux appels des frères. D’ailleurs, au lieu d’améliorer leur situation, il l’a aggravée en façonnant le malheur par décret (Ps. 94:20 ; Dan. 6:5-9). À cet égard, un document officiel daté du 29 mai 1932 déclarait que “ les activités en tout genre ” des Étudiants internationaux de la Bible étaient “ totalement interdites ”.

Toutefois, cette attaque contre le peuple de Dieu n’avait rien d’une campagne unifiée en Roumanie et en Moldavie. Dans une certaine mesure, les autorités locales prenaient leurs propres décisions en ce qui concernait les Étudiants de la Bible. Les frères s’adressaient donc à elles pour défendre la bonne nouvelle et la faire reconnaître en justice, au moins localement. — Phil. 1:7.

Par endroits, ces efforts ont porté du fruit. Ce fut le cas en Roumanie, après le transfert de la filiale de Cluj-Napoca à Bucarest. En 1933, au terme d’une lutte prolongée, la filiale a finalement obtenu à Bucarest l’enregistrement de la Bible and Tract Society des Témoins de Jéhovah.

Il est intéressant de noter que même des juges éminents ont désavoué ouvertement les restrictions imposées au peuple de Dieu. Ainsi, le 8 mai 1935, la Cour d’appel de Cluj-Napoca a courageusement statué que l’interdiction qui frappait les Témoins de Jéhovah était anticonstitutionnelle. Sa décision allait même plus loin : “ Les brochures [produites par les Témoins de Jéhovah] confisquées encouragent l’amour du prochain et la croyance en Dieu et en Christ. C’est pourquoi il est erroné de déclarer qu’elles ont un caractère subversif ; elles ne représentent aucun danger pour la sécurité de l’État. ”

La voix de la raison n’est pas entendue

Pourtant, les autorités dans leur ensemble sont demeurées hostiles à l’œuvre des serviteurs de Dieu. Par exemple, le 28 mars 1934, l’officier chargé de la sécurité dans la ville de Soroca, en Moldavie, s’est plaint par écrit auprès de son supérieur, l’inspecteur de police régional de Chisinau, de ce que, en 1927, dans un village proche de Soroca, ‘ il n’y avait que deux familles qui adhéraient à cette secte, mais qu’elles en avaient converti [...] 33 autres ’. De plus, il a signalé que les Témoins ‘ rejetaient l’Église ’, ses “ traditions et ses coutumes religieuses ” et qu’‘ au lieu de solliciter les services du prêtre, ils pratiquaient leur propre culte ’. Sa lettre se terminait par ces mots : “ [Les Témoins] continuent de faire de nouveaux convertis, menaçant l’ordre établi et la sécurité de l’État. ”

Le 6 mai 1937, les frères de ce district ont écrit au préfet, demandant que les Témoins de Jéhovah soient retirés de la liste des sectes illégales. La réponse officielle a été exprimée dans une lettre rédigée par une autorité du district de Soroca et adressée au préfet. La lettre, datée du 15 juin 1937, stipulait : “ L’activité des [Témoins de Jéhovah] est interdite par [...] le ministre des Cultes et des Arts. C’est pourquoi nous ne pouvons accéder à la demande qu’ils ont faite pour être retirés de la liste des sectes [illégales], car ils servent toujours activement les intérêts de cette secte. ”

Le journal officiel du gouvernement, Monitorul Oficial, a confirmé cette position hostile en déclarant le 12 juillet 1939 que les Témoins de Jéhovah et toutes les entités juridiques qu’ils utilisaient étaient “ totalement interdits ”. Comme indiqué précédemment, la Moldavie était alors sous la souveraineté de la Roumanie, un pays orthodoxe gouverné par une monarchie. Malheureusement, poussés par le fanatisme religieux, de nombreux fonctionnaires, dans leur façon de traiter le peuple de Jéhovah, sont allés au-delà de ce que l’interdiction officielle exigeait.

Les fonctionnaires recourent à la brutalité

Les cas de Dumitru Gorobeţ et de Cazimir Cislinschii révèlent que l’oppositon à l’œuvre de prédication a souvent été attisée par la haine religieuse de personnalités officielles, des orthodoxes fanatiques. Dumitru et Cazimir ont découvert la vérité biblique dans le village de Tabani. Ils n’ont pas tardé à être connus et appréciés des frères pour leurs belles qualités et pour leur zèle dans le ministère. Puis, en 1936, ils ont été arrêtés et emmenés au poste de police de Khotine (aujourd’hui en Ukraine).

Tout d’abord, les policiers les ont cruellement battus. Puis ils ont essayé de les forcer à faire le signe de croix. Mais les deux hommes sont restés fermes, malgré des coups incessants. Finalement, les policiers ont abandonné. Ils leur ont même permis de rentrer chez eux. Mais les épreuves de ces deux frères fidèles ne se sont pas arrêtées là. Sous les régimes fasciste et communiste, ils ont enduré de nombreuses autres persécutions pour la bonne nouvelle. Dumitru est décédé au début de l’année 1976 à Tomsk, en Russie. Quant à Cazimir, il est mort en novembre 1990, en Moldavie.

Dans les années 30, c’est la filiale roumaine qui s’occupait de l’œuvre en Moldavie. Martin Magyarosi, baptisé en 1922, était le serviteur de la filiale à l’époque. Par amour pour les frères, surtout au vu des épreuves qu’ils traversaient, il a rendu visite à de nombreuses congrégations du nord de la Moldavie, accompagné de son gendre, Pamfil Albu ; son but était de fortifier et d’encourager ces congrégations. Cette disposition venait à point nommé. Pourquoi ? Parce que l’Europe allait bientôt être au cœur de la Seconde Guerre mondiale et que la Moldavie, convoitée par ses voisins plus puissants et antagonistes, allait passer sous la domination, tantôt de l’un, tantôt de l’autre.

L’Europe déchirée par la Seconde Guerre mondiale

Le 23 août 1939, l’Union soviétique et le gouvernement nazi de l’Allemagne ont signé un pacte de non-agression. Une semaine plus tard, le 1er septembre 1939, l’Allemagne a envahi la Pologne, ce qui a déclenché la guerre. Puis, le 26 juin 1940, Viatcheslav Molotov, ministre soviétique des Affaires étrangères, a demandé au gouvernement roumain que le pays, qui était alors connu comme la Bessarabie, soit cédé inconditionnellement à l’Union soviétique. La Roumanie a cédé, si bien que, le 28 juin 1940, les troupes soviétiques ont envahi la Moldavie. En août, les Soviétiques ont créé la RSS de Moldavie, avec pour capitale Chisinau.

Toutefois, l’occupation soviétique en Moldavie n’a pas duré. Le 22 juin 1941, l’Allemagne a envahi la Russie, violant le pacte de non-agression signé en 1939. La Roumanie, quant à elle, a exploité les événements à son avantage en se déclarant l’alliée de l’Allemagne et en essayant de reprendre la RSS de Moldavie des mains des Soviétiques.

Son plan a réussi car, le 26 juillet 1941, l’armée roumaine avait repoussé les Russes jusqu’au Dniestr. Ainsi, après moins d’un an de régime soviétique, la Moldavie est redevenue roumaine. Cette fois-​ci, cependant, la Roumanie était dirigée (depuis septembre 1940) par un gouvernement fasciste extrêmement nationaliste dont le chef était le général Ion Antonescu. Ce dictateur ne tolérait pas ceux qui restaient neutres sur le plan politique en raison de leur soutien fidèle au Royaume de Dieu.

Le creuset fasciste

Le gouvernement fasciste d’Antonescu, qui était allié avec Hitler et les puissances de l’Axe, a rapidement voulu imposer sa volonté aux Témoins de Jéhovah. Considérez le cas d’Anton Pântea, né en 1919. Anton a appris la vérité quand il était adolescent, et il est devenu zélé dans le ministère de maison en maison. À plusieurs reprises, il a failli être battu mais, en affirmant courageusement son droit de citoyen roumain à parler de sa foi, il a réussi à échapper quelque temps à la violence physique. Toutefois, la police a fini par l’attraper. Des officiers fascistes l’ont traîné au poste de police et l’ont battu toute la nuit. Puis, aussi étonnant que cela puisse paraître, ils l’ont libéré. Aujourd’hui âgé de 84 ans, frère Pântea est toujours déterminé à demeurer fidèle à Jéhovah.

Autre exemple d’intégrité, Parfin Palamarciuc, qui a connu la vérité biblique dans les années 20 en Moldavie. Lui aussi était un proclamateur zélé de la bonne nouvelle : il s’absentait de chez lui parfois des semaines entières pour prêcher dans les villes et les villages entre Tchernovtsy et Lvov, en Ukraine. Comme il refusait de prendre les armes, les fascistes l’ont arrêté en 1942 et l’ont fait passer en cour martiale, à Tchernovtsy.

Écoutez le récit de ces événements par Nicolae, le fils de Parfin : “ En tout, cette cour martiale a condamné à mort une centaine de frères. La peine devait être exécutée sur-le-champ. Les policiers ont rassemblé tous les frères et en ont choisi dix, qu’ils allaient fusiller en premier. Mais d’abord, ils les ont forcés à creuser leur propre tombe, sous les yeux des 90 autres. Avant d’exécuter les frères, les policiers leur ont donné une dernière possibilité de renoncer à leur foi et de rejoindre l’armée. Deux ont transigé ; les huit autres ont été fusillés. Puis dix autres ont été alignés. Mais avant d’être fusillés à leur tour, ils devaient enterrer les morts.

“ Alors que les frères remplissaient les tombes, un fonctionnaire haut placé est arrivé. Il a demandé combien de Témoins avaient changé d’avis. Quand on lui a répondu deux, il a déclaré que, s’il fallait en faire mourir 80 pour en enrôler 20, il était plus intéressant d’envoyer les 92 restants dans les camps de travail. Par conséquent, les peines de mort ont été commuées en peines de 25 ans de travaux forcés. Toutefois, presque trois ans plus tard, les forces soviétiques en marche ont libéré les Témoins des camps roumains. Mon père a survécu à cette épreuve et à bien d’autres. Il est mort fidèle à Jéhovah en 1984. ”

La résistance à l’orthodoxie : un crime !

Vasile Gherman était un jeune homme marié et sa femme venait de mettre au monde une petite fille quand les fascistes l’ont arrêté, en décembre 1942. Vasile a été accusé de deux “ crimes ” : il avait refusé d’effectuer son service militaire et il n’avait pas fait baptiser sa fille selon les rites de l’Église orthodoxe. Il raconte ce qui s’est passé : “ En février 1943, mon cas et celui de 69 autres frères fidèles devaient être examinés à Tchernovtsy, par un tribunal militaire. Avant que notre peine soit prononcée, les autorités nous ont forcés à assister à l’exécution de six criminels. De cette façon, nous étions sûrs d’être les prochains sur la liste des condamnés à mort.

“ Nous en avons parlé entre nous et nous avons résolu de rester forts dans la foi et de tout faire pour garder notre joie jusqu’à la fin du procès. Avec l’aide de Jéhovah, nous y sommes parvenus. Quand les 70 que nous étions ont été condamnés à mort, comme c’était à prévoir, nous avons vraiment eu le sentiment de souffrir pour la justice. Aucun ne s’est découragé, ce qui a suscité un vif dépit chez nos ennemis. Puis, quelle n’a pas été notre surprise quand, au lieu de nous fusiller, les autorités ont commué nos peines en 25 ans de travaux forcés dans le camp d’Aiud, en Roumanie ! Mais cette peine non plus n’a pas été exécutée entièrement, car l’armée soviétique a libéré le camp en août 1944, tout juste 18 mois plus tard. ”

En 1942, les fascistes ont recruté 800 hommes à Şirăuţi, un village moldave, pour qu’ils servent dans l’armée du général Antonescu. Il y avait parmi eux des Témoins, dont Nicolae Anischevici. “ D’abord, relate Nicolae, la police nous a ordonné de participer à une cérémonie religieuse. Nous avons refusé. Nous avons aussi refusé de prendre les armes. La police nous a alors accusés d’être communistes et nous a arrêtés. Mais avant de nous mettre sous les verrous, on nous a permis d’exposer à toutes les personnes présentes la raison de notre neutralité.

“ Le lendemain, on nous a transférés à Briceni, le centre judiciaire du district. Là, on nous a déshabillés et fouillés minutieusement. Puis un prêtre de haut rang militaire nous a interrogés. C’était un homme bon, qui a compris notre position d’objecteurs de conscience et qui s’est arrangé pour que nous ayons à manger. En fait, il a écrit que, si nous nous refusions à porter les armes, c’était à cause de notre croyance en Jésus.

“ De Briceni, on nous a emmenés au commissariat de police de Lipcani. Les policiers nous ont battus sans merci jusque dans la nuit. Puis ils nous ont mis dans une cellule avec deux autres frères et, à notre grande surprise, avec une femme qui était en réalité une espionne. Nous avons été battus pendant plusieurs jours. Finalement, on m’a envoyé à Tchernovtsy pour que je comparaisse devant une cour martiale. Sur place, j’ai obtenu l’aide très précieuse d’un avocat. Mais ma santé s’est tellement détériorée à cause des mauvais traitements que les autorités militaires ont pensé que j’allais mourir. En fin de compte, on m’a renvoyé chez moi sans me condamner. ”

Des sœurs courageuses maintiennent leur intégrité

Les sœurs aussi ont subi le feu de la colère fasciste. Ce fut le cas de Maria Gherman (sans lien de parenté avec Vasile Gherman, mais originaire de la même congrégation). En 1943, Maria a été arrêtée et emmenée au poste de police de Balasineşti. Elle se souvient : “ La police m’a arrêtée parce que je refusais d’aller à l’église orthodoxe. Dans un premier temps, on m’a transférée à Lipcani, en Moldavie, puis à Tchernovtsy, en Ukraine, où j’ai été condamnée.

“ Le juge m’a demandé pourquoi je ne voulais pas me rendre à l’église. Je lui ai dit que je n’adorais que Jéhovah. Ce ‘ crime ’ m’a valu d’être condamnée, ainsi que 20 autres sœurs, à 20 ans de prison. Certaines, dont moi, ont été confinées dans une cellule minuscule avec 30 autres détenues. Toutefois, la journée, on m’envoyait faire le ménage dans des familles riches. Je dois dire que ces gens me traitaient mieux que les autorités pénitentiaires : au moins, ils me donnaient assez à manger !

“ Avec le temps, nous sommes entrées en contact avec les frères qui étaient dans une autre aile de la prison. Cela s’est avéré bénéfique, car nous avons pu les aider à obtenir à la fois de la nourriture physique et de la nourriture spirituelle. ”

Comme nombre de leurs compagnons moldaves, ces Témoins intègres ont dû, après avoir enduré la colère fasciste, subir une nouvelle attaque venant de la puissance qui allait dominer le pays : la Russie communiste.

La tactique soviétique : la déportation

En 1944, vers la fin de la guerre, quand le vent a tourné contre l’Allemagne, des éléments du gouvernement roumain dirigé par le roi Michel ont renversé le régime d’Antonescu. La Roumanie est donc passée de la tutelle des puissances de l’Axe à celle de la Russie. La même année, l’armée soviétique qui progressait a consolidé l’hégémonie russe sur la région en réintégrant la Moldavie à l’Union soviétique, et en lui donnant le nom de RSS de Moldavie.

Dans un premier temps, les dirigeants communistes en Moldavie ont laissé les Témoins de Jéhovah tranquilles. Mais cette trêve a été de courte durée ! La question de la neutralité chrétienne, notamment le refus des Témoins de voter aux élections régionales, est redevenue un sujet brûlant. Le système soviétique ne permettait pas la neutralité politique. Le gouvernement a donc décidé de régler cette question en déportant les Témoins de Jéhovah et autres “ indésirables ”, à partir de 1949.

Un document officiel a présenté “ la décision du Politburo du Comité central du parti communiste ” relative aux habitants de la RSS de Moldavie qui devaient être déportés. Elle concernait “ d’anciens propriétaires terriens, des commerçants importants, des complices actifs des envahisseurs allemands, des personnes qui coopéraient avec les autorités policières allemandes et roumaines, des membres de partis ou d’organisations pro-fascistes, des membres de la Garde blanche, des membres de sectes illégales, ainsi que les familles des catégories énumérées ”. Tous devaient être envoyés en Sibérie occidentale “ pour une durée indéterminée ”.

En 1951 a débuté une seconde vague de déportations qui ne visait cette fois-​ci que les Témoins de Jéhovah. Cette campagne, appelée “ opération Nord ”, a été commandée par Staline lui-​même. Plus de 720 familles de Témoins, soit environ 2 600 personnes, ont été envoyées de Moldavie à Tomsk, en Sibérie occidentale, à environ 4 500 kilomètres.

D’après les directives officielles, on devait laisser aux condamnés le temps de rassembler leurs effets personnels avant de les conduire aux trains qui les attendaient. De plus, les wagons devaient être “ bien arrangés pour le transport de passagers ”. Mais la réalité a été tout autre.

Jusqu’à huit soldats et fonctionnaires arrivaient au beau milieu de la nuit chez les familles de Témoins. Ils les réveillaient et leur montraient l’ordre de déportation. Puis ils ne leur donnaient que quelques heures pour rassembler ce qu’ils pouvaient, avant de les conduire aux trains.

En fait de voitures pour voyageurs, il s’agissait de wagons de marchandises. On a entassé dans chacun jusqu’à 40 personnes de tous âges, pour un voyage qui a duré deux semaines. Il n’y avait pas de siège ni d’isolation thermique. Dans un coin, un trou creusé dans le sol servait de latrines. Avant la déportation, les autorités locales étaient censées enregistrer les biens personnels de chacun. Mais souvent, elles n’inscrivaient que les choses de peu de valeur, tandis que les objets précieux “ disparaissaient ”.

En dépit de toutes ces injustices et de ces épreuves, les frères n’ont jamais perdu leur joie de chrétiens. En effet, quand des trains transportant des Témoins se croisaient, les chants des cantiques se répercutaient d’un wagon à l’autre. Ainsi, les frères de chaque train savaient qu’ils n’étaient pas les seuls à être déportés, mais que des centaines d’autres étaient dans le même cas ! Les manifestations de joie mutuelles dans de telles circonstances les ont encouragés et affermis dans leur résolution à demeurer fidèles à Jéhovah, quoi qu’il arrive. — Jacq. 1:2.

Une foi exemplaire

Parmi les Moldaves déportés en Sibérie, il y avait Ivan Mikitkov. Arrêté une première fois en Moldavie en 1951, avec d’autres Témoins, Ivan a été exilé à Tomsk. Il s’est vu imposer la tâche d’abattre des arbres dans la taïga sibérienne. Même s’il n’était pas dans un camp de travail, sa liberté de mouvement était restreinte et la police secrète le surveillait de près. Malgré cela, il profitait, ainsi que ses frères spirituels, de la moindre occasion pour donner le témoignage.

Ivan raconte : “ Dans ce nouveau contexte d’hostilité, nous nous sommes organisés en congrégations. Nous avons même commencé à produire nos propres publications. Avec le temps, certains de ceux à qui nous avions prêché ont accepté la vérité et se sont fait baptiser. Toutefois, les autorités ont fini par découvrir nos activités et ont envoyé certains d’entre nous dans des goulags.

“ Mes compagnons, Pavel Dandara, Mina Goraş et Vasile Şarban, ainsi que moi-​même, avons été condamnés à 12 ans de travaux forcés sous haute surveillance. Les autorités pensaient que la sévérité de nos peines dissuaderait les autres frères de prêcher, mais cela n’a pas été le cas. Partout où ils ont été envoyés, ils ont continué de prêcher. J’ai été libéré en 1966, après avoir purgé ma peine, et je suis retourné à Tomsk, pour trois ans.

“ En 1969, je me suis installé dans le Donbass. C’est là que j’ai rencontré Maria, une sœur fidèle et zélée, qui est devenue ma femme. En 1983, j’ai de nouveau été arrêté. Cette fois-​ci, j’ai reçu une double condamnation : cinq ans de prison, suivis de cinq ans de déportation. Bien entendu, ce verdict m’était beaucoup plus pénible que le premier, car il me séparait de ma femme et de mon enfant, qui eux aussi ont rencontré des difficultés. Par bonheur, je n’ai pas eu à terminer ma peine : on m’a libéré en 1987, après que Mikhaïl Gorbatchev est devenu secrétaire général du parti communiste soviétique. J’ai pu retourner en Ukraine et, plus tard, en Moldavie.

“ Quand je suis rentré à Bălţi, la deuxième ville du pays, il y avait 370 proclamateurs et trois congrégations. Aujourd’hui, on y compte plus de 1 700 proclamateurs, répartis dans 16 congrégations ! ”

“ Vous voulez finir comme Vasile ? ”

Les autorités du camp et les agents du KGB (le Comité de sécurité de l’État soviétique) ont imaginé des méthodes cruelles pour briser l’intégrité des frères. Constantin Ivanovici Şobe raconte ce qui est arrivé à son grand-père, Constantin Şobe : “ En 1952, grand-père purgeait sa peine dans un goulag du district de Tchita, à l’est du lac Baïkal, en Sibérie. Un jour, les officiers du camp ont menacé de le fusiller, lui et d’autres Témoins, à moins qu’ils ne renoncent à leur foi.

“ Comme les frères refusaient de transiger, les fonctionnaires les ont rassemblés à l’extérieur du camp, aux abords d’une forêt. À la tombée de la nuit, ils ont emmené Vasile, le meilleur ami de grand-père, dans la forêt, en disant qu’ils allaient l’exécuter. Les frères ont attendu, inquiets. Puis deux coups de feu ont déchiré le silence.

“ Les gardiens sont revenus et cela a été au tour de mon grand-père d’être emmené. Après avoir fait un bout de chemin dans la forêt, ils se sont arrêtés dans une clairière. Plusieurs tombes avaient été creusées et l’une d’elles était pleine. L’officier qui commandait le groupe a indiqué cette tombe à mon grand-père en disant : ‘ Vous voulez finir comme Vasile ou être rendu à votre famille comme un homme libre ? Je vous donne deux minutes pour vous décider. ’ Il n’a pas fallu deux minutes à grand-père ! Sans attendre, il a répondu : ‘ Vasile, que vous avez tué, je le connais depuis longtemps. Maintenant, j’attends de le revoir, à la résurrection dans le monde nouveau. Je ne doute pas un instant que j’y serai, dans ce monde nouveau, avec Vasile. Mais vous, est-​ce que vous y serez ? ’

“ L’officier ne s’attendait pas à cette réponse. Il a raccompagné grand-père et les autres au camp. En fait, grand-père n’a pas eu à attendre la résurrection pour revoir Vasile. Tout cela n’était qu’un cruel coup monté pour faire céder les frères. ”

Retour de bâton pour la propagande communiste

Pour susciter la haine et la suspicion envers les Témoins de Jéhovah, les communistes ont produit des livres, des brochures et des films diffamatoires. Par exemple, une brochure était intitulée Double fond, par allusion à l’espace que les frères avaient aménagé dans leurs sacoches et dans leurs sacs pour cacher des publications. Nicolai Voloşanovschi se souvient que le commandant du goulag où il se trouvait a essayé de se servir de cette brochure pour l’humilier devant les autres prisonniers.

Il raconte : “ Le commandant a convoqué tous les détenus dans un des baraquements. Puis il s’est mis à citer des passages de la brochure Double fond, dont certains me calomniaient personnellement. Lorsqu’il a terminé de parler, je lui ai demandé s’il m’autorisait à poser des questions. Il a certainement pensé que je lui offrais une possibilité supplémentaire de me tourner en ridicule ; aussi a-​t-​il accédé à ma requête.

“ Je lui ai demandé s’il se souvenait de la première fois qu’il m’avait interrogé, à mon arrivée au camp. Il a dit oui. Puis je lui ai demandé s’il se rappelait les questions qu’il m’avait posées sur mon pays d’origine, ma nationalité, etc., pour remplir mes formulaires d’entrée. De nouveau, il a acquiescé. Il a même dit aux autres quelles avaient été les réponses que j’avais données. Ensuite, je lui ai demandé de dire ce qu’il avait réellement écrit sur les formulaires. Il a admis que ce qu’il avait mis ne coïncidait pas avec mes réponses. Alors, m’adressant aux prisonniers, je leur ai dit : ‘ Vous voyez, c’est de la même manière que la brochure a été écrite. ’ Les prisonniers ont applaudi et le commandant est parti, hors de lui. ”

Diviser pour mieux régner

Au cours des années 60, les autorités soviétiques, irritées, ont appliqué de nouvelles méthodes pour saper l’unité des Témoins de Jéhovah. Le livre Le KGB contre l’Ouest, publié en anglais en 1999, présente certains fichiers du KGB, autrefois secrets, qui ont été trouvés dans les archives du gouvernement. Il déclare : “ Une conférence d’officiers supérieurs chargés de ‘ la lutte contre les jéhovistes [témoins de Jéhovah] ’ conclut néanmoins, en mars 1959, que la stratégie correcte consistait à ‘ combiner les mesures de répression et les mesures de perturbation ’. Le KGB entreprit donc de diviser, démoraliser et discréditer les membres des sectes, tout en arrêtant leurs dirigeants les plus écoutés à partir d’accusations fabriquées de toutes pièces. ”

Ces “ mesures de perturbation ” prévoyaient notamment une campagne concertée dans toute l’Union soviétique, pour semer la méfiance parmi les frères. Dans ce but, le KGB a entrepris de répandre des rumeurs malveillantes selon lesquelles des frères responsables s’étaient mis à collaborer avec les services de sécurité de l’État. Ces mensonges étaient si bien déguisés qu’ils ont ébranlé la confiance de beaucoup de Témoins.

Une autre tactique du KGB consistait à former des agents spéciaux afin qu’ils passent pour des Témoins de Jéhovah “ actifs ” et qu’ils se voient confier des responsabilités dans l’organisation. Évidemment, ces espions devaient rester en liaison avec le KGB. D’autre part, le KGB prenait secrètement contact avec de véritables Témoins et essayait d’acheter leur coopération contre de grosses sommes d’argent.

C’est triste à dire, mais ces manœuvres sournoises ont réussi dans une certaine mesure à briser l’unité des frères, y compris ceux de Moldavie. Il en est résulté un climat de suspicion. Des frères ont quitté l’organisation et ont formé un groupe dissident qu’on a appelé “ l’opposition ”.

Avant ces événements, les frères d’Union soviétique se référaient à l’organisation de Jéhovah, à la nourriture spirituelle qu’elle produisait et aux frères responsables nommés qui lui servaient de canal. Mais voilà que la confusion et l’incertitude au sujet de l’identité de ce canal s’installaient. Comment les frères allaient-​ils dissiper ce trouble ? Grâce à l’aide de l’État soviétique, aussi surprenant que cela puisse paraître ! En effet, les intrigants eux-​mêmes allaient aider à résoudre les problèmes qu’ils avaient créés. Comment cela ?

Ils ont négligé l’esprit de Dieu

Au début des années 60, les autorités soviétiques ont interné beaucoup de “ dirigeants ” Témoins de toute l’Union soviétique dans un camp situé à environ 150 kilomètres de Saransk (République de Mordovie, dans l’ouest de la Russie). Jusque-​là, de grandes distances séparaient les frères, ce qui entravait la communication et engendrait des malentendus. Mais maintenant, les membres de “ l’opposition ” se retrouvaient avec ceux qui ne faisaient pas partie de ce mouvement. Ils pouvaient donc se parler face à face et démêler le vrai du faux. Pourquoi les autorités ont-​elles mis tous ces frères ensemble ? Elles pensaient apparemment qu’ils entreraient en conflit, ce qui accentuerait leurs divisions. Même s’il était très intelligent, ce plan n’avait pas pris en compte le pouvoir unificateur que possède l’esprit de Jéhovah. — 1 Cor. 14:33.

Gheorghe Gorobeţ, un des frères incarcérés en Mordovie, se souvient : “ Peu après que j’ai été arrêté et emprisonné, un frère qui s’était rallié à ‘ l’opposition ’ a été emprisonné avec nous. En voyant que les frères responsables étaient encore détenus, il s’est étonné, car on lui avait dit que nous étions tous libres comme l’air et que nous vivions dans le luxe aux frais du KGB !

“ Durant ma première année de prison, poursuit frère Gorobeţ, plus de 700 personnes ont été incarcérées pour motifs religieux, la majorité étant Témoins de Jéhovah. Nous travaillions tous ensemble dans une usine, ce qui nous donnait le temps de discuter avec les membres du groupe dissident. En conséquence, de nombreuses questions ont été éclaircies pendant les années 1960 et 1961. Finalement, en 1962, le comité de frères qui dirigeait l’activité en Union soviétique a écrit une lettre sur place, depuis le camp de travail. Cette lettre est parvenue à toutes les congrégations d’Union soviétique et a permis de réparer bien des dommages causés par les campagnes mensongères du KGB. ”

L’identité du véritable canal

À sa libération du camp de travail, en juin 1964, frère Gorobeţ est immédiatement rentré en Moldavie. Arrivé à Tabani, il s’est aperçu que beaucoup de Témoins avaient toujours des doutes sur l’identité du canal que Jéhovah utilisait pour alimenter et diriger son peuple. Un certain nombre de frères ne lisaient que la Bible.

Afin de clarifier la situation, un comité de trois frères spirituellement mûrs a été nommé. Ils ont commencé par rendre visite aux congrégations du nord de la Moldavie, où habitaient la plupart des Témoins. En constatant la fidélité dont ces frères, ainsi que d’autres surveillants chrétiens, avaient fait preuve en dépit de nombreuses persécutions, beaucoup de Témoins ont acquis la conviction que Jéhovah utilisait toujours l’organisation qui leur avait enseigné la vérité tout au début.

À la fin des années 60, le KGB s’est rendu à l’évidence que la prédication progressait toujours, malgré la persécution et les autres tactiques employées. L’ouvrage Le KGB contre l’Ouest décrit ainsi sa réaction : “ Le Centre [du KGB] s’inquiétait du fait que, même au goulag, ‘ les dirigeants et autres autorités jéhovistes ne répudiaient pas leurs croyances hostiles, et dans les conditions des camps continuaient d’effectuer leur travail jéhoviste ’. Une conférence d’officiers du KGB impliqués dans les opérations contre les témoins de Jéhovah se réunit à [Chisinau] en novembre 1967, afin d’étudier de nouvelles mesures ‘ pour empêcher le travail hostile des sectaires ’ et ‘ la subversion idéologique ’. ”

Harcelés par d’anciens frères

Hélas ! des frères ont été trompés par ces “ nouvelles mesures ” et ont fait le jeu du KGB. Certains ont succombé par avidité ou par crainte de l’homme ; d’autres étaient d’anciens frères qui nourrissaient de la haine pour les Témoins. Les autorités les ont utilisés pour tenter de briser l’intégrité de ceux qui étaient fidèles. Des Témoins qui avaient enduré l’emprisonnement et les goulags ont dit que le fait d’être harcelés par d’anciens frères, dont des apostats, était une des situations les plus pénibles qu’ils avaient vécues.

Beaucoup d’apostats ont émergé de “ l’opposition ”, mouvement mentionné précédemment. Au début, ce groupe comprenait des personnes qui avaient simplement été déroutées par la désinformation du KGB. Mais un certain nombre de ceux qui appartenaient toujours à “ l’opposition ” à la fin des années 60 manifestaient l’état d’esprit méchant de la classe du mauvais esclave. Méprisant l’avertissement de Jésus, ils se sont mis à “ battre [leurs] coesclaves ”. — Mat. 24:48, 49.

Pourtant, le complot visant à diviser le peuple de Dieu pour le vaincre a échoué, malgré la pression continuelle du KGB et de ses hommes de main. Au début des années 60, lorsque des frères fidèles ont entrepris de réunifier l’organisation en Moldavie, la plupart des frères du pays étaient partisans de “ l’opposition ”. Mais, en 1972, la très grande majorité coopérait de nouveau fidèlement avec l’organisation de Jéhovah.

Un persécuteur apprécie La Tour de Garde

Les frères fidèles qui sont restés en Moldavie sous le communisme ont fait tout leur possible pour continuer de prêcher. Ils donnaient le témoignage informel à leur famille, à leurs amis, à leurs camarades de classe et à leurs collègues de travail. Mais ils étaient prudents, car de nombreux responsables du parti étaient des communistes fanatiques. Tous les communistes, cependant, ne méprisaient pas les Témoins de Jéhovah.

Simeon Voloşanovschi se souvient : “ La police a fouillé notre logement et confisqué un tas de publications, dont l’officier responsable a dressé la liste. Plus tard, il est revenu avec sa liste et m’a demandé de la vérifier. J’ai alors remarqué qu’il avait oublié une Tour de Garde sur la famille et sur la façon de rendre la vie de famille plus heureuse. Je lui ai demandé où elle était. ‘ Euh, je l’ai emportée chez moi et nous l’avons lue en famille ’, a-​t-​il répondu, plutôt gêné. ‘ Eh bien ? Avez-​vous aimé ce que vous avez lu ? ’ ai-​je demandé. ‘ Oui, absolument ! Nous avons beaucoup aimé ! ’ s’est-​il exclamé. ”

L’opposition s’atténue, l’accroissement se poursuit

Au cours des années 70, le gouvernement communiste a cessé d’arrêter et d’exiler les adorateurs de Jéhovah. Toutefois, dans des cas isolés, il arrivait encore que des frères soient appréhendés et jugés parce qu’ils prêchaient ou qu’ils assistaient aux réunions chrétiennes. Les peines étaient cependant moins lourdes.

En 1972, en Moldavie comme ailleurs, l’organisation de Jéhovah a établi des anciens dans les congrégations. Gheorghe Gorobeţ se souvient : “ Les frères ont accepté cette nouvelle disposition avec une joie immense, car ils y ont vu une preuve supplémentaire que l’esprit de Jéhovah était à l’œuvre. De plus, l’augmentation du nombre de frères nommés a permis aux congrégations de Moldavie de croître en spiritualité et en nombre. ”

Avec le temps, les frères avaient acquis une expérience considérable pour organiser la prédication et imprimer des publications bibliques en toute discrétion. Au début de l’oppression communiste, les publications étaient préparées en deux endroits du pays, et seulement de nuit pendant les décennies de persécution acharnée. Les frères devaient mener deux vies : le jour, celle de n’importe quel citoyen et, la nuit, jusqu’à l’aube, une autre, pour produire des publications destinées aux congrégations.

Mais la situation a changé lorsque l’opposition et la surveillance se sont atténuées. Désormais, les frères pouvaient augmenter le rendement des presses clandestines et le nombre de volontaires qui y travaillaient. En conséquence, la production s’est accrue.

D’autre part, les frères ont affiné leurs techniques d’impression. Par exemple, ils ont utilisé des gabarits spéciaux qu’ils pouvaient préparer à la machine à écrire. Ils ont aussi modifié les presses pour imprimer simultanément au recto et au verso. Toutes ces améliorations ont stimulé encore plus la production. Finie l’époque des manuels bibliques recopiés à la main !

Évidemment, qui dit plus de publications dit plus de possibilités pour les frères d’étudier la Bible individuellement. Cela, ajouté à une bien meilleure communication, a permis de dissiper les derniers doutes. Ces progrès n’étaient pourtant qu’un avant-goût de choses meilleures pour le peuple de Jéhovah en Moldavie.

Le vrai culte prospère

Le communisme soviétique qui, à son apogée, avait pourtant l’air d’un Goliath politique et militaire, n’a pas réussi à piétiner le vrai culte. En réalité, malgré lui, et grâce au programme de déportation qu’il avait mis en place, il a permis la diffusion de la bonne nouvelle à certaines ‘ régions les plus lointaines de la terre ’. (Actes 1:8.) Jéhovah avait promis par l’intermédiaire d’Isaïe : “ Toute arme qui sera formée contre toi n’aura pas de succès [...]. Voilà la possession héréditaire des serviteurs de Jéhovah, et leur justice vient de moi. ” (Is. 54:17). Avec quelle exactitude ses paroles se sont vérifiées !

En 1985, un changement de gouvernement a rendu la vie plus facile aux Témoins de Jéhovah en Union soviétique. Ils n’étaient plus suivis par la police secrète ni condamnés à des amendes parce qu’ils assistaient à des rassemblements religieux. Tout en continuant à tenir leurs réunions par groupes de dix ou moins, les frères moldaves ont commencé à profiter d’occasions spéciales, comme les mariages et les enterrements, pour tenir de petites assemblées de circonscription.

Puis, durant l’été 1989, trois assemblées internationales tenues en Pologne (à Chorźów, près de Katowice, à Poznań et à Varsovie) ont donné un nouvel élan à la prédication. Des centaines de délégués moldaves y ont assisté. Quelle émotion pour ces frères fidèles, habitués à se réunir dans le secret et en groupes restreints, d’être rassemblés avec une foule internationale de Témoins pour adorer Jéhovah dans la joie !

Les frères moldaves ont goûté un autre festin spirituel en 1991, lorsqu’ils ont pu tenir des assemblées de circonscription au grand jour, pour la première fois dans l’histoire du pays. L’année 1992 a connu un autre événement important : une assemblée internationale à Saint-Pétersbourg, en Russie. Les délégués moldaves y ont été plus nombreux qu’en 1989 aux trois assemblées de Pologne réunies. Jéhovah avait vraiment ouvert les écluses des cieux et commencé à déverser sur ses serviteurs fidèles et reconnaissants bénédiction sur bénédiction.

Une formation pour les surveillants itinérants

Une plus grande liberté a permis également un contact plus étroit entre le comité des Témoins pour l’œuvre en Union soviétique et les surveillants itinérants. En décembre 1989, ces frères mûrs sur le plan spirituel, alors au nombre de 60, se sont rassemblés pour une formation à Lvov, en Ukraine. Étant donné ce qu’ils avaient tous enduré dans les prisons, dans les goulags et dans d’autres formes de persécution, cette formation a été un événement particulièrement joyeux et constructif. En effet, beaucoup avaient déjà noué entre eux des amitiés solides en période difficile.

Quatre des surveillants itinérants de cette classe venaient de Moldavie. À leur retour, ils ont transmis aux congrégations les sages conseils reçus à Lvov, notamment en rapport avec la prédication. Par exemple, ils ont exhorté les frères à continuer de prêcher la Parole de Dieu avec prudence, malgré leurs libertés nouvellement acquises (Mat. 10:16). Pourquoi la prudence était-​elle toujours de rigueur ? Parce qu’officiellement l’œuvre était encore proscrite.

Un besoin urgent de Salles du Royaume

Dès que la prédication a débuté en Moldavie, les frères ont été conscients qu’il leur fallait des salles de réunions. D’ailleurs, en 1922, les Étudiants de la Bible de Corjeuţi en avaient construit une, à leurs frais. Cette salle, appelée “ maison de réunions ”, a longtemps répondu à leurs besoins.

À la fin des années 80, lorsque l’opposition officielle s’est fortement atténuée, de nombreuses congrégations des villes et des villages comptaient plusieurs centaines de proclamateurs, qui se réunissaient par petits groupes dans des foyers. Le moment était-​il venu pour les frères de construire des Salles du Royaume ? Pour le savoir, ils se sont renseignés auprès de plusieurs municipalités.

Certaines se sont montrées très coopératives. Ainsi, en janvier 1990, le maire de Feteşti, un village de 3 150 habitants dans le nord du pays, a dit aux frères qu’ils pouvaient considérer que leur œuvre était dégagée des restrictions officielles. Les frères, toujours prudents, ont eu du mal à le croire. Ils lui ont donc demandé l’autorisation de transformer la maison d’un frère en une petite Salle du Royaume pour la congrégation, qui comptait tout de même 185 proclamateurs !

Une fois le projet approuvé par le maire, les frères se sont mis à l’ouvrage. Toutefois, ils se sont vite heurtés à un obstacle majeur. S’ils retiraient un des murs pour poursuivre les travaux, la maison risquait de s’effondrer. Ils ont dû brusquement tout arrêter. Que faire ? Ils ont décidé de retourner voir le maire et de lui exposer le problème. À leur plus grande joie, le maire leur a permis de construire une Salle du Royaume toute neuve ! La congrégation s’est lancée à fond dans les travaux et les a achevés en 27 jours seulement.

La Salle du Royaume étant devenue trop petite pour le nombre d’assistants, la congrégation de Feteşti a été scindée en deux. Comme beaucoup de nouveaux proclamateurs n’étaient pas baptisés, les frères ont eu l’idée de prévoir la cérémonie du baptême au cours du programme d’inauguration. Un discours a donc été prononcé pour l’occasion, puis toute l’assistance est descendue vers un cours d’eau à proximité, et 80 personnes ont symbolisé l’offrande de leur personne à Jéhovah.

Évidemment, bien d’autres congrégations avaient tout autant besoin d’un lieu de réunion. Après avoir vu des photos de Salles du Royaume dans les publications, certaines congrégations ont jugé qu’elles pouvaient en construire une semblable. Elles ont mis en commun leurs ressources, ont fait preuve de beaucoup d’initiative et se sont mises au travail. Et il ne s’agit pas de cas isolés ! Entre 1990 et 1995, les frères ont construit plus de 30 salles, toutes avec les ressources et la main- d’œuvre locales.

Certaines salles accueillaient aussi des assemblées de circonscription. Cependant, l’assistance était telle que beaucoup devaient suivre le programme à l’extérieur. C’est pourquoi les frères ont envisagé de construire une Salle d’assemblées. Là encore, ils ont agi sans tarder. En 1992, en l’espace de trois mois, ils ont construit à Corjeuţi une Salle d’assemblées de 800 places, la première du pays. L’année suivante, toujours avec leurs propres moyens, les Témoins ont construit à Feteşti une Salle d’assemblées de 1 500 places.

Il s’est avéré providentiel que les frères construisent à ce moment-​là car, au milieu des années 90, un changement politique et la récession économique ont entraîné la dévaluation rapide de la devise moldave. Dès lors, la somme qui était suffisante pour construire une Salle du Royaume de A à Z au début des années 90 ne payait même plus les chaises quelques années plus tard !

La construction de Salles du Royaume dans le sud du pays

Contrairement aux congrégations du nord de la Moldavie, celles du sud manquaient de salles. Dès lors, en raison de l’accroissement rapide dans les années 90, beaucoup de nouvelles congrégations du sud avaient du mal à trouver des lieux de réunion convenables. On utilisait bien des écoles, mais il était de plus en plus difficile de louer ces bâtiments.

Une fois de plus, Jéhovah est venu au secours des frères, grâce à son organisation. Juste au bon moment, le Collège central s’est servi du Fonds pour la construction de Salles du Royaume afin d’aider des pays comme la Moldavie, où les congrégations disposent de moyens limités.

Les frères ont fait bon usage de cette disposition. Chisinau en est un exemple. En 1999, on n’y recensait aucune Salle du Royaume. Mais en juillet 2002, dix salles accueillaient 30 des 37 congrégations de la ville, et trois autres étaient en cours de construction.

Nos activités enfin reconnues !

Le 27 août 1991, la Moldavie est devenue une république indépendante. L’interdiction de l’œuvre des Témoins de Jéhovah, imposée par les Soviétiques, n’était donc plus valide. Toutefois, les Témoins de Jéhovah, alors 4 000, n’étaient pas encore enregistrés comme organisation religieuse.

Après avoir reçu des directives utiles du Collège central, le bureau de Moldavie s’est adressé aux ministères appropriés pour obtenir la reconnaissance de nos activités. Le nouveau gouvernement s’est montré favorable à la demande. Les démarches ont demandé un certain temps, mais finalement, le 27 juillet 1994, le bureau a reçu le document officiel d’enregistrement.

Quelle date mémorable pour les Témoins de Jéhovah de Moldavie ! Après 60 ans d’interdiction, de persécution et d’emprisonnement, ils pouvaient adorer Jéhovah et prêcher la bonne nouvelle en toute liberté. Ils pouvaient aussi tenir leurs assemblées de district. D’ailleurs, en août 1994, le mois qui a suivi leur enregistrement, les Témoins de Jéhovah se sont réunis dans le plus grand stade de Chisinau, pour leur première assemblée de district. Quel événement émouvant !

L’agrandissement du Béthel

En 1995, le nombre de proclamateurs du Royaume dépassait 10 000. Un petit bureau à Chisinau s’occupait de certains aspects de l’œuvre en Moldavie, mais sous la surveillance plus générale du Béthel de Russie, à 2 000 kilomètres de là. Or, la filiale roumaine ne se trouvait qu’à 500 kilomètres et la plupart des Moldaves parlaient le roumain, qui était devenu la langue officielle de la République. Après avoir sérieusement examiné la question, le Collège central a donc recommandé que ce soit la filiale roumaine qui s’occupe de l’œuvre en Moldavie.

Dans l’intervalle, le bureau de Chisinau, un petit appartement, était devenu trop étroit pour faire face aux progrès constants de l’œuvre. De toute évidence, il était temps de constituer une famille du Béthel. Parmi ses premiers membres ont figuré Ion et Iulia Rusu (frère Rusu ayant été surveillant de circonscription suppléant de 1991 à 1994) ; Gheorghe Gorobeţ (jusque-​là surveillant de district), qui n’habitait pas au Béthel mais y venait chaque jour ; et Guenther et Rosaria Matzura, diplômés de la 67classe de Guiléad, arrivés en Moldavie le 1er mai 1996, après plusieurs années de service en Roumanie.

Le nombre de proclamateurs continuant d’augmenter, il a fallu davantage de Béthélites. Mais on manquait d’espace. De plus, en 1998, la famille du Béthel occupait cinq appartements dispersés en ville ! On a donc cherché un terrain convenable en vue de construire un Béthel unique, à un seul endroit. La municipalité de Chisinau a eu l’amabilité de proposer aux frères un terrain de 3 000 mètres carrés en plein centre-ville ; les frères l’ont accepté avec gratitude. Ils ont aussi acheté un terrain adjacent, en prévision d’un plus grand accroissement.

Une entreprise locale a effectué le gros-œuvre. Puis des volontaires internationaux et les frères et sœurs de la région ont fait le reste. Le chantier a débuté en septembre 1998 et, seulement 14 mois plus tard, la famille du Béthel a pris possession de sa nouvelle demeure, dans le plus grand enthousiasme, tout heureuse d’être enfin réunie.

L’inauguration du Béthel a eu lieu le 16 septembre 2000. Des invités de 11 pays y ont assisté. Le lendemain, Gerrit Lösch, membre du Collège central, a prononcé un discours devant plus de 10 000 personnes, dans le stade local. Toute l’assistance a pu ressentir quel lien d’amour unit le peuple de Jéhovah dans le monde entier.

Aujourd’hui, la famille du Béthel de Moldavie compte 26 membres. Certains, comme David et Miriam Grozescu, sont venus d’ailleurs, en tant que Béthélites servant à l’étranger. D’autres, comme Enno Schlenzig, ont assisté à l’École de formation ministérielle chez eux et ont accepté d’être affectés en Moldavie. Par conséquent, même si la famille du Béthel n’est pas grande, elle est en tout cas cosmopolite.

On forme les moissonneurs

Durant les décennies d’interdiction et de persécution, les serviteurs de Jéhovah de Moldavie ont communiqué la bonne nouvelle à autrui avec prudence et, bien entendu, de façon informelle. Mais le moment était maintenant venu pour eux de participer ouvertement au témoignage de maison en maison et dans la rue. Obéissants, les frères se sont investis dans ces nouvelles facettes du ministère, surtout le témoignage dans la rue, qui connaissait de plus en plus de succès. Il fallait toutefois faire preuve d’équilibre en raison du nombre croissant de proclamateurs. Les congrégations ont donc été encouragées à se concentrer sur la prédication de maison en maison, ce qu’elles ont fait fidèlement.

Plus que jamais, les proclamateurs se sont rendu compte à quel point leurs semblables avaient faim d’une nourriture spirituelle authentique. Pour pourvoir à ce besoin, l’organisation de Jéhovah a fourni aux congrégations La Tour de Garde, Réveillez-vous ! et d’autres manuels d’étude biblique en roumain et en russe. En même temps, les proclamateurs ont tout fait pour améliorer la qualité de leur ministère en appliquant les présentations suggérées dans Le ministère du Royaume. En outre, ils ont fait bon usage de la formation progressive offerte par l’École du ministère théocratique.

Des frères mûrs et expérimentés d’autres pays ont apporté une aide supplémentaire, surtout en matière d’organisation. Tels des treillages sur lesquels poussent des vignes fructifères, ces volontaires capables, venus du monde entier, apportent soutien et stabilité aux congrégations.

Une période d’accroissement rapide

L’accroissement rapide du nombre des disciples en Moldavie est manifeste à Chisinau, la capitale, qui compte 662 000 habitants. En janvier 1991, avant l’enregistrement, il n’y avait que deux congrégations regroupant 350 proclamateurs. Mais en janvier 2003, ce nombre s’est élevé à 37 congrégations, avec plus de 3 870 proclamateurs ! Dans une congrégation, 101 étudiants de la Bible ont commencé à prêcher, sur une durée de neuf mois ! Il n’est pas rare qu’un tel accroissement oblige les congrégations en ville à se scinder après deux ans seulement.

En août 1993, on dénombrait 6 551 proclamateurs dans le pays. Mais, en mars 2002, ce chiffre atteignait les 18 425 personnes, soit 280 % d’accroissement en neuf ans ! Au cours de la même durée, le nombre de pionniers permanents est passé de 28 à 1 232.

Un adjoint au maire devient pionnier

Beaucoup de ceux qui ont appris à connaître Jéhovah sont d’anciens communistes, qui ont parfois occupé certaines fonctions politiques. Prenez, par exemple, Valeriu Mârza, ancien adjoint au maire de Soroca, une commune de 39 000 habitants. Quand des défilés étaient organisés pour des événements spéciaux, Valeriu figurait dans la tribune réservée aux dignitaires que les participants au défilé saluaient au passage. Il était donc bien connu dans la ville.

Toutefois, Valeriu a commencé à étudier la Bible et s’est fait baptiser. Comment les gens réagissaient-​ils lorsqu’il leur donnait le témoignage ? “ Presque tous m’invitaient à entrer, déclare frère Mârza. J’ai eu des occasions extraordinaires de prêcher. Ma femme et moi avons constaté que notre ville est un territoire très fructueux ! ” Rapidement, frère Mârza a été nommé pionnier spécial. Sa femme et lui ont également été Béthélites pendant un an. Aujourd’hui, ils ont le privilège de se dépenser dans le service itinérant.

L’aide des pionniers

En Moldavie, la proportion actuelle de proclamateurs par rapport à la population est une des meilleures d’Europe. Pourtant, dans beaucoup de bourgs et de villages, il n’y a aucun Témoin. La situation économique précaire empêche la plupart des proclamateurs et des pionniers de se rendre dans les endroits où il y a peu de proclamateurs. Afin que tous les habitants du territoire entendent la bonne nouvelle, la filiale roumaine a nommé une cinquantaine de pionniers spéciaux en Moldavie. Parmi eux, plus de 20 ont suivi les cours de l’École de formation ministérielle en Roumanie, en Russie ou en Ukraine.

Ces évangélisateurs zélés obtiennent d’excellents résultats. Par exemple, lorsque Sergueï et Oxana Zighel, un couple de pionniers spéciaux, ont été affectés à Căuşeni, en 1995, la ville ne comptait que 15 proclamateurs. Les Zighel ont aidé les frères à commencer de nombreuses études bibliques. En outre, leur esprit pionnier joyeux en a incité beaucoup à entreprendre à leur tour le service à plein temps. Căuşeni compte aujourd’hui deux congrégations regroupant 155 proclamateurs, dix fois plus qu’il y a tout juste sept ans ! Dans l’intervalle, les Zighel ont accepté le service itinérant, ce qui leur permet d’aider davantage de congrégations.

Libres, mais pas exempts de difficultés

Toute domination humaine, quelle que soit la forme qu’elle revête, comporte des difficultés. Sous la monarchie roumaine, durant la dictature fasciste et sous le régime communiste, les adorateurs de Jéhovah en Moldavie ont dû lutter contre l’opposition du clergé, l’interdiction, la persécution et la déportation. Aujourd’hui, les Témoins de Jéhovah, tout comme leurs semblables, doivent faire face aux difficultés économiques qui, dans les familles, obligent parfois les deux parents à travailler. Certains ont du mal, ne serait-​ce qu’à trouver un emploi.

En même temps, le matérialisme et la décadence morale ont pour effet l’escalade de la criminalité et de la corruption. Les serviteurs de Jéhovah peuvent-​ils triompher de ces dangers subtils contre leur spiritualité ? Absolument. Ils ont appris par expérience que Jéhovah n’abandonne jamais ses fidèles qui recherchent son aide face aux épreuves ou aux tentations. — 2 Tim. 3:1-5 ; Jacq. 1:2-4.

La situation actuelle rappelle le 14chapitre de la Révélation, qui décrit deux moissons symboliques. La deuxième est la vendange de “ la vigne de la terre ”, une récolte de mauvaises grappes qui, conformément à la prophétie, prolifèrent en ces derniers jours (Rév. 14:17-20 ; Ps. 92:7). Bientôt, cette vigne, et avec elle tous ses fruits pourris, sera arrachée et lancée “ dans le grand pressoir de la fureur de Dieu ”. Comme les serviteurs de Jéhovah languissent après ce moment !

En attendant, les chrétiens oints et leurs compagnons se réjouissent de leur prospérité spirituelle. En effet, la “ vigne au vin écumant ” de Jéhovah continuera de produire en abondance une nourriture spirituelle de qualité, vers laquelle seront attirées les personnes comparables à des brebis. Pourquoi les serviteurs de Dieu peuvent-​ils y croire avec certitude ? Parce que c’est Jéhovah lui-​même qui préserve sa précieuse vigne (Is. 27:2-4). Cela s’est vérifié en Moldavie. Les ruses de Satan, que ce soit la persécution, la déportation, la propagande mensongère ou les faux frères, ont certes bien perturbé le peuple de Jéhovah, mais n’ont jamais entraîné son échec spirituel. — Is. 54:17.

Vraiment, “ heureux l’homme qui continue d’endurer l’épreuve, parce qu’en devenant un homme approuvé il recevra la couronne de vie, que Jéhovah a promise à ceux qui continuent de l’aimer ”. (Jacq. 1:12.) Ces belles paroles à l’esprit, puissiez-​vous être incité, grâce à l’histoire des Témoins de Jéhovah de Moldavie, à continuer d’“ aimer ” Jéhovah, “ d’endurer l’épreuve ” et de “ porter beaucoup de fruit ” ! — Jean 15:8.

[Note]

^ § 6 Sauf là où le contexte ne le permet pas, on appellera République de Molvadie, ou simplement Moldavie, l’ensemble constitué de la Bessarabie et de la Moldavie (en tant que région géographique). Rappelez-​vous toutefois que les frontières actuelles de la République moldave ne correspondent pas exactement à celles de l’ancienne région formée par la Bessarabie et la Moldavie. Ainsi, une partie de la Bessarabie est à présent ukrainienne et une partie de la Moldavie, roumaine.

[Encadré/Illustration, page 71]

La cave à vin de la Russie et de l’Europe de l’Est

Les étés prolongés et les terres fertiles de la Moldavie en font une région vinicole idéale, et cela depuis des millénaires. À la fin du IIIsiècle avant notre ère, la viniculture s’est développée quand la population locale a tissé des liens avec les Grecs, puis, au IIsiècle, avec les Romains.

Aujourd’hui, le vin est la première production agricole de Moldavie : les 130 établissements vinicoles du pays en fabriquent jusqu’à 140 millions de litres par an. Environ 90 % de la production est exportée, principalement vers la Russie (80 %) et vers l’Ukraine (7 %).

[Encadré, page 72]

Données générales

Le pays : Le nord et le centre, couverts de nombreuses forêts, comprennent des hautes terres et des steppes (plaines herbeuses) luxuriantes. Au sud se trouvent essentiellement des steppes cultivées.

La population : Elle est composée pour deux tiers environ de Moldaves de souche. Les autres habitants sont, par ordre d’importance, russes, ukrainiens, gagaouzes, bulgares et juifs. Les Moldaves, pour la plupart, appartiennent à l’Église orthodoxe d’Orient.

La langue : Le roumain est la langue officielle. Beaucoup de gens, surtout les citadins, parlent aussi le russe. Il est donc courant d’être bilingue.

Les sources de revenus : L’économie repose surtout sur l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Le secteur de la fabrication est en phase de développement.

L’alimentation : On cultive la vigne, le blé, le maïs, la betterave à sucre et le tournesol. Pour ce qui est du bétail, on élève principalement des bœufs, des vaches laitières et des porcs.

Le climat : La température varie entre –4 °C en janvier et 21 °C en juillet. Dans l’ensemble, le climat est chaud, avec des hivers relativement doux. La moyenne des précipitations annuelles est d’environ 50 centimètres.

[Encadré, pages 83-85]

De beaux exemples de neutralité chrétienne

Georges Vacarciuc : Élevé par des parents Témoins de Jéhovah, frère Vacarciuc a été appelé sous les drapeaux par les fascistes, en décembre 1942. Comme il refusait de prendre les armes, il a été enfermé pendant 16 jours dans une cellule totalement obscure, avec très peu de nourriture. Les autorités l’ont convoqué une nouvelle fois, en lui promettant d’annuler sa peine, qui d’ailleurs ne lui avait pas été lue, s’il obéissait à l’ordre donné. Une fois de plus, il a refusé.

Georges a été pour cela condamné à 25 ans de prison. Mais sa peine a été écourtée grâce à l’arrivée des forces soviétiques, le 25 septembre 1944. Moins de deux mois plus tard cependant, les Soviétiques ont voulu l’enrôler. Refusant d’aller à l’encontre de sa conscience éduquée par la Bible, il a été condamné à dix ans de travaux forcés dans plusieurs camps. Pendant 12 mois, sa famille a été sans nouvelles de lui. Au bout de cinq ans d’emprisonnement, il a été relâché, le 5 décembre 1949. Il est retourné chez lui, à Corjeuţi, et il est resté fidèle jusqu’à sa mort, le 12 mars 1980.

Parfin Goreacioc : Né en 1900, frère Goreacioc a appris la vérité biblique à Hlina, entre 1925 et 1927. C’est grâce à Damian et Alexandru Roşu, les premiers Étudiants de la Bible du village, que lui et ses frères, Nicolae et Ion, ont connu la vérité.

En 1933, Parfin et d’autres Témoins ont été arrêtés et emmenés à Khotine, où ils ont été interrogés et condamnés à une amende pour avoir prêché. En 1939, à l’instigation du prêtre du village, Parfin a été conduit au poste de police de Ghilavăţ, un village voisin. Là, les policiers l’ont attaché à plat ventre sur un sommier et l’ont frappé à coups redoublés sur la plante des pieds.

Quand les fascistes ont accédé au pouvoir, Parfin a de nouveau été arrêté et incarcéré. Cependant, la même année, les Soviétiques l’ont libéré, puis appréhendé en raison de son refus d’effectuer le service militaire. Ils l’ont emprisonné à Chisinau pendant plusieurs mois, après quoi ils l’ont libéré.

En 1947, les Soviétiques l’ont encore arrêté, et cette fois-​ci condamné à huit ans d’exil pour avoir prêché le Royaume de Dieu. En 1951, ses enfants ont été déportés en Sibérie. Mais ils n’ont pas rejoint leur père. En fait, ils ne l’ont jamais revu. Parfin est tombé gravement malade en exil et il est mort en 1953, fidèle jusqu’au bout.

Vasile Pădureţ : Né en 1920, à Corjeuţi, frère Pădureţ a appris la vérité en 1941, durant l’ère fasciste. Lui aussi a donc souffert aux mains des fascistes comme des Soviétiques. À ces derniers, il déclarera courageusement : “ Si je n’ai pas tiré sur les bolcheviks, ce n’est pas pour tuer les fascistes. ”

En raison de cette position que lui dictait sa conscience éduquée par la Bible, Vasile a été condamné à dix ans dans un camp de travail soviétique. Toutefois, sa peine a été écourtée : au bout de cinq ans il est retourné chez lui, le 5 août 1949. Lorsqu’il a été arrêté pour la troisième fois, l’“ opération Nord ” avait déjà commencé. Le 1er avril 1951, on l’a emmené en Sibérie avec sa famille, à bord d’un wagon de marchandises. Après cinq ans de déportation, ils ont pu rentrer à Corjeuţi, en Moldavie. Vasile est mort fidèle à Jéhovah le 6 juillet 2002, pendant la préparation de ce rapport.

[Encadré/Illustration, pages 89, 90]

‘ Je n’échangerais ma vie contre rien au monde ’

Ion Sava Ursoi

Naissance : 1920

Baptême : 1943

Parcours : a été surveillant de circonscription sous le régime communiste.

Je suis né en Moldavie, à Caracuşeni, et j’ai connu la vérité avant la Seconde Guerre mondiale. Ma femme est décédée en 1942. À son enterrement, une foule m’a chassé du cimetière. Pour quelle raison ? Parce que j’avais changé de religion. Plus tard, la même année, le gouvernement fasciste a tenté de m’enrôler dans l’armée. Comme je voulais rester neutre du point de vue politique, j’ai refusé. On m’a condamné à mort, mais ma peine a été commuée en 25 ans de prison. J’ai été transféré d’un camp à un autre. Alors que j’étais à Craiova, en Roumanie, l’armée soviétique est arrivée et nous a libérés.

Je savourais à peine ma liberté que les communistes m’ont emprisonné. Ils m’ont envoyé à Kalinine, en Russie. En 1946, soit deux ans plus tard, ils m’ont laissé rentrer dans mon village, où j’ai participé à la réorganisation de la prédication. Puis, en 1951, les Soviétiques m’ont de nouveau arrêté. Cette fois-​ci, ils m’ont déporté en Sibérie, avec beaucoup d’autres Témoins. J’ai dû attendre 1969 pour rentrer chez moi.

Quand je repense au passé, je revois bien des situations dans lesquelles Jéhovah m’a accordé la force de garder mon intégrité. Je n’échangerais ma vie passée au service de mon Créateur contre rien au monde. Aujourd’hui, je dois accepter les limites que m’imposent l’âge et une santé déficiente. Mais l’espérance certaine de vivre dans le monde nouveau et de retrouver alors la vigueur de la jeunesse affermit ma résolution à ne pas ‘ renoncer à faire ce qui est excellent ’. — Gal. 6:9.

[Encadré/Illustration, pages 100-102]

J’ai de bonnes raisons de chanter

Alexandra Cordon

Naissance : 1929

Baptême : 1957

Parcours : Persécutée sous le régime soviétique ; aujourd’hui proclamatrice dans une congrégation.

Mon amour pour le chant m’a aidée à trouver la vérité et, plus tard, à rester forte spirituellement quand ma foi a été éprouvée. Mon histoire remonte aux années 40 lorsque, adolescente, j’ai connu un groupe de jeunes à Corjeuţi qui aimaient chanter des cantiques et parler de la Bible pendant leur temps libre. Les vérités spirituelles que j’ai apprises lors de ces discussions et grâce à ces chants m’ont profondément marquée.

Je n’ai pas tardé à devenir proclamatrice de la bonne nouvelle. Cela m’a valu d’être arrêtée en 1953, avec dix autres Témoins. En attendant mon jugement, j’ai été incarcérée à Chisinau. Je suis restée forte spirituellement en chantant des cantiques, ce qui irritait manifestement un des gardiens. “ Vous êtes en prison, a-​t-​il déclaré. On ne chante pas, ici ! ”

“ J’ai chanté toute ma vie, ai-​je répondu. Pourquoi devrais-​je arrêter maintenant ? Vous pouvez m’enfermer à double tour, mais vous ne pouvez pas verrouiller ma bouche. Mon cœur est libre, et j’aime Jéhovah. Alors, j’ai de bonnes raisons de chanter. ”

J’ai été condamnée à une peine de 25 ans dans un camp de travail à Inta, près du cercle arctique. Pendant les courts mois d’été, je travaillais avec les autres Témoins, dans les bois. Encore une fois, les cantiques, que nous connaissions par cœur pour un grand nombre, nous ont aidés à rester spirituellement forts et à nous sentir libres intérieurement. De plus, nos gardiens nous encourageaient à chanter, contrairement à celui de Chisinau.

Je suis restée trois ans, trois mois et trois jours dans le camp d’Inta. Puis, grâce à une amnistie, j’ai été libérée. Étant donné qu’on ne me permettait pas encore de rentrer en Moldavie, je suis allée à Tomsk, en Russie. C’est là que j’ai retrouvé mon mari, qui sortait aussi de prison. Nous avions été séparés pendant quatre ans.

Mon arrestation m’avait empêchée de symboliser l’offrande de ma personne à Jéhovah par le baptême d’eau. J’ai donc demandé aux frères de Tomsk ce qu’ils en pensaient. Comme d’autres aussi voulaient se faire baptiser, les frères se sont rapidement organisés. Toutefois, en raison de l’interdiction, ils ont décidé que le baptême se ferait de nuit, dans le lac d’une forêt voisine.

À l’heure prévue, nous avons quitté les abords de Tomsk et nous sommes entrés dans la forêt, deux par deux, pour ne pas éveiller les soupçons. Chaque groupe devait suivre celui de devant jusqu’à ce que nous arrivions sans encombre au lac. Du moins, c’était prévu ainsi. Malheureusement, les deux sœurs âgées qui nous précédaient, ma compagne et moi, ont trouvé le moyen de sortir de la file. Nous les avons suivies, ainsi que tous ceux qui étaient derrière nous. À la fin, nous étions dix à errer dans la nuit, trempés par l’humidité des sous-bois et grelottants. Étant donné que la forêt était habitée par des ours et des loups, notre imagination a commencé à nous jouer des tours. Nous étions tellement sur les nerfs que le moindre bruit nous faisait sursauter.

Consciente qu’il était important de ne pas paniquer ni de perdre courage, j’ai suggéré que nous nous arrêtions, que nous restions calmes et que nous sifflions un cantique, en espérant que les autres nous entendraient. De plus, nous avons prié intensément. Imaginez notre joie quand nous avons entendu, nous revenant à travers l’obscurité, le même cantique ! Ouf ! nos frères nous avaient entendus ! Ils ont vite allumé une lampe de poche pour que nous puissions les retrouver. Peu après, nous avons été immergés dans l’eau glaciale ; nous avons à peine senti le froid tellement nous étions heureux !

Aujourd’hui, j’ai 74 ans, et j’habite de nouveau à Corjeuţi, où j’ai découvert la vérité. Malgré mon âge avancé, j’ai encore de bonnes raisons de chanter, surtout à la louange de notre Père céleste.

[Encadré/Illustrations, pages 104-106]

Je me suis efforcé de suivre l’exemple de mes parents

Vasile Ursu

Naissance : 1927

Baptême : 1941

Parcours : Vasile a été serviteur de congrégation ; il a travaillé à la production clandestine de publications.

Mes parents, Simeon et Maria Ursu, ont été baptisés en 1929. J’étais l’aîné de leurs cinq enfants. Durant l’époque fasciste, papa et maman ont été arrêtés et condamnés à 25 ans de travaux forcés en raison de leur neutralité. Les frères et sœurs de la congrégation de Corjeuţi se sont occupés de nous et de notre ferme. De cette manière, nous avons toujours eu à manger. Notre grand-mère âgée, qui n’était pas dans la vérité, prenait également soin de nous. J’avais 14 ans à l’époque.

Grâce au bon exemple de mes parents, j’ai fait tout mon possible pour prodiguer à mes frères et sœurs une aide spirituelle. C’est ainsi que je les réveillais tôt chaque matin afin de discuter avec eux d’un extrait d’une publication biblique. Ils ne se levaient pas toujours de bon gré, mais je ne leur laissais pas le choix. J’étais conscient de l’importance d’entretenir de bonnes habitudes d’étude. Par conséquent, quand nos parents ont été libérés avant la fin de leur peine et qu’ils sont rentrés à la maison, en 1944, ils ont été contents de nous trouver en excellente santé spirituelle. Quelles joyeuses retrouvailles ! Mais notre bonheur n’a pas duré.

L’année suivante, les Soviétiques ont arrêté papa et l’ont emprisonné à Norilsk, en Sibérie, au-dessus du cercle arctique. Trois ans plus tard j’ai épousé Emilia, une sœur pleine de vie et qui aimait les choses spirituelles. Je la connaissais bien, car nous avions pour ainsi dire grandi ensemble. Mais seulement un an après notre mariage, ma mère et moi avons été arrêtés. On nous a envoyés à Chisinau, où nous avons été condamnés à 25 ans de travaux forcés. Emilia s’est occupée avec amour de mes frères et sœurs, qui se retrouvaient maintenant privés de leurs parents et de leur grand frère.

Finalement, on m’a envoyé dans les mines de charbon de Vorkouta, un camp de travail infâme au nord du cercle arctique. En 1951, soit deux ans après moi, Emilia, mes trois frères et ma sœur ont été exilés à Tomsk, en Sibérie occidentale. En 1955, Emilia a demandé son transfert à Vorkouta pour être avec moi. C’est là qu’elle a donné naissance au premier de nos trois enfants : une fille, Tamara.

En septembre 1957, une amnistie a été déclarée et nous avons été libérés. Mais un mois plus tard, j’étais de nouveau arrêté. Cette fois-​ci, on me condamnait à sept ans de camp de travail près de Saransk, en Mordovie (République de Russie). Beaucoup d’autres frères y étaient incarcérés et d’autres allaient encore arriver. Quand nos femmes venaient nous voir, elles trompaient la vigilance des gardiens pour assurer notre approvisionnement régulier en publications, ce que nous appréciions beaucoup. En décembre 1957, Emilia est partie à Kourgan, en Sibérie occidentale, pour s’occuper de notre fille, Tamara, jusque-​là gardée par mes beaux-parents. Emilia et moi avons été séparés pendant sept ans. C’était pourtant la seule façon d’éviter à Tamara d’être envoyée dans un établissement dirigé par l’État.

En 1964, j’ai été libéré, sans toutefois pouvoir retourner chez moi, en Moldavie. Même si ma liberté de mouvement était toujours officiellement limitée, j’ai pu rejoindre ma femme et ma fille à Kourgan, où je me suis occupé d’une étude de livre de la congrégation. En 1969, nous avons déménagé à Krasnodar, dans le Caucase. Huit ans après, nous nous sommes installés à Tchirtchik, en Ouzbékistan, où j’ai travaillé à l’impression clandestine de publications. Finalement, en 1984, on nous a permis de rentrer en Moldavie. Nous nous sommes installés à Tighina, une ville de 160 000 habitants qui comptait seulement 18 proclamateurs. Au fil des ans, ce petit groupe s’est accru et a donné naissance à neuf congrégations qui rassemblent presque 1 000 proclamateurs et pionniers.

Est-​ce que je regrette toutes ces années passées dans les camps de travail et en prison pour le Seigneur ? Pas du tout ! Dans mon esprit, les choses étaient claires, même à 14 ans, quand je me suis fait baptiser : soit on aime Dieu, soit on aime le monde ! Ayant décidé de servir Jéhovah, je n’ai pas songé un seul instant à transiger. — Jacq. 4:4.

[Illustrations]

Ci-contre : Vasile Ursu.

À gauche : Vasile avec sa femme, Emilia, et leur fille, Tamara.

[Encadré/Illustrations, pages 108-110]

Grâce à une fleur, un petit garçon touche mon cœur

Valentina Cojocaru

Naissance : 1952

Baptême : 1997

Parcours : Institutrice sous le régime communiste ; elle incluait des leçons d’athéisme dans ses cours.

En 1978, j’étais institutrice dans une école maternelle à Feteşti, en Moldavie. J’étais également athée. Un jour, lors d’une réunion du personnel, on nous a demandé de concentrer notre attention sur les enfants de Témoins de Jéhovah, avec l’objectif de leur enseigner l’athéisme. Le principe m’a plu. J’ai donc essayé d’imaginer des moyens ingénieux de toucher le cœur de mes élèves Témoins. J’ai trouvé une idée qui m’a semblé bonne.

J’ai demandé aux élèves de préparer deux parterres. Dans l’un, ils devaient planter des graines de fleurs, les arroser et retirer les mauvaises herbes. Quant à l’autre, ils ne devaient pas y toucher. Je leur ai dit que celui-là appartenait à Dieu et qu’il s’en occuperait lui-​même. Les enfants ont accueilli l’idée avec enthousiasme. Bien sûr, pendant tout le temps qu’ils ont planté, arrosé et désherbé leur parterre, “ le petit jardin de Dieu ” a foisonné de mauvaises herbes.

Puis, par une journée ensoleillée, j’ai réuni mes élèves devant les deux parterres. Après les avoir félicités pour leur excellent travail, je me suis lancée dans l’explication que j’avais soigneusement préparée : “ Avez-​vous remarqué que Dieu n’a rien fait sur son parterre ? Vous voyez bien que ce parterre n’est à personne ! ”

Les enfants ont acquiescé. Puis j’ai présenté ma conclusion : “ Vous voyez, les enfants, ce parterre est sans fleurs parce que Dieu n’existe que dans l’imagination des gens. Donc, si Dieu n’existe pas vraiment, comment voulez-​vous qu’il s’occupe de fleurs ou d’autre chose ? ”

Tout en parlant, j’observais la réaction des enfants. J’ai remarqué qu’un petit garçon, dont les parents étaient Témoins de Jéhovah, devenait de plus en plus agité. Finalement, il n’a pas pu se contenir plus longtemps. Il s’est précipité dans un champ voisin, y a cueilli un pissenlit et me l’a tendu en s’exclamant : “ Si Dieu n’existe pas, qui a fait pousser cette fleur ? Personne ne s’en est occupé. ” Sa logique m’a sidérée. En mon for intérieur, j’ai compris que ce petit garçon venait de dire quelque chose d’essentiel.

En raison de mon éducation communiste, il m’a fallu des années pour franchir l’étape suivante : examiner la Bible. Toutefois, en 1995, je me suis adressée aux Témoins de ma localité et je leur ai demandé une étude. Imaginez ma joie en découvrant qu’un de mes anciens élèves était maintenant un de mes enseignants !

Je dois admettre que le système communiste m’a donné une bonne instruction profane. Mais il ne m’a pas enseigné les leçons les plus importantes de la vie. Aujourd’hui, grâce à Jéhovah et à un petit garçon courageux, je peux utiliser mes connaissances profanes et spirituelles pour aider les autres à se rendre compte que Dieu existe et qu’il se soucie profondément de ses créatures humaines.

[Encadré/Illustration, pages 113-115]

Née en exil

Lidia Sevastian

Naissance : 1954

Baptême : 1995

Parcours : Élevée par sa mère Témoin et par son père incroyant, puis séparée des Témoins de Jéhovah pendant de nombreuses années.

Ma mère et ma grand-mère sont devenues Témoins de Jéhovah au début des années 40. Papa, qui était un homme droit, n’a pourtant pas accepté la vérité biblique à cette époque. En avril 1951 — la famille comptait alors deux enfants et maman attendait des jumeaux — les autorités ont tenté de briser notre foyer. Tandis que papa était au travail, elles ont emmené de force maman, qui était sur le point d’accoucher, avec mon frère et ma sœur aînés, et les ont mis dans un train en partance pour la Sibérie. Mais, avant de partir, maman a réussi à faire parvenir un message à papa, qui s’est dépêché de rentrer à la maison. Bien que n’étant pas Témoin, papa est monté dans le train et est parti en exil avec sa famille.

Pendant le voyage, on a permis à maman de s’arrêter quelque temps à Asino, pour accoucher des jumeaux. Le reste de la famille a dû poursuivre jusqu’au district de Tomsk. Là, papa s’est occupé de notre logement. On lui a assigné un travail aux côtés des frères. Quelques semaines plus tard, maman et les jumeaux sont arrivés. Malheureusement, les bébés sont morts à cause des conditions inhumaines dans lesquelles ils se trouvaient.

Cependant, quatre autres enfants sont nés en exil, dont mon frère jumeau et moi. Papa a fidèlement pris soin de nous. Finalement, en 1957, nous avons pu retourner dans notre village. Maman a continué de nous inculquer les principes bibliques, malgré la surveillance constante de la police secrète.

Papa, de son côté, se souciait avant tout de notre instruction. C’est pourquoi, à l’âge de 16 ans, je suis allée à Chisinau pour étudier à l’université. Plus tard, je me suis mariée et je me suis installée au Kazakhstan, où j’ai été séparée, non seulement de mes parents, mais aussi de l’organisation de Jéhovah. Quand je suis revenue à Chisinau, en 1982, j’ai tout de suite recherché la congrégation du peuple de Jéhovah, mais en vain. Pendant huit ans, j’ai eu l’impression d’être la seule à Chisinau à vouloir adorer Jéhovah.

Puis un jour, à un arrêt de bus, j’ai entendu deux femmes parler de Jéhovah. Je me suis approchée pour mieux écouter. Pensant que j’étais un agent du KGB, elles ont changé de sujet. Quand elles se sont éloignées, je les ai suivies, ce qui les a manifestement alarmées. Je les ai donc rapidement abordées et, après discussion, elles ont cru à ma sincérité. Fréquenter l’organisation de Jéhovah, mon rêve, se réalisait enfin ! Malheureusement, mon mari s’est opposé à mes croyances.

À l’époque, nous avions deux enfants. En 1992, à la suite d’une opération de la colonne vertébrale, j’ai dû rester alitée six mois à l’hôpital. Durant cette période déprimante de ma vie, il est arrivé quelque chose de formidable : mon fils, Pavel, a pris position pour Jéhovah et s’est fait baptiser à l’assemblée internationale de Kiev, en 1993. Avec le temps, j’ai récupéré suffisamment de forces pour recommencer à marcher. Ainsi, en 1995, j’ai symbolisé moi aussi l’offrande de ma personne à Jéhovah.

Aujourd’hui, beaucoup de membres de ma famille sont Témoins de Jéhovah, grâce à Jéhovah et à maman, dont j’ai toujours gardé en mémoire l’exemple de fermeté. Et en ce qui concerne mon père, qui a été d’une fidélité remarquable, j’ai la grande joie de dire qu’avant sa mort il est lui aussi devenu un serviteur de Jéhovah.

[Encadré/Illustration, pages 117-18]

Nos sacrifices ne sont rien, comparés à ceux de Jéhovah

Mihai Ursoi

Naissance : 1927

Baptême : 1945

Parcours : persécuté par les fascistes, puis par les communistes.

Je suis devenu proclamateur de la bonne nouvelle en 1941. En 1942, j’avais alors 15 ans et je devais recevoir une formation militaire à l’école. Sur les murs de la classe étaient accrochées des représentations de Michel Ier, roi de Roumanie, du général Antonescu et de la Vierge Marie. En entrant dans la classe, nous devions nous incliner devant ces représentations et faire le signe de croix. Trois d’entre nous ont refusé.

Cela nous a valu d’être cruellement battus par la police. Nous avons passé la nuit à l’école. Le lendemain matin, on nous a envoyés à Corjeuţi, où nous avons été de nouveau battus. De Corjeuţi, on nous a transférés à différents endroits, avant de nous envoyer, à pied, à une centaine de kilomètres de là, pour passer devant une cour martiale. À force de marcher, j’avais les pieds en sang. Finalement, on m’a renvoyé chez moi sans me condamner, probablement en raison de mon âge.

À 18 ans, j’ai été appelé sous les drapeaux par les autorités soviétiques. Une nouvelle fois, j’ai refusé de transiger avec ma neutralité et j’ai été battu sauvagement, de même que mon ami Gheorghe Nimenco. Gheorghe, d’ailleurs, a succombé six semaines plus tard à cause de ses blessures. On m’a encore renvoyé à la maison, parce que j’étais très jeune, je suppose. Les Soviétiques m’ont arrêté une deuxième fois en 1947, en menaçant de me fusiller si je refusais de faire le service militaire. Toutefois, au lieu de cela, ils m’ont mis en isolement total pendant deux mois, puis astreint aux travaux forcés pour le projet du canal Volga-Don. Ce travail, très dangereux, a fait bien des victimes. Après avoir failli être blessé dans un accident qui a fauché de nombreuses vies, j’ai été renvoyé chez moi, en Moldavie.

C’est là que je me suis marié. Puis, en 1951, j’ai été exilé avec ma femme, Vera, alors enceinte. Après un long voyage en train puis en bateau, nous sommes arrivés dans la taïga sibérienne, une immense région de forêts subarctiques, où j’ai dû devenir coupeur de bois. Nous partagions une cabane avec 16 autres familles. Heureusement, en 1959, nous avons pu rentrer en Moldavie.

Différentes choses m’ont fortifié durant ces années difficiles et depuis lors. L’une d’elles a été l’exemple de foi laissé par mon frère Ion (voir page 89). Il a été condamné à mort et, alors même qu’il ignorait que sa peine avait été commuée, il a refusé de transiger. Ce qui me fortifie aussi, c’est de réfléchir à la façon dont Jéhovah a toujours pris soin de moi et, plus tard, de ma femme, durant les épreuves que nous avons endurées pour son nom. Cependant, nos sacrifices ne sont rien, comparés à ceux que Jéhovah a consentis en notre faveur en envoyant son Fils mourir comme rançon pour nous. Le fait de méditer sur cette disposition extraordinaire m’aide à commencer chaque journée joyeusement.

[Encadré/Illustration, pages 121-123]

J’ai ressenti la tendresse de Jéhovah

Mihailina Gheorghiţa

Naissance : 1930

Baptême : 1947

Parcours : coursière et traductrice pendant les années d’interdiction.

J’ai appris la vérité en 1945 ; j’aimais beaucoup communiquer la bonne nouvelle aux habitants de mon village, Glodeni, ainsi qu’à ceux du village voisin, Petrunea. Comme j’en parlais à l’école, les responsables de l’établissement n’ont pas voulu me délivrer mon diplôme. Néanmoins, j’ai eu la joie d’utiliser mon instruction pour participer à la traduction en russe des publications bibliques écrites en roumain et en ukrainien.

Peu après mon baptême, la police m’a prise en flagrant “ délit ” de traduction : j’ai été condamnée à 25 ans de travaux forcés à Vorkouta, au nord du cercle arctique, où beaucoup d’autres sœurs étaient détenues. Les conditions éprouvantes dans lesquelles nous vivions ne nous ont pas empêchées de prêcher. De plus, nous arrivions à obtenir des publications et même à en produire certaines sur place, pour notre usage personnel.

Un jour, j’ai rencontré une jeune femme détenue parce que les autorités l’avaient prise pour un Témoin. Je lui ai suggéré d’examiner la Parole de Dieu, puisque Jéhovah a le pouvoir de libérer son peuple lorsqu’il entre dans son dessein de le faire. Elle a fini par accepter une étude biblique et est devenue notre sœur. Peu de temps après, elle a obtenu sa libération anticipée.

Plus tard, on m’a transférée à Karaganda, au Kazakhstan. Puis, le 5 juillet 1956, j’ai été libérée à mon tour. Je me suis installée à Tomsk, où j’ai rencontré Alexandru Gheorghiţa, qui avait passé six ans en prison à cause de sa foi. Nous nous sommes mariés, et nous avons continué ensemble de prêcher dans le vaste territoire de la Sibérie, tout en sachant que la police secrète nous surveillait en permanence. Puis nous avons déménagé à Irkoutsk, légèrement à l’ouest du lac Baïkal, où nous avons continué de produire des publications en secret. Plus tard, nous avons aussi servi à Bichkek, au Kirghizistan. Malgré sa prudence en prédication, Alexandru a été arrêté et condamné à une peine de dix ans.

L’avocat général m’a autorisée à venir voir Alexandru en prison en attendant le procès. Comme c’était normalement interdit, je lui ai demandé pourquoi il m’accordait cette faveur. “ Vous êtes un jeune couple. De plus, vous avez un enfant, a-​t-​il dit. Vous allez peut-être revenir sur votre décision. ” Je lui ai expliqué qu’Alexandru et moi avions décidé depuis longtemps de servir Jéhovah et que nous étions déterminés à rester fidèles. Sa réponse ? “ Même votre Bible dit qu’un chien vivant est en meilleure situation qu’un lion mort. ” (Eccl. 9:4). “ C’est vrai, ai-​je répondu, mais le genre de chien vivant que vous évoquez n’héritera pas du monde nouveau de Dieu. ”

Alexandru a purgé sa peine de dix ans et passé un an de plus en résidence surveillée. Après sa libération, nous avons déménagé au Kazakhstan, puis en Ouzbékistan, pour participer à l’œuvre de prédication. Enfin, en 1983, nous sommes retournés en Moldavie, heureux d’avoir eu le privilège inestimable d’aider les personnes sincères de maints endroits à connaître Jéhovah.

En y réfléchissant, j’admets volontiers que ma vie n’a pas toujours été facile. Mais la même chose est vraie pour mes semblables non Témoins. Eux aussi ont eu de nombreuses difficultés à surmonter. La différence, c’est que nous avons souffert pour la bonne nouvelle. Par conséquent, nous avons ressenti la protection et l’attention pleine de tendresse de Jéhovah. De plus, nous entrevoyons, par-delà nos épreuves, un avenir glorieux et éternel.

[Tableau/Graphique, pages 80, 81]

LA MOLDAVIE — REPÈRES HISTORIQUES

1891 : Visite de Charles Russell à Kichinev, en Bessarabie (aujourd’hui Chisinau, en Moldavie).

1895

1921 : D’après le rapport annuel, plus de 200 personnes ont accepté la vérité biblique.

1922 : Construction de la première “ maison de réunions ”, à Corjeuţi.

1925 : Interdiction de l’œuvre des Étudiants de la Bible.

1930

1940 : La Roumanie cède la Bessarabie à l’URSS, qui la renomme la RSS de Moldavie.

1941 : La Roumanie reprend la Moldavie. Le fascisme et l’hystérie de la guerre entraînent la persécution des Témoins.

1944 : L’URSS réoccupe la Moldavie. La persécution se poursuit.

1949 : Les Soviétiques commencent à déporter des Témoins de Jéhovah et d’autres personnes.

1951 : Staline lance l’“ opération Nord ”.

Années 60 : Le KGB tente de semer le trouble et la division parmi le peuple de Dieu.

1965

1989 : Les Témoins bénéficient d’une plus grande liberté religieuse. Des délégués moldaves assistent à des assemblées de district en Pologne.

1991 : La RSS de Moldavie est rebaptisée la République de Moldavie. On organise les premières assemblées de circonscription. La première visite de zone est effectuée par un représentant du siège mondial.

1994 : Enregistrement des Témoins de Jéhovah. Première assemblée de district à Chisinau.

2000

2000 : Inauguration du nouveau Béthel de Chisinau.

2003 : 18 473 proclamateurs actifs en Moldavie.

[Graphique]

(Voir la publication)

Total des proclamateurs

Total des pionniers

20 000

10 000

1895 1930 1965 2000

[Cartes, page 73]

(Voir la publication)

UKRAINE

MOLDAVIE

Briceni

Tabani

Lipcani

Şirăuţi

Corjeuţi

Ţaul

Feteşti

Soroca

Bălţi

Petrunea

CHISINAU

Căuşeni

Dniestr

Prout

ROUMANIE

Iasi

[Illustrations pleine page, page 66]

[Illustration, page 74]

Ilie Groza, un des premiers Témoins en Moldavie.

[Illustration, page 75]

Tudor Groza.

[Illustration, page 78]

Ioana Groza.

[Illustrations, page 92]

Parfin Palamarciuc et son fils Nicolae.

[Illustration, page 93]

Vasile Gherman.

[Illustration, page 94]

Nicolae Anischevici.

[Illustration, page 95]

Maria Gherman.

[Illustrations, page 96]

Des trains de marchandises, dans lesquels les Témoins ont été déportés en Sibérie.

[Illustration, page 98]

Ivan Mikitkov.

[Illustration, page 99]

Constantin Şobe.

[Illustrations, page 107]

Nicolai Voloşanovschi et la brochure “ Double fond ”.

[Illustration, page 111]

Gheorghe Gorobeţ.

[Illustration, page 126]

La Salle d’assemblées de Feteşti.

[Illustration, page 131]

Les membres du comité qui dirige l’œuvre en Moldavie, de gauche à droite : David Grozescu, Anatolie Cravciuc et Tiberiu Kovacs.