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Roumanie

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La Bible avait annoncé que la persécution des vrais chrétiens atteindrait son point culminant pendant les derniers jours (Gen. 3:15 ; Rév. 12:13, 17). La Roumanie a connu un accomplissement frappant de cette prophétie. Pourtant, comme ce récit le montrera, les Témoins de Jéhovah de Roumanie n’ont permis à rien d’éteindre le feu ardent de la vérité, qui brûle dans le cœur des serviteurs de Dieu (Jér. 20:9). Au contraire, ils se sont recommandés “ comme ministres de Dieu, par de l’endurance en bien des choses, par les tribulations, par les détresses, par les difficultés, par les coups reçus, par les prisons ”. (2 Cor. 6:4, 5.) Puisse leur exemple d’intégrité encourager tous ceux qui désirent marcher avec Dieu en ces temps difficiles !

L’année 1914 a marqué le début de l’époque la plus instable de l’Histoire. Dans nombre de pays européens, une ère de dictatures impitoyables, d’idéologies politiques extrémistes et de massacres atroces a vu le jour. La Roumanie s’y est trouvée prise au piège et sa population en a terriblement souffert. On peut en dire autant de ceux qui, par obéissance à Jésus Christ, étaient résolus à rendre “ les choses de Dieu à Dieu ” au lieu de vouer un culte à l’État. — Mat. 22:21.

Avant 1945, du haut de leur chaire, les clergés orthodoxe et catholique avaient orchestré des attaques contre le peuple de Jéhovah. Ils avaient aussi rallié à leur cause des politiciens et des policiers. La vague de persécutions suivante est venue des communistes, qui s’en sont pris aux Témoins de manière brutale et systématique, pendant près de quatre décennies.

Comment la bonne nouvelle a-​t-​elle pu progresser malgré une telle oppression ? Uniquement parce que Jésus a tenu sa promesse : “ Voyez, je suis avec vous tous les jours jusqu’à l’achèvement du système de choses. ” (Mat. 28:20). À présent, transportons-​nous par la pensée au moment où la semence du Royaume a été introduite dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Europe de l’Est ; c’était il y a plus d’un siècle.

Retour au pays

En 1891, Charles Russell, un Étudiant de la Bible, a effectué une tournée de prédication dans certaines parties de l’Europe de l’Est. Quelque peu déçu par les résultats, il a écrit : “ Il semble n’y avoir aucun débouché ou terrain propice pour la vérité. ” En Roumanie, la situation n’allait pas tarder à changer. En fait, frère Russell lui-​même allait jouer un rôle important, bien qu’indirect, dans le démarrage de l’œuvre dans ce pays. De quelle façon ?

Tandis que le XIXsiècle touchait à sa fin, les conditions socio-économiques ont poussé beaucoup de Roumains à chercher du travail ailleurs, notamment aux États-Unis. En plus de procurer des avantages matériels, cette émigration a permis à quelques-uns d’acquérir une connaissance exacte de la vérité biblique. Ce fut le cas pour Károly Szabó et József Kiss, des hommes attachés aux valeurs spirituelles, qui ont assisté à plusieurs discours bibliques de frère Russell.

Ce dernier a discerné que les deux hommes avaient un intérêt sincère pour la Bible ; il a donc voulu s’entretenir avec eux. Au cours de leur discussion, il a suggéré à Károly et à József d’envisager de retourner au pays pour communiquer le message du Royaume à leurs familles et à leurs amis. Tous les deux ont trouvé l’idée excellente ; ils ont embarqué pour la Roumanie en 1911. Ils se sont installés dans la ville de Tîrgu-Mureş, en Transylvanie *.

Alors qu’il regagnait son pays natal, frère Szabó a prié pour que quelqu’un de sa famille accepte la vérité. Arrivé chez lui, il a agi en accord avec sa prière en donnant le témoignage à ses proches, notamment à sa nièce Zsuzsanna Enyedi, chez qui il logeait. Le mari de Zsuzsanna était jardinier ; quant à elle, elle vendait des fleurs sur le marché.

Catholique fervente, Zsuzsanna allait à la messe chaque matin avant le travail. Tous les soirs, après que sa famille s’était couchée, elle se retirait dans le jardin pour prier. Károly s’en est rendu compte, et un soir il est allé la rejoindre dehors. Il a posé délicatement la main sur son épaule et lui a dit : “ Zsuzsanna, tu es sincère. Tu vas trouver la vérité. ” Cela n’a pas manqué : cette femme remarquable a pris à cœur le message du Royaume et a été la première habitante de Tîrgu-Mureş à vouer sa vie à Jéhovah. Elle est restée fidèle jusqu’à sa mort, à 87 ans.

Frère Szabó a aussi donné le témoignage à Sándor Józsa, qui travaillait pour la famille Enyedi. Ce jeune homme de 18 ans assistait à toutes les réunions dirigées par les deux frères, et il apprenait vite. Du reste, il n’a pas tardé à prêcher à son tour et à prononcer d’excellents discours basés sur la Bible dans son village, Sărăţeni, situé dans le district de Mureş. Avec le temps, six couples et 24 enfants (13 filles et 11 garçons) ont fait partie de ses “ lettres de recommandation ”. — 2 Cor. 3:1, 2.

Depuis Tîrgu-Mureş, frères Kiss et Szabó ont prêché dans toute la Transylvanie. À Dumbrava, à 30 kilomètres de Cluj-Napoca, ils ont rencontré Vasile Costea, un baptiste. Vasile était un homme de petite taille, déterminé et passionné pour l’étude de la Bible. Perplexe au sujet du Règne millénaire du Christ, il écoutait attentivement József et Károly lui donner des explications sur les Écritures. Après son baptême, Vasile, qui parlait aussi le hongrois, a donné un témoignage complet tant aux Roumains qu’aux Hongrois de sa région. Plus tard, il est devenu colporteur (ministre à plein temps), et il l’est resté jusqu’à sa mort.

Frère Szabó a aussi annoncé la bonne nouvelle à Satu Mare, une ville de l’extrême nord-ouest de la Roumanie. C’est là qu’il a rencontré Paraschiva Kalmár, une femme très croyante qui a eu tôt fait d’accepter la vérité. Paraschiva a appris à ses neuf enfants à aimer Jéhovah. Aujourd’hui, sa famille compte cinq générations de Témoins !

Alexa Romocea a lui aussi connu la vérité biblique aux États-Unis, et il a regagné la Roumanie avant la Première Guerre mondiale. Il est retourné dans son village, Benesat, dans le nord-ouest de la Transylvanie, où un petit groupe d’Étudiants de la Bible (comme on appelait alors les Témoins de Jéhovah) n’a pas tardé à être formé et à se réunir. Parmi eux se trouvaient Elek et Gavrilă Romocea, les neveux d’Alexa. Aujourd’hui, la grande famille d’Alexa compte également cinq générations de Témoins.

Durement persécuté pour sa neutralité chrétienne, Elek a immigré aux États-Unis, où il a assisté, en 1922, à une assemblée spéciale des Étudiants de la Bible tenue à Cedar Point, dans l’Ohio. Il a même eu le privilège de servir d’interprète à ceux qui, dans l’assistance, parlaient le roumain. Quant à Gavrilă, il est resté en Roumanie pour accompagner frères Szabó et Kiss qui prêchaient en Transylvanie et rendaient visite aux congrégations ainsi qu’aux groupes nouvellement formés. Par la suite, il a participé aux activités du premier siège national.

Pendant la Première Guerre mondiale, un Roumain du nom d’Emanoil Chinţa a été arrêté et envoyé dans une prison militaire en Italie, bien loin de son domicile. C’est là qu’il a rencontré des Étudiants de la Bible, qui avaient été incarcérés pour avoir refusé de prendre les armes. Emanoil a pris à cœur leur message fondé sur les Écritures. Après sa libération, en 1919, il est retourné chez lui à Baia Mare, dans le district de Maramureş, où il a prêché la bonne nouvelle avec zèle et contribué à la formation d’un nouveau groupe d’Étudiants de la Bible.

Grâce au zèle et à l’esprit de sacrifice tant de ces premiers évangélisateurs que de ceux qui ont écouté leur message, le nombre des disciples s’est accru et des petits groupes d’Étudiants de la Bible se sont rapidement formés dans le pays. Pour tout dire, en 1919 (soit à peine huit ans après le retour de Károly Szabó et de József Kiss en Roumanie), plus de 1 700 proclamateurs du Royaume et sympathisants étaient organisés en 150 classes d’étude biblique, comme on appelait alors les groupes et les congrégations. Frère Kiss a été pionnier dans son pays jusqu’à sa mort, à l’âge de 86 ans. Frère Szabó, lui, est reparti aux États-Unis en 1924 pour y coordonner les activités de prédication auprès de la communauté hongroise.

La production de nourriture spirituelle

La page imprimée a joué un rôle majeur pour ce qui est de propager le message du Royaume et de nourrir les personnes spirituellement affamées. Pour satisfaire le besoin en nourriture spirituelle, les frères ont pris des dispositions pour que les publications soient imprimées localement, par des professionnels. À partir de 1914, l’imprimerie Oglinda — c’est-à-dire “ Miroir ” — de Tîrgu-Mureş a produit une édition mensuelle de 16 pages de La Tour de Garde et Messager de la Présence de Christ ainsi que des livres et des tracts, en hongrois.

À partir de 1916, des publications en roumain ont commencé à être imprimées dans le pays. Au nombre de celles-ci figuraient la brochure Les Figures du Tabernacle — Types des “ Sacrifices plus excellents ”, un périodique de huit pages intitulé Extraits de “ La Tour de Garde ”, le livre La Manne céleste quotidienne pour la maison de la foi (maintenant Examinons les Écritures chaque jour) et aussi le recueil de cantiques Hymnes de l’Aurore du Millénium. À partir de 1918, une imprimerie à Detroit, dans le Michigan (États-Unis), a produit une édition roumaine de La Tour de Garde et Messager de la Présence de Christ et de La tribune du peuple, un tract mensuel qui dénonçait avec hardiesse la fausse religion. Ces publications étaient expédiées en Roumanie.

Puisque la bonne nouvelle faisait d’excellents progrès, Jacob Sima, un Étudiant de la Bible d’origine roumaine, a été désigné pour aider à organiser l’œuvre et à la faire enregistrer officiellement. Peu après son arrivée à Cluj-Napoca en 1920, frère Sima a rencontré Károly Szabó, puis József Kiss. La priorité était de trouver, à Cluj-Napoca, un lieu convenable pour un Béthel. Toutefois, en raison de la crise du logement, on a établi un bureau temporaire dans l’appartement d’un frère. Ainsi, en avril 1920, un bureau national a été ouvert et une entité juridique a été constituée : la Tour de Garde, Société de Bibles et de Traités. Pendant un temps, ce bureau a également supervisé l’œuvre en Albanie, en Bulgarie, en Hongrie et en ex-Yougoslavie.

À cette époque, le vent de révolution qui soufflait sur les Balkans s’est engouffré en Roumanie. En plus de l’instabilité politique, l’antisémitisme a commencé à se répandre comme une traînée de poudre, particulièrement dans les universités. Des étudiants de plusieurs villes ont provoqué des émeutes, et le gouvernement a réagi en interdisant les rassemblements publics. Bien qu’ils n’aient rien eu à voir avec ces troubles, plus de 20 colporteurs ont été arrêtés et malmenés. Leurs publications ont également été confisquées.

Les frères n’ont pas cessé pour autant de s’activer diligemment dans le territoire, et la demande de publications allait croissant. Mais, comme leur impression par une entreprise commerciale devenait chère, le Béthel s’est penché sur d’autres possibilités. Une imprimerie située au 36, rue Regina Maria, à Cluj-Napoca, et que les frères utilisaient déjà a justement été mise en vente à ce moment-​là. Avec l’accord du siège mondial, les frères ont acquis cette propriété, qui était idéale pour eux ; elle comprenait deux bâtiments respectivement de un et de trois étages.

En mars 1924, des volontaires venus d’aussi loin que Baia Mare, Bistriţa et Rodna ont entrepris les travaux de rénovation. Pour y contribuer, nombre de frères ont vendu des biens personnels, alors que d’autres ont fait don de nourriture ou de matériaux de construction. Ils les transportaient dans des desagi, un sac double qui se portait de part et d’autre de l’épaule ou qu’on mettait sur le dos d’un cheval.

Dans le but de moderniser l’imprimerie, le Béthel a acheté, entre autres choses, trois linotypes, deux presses à plat, une rotative, une plieuse automatique, et aussi une estampeuse pour produire des reliefs dorés. Ainsi équipée, l’imprimerie est bientôt devenue la référence nationale en matière d’impression de qualité.

L’un des huit membres de la famille du Béthel supervisait les 40 employés non Témoins qui “ faisaient les trois-huit ” dans l’imprimerie. Comme l’atteste le rapport de production pour 1924, l’année de la mise en route, ils ont vraiment travaillé dur : 226 075 livres, 100 000 brochures et 175 000 périodiques, en roumain et en hongrois, sont sortis des presses ! Entre autres livres, on imprimait le manuel d’étude La Harpe de Dieu et le premier des sept volumes des Études des Écritures intitulé Le divin Plan des Âges.

Après deux années de préparatifs, le Béthel a aussi imprimé une édition roumaine du Scénario du Photo-Drame de la Création. Comme son nom l’indique, ce livre était basé sur le “ Photo-Drame ”, un discours agrémenté de films en couleurs et de vues fixes peintes sur verre, synchronisés avec des enregistrements sonores. Les spectateurs voyageaient ainsi à travers le temps, depuis la création de la terre jusqu’à la fin du Règne millénaire du Christ. Même s’il n’était pas aussi spectaculaire que le “ Photo-Drame ”, le Scénario contenait 400 images imprimées, ainsi que de courtes leçons sur des questions doctrinales, historiques et scientifiques. Ce livre a incité nombre de lecteurs à approfondir la Bible.

Les classes d’étude de la Bible se multiplient

“ Proclamez, proclamez, proclamez le Roi et son Royaume ! ” C’est par ces mots que Joseph Rutherford a exhorté les assistants à l’assemblée de Cedar Point (États-Unis) en 1922. Cette invitation pressante a galvanisé le peuple de Dieu sur toute la terre, l’incitant à redoubler de zèle. En Roumanie, les frères ont ouvert de nouveaux territoires à la bonne nouvelle et ils ont fait de nombreux disciples.

Comment les nouveaux venus étudiaient-​ils la Bible en ces jours-​là ? Ils participaient à des cours connus sous le nom d’Études béréennes de la Bible. Ils pouvaient recevoir par la poste le contenu des leçons, tiré de plusieurs publications, ainsi que les questions qui s’y rapportaient. Quant au programme d’étude, il figurait dans La Tour de Garde. Les élèves les plus avancés bénéficiaient des “ Leçons internationales des écoles du dimanche ”, qui leur permettaient de se qualifier comme enseignants de la Parole de Dieu.

Des représentants du Béthel rendaient visite aux groupes d’étude, donnaient des discours et apportaient une aide spirituelle d’autres manières encore. Toutefois, l’activité pastorale et l’enseignement étaient assurés d’ordinaire par des pèlerins, qu’on appelle aujourd’hui surveillants itinérants. En 1921, ils étaient six, et huit seulement deux ans plus tard. Ces évangélisateurs zélés ont parlé à des dizaines de milliers de personnes spirituellement affamées et ont organisé des réunions dans des centaines de villes et de villages.

Au nombre de ces pèlerins se trouvaient Emanoil Chinţa, mentionné précédemment, ainsi qu’Onisim Filipoiu. Un jour, en Bucovine (au nord), de nombreux adventistes et baptistes ont écouté frère Chinţa, et certains ont réagi favorablement à la vérité. Par la suite, les deux frères ont été affectés à Bucarest, où ils ont aidé un plus grand nombre encore de personnes à parvenir à une connaissance exacte de la Parole de Dieu. Plein de reconnaissance, un homme a écrit : “ Je remercie Dieu d’avoir envoyé frères Emanoil et Onisim, qui ont eu beaucoup à faire pour me convaincre et m’éclairer. Le Seigneur a une grande œuvre à accomplir dans cette ville, mais il faudra de la patience. ”

Les premières assemblées ont eu lieu en 1920 : une à Brebi, dans le district de Sălaj, et une autre à Ocna Dejului, dans celui de Cluj. Ces deux localités étaient accessibles par train. Les quelque 500 assistants venus des quatre coins de la Roumanie ont été logés sur place, chez des proclamateurs et des sympathisants. Ils ont donné un témoignage remarquable par leur excellente conduite.

Le nombre des proclamateurs du Royaume a augmenté rapidement, mais cela ne s’est pas fait sans opposition. Effectivement, dès le début de la Première Guerre mondiale, les frères ont essuyé des persécutions de la part d’éléments religieux et politiques.

Les opposants au peuple de Dieu exploitent la fièvre de la guerre

Dans leur ferveur nationaliste et sous les incitations du clergé, les autorités politiques n’avaient aucune compassion pour ceux qui ne voulaient pas se ranger sous les drapeaux et tuer pour la patrie. Ainsi, quand la Première Guerre mondiale a éclaté, de nombreux frères ont été arrêtés et condamnés, voire exécutés. Ce fut le cas de Ioan Rus, un jeune marié originaire du village de Petreştii de Mijloc, au sud de Cluj-Napoca.

Daniel, le petit-neveu de Ioan, raconte : “ En 1914, Ioan Rus a été appelé sous les drapeaux. Comme il refusait d’aller à la guerre, il a été emmené à Bucarest, où il a été condamné à mort. On l’a obligé à creuser sa propre tombe et à se tenir debout à côté, face à un peloton d’exécution. Quand l’officier responsable lui a permis de s’exprimer une dernière fois, Ioan a décidé de prier à voix haute. Émus par sa prière, les soldats ont eu des remords et n’ont pas voulu l’exécuter. L’officier a alors pris l’un d’eux à part et lui a promis une permission de trois mois, avec solde, s’il fusillait le prisonnier. Le soldat a accepté, et il a obtenu son congé. ”

En 1916, frères Kiss et Szabó ont à leur tour été arrêtés et condamnés à cinq ans de prison. Considérés comme “ dangereux ”, ils ont été maintenus en isolement pendant 18 mois dans une prison de haute sécurité, à Aiud. En quel sens József et Károly étaient-​ils “ dangereux ” ? Pour reprendre les termes du juge, ils avaient “ propagé des enseignements autres que ceux qui étaient officiellement reconnus ”. Autrement dit, ils étaient incarcérés non pas seulement pour avoir refusé de tuer, mais aussi pour avoir enseigné des vérités bibliques en contradiction avec la théologie traditionnelle.

Depuis la prison, les deux frères ont écrit aux congrégations et aux groupes pour les encourager. Voici un extrait d’une de leurs lettres : “ Nous désirons exprimer la joie que nous ressentons de ce que notre bon Père céleste, à qui nous devons gratitude, louange et honneur, a permis à la lumière de La Tour de Garde de briller. Nous sommes convaincus que les frères chérissent La Tour de Garde et qu’ils la préservent comme la lueur d’une chandelle qui vacille dans la tourmente. ” Ils ont été libérés en 1919, juste à temps pour aider à l’installation du siège national, l’année suivante.

L’opposition du clergé s’intensifie

Après la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, le clergé a continué à s’opposer au peuple de Dieu. Un prêtre a critiqué publiquement les enseignements des Étudiants de la Bible sur l’immortalité de l’âme et sur le rôle de Marie. “ Leur aspiration vers une vie meilleure sur terre les rend fous, a-​t-​il écrit. Ils prétendent que nous sommes tous frères et sœurs, et que tous les gens sont égaux quelle que soit leur nationalité. ” Puis il s’est plaint qu’il était difficile de les poursuivre en justice parce qu’ils “ donnent l’impression d’aimer la vérité, d’être pieux, pacifiques et humbles ”.

En 1921, des prêtres de Bucovine ont écrit aux ministères de l’Intérieur et de la Justice pour réclamer l’interdiction des activités des Étudiants de la Bible. Un peu partout où la vérité s’était répandue, des ecclésiastiques furieux pestaient contre le peuple de Dieu. Les Églises orthodoxe et catholique, entre autres, ont orchestré des campagnes de propagande haineuse afin d’inciter des individus et des foules à s’en prendre aux frères. Dans une lettre adressée au siège mondial, les frères du Béthel ont écrit : “ Dans ce pays, le clergé détient trop de postes administratifs, ce qui fait que, dans une certaine mesure, notre œuvre est à leur merci. Tout irait bien s’ils observaient la loi, mais ils font un mauvais usage de leur pouvoir. ”

En réponse à l’avalanche de plaintes du clergé, le ministère des Cultes a approuvé l’utilisation des “ forces de l’ordre ” pour empêcher la prédication et les réunions du peuple de Jéhovah. Ainsi, la police est devenue l’instrument des Églises pour arrêter les frères sous prétexte qu’ils troublaient l’ordre public. Toutefois, la loi n’étant pas bien définie, les peines encourues étaient variables. La bonne conduite des frères posait aussi problème. “ On ne peut condamner les Étudiants de la Bible, a déclaré un juge, parce que, bien souvent, ce sont les plus pacifiques de tous les hommes. ”

La persécution s’est tout de même intensifiée et, à la fin de 1926, La Tour de Garde a été interdite. L’approvisionnement en nourriture spirituelle n’a pas cessé pour autant : les frères ont tout simplement changé le nom du périodique ! À compter du numéro du 1er janvier 1927, l’édition roumaine s’est appelée La moisson, plus tard La lumière de la Bible et finalement L’aurore. Quant à l’édition hongroise, elle a été rebaptisée Le pèlerin chrétien, puis L’évangile et enfin La revue de ceux qui ont foi dans le sang du Christ.

Malheureusement, à cette époque, Jacob Sima s’est départi de sa fidélité et, en raison de ses actions, le Béthel a perdu, en 1928, tout ce qu’il possédait : locaux et équipements ! “ Les frères se sont dispersés et leur confiance a été fortement ébranlée ”, pouvait-​on lire dans l’Annuaire 1930. À cause de cette situation affligeante, en 1929, la supervision de l’œuvre a été confiée au Béthel d’Allemagne, puis au bureau pour l’Europe centrale à Berne, en Suisse. Par la suite, les Béthels de ces deux pays ont coopéré avec un bureau qui a été ouvert à Bucarest.

‘ Par pitié, ne brûlez pas mon livre ! ’

Malgré ces nouvelles épreuves, ceux qui sont restés fidèles se sont réorganisés et ont continué à donner le témoignage, allant jusqu’à ouvrir de nouveaux territoires. Voici ce que le bureau national de Roumanie a écrit le 24 août 1933 : “ Les gens sont affamés de vérité. Des frères nous ont rapporté que, lorsqu’ils prêchent, des foules de villageois les suivent de porte en porte pour en apprendre davantage sur la vérité. ”

En une certaine occasion, une femme a demandé un livre et, bien que pauvre, a offert une modeste contribution pour l’œuvre du Royaume. Quand le prêtre de la paroisse l’a appris, il s’est rendu directement chez elle. “ Donnez-​moi ce livre, a-​t-​il exigé. Je vais le jeter au feu ! ”

“ Par pitié, mon père, ne le brûlez pas ! a imploré la femme. Il nous a apporté du réconfort et il nous aidera à endurer notre misérable existence. ” Elle a refusé de se défaire de son livre.

Une duchesse, qui avait des domestiques Témoins de Jéhovah, accordait également beaucoup de valeur à leurs publications. Un jour elle a annoncé à ses employés : “ Vous n’êtes plus mes serviteurs ; vous êtes mes frères ! ” Dans une autre bourgade, un proclamateur a expliqué à une bande de petits curieux qu’il était en train de prêcher le Royaume de Dieu. Ces enfants ont à leur tour invité les passants à se procurer des publications. “ Ce sont des livres qui parlent de Dieu ”, claironnaient-​ils. Resté sans voix devant ces encouragements enthousiastes et spontanés, le frère a bientôt distribué toutes ses publications !

Nicu Palius, un pionnier connu pour sa douceur, a quitté la Grèce pour soutenir l’œuvre en Roumanie, d’abord à Bucarest, puis à Galaţi, l’un des principaux ports du Danube. À la fin de 1933, Nicu a écrit : “ Pendant presque deux mois et demi j’ai prêché aux Roumains alors que je ne parlais pas leur langue, et Jéhovah Dieu m’a béni abondamment. Par la suite, je me suis tourné vers les Grecs et les Arméniens et, grâce au Seigneur, j’ai pu œuvrer dans 20 villes. Les Grecs ont particulièrement fait bon accueil au message. ”

Sans conteste, malgré la propagande haineuse du clergé, beaucoup de personnes sincères désiraient entendre la bonne nouvelle. Parmi elles se trouvait le maire d’une ville, qui, après avoir dévoré plusieurs brochures, a déclaré qu’il attendait impatiemment le monde nouveau. Dans une autre ville, un homme a demandé un petit stock de publications, promettant de les distribuer à tous ceux qui voudraient bien les lire.

Réorganisation de l’œuvre

En 1930, deux ans après la défection de Jacob Sima, Martin Magyarosi a été nommé pour superviser l’œuvre. Roumain d’origine hongroise, il habitait à Bistriţa, en Transylvanie. Après six semaines de formation au Béthel d’Allemagne, frère Magyarosi a mis en place un bureau à Bucarest. Bientôt, l’édition roumaine de La Tour de Garde, qui avait été publiée temporairement en Autriche et en Allemagne, a de nouveau été imprimée en Roumanie, cette fois par une maison d’édition de la capitale ayant pour nom “ Le livre d’or ”.

En 1933, à la suite d’efforts considérables, une nouvelle entité juridique a été enregistrée : la Société biblique de traités des Témoins de Jéhovah, située à Bucarest, au 33 de la rue Crişana. Toutefois, à cause de l’opposition religieuse et politique, elle n’a pu être inscrite qu’au registre du commerce.

Ces efforts ont tout de même permis de regagner la confiance des frères, et ils ont favorisé l’évangélisation. Nombre de proclamateurs ont entrepris le service de pionnier, et d’autres ont augmenté leur activité, notamment en hiver, quand les gens de la campagne sont moins occupés. Les frères écoutaient également des discours bibliques diffusés depuis l’étranger sur la radio locale. Ces discours étaient particulièrement bénéfiques à ceux qui n’assistaient pas aux réunions par crainte de leurs voisins ou des prêtres. La Tour de Garde annonçait les tranches horaires, les longueurs d’onde et les titres des discours.

Les phonographes portatifs fabriqués par l’organisation de Jéhovah ont également contribué aux progrès de la bonne nouvelle. Durant les années 30, il était possible de les commander, en passant par la congrégation ou à titre individuel ; des enregistrements de discours bibliques étaient aussi disponibles. D’après un avis du Bulletin (maintenant Le ministère du Royaume), ces disques encourageaient “ non seulement les frères et sœurs, mais aussi les familles qui aimaient la vérité et qui possédaient un phonographe ”.

Une nouvelle épreuve venant de l’intérieur

Au cours des années 20 et 30, une lumière accrue a été jetée sur la Parole de Dieu et sur la nécessité, pour chaque chrétien, de rendre témoignage à la vérité. Une lueur éclatante a jailli quand, en 1931, les Étudiants de la Bible ont adopté le nom de Témoins de Jéhovah. Plus qu’une simple étiquette, ce nom biblique indique que celui qui le porte soutient et proclame la divinité de Jéhovah (Is. 43:10-12). Des Étudiants de la Bible qui s’opposaient à la prédication ont trébuché à la suite de ce changement, et ils ont quitté l’organisation. Certains ont même apostasié et pris le nom de Millénaristes. Ceux qui étaient restés fidèles résisteraient-​ils à cette mise à l’épreuve de leur foi ? Continueraient-​ils à s’acquitter de leur mission de prêcher malgré la double opposition du clergé et des apostats ?

Certes, quelques-uns ont cédé sous la pression, mais beaucoup ont persévéré fidèlement et avec zèle dans leur service pour Jéhovah. L’extrait d’un rapport pour 1931 déclarait : “ Au cours de l’année, les quelque 2 000 frères de Roumanie ont laissé, dans des conditions très difficiles, 5 549 livres et 39 811 brochures. ” L’année suivante, ils ont fait encore mieux : 55 632 livres et brochures !

De plus, loin d’atteindre son but, la persécution a parfois eu d’heureux effets. C’est ainsi que tous les Témoins d’une localité ont voulu, ensemble, rendre de notoriété publique leur séparation d’avec “ Babylone la Grande ”. (Rév. 18:2, 4.) Cinq jours de suite, ces frères et sœurs courageux ont défilé à la mairie pour se procurer une demande de retrait de leur ancienne Église.

Les notables se sont scandalisés, et le prêtre, affolé, a d’abord couru chercher de l’aide au poste de police, mais en vain. Il est donc reparti à toute vitesse à la mairie et a traité de communiste le notaire qui fournissait les demandes aux frères. Offusqué, le notaire a rétorqué que, s’il le fallait, il était prêt à aider tous les habitants à obtenir un certificat de retrait de l’Église. Ainsi, le prêtre a été coupé dans son élan, et les démarches administratives ont pu se poursuivre.

“ Avez-​vous l’intention de me tuer ? ”

Au cours de leurs sermons, les membres du clergé se répandaient en injures contre les Témoins de Jéhovah. De plus, ils faisaient constamment pression sur le gouvernement pour obtenir l’interdiction de l’œuvre. Naturellement, le ministère des Cultes, l’instrument politique du clergé, continuait à se servir de la police pour harceler les frères. Un jour, un commissaire de police, accompagné d’un agent, a pénétré illégalement dans un foyer où l’on tenait des réunions chrétiennes.

“ Montrez-​moi votre autorisation de célébrer des offices religieux ! ” a commandé le commissaire au maître de maison, un frère que nous appellerons Georges.

Certain qu’il n’avait pas de mandat de perquisition, Georges a répondu : “ De quel droit êtes-​vous entré chez moi ? ”

Le commissaire ne sachant que répondre, Georges lui a demandé de partir. Il s’est dirigé vers la porte à contrecœur tout en ordonnant à l’agent de monter la garde devant la maison et d’arrêter Georges s’il tentait de quitter les lieux. Plus tard, quand Georges est sorti, l’agent l’a arrêté “ au nom de la loi ”.

“ Au nom de quelle loi ? ” a voulu savoir Georges.

“ J’ai un mandat d’arrêt ”, a affirmé l’agent.

Ayant été lui-​même agent de police, Georges connaissait bien la loi ; il a donc demandé à voir le mandat. Comme il s’en doutait, l’agent n’en avait pas. Ce dernier ne pouvant l’arrêter en bonne et due forme a essayé de lui faire peur en chargeant son pistolet.

“ Avez-​vous l’intention de me tuer ? ” a poursuivi Georges.

“ Non, je ne suis pas fou ”, a rétorqué l’agent.

“ Alors, pourquoi avez-​vous chargé votre pistolet ? ” a demandé Georges.

Comprenant que ce qu’il faisait était stupide, l’agent est parti. Pour éviter que ce genre d’incident ne se reproduise, Georges a porté plainte contre le commissaire pour violation de domicile. Chose étonnante, celui-ci a été condamné à une amende et à 15 jours de prison.

Dans une autre circonstance, un frère âgé a donné un excellent témoignage devant un tribunal. Le juge, qui tenait dans ses mains deux livres publiés par les Témoins de Jéhovah, les a brandis devant le frère en l’accusant de faire de la propagande religieuse.

“ Si vous me condamnez pour avoir proclamé la vérité contenue dans la Parole de Dieu, a répondu le frère, je le considérerai non pas comme un châtiment, mais plutôt comme un insigne honneur. Le Seigneur Jésus a demandé à ses disciples de se réjouir quand ils seraient persécutés à cause de la justice, car c’est ainsi que les prophètes d’autrefois ont été traités. Jésus lui-​même a été persécuté et aussi mis au poteau, non pour avoir commis quelque méfait, mais pour avoir dit la vérité qu’il avait reçue de Dieu. ”

Le frère a poursuivi ainsi : “ Par conséquent, si le tribunal me condamne pour avoir proclamé le message de Jésus au sujet du Royaume à l’aide de ces deux livres, cela reviendra à condamner un homme qui n’a commis aucun délit. ” Finalement, le juge a rendu un non-lieu.

‘ Ils endurent des difficultés comme nulle part ailleurs ’

Après 1929, l’effondrement des prix agricoles, la généralisation du chômage et les troubles politiques ont contribué à une montée rapide des groupes politiques extrémistes, tel le parti fasciste. Qui plus est, au cours des années 30, la Roumanie s’est retrouvée peu à peu dans la sphère d’influence de l’Allemagne nazie. Ces changements ne présageaient rien de bon pour les Témoins de Jéhovah. L’Annuaire 1936 rapportait : “ Nulle part ailleurs les frères n’œuvrent avec plus de difficultés qu’en Roumanie. ” Entre 1933 et 1939, 530 procès ont été intentés contre les Témoins de Jéhovah. Bien entendu, les plaignants ne cessaient de réclamer l’interdiction de l’œuvre et la fermeture du bureau de Bucarest.

Le 19 juin 1935, à 20 heures, des policiers se sont présentés au bureau, munis de ce qui s’est avéré être un mandat de perquisition illégal. Ils ont confisqué des dossiers ainsi que plus de 12 000 brochures, et ils ont fait garder l’entrée. Un frère a pu, malgré tout, s’éclipser par la porte de derrière et prendre contact avec un avocat coopératif qui était aussi sénateur. Cet homme a téléphoné aux autorités concernées et a obtenu l’annulation de la fermeture illégale du bureau ainsi que la restitution de tous les dossiers. Mais le sursis n’a été que de courte durée.

Le 21 avril 1937, le ministère des Cultes a émis un décret qui a été publié au Journal officiel et dans la presse. Ce décret stipulait que dorénavant l’activité des Témoins de Jéhovah était formellement interdite en Roumanie. Toute personne qui distribuerait ou simplement lirait leurs écrits serait arrêtée et punie, et ses publications seraient confisquées.

Les frères ont fait appel. Toutefois, le ministre intéressé, conscient de la fragilité de sa défense, a fait ajourner par trois fois l’audience. Finalement, avant la date fixée, le roi Charles II (ou Carol II) a instauré une dictature en Roumanie. En juin 1938, un autre décret a été émis contre les Témoins de Jéhovah. Ceux-ci ont à nouveau engagé une poursuite judiciaire. Ils ont aussi écrit un mémorandum au roi, déclarant que leurs publications avaient un rôle éducatif, qu’elles n’étaient pas subversives et qu’elles ne menaçaient pas l’ordre public. Ce courrier officiel se référait à une décision antérieure d’une juridiction intermédiaire. Le roi l’a transmis au ministère des Cultes qui, pour toute réponse, a ordonné le 2 août 1938 la fermeture du bureau de Bucarest ainsi que la mise sous scellés de ses locaux.

Durant cette période difficile, des frères, voire des familles entières, ont été arrêtés et emprisonnés, parfois simplement parce qu’ils chantaient des cantiques dans l’intimité de leur foyer ; les peines pouvaient aller de trois mois à deux ans de prison. Mais comment les surprenait-​on ? Pour la plupart, ils étaient espionnés par des gens qui étaient sous l’emprise du clergé. Ces indicateurs se faisaient passer pour des ouvriers, des démarcheurs, etc.

Toute personne trouvée en possession de nos publications était arrêtée. Un frère qui était bûcheron emportait sa bible et son Annuaire dans les bois. Un jour, lors d’une fouille systématique, des policiers ont découvert ses publications. Ils l’ont arrêté et l’ont fait parcourir à pied les 200 kilomètres qui les séparaient du tribunal, où il a été condamné à six mois de détention. Soit dit en passant, les prisons étaient bondées, crasseuses et infestées de vermine. Quant à la nourriture, elle se résumait à des bouillons.

La Deuxième Guerre mondiale et son lot d’épreuves

Au petit matin du 1er septembre 1939, des colonnes allemandes ont envahi la Pologne, ce qui a déclenché un nouveau conflit mondial, qui allait avoir des répercussions profondes et durables sur la Roumanie. Animées du désir de dominer, l’Union soviétique et l’Allemagne, cosignataires d’un pacte de non-agression, ont par la suite divisé l’Europe de l’Est en sphères d’influence et se sont approprié des régions de la Roumanie. La Hongrie a pris le nord de la Transylvanie ; l’Union soviétique, la Bessarabie et la Bucovine du Nord ; et la Bulgarie, le sud de la Dobroudja. Du coup, la Roumanie a perdu environ un tiers de sa population et de son territoire. Puis, en 1940, un dictateur fasciste est arrivé au pouvoir.

Le nouveau gouvernement a suspendu la constitution et n’a enregistré officiellement que neuf religions, qui incluaient principalement les Églises orthodoxe, catholique et luthérienne. L’interdiction des Témoins de Jéhovah a été maintenue. La terreur régnait. En octobre 1940, les troupes allemandes ont envahi le pays. Dans cette situation extrême, la correspondance entre la Roumanie et le bureau pour l’Europe centrale, en Suisse, a presque été interrompue.

Puisque la plupart des Témoins du pays vivaient en Transylvanie, Martin Magyarosi est parti de la capitale pour s’y installer. Il a rejoint sa femme, Maria, qui avait déjà emménagé à Tîrgu-Mureş quelque temps auparavant pour des raisons de santé. Pamfil et Elena Albu ont également quitté le bureau de Bucarest pour s’établir à Baia Mare, plus au nord. Depuis ces deux villes, frères Magyarosi et Albu ont réorganisé la prédication ainsi que la production clandestine de La Tour de Garde. Leur collaborateur, Teodor Morăraş, est resté à Bucarest pour s’occuper de l’œuvre dans ce qui restait de la Roumanie, et cela jusqu’à son arrestation en 1941.

Pendant tout ce temps, les frères n’ont pas cessé de s’activer dans le ministère ; ils distribuaient des publications bibliques à chaque occasion, tout en étant très prudents. Par exemple, ils laissaient des brochures dans des lieux publics, des restaurants ou des compartiments de train, en espérant qu’elles attireraient l’attention de quelqu’un. Ils ont aussi continué à obéir au commandement des Écritures enjoignant de se réunir pour s’encourager spirituellement, en prenant soin, bien sûr, de ne pas éveiller de soupçons (Héb. 10:24, 25). Ceux qui habitaient à la campagne profitaient des fêtes traditionnelles qui avaient lieu au moment de la moisson. Après s’être entraidés à rentrer les récoltes, les agriculteurs se divertissaient en plaisantant et en racontant des histoires. Les réunions chrétiennes venaient tout simplement se substituer à ces réjouissances.

“ Pressés de toute manière ”

Bien qu’incarcéré en septembre 1942, frère Magyarosi a continué à superviser l’activité de prédication depuis la prison. Les Albu aussi ont été arrêtés, tout comme quelque 1 000 frères et sœurs qui, pour beaucoup, ont été libérés après avoir été battus puis détenus pendant environ six semaines. En raison de leur neutralité chrétienne, une centaine de Témoins, dont plusieurs sœurs, se sont vu infliger des peines de prison de 2 à 15 ans. Cinq frères ont été condamnés à mort, mais par la suite leur peine a été commuée en celle de prison à vie. À la faveur de la nuit, des policiers armés emmenaient de force des mères et leurs jeunes enfants ; leurs bêtes étaient alors laissées sans surveillance et leurs maisons livrées au pillage.

Dans les camps de prisonniers, les frères étaient reçus par un comité “ d’accueil ”. Un garde liait les pieds du nouvel arrivant et le maintenait au sol pendant qu’un autre frappait ses pieds nus à coups de matraque en caoutchouc renforcée par des fils de fer. Les os se brisaient, les ongles des pieds se cassaient, la peau noircissait et, parfois même, se détachait comme l’écorce d’un arbre. Les prêtres qui inspectaient les camps et qui assistaient à ces mauvais traitements ironisaient : “ Où est votre Jéhovah, pour qu’il vous délivre de nos mains ? ”

Les frères étaient “ pressés de toute manière ”, mais “ non abandonnés ”. (2 Cor. 4:8, 9.) Du reste, ils réconfortaient leurs codétenus avec l’espérance du Royaume, que certains ont d’ailleurs prise à cœur. Citons le cas de Teodor Miron, originaire de la petite ville de Topliţa, dans le nord-est de la Transylvanie. Avant la Deuxième Guerre mondiale, Teodor était déjà arrivé à la conclusion que Dieu interdisait d’ôter la vie humaine ; il avait donc refusé de s’enrôler dans l’armée et avait été condamné en mai 1943 à cinq ans d’emprisonnement. Peu après, il a rencontré Martin Magyarosi, Pamfil Albu, ainsi que d’autres prisonniers Témoins, et il a accepté une étude biblique. Il a vite progressé spirituellement et, au bout de quelques semaines, il a voué sa vie à Jéhovah. Mais comment a-​t-​il été baptisé ?

L’occasion s’est présentée quand Teodor et une cinquantaine de Témoins roumains ont été emmenés dans le camp d’internement nazi de Bor, en Serbie, par un itinéraire détourné. En chemin, ils se sont arrêtés à Jászberény, en Hongrie, où plus d’une centaine de frères d’expression hongroise les ont rejoints. Pendant la halte, les gardes ont envoyé plusieurs frères chercher de l’eau au fleuve pour remplir un tonneau. Comme ceux-ci avaient gagné la confiance des gardes, ils ont pu partir sans surveillance. Teodor est allé avec eux et il s’est fait baptiser dans le fleuve. De Jászberény, les prisonniers ont été emmenés par train et par bateau jusqu’à Bor.

À ce moment-​là, le camp de Bor comptait 6 000 Juifs, 14 adventistes et 152 Témoins. “ Les conditions de détention étaient terribles, se souvient frère Miron, mais Jéhovah a pris soin de nous. Un gardien bienveillant, qui était souvent envoyé en Hongrie, introduisait des publications dans le camp. Des Témoins de sa connaissance, en qui il avait confiance, s’occupaient de sa famille en son absence. Il est donc devenu comme un frère pour eux. Si quelque chose se tramait, ce gardien, qui était lieutenant, nous en avertissait. Dans le camp, il y avait 15 anciens, comme on dit maintenant, qui organisaient trois réunions par semaine. En moyenne, 80 personnes y assistaient, quand leurs horaires de travail le leur permettaient. Nous célébrions aussi le Mémorial. ”

Dans certains camps, les Témoins qui se trouvaient à l’extérieur avaient la permission de ravitailler les frères incarcérés, notamment en nourriture. Entre 1941 et 1945, quelque 40 Témoins de Bessarabie, de Moldavie et de Transylvanie ont été envoyés dans le camp de concentration de Şibot, en Transylvanie. Ils allaient travailler tous les jours dans une scierie des environs. La nourriture se faisant rare dans le camp, les Témoins qui vivaient non loin de là apportaient, chaque semaine, des vivres et des vêtements à l’usine. Ensuite, les frères se partageaient ces dons suivant leurs besoins.

De telles bonnes actions ont donné un excellent témoignage tant aux autres détenus qu’aux gardiens. Ces derniers ont aussi remarqué que les Témoins de Jéhovah étaient des personnes responsables et fiables. Ils leur ont donc accordé plus de liberté qu’aux autres prisonniers. À Şibot, l’un des gardiens est même venu à la vérité.

Les bénédictions d’après-guerre

Lorsqu’en mai 1945 la guerre en Europe a pris fin, les Témoins de Jéhovah ont été libérés en masse des prisons et des camps de travail. Martin Magyarosi, alors âgé de 62 ans, est retourné à Bucarest où il a trouvé l’ancien bureau du siège national entièrement dévalisé. Il ne restait même pas une machine à écrire ! Comme le signalait un rapport, “ l’œuvre du Seigneur devait recommencer à zéro ”. En plus de traiter les questions d’organisation, les frères ont cherché à faire enregistrer officiellement leurs activités. Leurs efforts ont bientôt porté du fruit puisque, le 11 juillet 1945, l’Association Les Témoins de Jéhovah de Roumanie a effectivement été enregistrée.

Ce statut officiel a facilité l’organisation de réunions publiques et d’assemblées, ainsi que la production de publications : autant de choses qui allaient permettre de revigorer l’activité et de dissiper en grande partie la confusion et la désunion qui s’étaient installées. En effet, pendant la première année d’après-guerre, près de 870 000 brochures et plus de 85 500 numéros de La Tour de Garde ont été imprimés — malgré une pénurie de papier dans le pays ! En outre, 1 630 personnes ont été baptisées.

Les frères ont commencé à prêcher ouvertement même avant que l’œuvre ne soit enregistrée. Ils ont aussi organisé des réunions et des discours publics spéciaux. Au sujet des Témoins du district de Maramureş, un témoin oculaire raconte : “ Alors que les armées battaient en retraite, les frères se réunissaient déjà. On pouvait les voir arriver des environs sans aucune crainte. C’était une époque exaltante. Pour être présents, certains parcouraient 80 kilomètres à pied, tout en chantant et en donnant le témoignage. Chaque dimanche, le président de la réunion annonçait où aurait lieu celle de la semaine suivante. ”

Dans les villes et les villages où vivaient peu de Témoins, voire aucun, les frères invitaient les gens à assister à des discours publics qui seraient donnés sur place. Dans ce but, ils partaient de chez eux vers minuit et parcouraient jusqu’à 100 kilomètres à pied. Pour ne pas user leurs chaussures, qui coûtaient cher, ils les portaient par-dessus l’épaule. C’était seulement quand les conditions devenaient très difficiles, par exemple en cas de froid glacial, qu’ils se chaussaient. La veille de la réunion, ils annonçaient le titre du discours et invitaient les gens à y assister, tout en leur proposant des publications. Après la réunion, les frères retournaient chez eux.

Des centaines de Témoins et de personnes manifestant de l’intérêt ont assisté à des dizaines d’assemblées tenues à Baia Mare, à Cluj-Napoca, à Tîrgu-Mureş et à Ocna-Mureş. Un moment fort du rassemblement tenu à Baia Mare, en juin 1945, a été celui des baptêmes. Le discours a été prononcé dans le jardin d’un frère, à 10 kilomètres de la ville. Puis 118 personnes ont été baptisées dans le Lăpuşul, qui coulait tout près de là. C’était un cadre magnifique pour un événement inoubliable.

À Tîrgu-Mureş, on a loué un théâtre de 3 000 places assises. La veille de l’assemblée, beaucoup sont arrivés en train, en voiture à cheval, à vélo ou à pied. Certains ont immédiatement commencé à prêcher et à inviter les gens au discours public, qui traitait de l’arche de Noé. Quand ils ont vu que, partout dans la ville, de belles affiches annonçaient le discours, beaucoup ont pleuré de joie. Ils n’auraient jamais pensé qu’un jour ils prêcheraient la bonne nouvelle en toute liberté !

Tous les efforts des frères ont été largement récompensés : l’assistance a été si nombreuse que deux haut-parleurs ont dû être installés à l’extérieur du théâtre, qui était bondé. Ainsi, quantité de voisins ont pu suivre le programme de l’assemblée depuis leurs fenêtres. Des magistrats municipaux et d’autres personnages en vue avaient été invités afin qu’ils puissent constater par eux-​mêmes qui étaient vraiment les Témoins de Jéhovah. À la grande surprise des frères, tous les sièges réservés à leur intention étaient occupés, et ils ont même chanté les cantiques.

Le premier rassemblement national

Le week-end des 28 et 29 septembre 1946, les Témoins de Jéhovah ont tenu leur toute première assemblée nationale en Roumanie. Elle a eu lieu dans les arènes romaines (Arenele Romane) de Bucarest. La Société nationale des chemins de fer a accepté non seulement d’affréter un train pour l’occasion, mais aussi de réduire de moitié le prix du billet ! Ce train a transporté bien plus de un millier d’assistants des régions les plus reculées du pays jusqu’à la capitale. Beaucoup s’étaient munis de pancartes, ce qui suscitait la curiosité des gens qu’ils rencontraient en chemin. Toutefois, le voyage ne s’est pas déroulé sans incident.

Des membres du clergé, qui avaient entendu parler de l’assemblée, ont essayé d’immobiliser le train. Le vendredi précédant l’assemblée, des Témoins de Bucarest sont arrivés à la gare à 9 heures pour accueillir leurs frères qui devaient être là dans l’heure qui suivait. Ils les ont attendus patiemment jusqu’à ce que le train finisse par entrer en gare, à 18 heures ! Il est impossible de dépeindre l’enthousiasme qui régnait alors que visiteurs et hôtes s’étreignaient les uns les autres. Les policiers armés qui avaient été envoyés pour maintenir l’ordre n’ont rien eu à faire.

La capitale avait été détruite en grande partie pendant la guerre ; 12 000 maisons avaient été endommagées. Il était donc difficile de trouver à se loger, mais les frères étaient ingénieux. En guise de “ lits ” d’appoint, ils ont acheté une montagne de paille qu’ils ont étalée sur la pelouse d’un frère habitant en banlieue, à Berceni. Comme il faisait particulièrement chaud pour la fin de septembre, des familles entières ont pu s’allonger confortablement sur des matelas de paille, sous un ciel étoilé. Aujourd’hui, une belle Salle du Royaume toute neuve se trouve à cet endroit même.

Les 3 400 assistants à l’assemblée le samedi matin ont été transportés de joie en apprenant qu’une édition bimensuelle de La Tour de Garde allait à nouveau être publiée en roumain et en hongrois. D’ailleurs, 1 000 exemplaires du premier numéro ont été distribués ce matin-​là parmi les frères. Pendant un temps, le périodique a contenu quatre articles d’étude pour permettre à tous de se remettre à jour avec les enseignements dont ils n’avaient pas pu profiter pendant la guerre.

Le dimanche matin a été réservé à la prédication ; de toutes parts, des groupes de proclamateurs annonçaient le discours public à l’aide de pancartes. Sur celles-ci étaient dessinés un marteau, une épée et une enclume. On pouvait y lire : “ ‘ Des épées transformées en socs ’ — Dieu a inspiré ces mots. Deux prophètes les ont écrits. Mais qui les mettra en pratique ? ” Les proclamateurs distribuaient des invitations et proposaient des périodiques, qu’ils transportaient dans des sacs à bandoulière en tissu blanc sur lesquels était écrit : “ Témoins de Jéhovah ”, “ Prédicateurs du Royaume de Dieu ” ou “ Prédicateurs de la théocratie ”.

Cet après-midi-​là, Martin Magyarosi a commencé le discours public en disant : “ Aujourd’hui, les grandes puissances tiennent une conférence de paix à Paris. En ce qui nous concerne, nous sommes 15 000 à assister à cette assemblée. Si l’on fouillait tous les Témoins ici présents, on ne trouverait aucune épée, aucun fusil. Pourquoi donc ? Parce que nous avons déjà transformé nos épées en socs ! ” Les cicatrices de la guerre étant visibles partout, ce discours puissant était vraiment opportun.

Le ministre de la Justice, un secrétaire du ministre de l’Intérieur, un bon nombre de policiers ainsi qu’un groupe de prêtres orthodoxes ont assisté à l’assemblée le dimanche. Tant les frères que les autorités s’attendaient à ce que les prêtres perturbent l’assemblée, ce qu’ils avaient d’ailleurs menacé de faire. Un seul a tenté de gêner le déroulement du programme. Pendant le discours public, des frères l’ont vu se diriger à grands pas vers l’estrade. Ils l’ont arrêté au passage, l’ont saisi fermement par le bras et l’ont reconduit dans l’assistance. “ Il n’est pas nécessaire qu’un prêtre orthodoxe s’adresse à cette assemblée, lui ont-​ils chuchoté à l’oreille. Mais vous êtes chaleureusement convié à prendre place et à écouter. ” Il n’a pas recommencé. Plus tard, le ministre de la Justice a déclaré avoir apprécié les discours et avoir été impressionné par l’ordre qui règne chez les Témoins de Jéhovah.

Au sujet de l’assemblée, un frère a écrit par la suite : “ La conspiration des opposants a totalement échoué et les assistants sont retournés chez eux comblés de joie. ” Les frères ont à nouveau manifesté un esprit de paix et d’unité, ce qui était encourageant. En effet, beaucoup étaient venus à l’assemblée avec des sentiments partagés à cause des divisions qui s’étaient créées pendant la guerre.

En revanche, la situation devenait moins favorable pour les membres du clergé. Dans pas mal d’endroits, ils ne pouvaient plus manipuler les autorités civiles afin qu’elles s’en prennent aux Témoins de Jéhovah. Bien sûr, cela ne les a pas empêchés de discréditer les frères du haut de leur chaire. Certains prêtres sont même allés plus loin : ils ont recruté des bandes de voyous pour que ceux-ci brutalisent les proclamateurs du Royaume, hommes et femmes, qu’ils voyaient prêcher. Un jour, la femme d’un prêtre orthodoxe a frappé une pionnière avec un bâton jusqu’à ce qu’il se casse ! Un rapport datant de cette époque précisait : “ Nous avons porté plainte contre nombre de ces ecclésiastiques. ”

De nouveaux efforts pour rétablir l’unité

En 1947, Alfred Rütimann, du Béthel de Suisse, a passé deux mois en Roumanie. Frère Hayden Covington, du siège mondial, devait y venir également à l’occasion d’une assemblée. Cependant, les autorités n’ont pas permis qu’elle ait lieu et elles ont refusé d’accorder un visa à frère Covington. Par contre, Alfred Rütimann en a obtenu un de deux mois, ce qui lui a permis de rester en août et en septembre dans le pays.

Il s’est tout d’abord arrêté à Bucarest, où il a été accueilli à l’aéroport par les larges sourires de ses frères et sœurs, qui lui ont offert un magnifique bouquet, comme le veut la tradition. Il a été conduit au bureau de Bucarest, qui avait été transféré en janvier 1947 au 38 de la rue Alion, chez un sympathisant. À cause de la menace communiste grandissante, les frères avaient toutefois gardé comme adresse officielle le 38 de la rue Basarabia, celle du local acquis en juillet 1945. Dans ce local il y avait une vieille table, un canapé, une machine à écrire hors d’usage et un placard rempli de brochures et de périodiques jaunis. Tout cela aurait pu être confisqué — sans regrets. De temps à autre, une sœur venait y travailler.

Frère Rütimann s’est réuni avec Pamfil Albu, le président de l’Association Les Témoins de Jéhovah de Roumanie, et Martin Magyarosi, qui supervisait l’œuvre dans le pays. Les deux frères étaient également surveillants de district. La communication avec l’étranger ayant été restreinte pendant un bon nombre d’années, les Témoins roumains ont appris avec enthousiasme certaines des nouvelles dispositions prises par l’organisation de Jéhovah : l’École de Guiléad, qui forme les missionnaires, et l’École du ministère théocratique, qui se tient dans les congrégations. Naturellement, tous attendaient avec impatience que cette dernière école soit mise en place en Roumanie. D’ailleurs, les frères ont immédiatement pris des mesures pour que les 90 leçons du manuel Aide théocratique pour les proclamateurs du Royaume soient imprimées par fascicules, tant en roumain qu’en hongrois.

Cependant, l’objectif principal de frère Rütimann était de rendre visite à autant de congrégations et de groupes que possible pour leur présenter les discours les plus importants qui auraient dû être donnés à l’assemblée. C’est ainsi qu’avec frère Magyarosi, son interprète, il a entrepris de parcourir deux régions où la vérité était bien implantée, en commençant par la Transylvanie.

La Transylvanie et au-delà

Comme dans la plupart des cas, les proclamateurs de Transylvanie ont consenti à de gros efforts pour assister à des rassemblements spéciaux. Ils étaient disposés à veiller tard pour s’adapter à l’emploi du temps très serré de leurs deux visiteurs. Par exemple, dans la petite ville de Vama Buzăului, le programme s’est déroulé entre 22 heures et 2 heures du matin, sans qu’aucun des 75 assistants ne se plaigne.

Par la suite, Alfred Rütimann a écrit : “ Les gens d’ici ont une autre conception du temps que nous. Cela ne les dérange pas de se lever à 2 ou 3 heures du matin pour accueillir des visiteurs. Ils ne pensent jamais en termes de minutes, et rarement en termes d’heures ! Alors qu’ils se déplacent à pied — parcourant quelques fois de longues distances pieds nus — ils semblent avoir davantage de temps que nous et être moins stressés. Au départ, j’ai cru que nous étions fous d’organiser des réunions si tard dans la nuit, mais frère Magyarosi m’a convaincu du contraire. ”

Peu après, ils sont allés à Tîrgu-Mureş, qui comptait alors 31 000 habitants. Cette ville avait été endommagée par la guerre et il n’y restait pour ainsi dire aucun pont. Toujours est-​il que 700 frères de 25 congrégations ont fait une cinquantaine de kilomètres à l’aller, et autant au retour, pour se rendre sur les lieux de la réunion : une clairière dans une forêt non loin de la ville.

Nos deux frères se sont également rendus à Cluj-Napoca, où 300 personnes de 48 congrégations se sont réunies. En ville, frère Magyarosi a montré à frère Rütimann l’imprimerie qui avait été perdue en 1928 à cause de Jacob Sima. Qu’était-​il devenu ? “ Il est mort l’année passée ; il a fini ivrogne ”, a écrit frère Rütimann dans son rapport.

Les étapes suivantes comprenaient entre autres Satu Mare et Sighetul Marmaţiei, près de l’Ukraine. Dans la région, il y avait plus de 40 congrégations d’expressions roumaine, hongroise et ukrainienne. Les fermiers et les villageois qui y habitaient ne dépendaient pratiquement pas du monde extérieur. Ils cultivaient eux-​mêmes toute la nourriture qu’ils consommaient et ils produisaient du lin et du chanvre. Ils pratiquaient aussi l’élevage, surtout des moutons. Ils se confectionnaient des habits et des couvertures. Ils travaillaient également le cuir. Leurs chaussures, c’était le cordonnier du village qui les fabriquait. Quantité de frères et sœurs ont assisté aux réunions spéciales, vêtus de leurs costumes traditionnels, de lin et de chanvre brodés.

Ensuite, frères Rütimann et Magyarosi ont parcouru une autre région : la Moldavie, au nord-est. Leur première étape a été la commune de Frătăuţii, où les frères, bien que pauvres, se sont montrés remarquablement hospitaliers. À la lueur des lampes à huile, ils ont offert à leurs invités du lait frais, du pain, de la polenta et des œufs durs qui baignaient dans du beurre fondu. Tout le monde mangeait dans des petits bols. “ La nourriture était très bonne ”, a écrit frère Rütimann. Cette nuit-​là, les deux visiteurs ont dormi dans des lits placés près du fourneau dans la cuisine pour ne pas avoir froid. Leurs hôtes ont dormi sur des sacs de paille, non loin d’eux.

Les proclamateurs de cette région étaient zélés dans le ministère et, comme l’attestent les rapports, Jéhovah les bénissait abondamment. Leur nombre est passé de 33 au printemps 1945 à 350 en 1947, soit dix fois plus en deux ans !

Pour atteindre Bălcăuţi, puis Ivăncăuţi, les frères ont parcouru 120 kilomètres dans une charrette tirée par deux chevaux, ce qui a ajouté une touche champêtre à leur voyage. “ Les petits chevaux roumains sont excellents sur toutes les routes, aussi mauvaises soient-​elles, et à toute heure du jour ou de la nuit ”, a écrit un frère. Les proclamateurs de la congrégation de Bălcăuţi, formée en 1945, avaient auparavant appartenu à une Église évangélique. Le serviteur de congrégation était leur ancien prédicateur laïque. À Ivăncăuţi, comme il pleuvait, la réunion a eu lieu chez un frère. Mais il en fallait plus pour incommoder les 170 assistants, parmi lesquels certains avaient marché nu-pieds 30 kilomètres pour arriver à destination.

Au total, les deux frères se sont adressés, en 19 endroits différents, à 4 504 proclamateurs et sympathisants, venant de 259 congrégations. Alors qu’il regagnait la Suisse, Alfred Rütimann a également prononcé des discours à Orăştie et à Arad, où un bon nombre de frères ont marché entre 60 et 80 kilomètres pour atteindre le lieu de la réunion. Un fermier de 60 ans a parcouru 100 kilomètres pieds nus, tellement il était reconnaissant de pouvoir en bénéficier !

De telles réunions ont grandement marqué l’histoire de l’œuvre en Roumanie et sont tombées à point nommé, non seulement parce que les frères avaient besoin d’encouragements, mais aussi parce que la moisson spirituelle était mûre. Les Roumains en avaient assez des dirigeants oppressifs ainsi que des misères de la guerre, et ils étaient nombreux à avoir été déçus par la religion. Qui plus est, en août 1947, une forte dévaluation de la monnaie locale (le leu) a plongé beaucoup de gens dans le dénuement du jour au lendemain. C’est pourquoi quantité de ceux qui s’étaient opposés au message du Royaume étaient maintenant disposés à écouter.

Les réunions spéciales étaient opportunes pour une autre raison : une nouvelle vague de persécutions, encore plus forte que la précédente, se profilait à l’horizon. Alimentée par l’idéologie athée de dirigeants intolérants et impitoyables, elle allait faire rage pendant le plus clair des quatre décennies à venir !

La Roumanie derrière le rideau de fer

En novembre 1946, soit quelques mois avant la visite d’Alfred Rütimann, les communistes ont pris le pouvoir dans le pays. Au cours des années suivantes, leur parti a éliminé toute forme d’opposition et a accéléré le processus de soviétisation, au moyen duquel les institutions politiques et culturelles roumaines ont été alignées sur le modèle soviétique.

Profitant pleinement du calme avant la tempête, les frères ont imprimé des centaines de milliers de périodiques, de brochures et d’autres publications, qu’ils ont acheminés aux 20 dépôts répartis dans le pays. Dans le même temps, nombreux sont ceux qui ont augmenté leur activité. Certains ont entrepris le service de pionnier, comme par exemple Mihai Nistor et Vasile Sabadâş.

Mihai a été affecté dans le nord-ouest puis dans le centre de la Transylvanie, où il a continué son service même après l’interdiction imposée par les communistes, qui le traquaient sans relâche. Comment a-​t-​il échappé aux arrestations ? Il raconte : “ Je m’étais fabriqué un sac qui ressemblait tout à fait à celui des vitriers. Je me promenais en habits de travail dans le centre des villages et des villes où je devais prêcher, tout en transportant des vitres et des outils. Chaque fois que j’apercevais un policier ou quelqu’un de suspect, je me mettais à faire de la réclame à voix haute pour mes carreaux. D’autres frères employaient des méthodes différentes pour se soustraire à leurs opposants. C’était palpitant mais risqué, non seulement pour nous, les pionniers, mais encore pour les familles qui nous hébergeaient. Toujours est-​il que les progrès des personnes qui étudiaient la Bible ainsi que l’augmentation du nombre des proclamateurs nous rendaient très joyeux. ”

Vasile Sabadâş a lui aussi continué son service de pionnier bien qu’il ait dû déménager souvent. Il a retrouvé et soutenu beaucoup de frères qui avaient été dispersés par la Securitate, la clef de voûte du vaste réseau de sécurité du nouveau régime communiste. “ Pour ne pas être arrêté, raconte Vasile, je devais être prudent et avoir l’imagination fertile. Par exemple, avant de voyager dans une autre région, je me trouvais toujours une bonne raison de le faire, comme une cure thermale prescrite par un médecin.

“ En n’éveillant pas de soupçon, j’ai pu rétablir la communication entre les frères. Ils ont ainsi reçu régulièrement la nourriture spirituelle. J’avais pour devises Isaïe 6:8 : ‘ Me voici ! Envoie-​moi ! ’ et Matthieu 6:33 : ‘ Continuez donc à chercher d’abord le royaume. ’ Ces versets m’ont donné la force de persévérer avec joie. ” Vasile a eu bien besoin de cette qualité, car, comme bien d’autres, il a fini par être arrêté malgré sa prudence.

Des attaques violentes contre l’organisation de Dieu

En 1948, la correspondance avec le siège mondial était devenue si difficile que les frères avaient recours à des messages codés, écrits sur des cartes postales. En mai 1949, Martin Magyarosi a transmis un message de Petre Ranca, un de ses collaborateurs du bureau de Bucarest, qui signalait : “ Toute la famille va bien. Il y a eu beaucoup de vent et il a fait très froid ; nous n’avons donc pas pu travailler dans les champs. ” Plus tard, un autre frère a rapporté que “ la famille ne pouvait recevoir aucune friandise ” et que “ beaucoup étaient malades ”. Il voulait dire qu’il n’était pas possible d’envoyer de la nourriture spirituelle en Roumanie et que nombre de frères étaient emprisonnés.

À la suite d’une décision du ministère de la Justice datant du 8 août 1949, le bureau de Bucarest, logements inclus, a été fermé. Tout ce qui s’y trouvait, y compris les effets personnels des frères, a été confisqué. Au cours des années suivantes, des centaines de Témoins ont été arrêtés et condamnés. Sous le régime fasciste, les Témoins de Jéhovah étaient accusés d’être communistes, mais, quand les communistes sont arrivés au pouvoir, ils ont été taxés d’“ impérialistes ” ou de “ propagandistes américains ”.

Des espions et des indicateurs rôdaient partout. L’Annuaire 1953 expliquait que les mesures prises par les communistes “ étaient maintenant si sévères que toute personne en Roumanie qui recevait du courrier de l’Ouest était inscrite sur la liste noire et donc surveillée de près ”. Le rapport continuait en ces termes : “ La terreur qui règne là-bas est inimaginable. Les membres d’une même famille ne peuvent se fier les uns aux autres. La liberté a entièrement disparu. ”

Au début de 1950, Pamfil et Elena Albu, Petre Ranca, Martin Magyarosi ainsi que bien d’autres ont été arrêtés et accusés faussement d’être des espions à la solde de l’Occident. Des frères ont été torturés pour qu’ils révèlent des renseignements confidentiels et pour qu’ils avouent être des “ espions ”. Toutefois, leur seul aveu était qu’ils adoraient Jéhovah et qu’ils servaient les intérêts de son Royaume. Après avoir subi des supplices, certains ont été envoyés en prison et d’autres dans des camps de travail. Quelles conséquences cette vague de persécutions a-​t-​elle eues sur l’œuvre ? En 1950, la Roumanie a connu un accroissement de 8 % du nombre des proclamateurs ! La puissance de l’esprit de Dieu était vraiment manifeste.

Frère Magyarosi, alors âgé de près de 70 ans, a été incarcéré dans la prison de Gherla, en Transylvanie, où il est mort à la fin de 1951. Un rapport mentionnait : “ Nombreuses et grandes ont été ses souffrances pour la cause de la vérité, particulièrement depuis son arrestation en janvier 1950. Elles ont maintenant cessé. ” Effectivement, pendant une vingtaine d’années, il a enduré les brutalités du clergé, des fascistes et des communistes. Son exemple d’intégrité s’accorde avec ces paroles de l’apôtre Paul : “ J’ai combattu le beau combat, j’ai achevé la course, j’ai observé la foi. ” (2 Tim. 4:7). Sa femme, Maria, n’a pas été emprisonnée, mais elle a laissé un excellent exemple d’endurance dans l’adversité. Un frère a parlé d’elle comme d’“ une sœur intelligente, entièrement dévouée à l’œuvre du Seigneur ”. Après l’arrestation de son mari, des membres de la famille de Maria ont pris soin d’elle, notamment sa fille adoptive, Mărioara, qui a été elle-​même emprisonnée puis libérée en automne 1955.

“ Les Témoins de Jéhovah sortent du lot ”

En 1955, une amnistie a été accordée et la plupart des frères ont été relâchés. Leur liberté a cependant été de courte durée. De 1957 à 1964, les Témoins de Jéhovah ont à nouveau été traqués et arrêtés. Quelques-uns ont même été condamnés à perpétuité. Au lieu de sombrer dans le désespoir, ceux qui étaient incarcérés s’encourageaient mutuellement à tenir ferme. De ce fait, ils étaient bien connus pour leurs principes et leur intégrité. “ Les Témoins de Jéhovah sortent du lot. Rien ne pouvait les faire capituler ou renoncer à leur religion ”, se souvient un prisonnier politique. Il a ajouté que, là où il était détenu, les Témoins étaient “ les prisonniers les plus appréciés ”.

Une autre amnistie a été décrétée en 1964. Mais le soulagement a de nouveau été éphémère. En effet, davantage d’arrestations ont eu lieu entre 1968 et 1974. Un frère a écrit : “ Nous avons été torturés et injuriés pour avoir répandu l’Évangile. Nous vous implorons de vous souvenir, dans vos prières, de vos frères emprisonnés. Nous savons qu’il s’agit d’une épreuve et que nous devons l’endurer. Nous continuerons courageusement à prêcher la bonne nouvelle, en accomplissement de Matthieu 24:14. Mais une fois encore nous vous en supplions de tout notre cœur : ne nous oubliez pas ! ” Comme nous le verrons, Jéhovah a entendu les prières ferventes que ses fidèles lui ont adressées avec larmes, et il les a consolés de différentes manières.

Satan sème le doute

Le Diable n’attaque pas seulement le peuple de Dieu de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Par exemple, des frères qui avaient exercé des fonctions de surveillance avant leur arrestation n’ont pas été rétablis dans celles-ci après leur libération en 1955. Ils en ont éprouvé du ressentiment et ils en sont venus à semer la discorde. Quel dommage qu’ils se soient laissés aller à l’orgueil une fois libres, après être demeurés fermes en prison ! Au moins un frère en vue a été jusqu’à coopérer avec la Securitate pour échapper à une sanction, ce qui a causé beaucoup de tort à ceux qui sont restés fidèles ainsi qu’à l’œuvre de prédication. — Mat. 24:10.

Les serviteurs de Dieu ont aussi dû composer avec des différences de point de vue sur des questions de conscience. Ainsi, après leur arrestation, les frères se voyaient souvent proposer un choix : la prison ou le travail dans des mines de sel. Certains estimaient que ceux qui avaient préféré la deuxième option avaient transigé avec les principes bibliques. D’autres soutenaient que les sœurs ne devaient pas utiliser de cosmétiques, et qu’il n’était pas convenable d’aller au cinéma ou au théâtre, ni même de posséder une radio.

Par contre, ce qui était plus positif, c’est que les frères en général n’ont jamais perdu de vue l’essentiel : la nécessité de rester fidèle à Dieu. Cela ressort clairement du rapport pour l’année de service 1958 : cette année-​là ils ont été 5 288 à participer à la prédication, soit 1 000 de plus que l’année précédente ! En outre, 8 549 personnes ont assisté au Mémorial et 395 se sont fait baptiser.

Une autre épreuve s’est présentée en 1962, quand La Tour de Garde a expliqué que “ les autorités supérieures ” mentionnées en Romains 13:1 étaient les autorités gouvernementales humaines, et non Jéhovah Dieu et Jésus Christ, comme on l’avait pensé jusqu’alors. Ayant beaucoup souffert aux mains de dirigeants brutaux, nombre de frères roumains ont eu du mal à accepter la nouvelle compréhension. Du reste, certains ont sincèrement cru qu’il s’agissait d’un stratagème des communistes pour les asservir à l’État, contrairement au principe défini en Matthieu 22:21.

Un frère en a parlé à l’un de ses compagnons chrétiens qui s’était rendu à Berlin, à Rome et dans d’autres capitales. “ Il m’a confirmé, se souvient-​il, que cette nouvelle compréhension n’était pas une ruse des communistes, mais plutôt qu’elle provenait de la classe de l’esclave, qui fournit la nourriture spirituelle. Malgré tout, je restais perplexe. J’ai alors demandé au surveillant de district ce que nous devions faire.

“ Il a répondu : ‘ Tout simplement : persévérer dans l’œuvre de prédication — voilà ce que nous devons faire ! ’

“ C’était un conseil excellent, et je suis heureux de dire que je ‘ persévère ’ aujourd’hui encore. ”

Malgré les entraves à la communication, le siège mondial et le Béthel qui supervisait l’œuvre en Roumanie se sont démenés pour tenir les frères informés des vérités révélées et pour les aider à coopérer comme une famille spirituelle unie. À cet effet, ils ont envoyé des lettres et écrit des articles pertinents dans Le ministère du Royaume.

Comment cette nourriture spirituelle parvenait-​elle aux serviteurs de Jéhovah ? Chaque membre du Comité du pays était en liaison secrète avec les surveillants itinérants et les anciens. Le contact était maintenu par des coursiers de confiance qui assuraient aussi l’échange de lettres et de rapports entre le Comité du pays et le bureau central en Suisse. Ainsi, au moins un peu de nourriture spirituelle et quelques directives théocratiques pouvaient être transmises.

Des frères et sœurs fidèles se sont appliqués à favoriser l’harmonie dans leur congrégation ou leur groupe. L’un d’eux, Iosif Jucan, disait souvent : “ Nous ne pouvons espérer être sauvés à Har-Maguédôn à moins de continuer à assimiler régulièrement la nourriture spirituelle et de rester très proches de ‘ notre Mère ’. ” Il voulait dire par là qu’il fallait rester en contact avec la partie terrestre de l’organisation de Jéhovah. De tels frères ont été des atouts précieux pour le peuple de Dieu et un rempart contre ceux qui voulaient semer la désunion.

Les tactiques des ennemis du peuple de Dieu

Dans leur acharnement à affaiblir la foi des serviteurs de Jéhovah ou à les contraindre à la soumission, les communistes se sont servis d’espions et de traîtres. Ils ont aussi utilisé la torture, la propagande mensongère et les menaces de mort. Les espions et les délateurs pouvaient être des voisins, des collègues de travail, des apostats, des proches ou des agents de la Securitate. Ces derniers se sont infiltrés dans des congrégations en feignant d’être intéressés par la vérité et en apprenant le vocabulaire théocratique. Ces “ faux frères ” ont causé beaucoup de tort et ont été à l’origine de nombreuses arrestations. L’un deux, Savu Gabor, a même reçu un poste de responsabilité ; il a été démasqué en 1969. — Gal. 2:4.

Les agents du gouvernement espionnaient aussi des individus ou des familles au moyen de micros dissimulés. Timotei Lazăr en témoigne : “ Alors que j’étais en prison en raison de ma neutralité de chrétien, la Securitate convoquait régulièrement mes parents et mon petit frère à son quartier général, où ils étaient interrogés jusqu’à six heures d’affilée. Lors de l’un de ces interrogatoires, des agents ont caché des micros chez nous. En rentrant ce soir-​là, mon frère, qui était électricien, a remarqué que le compteur d’électricité tournait anormalement vite. En inspectant les lieux, il a découvert deux appareils d’écoute, qu’il a photographiés et démontés. Le lendemain, les agents de la Securitate sont venus chercher leurs ‘ joujoux ’, comme ils les appelaient. ”

La propagande mensongère était souvent véhiculée par des articles publiés dans d’autres pays communistes et ‘ recyclés ’ pour la Roumanie. Par exemple, l’article intitulé “ La secte jéhoviste et son caractère réactionnaire ” provenait d’un journal russe. Il accusait les Témoins de Jéhovah de présenter “ les caractéristiques d’une organisation politique typique ” dont le but est “ d’exercer une activité de sabotage dans les pays socialistes ”. Il encourageait également ses lecteurs à dénoncer quiconque défendait les enseignements des Témoins. Cela dit, en réfléchissant un peu, les gens se rendaient bien compte que ce tapage politique était un aveu d’échec de la part des opposants, car il indiquait à tous que les Témoins de Jéhovah étaient toujours très actifs et loin d’être réduits au silence.

Quand des agents de la Securitate arrêtaient un frère ou une sœur, leur cruauté raffinée ne connaissait aucune limite. Dans le but de faire parler leur victime, ils employaient même des substances chimiques qui altéraient le psychisme et le système nerveux. Samoilă Bărăian, qui a subi de tels sévices, raconte : “ Dès le début de l’interrogatoire, ils m’ont forcé à prendre des médicaments qui m’ont fait plus de mal que les coups. J’ai vite compris que quelque chose n’allait pas. Je ne pouvais plus marcher droit ni monter les escaliers. Ensuite, j’ai commencé à souffrir d’insomnie chronique. Je n’arrivais plus à me concentrer et je parlais avec difficulté.

“ Ma santé a continué à se dégrader. Après environ un mois, j’ai perdu le sens du goût. Mon système digestif s’est détérioré et j’avais l’impression que toutes mes articulations allaient se démettre. Je souffrais atrocement. Je transpirais tellement des pieds qu’en deux mois mes chaussures se sont abîmées au point que j’ai dû les jeter. Celui qui m’interrogeait hurlait : ‘ Pourquoi tu continues à mentir ? Tu ne vois pas ce que tu es devenu ? ’ J’avais envie d’exploser de colère ; il fallait beaucoup de maîtrise de soi. ” Avec le temps, frère Bărăian s’est entièrement remis.

La Securitate utilisait la torture morale. Alexa Boiciuc se souvient : “ Le pire pour moi, ç’a été quand ils m’ont réveillé une nuit pour m’emmener dans une pièce d’où je pouvais entendre qu’on battait un frère. Après, j’ai entendu une sœur pleurer, et ensuite j’ai entendu la voix de ma mère. J’aurais préféré être roué de coups que d’avoir à supporter ça. ”

On promettait aux frères qu’ils seraient graciés s’ils divulguaient les noms d’autres Témoins et disaient où et quand les réunions avaient lieu. On encourageait aussi les femmes à quitter leur mari qui était en prison pour garantir un avenir meilleur à leurs enfants.

L’État ayant confisqué leurs biens, de nombreux frères étaient contraints à travailler dans des fermes collectives. Certes, les conditions de travail n’étaient pas trop mauvaises, mais les hommes étaient dans l’obligation d’assister fréquemment à des réunions politiques. Ceux qui n’y allaient pas étaient ridiculisés et leurs paies considérablement réduites. Bien entendu, comme ils ne participaient à aucune réunion ni à aucune activité politique, les Témoins de Jéhovah ont connu des privations.

Quand les agents du gouvernement perquisitionnaient chez les Témoins, ils confisquaient leurs effets personnels, surtout ce qui pouvait se revendre. En plein hiver, ils saccageaient souvent les fourneaux, l’unique source de chaleur dans les maisons. Pourquoi une telle cruauté ? Parce que les fourneaux étaient, soi-disant, de bonnes cachettes pour les publications. Néanmoins, les frères ne se laissaient pas réduire au silence. Même ceux qui ont enduré des mauvais traitements et des privations dans des camps de travail ou des prisons ont continué, comme nous allons le voir, à rendre témoignage à Jéhovah et à se réconforter mutuellement.

Ils louent Jéhovah dans les camps et les prisons

En plus des prisons, il y avait trois grands camps de travail dans le pays. L’un était situé dans le delta du Danube ; un autre à Brăila, sur la grande île ; et le troisième près du canal reliant le Danube à la mer Noire. Dès le début de l’ère communiste, les Témoins ont souvent été incarcérés avec certains de leurs anciens persécuteurs qui avaient été arrêtés pour leurs liens avec le régime précédent. C’est ainsi qu’un surveillant de circonscription s’est retrouvé en compagnie de 20 prêtres ! Il va sans dire qu’avec ces interlocuteurs forcés les conversations n’ont pas manqué d’intérêt.

Dans une prison, un frère s’est entretenu longuement avec un professeur de théologie qui, autrefois, faisait passer des examens aux candidats à la prêtrise. Le frère s’est vite rendu compte qu’il ne connaissait pratiquement rien à la Bible. De plus, parmi les détenus qui suivaient la conversation se trouvait un général de l’ancien régime.

“ Comment se fait-​il que de simples artisans connaissent la Bible mieux que vous ? ” a demandé ce général au professeur.

Ce dernier a répondu : “ Au séminaire, c’est la tradition de l’Église et ce qui s’y rapporte qu’on apprend, mais pas la Bible. ”

Sans se démonter, le général lui a rétorqué : “ Nous nous en remettions à vous, mais je me rends compte que vous nous avez lamentablement induits en erreur. ”

Finalement, un bon nombre de prisonniers ont acquis une connaissance exacte de la vérité et ont voué leur vie à Jéhovah. Ce fut le cas d’un homme qui purgeait une peine de 75 ans pour vol. Les changements remarquables qu’il a opérés dans sa personnalité ont retenu l’attention des autorités pénitentiaires. En conséquence elles lui ont donné un nouveau travail, que d’habitude on ne confiait pas à quelqu’un qui était incarcéré pour vol. Il était chargé de faire des achats en ville, sans escorte !

Il n’en reste pas moins que la vie en prison était dure, et la nourriture rare. Les prisonniers réclamaient même que leurs pommes de terre ne soient pas épluchées pour avoir un peu plus à manger. Ils s’alimentaient aussi de betteraves fourragères, d’herbe, de feuilles et d’autres végétaux pour tromper leur faim. À la longue, certains sont morts de malnutrition et tous ont été atteints de dysenterie.

Pendant l’été, ceux qui étaient détenus dans le delta du Danube pelletaient la terre pour la construction du barrage. L’hiver, ils coupaient des roseaux alors qu’il gelait. Ils dormaient sur un vieux ferry, dans le froid, la crasse et la vermine. Leurs gardiens cruels restaient impassibles même quand un prisonnier mourait. Pourtant, quelle que soit leur situation, les frères s’encourageaient et s’aidaient les uns les autres à rester forts spirituellement. Penchons-​nous sur ce qui est arrivé à Dionisie Vârciu.

Juste avant sa libération, un agent lui a demandé : “ La réclusion a-​t-​elle réussi à vous faire abandonner votre foi, Vârciu ? ”

“ Excusez-​moi, a répondu Dionisie, mais échangeriez-​vous un costume d’excellente qualité contre un autre de qualité moindre ? ”

“ Non ”, a reconnu l’agent.

“ Eh bien, a repris Dionisie, pendant ma détention, on ne m’a rien proposé de mieux que ma foi ! Pourquoi donc l’abandonnerais-​je ? ”

Sur ce, l’agent lui a serré la main et lui a dit : “ Vous êtes libre, Vârciu. Ne perdez pas votre foi. ”

Les Témoins de Jéhovah tels que Dionisie n’étaient pas des surhommes. Leur courage et leur force spirituelle provenaient de leur foi en Jéhovah, qu’ils ont su préserver admirablement. — Prov. 3:5, 6 ; Phil. 4:13.

Ils étudient de mémoire

“ Le temps que j’ai passé en prison a été pour moi une période de formation théocratique ”, a constaté András Molnos. Pourquoi s’est-​il exprimé ainsi ? Parce qu’il s’est rendu compte de l’importance de se réunir avec ses frères chaque semaine pour étudier la Parole de Dieu. “ Souvent, raconte András, nous ne disposions pas d’écrits ; ce qu’il y avait à étudier était dans notre tête. Des frères se souvenaient d’articles de La Tour de Garde qu’ils avaient examinés avant d’être emprisonnés. Quelques-uns arrivaient même à se rappeler le contenu de tout un périodique, y compris les questions des articles d’étude ! ” Plusieurs détenus devaient cette mémoire exceptionnelle au fait d’avoir recopié à la main la nourriture spirituelle avant leur arrestation. — Voir l’encadré “ Méthodes de duplication ”, pages 132-3.

Les frères responsables qui organisaient les réunions chrétiennes annonçaient à l’avance les thèmes qui seraient abordés. Chaque prisonnier s’efforçait de se souvenir d’un maximum de pensées sur ces sujets, que ce soient des versets bibliques ou des idées glanées dans des auxiliaires d’étude de la Bible. Ensuite, ils se retrouvaient tous pour en discuter. Un frère était désigné pour diriger la réunion ; après une prière d’introduction, il menait la discussion en posant des questions pertinentes. Une fois que chacun avait donné son commentaire, il présentait le sien, puis il enchaînait avec le point suivant.

Dans certaines prisons, il était interdit de discuter en groupe, mais l’ingéniosité des frères était sans bornes. L’un d’eux explique : “ Nous démontions la fenêtre des toilettes de son encadrement, et nous badigeonnions la vitre avec un mélange de savon humide et de chaux, que nous obtenions en raclant les murs. Une fois que tout était sec, nous disposions d’une ‘ ardoise ’ sur laquelle nous pouvions inscrire la leçon du jour. Un frère y écrivait ce qu’un autre lui dictait à voix basse.

“ Un groupe d’étude a été formé pour chacune des cellules dans lesquelles nous étions répartis. Chaque leçon circulait de frère en frère à l’intérieur d’une même cellule. Mais comme l’‘ ardoise ’ ne se trouvait que dans une seule cellule, les occupants des autres cellules recevaient les informations en morse. Comment cela ? L’un de nous transmettait le contenu d’un article en tapotant sur le mur ou sur les tuyaux de chauffage aussi doucement que possible. Dans les autres cellules, les frères se servaient de leurs gobelets comme de dispositifs d’écoute. Ils les mettaient tout contre les murs ou les tuyaux et ils y collaient l’oreille. Bien entendu, ceux qui ne connaissaient pas le morse ont dû l’apprendre. ”

Parfois, c’étaient des sœurs tout aussi ingénieuses qui parvenaient à faire pénétrer de la nourriture spirituelle toute fraîche à l’intérieur des prisons. Par exemple, en préparant du pain, certaines d’entre elles cachaient des publications dans la pâte. Les frères surnommaient cette nourriture “ le pain du ciel ”. D’autres sœurs ont même introduit dans des prisons des pages de la Bible : elles les pliaient en morceaux minuscules et les inséraient dans des petites boules en plastique, avant de les recouvrir de chocolat fondu et de poudre de cacao.

Par contre, les frères devaient lire dans les toilettes — ce qui n’était pas très agréable —, l’unique endroit où les prisonniers pouvaient être seuls quelques minutes, sans être surveillés par les gardiens. Avant de sortir, ils cachaient les pages imprimées derrière le réservoir de la chasse d’eau. Les détenus non Témoins connaissaient aussi cette cachette, et nombre d’entre eux profitaient à leur tour d’un moment de lecture en toute tranquillité.

Des femmes et des enfants restent intègres

Comme beaucoup d’autres Témoins, Viorica Filip et sa sœur Aurica ont été persécutées par des membres de leur famille. Elles avaient sept frères et une autre sœur. Viorica raconte : “ Parce qu’elle désirait servir Jéhovah, Aurica a dû quitter l’université de Cluj-Napoca en 1973, et elle s’est fait baptiser peu après. Sa sincérité et son zèle ont piqué ma curiosité ; j’ai donc commencé à examiner la Parole de Dieu. Quand j’ai découvert la promesse divine de la vie éternelle dans un paradis terrestre, je me suis dit : ‘ Que peut-​on espérer de mieux ? ’ Au fur et à mesure que je progressais, j’ai pris à cœur les principes bibliques relatifs à la neutralité chrétienne et j’ai refusé de devenir membre du parti communiste. ”

Viorica poursuit : “ En 1975, j’ai voué ma vie à Jéhovah. À l’époque, j’avais quitté la maison et j’habitais chez quelqu’un de ma famille, dans la ville de Sighetul Marmaţiei. J’étais institutrice, mais, comme j’avais décidé de ne pas me mêler de politique, la direction de l’école m’a signifié que je serais renvoyée à la fin de l’année scolaire. Pour empêcher cela, ma famille s’est mise à nous persécuter, ma sœur et moi. ”

Même des enfants d’âge scolaire étaient soumis à l’intimidation, parfois directement par la Securitate. En plus d’être maltraités physiquement et verbalement, nombre d’entre eux ont été renvoyés de leur école et ont dû s’inscrire dans une autre. Certains ont été contraints à arrêter leur scolarité. Des agents de la Securitate ont même essayé de recruter des espions parmi les enfants !

Daniela Măluţan, aujourd’hui pionnière, se souvient : “ J’ai souvent été humiliée devant mes camarades parce que je refusais de me rallier à l’Union de la jeunesse communiste, un instrument d’endoctrinement politique des jeunes. Quand je suis entrée en troisième, des agents de la Securitate m’ont mené la vie dure, tout comme d’ailleurs des professeurs et d’autres membres du personnel de l’établissement qui étaient des indicateurs. De 1980 à 1982, pratiquement un mercredi sur deux, j’étais interrogée dans le bureau du principal. Soit dit en passant, on ne lui permettait pas d’assister à ces séances. L’interrogateur, un colonel de la Securitate, était bien connu des frères du district de Bistriţa-Năsăud pour sa haine envers nous et pour l’ardeur avec laquelle il nous pourchassait. Une fois il m’a même apporté des lettres incriminant des frères responsables. Ses objectifs étaient de miner ma confiance en eux, de me pousser à abandonner ma foi et de me persuader — moi, une collégienne — d’espionner pour le compte de la Securitate. Il a échoué sur tous les plans.

“ Cela dit, je n’ai pas connu que des moments pénibles. Par exemple, mon professeur d’histoire, un membre du parti, voulait savoir pourquoi je subissais si souvent des interrogatoires. Un jour, au lieu de donner son cours, il m’a posé de nombreuses questions au sujet de ma foi pendant deux heures devant toute la classe. Il a été impressionné par mes réponses, et il a trouvé injuste que je sois traitée si rudement. Après cette discussion, il en est venu à respecter nos croyances et il a même accepté des publications.

“ Les responsables de l’établissement ont toutefois continué à s’opposer à moi. Ils m’ont même expulsée à la fin de la seconde, mais cela ne m’a pas empêchée de trouver immédiatement un emploi. Jamais je n’ai regretté d’être restée fidèle à Jéhovah. Au contraire, je le remercie d’avoir permis que je sois élevée par des parents chrétiens qui sont demeurés intègres malgré les mauvais traitements dont ils ont été victimes sous le régime communiste. Leur bon exemple m’est encore très précieux aujourd’hui. ”

Des jeunes hommes mis à l’épreuve

Les attaques de la Securitate contre les Témoins de Jéhovah visaient particulièrement les jeunes frères qui maintenaient leur neutralité chrétienne. Ils étaient arrêtés, emprisonnés, relâchés, à nouveau arrêtés et renvoyés en prison. Tout cela pour saper leur moral. L’un d’eux, József Szabó, a été condamné à quatre ans d’incarcération juste après son baptême.

Au bout de deux ans, en 1976, József a été libéré ; peu après il a rencontré sa future femme. Il raconte : “ Nous nous sommes fiancés et nous avons fixé la date de notre mariage. Par la suite, j’ai de nouveau été convoqué devant le tribunal militaire de Cluj. Je devais m’y présenter le jour même de la cérémonie ! Nous nous sommes mariés malgré tout, après quoi je suis allé au tribunal. Notre bonheur a été de courte durée, car j’ai été condamné à trois ans de détention supplémentaires — et cette fois j’ai dû purger ma peine jusqu’au bout. Je ne trouve pas de mot assez fort pour exprimer à quel point cette séparation a été douloureuse. ”

Timotei Lazăr, un autre jeune Témoin, se souvient : “ En 1977, mon frère cadet et moi avons été libérés de prison. Notre frère aîné, qui avait été relâché un an plus tôt, est venu à la maison pour fêter l’événement avec nous. En fait, des agents de la Securitate lui tendaient un piège. Nous avions été séparés de force pendant deux ans, sept mois et quinze jours, et voilà que l’on nous arrachait une nouvelle fois notre frère pour le renvoyer en prison en raison de sa neutralité chrétienne. Mon jeune frère et moi avions le cœur brisé. ”

La célébration du Mémorial

Les soirs de Mémorial, les opposants aux Témoins de Jéhovah intensifiaient leurs efforts pour les traquer. Ils faisaient irruption chez eux, leur infligeaient des amendes et procédaient à des arrestations. Par précaution, les frères se réunissaient en comités restreints — parfois juste en famille — pour commémorer la mort de Jésus.

“ Un soir de Mémorial, rapporte Teodor Pamfilie, le commissaire de police de la localité est resté à boire avec des amis. Lorsqu’il a voulu faire une perquisition au domicile de frères, il a demandé à quelqu’un qui avait une voiture de l’emmener. Mais impossible de démarrer ! Au bout d’un certain temps, le moteur a fini par se mettre en route, et ils sont arrivés devant chez nous alors que nous observions le Mémorial en petit groupe. Toutefois, comme nous avions recouvert toutes les fenêtres, ils n’ont pas vu de lumière et ont supposé que personne n’était là. Ils sont alors allés chez une autre famille, mais la célébration y était déjà terminée et les assistants étaient partis.

“ Entre-temps, nous avions fini, nous aussi, et tout le monde avait vite quitté les lieux. Il ne restait plus que mon frère et moi lorsque deux policiers ont fait irruption dans la pièce où nous étions, en hurlant : ‘ Qu’est-​ce qui se passe ici ? ’

“ ‘ Rien, ai-​je répondu. Mon frère et moi sommes en train de discuter. ’

“ ‘ Nous savons que vous avez tenu une réunion, a dit l’un des policiers. Où sont les autres ? ’ Puis, regardant mon frère, il lui a lancé : ‘ Et d’abord, vous, qu’est-​ce que vous faites là ? ’

“ ‘ Je suis venu le voir ’, a-​t-​il répondu en me désignant. Sur ce, ils sont partis en furie. Le lendemain, nous avons appris que, malgré leur acharnement, les policiers n’avaient pas réussi à arrêter qui que ce soit ! ”

Le siège mondial en appelle aux autorités roumaines

Les durs traitements infligés aux Témoins de Jéhovah ont poussé les frères du siège mondial à adresser, en mars 1970, une lettre de quatre pages à l’ambassadeur de Roumanie aux États-Unis et, en juin 1971, une autre de six pages au chef de l’État, Nicolae Ceauşescu. La lettre destinée à l’ambassadeur disait notamment : “ C’est notre amour chrétien pour nos frères de Roumanie et notre inquiétude à leur sujet qui nous incitent à vous écrire. ” Après avoir mentionné les noms de sept Témoins emprisonnés pour leur foi, elle se poursuivait ainsi : “ Il nous a été rapporté que certaines des personnes précitées ont été traitées avec une grande cruauté en prison. [...] Les Témoins de Jéhovah ne sont pas des criminels. Nulle part dans le monde ils ne participent à des activités politiques ou subversives. Leur œuvre est de nature strictement religieuse. ” La lettre se terminait par un appel au gouvernement pour qu’il “ accorde un soulagement aux souffrances des Témoins de Jéhovah ”.

La lettre à l’attention du chef de l’État déclarait : “ En Roumanie, les Témoins de Jéhovah ne jouissent pas de la liberté religieuse garantie par la constitution. ” En réalité, ils risquaient des arrestations et des traitements cruels dès qu’ils faisaient part de leurs croyances à leur entourage ou qu’ils s’assemblaient pour étudier la Bible. Cette lettre attirait également l’attention sur une amnistie récente qui avait permis la libération de nombreux frères : “ Nous avions espéré qu’une nouvelle ère s’ouvrirait également pour [...] les Témoins de Jéhovah. Mais, malheureusement, cette attente a été déçue. Les nouvelles que nous recevons actuellement des quatre coins de la Roumanie viennent toutes confirmer ce triste constat : les Témoins de Jéhovah sont encore et toujours en butte à la persécution de l’État. Leurs foyers sont fouillés et leurs publications confisquées. Des hommes et des femmes sont arrêtés et soumis à des interrogatoires ; certains sont condamnés à de nombreuses années d’emprisonnement et d’autres traités avec brutalité. Pour quelle raison ? Parce qu’ils lisent et prêchent la Parole de Jéhovah Dieu. Voilà qui ne contribue pas à la bonne réputation d’un pays. Nous sommes extrêmement préoccupés par ce que subissent les Témoins de Jéhovah de Roumanie. ”

Deux livres ont été joints à la lettre : La vérité qui conduit à la vie éternelle, en roumain, et La vie éternelle dans la liberté des fils de Dieu, en allemand.

La situation a commencé à s’améliorer quelque peu pour les Témoins de Jéhovah après la signature des accords d’Helsinki par la Roumanie en 1975, lors de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Les signataires se sont engagés à respecter les droits de l’homme et à garantir les libertés fondamentales, y compris la liberté religieuse. Dès lors, seulement ceux qui refusaient d’effectuer le service militaire étaient arrêtés et emprisonnés.

Puis, en 1986, une nouvelle constitution a stipulé que personne, pas même quelqu’un investi d’une autorité, n’était en droit de pénétrer dans une demeure privée sans le consentement de ses occupants, excepté dans certaines circonstances prévues par la loi. Désormais, les Témoins pouvaient enfin se sentir davantage en sécurité lorsqu’ils tenaient des réunions chrétiennes — notamment le Mémorial — dans leurs foyers.

Des imprimeries clandestines

Pendant l’interdiction, la nourriture spirituelle était introduite secrètement en Roumanie, souvent sous forme d’imprimés ou de stencils, avant d’être reproduite localement. Parfois elle était déjà traduite en roumain ou en hongrois, mais il fallait généralement la traduire sur place à partir de l’anglais, du français, de l’allemand ou de l’italien. Des touristes, des étudiants étrangers ou des Roumains qui rentraient de voyage servaient de coursiers.

La Securitate s’est évertuée à les intercepter et à découvrir où les publications étaient produites. Les frères opéraient avec prudence dans différentes villes du pays. Ils avaient aménagé des cachettes insonorisées chez certains d’entre eux pour y installer le matériel de duplication. Ces cachettes se trouvaient par exemple derrière des cheminées, qui d’ordinaire étaient installées contre les murs. Après avoir subi des transformations, ces cheminées pouvaient être déplacées et donner accès aux endroits secrets.

Sándor Parajdi a participé à l’impression clandestine des textes du jour, du Ministère du Royaume, de La Tour de Garde et de Réveillez-vous ! à Tîrgu-Mureş. “ Nous y consacrions jusqu’à 40 heures par week-end, ne dormant que par périodes d’une heure à tour de rôle, se souvient Sándor. L’odeur des produits chimiques imprégnait nos vêtements et notre peau. Un jour, lorsque je suis rentré à la maison, mon fils de trois ans m’a fait remarquer : ‘ Papa, tu sens le texte du jour ! ’ ”

Traian Chira, un père de famille, dupliquait les publications et assurait leur transport dans le district de Cluj. On lui avait confié une vieille ronéo manuelle, appelée “ le moulin ”, pour laquelle l’heure de la retraite avait sonné depuis longtemps ! Elle fonctionnait encore, mais la qualité de l’impression laissait tellement à désirer que Traian a demandé à un frère mécanicien s’il pouvait la remettre en état. Alors que celui-ci inspectait la machine, sa mine grave en disait long : le vieux “ moulin ” était irréparable. Puis, subitement, son visage s’est illuminé et il a proposé : “ Je peux t’en fabriquer une nouvelle ! ” Au final, il a fait bien plus que cela. Il a installé un atelier dans le sous-sol de la maison d’une sœur et il s’est forgé un tour avec lequel il a fabriqué non pas une, mais plus de dix ronéos ! Ces nouveaux “ moulins ” ont été acheminés dans différentes régions du pays et ont rendu de bons services.

Dans les années 80, des frères ont appris à utiliser des machines plus performantes : des duplicateurs offset. Nicolae Bentaru a été le premier à bénéficier de cette formation, dont il a fait profiter d’autres par la suite. Comme c’était le cas chez les Bentaru, la production de publications était souvent une affaire familiale, chacun ayant ses tâches à accomplir. Bien entendu, garder ces opérations secrètes relevait de l’exploit, particulièrement à l’époque où la Securitate espionnait les gens et perquisitionnait à leur domicile. Il était essentiel de toujours agir vite ; les frères consacraient donc de longues heures le week-end à imprimer les publications et à les distribuer. Pourquoi le week-end ? Parce qu’en semaine ils travaillaient.

Ils devaient aussi être très prudents quand ils achetaient du papier. Même lorsqu’un client commandait une seule rame — c’est-à-dire 500 feuilles —, il devait expliquer pourquoi. Et nos imprimeries consommaient jusqu’à 40 000 feuilles par mois ! Les frères devaient donc se montrer circonspects avec les vendeurs. De plus, comme les contrôles routiers étaient fréquents, il ne fallait pas non plus qu’ils relâchent leur vigilance pendant le transport.

Les risques de la traduction

Quelques frères et sœurs habitant diverses régions de Roumanie traduisaient les publications dans les langues locales, dont l’ukrainien, qui était parlé dans le nord du pays par une minorité ethnique. Certains traducteurs étaient professeurs de langues quand ils sont venus à la vérité, tandis que d’autres avaient appris une langue étrangère par eux-​mêmes ou parfois en suivant des cours.

Dans les premiers temps, ils rédigeaient leurs textes à la main dans des cahiers qu’ils apportaient ensuite à Bistriţa, au nord, pour que leur traduction soit corrigée. Une ou deux fois par an, les traducteurs et les correcteurs se retrouvaient pour résoudre des questions concernant leurs activités. S’ils étaient interpellés, il n’était pas rare qu’ils soient fouillés, interrogés, battus et arrêtés. En cas d’arrestation, ils étaient mis en garde à vue quelques heures ou quelques jours, puis relâchés et à nouveau arrêtés — une ruse visant à les intimider. Certains ont été soit assignés à résidence, soit obligés de se présenter chaque jour au poste de police. Plus d’un a été emprisonné, notamment Dumitru et Doina Cepănaru, ainsi que Petre Ranca.

Dumitru Cepănaru était professeur de roumain et d’histoire ; quant à sa femme, Doina, elle était médecin. La Securitate a fini par mettre la main sur eux. Ils ont été arrêtés et incarcérés dans des prisons différentes pendant sept ans et demi. Doina en a passé cinq en isolement cellulaire. D’ailleurs, leurs noms figuraient dans la lettre précitée que le siège mondial a adressée à l’ambassadeur de Roumanie aux États-Unis. Alors qu’elle était en détention, Doina a écrit 500 lettres d’encouragement à son mari et à des sœurs emprisonnées.

Un an après l’arrestation de Dumitru et de Doina, la mère de Dumitru, Sabina Cepănaru, a également été arrêtée et elle a passé six ans moins deux mois en prison. Le seul de la famille à être resté libre, bien que surveillé de près par la Securitate, a été le mari de Sabina, pourtant lui aussi Témoin de Jéhovah. À ses risques et périls, il rendait régulièrement visite aux trois membres de sa famille.

En 1938, Petre Ranca avait été nommé secrétaire du bureau des Témoins de Jéhovah de Roumanie. Cette fonction, sans parler de ses activités de traducteur, le plaçait en tête de liste parmi les personnes recherchées par les agents de la Securitate, qui l’ont finalement trouvé en 1948. Par la suite ils l’ont arrêté à maintes reprises. En 1950, il a été jugé aux côtés de Martin Magyarosi et de Pamfil Albu. Accusé d’appartenir à un réseau d’espionnage anglo-américain, Petre a passé 17 années dans certaines des prisons les plus dures du pays — à savoir celles d’Aiud, de Gherla et de Jilava — et trois ans en résidence surveillée dans le district de Galaţi. Il n’en reste pas moins que, jusqu’à la fin de sa vie terrestre, le 11 août 1991, ce frère fidèle s’est entièrement investi dans le service de Jéhovah.

Les œuvres pleines d’amour de tels chrétiens intègres nous rappellent les paroles suivantes : “ Dieu n’est pas injuste pour oublier votre œuvre et l’amour que vous avez montré pour son nom, en ce que vous avez servi les saints et que vous continuez à les servir. ” — Héb. 6:10.

Des assemblées en plein air

Au cours des années 80, les frères ont commencé à se réunir en groupes plus importants — parfois par milliers — dès qu’ils en avaient la possibilité, par exemple à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement. Lors des mariages ils dressaient une grande tente à la campagne, dans un endroit propice, et ils en décoraient l’intérieur avec de beaux tapis ayant pour motifs des scènes et des versets bibliques. Des tables et des chaises étaient installées pour les nombreux “ invités ” ; une image agrandie du logo de La Tour de Garde et du texte de l’année étaient affichés en fond de scène. Les proclamateurs de la région fournissaient la nourriture en fonction de leurs moyens. Ainsi, tous les assistants prenaient part à un festin tant physique que spirituel.

L’assemblée commençait par le discours de mariage ou d’enterrement et ensuite des exposés traitant de différents sujets bibliques étaient présentés. Comme, parfois, des orateurs ne pouvaient arriver à l’heure, des frères expérimentés étaient toujours prêts à les remplacer. Ils improvisaient alors un discours à l’aide de la Bible uniquement, car ils ne disposaient pas de copies des plans.

Pendant l’été, les citadins affluaient à la campagne pour se détendre. Les Témoins de Jéhovah aussi, mais ils en profitaient pour tenir de petites assemblées sur les collines boisées. Ils organisaient même des drames bibliques en costumes d’époque.

La côte de la mer Noire, autre lieu de villégiature très fréquenté, offrait quant à elle un endroit tout trouvé pour les baptêmes. Comment les frères baptisaient-​ils les nouveaux sans trop attirer l’attention ? L’une de leurs méthodes consistait à simuler un “ jeu ” : les candidats au baptême ainsi que quelques proclamateurs baptisés formaient un cercle dans l’eau et se lançaient un ballon. L’orateur se tenait au milieu d’eux et prononçait son discours, après quoi les candidats étaient immergés, discrètement bien sûr.

Une salle pour apiculteurs

En 1980, les frères de Negreşti-Oaş, une ville du nord-ouest de la Roumanie, ont eu une idée géniale pour obtenir la permission de construire une Salle du Royaume. À cette époque, le gouvernement encourageait l’apiculture. Un groupe de frères qui possédaient des ruches ont eu l’idée de fonder une association locale d’apiculteurs, ce qui leur donnerait le droit de bâtir un lieu de réunion.

Après avoir consulté les anciens de la circonscription, ces frères sont allés s’inscrire auprès de l’Association des apiculteurs de Roumanie. Puis ils se sont rendus à la mairie pour demander la permission de construire un lieu de réunion. La municipalité a approuvé sans hésitation l’édification d’un bâtiment en bois mesurant 34 mètres sur 14. Les apiculteurs étaient aux anges et, grâce à tous ceux qui leur ont prêté main-forte, ils ont pu achever les travaux en trois mois. Ils ont même été tout particulièrement félicités par la municipalité !

Comme l’inauguration allait réunir une assistance nombreuse et durer plusieurs heures, les frères ont demandé l’autorisation d’utiliser la salle pour fêter la moisson des blés. Plus de 3 000 Témoins venus des quatre coins du pays se sont rassemblés à cette occasion. Les autorités municipales n’en revenaient pas que tant de monde se soit déplacé pour aider à la récolte et participer aux “ réjouissances ” qui allaient suivre.

Bien entendu, la fête s’est révélée être une assemblée très riche sur le plan spirituel. Et vu la raison d’être officielle du bâtiment, les abeilles étaient souvent mentionnées, dans un sens spirituel évidemment. Les orateurs soulignaient la réputation de travailleur de cet insecte, ses talents de navigateur et d’organisateur, le courage avec lequel il est prêt à se sacrifier pour protéger la ruche, et bien d’autres de ses caractéristiques.

Après l’inauguration, la Salle des abeilles, comme on l’appelait, a continué à être utilisée jusqu’à la fin de la période d’interdiction, et encore trois ans après.

Des visites de zone qui favorisent l’unité

Pendant des décennies, les communistes ont fait tout ce qu’ils ont pu pour semer le doute et la désunion parmi le peuple de Dieu, ainsi que pour paralyser la communication. Comme nous l’avons vu, ils y sont arrivés dans une certaine mesure. D’ailleurs, des divisions subsistaient encore dans les années 80. Les visites des surveillants de zone, de même qu’un changement dans le climat politique, ont toutefois contribué à améliorer la situation.

À compter du milieu des années 70, Gerrit Lösch — alors membre du Comité de la filiale d’Autriche, mais aujourd’hui au Collège central — s’est rendu en Roumanie à plusieurs reprises. En 1988, il y est allé par deux fois avec Theodore Jaracz et Milton Henschel, des représentants du Collège central. Jon Brenca, qui faisait partie de la famille du Béthel des États-Unis à cette époque, les a accompagnés pour servir d’interprète. Après ces visites encourageantes, des milliers de frères qui s’étaient tenus à l’écart du peuple de Jéhovah l’ont rejoint résolument.

Pendant ce temps, de plus en plus de changements politiques secouaient l’Europe communiste, ébranlant ses fondements mêmes. Dans la plupart des pays concernés, le régime communiste s’est effondré à la fin des années 80. La crise que connaissait la Roumanie a atteint son paroxysme en 1989, lorsque la population s’est révoltée contre ce régime. Le 25 décembre, le chef du parti, Nicolae Ceauşescu, et sa femme ont été exécutés. L’année suivante, un nouveau gouvernement a été mis en place.

Enfin la liberté !

Comme toujours, alors que le paysage politique se modifiait, les Témoins de Jéhovah sont restés strictement neutres. Il n’empêche que ces changements politiques ont apporté des libertés auxquelles la plupart des 17 000 Témoins de Roumanie avaient seulement rêvé jusqu’alors. Le Comité du pays a écrit : “ Après 42 longues années, nous sommes heureux d’envoyer un rapport réjouissant sur l’activité en Roumanie. Nous sommes reconnaissants à notre Père plein d’amour, Jéhovah Dieu, qui a écouté les prières ferventes de millions de nos frères et a mis fin à une persécution impitoyable. ”

Le 9 avril 1990, les frères ont été enregistrés officiellement sous le nom d’Organisation religieuse des Témoins de Jéhovah. Ils ont immédiatement organisé des assemblées de circonscription dans tout le pays. Plus de 44 000 personnes y ont assisté, soit plus du double du nombre des proclamateurs, qui avait augmenté jusqu’à avoisiner les 19 000. Effectivement, un rapport signalait qu’entre septembre 1989 et septembre 1990 les Témoins de Jéhovah avaient connu un accroissement de 15 % !

À ce moment-​là, un Comité de pays supervisait l’œuvre sous la direction du Béthel d’Autriche. Cependant, en 1995, après une interruption de 66 ans, il y avait à nouveau un siège national en Roumanie.

Soutenus dans les difficultés économiques

Au début des années 80, l’économie roumaine avait décliné et les biens de consommation manquaient. Puis, quand le régime communiste a été renversé, elle s’est écroulée totalement. La population s’est retrouvée dans une situation désastreuse. Les Témoins d’Autriche et de Hongrie, ainsi que de ce qui était alors la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, se sont mobilisés et ont envoyé 70 tonnes de nourriture et de vêtements à leurs frères de Roumanie, qui en ont fait profiter aussi leurs voisins non Témoins. “ Chaque fois que des secours étaient apportés, pouvait-​on lire dans un rapport, les frères saisissaient l’occasion pour donner un témoignage complet. ”

En plus des secours matériels, de la nourriture spirituelle a été acheminée par camion. Il y en avait une telle abondance que ceux qui étaient habitués à disposer d’une seule Tour de Garde pour tout un groupe en ont eu les larmes aux yeux. Qui plus est, à partir du numéro du 1er janvier 1991, La Tour de Garde en roumain allait être publiée simultanément avec l’édition anglaise, et de surcroît en couleurs ! Une augmentation phénoménale du nombre de périodiques diffusés dans le territoire en a résulté.

Les groupes de discussion font place aux réunions

Durant la persécution, certaines réunions, comme l’École du ministère théocratique, ne pouvaient être dirigées de la manière habituelle. Les frères se réunissaient en petits groupes, lisaient les portions de publications à examiner et en discutaient ensemble. Les groupes ne disposaient généralement que de quelques exemplaires de ces publications, voire d’un seul.

“ Le Manuel pour l’École du ministère théocratique a été imprimé en roumain en 1992, explique Jon Brenca, actuellement membre du Comité de la filiale. Auparavant, quelques frères disposaient d’une version imprimée localement. En 1991, nous avons commencé à former des anciens pour leur apprendre à diriger l’École du ministère théocratique et à conseiller les élèves. Cependant, ils hésitaient souvent à donner des conseils, qui à l’époque étaient dispensés depuis l’estrade. ‘ Nos frères vont se vexer si nous les conseillons devant tout le monde ’, disaient-​ils. ”

Parfois, il surgissait des malentendus. Par exemple, en 1993, alors qu’un diplômé de l’École de formation ministérielle était de passage dans une congrégation, un ancien l’a abordé. Il lui a montré les instructions contenues dans le programme de l’École du ministère théocratique mentionnant que les grandes congrégations pouvaient avoir une deuxième école. S’imaginant que cette disposition concernait les élèves d’un niveau plus avancé, l’ancien lui a confié : “ Je me demande quand nous pourrons commencer à présenter des exposés dans cette école. Dans notre congrégation, il y a des frères expérimentés qui seraient capables d’atteindre un niveau supérieur. ” Le frère de passage a gentiment clarifié la question.

“ Les assemblées de circonscription ont été très formatrices, car elles incluent une École du ministère théocratique modèle dirigée par le surveillant de district, a expliqué Jon Brenca. Il aura malgré tout fallu plusieurs années avant que tous s’adaptent pleinement à cette nouvelle manière de faire. ”

En 1993, l’École des pionniers a été mise en place dans le pays, ce qui a permis à des milliers d’entre eux de progresser spirituellement et de gagner en efficacité dans leur ministère. Il faut admettre qu’être pionnier en Roumanie n’est pas une mince affaire, vu qu’il est pratiquement impossible de trouver un travail à temps partiel. Il n’empêche qu’en 2004 plus de 3 500 frères et sœurs participaient à une forme ou à une autre du service de pionnier.

De l’aide pour les surveillants itinérants

En 1990, frères Roberto Franceschetti et Andrea Fabbi, du Béthel d’Italie, ont été affectés en Roumanie. Leur objectif était d’aider à réorganiser l’œuvre. “ À l’époque, j’avais 57 ans, explique frère Franceschetti. À cause de la situation économique du pays, ça n’a pas été facile pour ma femme, Imelda, et moi.

“ Lorsque nous sommes arrivés à Bucarest, le 7 décembre 1990, à 19 heures, la température était de − 12 °C et la ville était sous la neige. Nous avons rencontré des frères dans le centre-ville et nous leur avons demandé où nous pourrions passer la nuit. Leur réponse : ‘ Nous ne savons pas encore ! ’ Toutefois, une jeune femme dont la mère et la grand-mère étaient Témoins a entendu notre conversation et nous a tout de suite invités chez elle. Nous y sommes restés plusieurs semaines, jusqu’à ce que nous trouvions un appartement convenable en ville. Nos frères nous ont aussi apporté un soutien moral et des encouragements, ce qui nous a permis de nous adapter à notre nouvelle affectation. ”

Roberto, diplômé en 1967 de la 43classe de Guiléad, et sa femme se sont dépensés près de neuf ans en Roumanie. Sans compter, ils ont fait profiter les frères de leurs dizaines d’années d’expérience au service de Jéhovah. “ En janvier 1991, continue Roberto, le Comité du pays a organisé une réunion avec tous les surveillants itinérants, soit 42 frères qui desservaient pour la plupart des petites circonscriptions de six ou sept congrégations. Jusque-​là, ils rendaient visite à chaque congrégation sur deux week-ends consécutifs, en général sans leur femme. À l’époque, les surveillants de circonscription exerçaient un emploi afin de subvenir aux besoins de leur famille et de ne pas éveiller de soupçons de la part des autorités. Mais, à présent, ils pouvaient suivre le même programme que les surveillants itinérants d’autres pays en desservant les congrégations du mardi au dimanche.

“ Après avoir expliqué cette nouvelle disposition, j’ai dit aux 42 frères : ‘ Que ceux qui veulent toujours être surveillants itinérants lèvent la main. ’ Aucune main ne s’est levée ! Ainsi, en un instant, nous avons perdu tous les surveillants itinérants du pays ! Cependant, certains ont reconsidéré la question dans la prière et ont changé d’avis. Des diplômés de l’École de formation ministérielle venus d’Allemagne, d’Autriche, des États-Unis, de France et d’Italie ont également apporté leur concours. ”

Jon Brenca, qui avait passé dix ans au Béthel de Brooklyn, a été envoyé en Roumanie, son pays d’origine. Au début, il a été surveillant de circonscription et de district. Il se souvient : “ En juin 1991, j’ai commencé à coopérer en tant que surveillant de district avec les surveillants de circonscription qui étaient désireux d’œuvrer à plein temps, selon les nouvelles instructions. Je me suis vite rendu compte qu’ils n’étaient pas les seuls à devoir opérer de grands changements dans leur manière de penser. Les congrégations aussi ont connu un rodage difficile. ‘ Ce sera impossible pour les proclamateurs de soutenir l’activité de prédication tous les jours ’, pensaient certains anciens. Pourtant, chacun y a mis du sien et s’est adapté. ”

Les frères ont aussi été formés par l’École du ministère du Royaume et l’École de formation ministérielle. Pendant une École du ministère du Royaume qui s’est tenue à Baia Mare, un ancien est allé voir l’un des instructeurs et lui a dit en pleurant : “ Je suis ancien depuis de nombreuses années, mais je viens juste de comprendre vraiment comment il faut effectuer les visites pastorales. Je remercie le Collège central pour cet enseignement merveilleux. ”

Les frères avaient entendu parler de l’École de formation ministérielle, mais organiser un jour une classe dans leur pays semblait trop beau pour être vrai. On peut donc imaginer leur enthousiasme quand, en 1999, leur rêve est devenu réalité ! Depuis lors, il y a eu huit autres classes. Des frères d’expression roumaine venus de Moldavie et d’Ukraine, des pays voisins, en ont fait partie.

“ J’ai trouvé la vérité ! ”

Aujourd’hui, beaucoup reçoivent le témoignage régulièrement. Cependant, quelque sept millions de personnes — soit un tiers de la population — habitent des territoires non attribués. Dans plusieurs régions, la bonne nouvelle n’a jamais été prêchée. La moisson est encore grande (Mat. 9:37) ! Désireux d’apporter leur aide, des pionniers permanents et spéciaux ainsi que des anciens se sont installés dans certaines de ces régions. En conséquence, davantage de groupes et de congrégations ont été formés. De plus, le Béthel a invité des congrégations à participer à des campagnes spéciales de prédication pour parcourir ces territoires. Comme dans d’autres pays, ces efforts particuliers se sont avérés très fructueux.

Dans un village isolé, une femme de 83 ans a reçu de l’une de ses filles une Tour de Garde que celle-ci avait trouvée dans une poubelle à Bucarest. La dame âgée a non seulement lu le périodique, mais aussi pris tous les versets dans sa bible qui, soit dit en passant, contenait le nom divin. Dès qu’elle a eu l’occasion de parler à sa fille, elle s’est exclamée : “ Ma chérie, j’ai trouvé la vérité ! ”

Elle s’est aussi entretenue avec le prêtre de la paroisse ; elle voulait savoir pourquoi il n’enseignait pas le nom de Dieu. Au lieu de répondre, il lui a demandé la permission d’emprunter sa bible et sa Tour de Garde pour les examiner. La dame a eu l’amabilité de les lui prêter, mais ne les a plus jamais revus. Plus tard, quand des Témoins de Jéhovah sont venus prêcher dans son village, elle les a invités à entrer chez elle et une étude de la Parole de Dieu sur la base du livre Connaissance a été commencée. Elle a fait d’excellents progrès et, aujourd’hui, elle est dans la vérité avec ses filles.

Enfin libres de se rassembler !

En 1990, les Témoins de Jéhovah de Roumanie étaient au comble de la joie quand ils se sont réunis à l’occasion des assemblées de district “ La langue pure ”. Nombre d’entre eux assistaient pour la toute première fois à une assemblée. Elles ont eu lieu dans deux grandes villes : Braşov et Cluj-Napoca. Deux semaines auparavant, plus de 2 000 délégués avaient assisté à une assemblée de district en langue roumaine tenue à Budapest, en Hongrie. Même si les assemblées organisées en Roumanie n’ont duré qu’un jour, l’auditoire a été ravi d’entendre deux représentants du Collège central, Milton Henschel et Theodore Jaracz. Plus de 36 000 personnes y ont assisté et il y a eu 1 445 baptêmes, c’est-à-dire environ 8 % des proclamateurs !

En 1996, Bucarest devait accueillir l’assemblée internationale “ Messagers de la paix divine ”. Cependant, des membres du clergé orthodoxe se sont démenés pour empêcher qu’elle ait lieu. Avec l’aide de leurs partisans, ils ont placardé des affiches contenant des messages haineux dans toute la ville : sur des églises, sur des immeubles, dans des ruelles et ailleurs. On pouvait lire sur l’une d’elles : “ L’orthodoxie ou la mort ”, et sur une autre : “ Nous demanderons aux autorités d’annuler cette assemblée. VENEZ NOUS AIDER À DÉFENDRE LA FOI DE NOS ANCÊTRES. Que Dieu nous vienne en aide ! ”

Étant donné les circonstances, les responsables municipaux se sont ravisés et n’ont pas permis que l’assemblée se tienne à l’endroit prévu, à Bucarest. Les frères ont malgré tout trouvé à Braşov et à Cluj-Napoca des lieux où ils pourraient se réunir les 19, 20 et 21 juillet. Ils ont également pu organiser des assemblées plus petites à Bucarest et à Baia Mare pour ceux qui ne pouvaient pas faire le voyage.

Les journalistes ont été impressionnés de voir que les frères ont gardé leur sang-froid et ont tout réorganisé en très peu de temps. C’est ainsi que, la veille de l’assemblée, les commentaires des médias ont été très positifs, malgré les invectives du clergé. Même les reportages défavorables des jours précédents ont eu du bon, car ils ont mis en évidence le nom de Jéhovah. “ En trois semaines, a dit un frère de Bucarest, nous nous sommes fait connaître dans tout le pays autant qu’en plusieurs années de témoignage. Les moyens que l’Église orthodoxe roumaine a employés pour nous faire obstacle ont finalement tourné à l’avantage de la bonne nouvelle. ” Au total, 40 206 personnes étaient présentes aux assemblées et 1 679 ont été baptisées.

En 2000, lors des assemblées de district “ Pratiquants de la Parole de Dieu ”, les assistants se sont grandement réjouis de recevoir Les Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau en roumain. Un jeune frère reconnaissant a confié : “ Je me suis encore plus rapproché de Jéhovah en lisant son nom dans mon exemplaire de cette traduction. Je remercie du fond du cœur Jéhovah et son organisation. ”

De la Salle des abeilles à la Salle d’assemblées

À l’exception de la fameuse Salle des abeilles, aucune Salle du Royaume n’avait été construite pendant l’ère communiste. Par conséquent, quand l’interdiction a été levée, le besoin en Salles du Royaume était colossal. Au cours de ces dernières années, les frères ont construit en moyenne une salle tous les dix jours, dans une large mesure grâce au Fonds pour Salles du Royaume. Simples et fonctionnelles, elles sont bâties sur la base de modèles standard et avec des matériaux facilement disponibles. Comme dans d’autres pays, la bonne organisation et l’esprit de volontariat manifesté pendant les constructions — surtout les constructions rapides — donnent un excellent témoignage aux voisins, aux fournisseurs et aux autorités municipales.

Dans le district de Mureş, les frères ont déposé une demande de raccordement au réseau électrique pour une Salle du Royaume. “ Pourquoi êtes-​vous si pressés ? a demandé un fonctionnaire. Il faut compter au moins un mois pour l’obtention d’un tel permis. D’ici là, vous serez loin d’avoir fini. ” Sur ce, les frères sont allés voir le responsable.

À son tour, il s’est exclamé : “ Pourquoi se presser ? Vous venez à peine de poser les fondations, n’est-​ce pas ? ”

“ C’est vrai, ont répondu les frères, mais ça, c’était la semaine dernière. Maintenant, nous en sommes au toit ! ” Cela a fait tilt dans l’esprit du responsable, et il a délivré le permis le lendemain même.

La première Salle d’assemblées de Roumanie a été construite à Negreşti-Oaş. Elle peut accueillir 2 000 personnes dans la salle principale et 6 000 autres dans un amphithéâtre à ciel ouvert. Frère Lösch s’est beaucoup réjoui d’avoir été invité à prononcer le discours d’inauguration, qu’il a d’ailleurs donné en roumain. Plus de 90 congrégations appartenant à cinq circonscriptions avaient participé à la construction. En juillet 2003, avant même l’inauguration, 8 572 personnes avaient assisté à une assemblée de district en ce lieu. Il va de soi que la Salle d’assemblées était un sujet brûlant pour les orthodoxes du voisinage. Tous les commentaires n’ont pas pour autant été négatifs. Même des prêtres ont félicité les frères pour leur esprit volontaire.

Aucune arme n’aura de succès contre les serviteurs de Dieu

Lorsque Károly Szabó et József Kiss sont retournés dans leur pays en 1911, ils étaient loin de s’imaginer à quel point Jéhovah allait bénir l’œuvre qu’ils entamaient. En effet, au cours des dix dernières années, environ 18 500 baptêmes ont été enregistrés, ce qui porte à 38 423 le nombre de proclamateurs. De plus, 79 370 personnes ont assisté au Mémorial en 2005 ! Pour répondre à cet accroissement, un nouveau Béthel a été inauguré en 1998, puis agrandi en 2000. Un complexe de trois Salles du Royaume a aussi été construit sur le même terrain.

Le fondement de cet accroissement remarquable a toutefois été posé pendant des périodes de persécutions si cruelles qu’on ne peut les décrire. Le mérite en revient donc exclusivement à Jéhovah, à l’ombre de qui ses fidèles Témoins sont venus chercher refuge (Ps. 91:1, 2). À leur sujet il a promis : “ Toute arme qui sera formée contre toi n’aura pas de succès, et toute langue qui se dressera contre toi en jugement, tu la condamneras. Voilà la possession héréditaire des serviteurs de Jéhovah. ” — Is. 54:17.

Dans le but de conserver cette “ possession héréditaire ” inestimable, les Témoins de Jéhovah de Roumanie sont résolus à honorer la mémoire de tous ceux qui ont souffert avec larmes à cause de la justice, en imitant leur foi précieuse. — Is. 43:10 ; Héb. 13:7.

[Note]

^ § 9 Certaines régions de Roumanie ont appartenu à différents pays selon les époques. Par souci de simplicité, nous les rattacherons seulement à la Roumanie dans ce récit.

[Encadré, page 72]

Données générales

Le pays : La Roumanie est grosso modo de forme ovale et s’étend sur 720 kilomètres d’est en ouest. Sa superficie est de 237 500 kilomètres carrés. Dans le sens des aiguilles d’une montre et à partir du nord, ses voisines sont l’Ukraine, la Moldavie, la Bulgarie, la Serbie-et-Monténégro et la Hongrie.

La population : Les 22 millions d’habitants offrent une grande variété de groupes ethniques, étrangers ou indigènes, tels que les Roumains, les Hongrois, les Allemands, les Juifs, les Ukrainiens et les Tsiganes. Au moins 70 % de la population est orthodoxe roumaine.

La langue : La langue officielle est le roumain. Elle est issue du latin, qui était parlé par les Romains de l’Antiquité.

Les sources de revenus : Environ 40 % de la population active travaille dans l’agriculture, l’exploitation forestière ou la pêche ; 25 % dans l’industrie, l’exploitation minière ou le bâtiment ; et 30 % dans le secteur tertiaire.

L’alimentation : Les produits agricoles sont essentiellement le maïs, la pomme de terre, la betterave à sucre, le blé et le raisin. Pour ce qui est de la viande, on consomme surtout du mouton, mais aussi du bœuf, du porc et de la volaille.

Le climat : Les températures et les précipitations varient suivant les régions. Dans l’ensemble, le climat est tempéré et se décline en quatre saisons.

[Encadré, page 74]

La Roumanie et sa diversité régionale

En grande partie rurale, la Roumanie est composée de plusieurs régions riches en histoire et très diverses, comme le Maramureş, la Moldavie, la Transylvanie et la Dobroudja. Le Maramureş, au nord, est le seul territoire à ne jamais avoir été envahi par les Romains. Ses habitants, qui vivent dans des villages de montagne isolés, ont préservé la culture de leurs ancêtres, les Daces. La Moldavie, à l’est, est renommée pour ses vins, ses sources d’eau minérale et ses monastères du XVsiècle. La Valachie, au sud, accueille la plus grande ville du pays : Bucarest, la capitale.

La Transylvanie, au centre, est avant tout un plateau encerclé par le grand arc des Carpates. Richement parée de cités, de ruines et de châteaux médiévaux, elle est la région de naissance du légendaire Dracula, représenté sous les traits d’un vampire. Cette fiction s’inspire de deux princes du XVsiècle : Vlad Dracul, alias Vlad le Diable, et Vlad Ţepeş, surnommé Vlad l’Empaleur pour sa manière d’exécuter ses ennemis. Bien évidemment, les visites guidées de la région incluent leurs nombreux repaires.

Quant à la Dobroudja, qui côtoie la mer Noire sur environ 250 kilomètres, elle s’enorgueillit d’être l’hôte du magnifique delta du Danube. Deuxième fleuve d’Europe pour sa longueur, le Danube sert de frontière sud à la Roumanie et draine la majorité des eaux du pays. Avec ses 4 300 kilomètres carrés, son delta constitue la plus grande zone humide d’Europe. D’une diversité écologique remarquable, il abrite plus de 300 espèces d’oiseaux, quelque 150 sortes de poissons et 1 200 variétés végétales, depuis le saule jusqu’au nénuphar.

[Encadré, page 87]

Du culte de Zamolxis à l’orthodoxie roumaine

Durant les derniers siècles avant notre ère, le territoire actuel de la Roumanie était peuplé par les Gètes et les Daces, des tribus apparentées. Leur dieu Zamolxis était, semble-​t-​il, une divinité du ciel et des morts. De nos jours, presque tous les Roumains se réclament du christianisme. Comment une telle conversion s’est-​elle produite ?

Pour la Rome conquérante, l’union géto-dace représentait une grande menace dans la péninsule des Balkans. Son roi, appelé le Décébale, a infligé deux défaites à l’armée romaine. Toutefois, au début du IIsiècle de notre ère, Rome s’est imposée et a annexé la région. Cette nouvelle province, appelée Dacie, a connu une grande prospérité. Les colons romains y ont afflué, ont propagé le latin et se sont unis par mariage aux Daces. De leurs unions sont nés les ancêtres des Roumains.

Les colons, les négociants et les commerçants ont introduit un christianisme de nom dans la région. En 332 de notre ère, l’influence de la chrétienté s’est étendue quand l’empereur Constantin a signé un traité de paix avec les Goths, une confédération de tribus germaniques qui vivaient au nord du Danube.

Après le grand schisme de 1054, quand l’Église d’Orient s’est séparée de l’Église romaine, la région s’est retrouvée sous la forte influence de l’Église orthodoxe d’Orient, la mère de l’Église orthodoxe roumaine. À la fin du XXsiècle, cette dernière, avec ses plus de 16 millions de fidèles, était l’Église orthodoxe indépendante la mieux représentée dans les Balkans.

[Encadré/Illustration, pages 98-100]

Nous chantions pendant que les bombes pleuvaient

Teodor Miron

Naissance : 1909

Baptême : 1943

Parcours : Il a découvert la vérité biblique en prison. Il a passé 14 ans dans des camps de concentration nazis, ainsi que dans des camps de travail et des prisons communistes.

Le 1er septembre 1944, alors que les troupes allemandes battaient en retraite, 152 frères ainsi que d’autres prisonniers ont été évacués du camp de concentration de Bor, en Serbie, pour être emmenés en Allemagne. J’étais parmi eux. Certains jours, nous n’avions rien à manger. Quand nous trouvions quelque chose à nous mettre sous la dent, comme les betteraves que nous ramassions sur les routes aux abords des champs, nous partagions tout équitablement. Si l’un de nous était trop faible pour marcher, les plus forts le transportaient tant bien que mal à l’aide d’une brouette.

Nous avons fini par atteindre une gare où nous avons pu nous reposer pendant quatre heures. Puis nous avons déchargé deux wagons de marchandises pour pouvoir y prendre place. Nous étions obligés de rester debout. Nous n’avions pas de vêtement chaud, mais juste une couverture chacun, qui nous a servi de parapluie étant donné que les wagons n’étaient pas couverts. Nous avons voyagé dans ces conditions toute la nuit. Le lendemain matin, à 10 heures, alors que nous approchions d’un village, deux avions se sont mis à bombarder la locomotive, ce qui a immobilisé le train. Nous étions dans les deux wagons de tête, mais aucun de nous n’a été tué. Finalement, une autre locomotive a été attelée à notre wagon, et nous avons continué notre voyage.

À quelque 100 kilomètres de là, nous avons dû attendre deux heures à une gare. C’est alors que nous avons vu des hommes et des femmes qui portaient des paniers pleins de pommes de terre. “ Tiens, des vendeurs de patates ! ” avons-​nous pensé. Mais non ! C’étaient nos frères et sœurs spirituels. Ils avaient eu vent de ce qui nous arrivait et ils se doutaient bien que nous aurions faim. Ils nous ont donné à chacun trois grosses pommes de terre bouillies, un morceau de pain et un peu de sel. Cette “ manne tombée du ciel ” nous a donné des forces pour les 48 heures qui restaient avant d’arriver à Szombathely, en Hongrie. Le mois de décembre venait de débuter.

Nous avons passé l’hiver à Szombathely ; nous avons survécu principalement grâce au maïs que nous trouvions sous la neige. En mars et en avril 1945, cette belle ville a été bombardée. Des corps mutilés jonchaient les rues. Beaucoup de gens ont été ensevelis sous les décombres, et parfois nous entendions leurs appels au secours. À l’aide de pelles et d’autres outils, nous avons réussi à en dégager quelques-uns.

Le bâtiment où nous logions a été épargné par les bombes, qui tombaient sur les bâtiments voisins. Chaque fois que les sirènes annonçaient un bombardement, tout le monde se précipitait, terrifié, à la recherche d’un abri. Au début, nous courions aussi dans tous les sens, mais nous avons vite compris que c’était inutile, car aucun endroit n’était sûr. Nous sommes donc restés sur place tout en nous efforçant de conserver notre calme. Les gardiens n’ont pas tardé à demeurer à nos côtés. Ils nous disaient que notre Dieu les protégerait peut-être eux aussi. Lors de notre dernière nuit à Szombathely, le 1er avril, des bombes pleuvaient comme jamais auparavant. Nous sommes malgré tout restés dans le bâtiment où nous étions, louant Jéhovah par nos chants et le remerciant de nous accorder un cœur calme. — Phil. 4:6, 7.

Le lendemain, on nous a intimé l’ordre de partir en Allemagne. Nous disposions de deux voitures à cheval avec lesquelles nous avons parcouru une centaine de kilomètres, tantôt en roulant, tantôt en marchant. Nous sommes finalement arrivés dans une forêt distante de 13 kilomètres du front russe. Nous avons passé la nuit dans la propriété d’un homme riche, et le lendemain nos gardiens nous ont libérés. Reconnaissants à Jéhovah de nous avoir préservés tant physiquement que spirituellement, nous nous sommes dit adieu, les larmes aux yeux. Puis chacun est retourné chez soi, certains à pied, d’autres en train.

[Encadré, page 107]

L’amour chrétien en action

En 1946, l’est de la Roumanie a été frappé par la famine. Bien que pauvres, les Témoins de Jéhovah vivant dans des régions du pays moins touchées par la Deuxième Guerre mondiale et ses contrecoups ont offert de la nourriture, des vêtements et de l’argent à leurs frères nécessiteux. Par exemple : à Sighetul Marmaţiei, une ville proche de la frontière ukrainienne, des Témoins travaillaient dans une mine de sel. Ils ont acheté du sel pour le revendre dans les villes voisines et, avec les bénéfices, ils se sont procuré du maïs. Dans le même temps, les Témoins de Jéhovah des États-Unis, de Suède, de Suisse, et d’autres pays ont fait don de cinq tonnes de nourriture.

[Encadré/Illustration, pages 124, 125]

Nous nous sommes souvenus de 1 600 versets bibliques

Dionisie Vârciu

Naissance : 1926

Baptême : 1948

Parcours : À compter de 1959, il a passé un peu plus de cinq ans dans des prisons et des camps de travail. Il est décédé en 2002.

Pendant notre incarcération, nous étions autorisés à communiquer avec nos familles, et elles avaient la permission de nous envoyer un colis de cinq kilos par mois. Toutefois, seulement ceux qui avaient terminé leur travail à temps recevaient leur colis. Nous partagions toujours la nourriture équitablement, c’est-à-dire le plus souvent en 30 parts. Une fois, c’est ce que nous avons fait avec deux pommes. C’est vrai que les portions étaient petites, mais elles ont quand même permis de calmer un peu notre faim.

Bien que nous n’ayons ni bible ni auxiliaire d’étude biblique, nous sommes restés forts spirituellement en nous remémorant ce que nous avions appris avant notre détention et en en parlant entre nous. Nous avions décidé que, chaque matin, un frère nous rappelle un verset biblique. Ensuite, nous le répétions à voix basse et le méditions pendant la promenade matinale obligatoire, qui durait de 15 à 20 minutes. De retour dans notre cellule — nous étions une vingtaine entassés dans une pièce mesurant deux mètres sur quatre —, nous commentions ce verset pendant environ une demi-heure. À nous tous, nous avons pu nous souvenir de 1 600 versets bibliques. Le midi, nous examinions différents sujets, ainsi que 20 à 30 versets qui s’y rapportaient. Tous, nous apprenions par cœur ces pensées.

Au début, un frère s’est cru trop vieux pour mémoriser tant de versets bibliques. Toutefois, il avait sous-estimé ses capacités. En effet, à force de nous entendre répéter une vingtaine de fois les passages à voix haute, il a pu lui aussi se souvenir d’un grand nombre de versets et les réciter, à sa plus grande joie !

Certes nous étions physiquement affamés et affaiblis, mais Jéhovah nous a nourris et fortifiés spirituellement. Malgré cela, même après notre libération il nous a fallu garder une bonne spiritualité, car la Securitate nous harcelait sans cesse dans l’espoir de briser notre foi.

[Encadré, pages 132, 133]

Méthodes de duplication

Pendant les années 50, la méthode la plus simple et la plus pratique pour dupliquer les auxiliaires d’étude de la Bible était le recopiage à la main, souvent à l’aide de papier carbone. Bien que lente et fastidieuse, cette technique avait un côté particulièrement bénéfique : les copistes mémorisaient une bonne partie du texte. S’ils se retrouvaient en prison, ils pouvaient alors transmettre de nombreux encouragements spirituels. Les frères utilisaient aussi des machines à écrire, mais elles devaient être déclarées à la police et étaient difficiles à obtenir.

La ronéo (machine à reproduire des textes au stencil) a fait son apparition à la fin des années 50. Pour fabriquer des stencils, les frères mélangeaient de la colle, de la gélatine et de la cire, puis ils étalaient une fine couche régulière de ce mélange sur une surface rectangulaire lisse, de préférence en verre. Ils utilisaient une encre spéciale, qu’ils préparaient eux-​mêmes, pour estamper le texte sur du papier. Dès que l’encre était sèche, ils pressaient le papier uniformément sur la surface cireuse et obtenaient un stencil. Cependant, les stencils n’étaient pas très résistants ; il fallait donc constamment en faire de nouveaux. De plus, tout comme ceux qui recopiaient les articles à la main, le ou la stenciliste risquait d’être identifié par son écriture.

De la fin des années 70 aux dernières années d’interdiction, les frères ont confectionné et employé plus de dix ronéos manuelles portatives. Ces machines, surnommées “ moulins ”, étaient construites selon un modèle autrichien et utilisaient des plaques d’impression recouvertes de papier plastifié. À partir de la fin des années 70, les frères sont entrés en possession de quelques duplicateurs offset à feuilles. Toutefois, comme ils ne savaient pas fabriquer les plaques, ils ne s’en servaient pas. C’est en 1985 qu’un frère ingénieur chimiste de Tchécoslovaquie a commencé à leur transmettre son savoir-faire. Dès lors, tant le rendement que la qualité se sont améliorés sensiblement.

[Encadré/Illustration, pages 136, 137]

Jéhovah m’a formé

Nicolae Bentaru

Naissance : 1957

Baptême : 1976

Parcours : Il a imprimé des publications pendant la période communiste ; il est maintenant pionnier spécial avec sa femme, Veronica.

J’ai commencé à étudier la Bible en 1972 dans la ville de Săcele, et j’ai été baptisé quatre ans plus tard, à l’âge de 18 ans. À l’époque, l’œuvre était interdite et, pour les réunions, les frères se rassemblaient par groupe d’étude de livre. Néanmoins, nous recevions régulièrement de la nourriture spirituelle, y compris des drames bibliques enregistrés et accompagnés de diapositives en couleurs.

Après mon baptême, ma première responsabilité a été de m’occuper du projecteur de diapositives. Deux ans plus tard, on m’en a confié une autre : acheter du papier pour notre imprimerie clandestine. En 1980, j’ai appris à imprimer et j’ai participé à la production de La Tour de Garde, de Réveillez-vous ! et d’autres publications. Nous utilisions une ronéo ainsi qu’une petite presse manuelle.

Entre-temps, j’ai rencontré Veronica, une sœur qui avait prouvé sa fidélité à Jéhovah. Nous nous sommes mariés. Veronica m’a grandement soutenu dans mes activités. En 1981, Otto Kuglitsch, du Béthel d’Autriche, m’a montré comment faire fonctionner notre tout premier duplicateur offset à feuilles. En 1987, nous avons installé une deuxième presse à Cluj-Napoca, et j’ai été désigné pour former ceux qui allaient l’utiliser.

Quand l’interdiction a été levée en 1990, Veronica et moi, ainsi que notre fils, Florin, avons continué à imprimer et à distribuer des publications pendant huit mois. Florin nous aidait à assembler les pages imprimées qui étaient ensuite pressées, massicotées et agrafées. Puis nous emballions et expédiions les publications. En 2002, nous avons été tous les trois affectés à Mizil, une ville de 15 000 habitants qui se situe à quelque 80 kilomètres au nord de Bucarest. Veronica et moi sommes pionniers spéciaux ; quant à Florin, il est pionnier permanent.

[Encadré/Illustration, pages 139, 140]

Jéhovah a aveuglé nos opposants

Ana Viusencu

Naissance : 1951

Baptême : 1965

Parcours : Adolescente, elle aidait ses parents à reproduire les publications. Par la suite, elle a participé à leur traduction en ukrainien.

Un jour de 1968, je recopiais à la main une Tour de Garde sur des stencils pour la dupliquer. Puis je suis allée à une réunion chrétienne sans penser à cacher les stencils. À peine de retour à la maison — il était minuit —, j’ai entendu une voiture s’arrêter. Avant que je ne comprenne de qui il s’agissait, cinq agents de la Securitate, munis d’un mandat de perquisition, sont entrés chez nous. J’étais terrifiée, mais j’ai réussi à garder mon sang-froid. Je suppliais Jéhovah de me pardonner ma négligence en lui promettant de ne plus jamais rien laisser traîner.

L’officier responsable s’est assis à la table sur laquelle se trouvaient les stencils, que j’avais recouverts à toute vitesse d’une nappe juste en entendant la voiture s’arrêter. Il est resté là jusqu’à la fin de l’inspection, qui a duré des heures. Tandis qu’il rédigeait son rapport — à quelques centimètres des stencils —, il a bougé la nappe à plusieurs reprises. Son rapport indiquait que les agents n’avaient trouvé aucune publication interdite, ni dans la maison ni sur personne.

Ils ont malgré tout emmené mon père à Baia Mare. Maman et moi avons prié pour lui de tout notre cœur, et nous avons remercié Jéhovah de sa protection cette nuit-​là. À notre grand soulagement, papa est revenu à la maison quelques jours plus tard.

Peu de temps après, alors que je recopiais des publications à la main, j’ai à nouveau entendu une voiture s’arrêter devant la maison. J’ai éteint la lumière et j’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre, que nous avions entièrement recouverte. J’ai alors aperçu plusieurs hommes en uniforme avec des insignes brillants sur leurs épaulettes. Ils sont descendus de la voiture et sont entrés dans la maison d’en face. La nuit suivante, une autre escouade les a relayés, ce qui a confirmé nos craintes : c’étaient bien des espions de la Securitate. Nous avons quand même continué à dupliquer les publications, mais nous transportions tout le matériel au fond de l’arrière-cour pour ne pas être découverts.

Papa disait toujours : “ La route qu’il y a entre nous et nos opposants est comme la colonne de nuage qui se tenait entre les Israélites et les Égyptiens. ” (Ex. 14:19, 20). Par expérience j’ai appris que mon père avait tout à fait raison !

[Encadré/Illustration, pages 143, 144]

Sauvés par un morceau de pot d’échappement

Traian Chira

Naissance : 1946

Baptême : 1965

Parcours : Un des frères responsables de la production et du transport des publications pendant les années d’interdiction.

De bonne heure un dimanche d’été, j’ai chargé huit sacs de publications dans ma voiture. Comme ils ne rentraient pas tous dans le coffre, j’ai enlevé la banquette arrière et j’ai mis à sa place les sacs restants. Je les ai cachés sous des couvertures et recouverts d’un coussin. On aurait pu croire que notre famille allait à la plage. Pour plus de sûreté, j’ai aussi étendu une couverture sur les sacs qui étaient dans le coffre.

Après avoir prié Jéhovah pour qu’il nous bénisse, nous sommes partis tous les cinq — ma femme, nos deux fils, notre fille et moi — en direction de Tîrgu-Mureş et de Braşov pour livrer les publications. Tout en roulant, nous chantions des cantiques. Au bout d’une centaine de kilomètres, nous sommes arrivés à une portion de route parsemée de nids-de-poule. Avec tout le poids de la voiture qui mettait à rude épreuve les suspensions, le pot d’échappement a heurté quelque chose sur la route et s’est cassé. Je me suis garé sur le bas-côté, j’ai ramassé le morceau du tuyau qui était tombé et je l’ai mis dans le coffre, à côté de la roue de secours, sur la couverture. Puis, nous sommes partis à grand bruit — c’est le moins qu’on puisse dire !

À Luduş, un policier nous a arrêtés pour contrôler l’état du véhicule. Après avoir vérifié le numéro de série du moteur et essayé le klaxon, les essuie-glaces, les phares, etc., il a demandé à voir la roue de secours. Alors que je me dirigeais vers l’arrière de la voiture, je me suis baissé et j’ai chuchoté à travers la vitre à ma femme ainsi qu’aux enfants : “ Allez-​y, priez. Maintenant, seul Jéhovah peut nous aider. ”

Dès que j’ai ouvert le coffre, le policier a remarqué le morceau de pot d’échappement. “ Et ça, qu’est-​ce que c’est ? a-​t-​il demandé. Vous êtes bon pour une amende ! ” Satisfait d’avoir décelé une anomalie, il a mis fin à son inspection. J’ai fermé le coffre et j’ai poussé un gros soupir de soulagement. Jamais je n’avais été aussi heureux de payer une amende ! À part cet incident, tout s’est bien passé, et les frères ont pu recevoir leurs publications.

[Encadré/Illustration, pages 147-149]

Rencontre avec la Securitate

Viorica Filip

Naissance : 1953

Baptême : 1975

Parcours : Dans le service à plein temps depuis 1986, elle fait aujourd’hui partie de la famille du Béthel.

Quand ma sœur Aurica et moi sommes devenues Témoins de Jéhovah, notre famille nous a traitées durement. Aussi blessants qu’ils aient pu être, les mauvais traitements qu’elle nous a infligés nous ont endurcies et nous ont préparées à de futures rencontres avec la Securitate. L’une d’elles a eu lieu un soir de décembre 1988. À ce moment-​là, je logeais chez Aurica et sa famille, à Oradea, près de la frontière hongroise.

Alors que je me dirigeais vers la maison du frère qui supervisait la traduction, j’avais dans mon sac à main un périodique à corriger. J’étais loin de me douter que les agents de la Securitate étaient en train de perquisitionner chez lui et d’interroger les occupants de la maison ainsi que tous ceux qui leur rendaient visite. Heureusement, dès que j’ai vu ce qui se passait, j’ai pu brûler en douce le périodique que j’avais dans mon sac. Peu après, les agents m’ont emmenée au quartier général de la Securitate avec d’autres Témoins pour poursuivre leur interrogatoire.

Ils m’ont questionnée toute la nuit, et le lendemain ils ont fouillé mon domicile officiel, une petite maison à Uileacu de Munte, un village des environs. Ce n’était pas là que j’habitais ; c’était une maison que les frères utilisaient pour entreposer du matériel utile à notre activité clandestine. Après leur trouvaille, les agents m’ont ramenée au quartier général de la Securitate où ils m’ont frappée avec une matraque en caoutchouc dans l’espoir que je divulgue l’identité des propriétaires du matériel ou de ceux qui collaboraient avec eux. J’ai imploré Jéhovah de m’aider à endurer les coups. C’est alors que j’ai été gagnée par un sentiment de paix ; après chaque coup, la douleur ne durait pas plus de quelques secondes. Par contre, mes mains ont enflé au point que je me suis demandé si je serais à nouveau capable d’écrire un jour. Quand ils m’ont relâchée, en soirée, je n’avais pas un sou, j’étais affamée et épuisée.

Avec un agent de la Securitate sur les talons, j’ai marché jusqu’à la gare routière. Je n’avais pas révélé où j’habitais et, de peur de compromettre la sécurité d’Aurica ainsi que celle de sa famille, je ne pouvais pas me rendre directement chez elle. Ne sachant où aller ni que faire, j’ai supplié Jéhovah en lui disant que j’avais désespérément besoin de manger et que j’avais très envie de dormir dans mon lit à moi. “ Est-​ce que j’en demande trop ? ” me suis-​je dit.

Je suis arrivée à la gare juste au moment où un autocar partait. J’ai couru et je suis montée dedans, même si je n’avais pas d’argent pour payer ma place. Il se trouvait justement que le car allait dans le village où était mon domicile. L’agent de la Securitate a également attrapé le car, m’a demandé quelle était sa destination, puis il a déguerpi. J’en ai déduit qu’un autre agent m’attendrait à Uileacu de Munte. À mon grand soulagement, le chauffeur m’a permis de rester à bord. “ Mais pourquoi vais-​je à Uileacu de Munte ? ” ai-​je pensé. Je n’avais pas envie d’aller à mon domicile ; il n’y avait rien à manger, et même pas un lit.

J’étais encore en train de m’ouvrir à Jéhovah de ces préoccupations quand le chauffeur s’est arrêté dans la banlieue d’Oradea pour laisser descendre un de ses amis. J’en ai profité pour faire comme lui. Lorsque le car a redémarré, un profond bonheur m’a envahie. Tout en étant prudente, j’ai pris la direction de l’appartement d’un frère que je connaissais. Je suis arrivée au moment même où sa femme retirait du feu un goulache : l’un de mes plats préférés. La famille m’a invitée à rester pour dîner.

En fin de soirée, quand j’ai estimé qu’il n’y avait plus de risque, je suis retournée chez Aurica pour me coucher dans mon lit. Ainsi donc, Jéhovah m’a donné exactement les deux choses que je lui avais demandées : un bon repas et mon lit. C’est vraiment un Père merveilleux que nous avons !

[Encadré, page 155]

Des jeunes qui conservent un regard spirituel

Pendant la persécution, les jeunes chrétiens se sont montrés admirablement intègres ; nombre d’entre eux ont même risqué leur liberté pour la bonne nouvelle. Les jeunes d’aujourd’hui sont confrontés à des épreuves différentes et, si quelques-uns ont malheureusement baissé leur garde, d’autres conservent un regard spirituel. Citons le cas d’un groupe de lycéens de Cîmpia Turzii qui discutent ensemble du texte du jour pendant la récréation, le matin. Ils le font dans la cour du lycée ou sur le terrain de sport, et certains de leurs camarades se joignent parfois à la discussion.

Une jeune sœur a remarqué : “ Examiner le texte du jour avec mes amis, c’est comme un refuge pour moi. Ça me permet d’échapper un peu à la compagnie des élèves qui ne servent pas Jéhovah. C’est encourageant aussi de constater que je ne suis pas la seule à être Témoin de Jéhovah. ” La directrice et quelques professeurs ont félicité ces jeunes gens remarquables.

[Encadré, page 160]

La bonne nouvelle est reconnue en justice

Le jeudi 22 mai 2003, le ministère roumain de la Culture et des Cultes a émis un arrêté ministériel confirmant que l’Organisation religieuse des Témoins de Jéhovah, enregistrée officiellement le 9 avril 1990, est une entité juridique à part entière. Par conséquent, les Témoins de Jéhovah ont droit à tous les avantages accordés aux religions enregistrées. Ils sont autorisés à prêcher et à construire des Salles du Royaume. Cette reconnaissance est l’aboutissement de nombreuses batailles juridiques menées au fil des ans.

[Tableau/Graphique, pages 80, 81]

ROUMANIE — REPÈRES HISTORIQUES

1910

1911 : Károly Szabó et József Kiss reviennent des États-Unis.

1920 : Un bureau est ouvert à Cluj-Napoca. Il supervise l’œuvre en Albanie, en Bulgarie, en Hongrie, en Roumanie et en ex-Yougoslavie.

1924 : Achat à Cluj-Napoca de locaux comportant une imprimerie.

1929 : La supervision de l’œuvre est confiée d’abord au Béthel d’Allemagne, puis au bureau pour l’Europe centrale, en Suisse.

1938 : Fermeture officielle du bureau de Roumanie, alors à Bucarest, et mise sous scellés de ses locaux.

1940

1945 : Enregistrement de l’Association Les Témoins de Jéhovah de Roumanie.

1946 : À Bucarest, 15 000 personnes assistent à la première assemblée pour tout le pays.

1947 : En août et en septembre, Alfred Rütimann et Martin Magyarosi parcourent la Roumanie.

1949 : Le gouvernement communiste interdit les Témoins de Jéhovah et confisque tous les biens du Béthel.

1970

1973 : Jusque-​là sous la responsabilité du Béthel de Suisse, la supervision de l’œuvre est confiée à celui d’Autriche.

1988 : Visites de représentants du Collège central.

1989 : Effondrement du régime communiste.

1990 : Enregistrement officiel des Témoins de Jéhovah. Organisation d’assemblées.

1991 : Parution de La Tour de Garde en roumain simultanément avec l’édition anglaise, et en couleurs.

1995 : Réouverture du siège national à Bucarest.

1999 : Première École de formation ministérielle dans le pays.

2000

2000 : Parution des Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau en roumain.

2004 : Inauguration de la première Salle d’assemblées, à Negreşti-Oaş.

2005 : 38 423 proclamateurs actifs en Roumanie.

[Graphique]

(Voir la publication)

Total des proclamateurs

Total des pionniers

20 000

40 000

1910 1940 1970 2000

[Cartes, page 73]

(Voir la publication)

POLOGNE

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MACÉDOINE

[Illustrations pleine page, page 66]

[Illustrations, page 69]

En 1911, Károly Szabó et József Kiss retournent au pays pour prêcher le message du Royaume.

[Illustration, page 70]

Paraschiva Kalmár (assise), avec son mari et huit de leurs enfants.

[Illustration, page 71]

Gavrilă Romocea.

[Illustration, page 71]

Elek et Elisabeth Romocea.

[Illustration, page 77]

Construction de locaux pour abriter le nouveau bureau de Cluj-Napoca, 1924.

[Illustration, page 84]

La persécution s’intensifiant, les publications changeaient de nom.

[Illustration, page 86]

Nicu Palius est venu de Grèce pour soutenir l’œuvre.

[Illustration, page 89]

Les auditeurs attentifs d’un discours biblique enregistré, 1937.

[Illustration, page 95]

Martin et Maria Magyarosi (devant) avec Elena et Pamfil Albu.

[Illustration, page 102]

Assemblée de circonscription à Baia Mare en 1945.

[Illustration, page 105]

Affiche pour l’assemblée nationale tenue en 1946.

[Illustration, page 111]

Mihai Nistor.

[Illustration, page 112]

Vasile Sabadâş.

[Illustration, page 117]

Dispositif d’écoute utilisé par la Securitate.

[Illustration, page 120]

Periprava, un camp de travail dans le delta du Danube.

[Illustration, page 133]

Le moulin.

[Illustrations, page 134]

Veronica et Nicolae Bentaru dans un abri secret, au sous-sol de leur maison.

[Illustration, page 138]

Doina et Dumitru Cepănaru.

[Illustration, page 138]

Petre Ranca.

[Illustrations, page 141]

Assemblées dans les années 80.

[Illustration, page 150]

La première École des pionniers en Roumanie, 1993.

[Illustration, page 152]

Roberto et Imelda Franceschetti.

[Illustrations, pages 156, 157]

En 1996, des milliers de personnes assistent aux assemblées internationales “ Messagers de la paix divine ”, malgré l’opposition du clergé.

[Illustrations, page 158]

1) Complexe de sept Salles du Royaume, à Tîrgu-Mureş.

2) Béthel de Roumanie, à Bucarest.

3) Salle d’assemblées, à Negreşti-Oaş.

[Illustration, page 161]

Le Comité de la filiale, dans le sens des aiguilles d’une montre depuis le haut à gauche : Daniele Di Nicola, Jon Brenca, Gabriel Negroiu, Dumitru Oul et Ion Roman.