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Russie

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“ DU LEVER du soleil jusqu’à son coucher, mon nom sera grand parmi les nations. ” (Mal. 1:11). Aujourd’hui, la véracité de cette prophétie remarquable, prononcée par Jéhovah il y a quelque 2 450 ans, se vérifie en Russie. Alors que le soleil se couche sur les serviteurs fidèles de Jéhovah de la ville de Kaliningrad, dans l’ouest du pays, il se lève déjà sur les proclamateurs de la péninsule de Tchoukotka, séparée de l’Alaska par le détroit de Béring, 11 fuseaux horaires plus à l’est. On peut véritablement dire qu’en Russie le soleil ne se couche jamais sur l’œuvre consistant à prêcher le Royaume et à faire des disciples. Pendant l’ère soviétique, des frères et sœurs courageux ont déployé des efforts inlassables, qui ont été abondamment bénis. Comme nous allons le voir, ils ont résisté à une persécution farouche et ont ainsi ouvert la voie aux plus de 150 000 proclamateurs que compte aujourd’hui le pays.

La Russie, officiellement “ Fédération de Russie ”, n’est pas constituée d’une nation ou d’un peuple unique. Comme son nom l’indique, elle réunit plusieurs États et forme une mosaïque de groupes ethniques, de langues, et de peuples ayant chacun sa propre culture. C’est dans ce pays au profil ethnique, linguistique et religieux bigarré que commence notre récit — pas dans la Russie démocratique d’aujourd’hui, mais dans l’Empire russe d’il y a plus d’un siècle, régenté par un tsar.

COURAGEUX TÉMOIGNAGE AU CLERGÉ

L’époque est au renouveau religieux. Un homme très fervent, qui a étudié au séminaire orthodoxe russe, rencontre Charles Russell, responsable de l’activité des Étudiants de la Bible, comme on appelle alors les Témoins de Jéhovah. Il se nomme Semyone Kozlitski. Nina Louppo, sa petite-fille, explique : “ En 1891, mon grand-père était allé aux États-Unis et avait rencontré frère Russell. Il avait conservé de ce voyage une photo où on les voyait tous les deux, et il parlait toujours de son frère Russell. ” Vers la fin des années 1800, frère Russell et ses collaborateurs dirigent la restauration du culte pur, œuvre effectuée grâce à l’enseignement des puissantes vérités contenues dans la Bible. Cette œuvre consiste aussi à dévoiler les fausses doctrines des Églises de la chrétienté et de leur clergé. La vérité biblique, associée au zèle pour le culte pur qui anime frère Russell et ses compagnons, incitent Semyone à prêcher hardiment au clergé à Moscou. Quelles en sont les conséquences ?

“ Sans autre forme de procès, écrit Nina, il a été enchaîné et déporté en Sibérie, faussement accusé d’avoir insulté l’archevêque de Moscou. Et c’est ainsi que la Parole de Dieu a fait son entrée en Sibérie, en 1891. ” Semyone sera finalement envoyé dans une partie de la Sibérie qui appartient aujourd’hui au Kazakhstan. Il y parlera avec zèle de la Parole de Dieu jusqu’à sa mort, survenue en 1935.

‘ AUCUN TERRAIN PROPICE POUR LA VÉRITÉ EN RUSSIE ’

L’année où Semyone Kozlitski est déporté, frère Russell se rend pour la première fois en Russie. Son séjour lui inspire les propos suivants, souvent cités : “ Il semble n’y avoir aucun débouché ou terrain propice pour la vérité en Russie. ” Veut-​il dire par là que les gens refusent d’écouter le message ? Non. Mais plutôt que le régime autocratique les en empêche.

S’exprimant à ce propos, frère Russell écrit dans Le Phare de la Tour de Sion du 1er mars 1892 (en anglais) : “ En Russie, le gouvernement maintient sur chaque sujet de l’empire une étreinte implacable. L’étranger est toujours suspect. Il doit présenter son passeport à l’hôtel, à la gare, en arrivant dans une ville ou en la quittant. L’hôtelier vous prend votre passeport et le remet au chef de la police, qui le conserve jusqu’à ce que vous quittiez la ville, ce qui permet de suivre facilement vos déplacements — comme ceux de tout étranger —, de savoir exactement quand vous entrez ou quand vous sortez du pays. Fonctionnaires et autorités sont polis, pas davantage, vous signifiant ainsi que votre présence est seulement tolérée. Ils dissèquent tout livre ou tout écrit en votre possession pour s’assurer qu’il ne s’oppose pas à leurs idées. ”

Dans de telles conditions, la prédication de la bonne nouvelle peut sembler n’avoir que peu d’avenir. Pourtant, le développement des graines de vérité ne pourra pas être contrecarré.

L’AUBE D’UN “ JOUR DES PETITES CHOSES ”

Dès 1887, les pages du Phare de la Tour de Sion rapportent que le périodique a été expédié en différents endroits, “ même en Russie ”. En 1904, une lettre d’un petit groupe d’Étudiants de la Bible de Russie signale qu’en dépit des obstacles des publications bibliques sont arrivées. La lettre explique que “ les publications ont attiré l’attention et ont failli être refusées à la frontière ” par la censure gouvernementale. Ces frères sont tellement reconnaissants qu’ils écrivent : “ Ici, c’est de l’or : c’est si dur à obtenir. ” Ils ont de toute évidence compris le but de ces publications, car ils ajoutent : “ Puisse le Seigneur nous accorder sa bénédiction et la possibilité de distribuer ces écrits ! ”

La prédication de la bonne nouvelle en Russie a donc bel et bien commencé, et le vrai culte vient de faire un premier pas, infime, mais d’une grande portée. C’est un modeste début, mais, comme le prophète Zekaria l’a écrit : “ Qui a méprisé le jour des petites choses ? ” — Zek. 4:10.

Les années suivantes, des frères zélés d’Allemagne envoient en Russie des publications, souvent en allemand, et parmi ceux qui parlent cette langue beaucoup acceptent la vérité. En 1907, des fidèles d’une église baptiste germanophone reçoivent par courrier la série de livres L’Aurore du Millénium. Lorsque 15 d’entre eux prennent fermement position pour le vrai culte, ils sont excommuniés. Mais le pasteur qui s’est élevé contre eux acceptera plus tard les vérités contenues dans L’Aurore du Millénium.

En 1911, l’œuvre reçoit un soutien d’une manière inhabituelle : à l’occasion d’un voyage de noces. Après leur mariage, les Herkendell, un jeune couple d’Allemands, entament une tournée de prédication en Russie pour y aider les germanophones. À leur grande joie, ils rencontrent des groupes isolés de proclamateurs, à qui ils apportent une aide spirituelle.

Quelque temps avant, un lecteur de Russie a écrit : “ Les publications qui arrivent d’Allemagne me sont aussi précieuses que la manne céleste l’était aux enfants d’Israël. [...] Comme nous déplorons qu’elles ne soient pas en russe ! Je profite de chaque occasion favorable pour traduire différents articles. ” Ainsi, la traduction a débuté. Et elle va considérablement s’amplifier.

“ NOMBREUSES SONT LES ÂMES QUI CHERCHENT ARDEMMENT DIEU ”

En 1911, frère Oleszynski, de Varsovie, en Pologne (dont une partie est alors rattachée à l’Empire russe), organise l’impression en russe du tract Où sont les morts ? Dans une lettre adressée à frère Russell, il écrit : “ Je t’en envoie un exemplaire [...]. Les dix mille tracts ont coûté soixante-treize roubles [...]. Les difficultés sont nombreuses, mais nombreuses sont les âmes qui cherchent ardemment Dieu. ” Ces tracts, et d’autres publications, sont remis à des russophones, qui les emportent en Russie. Un important jalon est ainsi posé pour développer la prédication dans cette langue. Bientôt, d’autres publications — tracts et brochures grand et petit formats — sont éditées. Au fil du temps, les projets de traduction se feront plus ambitieux encore.

En 1912, frère Russell se rend en Finlande (territoire russe à l’époque). Kaarlo Harteva est mandaté pour y représenter la Watch Tower Bible and Tract Society. Le 25 septembre 1913, le consul impérial russe à New York, qui représente le tsar, signe le mandat après y avoir apposé le timbre du gouvernement.

UNE TOURNÉE DE PRÉDICATION PROLONGÉE

Peu avant que n’éclate la Première Guerre mondiale, frère Joseph Rutherford quitte Brooklyn pour se rendre dans plusieurs pays en qualité de représentant de l’organisation. Lors de son passage à Lodz, en Pologne, il rencontre un Étudiant de la Bible du nom de Dojczman. Peu de temps après, frère Dojczman et sa famille partent pour ce qui est censé être une tournée de prédication de deux mois à travers la Russie. Mais le déclenchement de la guerre va prolonger leur séjour.

Après bien des difficultés, ils se retrouvent dans une petite ville au bord de la Volga. En 1918, ils tentent de regagner la Pologne, mais une épidémie de variole les en empêche. Puis, avec l’explosion de la guerre civile, les frontières sont fermées. Au cours de cette période, les Dojczman perdront trois de leurs enfants, l’un emporté par la variole, un autre par une pneumonie.

C’est la famine et l’affolement. Des gens affamés meurent en pleine rue. Dans la confusion générale, beaucoup, principalement les étrangers, sont accusés de collaboration avec l’ennemi et exécutés sur-le-champ, sans procès. Un jour, un homme fait irruption chez les Dojczman, accompagné d’un soldat armé.

“ C’est lui, c’est un ennemi. Attrapez-​le ! ” crie-​t-​il.

“ Pourquoi ? demande le soldat. Qu’est-​ce qu’il a fait ? ”

L’homme cherche en réalité à manœuvrer pour éviter de payer des travaux de charpente qu’il doit à frère Dojczman. Après avoir entendu les deux versions, le soldat discerne les motivations réelles de l’homme ; il le jette dehors. Puis il explique au frère qu’il se souvient d’avoir eu avec lui une discussion agréable à propos de la Bible. C’est sans doute grâce à cette discussion que le frère et sa famille ont la vie sauve. En 1921, le gouvernement communiste écrase l’insurrection militaire ; c’est la fin de la guerre civile. Très vite, les Dojczman prennent le chemin du retour vers la Pologne.

LES ÉTUDIANTS DE LA BIBLE ET LES BOLCHEVIKS

Pendant la Première Guerre mondiale, les quelques contacts entre les frères russes et ceux de l’extérieur sont rompus. Comme partout dans le monde, en Russie les frères du Christ ne sont probablement pas sûrs de ce que signifie exactement l’intronisation du Christ. Ils sont loin de se douter que leur pays est sur le point de connaître certains des événements les plus marquants du XXsiècle, dont beaucoup réaliseront des prophéties bibliques.

Fin 1917, la révolution russe met un terme à 370 ans de régime tsariste. Inconscients de la présence du Seigneur Jésus Christ, les nouveaux dirigeants, les bolcheviks, ont l’ambition d’établir une nouvelle forme de gouvernement humain, différente de tout ce qui s’est fait jusqu’alors. Ils constituent donc, en quelques années, l’Union des républiques socialistes soviétiques, ou URSS. Elle finira par s’étendre sur presque un sixième des terres du globe.

Fait intéressant, quelques années avant la révolution, Lénine, qui allait devenir par la suite le premier dirigeant de l’Union soviétique, avait déclaré : “ Chacun doit avoir la pleine liberté non seulement d’être adepte de la foi qu’il désire, mais aussi de propager n’importe quelle religion ou de changer de foi. Aucun fonctionnaire ne doit avoir même le droit d’interroger qui que ce soit sur sa foi : c’est une affaire de conscience, et personne n’a le droit de s’en mêler *. ”

Dans certaines régions, ces principes officiels du parti ouvrier social-démocrate permettent à des personnes sincères de faire connaître les vérités bibliques. Mais, en règle générale, le nouveau pouvoir, athée dès le départ, s’oppose à la religion, qu’il qualifie d’“ opium du peuple ”. L’une des premières actions des bolcheviks est de prendre un décret en vue de la séparation de l’Église et de l’État. L’instruction religieuse est déclarée illégale, et les biens de l’Église sont nationalisés.

Comment le nouveau pouvoir considère-​t-​il les petits groupes éparpillés d’Étudiants de la Bible, tout dévoués au Royaume de Dieu ? Écrivant depuis la Sibérie, peu de temps après la révolution de 1917, un Étudiant de la Bible fait ce triste constat : “ Vous êtes sans doute au courant de la situation, ici, en Russie. Nous avons maintenant un gouvernement soviétique, fondé sur les principes du communisme. Si on ne peut nier des avancées notoires en direction de la justice, par contre tout ce qui se rapporte à Dieu est piétiné. ”

En 1923, l’opposition aux Étudiants de la Bible s’est intensifiée. Les frères écrivent : “ Cette lettre a pour but de vous informer de ce qui se passe en Russie. [...] Nous disposons de l’indispensable sur le plan matériel : nourriture, vêtements, [...] mais la nourriture spirituelle nous fait cruellement défaut. Les livres qui nous avaient été envoyés ont été confisqués par le gouvernement. Nous vous supplions donc de nous expédier, sous forme de lettres, des extraits de tout ce que vous avez en russe [...]. Beaucoup sont affamés de la Parole de vérité. Récemment, cinq personnes ont montré leur consécration par l’immersion ; quinze baptistes nous ont également rejoints. ”

La Tour de Garde de mai 1924 déclare : “ La Société fait des efforts pour pouvoir introduire [nos publications] en Russie et elle les [poursuivra] par la grâce du Seigneur. ” En 1925, La Tour de Garde est disponible en russe. Ses effets sur l’œuvre de témoignage sont immédiats. Citons le cas de cet évangéliste, qui a du mal à concilier la doctrine de l’enfer de feu avec un Dieu d’amour. Interrogés sur cette question, des membres de son Église lui répondent en priant Dieu de le protéger de telles pensées. Quand, plus tard, sa femme et lui obtiennent quelques numéros de La Tour de Garde, ils comprennent immédiatement qu’ils ont trouvé la vérité. L’homme réclame davantage de publications. Il écrit : “ Nous attendons de la manne d’outre-mer. ” Des frères aussi accusent régulièrement réception de cette “ manne ”, remerciant leurs compagnons des États-Unis pour l’amour chrétien qu’ils manifestent en produisant ces publications revigorantes pour la foi.

“ ENVOYEZ-​MOI UN PETIT PEU DE TOUT ”

Une lettre touchante, en provenance de Sibérie, est reproduite dans l’édition russe de La Tour de Garde de septembre 1925. Un instituteur, fils de paysans, y raconte que sa famille et lui ont déménagé du sud de la Russie pour la Sibérie en 1909. Il explique qu’il a retiré une joie intense de la lecture des publications, et il ajoute : “ Mon souhait le plus sincère est d’acquérir une connaissance toujours plus approfondie des saintes vérités de Dieu afin de pouvoir lutter avec plus d’habileté et de force contre les ténèbres. ” Demandant davantage de publications, il conclut sa lettre ainsi : “ S’il vous plaît, envoyez-​moi un petit peu de tout. ”

La réponse des éditeurs figure dans le même numéro : “ Nous essayons d’expédier des publications en Russie depuis quelque temps, mais toutes nos tentatives se sont heurtées à l’opposition du gouvernement russe. Cette lettre, et d’autres semblables, ressemble à l’appel du Macédonien : ‘ Passe [...] et aide-​nous. ’ (Actes 16:9). Nous y répondrons dès que possible et si telle est la volonté du Seigneur. ”

La Tour de Garde et les autres publications vont assurément se révéler de puissants instruments pour prêcher la bonne nouvelle et ‘ témoigner ’ en russe (Mat. 24:14) ! En 2006, le nombre de publications publiées par les Témoins de Jéhovah en russe atteindra 691 243 952, un chiffre supérieur à celui de toutes les autres langues, excepté l’anglais, l’espagnol et le portugais. Jéhovah bénira abondamment les efforts de ses Témoins pour proclamer le Royaume.

TÉMOIGNAGE AUX RUSSES ÉMIGRÉS

L’arrivée au pouvoir des bolcheviks et la naissance de l’État communiste conduisent de nombreux Russes à émigrer. Or, à l’extérieur de l’Union soviétique, on imprime La Tour de Garde et d’autres écrits dans leur langue. Et le gouvernement ne peut rien faire pour empêcher la circulation de nourriture spirituelle hors de ses frontières. Vers la fin des années 20, des publications en russe sont diffusées sur toute la terre, et des lettres de remerciements arrivent d’émigrés installés en Australie, aux États-Unis, en Finlande, en France, en Lettonie, au Paraguay, en Pologne, en Uruguay, etc.

Avec le temps, dans certains de ces pays, les frères organisent des réunions chrétiennes ainsi que la prédication en russe. Aux États-Unis, des discours bibliques dans cette langue sont régulièrement retransmis par des stations de radio. Des congrégations sont formées, comme celle de Brownsville, en Pennsylvanie. On organise des assemblées. En mai 1925, par exemple, une assemblée de trois jours se tient à Carnegie, aussi en Pennsylvanie. Elle réunit 250 personnes, dont 29 se font baptiser.

CHANGEMENT DE SITUATION

Après la mort de Lénine, les attaques contre les religions s’amplifient. L’année 1926 voit la formation de l’Union des athées militants — nom qui définit bien les objectifs de cette association. La propagande athée omniprésente a pour but d’extirper complètement la foi en Dieu des esprits et des cœurs. En peu de temps, la philosophie athée gagne le vaste territoire soviétique. Dans une lettre qu’il adresse au siège mondial, un Étudiant de la Bible de Russie fait cette remarque : “ Les jeunes assimilent cet état d’esprit, ce qui constitue sans aucun doute un obstacle énorme les empêchant d’apprendre la vérité. ”

L’Union des athées militants publie des écrits irréligieux, notamment le journal Antireligioznik. En 1928, on y lira : “ Le district de Voronej grouille de sectes. ” Et de citer, parmi d’autres, 48 ‘ Étudiants des Saintes Écritures qui ont pour chefs Zintchenko et Mitrofane Bovine ’. Il est intéressant de noter que La Tour de Garde en russe de septembre 1926 reproduit la lettre d’un certain Mikhaïl Zintchenko de Russie, qui écrit : “ Les gens ont faim de nourriture spirituelle. [...] Nous disposons de très peu de publications. Frère Trioumpi et d’autres traduisent et recopient des publications en russe. C’est ainsi que nous nous nourrissons et nous encourageons sur le plan spirituel. Nous vous envoyons les salutations de tous nos frères russes. ”

Dans une lettre de septembre 1926, frère Trioumpi évoque la perspective d’obtenir l’autorisation de recevoir des publications en russe. Il demande au Béthel de Brooklyn d’envoyer des tracts, des brochures, des livres et des volumes reliés de La Tour de Garde via le bureau de Magdebourg, en Allemagne. En réponse à cette requête, frère Rutherford envoie frère George Young à Moscou. Arrivé le 28 août 1928, ce dernier écrira dans l’une de ses lettres : “ J’ai eu quelques discussions intéressantes, mais je ne sais pas combien de temps je serai autorisé à rester. ” Bien qu’il ait réussi à rencontrer un haut fonctionnaire à Moscou, son visa ne lui permettra de rester que jusqu’au 4 octobre 1928.

La position du nouvel État soviétique à l’égard des religions n’est pas claire. Plusieurs documents officiels parlent du souhait du gouvernement de voir les groupes religieux intégrés aux masses laborieuses soviétiques. Les années qui suivent verront ce vœu se transformer en une politique. Il est important de comprendre que le gouvernement n’a pas pour objectif d’exterminer le peuple de Jéhovah ; il lutte pour soumettre les esprits et les cœurs. Il cherche à persuader les serviteurs de Dieu de rentrer dans le rang et à les contraindre à une fidélité exclusive envers l’État. Il ne veut pour rien au monde les voir se montrer soumis à Jéhovah.

Après le départ de frère Young, les frères continuent à prêcher avec zèle. Danyil Staroukhine est désigné pour organiser la prédication dans le pays. Dans ce but, et aussi pour encourager les frères, il se rend à Moscou, à Koursk, à Voronej et dans d’autres villes de Russie, ainsi qu’en Ukraine. En compagnie d’autres frères, il donne le témoignage à des baptistes dans leurs maisons de prières, leur exposant la vérité relative à Jésus Christ et au Royaume de Dieu. En janvier 1929, les frères parviennent à louer, pour l’équivalent de 200 dollars annuels, les locaux d’une église de Koursk, de manière à y tenir ouvertement des réunions.

La même année, le Béthel de Brooklyn demande au Commissariat du peuple au commerce l’autorisation d’expédier en URSS un petit chargement de publications bibliques, se composant notamment de 800 livres La Harpe de Dieu, de 800 livres Délivrance et de 2 400 brochures. Moins de deux mois plus tard, le chargement revient avec la mention : “ Retour pour cause d’interdiction d’entrée par l’Administration des publications. ” Mais les frères ne baissent pas les bras. Certains se demandent si cette interdiction n’est pas liée à l’emploi, dans les publications, d’un alphabet russe ancien. Dès lors, les frères veilleront à ce que tous les écrits soient traduits fidèlement et imprimés selon les normes linguistiques en vigueur.

NÉCESSITÉ D’UNE TRADUCTION DE QUALITÉ

À partir de 1929, La Tour de Garde signale le besoin de traducteurs qualifiés ayant une connaissance de l’anglais et du russe. L’édition russe de mars 1930, par exemple, contient l’annonce suivante : “ Nous avons besoin d’un frère, baptisé et qualifié, connaissant l’anglais et parlant couramment le russe, pour traduire de l’anglais en russe. ”

Ce besoin n’échappe pas à Jéhovah, et des traducteurs se manifestent dans plusieurs pays. Citons Aleksandr Forstman. En 1931, il adresse déjà des articles traduits en russe au siège mondial, via le Béthel du Danemark, à Copenhague. Frère Forstman vit en Lettonie ; c’est un traducteur enthousiaste. Cultivé et parlant couramment les deux langues, il est rapide. Ayant une activité profane pour subvenir aux besoins de sa femme et de son enfant, qui ne partagent pas sa foi, il commence par ne consacrer que quelques heures par semaine à la traduction. Puis, en décembre 1932, il devient traducteur à plein temps. Il traduira des tracts, des brochures et des livres. Il décédera en 1942.

Convaincus que l’œuvre du Royaume sera bientôt légalisée en Russie, les frères souhaitent vivement disposer de publications dont la traduction soit de qualité. William Dey, le surveillant du bureau nord-européen, écrit à frère Rutherford : “ Quand la Russie s’ouvrira, ce qui ne saurait tarder, il serait souhaitable d’avoir de bonnes traductions de nos publications à offrir à cette population de 180 millions de personnes. ”

DES ÉMISSIONS DE RADIO

On utilise aussi la radio pour répandre la bonne nouvelle dans l’immense territoire de la Russie. L’édition russe de La Tour de Garde de février 1929 contient cette annonce : “ Des discours en russe vont être donnés à la radio. ” Ces programmes sont émis depuis l’Estonie tous les deuxième et quatrième dimanches du mois.

Frère Wallace Baxter, le surveillant du Béthel d’Estonie, racontera : “ En 1929, après de longs pourparlers, un contrat de un an a été signé. Alors que les émissions en russe venaient à peine de commencer, nous avons appris qu’elles étaient écoutées à Leningrad. La réaction du régime soviétique a été la même que celle du clergé estonien. L’un comme l’autre ont interdit à la population d’écouter le message du Royaume. ” En 1931, les diffusions ont lieu sur les ondes moyennes de 17 heures 30 à 18 heures 30, une tranche horaire pratique pour les auditeurs. En juin 1934, après avoir occupé les ondes pendant trois ans et demi, les émissions sont interdites. Dans une lettre, les frères du Béthel d’Estonie expliquent ce qui a motivé cette interdiction : “ Le clergé a avisé le gouvernement [estonien] que nos discours radiodiffusés vont à l’encontre des intérêts de l’État, car ils s’apparenteraient à de la propagande communiste et anarchiste. ”

NOUVEAU CHANGEMENT

En 1935, le Béthel de Brooklyn envoie Anton Koerber en URSS, espérant qu’il pourra y ouvrir une filiale. Les frères envisagent d’expédier sur place une presse typographique en provenance d’Allemagne — où Hitler vient de prendre le pouvoir. Ces projets n’aboutiront pas, mais frère Koerber pourra rencontrer différents frères en Russie.

Pendant quelques années, l’œuvre de prédication progresse de façon régulière dans le pays. Les publications, traduites sous la direction du Béthel de Lettonie, sont cependant difficiles à importer en Russie une fois imprimées. De larges stocks sont donc constitués.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en 1939, les Témoins ne sont qu’un petit nombre ; les autorités soviétiques ne leur accordent donc que peu d’attention. Mais les choses sont sur le point de changer. Au cours de l’année qui suit l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 1939, l’Union soviétique annexe ses quatre dernières républiques : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Moldavie. Des milliers de Témoins se retrouvent soudain à l’intérieur des frontières de l’Union soviétique — nation qui va bientôt être plongée dans une guerre sans merci pour sa propre survie. Une période de souffrance et d’adversité s’annonce pour des millions de personnes. Ce sera aussi, pour les Témoins de Jéhovah, le temps de montrer leur fidélité à Dieu sous le joug de l’oppression.

DÉTERMINÉS À TENIR BON

En juin 1941, l’Allemagne lance une attaque massive sur l’Union soviétique, prenant son dirigeant, Joseph Staline, complètement au dépourvu. Vers la fin de l’année, les troupes allemandes sont aux portes de Moscou et la chute de l’Union soviétique semble imminente.

En désespoir de cause, Staline appelle la nation à participer à ce que les Russes nommeront la “ Grande Guerre patriotique ”. Il comprend que, s’il veut obtenir le soutien du peuple dans l’effort de guerre, il lui faut faire des concessions à l’Église ; des millions de Soviétiques sont en effet toujours attachés à la religion. En septembre 1943, il reçoit donc ouvertement au Kremlin trois hauts dignitaires de l’Église orthodoxe russe, ce qui va contribuer à combler le fossé entre l’Église et l’État et à ouvrir au public les portes de centaines d’églises.

Les frères de Russie, comme ceux d’Allemagne, conservent une stricte neutralité pendant la guerre. Ils en acceptent les conséquences, fermement déterminés à obéir au commandement du Seigneur (Mat. 22:37-39). Leur neutralité vaudra à plus d’un millier de Témoins d’Ukraine, de Moldavie et des républiques baltes l’internement dans des camps de travail (ou goulags) au cœur de la Russie, de 1940 à 1945.

Vassili Savtchouk se souvient : “ Je me suis fait baptiser en Ukraine en 1941, à l’âge de 14 ans. Pendant la guerre, presque tous les frères valides ont été envoyés en prison ou dans des camps au fin fond de la Russie. Mais l’œuvre de Jéhovah ne s’est pas arrêtée. Des sœurs fidèles et des adolescents comme moi ont assumé les responsabilités liées à la congrégation et au ministère. Dans notre village, un frère infirme qui était toujours libre m’a dit : ‘ Vassili, nous avons besoin de toi. Il y a une tâche très importante à accomplir et nous manquons d’hommes. ’ En voyant ce frère maladif tellement préoccupé par les intérêts de Jéhovah, je n’ai pas pu retenir mes larmes. J’ai accepté avec joie de faire tout ce qui était nécessaire. Dans des ateliers de fortune, cachés dans des sous-sols, nous avons polycopié la précieuse nourriture spirituelle et l’avons fait circuler parmi les frères, particulièrement ceux qui étaient en prison. ”

Malgré le travail désintéressé et plein d’amour des sœurs et des jeunes, la quantité de nourriture spirituelle produite reste insuffisante. Mais le problème est réglé grâce à des frères polonais qui émigrent de Russie et qui rapportent des fiches d’activité au Béthel de Pologne. Des frères ukrainiens et russes qui, eux, font le trajet inverse, emportent alors en Russie de la nourriture spirituelle, mais aussi des stencils paraffinés, de l’encre et d’autres matériaux.

“ QU’IL S’EN AILLE, CHACUN VERS SON LIEU ”

En 1946, des Témoins qui vivent en Pologne reçoivent l’ordre d’aller s’installer en république soviétique d’Ukraine. Ivan Pachkovski raconte : “ Les frères ont demandé au Béthel de Lodz ce qu’ils devaient faire. La réponse citait Juges 7:7, qui déclare : ‘ Qu’il s’en aille, chacun vers son lieu. ’ Bien des années plus tard, j’ai compris que Jéhovah, dans sa sagesse, dirigeait l’œuvre de prédication dans ces territoires difficiles. Notre ‘ lieu ’, c’était le lieu, quel qu’il soit, où Jéhovah nous envoyait. Nous avons pris conscience de l’importance d’être soumis aux autorités. Dès lors, nous nous sommes préparés à emménager en pays athée.

“ Nous avons d’abord retrouvé, chez un frère, 18 candidats au baptême pour les préparer eux aussi. Nous avons également réuni des publications en russe et en ukrainien, en essayant de les dissimuler au mieux dans nos bagages, au cas où nous serions fouillés. Bientôt, à l’aube, des soldats polonais ont encerclé notre village et nous ont ordonné de nous tenir prêts à partir. Ils nous ont autorisés à emporter un mois de ravitaillement et des ustensiles indispensables. Puis ils nous ont escortés jusqu’à la gare. Et c’est ainsi que la république soviétique d’Ukraine est devenue notre ‘ lieu ’.

“ À peine arrivés, nous avons été entourés par la population et les autorités locales. Comme nous voulions donner le témoignage immédiatement, nous nous sommes fait connaître avec hardiesse. Le lendemain, nous avons reçu la visite inattendue du secrétaire de la Commission locale d’agriculture. Il nous a expliqué que son père avait émigré aux États-Unis et qu’il lui envoyait des publications des Témoins de Jéhovah. Quelle joie d’entendre cela ! Et quel bonheur quand il nous a offert des publications ! Nous avons compris que le pays renfermait de nombreuses ‘ choses désirables ’ lorsque cet homme et sa famille ont commencé à assister à nos réunions (Hag. 2:7). Ils se sont voués sans tarder à Jéhovah et l’ont servi fidèlement pendant des années. ”

UN GRAND TRAVAIL EN PERSPECTIVE

Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, l’activité s’effectue dans des conditions on ne peut plus difficiles. Le 10 avril 1947, dans une lettre adressée au siège mondial, le Béthel de Pologne rapporte : “ Les chefs religieux menacent leurs fidèles de dix ans de travaux forcés en exil s’ils acceptent une Tour de Garde ou un dépliant des Témoins de Jéhovah. Les habitants vivent donc dans la peur et l’angoisse, et ils languissent après la lumière. ”

L’Annuaire de 1947 relate : “ Les Témoins ne disposent pas de publications, ni de La Tour de Garde joliment imprimée. [...] Dans bien des cas, ils font circuler parmi eux des périodiques laborieusement recopiés à la main [...]. Nos coursiers sont parfois arrêtés et jetés en prison, parce qu’on les a trouvés en possession de La Tour de Garde. ”

Réguina Krivokoulskaïa s’exprime ainsi : “ J’avais l’impression que le pays tout entier était entouré de barbelés et que nous étions prisonniers, même si nous n’étions pas enfermés. Nos maris, qui servaient Dieu avec zèle, passaient la plus grande partie de leur temps en prison ou au goulag. Nous, les femmes, subissions de dures épreuves. Toutes, nous savions ce qu’étaient les nuits d’insomnie, la surveillance et la pression psychologique du KGB, la perte d’un emploi, etc. Les autorités essayaient par différents moyens de nous écarter du chemin de la vérité (Is. 30:21). Nous étions convaincues que Satan exploitait la situation et qu’il s’employait à faire cesser la prédication. Mais Jéhovah n’a pas abandonné son peuple — son aide était évidente.

“ Des publications, entrées clandestinement après maintes difficultés, nous donnaient ‘ la puissance qui passe la normale ’ et la sagesse pour affronter la situation (2 Cor. 4:7). Jéhovah dirigeait son peuple et, malgré la forte opposition de l’État, des nouveaux continuaient à rejoindre l’organisation. C’était extraordinaire de les voir prêts, dès le début, à endurer les épreuves aux côtés du peuple de Jéhovah. Seul l’esprit de Jéhovah pouvait être à l’origine d’une pareille chose. ”

DES LETTRES PAR-​DELÀ LES BARRIÈRES

En 1944, du fait de sa neutralité chrétienne, Piotr, le futur mari de Réguina, est envoyé au goulag, dans le district de Gorki. Cela n’entame en rien son zèle pour la prédication. Il se met à écrire des lettres contenant chacune une brève explication d’un enseignement biblique. Il glisse chaque lettre dans une enveloppe, l’attache à une pierre avec une ficelle, puis la jette par-dessus la haute enceinte de fil barbelé... espérant que quelqu’un la lira. Et c’est ce que fait, un jour, la jeune Lidia Boulatova. Piotr l’ayant vue, il l’appelle discrètement et lui demande si elle aimerait en savoir davantage sur la Bible. Lidia est intéressée. Un rendez-vous est donc pris et, dès lors, elle viendra régulièrement récupérer les précieuses lettres.

Devenue une sœur et une proclamatrice zélée, en peu de temps Lidia conduit deux études bibliques, l’une avec Maria Smirnova, l’autre avec Olga Sevriouguina, qui se mettent toutes deux à servir Jéhovah. Pour soutenir ce petit groupe de sœurs, les frères leur font parvenir, depuis l’intérieur du camp, de la nourriture spirituelle. Piotr fabrique une petite valise avec un double-fond qu’il peut remplir de périodiques. Il s’arrange ensuite pour que des non-Témoins, qui ne font pas partie des prisonniers, assurent le transport de la valise, qu’ils déposent à l’adresse de l’une des sœurs et rapportent plus tard au camp.

Sans tarder, ces dernières organisent l’activité de prédication dans la région. Mais la police remarque ce qui se trame. Et, comme c’est d’usage à l’époque, elle envoie un agent pour les espionner. Cet agent, une institutrice, simule un intérêt pour la vérité et gagne la confiance des sœurs, qui n’ont pas l’expérience de ce genre de situation. Elles partagent joyeusement les vérités bibliques avec leur nouvelle “ sœur ”, à qui elles révèlent plus tard comment elles obtiennent les publications. Le périple suivant de la valise est interrompu ; il donne lieu à l’interpellation de Piotr et à sa condamnation à 25 années de détention supplémentaires. Les trois sœurs écopent également de 25 ans de réclusion chacune.

‘ IL FAUT LEUR DONNER DES ÉCLAIRCISSEMENTS ’

Après les années de guerre, la violente opposition du gouvernement soviétique aux activités des Témoins de Jéhovah se poursuit. En mars 1947, les frères de Pologne rapportent qu’un haut fonctionnaire de l’ouest de l’Union soviétique a déclaré qu’avant la fin du printemps la région ne compterait plus un seul Témoin de Jéhovah. Leur lettre précise : “ Alors que nous écrivons, des nouvelles nous apprennent que 100 frères et sœurs ont été arrêtés en une seule journée. ” Mais une autre lettre raconte, à propos des frères incarcérés dans les camps : “ Ils font preuve d’une intégrité extraordinaire. Beaucoup ont déjà sacrifié leur vie. Les frères attendent la délivrance venant de Jéhovah, tout comme l’ont fait ceux qui ont connu les camps de concentration. ”

Des Témoins sont aussi arrêtés en raison de la prédication ou du refus de voter. Des frères responsables écrivent, en 1947 : “ Nous avons l’impression que les plus éminentes autorités russes en savent très peu sur le sort de nos frères et que, en réalité, elles ne cherchent pas à les éliminer. Il faut leur donner les explications et les éclaircissements qui leur manquent. ”

TENTATIVES D’ENREGISTREMENT

Peu après, le Béthel de Pologne suggère que deux frères russes, aidés d’un avocat expérimenté, préparent les documents nécessaires à l’enregistrement des activités des Témoins de Jéhovah en Union soviétique. Une lettre de Pologne adressée aux frères russes précise : “ La prédication de la bonne nouvelle du Royaume doit s’effectuer partout, y compris en Russie (Marc 13:10). ” Et de conclure : “ Soyez patients. Jéhovah transformera vos larmes en cris de joie. — Psaume 126:2-6. ”

En août 1949, Mykola Piatokha, Mikhaïlo Tchoumak et Ilia Babitchouk déposent une demande d’enregistrement. Le gouvernement accepte de reconnaître les Témoins de Jéhovah, mais sous certaines conditions. Il leur faut, entre autres choses, fournir les noms de tous les Témoins vivant en territoire soviétique. C’est inconcevable pour les frères. Bien que l’œuvre se poursuive et que le nombre de proclamateurs ne cesse d’augmenter, de nombreux frères restent emprisonnés.

“ TON JÉHOVAH NE TE SORTIRA PAS D’ICI ”

Piotr Krivokoulski se souvient de l’été 1945 : “ Les frères ont été jugés et envoyés dans différents camps. Dans celui où j’ai été interné, de nombreux détenus ont manifesté un intérêt sincère pour la vérité. L’un d’eux, un prêtre, a vite compris qu’il venait de trouver la vérité et il a pris position pour Jéhovah.

“ Néanmoins, les conditions de vie étaient très dures. Un jour, on m’a enfermé dans une cellule minuscule où je pouvais tout juste tenir debout. Elle était surnommée ‘ le quartier des punaises ’. Il y en avait tellement qu’elles auraient sans doute pu vider un homme de son sang. Campé devant la porte de la cellule, le surveillant m’a dit : ‘ Ton Jéhovah ne te sortira pas d’ici. ’ Ma ration quotidienne se limitait à 300 grammes de pain et à une tasse d’eau. Il n’y avait pas d’air. Pour respirer, je me collais contre la porte et j’aspirais avidement l’air qui filtrait à travers une étroite fissure. Je sentais les punaises me sucer le sang. Pendant ces dix jours dans ‘ le quartier des punaises ’, je n’ai cessé de demander à Jéhovah de me donner la force d’endurer (Jér. 15:15). Quand la porte s’est ouverte, je me suis évanoui. Je me suis réveillé dans une autre cellule.

“ J’ai ensuite été condamné par le tribunal du camp de travail à dix années de réclusion dans un camp pénitentiaire de haute sécurité pour ‘ agitation et propagande contre les autorités soviétiques ’. Dans ce camp, il était impossible d’envoyer ou de recevoir du courrier. La plupart des détenus étaient coupables de crimes violents, tels que des meurtres, et on m’a annoncé que ces condamnés feraient de moi ce qui leur serait demandé — à moins que je ne renonce à ma foi. Je ne pesais plus que 36 kilos et je pouvais à peine marcher. Mais, même dans cet endroit, j’ai trouvé des personnes sincères, bien disposées envers la vérité.

“ Un jour, je m’étais allongé derrière un bosquet et j’étais en train de prier, quand un vieil homme s’est approché. Il m’a demandé : ‘ Qu’est-​ce que tu as bien pu faire pour atterrir dans cet enfer ? ’ En apprenant que j’étais Témoin de Jéhovah, il s’est assis, m’a pris dans ses bras et m’a embrassé. Il m’a dit : ‘ Fiston, ça fait tellement longtemps que je cherche à connaître la Bible ! Est-​ce que tu voudrais m’apprendre ? ’ J’étais submergé par la joie. Comme j’avais cousu plusieurs extraits des Évangiles dans mes vêtements en loque, je les ai sortis. Les yeux du vieil homme se sont emplis de larmes. Ce soir-​là nous avons parlé longtemps. Il m’a dit qu’il travaillait à la cantine et qu’il allait me donner à manger. Et nous sommes devenus amis. Il grandissait spirituellement ; je retrouvais des forces. J’étais convaincu que c’était l’œuvre de Jéhovah. Quelques mois plus tard, il a été libéré et on m’a transféré dans un autre camp, dans le district de Gorki.

“ Les conditions de vie y étaient bien meilleures. Mais, par-dessus tout, j’avais le bonheur de diriger des études bibliques avec quatre détenus. En 1952, les surveillants du camp nous ont surpris en possession de publications. Pendant l’interrogatoire qui a précédé le procès, j’ai été enfermé dans une caisse hermétique. Quand je suffoquais, on ouvrait la caisse pour me permettre de prendre quelques inspirations, puis on la refermait. On voulait m’obliger à renier ma foi. Mes étudiants et moi avons tous été déclarés coupables. À l’énoncé du verdict, aucun d’eux n’a paniqué, à ma grande joie. Tous les quatre ont été condamnés à 25 ans de goulag. Ma peine était plus lourde, mais elle a été commuée en 25 ans de réclusion supplémentaire dans un camp de haute sécurité et 10 ans de déportation. En sortant de la pièce, nous nous sommes arrêtés pour remercier Jéhovah de nous avoir soutenus. Les gardiens n’en revenaient pas ; ils se demandaient ce qui pouvait bien nous rendre heureux. Nous avons été séparés et envoyés dans différents goulags. Ma destination était le camp de haute sécurité de Vorkouta. ”

SAUVÉS GRÂCE À LA NEUTRALITÉ CHRÉTIENNE

La vie dans les camps est dure. Chez les détenus non Témoins, les suicides ne sont pas rares. Ivan Krylov se rappelle : “ Libéré d’un camp de haute sécurité, j’ai été envoyé dans différentes mines de charbon où des frères et sœurs purgeaient des peines de travaux forcés. Nous entrions en contact et, dès que l’un de nous parvenait à recopier des extraits de nos périodiques, nous faisions circuler les copies. Dans tous les camps, les Témoins prêchaient, et de nombreuses personnes s’intéressaient au message. Après leur libération, certaines d’entre elles ont été baptisées dans la Vorkouta.

“ Notre foi en Jéhovah et en son Royaume était constamment mise à l’épreuve. En 1948, par exemple, des prisonniers ont organisé une mutinerie dans un camp de Vorkouta. Pour la mener à bien, ils ont demandé aux prisonniers de former des groupes — par nationalité ou par religion. Nous étions alors 15 Témoins dans le camp. Nous leur avons expliqué qu’étant Témoins de Jéhovah, donc chrétiens, nous ne participions pas à de telles actions, tout comme les premiers chrétiens ne s’étaient pas associés aux soulèvements contre les Romains. Cette position en a surpris plus d’un, mais nous sommes restés fermes. ”

Réprimée par des soldats armés, la révolte aura des conséquences effroyables. Les mutins seront conduits dans un baraquement, que les soldats aspergeront d’essence puis enflammeront. Presque personne n’en réchappera. Les frères, en revanche, ne seront pas inquiétés.

“ En décembre 1948, poursuit Ivan, j’ai rencontré huit frères dans un autre camp. Ils étaient tous condamnés à 25 ans de réclusion. L’hiver était extrêmement froid, le travail dans les mines, éreintant. Pourtant, je lisais dans leurs yeux la confiance et la force de leur espérance. Leur état d’esprit positif encourageait même les prisonniers non Témoins. ”

DÉPORTÉS EN SIBÉRIE

Malgré l’opposition farouche des autorités, les Témoins continuent à prêcher avec zèle le Royaume de Dieu, ce qui exaspère le pouvoir central, à Moscou, et plus encore le KGB. Dans une note du 19 février 1951, le MGB (ministère de la Sécurité d’État, appelé par la suite KGB) écrit à Staline : “ Pour empêcher toute nouvelle action antisoviétique des Jéhovistes clandestins, le MGB d’URSS estime nécessaire d’exiler les Jéhovistes avérés ainsi que leurs familles dans les districts d’Irkoutsk et de Tomsk. ” Le KGB connaît les Témoins. Il demande donc à Staline l’autorisation de déporter en Sibérie 8 576 personnes originaires de six républiques soviétiques, et il l’obtient.

Magdalina Belochitskaïa se souvient : “ Le dimanche 8 avril 1951, à deux heures du matin, nous avons été réveillés par des coups violents dans la porte. Maman s’est levée d’un bond et a couru ouvrir. Un policier se tenait là. ‘ Vous êtes déportés en Sibérie pour cause de croyance en Dieu, a-​t-​il lancé sur un ton officiel. Vous avez deux heures pour préparer vos affaires. Vous pouvez prendre tout ce que vous voulez dans la pièce. Mais les semences, la farine et les céréales ne sont pas autorisées, pas plus que le mobilier, les ustensiles en bois et les machines à coudre. Vous ne pouvez rien emporter de ce qui est à l’extérieur. Prenez votre linge de lit, vos vêtements, vos sacs ; et sortez tous. ’

“ Nous avions lu dans les publications qu’il y avait beaucoup à faire dans l’Est. Nous en avons déduit que le moment était venu d’accomplir notre part.

“ Personne n’a geint ou pleuré. Surpris, le policier s’est exclamé : ‘ Pas la moindre petite larme dans vos yeux ! ’ Nous lui avons répondu que nous nous attendions à cet événement depuis 1948. Lorsque nous lui avons demandé la permission d’emporter au moins un poulet vivant pour le voyage, il a refusé. Avec ses collègues, ils se sont réparti notre bétail. Puis, sous nos yeux, ils se sont partagé les poulets — qui cinq, qui six, qui trois ou quatre. Quand il n’en est plus resté que deux dans le poulailler, un policier a donné ordre qu’on les tue et qu’on nous les donne.

“ Ma petite fille de huit mois était dans son berceau en bois. La permission d’emporter le berceau nous a été refusée. Il a fallu le démonter et nous n’avons été autorisés à prendre que la nacelle.

“ Rapidement, nos voisins ont appris que nous étions déportés. L’un d’eux nous a apporté un petit paquet de biscottes. Il l’a lancé dans la charrette qui nous emmenait. Mais le soldat qui nous surveillait l’a vu et a jeté le paquet par terre. Nous étions six — maman, mes deux frères, mon mari, le bébé et moi. Une fois sortis du village, nous avons été entassés dans une voiture et conduits au centre régional où nos papiers étaient en cours de préparation. Puis c’est en camion que nous avons rejoint la gare.

“ C’était un beau dimanche ensoleillé. La gare était pleine de monde : les déportés et ceux qui venaient regarder. Notre camion s’est arrêté près d’un wagon. D’autres frères s’y trouvaient déjà. Une fois le train rempli, les soldats ont fait l’appel, par noms de famille. Nous étions 52 dans notre wagon. Des gens qui nous disaient au revoir se sont mis à pleurer. C’était étonnant. Certains nous étaient totalement inconnus. Mais eux savaient que nous étions Témoins de Jéhovah et qu’on nous exilait en Sibérie. Alors que la machine à vapeur lançait son puissant coup de sifflet, les frères ont entonné un cantique en ukrainien : ‘ Que l’amour du Christ soit avec vous. En rendant gloire à Jésus Christ, nous nous reverrons dans son Royaume. ’ Nous étions pour la plupart pleins d’espoir, convaincus que Jéhovah ne nous abandonnerait pas. Nous avons chanté plusieurs couplets. C’était tellement émouvant que même des soldats pleuraient. Puis le train s’est ébranlé. ”

DES CONSÉQUENCES “ STRICTEMENT OPPOSÉES À CELLES ESCOMPTÉES ”

Nikolaï Gordienko, professeur à l’université Herzen de Saint-Pétersbourg, explique dans un livre ce qu’ont obtenu les persécuteurs : “ Les conséquences ont été strictement opposées à celles escomptées. Ils voulaient affaiblir l’organisation des Témoins de Jéhovah en URSS, mais ils n’ont fait que la renforcer. Dans des endroits où personne n’avait entendu parler de leur religion, les Témoins de Jéhovah tout juste déportés ont ‘ contaminé ’ la population par leur foi et leur fidélité. ”

Sur place, nombre de Témoins s’adaptent rapidement à leur nouvelle vie. De petites congrégations sont formées et des territoires leur sont attribués. Nikolaï Kalibaba raconte : “ Pendant une période, en Sibérie, nous avons prêché de porte en porte ou, plus exactement, d’une porte à une autre, deux ou trois maisons plus loin. Mais c’était risqué. Comment s’y prenait-​on ? Après la première rencontre, au bout d’un mois environ, nous essayions de faire une nouvelle visite. Nous commencions par demander : ‘ Avez-​vous des poulets, des chèvres ou des vaches à vendre ? ’ Et, petit à petit, nous amenions la conversation sur le Royaume. Puis le KGB a eu vent de ce qui se passait, et bientôt un article paraissait dans le journal pour prévenir la population locale du danger de parler avec nous. L’article expliquait que les Témoins de Jéhovah allaient de porte en porte soi-disant à la recherche de chèvres, de vaches et de poulets, mais qu’en réalité... c’étaient des brebis qu’ils voulaient ! ”

Gavriil Livy rapporte : “ Les frères s’efforçaient de participer au ministère en dépit de la surveillance étroite du KGB. Ils le faisaient aussi en dépit de l’état d’esprit des Soviétiques, qui, dès qu’ils soupçonnaient une tentative d’aborder avec eux le thème religieux, appelaient la police. Pourtant, et malgré l’absence de résultats tangibles au début, nous n’avons pas cessé de prêcher. Et, avec le temps, certains ont commencé à changer sous l’influence de la vérité. Par exemple, un Russe, buveur invétéré, a conformé sa vie aux principes bibliques lorsqu’il a découvert la vérité. Il est devenu Témoin. Plus tard, un agent du KGB l’a convoqué et lui a dit : ‘ Regarde avec qui tu passes ton temps ! Ces Témoins sont tous de sales Ukrainiens. ’

“ Le frère a répondu : ‘ Vous n’avez jamais fait attention à moi quand j’étais ivre mort, vautré dans le caniveau. Et maintenant que je suis une personne normale, un bon citoyen, vous n’êtes pas content. Beaucoup d’Ukrainiens quittent la Sibérie, mais ils laisseront derrière eux des Sibériens à qui Dieu apprend à vivre. ’ ”

Au bout de quelques années, d’Irkoutsk, un responsable écrira à Moscou : “ Ici, certains travailleurs sont d’avis qu’il faudrait tous les envoyer [les Témoins de Jéhovah] dans le nord, dans un endroit où ils ne seraient en contact avec aucune population, et les rééduquer. ” Ni la Sibérie ni Moscou ne savent comment réduire les Témoins de Jéhovah au silence.

“ NOUS VOUS AURIONS TOUS FUSILLÉS ”

Début 1957, les autorités se mobilisent de nouveau contre les Témoins. Les frères sont suivis, on perquisitionne chez eux. Viktor Goutchmidt se rappelle : “ Un jour, de retour de prédication, j’ai trouvé mon appartement sens dessus dessous. Le KGB cherchait des publications. J’ai été arrêté, et interrogé pendant deux mois. Ioulia, notre plus jeune fille, avait onze mois, et sa sœur aînée, deux ans.

“ Lors de l’enquête, l’inspecteur m’a lancé : ‘ Tu es Allemand, non ? ’ Pour beaucoup, à l’époque, le mot ‘ allemand ’ était synonyme de ‘ fasciste ’. Les Allemands étaient haïs.

“ ‘ Je ne suis pas nationaliste, ai-​je répondu, mais si vous faites allusion aux Allemands qui ont été internés dans les camps de concentration par les nazis, alors, je suis fier de ces Allemands ! Les Bibelforscher, c’était leur nom. Aujourd’hui, on les appelle les Témoins de Jéhovah. Je suis fier qu’aucun Témoin n’ait jamais tiré ni une balle ni un obus. De ces Allemands-​là, oui, je suis fier ! ’

“ L’inspecteur se taisait, j’ai donc poursuivi : ‘ Je suis convaincu que pas un seul Témoin de Jéhovah n’a participé à une quelconque rébellion ou révolte. Même lorsque leur activité est interdite, ils continuent à adorer Dieu. Mais en même temps, ils reconnaissent les autorités établies et s’y soumettent dans la mesure où leurs lois ne violent pas les lois supérieures du Créateur. ’

“ Soudain, l’inspecteur m’a interrompu : ‘ Nous ne nous sommes jamais intéressés d’aussi près à aucun autre groupe et à ses activités qu’aux Témoins. Si nous avions trouvé la moindre chose, ne serait-​ce qu’une goutte de sang versé, nous vous aurions tous fusillés. ’

“ Je me suis alors dit : ‘ Nos frères servent courageusement Jéhovah partout dans le monde, et leur exemple nous a sauvé la vie, ici, en Union soviétique. Peut-être qu’à notre tour nous pouvons aider nos frères dans un autre endroit de la terre. ’ Cette pensée m’a conforté dans ma détermination à adhérer aux voies de Jéhovah. ”

DES TÉMOINS DANS PLUS DE 50 CAMPS

La neutralité et la prédication zélée des Témoins de Jéhovah d’Union soviétique ne cessent d’exaspérer le gouvernement (Marc 13:10 ; Jean 17:16). Les prises de position des frères leur valent souvent de longues et d’injustes peines de prison.

De juin 1956 à février 1957, à l’occasion de 199 assemblées de district tenues à travers le globe, 462 936 assistants signent une pétition, qui est envoyée au Conseil des ministres d’Union soviétique à Moscou. Ce document déclare, entre autres choses : “ Il y a des Témoins de Jéhovah détenus dans plus de 50 camps situés en Russie européenne, en Sibérie et plus au nord vers l’océan Arctique, et même dans l’île arctique de Nouvelle-Zemble [...]. En Amérique et dans d’autres pays occidentaux, les Témoins de Jéhovah ont été taxés de communistes et, dans les pays sous tutelle communiste, on les a qualifiés d’impérialistes [...]. Accusés par les gouvernements communistes d’être des ‘ espions impérialistes ’, ils se sont vu infliger des peines de prison allant parfois jusqu’à 20 ans. Pourtant, ils ne se sont jamais associés à aucune action subversive. ” Malheureusement, cette pétition n’aura que peu d’effet sur la situation des Témoins de Jéhovah en Union soviétique.

Il est particulièrement difficile pour les Témoins de Russie qui ont une famille d’élever leurs enfants. Vladimir Sosnine, un Moscovite qui a élevé trois garçons pendant cette période, explique : “ L’école soviétique était obligatoire. Les enseignants et les élèves faisaient pression sur nos enfants pour qu’ils adhèrent à des organisations qui prônaient l’idéologie communiste. Nous voulions que nos enfants reçoivent l’instruction nécessaire et nous les aidions dans leurs études. Mais ce n’était pas facile pour nous, les parents, de développer dans leur cœur l’amour de Jéhovah. Les cours étaient saturés d’idées favorables au socialisme et au communisme. Il nous fallait faire preuve de beaucoup de patience et de persévérance. ”

ACCUSÉS D’AVOIR DÉCHIRÉ L’OREILLE DE LEUR FILLE

Semyone et Daria Kostylev ont élevé leurs trois enfants en Sibérie. Semyone raconte : “ À cette époque-​là, les Témoins étaient perçus comme des fanatiques. En 1961, Alla, notre deuxième fille, est entrée en cours préparatoire. Un jour qu’elle jouait avec d’autres enfants, l’un d’eux l’a accidentellement blessée à l’oreille. Le lendemain, l’institutrice lui a demandé comment elle s’était fait ça. Ne voulant pas dénoncer le responsable, Alla est restée muette. L’institutrice, qui savait que nous étions Témoins de Jéhovah, en a déduit que nous frappions Alla pour la forcer à se plier aux principes bibliques. L’école a donc transmis l’affaire au bureau du procureur. L’entreprise où je travaillais a également été informée. Au bout d’environ un an d’investigations, nous avons reçu une sommation à comparaître. L’audience était prévue en octobre 1962.

“ Pendant les deux semaines qui ont précédé le procès, une banderole a été accrochée sur le Palais de la Culture. ‘ Très bientôt, procès contre la dangereuse secte jéhoviste ’, y lisait-​on. Ma femme et moi étions accusés d’éduquer nos enfants selon les principes de la Bible. Nous étions également accusés de sévices. Le tribunal a prétendu que nous avions contraint notre fille à prier et que nous lui avions déchiré l’oreille en nous servant du rebord tranchant d’un seau ! Le seul témoin était Alla, mais elle avait été envoyée dans un orphelinat à Kirensk, à 700 kilomètres au nord d’Irkoutsk, où nous vivions.

“ La salle était remplie d’activistes d’une organisation de jeunesse. Quand le tribunal s’est retiré pour délibérer, la foule s’est déchaînée. Nous avons été bousculés et injuriés. Quelqu’un a demandé qu’on nous enlève nos vêtements ‘ soviétiques ’. Tout le monde hurlait qu’il fallait nous tuer ; quelqu’un voulait même en finir immédiatement avec nous. La foule écumait de rage. Et les juges ne se montraient toujours pas. Les délibérations ont duré une heure. Quand la foule s’est finalement précipitée sur nous, une sœur et son mari non Témoin se sont interposés, suppliant qu’on ne nous fasse pas de mal. Ils ont entrepris d’expliquer que toutes les accusations dont nous étions l’objet étaient fausses, et nous ont littéralement arrachés des mains de la foule.

“ Un juge, accompagné des assesseurs du Tribunal du peuple, est enfin apparu. Il a lu le verdict : nous étions déchus de l’autorité parentale. J’ai été mis sous bonne garde et envoyé dans un camp disciplinaire pour deux ans. Notre fille aînée a également été expédiée dans un orphelinat, après avoir été informée que ses parents étaient membres d’une secte dangereuse et que l’éducation qu’ils lui donnaient lui était nuisible.

“ Comme il n’était âgé que de trois ans, notre fils a pu rester avec Daria. Une fois ma peine purgée, je suis rentré à la maison. Comme avant, seul le témoignage informel était possible. ”

“ NOUS ÉTIONS FIERS DE NOS ENFANTS ”

“ Quand elle a eu 13 ans, Alla a quitté l’orphelinat et nous est revenue. Quel bonheur de la voir se vouer à Jéhovah et se faire baptiser en 1969 ! Vers cette même période, une série de conférences sur la religion était présentée au Palais de la Culture, dans notre ville. Nous avons décidé d’y assister pour voir ce qu’on y raconterait cette fois. Comme d’habitude, les Témoins de Jéhovah étaient le sujet de prédilection. Brandissant une Tour de Garde, l’un des orateurs a déclaré : ‘ Cette revue est dangereuse ; elle sape l’unité de notre nation. ’ Puis, enchaînant sur un exemple : ‘ Les membres de cette secte forcent leurs enfants à lire cette revue et à prier. Dans une famille, une petite fille qui avait refusé de la lire a eu l’oreille déchirée par son père. ’ Alla était étonnée : elle était bien là, avec ses deux oreilles intactes, en train d’écouter la conférence ! Mais, craignant qu’on ne lui enlève encore ses parents, elle s’est tue.

“ Boris, notre fils, s’est lui aussi voué à Jéhovah et s’est fait baptiser, à l’âge de 13 ans. Un jour, alors que l’œuvre était toujours interdite, il prêchait dans la rue — sans bible ni publications — avec des Témoins de son âge. Une voiture est soudain arrivée et ils ont tous été emmenés au siège de la milice. Les miliciens les ont interrogés et fouillés, mais ils n’ont rien trouvé d’autre que deux versets bibliques griffonnés sur un bout de papier. Les garçons ont été autorisés à rentrer chez eux. De retour à la maison, Boris, tout content, nous a raconté comment, avec les autres frères, ils avaient été persécutés à cause du nom de Jéhovah. Nous étions fiers de nos enfants, que Jéhovah avait soutenus pendant l’épreuve. À la suite de cet incident, Daria et moi avons été convoqués à plusieurs reprises par le KGB. Un agent nous a déclaré : ‘ Ces enfants devraient être envoyés dans une colonie pénitentiaire pour enfants. Dommage qu’ils n’aient pas encore 14 ans ! ’ Nous avons dû payer une amende pour l’activité de prédication de notre garçon.

“ Aujourd’hui, j’habite avec mon fils et mes petits-enfants, qui marchent également dans la vérité. Ma fille aînée vit en Ouzbékistan et, bien qu’elle ne serve pas encore Jéhovah, elle a du respect pour nous et pour la Bible. Elle nous rend souvent visite. En 2001, après avoir servi fidèlement Jéhovah jusqu’à la fin, Daria s’est éteinte. Tant que j’en ai encore la force, je me joins à la congrégation pour aller prêcher dans les territoires éloignés, à la recherche des personnes qui sont ‘ dans la disposition qu’il faut pour la vie éternelle ’. (Actes 13:48.) Je suis convaincu que, très bientôt, Jéhovah comblera les désirs de chacun d’entre nous, comme le montre Isaïe 65:23. ”

DES PARENTS QUI ONT ÉTÉ DE BEAUX EXEMPLES

Vladislav Apaniouk fait partie de la famille du Béthel de Russie. Il se souvient de la façon dont ses parents ont fait naître en lui et en ses frères et sœurs, dès l’enfance, l’amour pour Dieu : “ Nos parents ont été déportés d’Ukraine en Sibérie en 1951. Ils nous ont enseigné à prendre des décisions personnelles tout en nous efforçant de plaire à Jéhovah. J’admirais leur façon de parler franchement de leurs défauts en notre présence. Quand ils commettaient une erreur, ils ne la cachaient pas. Leur amour pour Jéhovah était évident. Ils étaient souvent joyeux, particulièrement lorsqu’ils discutaient de sujets spirituels avec nous. Méditer et parler de Jéhovah était quelque chose qu’ils aimaient, c’était manifeste. Et c’est ce qui nous a poussés à méditer sur les vérités concernant Jéhovah. Nous imaginions ce que serait la vie dans le monde nouveau, quand tout serait magnifique et que la maladie et la guerre auraient disparu.

“ Alors que j’étais en CE2, ma classe a été invitée à faire partie d’une organisation des jeunesses soviétiques, appelée les Pionniers. Pour la plupart des enfants, c’était un grand honneur. Mes camarades de classe avaient attendu ce jour fébrilement. Chacun de nous était censé rédiger un serment solennel par lequel il était prêt à rejoindre les rangs des Pionniers soviétiques, les futurs bâtisseurs du communisme. J’ai refusé. En guise de punition, j’ai été enfermé dans la classe. L’institutrice m’a dit : ‘ Tu ne sortiras pas d’ici avant d’avoir écrit le serment. ’ Quelques heures plus tard, des camarades frappaient à la fenêtre. Ils insistaient pour que j’aille jouer avec eux. Mais je suis resté dans la classe, déterminé à ne rien écrire. Une autre institutrice est arrivée en début de soirée. Me voyant là, elle m’a laissé rentrer chez moi, enfin. C’était ma première victoire. J’étais fier d’avoir fait quelque chose qui puisse réjouir le cœur de Jéhovah (Prov. 27:11). De retour à la maison, j’ai raconté à mes parents ce qui m’était arrivé. Ils étaient tout heureux ; papa m’a dit : ‘ C’est très bien, mon fils ! ’ ”

LA BIBLE JUGÉE ANTISOVIÉTIQUE

Des frères sont parfois jugés pour la seule raison qu’ils possèdent une bible. Nadejda Vichniak rapporte : “ Mon mari et moi n’étions pas encore Témoins de Jéhovah, mais la vérité avait profondément touché notre cœur. Un jour, la police est venue me chercher sur mon lieu de travail et m’a emmenée sans me laisser le temps de me changer. Piotr, mon mari, a également été arrêté au travail. Notre maison venait d’être fouillée et la police avait trouvé une bible et la brochure Après Harmaguédon, Dieu établira un monde nouveau. Piotr m’avait crue à l’abri d’une arrestation parce que j’étais enceinte de sept mois.

“ Accusés d’agissements antisoviétiques, nous avons répondu que nous croyions en la Bible, dont l’autorité était bien supérieure à celle du pouvoir soviétique.

“ ‘ La Bible est la Parole de Dieu. C’est la raison pour laquelle nous voulons conformer notre vie à ses principes ’, ai-​je déclaré.

“ Je n’étais plus qu’à deux semaines de l’accouchement quand le procès a commencé. Le juge a autorisé des pauses pendant les audiences, pour me permettre de faire quelques pas à l’extérieur, accompagnée par un soldat armé. Quand ce dernier m’a demandé ce que j’avais fait, j’ai saisi cette magnifique occasion de donner le témoignage.

“ Le juge a déclaré que la bible et les publications qui nous avaient été confisquées étaient ‘ antisoviétiques ’. C’était une fierté pour nous d’être accusés d’antisoviétisme au même titre que nos publications et, même, que la Bible ! Le magistrat nous a demandé où nous avions connu les Témoins de Jéhovah. Quand nous lui avons répondu que c’était au camp de travail de Vorkouta, il a vociféré : ‘ Regardez ce qui se passe dans nos camps ! ’ Nous avons été reconnus coupables et condamnés à dix ans de réclusion dans un camp disciplinaire.

“ Piotr a été envoyé en Mordovie, dans le centre de la Russie. Pour ma part, j’ai été mise en isolement cellulaire. En mars 1958, notre fils est venu au monde. Pendant cette période difficile, Jéhovah était mon meilleur ami et mon meilleur soutien. Ma mère a recueilli le bébé et en a pris soin. J’ai été emmenée à Kemerovo, en Sibérie, et internée dans un camp de travail.

“ Au bout de huit ans, j’ai été relâchée, sans avoir purgé toute ma peine. Je me souviens des propos de la responsable, dans le baraquement. Elle a dit bien fort que je n’avais jamais proféré une seule remarque ‘ antisoviétique ’ et que nos publications étaient strictement religieuses. Une fois libérée, en 1966, je me suis fait baptiser. ”

La Bible et les publications sont extrêmement précieuses dans les prisons et dans les camps. Dans l’un d’eux, en Mordovie, en 1958, les frères tiennent régulièrement des réunions. Pour éviter d’être pris sur le fait par les surveillants, ils désignent des frères qui, postés à portée de voix les uns des autres, font le guet pendant l’étude de La Tour de Garde. Dès qu’un surveillant apparaît, le premier frère annonce “ on vient ”, et le signal est transmis de frère en frère jusqu’au groupe. Tout le monde s’éparpille ; les périodiques disparaissent. Mais, souvent, les surveillants semblent sortir de nulle part.

Un jour, alors que les frères se sont fait surprendre, l’un d’eux, Boris Kryltsov, décide de détourner l’attention des surveillants pour que les périodiques ne soient pas confisqués. Saisissant un livre, il s’enfuit en courant. Après l’avoir longuement poursuivi, les surveillants l’attrapent... pour constater que ce qu’il tient en main est une œuvre de Lénine ! Malgré les sept jours d’isolement dont il écope, Boris est heureux : il a “ sauvé ” les périodiques.

DES GRAINES DE VÉRITÉ À MOSCOU

La prédication de la bonne nouvelle à Moscou a commencé avec un petit groupe. Boris Kryltsov a été l’un des premiers à prêcher avec zèle dans la capitale. Il raconte : “ À l’époque, j’étais chef de chantier. Avec quelques frères et sœurs, je m’efforçais de prêcher de façon informelle. Le KGB ayant eu vent de ce que je faisais, en avril 1957 mon appartement a été fouillé. On y a trouvé des publications bibliques, et j’ai été immédiatement arrêté. Pendant l’interrogatoire, l’inspecteur m’a dit que les Témoins de Jéhovah étaient les gens les plus dangereux du pays. ‘ Si nous vous laissons faire, les citoyens soviétiques vont vous suivre en masse. Voilà pourquoi nous vous considérons comme une grave menace pour l’État. ’

“ ‘ La Bible nous apprend à être respectueux des lois, lui ai-​je répondu. Elle nous dit également de continuer à chercher d’abord le Royaume et la justice de Dieu. Les vrais chrétiens n’ont jamais tenté de s’emparer du pouvoir, dans aucun pays. ’

“ ‘ D’où tenez-​vous les écrits que nous avons trouvés chez vous ? ’ a demandé l’inspecteur.

“ ‘ Qu’avez-​vous à leur reprocher ? Ils parlent des prophéties de la Bible et n’abordent aucune question politique ’, lui ai-​je dit.

“ ‘ Oui, a-​t-​il rétorqué, mais ils sont publiés à l’étranger. ’

“ Finalement, je me suis retrouvé à Vladimir, dans un camp de haute sécurité. À ma grande surprise, bien que j’aie été fouillé consciencieusement, j’ai réussi à introduire dans le camp quatre numéros de La Tour de Garde recopiés à la main sur du papier fin. L’aide de Jéhovah était manifeste. Une fois dans ma cellule, j’ai recopié les quatre éditions. Je savais qu’il y avait là d’autres Témoins, qui n’avaient pas reçu de nourriture spirituelle depuis sept ans. J’ai ensuite fait circuler les manuscrits par une sœur qui était chargée de nettoyer les escaliers.

“ Mais il s’est avéré qu’un indicateur s’était glissé parmi les frères. Il a prévenu les gardiens que quelqu’un faisait circuler des écrits bibliques. Immédiatement, les fouilles ont commencé et toutes les publications ont été confisquées. Arrivés dans ma cellule, ils ont trouvé des publications à l’intérieur de mon matelas, ce qui m’a valu 85 jours d’isolement. Mais, comme il l’avait fait jusque-​là, Jéhovah a continué à prendre soin de nous. ”

DES CONFÉRENCES QUI SUSCITENT L’INTÉRÊT POUR LA VÉRITÉ

Les conférences sont utilisées dans la lutte idéologique contre les Témoins de Jéhovah en Union soviétique. Viktor Goutchmidt explique : “ Notre camp recevait régulièrement la visite d’orateurs qui faisaient l’apologie de l’athéisme. À chaque fois, les frères posaient des questions et, parfois, l’orateur était incapable de répondre, même à la plus simple. La salle était généralement bondée et les auditeurs très attentifs. Ils venaient de leur plein gré, curieux de savoir ce que les Témoins de Jéhovah auraient à dire à la fin du discours.

“ Un jour, l’orateur était un prêtre orthodoxe russe défroqué. Tout le monde savait qu’il avait renié sa foi et était devenu athée pendant son internement dans un camp.

“ ‘ Étiez-​vous athée avant la prison, ou l’êtes-​vous devenu après ? ’ lui a demandé un frère à la fin du discours.

“ ‘ Réfléchissez un peu, a-​t-​il répondu. Un homme est allé dans l’espace, mais il n’y a pas vu Dieu. ’

“ ‘ Quand vous étiez prêtre, a poursuivi le frère, vous imaginiez-​vous vraiment que Dieu observait les gens depuis un endroit situé à un peu plus de 200 kilomètres de la surface de la terre ? ’ L’homme n’a rien répondu. Ces échanges ont donné à de nombreux prisonniers matière à réflexion. Et certains ont commencé à étudier la Bible avec nous.

“ À l’occasion d’une de ces conférences, une sœur a demandé la permission de prendre la parole. ‘ Allez-​y. Vous êtes Témoin de Jéhovah je suppose ’, a répondu l’orateur.

“ ‘ Comment qualifieriez-​vous une personne qui se tient dans un champ et qui hurle : “ Je vais te tuer ”, alors qu’il n’y a personne aux alentours ? ’ a interrogé la sœur.

“ ‘ Je dirais qu’elle n’est pas bien maligne ’, a-​t-​il répondu.

“ ‘ Si Dieu n’existe pas, alors pourquoi le combattre ? S’il n’existe pas, il n’y a personne à combattre. ’ Les rires ont fusé dans la salle. ”

LE PRÉDICATEUR REVIENDRA SANS CESSE

Bien sûr, les conférences propagandistes ne se limitent pas aux camps. Elles sont surtout organisées en milieu urbain, pour le grand public. Des orateurs expérimentés font le tour des villes, et plus particulièrement de celles qui comptent de nombreux Témoins, telles que Vorkouta, Inta, Oukhta et Syktyvkar. Frère Goutchmidt relate : “ En 1957, un orateur est venu donner une conférence pour les mineurs au Palais de la Culture d’Inta, où 300 personnes s’étaient rassemblées. Il a expliqué quelles étaient les croyances des Témoins et comment ils prêchaient. Après avoir décrit avec exactitude nos méthodes de prédication, qui consistaient en une quinzaine de sermons successifs, il a poursuivi : ‘ Si vous n’exprimez pas votre désaccord, le prédicateur reviendra sans cesse. Si, à la deuxième visite, vous ne dites toujours rien, alors la troisième suivra. ’

“ En deux heures, appliquant nos méthodes, il a présenté, mot pour mot, six des sermons en question. Consultant ses notes, il a lu tous les versets cités. J’étais alors interné dans un camp, et c’est ma femme, Polina, qui m’a écrit pour me raconter ce fait. Elle expliquait que les frères, dans la salle, n’en croyaient pas leurs oreilles. Après cette conférence, le journal local a critiqué les Témoins, mais il a aussi fait une description détaillée du Royaume. Qui plus est, le discours complet a été retransmis à la radio. Grâce à cela, des milliers d’habitants de la ville ont su comment les Témoins de Jéhovah prêchaient, et ce qu’ils prêchaient.

“ En 1962, un orateur moscovite s’est déplacé pour faire une conférence sur les Témoins. Il a d’abord évoqué leur histoire moderne, puis il a dit : ‘ Tous les mois, des millions de dollars affluent à Brooklyn sous forme d’offrandes volontaires. Ces fonds sont destinés au développement de l’activité des Témoins dans différents pays. Mais aucun des responsables ne possède ne serait-​ce que l’armoire où il range ses vêtements. De la femme de ménage au président, ils mangent tous dans le même réfectoire. Ils ne font pas de différences entre eux. Ils s’appellent tous “ frère ” et “ sœur ”, comme nous, “ camarade ”. ’

“ Un silence a suivi cette déclaration. Puis il a ajouté : ‘ Mais nous n’adopterons pas leur idéologie, aussi séduisante qu’elle paraisse, parce que nous voulons créer tout cela sans Dieu, avec nos mains et nos têtes. ’

“ C’était extrêmement encourageant : pour la première fois, de la bouche des autorités, nous entendions la vérité sur les Témoins. Et de nombreuses personnes l’entendaient aussi ! Néanmoins, il fallait que les gens constatent par eux-​mêmes l’effet bénéfique des enseignements bibliques sur leur vie. ”

UNE SURVEILLANCE PAS TOUJOURS EFFICACE

Enregistrement des conversations téléphoniques et interception du courrier sont quelques-unes des méthodes de surveillance couramment utilisées par le KGB, des années durant. En cachette, des micros sont parfois posés chez les frères qui assurent la direction de la congrégation. Grigori Sivoulski, qui a été surveillant de district pendant 25 ans sous l’interdiction, en sait quelque chose. Il se rappelle ce qui s’est produit en 1958 : “ Nous vivions dans la banlieue de Touloun, en Sibérie, à l’étage d’un immeuble de deux niveaux. Un jour, en rentrant à la maison, j’ai entendu un bruit de perceuse en provenance du grenier. J’ai compris que des agents du KGB étaient en train de poser des micros pour nous écouter — une pratique courante. La plupart de nos publications étaient cachées dans les combles et les avant-toits.

“ Le soir, tous les membres de la famille étant réunis, je leur ai fait part de mes soupçons, et nous avons décidé de ne plus parler chez nous, pendant un temps, de quoi que ce soit qui touche à la congrégation. Nous avons mis la radio — le volume suffisamment fort — et nous l’avons laissée allumée toute la semaine. À la fin de la semaine, avec un frère, nous avons grimpé au grenier et trouvé un câble qui était relié au système d’écoute. Il courait entre deux rangées de planches, longeait les avant-toits et filait droit dehors en direction de la ville et des bureaux du KGB. Tout était enregistré, c’était certain. Tout... enfin, uniquement des émissions de radio jusqu’à maintenant ! ”

LE KGB INFILTRE L’ORGANISATION

Voyant que les persécutions directes n’affaiblissent pas le zèle des Témoins, le KGB entreprend d’utiliser la ruse et la tromperie. Il sème le doute à l’égard des frères responsables et de l’organisation en général. L’une de ses stratégies consiste à introduire des agents expérimentés dans les congrégations.

Plusieurs d’entre eux parviennent même à se voir confier des responsabilités. Ces faux frères font tout ce qu’ils peuvent pour ralentir l’activité de prédication. Ils fomentent un climat de peur et d’incertitude, propice à la suspicion à l’égard des frères nommés. Qui plus est, ils détournent les publications et les transmettent au KGB. Selon un rapport, entre 1957 et 1959, deux agents parviendront ainsi à livrer au KGB plus de 500 exemplaires de La Tour de Garde, et d’autres publications.

Vers le milieu des années 50, des frères se mettent à douter du Comité du pays. Les rumeurs vont bon train : certains membres de ce comité seraient à la solde du KGB et dénonceraient des frères fidèles, notamment ceux qui reproduisent les publications. Ivan Pachkovski se souvient : “ En avril 1959, un nouveau Comité de pays a été formé. J’en faisais partie. Nous étions profondément déterminés à défendre la vérité, quelles que soient les tentatives du Diable pour semer la zizanie entre les frères. C’était le début de la période la plus difficile de l’histoire des Témoins de Jéhovah en URSS. ”

Les soupçons grandissant, certains frères cessent de rapporter l’activité de la congrégation au Comité du pays. Les proclamateurs poursuivent leur ministère et remettent leurs fiches d’activité régulièrement, ignorant pour la plupart qu’elles ne sont plus transmises. Vers 1958, des milliers de proclamateurs sont ainsi isolés du Comité du pays par des groupes de frères. À Irkoutsk et à Tomsk, et plus tard dans d’autres villes russes, ces groupes de frères qui se sont dissociés de l’organisation continuent à se développer. En mars 1958, ils constituent leur “ Comité de pays ”, espérant le faire reconnaître par toutes les congrégations.

Le Collège central se démène pour aider les frères d’URSS à s’unir de nouveau dans le culte de Jéhovah. Alfred Rütimann (de Suisse), coordinateur du bureau nord-européen qui supervise alors l’œuvre en Union soviétique, adresse en 1959 une lettre aux frères russes. Il leur explique que Jéhovah ne bénira que ceux qui favorisent l’unité et la prédication de la bonne nouvelle du Royaume. Certains de ceux qui s’étaient dissociés comprennent la leçon et entreprennent de reconstruire leur confiance dans le Comité du pays. Mais cela prendra des années. Pendant toute cette période, le Comité du pays fournira des publications bibliques, distribuées par des coursiers. Quant à ceux qui se sont séparés de l’organisation, ils étudient les publications, mais s’obstinent à ne pas transmettre leurs fiches d’activité.

Le KGB instille toujours la méfiance parmi les frères. Certains sont volontairement laissés en liberté tandis que d’autres sont incarcérés, ce qui amène la plupart des frères à croire que ceux qui sont libres collaborent avec le KGB. Un esprit excessivement critique et suspicieux s’installe chez beaucoup à l’encontre des frères responsables.

UN PROCÈS-SPECTACLE

Un fonctionnaire d’Irkoutsk déclare, dans un rapport destiné à Moscou : “ [Les Témoins de Jéhovah du district d’Irkoutsk] ont déployé une activité souterraine de grande envergure. Au cours du second semestre de 1959, le KGB a trouvé cinq imprimeries clandestines. ” Ces ateliers sont implantés en Sibérie, dans les villes de Zima et de Touloun, et dans les petites municipalités de Kitoï, d’Oktiabrski et de Zalari. Leur découverte est suivie de plusieurs arrestations.

Manipulés et harcelés par les inspecteurs, les quatre frères interpellés font des dépositions écrites concernant les activités d’impression. Les documents, falsifiés par le KGB, paraissent ensuite dans la presse locale. Les quatre frères sont relâchés. Mais huit autres sont arrêtés. Leur jugement est prévu pour le mois d’avril 1960, à Touloun. Le KGB prépare un procès-spectacle, largement médiatisé. Il envisage de faire témoigner en faveur de l’accusation les quatre frères libérés, ce qui fait d’eux, pour beaucoup de leurs compagnons, des collaborateurs du KGB.

Ce procès truqué a aussi pour but d’anéantir la foi de tous les Témoins de Jéhovah qui y assisteront et de retourner la population contre eux. Dans cet objectif, avant l’audience, le KGB organise des visites de l’un des ateliers utilisés par les frères depuis plusieurs années. Rapidement, la ville résonne de rumeurs concernant une “ secte ” secrète. Le jour J, la salle du tribunal est bondée. Plus de 300 personnes, dont des journalistes de la presse écrite et télévisée, venus parfois même de Moscou, ainsi que de nombreux Témoins de Jéhovah, sont présents.

STUPEUR CHEZ LES JUGES

Néanmoins, les plans du KGB s’effondrent soudainement. Les frères qui ont témoigné s’étant rendu compte de leur erreur, ils prennent la résolution, la veille du procès, de faire tout leur possible pour glorifier Jéhovah. Lors de l’audience, ils déclarent qu’ils ont été trompés et que leur témoignage a été déformé. Puis ils annoncent : “ Nous sommes prêts à rejoindre nos frères sur le banc des accusés. ” Chez les juges, c’est la stupeur.

Qui plus est, pendant leur contre-interrogatoire, les huit frères accusés parviennent à répondre sans impliquer aucun compagnon. Lorsque, par exemple, le juge lui demande qui a construit l’atelier découvert chez lui, Grigori Timtchouk répond : “ Moi. ” Lorsque le magistrat lui demande qui imprimait les publications, il répond : “ C’était moi. ” À la question : “ Qui les distribuait ? ” la réponse ne varie pas. Quand le juge lui demande qui achetait et livrait le papier, il s’entend dire : “ C’était moi aussi. ” Ce à quoi le procureur rétorque : “ Vous n’êtes quand même pas votre propre chef et aussi le fournisseur et l’ouvrier ? ”

“ CETTE LETTRE NOUS A RÉCHAUFFÉ LE CŒUR ! ”

Comprenant qu’il n’a plus de témoins à charge, le procureur accuse les frères de conspiration avec des étrangers, en s’appuyant sur une lettre de Nathan Knorr, du Béthel de Brooklyn. Mikhaïl Savitski, qui assiste au procès, racontera : “ Le procureur a lu d’une voix forte une lettre qui avait été interceptée par le KGB. C’était une lettre de frère Knorr adressée aux frères d’Union soviétique. Pour tous les Témoins présents dans la salle, c’était un merveilleux cadeau de Jéhovah. Cette lettre nous a réchauffé le cœur ! Elle contenait de sages conseils bibliques, ainsi que des encouragements à servir avec amour nos frères et à rester fidèles dans les épreuves. Elle nous invitait à mettre notre confiance en Jéhovah en toutes choses, à solliciter sa sagesse et sa direction, et à collaborer étroitement avec les frères nommés. Le procureur l’a lue de bout en bout. Nous avons écouté avec la plus grande attention. C’était presque comme si nous assistions à une assemblée ! ” Finalement, et malgré les peines d’emprisonnement qui seront prononcées, les Témoins présents au procès repartiront déterminés à servir Jéhovah.

RÉUNIS DANS LE CULTE

Persuadé d’être parvenu à paralyser les Témoins de Jéhovah et leur activité en Union soviétique, le KGB s’apprête à leur porter le coup de grâce. En 1960, plus de 450 frères sont subitement incarcérés, tous ensemble, dans un camp de Mordovie. Parmi eux se trouvent les responsables des deux groupes : ceux qui se sont séparés de l’organisation et ceux qui lui sont restés fidèles. Le KGB espère ainsi aboutir à une scission définitive. Le journal du camp publie un article diffamatoire expliquant qui est censé s’opposer à qui. Pourtant, tirant profit du fait qu’ils sont ensemble, les frères retrouvent le chemin de l’unité.

Iov Andronik se souvient : “ Les frères nommés ont encouragé chaque Témoin, y compris ceux qui s’étaient éloignés de l’organisation, à rechercher l’unité. Un article de l’édition russe de La Tour de Garde du 1er septembre 1961, intitulé ‘ L’unité de tous les hommes de bonne volonté a été promise ’, a retenu leur attention. Il citait des principes et des exemples montrant comment Jéhovah avait dirigé son peuple dans les temps anciens. Il parlait aussi de la nécessité pour chaque chrétien de rechercher la paix et l’unité dans la congrégation. Après l’avoir examiné attentivement, beaucoup ont compris la valeur de l’unité dans l’organisation et ont réagi favorablement. ”

UNE NOURRITURE SPIRITUELLE SALUTAIRE

À l’extérieur des camps aussi, cet article contribue au rétablissement de l’unité. Après avoir prié, les frères chargés de diriger l’œuvre le lisent ensemble. L’article rapporte qu’étant malade frère Rutherford a donné son dernier discours lors d’une assemblée en août 1941. À cette occasion, il a encouragé les frères à soutenir fermement l’organisation de Jéhovah au lieu de suivre un dirigeant humain. Il a déclaré, en substance : ‘ Chaque fois qu’un mouvement émerge et se développe, on dit que c’est l’œuvre d’un dirigeant qui a fait de nombreux disciples. Si vous, qui êtes dans l’auditoire, êtes convaincus que je ne suis que l’un des serviteurs du Seigneur et que nous œuvrons épaule contre épaule dans l’unité, servant Dieu et le Christ, alors dites : “ Oui. ” ’ Cette déclaration a été suivie d’un “ Oui ! ” retentissant et unanime.

Mikhaïl Savitski raconte : “ À l’époque, les Témoins d’Union soviétique avaient vraiment besoin de retrouver l’unité. Nous étions tellement reconnaissants à Jéhovah de nous avoir fourni, patiemment et avec amour, un soutien spirituel ! Immédiatement, un frère, qui s’était dissocié de l’organisation, m’a demandé le périodique, en ajoutant : ‘ Je veux que les frères de Bratsk et d’ailleurs puissent le lire. ’ Quand j’ai objecté qu’on n’en avait qu’un seul exemplaire, il m’a assuré qu’il le rapporterait dans un délai d’une semaine. Et il l’a rapporté, en même temps que les données concernant l’activité de nombreuses congrégations sur une longue période. Des centaines de frères et sœurs avaient retrouvé la famille unie des adorateurs de Jéhovah. ”

Ivan Pachkovski (membre du Comité du pays pendant plus de 30 ans) explique : “ Par l’intermédiaire d’un frère venu de l’étranger, nous avons suggéré à frère Knorr d’engager tous les frères de notre pays à s’unir et à se soumettre à l’ordre théocratique. Frère Knorr a approuvé cette idée et, en 1962, nous avons reçu 25 exemplaires de sa lettre, rédigée en anglais et en russe. Elle a entraîné un véritable réveil pour beaucoup. ”

LES BREBIS ENTENDENT LA VOIX DE LEUR BERGER

Malgré le contexte, qui rend la tâche difficile, le Comité du pays travaille sans relâche au rétablissement de l’unité, de sorte que tout un district est de nouveau rattaché à l’organisation en été 1962. Des frères spirituellement mûrs sont désignés pour former un comité spécial. Leurs efforts sont bénis par Jéhovah, qui leur donne la “ sagesse d’en haut ”. (Jacq. 3:17.) Alekseï Gabouriak, qui sera surveillant de circonscription de 1986 à 1995, rapporte : “ En 1965, nous avons eu une réunion avec le Comité du pays à Oussolie-Sibirskoïe. Il nous a été demandé de rechercher tous les frères et sœurs que l’exil, l’emprisonnement ou les divisions avaient dispersés, et de les ramener dans la congrégation. Nous avons commencé par les quelques adresses qui nous ont été fournies. Mon secteur comprenait les districts de Tomsk et de Kemerovo, ainsi que les villes de Novokouznetsk et de Novossibirsk. On avait attribué d’autres secteurs aux autres frères. Nous devions constituer des congrégations et des groupes, mais également désigner et former des frères pour s’en occuper. Qui plus est, en dépit des conditions difficiles liées à l’interdiction, il fallait planifier la livraison des publications et organiser les réunions. En peu de temps, nous avons rendu visite à 84 frères et sœurs qui avaient perdu le contact avec l’organisation. Comme nous étions heureux que, de nouveau, les ‘ brebis ’ de Jéhovah entendent la voix de l’excellent Berger et le servent aux côtés de son peuple ! ” — Jean 10:16.

C’est ainsi que, bientôt, nombre de ces frères et sœurs acceptent la direction du Comité du pays et communiquent leur fiche d’activité. En 1971, plus de 4 500 proclamateurs reviennent vers l’organisation de Jéhovah. Au milieu des années 80, malgré l’interdiction qui perdure, la prédication se poursuit toujours et les congrégations accueillent des nouveaux venus.

DE PRÉCIEUSES PETITES BOBINES

Prudents mais courageux, les frères d’Union soviétique doivent faire preuve d’une extraordinaire volonté pour reproduire la nourriture spirituelle. Mais comment leur parvient-​elle ?

Le plus souvent, sous forme de microfilms. Dans un pays voisin, des frères photographient, page par page, périodiques, livres et brochures, publiés pour la plupart en russe et en ukrainien, mais aussi en d’autres langues. Pour permettre une large distribution, on multiplie les copies en photographiant à maintes reprises chaque document avec un appareil contenant 30 mètres de pellicule... formant ainsi, au fil des ans, des kilomètres de nourriture spirituelle sur microfilms ! Coupées en sections d’une vingtaine de centimètres pour faciliter la manipulation, ces bobines sont prêtes à être livrées, par des coursiers, en Union soviétique.

DES ATELIERS CLANDESTINS EN SIBÉRIE

L’impression des écrits bibliques est difficile, mais Jéhovah bénit ce travail. Pour les seules années 1949 et 1950, les frères produiront 47 165 exemplaires de diverses publications et les distribueront aux congrégations. De plus, comme le relève un rapport du comité, pendant cette même période et malgré une intense opposition, 31 488 réunions auront lieu dans le pays.

La demande de publications augmentant, le besoin de nouveaux ateliers d’impression se fait sentir. Stakh Savitski explique : “ En 1955, nous avons installé un atelier clandestin chez nous. Comme mon père n’était pas Témoin, il a d’abord fallu obtenir son accord. Puis, pendant deux mois, nous avons creusé sous le porche une pièce d’environ deux mètres sur quatre. Il a fallu transporter et cacher 30 mètres cubes de terre sans que personne ne le remarque. Arrivés à une profondeur de un mètre cinquante, nous avons buté sur le pergélisol. Pendant que nous étions partis travailler, maman faisait donc, aussi discrètement que possible, un petit feu de bois pour dégeler le sol. La cavité achevée, nous avons habillé le sol et le plafond de planches. Dès que la pièce a été terminée, un couple est venu s’y installer. Ce sous-sol était l’endroit où ils allaient travailler et vivre. Maman se chargerait de leur nourriture et de leur linge, et elle prendrait soin d’eux. Cet atelier a fonctionné jusqu’en 1959.

“ En 1957, le frère qui supervisait l’impression m’a demandé : ‘ Pourrais-​tu travailler dans l’atelier ? Il nous faut au moins 200 périodiques par mois. ’ Au début j’en ai imprimé 200, puis je suis passé à 500. Mais le besoin augmentait toujours. L’impression devait se faire de nuit parce que, comme tous les déportés, je travaillais six jours sur sept dans une fabrique, sous l’œil d’un responsable.

“ Dès que je rentrais du travail, je descendais dans l’atelier. Je ne dormais pratiquement jamais : une fois le travail d’impression commencé, il fallait aller jusqu’au bout. L’encre finissant par sécher, on ne pouvait pas s’interrompre et terminer plus tard. Parfois, je devais dupliquer 500 pages, puis les reprendre une à une et les retoucher à l’aide d’une aiguille pour que le texte soit lisible. Comme l’aération était presque inexistante, les pages imprimées séchaient difficilement.

“ Je livrais les périodiques de nuit à Touloun, à 20 kilomètres de chez moi. De là, j’ignorais quelle direction ils prenaient exactement, mais je savais qu’ils serviraient à des Témoins de Krasnoïarsk, de Bratsk, d’Oussolie-Sibirskoïe et d’autres villes encore.

“ En 1959, les frères responsables m’ont demandé de les aider à construire un nouvel atelier à Touloun, à côté de la gare. Je me suis attelé à la tâche. Depuis la création du premier atelier, creuser et installer l’éclairage... je connaissais. Et Jéhovah nous a donné la sagesse nécessaire. Puis une famille s’est installée dans les lieux et y a travaillé pendant environ un an, jusqu’à ce que le KGB découvre la cachette. Le journal local rapportait que ‘ le fonctionnement de l’éclairage déroutait même les électriciens chevronnés ’.

“ En dehors de ma famille, seuls quelques frères savaient ce que je faisais. Comme on ne me voyait jamais le soir, les frères et sœurs de ma congrégation s’inquiétaient de ma santé spirituelle. Ils passaient à la maison pour me voir et m’encourager, mais je n’étais jamais là. En cette période où chacun de nos gestes était épié, les activités d’impression ne pouvaient se poursuivre qu’à condition de rester strictement confidentielles. ”

IMPRESSION DES PUBLICATIONS À MOSCOU

Les autorités savent pertinemment que les Témoins ont un grand besoin de bibles et de publications. Les demandes répétées du Collège central visant à obtenir l’autorisation d’imprimer ou d’importer des écrits bibliques sont soit rejetées, soit ignorées. Pour pallier la pénurie, et pour fournir la nourriture spirituelle aux congrégations et aux groupes, les frères cherchent constamment des moyens de reproduire les publications en divers endroits du pays, y compris à Moscou.

Stepan Levitski, condamné en 1957 à 10 ans de prison (au seul motif qu’on a découvert une Tour de Garde sous une nappe dans sa salle à manger), raconte : “ Au bout de trois ans et demi, la Cour suprême a cassé le jugement. Les frères m’ont encouragé à m’installer, lorsque je sortirais, aux environs de Moscou pour prêcher et m’engager dans d’autres activités spirituelles. Après avoir emménagé à deux heures de Moscou, je me suis mis à prêcher dans les différents secteurs de la capitale. Jéhovah a béni mes efforts. Quelques années plus tard, un groupe de frères et sœurs était constitué à Moscou. En 1970, on m’a confié une circonscription qui comprenait Moscou, Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), Gorki (aujourd’hui Nijni Novgorod), Orel et Toula. J’étais, par ailleurs, chargé d’approvisionner les congrégations en publications.

“ Convaincu que c’était la volonté divine que Moscou et d’autres régions de Russie soient correctement alimentés en publications bibliques, j’ai exprimé à Jéhovah dans la prière mon désir de faire davantage dans ce domaine. Peu après, je rencontrais un maître imprimeur, qui avait des contacts avec plusieurs imprimeries moscovites. D’un air détaché, je lui ai demandé s’il était possible d’envisager le tirage restreint d’un livre dans une imprimerie de Moscou.

“ ‘ Quel livre ? ’ a-​t-​il demandé.

“ ‘ Du Paradis perdu au paradis reconquis ’, ai-​je répondu nerveusement.

“ Un de ses amis était employé dans une imprimerie. C’était un communiste, chef d’une organisation du parti. Contre un paiement comptant, il a accepté d’éditer un petit lot de livres. Quel bonheur pour les frères de tenir cet auxiliaire biblique dans leurs mains !

“ Ce procédé était très risqué, autant pour moi que pour cet imprimeur. Une fois sorti de la presse, de nuit en général, chaque tirage devait donc disparaître rapidement, sans que personne ne le voie. Mais Jéhovah a béni cette disposition et de nombreuses publications ont été produites dans cette imprimerie, telles que les livres ‘ La vérité vous affranchira ’, La vérité qui conduit à la vie éternelle, et même le recueil de cantiques ! Pour nous, c’était vraiment de la nourriture en temps voulu (Mat. 24:45). Nous avons eu recours à cette imprimerie pendant neuf ans.

“ Mais, un jour, la responsable est arrivée inopinément alors qu’une publication était en cours d’édition. Très vite, l’employé a lancé l’impression d’une revue sur la santé... sans se rendre compte que, dans sa précipitation, il avait intercalé six pages de notre publication. Ayant récupéré un exemplaire de la revue, la responsable l’a emporté dans son bureau pour le parcourir. Surprise d’y trouver des informations visiblement sans rapport avec le sujet, elle a sommé l’imprimeur de lui donner des explications. Des agents du KGB ont pris la relève. Menacé d’une lourde condamnation, l’homme a dit tout ce qu’il savait. Les agents n’ont pas tardé à remonter jusqu’à moi, d’autant que j’étais l’unique Témoin de Jéhovah de Moscou qu’ils connaissaient. J’ai écopé de cinq ans et demi d’emprisonnement. ” L’imprimeur, lui, sera condamné à trois ans de détention.

“ QU’HAR-MAGUÉDON VIENNE ! ”

Beaucoup de frères et sœurs passent des années en prison. Grigori Gatilov, pour sa part, y restera 15 ans. Il se souvient : “ Ma dernière prison portait le nom romantique de ‘ Cygne blanc ’. Elle était perchée sur l’un des cinq sommets du Caucase ; en contrebas s’étalait la ville touristique de Piatigorsk. L’endroit était pittoresque. Pendant une année entière, j’ai pu faire connaître la vérité à plusieurs personnes. Ma cellule constituait un magnifique ‘ territoire ’ de prédication. Je n’avais même pas besoin d’en bouger. Les gardiens y amenaient régulièrement des nouveaux détenus, qu’ils venaient rechercher au bout de quelques jours — mais moi, à de rares exceptions près, ils m’y laissaient. Je m’appliquais donc à donner le témoignage au sujet du Royaume de Jéhovah à chacun de ces prisonniers. Beaucoup s’interrogeaient sur Har-Maguédon. Certains s’étonnaient qu’on puisse passer autant de temps en prison en raison de sa foi. ‘ Pourquoi est-​ce que tu ne renies pas ta foi pour rentrer chez toi ? ’ me demandaient parfois des codétenus, et même des gardiens. Quelle joie j’éprouvais quand l’un d’eux s’intéressait sincèrement à la vérité ! Griffonnés sur le mur d’une cellule, j’ai un jour trouvé ces mots : ‘ Qu’Har-Maguédon vienne ! ’ Même si la vie en prison n’avait rien de bien gai, j’étais heureux de parler de la vérité à d’autres. ”

“ Y A-​T-​IL DES JONADABS PARMI VOUS ? 

De nombreuses sœurs zélées pour Jéhovah échouent également au goulag (Ps. 68:11). Zinaïda Kozyreva se souvient de l’amour dont ces sœurs faisaient preuve entre elles et à l’égard des détenues non Témoins : “ En 1959, moins de un an après mon baptême, j’ai été incarcérée en même temps que Vera Mikhaïlova et Lioudmila Ievstafieva dans un camp sibérien, à Kemerovo. Il y avait là 550 détenues. À notre arrivée, plusieurs femmes étaient postées à l’entrée.

“ ‘ Y a-​t-​il des Jonadabs parmi vous ? ’ demandaient-​elles.

“ Nous avons compris que c’étaient nos chères sœurs. Immédiatement, elles nous ont donné à manger et nous ont assaillies de questions. Elles irradiaient une chaleur et un amour que je n’avais même jamais connus au sein de ma famille. Comme nous venions d’arriver, elles nous ont pris sous leur aile (Mat. 28:20). Nous avons bien vite constaté que le programme spirituel était très bien organisé.

“ Nous formions une vraie famille. La période de ramassage des foins, l’été, était particulièrement agréable. L’administration du camp ne craignait ni évasion ni transgression du règlement. Notre groupe, de 20 à 25 sœurs, n’était surveillé que par un seul soldat. Quoiqu’en réalité c’était plutôt l’inverse ! Pour lui éviter d’être puni, nous le réveillions dès que quelqu’un approchait. Par contre, pendant qu’il dormait, nous utilisions les pauses pour aborder des questions spirituelles. Ce marché convenait à chacun, à lui comme à nous.

“ Fin 1959, plusieurs sœurs — moi y compris — ont été envoyées dans un camp de haute sécurité. On nous a enfermées dans une cellule glaciale, dont la fenêtre n’avait pas de vitre. La nuit, nous dormions sur des planches. Dans la journée, nous travaillions au tri des légumes. Nos faits et gestes étaient surveillés. Lorsqu’elles ont compris que, contrairement aux autres détenues, nous ne volions pas, les autorités nous ont apporté du foin pour dormir et ont remis une vitre à la fenêtre de la cellule. Au bout de un an, nous avons toutes été envoyées à Irkoutsk, dans un camp à régime assoupli.

“ Cet établissement, où nous sommes restées un an et trois mois, comptait environ 120 sœurs. Le premier hiver a été très rude, avec d’abondantes chutes de neige. Notre travail, dans une scierie, était éreintant. Les surveillants semblaient passer leur temps à nous fouiller, à la recherche de publications. Mais nous avions appris l’art du camouflage — parfois trop bien. Un jour, Vera et moi avions tellement bien caché les feuilles sur lesquelles nous avions noté le texte du jour, que nous n’avons pas pu les retrouver dans nos vestes de travail. Le surveillant, si ! Vera et moi avons écopé de cinq jours d’isolement. La température extérieure étant de − 40 °C, les murs de la cellule non chauffée étaient couverts de glace.

“ D’étroites saillies en béton permettaient tout juste de s’asseoir. Lorsque nous avions très froid, nous nous y asseyions dos à dos, nos jambes repliées appuyées contre le mur, et nous nous endormions ainsi. À chaque réveil en sursaut, d’un bond nous nous mettions debout, de peur de mourir de froid. Nous avions droit à un verre d’eau chaude et à 300 grammes de pain noir par jour. Pourtant, nous étions heureuses : Jéhovah nous donnait la ‘ puissance qui passe la normale ’. (2 Cor. 4:7.) À notre retour dans le baraquement, les sœurs ont pris particulièrement soin de nous. Elles avaient préparé quelque chose de chaud à manger et fait chauffer de l’eau pour que nous puissions nous laver. ”

‘ SOCIABLE, BONNE CAPACITÉ D’ADAPTATION ’

Zinaïda poursuit : “ Dans ce camp, il était difficile de prêcher, car il y avait peu de détenus et tous connaissaient les Témoins. Le principe qui ressort de 1 Pierre 3:1 s’appliquait tout à fait à notre situation. Nous ‘ prêchions sans parole ’. Nos baraquements étaient propres et bien rangés. Entre nous, nous étions amicales et solidaires (Jean 13:34, 35). De plus, nous avions de bonnes relations avec les non-Témoins, nous efforçant de suivre les enseignements de la Parole de Dieu en étant attentives à leurs besoins. Nous les aidions de diverses manières. Spontanément, une sœur est par exemple venue en aide à des prisonniers pour faire des calculs. Beaucoup constataient que les Témoins de Jéhovah étaient différents des membres d’autres confessions.

“ En 1962, d’Irkoutsk nous avons été transférées en Mordovie. Dans ce nouveau camp, nous avons continué à veiller à notre tenue et à notre hygiène corporelle. Nos lits étaient toujours propres et bien faits. Notre baraquement abritait une cinquantaine de personnes, dont une majorité de sœurs — qui assumaient seules l’entretien des lieux. Nous lavions souvent le sol et le frottions avec du sable, l’administration du camp nous fournissant le matériel nécessaire. Les autres, des religieuses et des intellectuelles, refusaient cette tâche, qu’elles n’aimaient pas. La propreté de notre cadre de vie dépendait donc presque uniquement de nous. Chaque sœur qui était libérée voyait figurer sur son rapport psychologique la mention : ‘ Sociable, bonne capacité d’adaptation. ’ ”

UN ÉCRAN DE FLEURS

“ Un jour, raconte Zinaïda, plusieurs sœurs ont écrit chez elles et ont réclamé des graines de fleurs à grosse floraison. Après avoir expliqué aux responsables que nous voulions planter de jolies fleurs, nous leur avons demandé s’ils pourraient nous fournir du terreau. À notre grande surprise, ils ont accepté, enthousiastes. Des plates bandes sont donc apparues le long des baraquements et des allées. Bientôt, roses, œillets de poète et autres fleurs, belles mais surtout hautes sur tige, formaient de gros bouquets qui parsemaient le camp. Transformé en un massif multicolore composé de superbes dahlias et de longues marguerites, le parterre central offrait un abri pour étudier la Bible. Quant aux rosiers touffus, ils permettaient de cacher les publications.

“ Nous tenions les réunions par groupes de cinq, tout en marchant. Nous avions au préalable mémorisé chacune un paragraphe d’une portion d’une publication. Après la prière, nous récitions le nôtre à tour de rôle, puis nous en discutions. La prière finale prononcée, nous poursuivions notre promenade. Nos Tour de Garde se présentaient sous la forme de minuscules brochures [voir la photo de la page 161]. Nous ne passions pas une journée sans étudier. Nous examinions le texte du jour et mémorisions les paragraphes prévus pour les réunions, qui avaient lieu trois fois par semaine. Qui plus est, nous apprenions par cœur des chapitres entiers de la Bible, que nous nous répétions les unes aux autres pour nous encourager. Cette méthode nous évitait aussi d’être trop affectées par la confiscation des publications, qui résultait parfois des fouilles.

“ L’administration du camp essayait de se servir d’autres prisonniers pour découvrir comment nous étions organisées. Malgré cela, beaucoup de détenus nous étaient favorables. Olga Ivinskaïa, écrivain et compagne du célèbre auteur et poète Boris Pasternak, prix Nobel de littérature, vivait dans notre baraquement. Elle nous aimait bien et la manière dont nous étions organisées l’émerveillait. Mais c’est la sagesse venant de Jéhovah qui nous a permis d’avoir la nourriture spirituelle. ” — Jacq. 3:17.

“ ÇA SUFFIT ! JE T’AI ASSEZ VUE ! ”

“ Les publications nous arrivaient de différentes manières, poursuit Zinaïda. Nous avons souvent vu clairement la main de Jéhovah lui-​même, conformément à sa promesse : ‘ Je ne te quitterai en aucune façon ni ne t’abandonnerai en aucune façon. ’ (Héb. 13:5). Parfois, il a carrément aveuglé les gardiens ! Un hiver, de retour du travail à l’extérieur, nous avons été déshabillées et fouillées en arrivant au camp, comme d’habitude. J’étais la dernière de l’équipe... et, sous mes deux pantalons, j’avais des publications récentes.

“ Il faisait si froid que j’avais tout d’un oignon avec mes multiples épaisseurs de vêtements ! Le manteau, suivi de la veste molletonnée sans manches, ont fini entre les mains de la surveillante. Espérant qu’elle se lasserait, j’ai décidé de faire durer l’opération. J’ai lentement retiré un premier pull-over, puis un deuxième. Pendant qu’elle les inspectait, j’ai enlevé nonchalamment plusieurs écharpes, un gilet, une chemise, puis une autre. Quand il n’est plus resté que les deux pantalons et les bottes en feutre, j’ai retiré une botte après l’autre, et, toujours aussi lentement, j’en suis venue au premier pantalon. Là, je me suis dit : ‘ Qu’est-​ce que je fais maintenant ? Si elle me demande d’enlever l’autre pantalon, je n’aurai plus qu’à sortir en courant et à lancer les publications aux sœurs. ’ Mais, à peine avais-​je terminé de retirer le premier pantalon, qu’elle a crié, exaspérée : ‘ Ça suffit ! Je t’ai assez vue ! Dehors ! ’ Je me suis rhabillée et j’ai déguerpi.

“ Comment nous procurions-​nous les publications ? Les frères les déposaient dans un endroit déterminé à l’avance et nous les récupérions à tour de rôle. Une fois dans le camp, nous leur trouvions une cachette, que nous changions de temps en temps. Nous cachions également les copies que nous réalisions. Elles faisaient l’objet d’un travail incessant, effectué à l’abri de couvertures sous lesquelles filtrait à peine la lueur d’un réverbère. Nous nous arrangions pour ne jamais perdre une minute. Même lorsque nous nous rendions au réfectoire, nous emportions un morceau de papier sur lequel figurait un verset. ”

“ C’EST ARRIVÉ ! ”

En 1965, le gouvernement soviétique décide soudainement de libérer tous les Témoins déportés en Sibérie entre 1949 et 1951. Mais, pour la plupart, ils ne sont pas autorisés à retourner chez eux. Ceux qui ne veulent pas rester en Sibérie décident donc de s’installer dans des régions où le besoin de proclamateurs est important.

Magdalina Belochitskaïa raconte : “ Cela faisait près de 15 ans que je vivais avec ma famille en exil en Sibérie. En hiver, la température descendait jusqu’à − 60 °C ; en été, nous étions envahis par des nuages de taons et de moustiques qui s’en prenaient même à nos yeux. Grâce à l’aide de Jéhovah, nous avions résisté. Et quel bonheur de pouvoir semer des graines de vérité dans ces terres glacées de Sibérie ! Tous les mois pendant 15 ans, dans le bureau du responsable, nous avions signé une déclaration attestant que nous ne tenterions pas de nous enfuir. Ce dernier venait parfois passer une nuit à la maison. Dans ces moments-​là, il était charmant. Il nous posait une multitude de questions sur la Bible et sur ce qu’il fallait faire pour vivre en conformité avec ses enseignements. Il nous demandait ce qui nous avait motivés à opter pour ce mode de vie alors que nous savions que cela nous vaudrait des persécutions. Un jour, nous lui avions demandé s’il y avait un espoir que nous soyons libérés. Exhibant les paumes de ses mains, il avait répondu : ‘ Existe-​t-​il un espoir que des poils poussent ici ? ’

“ ‘ Non ’, avais-​je dit.

“ ‘ Il n’y a pas davantage d’espoir pour vous ’, avait-​il poursuivi. Puis, après un temps de réflexion : ‘ Enfin... à moins d’une intervention ou d’un miracle de votre Dieu. ’

“ Et puis, un jour d’été, en 1965, je suis allée à la gare pour poster une lettre. M’apercevant de loin, il a crié : ‘ Magdalina ! Où vas-​tu sans autorisation ? ’

“ ‘ Nulle part, ai-​je répondu, je vais juste poster une lettre. ’ Il s’est alors approché et m’a annoncé : ‘ Vous allez être libérés aujourd’hui. C’est arrivé ! ’ Son regard était éloquent et me disait : ‘ Dieu vous a libérés ! ’ Je n’arrivais pas à croire que c’était vrai !

“ À l’exception de notre ancien lieu de résidence, nous pouvions nous installer où nous voulions en Union soviétique. Nous avions l’impression que Jéhovah nous disait : ‘ Dispersez-​vous et prêchez ! C’est le moment, n’attendez pas. Allez-​y ! ’ Si les Témoins déportés avaient été autorisés à rentrer chez eux, beaucoup l’auraient fait. Mais, comme ce n’était pas le cas, chacun a choisi une nouvelle destination. Pour ma famille, c’était le Caucase. ”

Dès lors, des milliers de Témoins s’éparpilleront dans toute l’Union soviétique. La même année, lors d’une conférence gouvernementale, un fonctionnaire demandera, consterné : “ Qui pourrait m’expliquer comment cette secte jéhoviste est arrivée dans la ville nouvelle dont nos jeunes volontaires sont les bâtisseurs ? Une ville nouvelle et saine est née, et voilà soudain les Jéhovistes ! ” Les autorités ne savent tout simplement pas quoi faire des Témoins. Personne ne peut en effet s’opposer à la promesse divine de remplir la terre de “ la connaissance de Jéhovah ”. — Is. 11:9.

“ VOUS AVEZ DE L’‘ EAU BÉNITE ’ ”

La prédication des Témoins leur vaut d’être envoyés au goulag. Nikolaï Kalibaba, qui y a passé de nombreuses années, se rappelle : “ Nous étions quatre à être envoyés dans un camp où 70 frères étaient déjà détenus, à Vikhorevka, un bourg du district d’Irkoutsk. Il n’y avait pas d’eau potable. La seule canalisation d’eau était reliée au réseau d’évacuation des eaux usées ; l’eau était donc contaminée. Quant à la nourriture, elle était avariée. Mais Jéhovah nous a aidés. Dans ce camp, seuls les Témoins étaient disposés à travailler, et ils étaient de bons travailleurs. L’ayant compris, l’administration nous a rapidement assigné des tâches dans d’autres zones du camp, d’où nous pouvions rapporter de l’eau potable dans des seaux. À notre retour, les prisonniers nous disaient : ‘ Il paraît que vous avez de l’“ eau bénite ”. Donnez-​nous-​en un demi-verre, au moins. ’ Bien sûr, nous partagions avec eux.

“ Il y avait, parmi les prisonniers, des gens dont le cœur était bon. Certains, anciens voleurs ou délinquants, ont découvert la vérité et sont devenus Témoins. D’autres semblaient être contre la vérité et s’opposaient ouvertement à nous. Pourtant, devant un orateur venu donner une conférence sur les Témoins de Jéhovah, ils ont pris notre défense, disant que les propos tenus étaient diffamatoires. ”

“ NOUS ALLONS VENIR VOUS VOIR PAR GROUPES ”

S’appuyant sur la sagesse de Jéhovah, les frères sont constamment à l’affût de moyens de favoriser les intérêts du Royaume. Nikolaï poursuit son récit : “ Nous avons appris que nous allions être transférés dans un autre camp, près de Moscou, en Mordovie. Mais, avant notre départ, il s’est produit quelque chose de surprenant. Certains officiers et surveillants qui s’étaient occupés des Témoins pendant des années sont venus nous dire : ‘ Nous voudrions que vous chantiez vos cantiques et que vous nous parliez de vos croyances. Nous allons venir vous voir par groupes de 10 à 20 personnes, peut-être davantage. ’

“ Comme l’opération était risquée, pour nous et pour eux, ils nous ont dit qu’ils feraient surveiller les lieux. Étant plus expérimentés qu’eux en la matière, nous leur avons expliqué que des Témoins aussi feraient le guet. Les soldats ont imité les frères : ils se sont placés par intervalles entre le poste de garde et le lieu de rencontre. Pouvez-​vous imaginer la scène ? Des Témoins chantaient des cantiques pour un groupe d’officiers et de surveillants ; après quoi, un frère développait brièvement un thème biblique. C’était comme si nous étions à la Salle du Royaume ! Plusieurs réunions ont ainsi eu lieu avec des groupes de personnes intéressées par le message. Si l’intérêt que Jéhovah nous portait était manifeste, celui qu’il portait à ces personnes sincères l’était aussi.

“ Nous avons récupéré quantité de périodiques dans ce camp pour les emporter dans celui de Mordovie, où il y avait beaucoup de Témoins. Des frères m’ont remis une valise à double fond pouvant dissimuler des écrits. Nous avons fait le maximum pour qu’elle n’attire pas l’attention lors des inspections. À notre arrivée, nous avons été fouillés avec soin. En soulevant ma valise, un surveillant s’est exclamé : ‘ Elle est bien lourde ! Il doit y avoir un trésor là-dedans ! ’ Mais, subitement, il l’a poussée sur le côté avec mes affaires, et s’est mis à inspecter celles des autres. Les fouilles terminées, un de ses collègues m’a dit : ‘ Prends tes affaires et va-​t’en ! ’ Je suis entré dans le baraquement avec ma valise intacte, remplie de publications de fraîche date — cette nourriture spirituelle tant attendue.

“ J’ai aussi plus d’une fois transporté des tracts manuscrits dans mes chaussures. Comme j’ai de grands pieds, elles étaient assez larges pour que je puisse bourrer des feuilles de papier sous la semelle intérieure. Je les badigeonnais ensuite d’une graisse tellement visqueuse et malodorante que les surveillants restaient à distance. ”

“ JE SURVEILLAIS NOS SURVEILLANTS ”

Nikolaï poursuit : “ Dans le camp de Mordovie, les frères m’ont désigné comme responsable de la copie des publications. Je devais entre autres ouvrir l’œil et prévenir à temps les frères en plein travail de l’arrivée des surveillants. Je surveillais nos surveillants ! Ceux qui, déterminés à nous prendre sur le fait, faisaient de fréquentes visites inopinées dans le baraquement, me donnaient du fil à retordre. Les autres, plus tolérants, ne venaient qu’une fois dans la journée ; ils ne nous ennuyaient pas.

“ Nous travaillions, à ce moment-​là, à partir des originaux, qui étaient ensuite remis en lieu sûr. Certains étaient cachés dans le poêle, y compris dans celui du bureau de l’administration. Les frères qui s’occupaient de l’entretien avaient aménagé dans l’appareil un compartiment spécial dans lequel les précieuses Tour de Garde étaient conservées. Quelle que soit la rigueur des fouilles, les originaux étaient en sécurité, dans le bureau de l’administration. ”

Ainsi, les frères deviennent experts en camouflage. Une de leurs cachettes favorites est un rebord de fenêtre. Ils apprennent même à dissimuler des publications dans des tubes de dentifrice. Mais seuls deux ou trois frères savent où sont cachés les originaux. L’un d’eux va les chercher quand c’est nécessaire et les remet en place une fois le travail de copie terminé. De cette manière, les originaux restent à l’abri. La plupart des frères considèrent le travail de copie comme un privilège, malgré la menace de 15 jours de mise au secret. Viktor Goutchmidt se rappelle : “ Sur mes dix ans de goulag, j’en ai passé environ trois en isolement cellulaire. ”

“ DES TOUR DE GARDE EN PATTES D’ARAIGNÉE ”

À un moment donné, les frères ont l’impression que l’administration pénitentiaire a mis au point une nouvelle méthode pour trouver et confisquer les publications. Certains fonctionnaires se montrent particulièrement zélés. Ivan Klimko raconte : “ Un jour, dans le camp de Mordovie n19, des soldats accompagnés de chiens ont conduit les frères à l’extérieur du camp et les ont fouillés soigneusement. Tous leurs vêtements leur ont été retirés — jusqu’à la charpie qui protégeait leurs pieds. Mais les feuilles qu’ils avaient collées sous la plante de leurs pieds sont passées inaperçues. Tout comme les minuscules brochures glissées entre leurs doigts, qui sont restées en place même quand les gardes leur ont fait lever les mains. Une fois encore, des publications avaient échappé à la confiscation. ”

Les frères trouvent d’autres moyens encore de protéger la nourriture spirituelle. Alekseï Nepotchatov explique : “ Certains pouvaient écrire en pattes d’araignée. Avec une plume affûtée, ils arrivaient à écrire trois ou quatre lignes par interligne. Une boîte d’allumettes pouvait ainsi contenir cinq ou six exemplaires de La Tour de Garde. Une écriture si fine exigeait de bons yeux ainsi que de gros efforts. Une fois les lumières éteintes et tout le monde endormi, les frères se mettaient au travail, sous leur couverture. La seule source de lumière était l’ampoule qui éclairait à peine l’entrée du baraquement. Au-delà de quelques mois, cette tâche abîmait la vue. Quelquefois, un gardien qui nous appréciait s’en rendait compte et disait : ‘ Écrire, toujours écrire. Et dormir, c’est pour quand ? ’ ”

Frère Klimko se rappelle : “ Un jour, nous avons perdu une grande quantité de publications, et même la Bible. Elles étaient cachées dans la jambe artificielle d’un frère. Les gardes ont écrasé la prothèse après avoir obligé le frère à l’enlever. Ils ont fait des photos des documents éparpillés et les ont publiées dans le journal du camp, ce qui a eu l’avantage de montrer, une fois encore, que les activités des Témoins de Jéhovah étaient exclusivement religieuses. S’adressant aux frères après cette découverte, le responsable du camp a déclaré en jubilant : ‘ C’est Har-Maguédon pour vous ! ’ Mais le lendemain quelqu’un lui rapportait que les Témoins étaient réunis, qu’ils chantaient et lisaient comme d’habitude. ”

CONVERSATION AVEC LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Fin 1961, le procureur général de la République socialiste fédérative soviétique de Russie vient inspecter un camp en Mordovie. S’arrêtant dans le baraquement où sont installés les Témoins, il les autorise à lui poser quelques questions. Viktor Goutchmidt se souvient : “ Je lui ai demandé : ‘ Pensez-​vous que les Témoins de Jéhovah représentent un danger pour la société soviétique ? ’

“ ‘ Non, je ne pense pas ’, a-​t-​il simplement répondu. Mais plus tard dans la conversation, il a laissé échapper : ‘ Pour la seule année 1959, le district d’Irkoutsk s’est vu attribuer un budget de cinq millions de roubles pour s’occuper des Témoins. ’

“ Il voulait dire par là que les autorités, qui avaient prélevé ce montant dans les caisses de l’État pour s’informer sur nous, savaient qui nous étions. Cinq millions de roubles, c’était une somme considérable — le prix à l’époque d’une belle voiture ou d’une maison. Il était clair que les autorités moscovites comprenaient à présent que les Témoins ne constituaient pas une menace.

“ Évoquant l’hostilité que nous vouait la population soviétique, le procureur général a poursuivi : ‘ Si nous autorisions les Soviétiques à s’occuper de vous, ils vous anéantiraient. ’ Ces propos témoignaient de l’influence de la propagande athée sur des millions de gens.

“ Nous avons alors répondu : ‘ Vous verrez ce qu’il en est lorsque nous tiendrons des assemblées de Moscou à Vladivostok. ’

“ ‘ Peut-être parviendrez-​vous à vous allier un demi-million de personnes, mais les autres seront toujours avec nous ’, a-​t-​il affirmé.

“ Ainsi s’est achevée notre conversation avec le procureur général. Il avait en partie raison. Aujourd’hui, dans tous les territoires de l’ex-URSS, plus de 700 000 personnes assistent à nos réunions. Elles y entendent, non de la propagande, mais la pure vérité biblique. ”

“ VOUS AVEZ CRÉÉ UN CAMP DE VACANCES POUR LES TÉMOINS ”

Viktor poursuit son récit : “ Les responsables du camp ont montré au procureur général les fleurs et les arbres qu’avaient plantés les Témoins, mais aussi les colis que ceux-ci recevaient et gardaient dans leur baraquement sans que rien ne soit volé. Son étonnement était manifeste. Néanmoins, nous avons appris par la suite qu’il avait ordonné la destruction des arbres et des fleurs, en disant au directeur du camp : ‘ Vous avez créé un camp de vacances pour les Témoins et non un camp de travail. ’ Il a aussi interdit les colis et exigé la fermeture du petit magasin où les Témoins pouvaient acheter de la nourriture en supplément.

“ À la grande joie des frères, cependant, le directeur n’a pas obéi à tous les ordres. Les sœurs ont ainsi pu continuer à cultiver les fleurs. À l’automne, elles en ont d’ailleurs fait de gros bouquets, qu’elles ont offerts aux employés du camp et à leurs enfants. C’était un vrai plaisir de voir les enfants rejoindre leurs parents au poste de garde, récupérer leurs fleurs et courir à l’école, tout joyeux. Ils aimaient les Témoins. ”

Viktor rapporte encore : “ Début 1964, un surveillant, dont le frère travaillait pour le KGB, nous a annoncé que l’État était en train de lancer une importante campagne contre les Témoins. Mais, en fin d’année, Nikita Khrouchtchev a soudain été destitué de ses fonctions à la tête de l’État, et la vague de persécution s’est apaisée. ”

DES CANTIQUES DANS UN CAMP DE HAUTE SÉCURITÉ

Nous sommes dans un camp de haute sécurité de Mordovie, dans les années 60. Ici les détenus n’ont droit qu’à un seul colis par an, et encore est-​il considéré comme une “ récompense spéciale ”. Les fouilles sont très fréquentes. Toute personne trouvée en possession d’un morceau de papier contenant un verset biblique écope de dix jours d’isolement cellulaire. La nourriture est également plus restreinte que dans les autres types de camps, et le travail plus pénible. Par exemple, les frères doivent parfois dégager d’énormes souches. Alekseï Nepotchatov témoigne : “ Physiquement, nous frôlions souvent l’épuisement total. Mais nous gardions notre entrain et nous ne désespérions pas. Les cantiques étaient un des moyens que nous avions trouvé pour rester positifs. Nous avions constitué un chœur à plusieurs voix qui, même sans timbre féminin, était d’une grande beauté. Nous n’étions pas les seuls à aimer ces chants. Ils plaisaient aussi aux responsables, qui nous demandaient de les chanter pendant les heures de travail. Un jour, alors que nous étions en train d’abattre des arbres, notre chef de convoi est venu nous dire : ‘ Chantez-​nous quelque chose. C’est le chef de division lui-​même qui le demande ! ’

“ Cet officier avait souvent entendu les frères chanter des cantiques. Sa requête tombait à point nommé : nous étions au bord de l’épuisement. Nous nous sommes donc mis à louer Jéhovah à pleine voix. Habituellement, quand nous chantions dans le camp, les femmes des officiers sortaient de leurs maisons toutes proches et nous écoutaient longuement depuis le porche. Elles appréciaient particulièrement les paroles du cantique numéro 6 d’un ancien recueil, ‘ Que la terre rende gloire ’. Les paroles étaient belles et la mélodie magnifique. ”

IL ARRIVAIT SUR “ UNE AUTRE PLANÈTE ”

Même les situations les plus inattendues révèlent qui sont vraiment les Témoins de Jéhovah. Viktor Goutchmidt se souvient : “ Un soir, alors que notre semaine de travail venait de s’achever, nous étions assis dans le jardin quand un camion est arrivé dans le camp avec un chargement d’appareils électriques coûteux. Le chauffeur était un détenu non Témoin de notre camp, mais le responsable des achats qui l’accompagnait venait d’un autre camp. Le magasin étant fermé et le préposé en congé, on a demandé aux Témoins de réceptionner la marchandise.

“ Nous avons donc déchargé les appareils et les avons rangés à côté du magasin, non loin des baraquements où nous logions. La procédure n’était pas réglementaire : le préposé au magasin aurait dû signer le bordereau de livraison. Pour rassurer le responsable des achats, très inquiet, le chauffeur lui a dit : ‘ N’ayez pas peur. Personne ne touchera à quoi que ce soit. Vous êtes arrivé sur “ une autre planète ”. Oubliez ce qui se passe ailleurs. Ici, vous pouvez laisser votre montre où vous voulez, demain vous la retrouverez où vous l’avez laissée. ’ Cependant, la marchandise étant évaluée à un demi-million de roubles, le fonctionnaire ne voulait pas repartir sans signature.

“ Bientôt des employés de l’administration du camp sont arrivés, exigeant que le camion quitte le camp. L’un d’eux a dit au responsable des achats de laisser la facture et de revenir la chercher le lendemain. À contrecœur, l’homme a obtempéré. Le matin suivant, alors qu’en arrivant il demandait à entrer pour récupérer la facture et la faire signer, le garde lui a tendu le document déjà régularisé.

“ Plus tard, ce garde nous a expliqué que, ce jour-​là, l’homme n’arrivait pas à se décider à partir. Pendant une demi-heure, il était resté là, debout, regardant fixement le portail puis le document, prenant le chemin du départ puis revenant sur ses pas. C’était probablement la première fois de sa vie qu’il voyait une chose pareille. Il avait livré des marchandises de valeur, la facture avait été signée en dehors de sa présence, et il n’y avait pas eu de fraude. Mieux encore : l’événement avait eu lieu dans un camp de haute sécurité où des prisonniers qualifiés de ‘ criminels très dangereux ’ purgeaient leur peine. Sans conteste, ce genre de situations permettait à tous les observateurs de voir qui étaient vraiment les Témoins, quelles que soient les campagnes de dénigrement dont ils étaient victimes. ”

“ ILS PRÊCHENT DE NOUVEAU ”

En 1960, quelques jours après l’incarcération de nombreux frères dans le camp n1 de Mordovie, une bonne centaine d’entre eux sont transférés dans une prison spéciale, le camp n10 à Oudarny, une localité voisine. Il s’agit en fait d’une prison expérimentale, destinée à la rééducation des Témoins. Les détenus portent des uniformes rayés comme ceux des camps de concentration nazis. Leur travail consiste, entre autres choses, à déraciner d’énormes souches dans la forêt, au minimum 11 à 12 par jour et par personne. Mais il arrive que les efforts d’une équipe entière ne suffisent pas à venir à bout, dans la journée, d’une monumentale souche de chêne. Souvent, ils chantent des cantiques du Royaume pour s’encourager les uns les autres. Le responsable du camp réagit parfois en criant : “ Vous, les Témoins, je vais vous couper l’envie de chanter : vous ne mangerez pas aujourd’hui. Je vais vous apprendre à travailler ! ” Un des frères détenus se rappelle : “ Jéhovah nous soutenait. Malgré les difficultés, nous étions spirituellement éveillés. À la pensée que nous avions pris position pour Jéhovah dans la question de la souveraineté universelle, nous retrouvions du courage. ” — Prov. 27:11.

Aux éducateurs en charge de toute la prison s’ajoutent des éducateurs en charge de chaque cellule, des officiers ayant au minimum le grade de capitaine. Le rôle de ces officiers est d’amener les Témoins à renier leur foi ; céder est pour ces derniers synonyme de liberté. Chaque Témoin fait l’objet d’un rapport psychologique mensuel établi par l’éducateur et contresigné par plusieurs employés du camp. Mais la mention reste la même : “ Ne répond pas aux mesures de rééducation ; reste attaché à ses convictions. ” Ivan Klimko se souvient : “ Sur dix ans de détention, j’en ai passé six dans cette prison. De même que d’autres frères, j’étais catalogué comme ‘ récidiviste très dangereux ’. Les officiers nous ont révélé que les autorités avaient délibérément rendu nos conditions d’incarcération extrêmement difficiles dans le but d’observer notre comportement. ”

Iov Andronik passera cinq ans dans cet établissement. “ Combien de temps allons-​nous rester ici ? ” demande-​t-​il un jour au commandant. “ Jusqu’à ce qu’on vous emporte tous là-bas, les pieds devant ”, répond ce dernier en désignant du doigt la forêt. Iov raconte : “ On nous maintenait à l’écart pour nous empêcher de prêcher. Nous étions étroitement surveillés. Si l’un de nous devait se rendre dans une autre zone du camp, il était toujours accompagné par un surveillant. Mais quand, après plusieurs années, nous avons été transférés dans un camp à régime assoupli, des détenus non Témoins ont déclaré aux responsables : ‘ Les Témoins de Jéhovah ont gagné. Vous les avez isolés, mais aujourd’hui ils prêchent de nouveau. ’ ”

UN OFFICIER RECONNAÎT SA BIBLE

Introduire des publications — et plus encore la Bible — dans le camp n10 est extrêmement difficile. Pour les frères, cela tient presque de l’impossible. Mais l’un d’eux, qui y séjournera plusieurs années, rapportera : “ Pour Jéhovah, rien n’est impossible. Il a entendu nos prières. Nous lui avions demandé au moins une bible pour les 100 Témoins de la prison, et nous en avons obtenu deux ! ” (Mat. 19:26). Le fin mot de l’histoire ?

Un nouvel éducateur, un colonel, vient d’être recruté. Mais comment “ rééduquer ” les Témoins sans un minimum de connaissance biblique ? Il se procure donc une bible. Comme elle est en mauvais état, avant son départ en vacances il charge un vieux détenu baptiste d’en refaire la reliure, tout en s’assurant auprès des surveillants qu’ils ne la confisqueront pas. Le vieil homme s’étant vanté auprès des frères d’avoir reçu une bible, ils lui demandent de la leur prêter pour qu’ils y jettent un coup d’œil. Une fois en possession du précieux trésor, rapidement ils en détachent les différentes parties et les distribuent à tous les Témoins pour qu’ils les recopient. C’est ainsi que, les jours suivants, les cellules se transforment en ateliers de copistes. Chaque page est recopiée deux fois. Un frère se rappelle : “ Les pages rassemblées formaient trois bibles ! Le colonel a récupéré la sienne, fraîchement reliée, et nous, les deux autres. Nous en gardions une pour la lire, et l’autre était conservée dans le ‘ coffre-fort ’, des canalisations contenant des câbles à haute tension dans lesquelles nous avions aménagé des cachettes. Les surveillants n’osaient même pas s’en approcher ; ils n’y ont d’ailleurs jamais mis le nez. La haute tension était donc une bonne gardienne de nos publications ! ”

Cependant, lors d’une fouille, le colonel tombera un jour sur une page de la bible recopiée à la main. Comprenant ce qui s’était passé, il s’exclamera, très amer : “ Et dire que c’est une partie de la bible que j’ai moi-​même introduite dans le camp ! ”

CÉLÉBRATION DU MÉMORIAL

Chaque année, les frères s’efforcent de célébrer le Mémorial dans les camps. Dans l’un d’eux, en Mordovie, jamais au fil des ans un seul frère ne manquera l’événement. Bien entendu, les responsables essaient d’empêcher la célébration, dont ils connaissent la date. Ce jour-​là, tous les gardes sont mobilisés et en état d’alerte. Mais ils ignorent où et quand exactement aura lieu la commémoration. En soirée, la lassitude les gagne. La surveillance se relâche.

À chaque fois, les frères s’efforcent de trouver du vin et du pain sans levain. Une année, le jour du Mémorial, l’unité de surveillance découvre les emblèmes dans un tiroir et les confisque. Mais l’équipe est remplacée et, un peu plus tard, le frère qui nettoie le bureau du commandant récupère les emblèmes et les remet discrètement à ses compagnons. Les emblèmes sont d’autant plus nécessaires que l’un des frères participe au Mémorial. La célébration aura lieu alors que la troisième équipe de surveillance est en poste.

LE MÉMORIAL DANS UN CAMP POUR FEMMES

D’autres goulags rencontrent des obstacles similaires pour célébrer le Mémorial. C’est le cas d’un camp pour femmes, à Kemerovo. Valentina Garnovskaïa se souvient : “ Environ 180 sœurs étaient enfermées dans le camp. Nous n’avions pas le droit de nous réunir. En dix ans, nous n’avons pu célébrer le Mémorial que deux fois. Une année, nous avions choisi de le célébrer dans l’un des bureaux que j’étais chargée de nettoyer. Échelonnant leur arrivée sur plusieurs heures, environ 80 sœurs sont parvenues à s’y rassembler secrètement. Le pain sans levain et le vin rouge étaient posés sur le bureau.

“ Nous avons jugé préférable d’éviter de chanter. Une sœur a donc prononcé une prière. La réunion commençait dans la dignité et la joie, quand des bruits et des cris nous ont alertées : les surveillants nous cherchaient. Soudain, nous avons vu apparaître à la fenêtre — pourtant haute et inaccessible — le visage du commandant lui-​même, et des coups violents dans la porte ont retenti. On nous a sommées d’ouvrir. Entrant brutalement, les surveillants ont attrapé la sœur qui donnait le discours et l’ont emmenée en isolement. Une autre sœur a courageusement pris sa place, mais elle a subi le même sort. Comme une troisième tentait de poursuivre le discours, ils nous ont toutes conduites dans une autre pièce, nous menaçant de nous mettre au secret. Là, nous avons conclu la célébration par un cantique et une prière.

“ De retour dans nos baraquements, les autres détenues nous ont accueillies par ces mots : ‘ Quand vous avez toutes disparu, nous avons pensé qu’Har-Maguédon était arrivé ; que Dieu vous avait enlevées au ciel et que nous allions être détruites ! ’ Après cet incident, certaines de ces femmes, qui étaient à nos côtés depuis des années mais n’avaient jamais accepté la vérité, se sont mises à s’intéresser au message. ”

“ NOUS NOUS BLOTTISSIONS LES UNS CONTRE LES AUTRES ”

De nombreux Témoins d’Ukraine, de Moldavie, des républiques baltes et d’autres républiques d’Union soviétique sont incarcérés dans un camp, à Vorkouta. Ivan Klimko raconte : “ C’était l’hiver 1948. Comme nous n’avions pas de publications, nous avions écrit sur des morceaux de papier ce dont nous nous souvenions d’articles parus dans d’anciens périodiques. Nous cachions ces documents, mais les surveillants, qui connaissaient leur existence, entreprenaient des fouilles interminables. Ils nous rassemblaient à l’extérieur et, pendant qu’ils nous comptaient inlassablement, nous devions rester debout par rangées de cinq. Ils pensaient sans doute que nous choisirions de leur remettre les papiers plutôt que de rester dans le froid mordant. Mais, pendant qu’ils nous comptaient et nous recomptaient, nous nous blottissions les uns contre les autres et nous discutions d’un sujet biblique. Nos esprits étaient toujours concentrés sur des questions spirituelles. Jéhovah nous a aidés à lui rester fidèles. Quelque temps plus tard, nous avons réussi à introduire une bible dans le camp. Nous l’avons divisée en plusieurs parties pour qu’elle ne soit pas confisquée dans son entier si elle était découverte.

“ Certains surveillants avaient compris que nous n’étions pas à notre place dans les camps. Ils se montraient amicaux et nous aidaient autant qu’ils le pouvaient. Parfois, simplement, ils ‘ fermaient les yeux ’ quand arrivait un colis, qui contenait généralement une ou deux pages de La Tour de Garde. Ces feuilles, qui pesaient à peine quelques grammes, étaient plus précieuses pour nous que des kilos de nourriture. Dans tous les camps, les Témoins ont souffert de privations sur le plan physique, mais ils étaient dans l’abondance sur le plan spirituel. ” — Is. 65:13, 14.

“ IL LE DIVISERA EN 50 ! ”

Les frères conduisent des études bibliques hebdomadaires avec ceux qui manifestent de l’intérêt pour la vérité. Dans un camp, ayant appris que des études bibliques se tiennent après 19 heures dans leur baraquement, certains prisonniers — et pas uniquement ceux qui sont intéressés — s’efforcent de ne pas faire de bruit. Iov Andronik raconte : “ Il ne faisait aucun doute que Jéhovah veillait sur nous et qu’il bénissait son œuvre. De notre côté, nous nous efforcions de nous manifester mutuellement l’amour chrétien en appliquant les principes bibliques. Par exemple, lorsque l’un de nous recevait de la nourriture, il la partageait avec les autres, démarche inhabituelle dans un camp.

“ À propos de Mykola Piatokha, qui était responsable dans un camp de la distribution de la nourriture entre les frères, un officier du KGB a dit un jour : ‘ Donnez un bonbon à Mykola et il le divisera en 50 ! ’ Et c’est bien ainsi que les choses se passaient. Nous partagions tout ce que nous recevions, qu’il s’agisse de nourriture physique ou spirituelle. Ainsi, nous nous entraidions et nous donnions un bon témoignage, susceptible de toucher les personnes sincères. ” — Mat. 28:19, 20 ; Jean 13:34, 35.

DES PRIMES POUR BONNE CONDUITE

Dans un camp, des employés travaillant au contact direct des Témoins se voient octroyer une prime équivalant à 30 % de leur salaire. Quelle en est la raison ? Viktor Goutchmidt explique : “ Une ancienne trésorière du camp m’a raconté que, dans les goulags où se trouvaient de nombreux frères, on demandait aux employés de ne pas se mettre en colère, de ne pas jurer et d’être constamment courtois. Cette bonne conduite leur vaudrait une augmentation. C’était une stratégie destinée à montrer que les Témoins n’avaient pas le monopole de la vertu et que rien ne les distinguait des autres. On payait donc les employés pour leur bonne conduite. Ils étaient une centaine dans le camp — personnel médical, ouvriers, comptables, surveillants, etc. — et personne ne voulait se priver d’une occasion de gagner plus d’argent.

“ Un jour, un frère qui travaillait à l’extérieur du camp a entendu par hasard un responsable d’équipe jurer bruyamment. Le lendemain, en le rencontrant, il lui a dit : ‘ Quelqu’un du corps de garde a dû vous mettre rudement en colère pour que vous juriez si fort ! ’ L’homme a avoué : ‘ Non, c’est seulement que la pression était montée toute la journée, alors je suis sorti du camp dans le but de me défouler. ’ Pour ces gens, se conduire comme les Témoins de Jéhovah était vraiment contraignant. ”

DERRIÈRE LES CARREAUX

Dans les goulags, les frères saisissent chaque occasion de donner le témoignage ; leurs efforts sont parfois abondamment récompensés. Nikolaï Goutsouliak se rappelle : “ Nous nous procurions souvent des denrées alimentaires au petit magasin du camp. Quand venait mon tour de m’y rendre, j’en profitais pour glisser quelques mots sur un sujet biblique. La femme qui servait écoutait toujours attentivement. Un jour, elle m’a même demandé de lui lire quelque chose. Trois jours plus tard, on m’appelait à l’entrée du camp pour me charger d’aller changer une vitre au domicile du commandant, accompagné d’un autre frère.

“ Nous nous sommes donc rendus en ville, escortés par des soldats. Arrivés sur place, la porte s’est ouverte sur la femme du commandant... la femme qui m’avait servi au magasin du camp ! L’un des soldats a pris position à l’intérieur de la maison, les deux autres dans la rue, près de la fenêtre. Elle nous a offert du thé et nous a invités à lui parler de la Bible. Ce jour-​là, nous avons réparé son carreau, mais nous lui avons aussi donné un témoignage complet. Au terme de la conversation, elle nous a dit : ‘ Vous n’avez rien à craindre de moi. Mes parents croyaient en Dieu, comme vous. ’ Elle lisait nos publications en cachette de son mari qui, lui, haïssait les Témoins. ”

“ RETOURNEZ À VOS POSTES ”

À l’inverse, certains fonctionnaires apprécient les Témoins et les défendent. En 1970, dans une scierie de Bratsk (district d’Irkoutsk), le bureau du parti licencie soudain tous les employés Témoins de Jéhovah. “ Puisque vous n’aimez pas le pouvoir soviétique, pourquoi vous prendrait-​il en charge ? Puisque c’est Jéhovah que vous aimez, qu’il vous prenne en charge ! ” leur déclare-​t-​on. Les frères se disent alors que le mieux à faire pour eux, c’est de prêcher ouvertement ; ils commencent donc à faire du porte à porte. Un jour qu’ils expliquent brièvement à une femme le but de leur visite, une voix masculine se fait entendre depuis la cuisine : “ Avec qui parles-​tu ? Fais donc entrer. ” Lorsqu’ensuite l’homme leur demande pourquoi ils ne sont pas au travail en ce jour de semaine, les frères lui expliquent les circonstances de leur licenciement.

Il se trouve que cet homme, rentré chez lui pour déjeuner, est procureur. Indigné par ce qu’il entend, il téléphone à la scierie pour avoir confirmation de l’information. Quand on lui répond par l’affirmative, il lance : “ Et pour quel motif ? Vous rendez-​vous compte que vous avez violé la loi ? Vous n’aviez absolument pas le droit d’agir ainsi ! Je vous ordonne de réintégrer tous les Témoins et de leur verser une compensation correspondant aux trois mois d’inactivité que vous leur avez imposés. ” Après avoir raccroché, se tournant vers les frères, il leur dit : “ Demain, retournez à vos postes et reprenez votre travail. ”

‘ JE CACHE DES PUBLICATIONS DEPUIS 1947 ’

Dans les années 70, les frères ont déjà l’habitude de produire, de diffuser et de cacher les publications. Mais ils sont parfois confrontés à des situations qui les obligent à réfléchir vite. Grigori Sivoulski se souvient : “ Un jour, en 1976, on a perquisitionné chez nous. La veille au soir, j’avais caché sans trop de précaution les fiches d’activité et les adresses des frères sous une commode. Les agents du KGB avaient l’air très sûrs d’eux, comme s’ils savaient exactement quoi chercher et où le trouver. L’un d’eux m’a demandé de lui apporter une pince et un tournevis, puis il a ajouté : ‘ Nous allons démonter le canapé. ’ J’ai prié et j’ai répondu d’une voix assurée :

“ ‘ Si vous étiez arrivés par surprise comme vous l’avez fait chez d’autres Témoins, vous auriez trouvé quelque chose. Mais, aujourd’hui, c’est trop tard. Vous ne trouverez rien. ’

“ ‘ Et qu’aurions-​nous donc trouvé ? ’ a demandé l’agent.

“ ‘ La Tour de Garde et Réveillez-vous ! Mais vous ne trouverez rien aujourd’hui. ’

“ Puis, lui tendant les outils, j’ai ajouté : ‘ Quand vous aurez terminé, il faudra que le canapé soit dans l’état où il est maintenant. ’

“ Pendant une minute, les agents ont hésité. Percevant ce flottement, je me suis tourné vers un jeune et je lui ai dit : ‘ J’imagine que ça ne fait pas plus de trois ans que vous faites ce travail : chercher les publications des Témoins de Jéhovah. Pour ma part, je les cache depuis 1947. Ne perdez pas votre temps ; elles sont en lieu sûr. ’

“ À ma grande surprise, les agents ont abandonné et sont partis... alors que les fiches et les adresses étaient à la portée de n’importe quelle main ! ”

LA PERESTROÏKA — UNE PÉRIODE DE CHANGEMENT

En 1985, la perestroïka n’apporte pas immédiatement les résultats attendus. Dans certaines régions, les Témoins continuent d’être condamnés et incarcérés. Néanmoins, en 1988, dans une lettre adressée au siège mondial, le Béthel d’Allemagne rapporte : “ Au début de l’année de service, les autorités ont manifesté une certaine disposition à accorder davantage de liberté aux [frères d’URSS] en ce qui concerne les réunions et sans doute aussi les publications, à condition que les congrégations soient enregistrées par l’administration locale. Les frères ont pu célébrer le Mémorial en toute tranquillité presque partout. Selon eux, il s’agit pour les autorités d’un changement de position radical. ”

Bientôt des frères nommés fournissent au Béthel d’Allemagne les adresses de frères qui acceptent de recevoir des colis de publications. Les colis reçus sont ensuite transmis à des anciens, qui veillent à ce que chaque proclamateur puisse tirer profit de cette nourriture spirituelle. À partir de février 1990, quelque 1 600 adresses sont ainsi utilisées pour des envois mensuels de publications.

En 1989, l’assemblée spéciale tenue en Pologne accueille plusieurs milliers de Témoins soviétiques. Ievdokia, une sœur de la ville de Naberejnyie Tchelny, raconte : “ Nous avons supplié Jéhovah pour qu’il permette que nous assistions à notre première vraie assemblée. Le directeur de l’entreprise où je travaillais, qui avait appris que je voulais aller à l’étranger, m’a dit : ‘ Quoi ? Tu ne regardes pas la télévision ? La frontière est fermée. Personne ne passe ! ’

“ Pleinement confiante, je lui ai répondu : ‘ La frontière va s’ouvrir. ’ Et c’est exactement ce qui s’est produit. Au poste de douane de Brest, seuls les Témoins étaient autorisés à passer. On nous a traités gentiment et on ne nous a même pas fouillés. Un non-Témoin, se faisant passer pour un délégué, a traversé la frontière avec nous. Mais les douaniers l’ont rapidement arrêté. Comment l’ont-​ils repéré ? Les délégués affichaient tous un sourire radieux et ils n’avaient que de petits bagages. ”

ACCUEIL CHALEUREUX À MOSCOU

Quarante années ont passé depuis la demande d’enregistrement déposée à Moscou en 1949. À l’époque, les frères n’avaient pu, en toute conscience, se soumettre aux conditions du gouvernement de Staline. Mais, le 26 février 1990, le président de la Commission aux affaires religieuses de Moscou reçoit une délégation de Témoins de Jéhovah. Deux vice-présidents et trois autres membres de la Commission assistent également à la rencontre. La délégation est composée de 15 frères : 11 de Russie et d’autres républiques soviétiques, Milton Henschel et Theodore Jaracz de Brooklyn, ainsi que Willi Pohl et Nikita Karlstroem du Béthel d’Allemagne.

Le président ouvre la réunion par ces mots : “ Nous sommes très heureux de rencontrer les Témoins de Jéhovah. Personnellement, j’ai souvent entendu parler de vous, mais c’est la première fois que je vous rencontre. Nous sommes ouverts à la discussion dans l’esprit de la glasnost (ou de la transparence). ” Les frères ayant informé la Commission de leur intention de déposer une demande d’enregistrement des activités des Témoins de Jéhovah en Union soviétique, le président déclare : “ Voilà qui fait plaisir à entendre. C’est de plus le bon moment. Nous arrivons au printemps, la période des semailles. Il y a donc tout lieu de s’attendre à une bonne récolte. ”

Sur l’invitation du président, les frères se présentent. Il apparaît alors clairement que, depuis Kaliningrad jusqu’à l’extrémité orientale du pays, les Témoins de Jéhovah sont partout. Un surveillant de circonscription déclare, par exemple : “ Je représente quatre congrégations du district d’Irkoutsk. Mais je m’occupe également de l’extrême Est, des territoires de Khabarovsk et de Krasnoïarsk, ainsi que des districts de Novossibirsk et d’Omsk. ” Le président s’exclame : “ Vous avez un territoire immense, plus grand que celui de nombreuses nations ! ”

L’un des vice-présidents prend la parole : “ Nous aimerions en savoir davantage sur vos croyances ; certaines d’entre elles nous échappent. Par exemple, vous dites dans un livre que Dieu va nettoyer la terre et supprimer tous les gouvernements actuels. Nous ne comprenons pas. ” Frère Pohl lui répond : “ Les Témoins de Jéhovah ne s’associent à aucune forme de violence. Si un livre affirme cela, c’est qu’il renvoie à des prophéties précises de la Bible. Les Témoins prêchent le Royaume de Dieu et la vie éternelle dans un paradis terrestre. ”

“ Il n’y a rien à redire à cela ”, conclut le vice-président.

À la fin de la discussion, le président déclare : “ Nous sommes très heureux de vous avoir rencontrés. L’enregistrement devrait avoir lieu au plus vite. ”

En mars 1991, les Témoins de Jéhovah sont officiellement reconnus en Russie. La population russe s’élève à 150 millions d’habitants et il n’y a que 15 987 proclamateurs. Au vu des circonstances, les frères et sœurs du pays ont besoin d’instructions de la part de Jéhovah. — Mat. 24:45 ; 28:19, 20.

“ QUEL BONHEUR, QUELLE LIBERTÉ ! ”

Du fait de sa proximité avec la Russie, la Finlande est désignée par le Collège central pour organiser, du 26 au 28 juin 1992, une assemblée internationale à Saint-Pétersbourg. Après plus de cinq décennies d’interdiction, les frères peuvent enfin se rassembler en toute liberté. Comment vivent-​ils cet événement ? Un frère relate : “ Nous étions des milliers dans le stade. Nos larmes ne tarissaient pas. Quel bonheur, quelle liberté ! Nous n’avions jamais même rêvé de pouvoir connaître une telle liberté dans ce système de choses. Mais Jéhovah a rendu les choses possibles. Des images resurgissaient. Celles d’un camp entouré d’une haute clôture, et d’une cellule de confinement où, allongés à cinq, nous étions réchauffés à tour de rôle par les quatre autres. Dans ce stade aussi il y avait une haute enceinte. Pourtant, nous voulions y rester le plus longtemps possible. C’était un sentiment indescriptible.

“ Nous avons eu les larmes aux yeux pendant toute l’assemblée — des larmes de joie devant un tel miracle. Malgré nos 70 ans révolus, nous avons parcouru tout le stade, comme si nous avions des ailes. Cette liberté, nous l’attendions depuis 50 ans ! Jéhovah avait d’abord permis l’exil en Sibérie, puis les prisons et les camps. Mais maintenant, nous étions au stade ! Nul n’est plus puissant que Jéhovah. Nous nous regardions et nous éclations en sanglots. Nous n’arrivions pas à y croire. À un moment, de jeunes frères nous ont entourés et nous ont demandé : ‘ Tout va bien ? Quelqu’un vous a fait du mal ? ’ Les sanglots nous coupaient la parole. À travers les larmes, l’un de nous est parvenu à articuler : ‘ Ce sont des larmes de joie ! ’ Nous leur avons finalement expliqué que nous avions servi Jéhovah pendant des années sous l’interdiction, et que nous étions éberlués devant le changement si soudain qu’il avait permis. ”

Après cette assemblée mémorable, la Finlande envoie 15 pionniers spéciaux en Russie. C’est ainsi que, le 1er juillet 1992, Hannu et Eija Tanninen, un couple zélé, arrivent à Saint-Pétersbourg, leur affectation. Leur premier gros défi est l’apprentissage de la langue. Mais, dès la fin de leur première leçon, ils se mettent à prêcher et à proposer des études bibliques à domicile. Hannu se rappelle : “ Au début des années 90, presque toute la ville voulait étudier la Bible. Quand nous prêchions dans la rue, les gens nous donnaient sans hésitation leur adresse. Tous voulaient des publications. Lorsque vous remettiez un périodique ou un tract à une personne dans la rue, dix autres venaient en réclamer. Non seulement les gens acceptaient des publications, mais ils commençaient souvent à les lire immédiatement, dans la rue ou dans le métro. ”

À partir d’octobre 1992, de nombreux pionniers spéciaux arrivent aussi de Pologne. Le premier groupe, qui compte quelques sœurs célibataires, est bientôt suivi d’un deuxième, envoyé à Saint-Pétersbourg. Au bout d’un an, un groupe de pionniers polonais est envoyé à Moscou. Par la suite, plus de 170 volontaires venant de Pologne, pour la plupart des frères diplômés de l’École de formation ministérielle (EFM), seront affectés en Russie.

UNE GRANDE PORTE QUI DONNE ACCÈS À L’ACTIVITÉ

Le Collège central approuve, après l’assemblée internationale tenue à Saint-Pétersbourg, l’achat d’un terrain de sept hectares sur lequel s’élèvent de vieux bâtiments. Situé non loin de cette ville, dans la localité de Solnetchnoïe, l’endroit convient tout à fait. Le temps est venu de construire un Béthel en Russie. Sollicitée pour le projet de construction, la filiale de Finlande envoie un premier groupe de volontaires en septembre 1992. Parmi eux figure Aulis Bergdahl, qui deviendra membre du Comité de la filiale. Il se souvient : “ Ma femme, Eva-Lisa, et moi avons accepté avec joie l’invitation à participer à la construction du Béthel de Russie. La direction de Jéhovah était manifeste. Des frères du monde entier ont soutenu ce projet. ”

Venus de Finlande également, Alf Cederlöf, le surveillant des travaux, et Marja-Leena, sa femme, communiquent leur dynamisme à toute l’équipe de construction. Les membres du Comité de la filiale de Finlande se montrent particulièrement encourageants. Des frères du siège de Brooklyn se déplacent pour visiter le chantier. Aulis raconte : “ En 1993, Milton Henschel nous a rendu visite après l’assemblée internationale de Moscou. Tant dans ses discours sur le chantier qu’en privé avec les volontaires, il a été une source d’encouragement. ”

Environ 700 volontaires — de Scandinavie et d’ailleurs en Europe, d’Amérique, d’Australie, ainsi que de Russie et des autres anciennes républiques soviétiques — participeront aux travaux. Ils sont issus de cultures et de milieux différents ; leurs méthodes de travail diffèrent également. Pourtant, le projet se réalisera, conformément aux paroles de Zekaria 4:6 : “ ‘ Ni par des forces militaires ni par la puissance, mais par mon esprit ’, a dit Jéhovah des armées. ” C’est sans conteste Jéhovah qui bâtira cette “ maison ”. (Ps. 127:1.) Des frères russes proposent spontanément leur aide. La plupart sont jeunes et nouveaux dans la vérité, mais nombre d’entre eux sont déjà pionniers. Ils ont soif d’apprendre. Apprendre à construire — vite et bien — et à se conformer à l’ordre théocratique.

ORGANISATION DE L’ŒUVRE

Fin 1993, les membres du Comité du pays arrivent à Solnetchnoïe. Il s’agit d’Ivan Pachkovski, de Dmitri Livy, de Vassili Kaline, d’Alekseï Verjbitski, d’Anatoli Pribytkov et de Dmitri Fedounichine. Un an plus tard, ils sont rejoints par Mikhaïl Savitski. Le Collège central fait appel à Horst Henschel, du Béthel d’Allemagne, pour aider les frères à organiser l’œuvre.

On s’intéresse en premier lieu à l’organisation du service itinérant. Cinq circonscriptions sont d’abord constituées : deux dans Saint-Pétersbourg et trois dans Moscou et sa banlieue. Les premiers surveillants de circonscription à plein temps sont Artur Bauer, Pavel Bougaïski et Roy Öster, pour Moscou, et Kzyztov Poplawski et Hannu Tanninen, pour Saint-Pétersbourg. Par la suite, Roman Skiba sera également nommé surveillant de circonscription. Matthew Kelly, un frère américain, diplômé de l’EFM en 1992, est pour sa part désigné comme surveillant de district à temps partiel.

Hannu Tanninen se rappelle ses premières expériences, au début des années 90 : “ J’avais écrit à une congrégation de Petrozavodsk, en Carélie, pour annoncer mon arrivée. La lettre expliquait comment les réunions devaient être organisées pendant la semaine. À la descente du train, ma femme et moi avons été accueillis par un ancien, qui nous a emmenés chez lui. Là, ma lettre à la main, il m’a dit : ‘ Nous avons reçu ton courrier, mais nous avons préféré ne rien faire et attendre que tu arrives pour tout nous expliquer, vu que nous n’avons pas compris ce que tu disais. ’

“ À l’époque de mon premier passage à Mourmansk, 385 proclamateurs dirigeaient plus de 1 000 études bibliques dans cette ville. En réalité, le nombre de personnes qui étudiaient était bien supérieur, beaucoup d’études ayant lieu en groupes. Par exemple, pour 13 études comptabilisées, une pionnière enseignait plus de 50 personnes !

“ Notre deuxième affectation était les districts de Volgograd et de Rostov. À Volgograd, il n’y avait que quatre congrégations pour plus de un million d’habitants. Les frères avaient hâte d’apprendre à tenir les réunions, à conduire des études bibliques et à prêcher de maison en maison. Lors de chacun de nos passages, il fallait former de nouvelles congrégations. Pour établir le rapport du surveillant de circonscription, on comptabilisait le nombre de baptêmes depuis la visite précédente. Il s’élevait, pour chaque congrégation, à 50, 60, 80, voire dans un cas 100 personnes ! En à peine trois ans, 16 congrégations avaient vu le jour dans la ville. ”

En janvier 1996, un Comité de filiale est formé en Russie. Dans le même temps, les premiers surveillants de district à plein temps sont nommés. Parmi eux figurent Roman Skiba (affectation : Sibérie et extrémité orientale du pays), Roy Öster (affectation : Biélorussie, Moscou, et de Saint-Pétersbourg à l’Oural), Hannu Tanninen (affectation : du Caucase à la Volga), et Artur Bauer (affectation : Kazakhstan et Asie centrale). Parallèlement à leur district, ces frères desservent une petite circonscription.

DES DISTANCES DÉMESURÉES

Roman Skiba, l’un des premiers pionniers spéciaux venus de Pologne, début 1993, raconte : “ En octobre 1993, j’ai été affecté dans le service itinérant. Ma première circonscription, qui n’était pourtant pas la plus grande, comprenait le sud de Saint-Pétersbourg, le district de Pskov et toute la Biélorussie. J’ai dû m’habituer bien vite à parcourir de grandes distances. En novembre 1995, on m’a confié une autre circonscription, dans l’Oural, et j’ai été nommé surveillant de district suppléant. Le territoire que je visitais s’étendait depuis l’Oural jusqu’à l’extrémité orientale du pays, en passant par la Sibérie. Selon les calculs d’un frère, ce territoire, traversé par huit fuseaux horaires, équivalait à 38 fois la Pologne ! Deux ans plus tard, le Béthel m’a demandé de rendre visite à un groupe, à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie. ”

Frère Skiba poursuit : “ Je me souviens d’un voyage interminable de Norilsk, au nord du cercle arctique, à Iekaterinbourg. Je ne suis pas près de l’oublier. Nous devions prendre deux vols, un premier de Norilsk à Novossibirsk, et de là un second jusqu’à Iekaterinbourg. L’avion au départ de Norilsk ayant 12 heures de retard, ma femme, Lioudmila, et moi avons passé la journée à l’aéroport. Heureusement, nous avons pris l’habitude d’étudier pendant nos déplacements.

“ Parfois, en dépit de tous nos efforts, nous arrivions en retard pour la semaine spéciale. Un jour que nous roulions sur une piste, en route pour Oust-Kan, un village de montagne dans la république de l’Altaï, notre voiture est tombée en panne. Non seulement je n’avais pas eu le temps d’examiner les dossiers de la congrégation, mais nous arrivions deux heures après le début de la réunion. Nous étions déçus, et presque certains que tout le monde serait parti. Quelle surprise de découvrir en arrivant que la salle, qui avait été louée, était bondée ! Là, 175 personnes nous attendaient, pour une congrégation de moins de 40 proclamateurs ! Notre retard avait, semble-​t-​il, permis à beaucoup de personnes intéressées par le message de faire le trajet depuis d’autres villages de montagne *. ”

DES ASSEMBLÉES INOUBLIABLES

Dans les grandes villes qui accueillent pour la première fois une assemblée de district, les frères n’ont pas l’expérience de l’organisation d’un tel rassemblement. À Iekaterinbourg, en 1996, ils choisissent un stade qui leur semble convenir. Roman Skiba se souvient : “ L’herbe avait poussé dans les gradins, et des bouleaux de plus de deux mètres s’élevaient au milieu du stade. Il ne restait que trois semaines avant l’assemblée, et il n’y avait que trois congrégations dans la ville et sa banlieue. Fort heureusement, le directeur des installations était prêt à nous aider, même s’il lui paraissait impossible que le stade soit en état pour l’assemblée. Les frères se sont donc mis au travail et, à la date prévue, le stade étincelait ! Le directeur n’en croyait pas ses yeux ! ” Pour montrer sa reconnaissance, cet homme autorisera les frères à tenir l’École des pionniers dans l’un des bâtiments du stade. Un frère rapporte : “ Après l’assemblée, des événements sportifs ont de nouveau eu lieu dans le stade, ce qui a constitué une source de revenus pour la ville. ”

L’organisation des assemblées requiert parfois souplesse et endurance. Ainsi, en 1999, à Vladikavkaz, la location d’un stade pour une assemblée de circonscription qui doit réunir 5 000 personnes se révèle impossible. Immédiatement, les frères modifient le programme de l’assemblée. Ils préparent un programme abrégé d’une journée, qui est présenté cinq fois dans une salle de cinéma louée, à Vladikavkaz. Puis, le week-end, à Naltchik, dans deux emplacements distants de deux kilomètres, le programme normal de l’assemblée est présenté avec deux heures de décalage. Les orateurs peuvent ainsi passer d’un site à l’autre. Certains surveillants itinérants se demandent si leur voix résistera jusqu’à la fin des assemblées ! Un frère estimera avoir donné 35 discours cette semaine-​là ! Tout se passe bien jusqu’à l’arrivée sur l’un des sites, le samedi en fin de matinée, d’hommes en uniforme accompagnés d’un chien. Invoquant des raisons techniques, ils font interrompre le programme et évacuer la salle. Les frères et sœurs sortent, calmes, comme à l’habitude, et se retrouvent à l’extérieur pour déjeuner et profiter de la compagnie les uns des autres. En réalité, un fanatique religieux a téléphoné pour signaler la présence d’une bombe. Mais l’inspection des lieux ne donne rien. Les frères sont donc autorisés à poursuivre l’assemblée. Bien que légèrement modifié, le programme sera présenté jusqu’au bout, pour le bénéfice de tous les assistants.

DES PIERRES, DES BOUCLIERS ET DES ÉPÉES

Très vite, les graines de vérité se répandent à travers tout le pays. Eija Tanninen se rappelle : “ En 1998, nous nous préparions à un voyage en train de 15 heures pour aller d’une assemblée de district à une autre, quand les frères nous ont demandé d’emporter une certaine quantité d’accessoires pour le drame. Les contrôleurs n’étant généralement pas conciliants avec les passagers surchargés, c’était un peu hasardeux. Pourtant, aidés des frères, nous avons vaillamment transporté dans notre compartiment (pour quatre personnes) pierres, boucliers, épées et autres sacs débordants de costumes. Puis nous nous sommes assis, aux côtés des deux autres passagers.

“ En vérifiant nos billets, le contrôleur, une femme, nous a demandé pourquoi nous avions autant de bagages. Quand nous lui avons dit qu’il s’agissait d’accessoires pour un drame qui serait présenté lors d’une assemblée des Témoins de Jéhovah, elle s’est montrée très aimable. Elle nous a expliqué qu’elle avait récemment assisté à un discours qu’avait donné mon mari dans la congrégation de la ville où elle habitait. Nous avons senti la main de Jéhovah. ”

DES OBSERVATRICES

Les sœurs apprennent énormément les unes des autres. Eija raconte : “ Je n’ose imaginer la somme de patience et d’humilité qu’a demandée aux sœurs mon russe balbutiant, au début. J’étais émue devant leur soif d’apprendre à diriger des études bibliques. Nombre d’entre elles étaient nouvelles dans la vérité ; certaines avaient servi Jéhovah sous l’interdiction et n’avaient pas toujours eu l’occasion de recevoir les instructions de son organisation.

“ En 1995 et 1996, nous avons desservi la ville de Voljski. Lorsqu’une sœur m’invitait à l’accompagner dans une étude, il était fréquent que plusieurs autres demandent à se joindre à nous. Comme je ne comprenais pas pourquoi, elles m’ont expliqué qu’elles voulaient apprendre à conduire une étude biblique. J’ai donc accepté, à condition que l’étudiant n’y voie pas d’inconvénient et ne soit pas mal à l’aise en leur présence. En général, elles étaient entre six et dix à venir, convaincues que cela ne dérangerait pas la personne. Et c’était vrai. Au bout de quelques mois, nombre de ces étudiants enseignaient à leur tour. À l’époque, Voljski ne comptait que deux congrégations. Dix ans plus tard, 11 congrégations avaient vu le jour. ”

UNE PRIÈRE EXAUCÉE

Manifestement, l’instruction théocratique est d’une grande utilité non seulement aux frères et sœurs qui servent Jéhovah depuis peu, mais également à ceux qui l’ont servi pendant des années sous l’interdiction. Hannu Tanninen se souvient : “ Nous avons souvent senti la direction des anges et été témoins d’événements qui nous ont vivement impressionnés. En 1994, alors que nous arrivions dans une nouvelle congrégation, à Novgorod (aujourd’hui appelée aussi Veliki Novgorod), les frères nous ont emmenés dans l’appartement où nous devions loger pour la semaine. Nous y avons rencontré Maria, une sœur âgée qui avait parcouru une cinquantaine de kilomètres tout exprès pour l’occasion. Elle était dans la vérité depuis 50 ans et voulait absolument voir un des premiers surveillants de circonscription en activité après l’interdiction. Nous lui avons demandé comment elle avait connu la vérité, et elle nous a raconté son histoire. À l’âge de 17 ans, elle avait été internée dans un camp de concentration en Allemagne, où elle avait rencontré les Témoins. Là, elle avait pris position pour la vérité et avait été baptisée par une sœur ointe. Finalement libérée, elle était retournée en Russie pour prêcher la bonne nouvelle du Royaume. Mais arrêtée peu après à cause de cette activité, elle avait passé de nombreuses années dans les goulags soviétiques.

“ Nous avons été émus de l’entendre dire humblement, à la fin de son récit, que les semaines précédentes elle avait prié Jéhovah de lui montrer s’il y avait, dans le culte qu’elle lui rendait, quelque chose qui n’allait pas. Plus tard ce soir-​là, j’ai pu lui parler d’un article ancien, paru dans la rubrique ‘ Questions des lecteurs ’ de La Tour de Garde, qui expliquait que le baptême n’est valide que lorsqu’il est administré par un frère. Profondément reconnaissante, et convaincue que sa prière avait été exaucée, Maria s’est fait baptiser avec joie, dans la baignoire. Cinquante années avaient passé depuis qu’elle s’était vouée à Jéhovah en 1944. ”

LA NOURRITURE SPIRITUELLE TRAVERSE 11 FUSEAUX HORAIRES

Depuis 1991, de petits colis de publications sont expédiés d’Allemagne ou de Finlande par courrier. Cependant, en juillet 1993, pour la première fois, 20 tonnes de publications en provenance d’Allemagne arrivent par camion à Solnetchnoïe. Du Béthel de Russie, des camions prennent la route à leur tour ; direction Moscou, la Biélorussie ou le Kazakhstan. Mais tout ne va pas sans problème. Par exemple, les livraisons au Kazakhstan représentent un voyage aller de 5 000 kilomètres. Les frères sont retardés aux frontières. Et, en hiver, les camions s’enlisent dans les congères.

Aujourd’hui, Solnetchnoïe reçoit 200 tonnes de publications par mois. Les chauffeurs du Béthel saisissent chaque occasion de donner le témoignage aux frontières, tant aux gardes qu’aux douaniers. Certains d’entre eux apprécient la lecture des publications. Un jour, au cours d’un contrôle, un policier qui vient de comprendre que le camion appartient à une organisation religieuse se met à dénigrer d’une voix forte la religion. Il raconte comment il s’est fait injurier par un prêtre qu’il avait arrêté pour une infraction grave au code de la route. Les frères lui ayant parlé de la manière dont Dieu se comporte avec les gens et de son dessein pour la terre et l’humanité, l’homme change de ton et se fait plus amical. Il leur pose même des questions et une discussion intéressante, Bible en main, s’engage. Profondément touché par ce qu’il entend, le policier déclare : “ Je chercherai les Témoins pour continuer cette conversation. ”

De 1995 à 2001, c’est le Béthel du Japon qui se charge de la livraison des publications pour les congrégations de Vladivostok, à l’extrémité orientale de la Russie. De là, les frères envoient des chargements par bateaux aux congrégations du Kamtchatka, et ils finissent par connaître certains des capitaines qui font le trajet. Un jour, l’un d’eux accepte d’entreposer les publications dans sa cabine, gratuitement, et participe même à leur chargement sur son bateau. Il explique aux frères : “ Même si je ne suis pas croyant, je veux faire une bonne action. Je vous aime bien. Vous êtes bien organisés. Quand j’arrive au débarcadère, je n’ai pas besoin d’attendre. Les gens de chez vous sont comme des oiseaux : ils s’élancent sur les cartons de publications et les emportent aussitôt. ”

L’ACCROISSEMENT CRÉE UN BESOIN URGENT

Pendant des années, La Tour de Garde a paru en russe sous la forme d’une édition mensuelle de 16 pages. Son format était légèrement plus grand que la normale. Les frères d’Union soviétique disposaient des articles d’étude, puisqu’ils étaient tous traduits, mais ceux-ci paraissaient bien longtemps après les articles en anglais. Le décalage variait entre six mois et deux ans ; il était plus important encore pour les articles dits secondaires. À partir de 1981, l’édition russe passe à 24 pages ; en 1985, elle devient bimensuelle. La première Tour de Garde de 32 pages imprimée en quadrichromie simultanément avec l’édition anglaise est celle du 1er juin 1990.

Tania, une traductrice, explique : “ Avec le recul, nous sommes conscients qu’une grande partie de ce que nous traduisions et imprimions manquait de naturel et n’était pas très accessible. Mais nous faisions pour le mieux dans le contexte de l’époque. Et cette nourriture satisfaisait les personnes qui étaient affamées sur le plan spirituel. ”

Avec l’ouverture de l’œuvre dans les pays de l’ex-URSS, les publications peuvent être largement diffusées. Au Béthel d’Allemagne (à Selters), les traducteurs en langue russe ont grandement besoin d’aide. Deux événements vont permettre d’améliorer la qualité de la traduction. Premièrement, à leur plus grande joie, des frères et sœurs de Russie et d’Ukraine sont envoyés en Allemagne pour recevoir une formation de traducteurs. Les cinq premiers arrivent le 27 septembre 1991. Commence alors pour l’équipe de traduction une période de restructuration — non sans difficultés. La transformation ‘ du bois et des pierres ’ en “ or ” ne sera pas instantanée ; il faudra d’abord passer par toutes les étapes dont parle Isaïe 60:17.

Deuxièmement, l’équipe bénéficie à présent de l’aide du tout nouveau Service d’assistance aux traducteurs. Par ailleurs, des cours sont organisés sur place peu après l’arrivée des frères et sœurs de Russie.

Reste que l’idéal est d’effectuer la traduction dans le pays où la langue est parlée. Le départ, en janvier 1994, de l’équipe de traduction pour le Béthel de Solnetchnoïe, alors en construction, suscite donc l’enthousiasme.

Bien sûr, il y a la tristesse de la séparation. Parmi ceux qui ont travaillé dans l’ombre pendant des dizaines d’années pour leurs frères vivant de l’autre côté du rideau de fer, tous ne sont pas en mesure de partir. En ce dimanche 23 janvier 1994, après des adieux émouvants, ce sont 17 frères et sœurs qui quittent Selters ; 2 autres frères, nommés pionniers spéciaux, sont du voyage.

“ C’EST MOI LE DIEU DU PATIENT ”

Depuis des décennies, l’opinion des médecins et des auxiliaires médicaux russes sur les croyances religieuses de leurs patients est influencée par l’éducation athée qu’ils reçoivent, et par le fait que le sang est largement utilisé dans la médecine soviétique. Dès lors, les praticiens se montrent sceptiques, voire grossiers, à l’égard des Témoins qui demandent à être soignés sans recours au sang.

Il n’est pas rare d’entendre ces mots dans la bouche d’un médecin : “ Ici, c’est moi le dieu du patient ! ” Tout patient qui ne partage pas l’avis du médecin peut être renvoyé de l’hôpital sur-le-champ. D’autre part, la position biblique des Témoins relative à la transfusion sanguine sert souvent de prétexte aux opposants pour tenter de faire interdire l’œuvre en Russie.

En 1995, le Bureau d’information hospitalier du Béthel de Russie commence à dispenser au corps médical des informations fiables concernant la position des Témoins de Jéhovah. Plusieurs séminaires sont organisés en vue de former les anciens de plus de 60 comités de liaison hospitaliers. On leur apprend à fournir aux professionnels de la santé les renseignements dont ils ont besoin, ainsi qu’à trouver des médecins disposés à soigner les Témoins sans faire appel au sang.

En 1998, à Moscou, des praticiens russes et étrangers tiennent une conférence internationale — la première du genre en Russie — ayant pour thème “ Les techniques de substitution à la transfusion en chirurgie ”. Plus de 500 médecins venus des quatre coins du pays y assistent. Entre 1998 et 2002, l’expérience acquise par le corps médical russe lui permet d’organiser de nombreuses conférences dans les principales villes de Russie. Ces colloques produiront d’excellents résultats.

Ainsi, dans une lettre officielle adressée à des avocats défendant les droits de patients Témoins, le docteur Vorobiev, éminent hématologiste et ancien ministre de la Santé de la Fédération russe, fait état d’une conséquence de la révision du point de vue des médecins relatif aux transfusions sanguines : “ En Russie, le taux de mortalité chez les femmes en couches a chuté de 34 %. ” Puis il ajoute : “ Avant, ce taux était huit fois plus important ici que dans le reste de l’Europe, et cela parce que les sages-femmes transfusaient inutilement les jeunes mères. ”

En 2001, le ministère de la Santé de la Fédération de Russie envoie des instructions à toute la communauté médicale. Elles stipulent que le refus du patient d’être transfusé pour motifs religieux doit être respecté. En 2002, le même ministère fait paraître un document intitulé Instructions sur l’usage des composants du sang. Selon ces instructions, la transfusion sanguine n’est envisageable qu’après consentement écrit du patient ; par ailleurs, en cas de refus de transfusion de composants du sang pour motifs religieux, des traitements de substitution doivent être employés.

Après avoir travaillé avec des représentants du Bureau d’information hospitalier, nombre de médecins reconsidèrent la question de l’usage du sang. L’un d’eux, un chirurgien, leur déclare : “ Des patients [Témoins], et vous-​mêmes, m’avez affirmé que votre refus des transfusions sanguines n’était pas une simple lubie, mais qu’il reposait sur un commandement biblique. Alors j’ai voulu vérifier. J’ai examiné tous les textes bibliques cités dans les documents que vous m’avez remis. Après réflexion, je suis parvenu à la conclusion que votre position est bien fondée sur la Bible. Mais alors, pourquoi nos prêtres sont-​ils muets sur la question ? Désormais, quand on évoquera ce sujet, je dirai à mes collègues que les Témoins sont les seuls qui suivent la Bible. ” Aujourd’hui, en Russie, plus de 2 000 praticiens proposent aux patients Témoins des thérapeutiques ne faisant pas appel au sang.

ILS ASSUMENT JOYEUSEMENT LEUR MISSION

En octobre 1993, Arno et Sonja Tüngler, diplômés de l’annexe de l’École de Guiléad en Allemagne, arrivent en Russie. Avec le temps, ils seront affectés dans plusieurs villes du pays. Quels seront les progrès de l’œuvre de Jéhovah dans ces territoires ? Laissons-​les nous l’expliquer.

Arno : “ Quelques semaines après avoir rejoint notre affectation, Moscou, nous présentions nos premiers exposés à l’École du ministère théocratique. Alors que nous étions en Russie depuis six semaines, je donnais un discours à l’occasion d’une assemblée. Notre congrégation était composée d’environ 140 proclamateurs baptisés, alors que le territoire équivalait à celui d’une circonscription en Allemagne ! Dans notre premier territoire de prédication, situé non loin de la maison de pionniers où nous logions, nous étions les tout premiers Témoins à prêcher de porte en porte ! C’était exaltant. ”

Sonja : “ Même si nous ne connaissions quasiment pas le russe, nous prêchions parfois dans la rue sans nous faire accompagner. Nous parlions avec les gens et leur remettions des tracts et des publications. Mais les frères et sœurs nous aidaient énormément. Il n’était pas difficile de trouver des proclamateurs disposés à sortir avec nous. Avec patience et gentillesse, ils nous laissaient nous exprimer dans notre mauvais russe. Les gens aussi étaient très patients. L’Union soviétique venait de s’écrouler et ils étaient vivement intéressés par la religion. ”

Arno : “ Le fait de prêcher de porte en porte et de conduire des études bibliques a grandement facilité notre apprentissage de la langue. En janvier 1994, quatre mois après notre arrivée, nous dirigions déjà 22 études, ce qui multipliait les occasions d’entendre et de parler le russe de tous les jours.

“ Le nombre de baptisés lors des assemblées était remarquable. Il dépassait parfois 10 % de l’assistance. Il n’y avait pas, dans toutes les congrégations, suffisamment de frères qualifiés pour être anciens ou assistants ministériels. Un ancien assumait même la fonction de surveillant-président dans cinq congrégations ! Un jour, ce frère m’a demandé de présenter le discours du Mémorial dans l’une d’elles. L’assistance s’est élevée à 804 personnes, qui ont dû quitter la salle immédiatement après le discours pour laisser la place à une autre congrégation. Cependant, l’orateur ayant eu un accident de voiture en chemin, il n’a pas pu arriver à temps, et j’ai dû prononcer de nouveau le discours. Cette fois, 796 personnes étaient présentes ! Pour deux congrégations seulement, la commémoration a donc réuni 1 600 assistants, ce qui donne une idée de l’extraordinaire intérêt suscité par la vérité à l’époque. ”

JÉHOVAH ‘ ACCÉLÈRE ’ LA MOISSON

Dans sa Parole, Jéhovah a promis d’‘ accélérer ’ le rassemblement des “ choses désirables ”. (Is. 60:22 ; Hag. 2:7.) En 1980, Saint-Pétersbourg compte 65 proclamateurs, qui, en dépit de l’étroite surveillance du KGB, s’efforcent de parler de la Bible avec les habitants de la ville. En 1990, ce sont plus de 170 Témoins qui prêchent de façon informelle dans la rue. En mars 1991, l’œuvre est enregistrée officiellement en Russie. Peu après, on dénombre cinq congrégations à Saint-Pétersbourg. L’accroissement rapide est favorisé par différents événements théocratiques, notamment l’assemblée internationale tenue dans cette ville en 1992. Finalement, en 2006, on recensera plus de 70 congrégations à Saint-Pétersbourg.

En 1995, la ville d’Astrakhan, non loin de la frontière du Kazakhstan, n’abrite qu’une seule congrégation — dépourvue d’anciens et d’assistants ministériels. Pourtant, on y organise une assemblée de circonscription et une assemblée spéciale d’un jour. Les discours seront prononcés par des anciens venus de Kabardino-Balkarie, à 700 kilomètres de là. Jusqu’à leur arrivée, ces frères ignorent le nombre de candidats au baptême. Roman Skiba se souvient : “ Avec un autre ancien, nous nous sommes rendus sur place deux semaines avant l’assemblée. Nous voulions participer au ministère avec la congrégation et examiner les questions en vue du baptême avec les candidats. Mais nous n’avons pas eu une minute pour prêcher. Nous avons passé tout notre temps à discuter avec les 20 candidats au baptême ! ”

À Iekaterinbourg, en 1999, des frères invitent au Mémorial plusieurs commerçants d’un marché. Ces derniers sollicitent la permission de venir avec des amis. Quelle surprise pour les frères de voir affluer une centaine de personnes ! Dans la salle louée pour l’occasion, pourtant spacieuse, certains devront rester debout.

DES ÉTUDES BIBLIQUES À CINQUANTE

Dans le district d’Ivanovo, non loin de Moscou, l’activité de prédication débute avec l’installation dans la région de Pavel et d’Anastasia Dimov, fin 1991. Une tâche difficile les attend : prêcher à plus de un million d’habitants. Par où commencer ? Ils adoptent une méthode simple : un stand de publications, dressé sur la place principale de la ville. Brochures, périodiques et livres y sont exposés. Les passants s’arrêtent. Beaucoup manifestent un intérêt sincère. Toutes ces personnes sont invitées à assister à des réunions d’étude de la Bible. On pourrait difficilement parler d’études bibliques “ à domicile ”, dans la mesure où ces réunions se tiennent dans des salles louées et rassemblent jusqu’à 50 personnes. Elles ressemblent aux réunions de la congrégation et se déroulent en deux parties : l’examen du livre Vous pouvez vivre éternellement sur une terre qui deviendra un paradis, suivi de celui d’un article de La Tour de Garde. Elles ont lieu trois fois par semaine et durent trois heures chaque fois. Trois études de ce genre sont organisées en différents endroits de la ville. Sur sa fiche d’activité, Pavel ne fait donc figurer que trois études bibliques. La plupart des autres proclamateurs en conduisant entre 10 et 20, ce chiffre faible soulèvera plus tard des questions. C’est là qu’on découvrira que chaque étude réunissait une cinquantaine de personnes ! Cette disposition est incontestablement bénie par Jéhovah. En effet, nombre de ceux qui assistent à ces réunions expriment bientôt le désir d’annoncer la bonne nouvelle à leur tour. Lorsque, à la fin d’une étude, Pavel annonce que ceux qui veulent devenir proclamateurs sont invités à rester dans la salle, pas un seul assistant ne bouge. Tous deviennent proclamateurs. Et c’est ainsi que des stands remplis de publications fleurissent sur les places et dans les parcs de la ville.

Puis vient le temps de prêcher de porte en porte. Mais comment faire quand aucun proclamateur, ou presque, n’a jamais participé à cette forme de prédication ? Ceux qui ont le désir d’apprendre accompagnent les Dimov dans le ministère. Ils sont souvent nombreux — avec Pavel, il arrive qu’ils soient dix à la même porte ! Curieusement, loin d’être intimidés, les gens discutent volontiers, certains allant jusqu’à faire entrer toute la “ délégation ” chez eux.

Peu après, les nouveaux proclamateurs voulant étendre leur prédication au-delà de la ville d’Ivanovo, des tournées de prédication sont mises sur pied dans d’autres villes du district. Les proclamateurs, répartis par groupes d’une cinquantaine, commencent à prêcher dans les trains qui les emmènent à destination. Puis ils partent deux par deux. Dans les immeubles, ils invitent les occupants à assister, le soir même, à une réunion où ils pourront voir des vidéos produites par les Témoins de Jéhovah et entendre un discours. Après la réunion, tous les assistants se voient proposer une étude biblique à domicile, et ceux que cette offre intéresse donnent leur adresse. Grâce à ces efforts, des congrégations verront le jour dans plusieurs villes du district d’Ivanovo — parfois jusqu’à cinq dans une même ville.

En 1994, la seule ville d’Ivanovo compte 125 proclamateurs ; elle accueille 1 008 personnes au Mémorial. La même année, 62 habitants de la ville sont baptisés lors de l’assemblée de district, soit l’équivalent d’une nouvelle congrégation ! Avec le temps, dans tout le district d’Ivanovo, quelque 1 800 proclamateurs se dépenseront dans l’œuvre du Seigneur.

ILS SE RÉUNISSENT MALGRÉ L’OPPOSITION

Dans plusieurs villes, il est difficile d’obtenir l’autorisation d’utiliser les stades pour les assemblées. À Novossibirsk, par exemple, des opposants soutenus par le clergé organisent un jour une manifestation juste devant l’entrée du stade. Une de leurs pancartes clame : “ Méfiez-​vous des Témoins de Jéhovah. ” Mais, ce qu’ils n’ont pas remarqué, c’est la présence d’une tache sur les deux dernières lettres du premier mot, qui en modifie le sens. On lit en réalité : “ Prenez soin des Témoins de Jéhovah. ”

En 1998, à Omsk, des problèmes surgissent à l’occasion d’une assemblée de circonscription. Ayant cédé aux pressions d’opposants, les autorités locales ont obligé le gérant de la salle à annuler à la dernière minute le contrat de location établi avec les Témoins. Cependant, les assistants arrivent par centaines, patientant à proximité de la salle. Le gérant s’inquiète alors pour sa sécurité et pour celle du bâtiment. Comme il se met à supplier les frères d’exhorter la foule à ne pas avoir recours à la violence, ceux-ci le rassurent, lui expliquant que personne ne lèvera la main sur qui que ce soit. En voyant les congressistes prendre des photos-souvenirs et se disperser calmement, l’homme comprend que les Témoins de Jéhovah sont bien des gens paisibles. Deux semaines après, l’assemblée aura lieu dans une autre salle. Les opposants, informés trop tard, n’arriveront sur place que vers la fin du programme.

UNE ASSEMBLÉE “ SOUS LES ÉTOILES ”

Du 22 au 24 août 2003, une des assemblées de district en langue des signes doit se tenir à Stavropol, dans le Caucase. Les assistants, venus de 70 villes russes, affluent. Du fait de l’opposition farouche de la municipalité, une sérieuse menace d’annulation plane néanmoins. Et, effectivement, la veille de l’assemblée, l’administrateur de la salle annule le contrat de location. Mais, le vendredi 22, les frères obtiennent du directeur d’un cirque l’autorisation d’utiliser son chapiteau.

À 15 heures, l’assemblée commence. Peu après la pause, l’électricité est soudain coupée. Les assistants restent patiemment assis jusqu’à la reprise du programme une heure plus tard, une fois l’électricité rétablie. Le programme se terminera finalement à 21 heures 30.

Le deuxième jour, l’assemblée commence avec une panne de courant à 9 heures 30. Puis vient le tour de l’eau. Comment l’assemblée pourrait-​elle se poursuivre dans ces conditions ? À 10 heures 50, le comité d’assemblée décide d’ouvrir toutes les portes du cirque pour y faire pénétrer la lumière du soleil, qui brille ce jour-​là. Ingénieux, les frères placent dans la rue de grands miroirs qui pourront réfléchir la lumière sous le chapiteau et sur l’orateur. Mais il devient vite évident que, si l’assistance voit désormais distinctement l’orateur, ce dernier, ébloui, ne voit plus ses notes ! Les frères installent donc d’autres miroirs, dont ils dirigent le reflet vers une grosse sphère à facettes suspendue au sommet du chapiteau, inondant ainsi les lieux de lueurs tourbillonnantes. L’orateur et les assistants peuvent maintenant se concentrer sur le programme. Pour les assistants, le scintillement des multiples miroirs perçant l’obscurité fera de cette assemblée une assemblée exceptionnelle “ sous les étoiles ”.

Bientôt surviennent le maire et plusieurs fonctionnaires. À la surprise de voir l’assemblée se poursuivre en dépit des circonstances s’ajoute celle que suscite le comportement des assistants. Nul ne proteste ni ne se plaint. Tout le monde est concentré sur ce qui se passe sur l’estrade. Extrêmement touché par ce qu’il voit, le chef de la police, qui s’est antérieurement montré agressif à l’égard des Témoins, déclare : “ Je suis corps et âme avec vous, mais nous vivons dans un monde qui ne vous aime pas. ”

Peu après le départ des fonctionnaires, l’électricité est rétablie. Malgré la fin tardive du programme des deux premiers jours, les frères resteront à leur place jusqu’à la dernière prière. L’opposition n’empêchera pas les assistants de venir plus nombreux chaque jour. Ainsi, de 494 le vendredi, ils passeront à 535 le samedi, pour atteindre 611 le dimanche ! Des remerciements tout particuliers sont adressés à Jéhovah dans la prière finale pour avoir permis la tenue de cette assemblée insolite. Les assistants se dispersent ensuite joyeusement, plus déterminés que jamais à servir leur Père céleste et à louer son nom.

DES SOURDS LOUENT JÉHOVAH

En 1990, des sourds figurent déjà parmi les milliers de délégués d’Union soviétique qui assistent à l’assemblée de district spéciale en Pologne. Revigorés spirituellement lors de cette assemblée, ces premiers “ semeurs ” se mettent au travail avec zèle. En 1992, il apparaît que cette partie du champ est mûre pour la récolte et que ‘ la moisson sera grande ’. (Mat. 9:37.) En 1997, la première congrégation en langue des signes est formée, en même temps que de très nombreux groupes éparpillés dans tout le pays. En 2002, une circonscription — la plus vaste qui existe au monde — est constituée. En 2006, la proportion de proclamateurs par rapport à la population sourde atteindra 1 pour 300, alors qu’elle sera, chez les entendants, de 1 pour 1 000.

Une traduction de bonne qualité des publications est nécessaire. En 1997, la traduction en langue des signes commence au Béthel de Russie. Ievdokia, l’une des sœurs sourdes de l’équipe de traduction, explique : “ Pour moi, servir au Béthel et traduire les publications en langue des signes est un grand privilège. Dans le monde, on ne fait pas confiance aux sourds, qu’on juge inférieurs aux autres. Mais il en va tout autrement dans l’organisation de Dieu. Premièrement, Jéhovah lui-​même nous confie, à nous, les sourds, la mission de communiquer la vérité dans notre langue. Deuxièmement, nous nous sentons en confiance au sein du peuple de Jéhovah, et nous sommes sincèrement heureux de faire partie de cette grande famille. ”

LA BONNE NOUVELLE EN TOUTES LANGUES

Bien que le russe soit la principale langue commerciale et culturelle en Union soviétique, environ 150 autres langues y sont parlées. En 1991, après l’éclatement de l’URSS en 15 pays, nombre de locuteurs de ces langues — particulièrement ceux qui vivent dans les nouveaux États indépendants — manifestent leur intérêt pour la vérité. Conformément à Révélation 14:6, on s’efforce dès lors de toucher les personnes de “ toute nation, et tribu, et langue, et peuple ” à l’intérieur de ce vaste territoire. La Tour de Garde est produite en 14 langues supplémentaires pour fournir la nourriture spirituelle à des dizaines de milliers de nouveaux disciples. Sous la supervision du Béthel de Russie, des publications sont traduites en plus de 40 langues pour faciliter la propagation de la bonne nouvelle. La vérité biblique pénètre ainsi plus rapidement et plus profondément que jamais dans les cœurs.

La plupart de ces langues sont parlées dans la Fédération de Russie. Par exemple, vous entendrez parler l’ossète dans les rues de Beslan et de Vladikavkaz ; le bouriate, apparenté au mongol, aux alentours du lac Baïkal ; le iakoute, une langue turque, par les gardiens de rennes et d’autres habitants de l’extrémité orientale du pays ; et une trentaine d’autres langues dans le Caucase. Après le russe, le tatar est la langue la plus parlée, avec plus de cinq millions de locuteurs, principalement localisés au Tatarstan.

Si, parmi ceux qui parlent cette langue, quelques-uns acceptent des publications en russe, la plupart préfèrent lire le tatar. Ainsi, après avoir reçu un tract lors de la distribution des Nouvelles du Royaume n35, une femme vivant à la campagne écrit au Béthel pour demander la brochure Attend en tatar. À la sœur qui lui expédie cette brochure accompagnée d’une lettre, elle répond par un courrier enthousiaste de huit pages. Bien vite, l’étude sera commencée, sur la base de publications en tatar. De son côté, un homme qui a reçu la brochure Dieu se soucie-​t-​il dans cette langue dira qu’elle lui a permis de voir la situation du monde d’un œil différent. Rien de cela ne serait arrivé sans les publications en tatar.

Une femme reçoit pour sa part les Nouvelles du Royaume n35 en mari, sa langue maternelle. Elle souhaiterait en savoir davantage, mais il n’y a aucun Témoin dans la région rurale où elle vit. Cependant, lors d’un séjour en ville, elle rencontre un Témoin qui lui remet le livre Connaissance ainsi que d’autres publications en russe. Après les avoir étudiés seule, elle se met à prêcher et, rapidement, elle conduit une étude collective. C’est alors qu’elle entend parler d’une assemblée spéciale d’un jour qui doit se tenir à Ijevsk. Elle s’y rend, dans l’espoir d’être baptisée. Sur place, elle comprendra néanmoins que le baptême exige au préalable une étude approfondie de la Bible, et les frères prendront des dispositions pour lui apporter une aide spirituelle. Là encore, rien de cela ne serait arrivé si cette femme n’avait pas lu un écrit dans sa langue maternelle.

À Vladikavkaz, il n’existe qu’une seule congrégation d’expression ossète. Et, pendant longtemps, aucun discours n’a été interprété dans cette langue lors des assemblées de circonscription et de district. Lorsque, en 2002, ils le sont pour la première fois, les frères sont enchantés. Même les Ossètes qui parlent bien le russe reconnaissent que le message de la Bible exprimé dans leur langue leur va droit au cœur. La congrégation se met à prospérer spirituellement ; de nombreux Ossètes acceptent la vérité. En 2006, une circonscription sera formée en Ossétie et les premières assemblées de circonscription en ossète seront organisées.

Aktach, un village isolé de la république de l’Altaï, ne compte qu’un petit groupe de proclamateurs. Pourtant, ce sont environ 30 personnes qui sont réunies dans un appartement à l’occasion de la visite des surveillants itinérants. Alors que tout le monde a écouté le discours public, près de la moitié des assistants partent pendant le discours de service du surveillant de district. Lorsque, la réunion terminée, ce dernier interroge les frères et sœurs sur la cause de ces départs, une Altaïenne âgée lui répond dans un russe approximatif : “ Ce que vous faites, c’est important, mais je n’ai presque rien compris ! ” La fois suivante, les discours du surveillant de circonscription seront interprétés, et tous les assistants profiteront du programme jusqu’au bout !

À Voronej, il y a une large communauté d’étudiants étrangers. En 2000, un assistant ministériel qui parle le chinois organise des cours informels dans cette langue. Prenant conscience du besoin, de nombreux Témoins s’attèlent à la tâche et se mettent à prêcher aux étudiants chinois. Malgré la complexité de la langue, les frères ne renoncent pas. Et, en février 2004, la première étude de livre est formée. En avril de la même année, le premier étudiant de la Bible chinois se fait baptiser, suivi d’un second deux mois plus tard. Avec le temps, de nombreux sympathisants assisteront régulièrement à cette étude de livre et une quinzaine d’études bibliques seront dirigées. Alors que la bonne nouvelle atteint tous les recoins du vaste territoire russe, le Béthel sera sollicité pour fournir davantage de publications en davantage de langues — et il continuera de répondre à ces demandes.

UNE FORMATION POUR LES PIONNIERS

Voilà déjà plusieurs années que l’École des pionniers a lieu en Russie. Chaque classe est constituée de 20 à 30 élèves. Ils viennent généralement de la région où se tient l’école, mais cela n’a pas toujours été le cas. Concernant les premières classes, Roman Skiba se souvient : “ La classe qui m’a le plus marqué est celle qui s’est tenue en 1996 à Iekaterinbourg. Plus de 40 frères et sœurs en faisaient partie. Pour être là, nombre d’entre eux avaient dû parcourir des centaines de kilomètres, certains même près de 1 000. ”

Svetlana est pionnière permanente. Depuis 1997, elle effectue son service auprès des sourds, en langue des signes. Comme elle l’explique, les cours des pionniers dans cette langue, qu’elle a suivis en janvier 2000, l’ont aidée à améliorer la qualité de son ministère et à comprendre tout ce qu’implique être chrétien, tant dans la famille que dans la congrégation. Elle rapporte : “ À partir de là, j’ai développé un amour plus fort pour les autres. J’ai aussi pris conscience de la valeur de la coopération avec les frères et sœurs. Aujourd’hui, j’accepte volontiers les conseils. J’ai d’autre part commencé à utiliser des illustrations dans mon enseignement, et la qualité des études bibliques que je conduis s’en est nettement ressentie. ”

Alyona enseigne également la vérité aux sourds. Pionnière à Khabarovsk, une ville de l’extrémité orientale du pays, elle souhaitait assister à l’École des pionniers en langue des signes pour gagner en efficacité. À quel genre de difficultés a-​t-​elle été confrontée ? Elle raconte : “ L’école la plus proche se tenait à Moscou, c’est-à-dire à 9 000 kilomètres de chez moi. Pour y assister, j’ai fait un voyage de huit jours en train, et puis la même chose pour le retour. ” Mais Alyona ne regrette pas tous ces efforts !

L’École pour les pionniers ne concerne pas que la langue des signes. De 1996 à 2006, des centaines d’autres cours seront donnés en Russie. Cette formation contribuera directement au développement des congrégations et de l’activité de prédication. Marcin, un surveillant de circonscription, raconte : “ En 1995, j’ai été nommé pionnier spécial dans la congrégation de Kountsevo, à Moscou. Lorsque je me suis rendu à la réunion, pour le discours public et l’étude de La Tour de Garde, j’ai eu l’impression d’être à une assemblée ! Il y avait là environ 400 assistants, pour 300 proclamateurs. Moins de dix ans plus tard, cette congrégation avait donné le jour à dix nouvelles congrégations !

“ En 1996 et 1997, j’ai été témoin d’un incroyable accroissement dans la circonscription que je desservais. Par exemple, à six mois d’intervalle, entre deux visites, la congrégation de Voljski, dans le district de Volgograd, accueillait 75 nouveaux proclamateurs — une congrégation dans la congrégation ! Il est difficile de décrire l’état d’esprit de ces nouveaux proclamateurs pleins de zèle. Il était fréquent que les réunions pour la prédication, qui avaient lieu dans un appartement, réunissent 80 personnes. Faute de place, beaucoup restaient debout sur le palier et dans la cage d’escalier. ”

DES JEUNES GLORIFIENT JÉHOVAH

En dépit de l’opposition de leurs parents, nombre de jeunes s’intéressent au message du Royaume. Une sœur d’une vingtaine d’années explique : “ J’avais neuf ans quand les Témoins de Jéhovah ont prêché à mes parents, en 1995. Mes parents n’ont pas accepté la vérité, mais moi j’avais envie d’en savoir plus sur Dieu. Heureusement, une camarade de classe avec laquelle j’étais amie s’est mise à étudier la Bible et je me suis jointe à son étude. Quand mes parents l’ont appris, ils m’ont interdit tout contact avec les Témoins. Ils m’enfermaient parfois à la maison, toute seule, pour m’empêcher d’assister à l’étude. Cette situation a duré jusqu’à ma majorité. Puis j’ai quitté la maison pour poursuivre mes études dans une autre ville. Là, j’ai retrouvé les Témoins. J’étais si heureuse de pouvoir reprendre une étude biblique ! J’aimais tellement Jéhovah ! Je me suis fait baptiser en 2005, lors de l’assemblée de district. J’ai aussitôt entrepris le service de pionnier auxiliaire. Aujourd’hui, mes parents voient d’un bon œil ce qui me tient à cœur depuis que je suis petite. ”

Une autre sœur se rappelle : “ En 1997, les Témoins m’ont offert un Réveillez-vous ! J’avais 15 ans. Le périodique — son nom comme son contenu — me plaisait beaucoup et j’avais envie de le recevoir régulièrement. Mais lorsque mon père a su ce que je lisais, il a interdit aux Témoins de venir chez nous. Par la suite, ma cousine a commencé à étudier avec eux et, début 2002, je me suis mise à l’accompagner aux réunions. C’est là que j’ai appris qu’il y avait des missionnaires Témoins de Jéhovah. Le désir ardent d’aider les autres à connaître Dieu a alors grandi en moi. Ma cousine m’a expliqué qu’il me fallait d’abord arrêter de fumer, conformer ma vie à la volonté de Dieu et devenir un de ses serviteurs. J’ai suivi ses conseils. Six mois après, je me faisais baptiser. J’entreprenais le service de pionnier auxiliaire dans la foulée. Je suis heureuse que ma vie ait enfin un but. ”

À LA RECHERCHE DE “ CHOSES DÉSIRABLES ” DANS LA RÉPUBLIQUE DE SAKHA

Le district d’Amour et la république de Sakha dans son entier constituent une circonscription. Au cours de l’année de service 2005, Iakoutsk, la capitale de la république de Sakha, accueille pour la première fois une assemblée de circonscription et une assemblée spéciale d’un jour. Qu’il est agréable de voir des autochtones présents à ces assemblées !

Pour des raisons pratiques, cette circonscription est divisée en cinq zones, chacune d’elles ayant sa propre assemblée. Pour les surveillants itinérants, la distance qui sépare un lieu d’assemblée d’un autre représente un voyage de 24 heures de train, de 15 heures de voiture et de 3 heures d’avion.

L’hiver dans ces territoires est très froid. La température est parfois inférieure à − 50 °C. Pourtant, les proclamateurs prêchent, non seulement dans les immeubles, mais également de maison en maison.

Début 2005, deux groupes de proclamateurs sont formés, dont l’un à Khaïyr, un village situé à 80 kilomètres des côtes de la mer des Laptev, au nord du cercle arctique. La population du village est de 500 habitants, dont 4 Témoins. En 2004, le Mémorial y a déjà réuni 76 assistants. Pour venir jusque-​là, le surveillant de circonscription doit d’abord franchir 900 kilomètres en avion, puis 450 en voiture sur des routes couvertes de neige.

Le deuxième groupe est établi dans un village isolé : Oust-Nera, qui se trouve à 100 kilomètres d’Oïmiakon. Dans la région, il arrive que les températures descendent jusqu’à − 60 °C. Pour assister à l’assemblée de circonscription, des proclamateurs de ce groupe, répartis dans deux voitures, parcourront environ 2 000 kilomètres à l’aller (et autant au retour), traversant des terres inhabitées, par une température de − 50 °C.

Un surveillant de circonscription rapporte un fait intéressant, survenu à une altitude de 4 000 mètres : “ Pendant la campagne de diffusion de la brochure Veillez ! plusieurs assemblées étaient organisées dans notre circonscription. Avec le surveillant de district, nous avions pris l’avion pour nous rendre d’une assemblée à une autre. Malheureusement, notre stock de brochures était épuisé. Nous avons donc offert la brochure Ce que Dieu attend de nous à l’hôtesse de l’air. Mais elle nous a dit qu’elle avait déjà une de nos publications et, à notre grande surprise, elle nous a montré un exemplaire de la brochure Veillez ! Quelle joie de constater que nos frères n’avaient pas perdu de temps ! Alors que nous discutions avec elle, le copilote qui passait par là s’est joint à la conversation, qui a duré pendant presque toute la durée du vol. Appréciant ce qu’il avait entendu, il a pris plusieurs périodiques dans le but de les partager avec ses collègues. ”

LA BONNE NOUVELLE À SAKHALINE

C’est vers la fin des années 70 que les Témoins arrivent dans l’île de Sakhaline, au nord d’Hokkaido, l’île la plus septentrionale du Japon. Des frères de Vladivostok qui sont chargés de l’activité dans cette région encouragent alors Sergueï Saguine à étendre son ministère en s’installant à Sakhaline. Ayant trouvé un travail dans le port, Sergueï entame des conversations bibliques avec les autres employés et dirige bientôt plusieurs études. Bien que, plus tard, il doive quitter l’île, les graines de vérité semées produiront finalement du fruit.

En 1989 et 1990, lors des assemblées tenues en Pologne, les Témoins russes sont encouragés à élargir leur ministère ; nombre d’entre eux emménagent donc dans des régions où le besoin en proclamateurs se fait sentir. Ainsi, en 1990, Sergueï et Galina Averine quittent Khabarovsk, dans l’extrémité orientale du pays, pour Korsakov, sur l’île de Sakhaline. Quelques mois après, deux pionniers et plusieurs proclamateurs rejoignent Ioujno-Sakhalinsk et son seul Témoin.

L’un de ces deux pionniers est Pavel Sivoulski (qui porte le même prénom que son père, mentionné précédemment). Devenu par la suite Béthélite, il racontera : “ Avec un autre frère, ne trouvant pas de logement à notre arrivée à Ioujno-Sakhalinsk, nous avons dormi à l’hôtel. Puis nous avons commencé à prêcher de porte en porte à proximité, tout en nous renseignant sur une éventuelle location. À ceux qui nous demandaient notre adresse pour poursuivre la discussion, nous étions obligés d’expliquer que nous vivions à l’hôtel, mais que nous les inviterions chez nous dès que nous aurions un endroit où loger. Nos prières ferventes en vue de trouver un toit et un travail ont été entendues par Jéhovah. Bientôt, nous avions l’un et l’autre. Une femme nous a en effet proposé son appartement. Elle ne nous faisait pas payer de loyer. Mieux, elle nous préparait à manger, ce qui nous permettait de passer plus de temps dans le ministère. Jéhovah nous montrait qu’il était à nos côtés. En peu de temps, nous conduisions de nombreuses études bibliques, et des études de livre étaient organisées. Deux mois se sont écoulés, puis nous avons trouvé une maison à louer et nous y avons tenu les réunions. ”

La congrégation grossit. Parmi les nouveaux proclamateurs, beaucoup entreprennent le service de pionnier et manifestent un bel esprit en se rendant dans d’autres parties de l’île pour y faire connaître la vérité. Jéhovah bénira abondamment le zèle de cette congrégation en plein accroissement. Trois ans plus tard, en 1993, huit nouvelles congrégations seront nées de la première !

Au fil du temps, confrontés à des problèmes économiques ou désireux d’étendre leur ministère, de nombreux proclamateurs quitteront l’île. Comme précédemment, leurs efforts produiront du fruit. Quant à Ioujno-Sakhalinsk, elle possédera une belle Salle du Royaume, en plein centre-ville. Avec ses neuf congrégations et ses quatre groupes, l’île finira par former à elle seule une circonscription.

LA PORTE S’OUVRE MALGRÉ LES ADVERSAIRES

Au Ier siècle, l’apôtre Paul a déclaré : “ Une grande porte qui donne accès à l’activité m’a été ouverte, mais il y a beaucoup d’adversaires. ” (1 Cor. 16:9). Deux mille ans ont passé et le nombre d’adversaires n’a pas diminué. De 1995 à 1998, des poursuites pénales seront engagées à quatre reprises contre les Témoins de Jéhovah par le bureau du procureur de Moscou. On accusera les Témoins d’incitation à l’intolérance religieuse, de destruction des familles, d’activités antipatriotiques et d’atteintes aux droits des citoyens. Ces accusations infondées ne pouvant être prouvées au pénal, en 1998 elles serviront de base à une action civile.

Après environ un an, le ministère de la Justice procédera au réenregistrement du Centre administratif des Témoins de Jéhovah en Russie, reconnaissant que les Témoins n’incitent en rien la population à la haine religieuse, qu’ils ne détruisent pas les familles et ne portent pas atteinte aux droits de l’homme ; et qu’il en va de même de leurs publications. Pourtant, le bureau du procureur réitérera ses accusations !

Pour certains professeurs d’études religieuses, le fondement des croyances des Témoins est strictement biblique. Ainsi, Nikolaï Gordienko, de l’université pédagogique d’État Herzen de Saint-Pétersbourg, déclare : “ Lorsque les experts condamnent les Témoins de Jéhovah pour leurs enseignements, ils ne se rendent pas compte que c’est en réalité la Bible qu’ils condamnent. ”

Malgré tout, la cour de Moscou invalidera le statut légal de la communauté des Témoins de Jéhovah de Moscou. Cela n’empêchera pourtant pas nos frères de suivre le commandement biblique de communiquer la bonne nouvelle à autrui. Considérant que les Moscovites ont le droit de faire leur propre choix en matière de croyances religieuses, et que la restriction de ce droit serait une atteinte à leurs libertés, les frères continueront d’obéir au commandement de Jésus Christ de prêcher et de faire des disciples (Mat. 28:19, 20). La décision de la Cour européenne des droits de l’homme, chargée de réexaminer le jugement de la cour de Moscou, est attendue.

En septembre 1998, alors que débute le procès en vue d’obtenir la dissolution de la communauté des Témoins de Jéhovah de Moscou, on recense 43 congrégations dans la ville. Huit ans plus tard, ce nombre sera passé à 93 ! Jéhovah a fait cette promesse à son peuple : “ Toute arme qui sera formée contre toi n’aura pas de succès. ” (Is. 54:17). En 2007, dans la capitale, le stade olympique Loujniki accueillera 29 040 personnes, dont 655 nouveaux baptisés, lors de l’assemblée de district.

LE NOM DE DIEU EST GRAND EN RUSSIE

En Malaki 1:11, Jéhovah Dieu a déclaré : “ Du lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom sera grand parmi les nations. ” Dans ce vaste pays où chaque lever de soleil offre une nouvelle occasion de trouver des personnes comparables à des brebis, ce sont plus de 7 000 d’entre elles qui ont été baptisées au cours de la dernière année de service. C’est la preuve incontestable que Jésus Christ, le “ Tsar des tsars ”, comme le nomme la Bible russe, est aux côtés de ses sujets alors qu’ils poursuivent l’œuvre d’évangélisation. — Mat. 24:14 ; Rév. 19:16.

“ Le jour de Jéhovah viendra comme un voleur ”, a annoncé l’apôtre Pierre (2 Pierre 3:10). Le peuple de Jéhovah en Russie est donc déterminé à employer le temps qui reste pour rechercher tous ceux qui sont favorablement disposés parmi les gens de toute nation, tribu, langue et peuple.

[Notes]

^ § 30 Œuvres complètes, trad. R. Garaudy (dir.), Paris, Éditions Sociales, tome 6, 1966, p. 419, 420.

^ § 353 Voir l’article de Réveillez-vous ! du 22 juin 1999, “ Les Altaïens : un peuple que nous aimons ”.

[Entrefilet, page 110]

“ Si nous avions trouvé la moindre chose, ne serait-​ce qu’une goutte de sang versé, nous vous aurions tous fusillés. ”

[Entrefilet, page 128]

“ Si nous vous laissons faire, les citoyens soviétiques vont vous suivre en masse. Voilà pourquoi nous vous considérons comme une grave menace pour l’État. ”

[Entrefilet, page 219]

“ Les gens de chez vous sont comme des oiseaux : ils s’élancent sur les cartons de publications et les emportent aussitôt. ”

[Encadré/Illustration, page 69]

Portrait de la Sibérie

Lorsque l’on vous dit “ Sibérie ”, quelle image vous vient à l’esprit ? Celle d’une nature sauvage et rude ? D’hivers au froid mordant ? D’une terre glaciale, un lieu d’exil pour ceux qui s’étaient attiré les foudres du pouvoir soviétique ? Si c’est ce que vous imaginez, vous avez raison. Mais ce n’est qu’une partie du tableau.

La Sibérie est une région immense. Avec plus de treize millions de kilomètres carrés, elle est plus vaste que le deuxième plus grand pays du monde, le Canada. Elle s’étend de l’Oural jusqu’au Pacifique, à l’est, et de la Mongolie et de la Chine jusqu’à l’Arctique, au nord. C’est une terre riche en ressources naturelles : bois, pétrole et gaz. On y trouve des chaînes de montagnes, des plaines, des marécages, des lacs et de longs fleuves.

Pendant un siècle et demi, “ Sibérie ” a été synonyme d’emprisonnements, de travaux forcés et d’exil. Au cours des années 30 et 40, Staline y a fait interner dans des camps de travail des millions de personnes. En 1949 et en 1951, 9 000 Témoins de Jéhovah de Moldavie, des républiques baltes et d’Ukraine y ont été déportés.

[Encadré/Illustrations, pages 72, 73]

Données générales

Géographie

La Russie, le plus grand pays du monde, s’étend sur 7 700 kilomètres d’est en ouest, le long du cercle arctique, et sur 3 000 kilomètres du nord au sud. Sa superficie totale est de 17 075 400 kilomètres carrés. Pas moins de 11 fuseaux horaires la quadrillent, et elle couvre presque la moitié de l’hémisphère Nord. C’est en Russie que l’on trouve le fleuve le plus long d’Europe ainsi que le lac le plus profond du monde.

Population

Composée à 80 % de Russes, elle compte aussi des représentants de 70 autres groupes ethniques — quelques milliers dans certains cas, plus de un million dans d’autres.

Langues

Le russe, la langue officielle, est parlé par presque tous les habitants. Mais il existe plus de 100 autres langues, dont certaines constituent la langue maternelle de près de un million de personnes.

Économie

La Russie est l’un des premiers producteurs mondiaux de pétrole et de gaz naturel. Parmi ses autres principaux secteurs d’activité économique figurent l’exploitation forestière et minière, ainsi que diverses industries.

Alimentation

Des plats nutritifs à base de viande, de poisson, de chou ou de fromage blanc sont servis avec du pain de seigle, des pommes de terre et du gruau de sarrasin. La cuisine russe, riche en graisses et en hydrates de carbone, fournit l’énergie nécessaire pour endurer les hivers longs et rigoureux. Au menu d’un repas typique figurent des pelmeni (boulettes de viande) dans une soupe ou couverts de crème fraîche, ou des pirojki (petits pâtés) farcis de chou, de viande, de fromage ou de pommes de terre. Citons deux plats populaires : le bortsch, une soupe aux betteraves, et le chtchi, une soupe aux choux.

Climat

Les étés sont chauds ; les hivers, sombres et froids. La brièveté du printemps et de l’automne font de l’été et de l’hiver les saisons principales.

(Cartes de Russie pages 116 et 167.)

[Illustrations]

Le Kremlin.

Mont Elbrous, Kabardino-Balkarie.

Ours brun, péninsule de Kamtchatka.

[Encadré, pages 92, 93]

Une lutte pour soumettre les esprits et les cœurs

Le gouvernement ne cherche pas à exterminer les Témoins. Il a pour objectif de les convertir — par la persuasion ou par la force — à l’idéologie soviétique. Il se sert pour ce faire des services de renseignements et de sécurité intérieure du pays, le KGB. Voici quelques-unes de ses méthodes :

Perquisitions : Effectuées chez les Témoins, même en pleine nuit, leur fréquence est telle que certaines familles sont contraintes de déménager.

Surveillance : Elle passe par les écoutes téléphoniques, l’interception du courrier ou la pose de micros dans les maisons des frères.

Réunions interrompues, amendes : Les autorités ratissent le pays pour localiser les endroits où les frères tiennent leurs réunions. Tous les assistants doivent payer une amende, équivalant souvent à la moitié du salaire mensuel moyen, voire davantage.

Corruption et chantage : Le KGB promet des appartements dans le centre de Moscou ou des voitures à certains Témoins, en échange de leur coopération. Ces promesses s’accompagnent fréquemment de la menace d’une condamnation à des années de camp de travail en cas de refus.

Propagande : Les films, la télévision et les journaux présentent les Témoins comme un danger pour la société. Dans les prisons et les camps de travail, des conférences sont données : on y accuse les Témoins de se retrancher derrière la Bible pour faire du prosélytisme politique. Cette propagande engendre la discrimination. Des enseignants octroient de moins bonnes notes aux élèves Témoins ; des employeurs refusent aux frères des vacances ou d’autres avantages qui leur sont dus.

Infiltration : Des agents du KGB qui simulent de l’intérêt pour le message du Royaume étudient et se font baptiser. Certains parviennent même à obtenir des responsabilités dans l’organisation. Leur objectif est de mettre un terme à la prédication en faisant naître la suspicion et des divisions parmi les frères.

Déportation : Des Témoins sont envoyés dans des régions éloignées. Douze heures quotidiennes d’un travail physique éreintant leur permettent tout juste de survivre. L’hiver, ils doivent affronter le froid glacial ; l’été, les moustiques et les taons.

Confiscation et séparation : Terres, maisons et biens sont confisqués. Il arrive que des enfants soient enlevés à leurs parents.

Humiliations et sévices : De nombreux Témoins, y compris des femmes, sont insultés et ridiculisés. Certains sont cruellement battus.

Emprisonnement : Le but recherché est de forcer les Témoins à renier leur foi et de les isoler les uns des autres.

Camps de travail : Ils laissent les Témoins à bout de forces. On leur demande régulièrement de déterrer d’énormes souches d’arbres. Ou bien on les fait travailler dans des mines de charbon, à la construction de routes ou de lignes de chemin de fer. Ils vivent dans des baraquements, séparés de leurs familles.

[Encadré/Illustration, pages 96, 97]

Condamné à mort deux fois

PIOTR KRIVOKOULSKI

NAISSANCE 1922

BAPTÊME 1956

PARCOURS Autrefois séminariste, il a passé 22 ans en prison ou au goulag après avoir connu la vérité. Il est décédé en 1998.

EN 1940, des Témoins polonais sont venus prêcher où j’habitais, en Ukraine. J’ai reçu la visite de Korneï, un frère oint. Après avoir discuté avec lui toute la nuit, j’étais convaincu d’avoir découvert la vérité sur Dieu.

En 1942, avec l’avancée des forces allemandes, l’Armée rouge s’est retirée de la région où j’habitais. C’était l’anarchie. Des nationalistes ukrainiens voulaient m’obliger à me joindre à leur lutte contre les Allemands et les Soviétiques. Devant mon refus, ils m’ont frappé jusqu’à ce que je perde connaissance, puis m’ont jeté dans la rue. La même nuit, ils sont venus me chercher pour me conduire sur le lieu des exécutions collectives. Là, ils m’ont de nouveau demandé si j’acceptais de servir le peuple ukrainien. “ Je ne servirai que Jéhovah Dieu ! ” leur ai-​je répondu avec fermeté, d’une voix forte. J’ai été condamné à mort. Quand l’ordre de tirer a été donné, un soldat a empoigné le fusil du tireur et a crié : “ Ne tire pas ! Il peut encore être utile. ” Fou de rage, un autre s’est alors mis à me frapper. Il m’a promis d’être celui qui appuierait sur la gâchette la semaine suivante. Mais, quelques jours plus tard, c’est lui qui a été tué.

En mars 1944, l’armée soviétique était de retour dans la région et les soldats ont embarqué tous les hommes, moi y compris. Cette fois, c’était l’armée soviétique qui avait besoin de combattants. Sur le lieu du rassemblement, j’ai retrouvé Korneï, le frère qui m’avait fait connaître la vérité, mais également soixante-dix autres frères. Après nous être mis un peu en retrait, nous nous sommes encouragés les uns les autres. Lorsqu’un officier s’est approché et nous a demandé pourquoi nous nous étions détachés du groupe, Korneï lui a expliqué qu’étant chrétiens nous ne pouvions pas prendre les armes. Immédiatement, il a été emmené ; on nous a dit qu’il allait être exécuté. Nous ne l’avons jamais revu. Les soldats nous ont menacés de nous faire tous subir le même sort. Un à un, nous avons dû dire si nous acceptions de nous engager dans l’armée. Lorsque j’ai refusé, trois soldats et un officier m’ont conduit dans la forêt. Le commandant a lu la sentence du tribunal militaire : “ Pour refus de porter l’uniforme et de prendre les armes : condamné à être fusillé. ” J’ai prié Jéhovah du fond du cœur. Comme je n’avais pas eu l’occasion de me faire baptiser, je me demandais s’il avait agréé mon service. Soudain, j’ai entendu : “ Feu à volonté ! ” Mais les soldats ont tiré en l’air. L’officier s’est alors mis à me frapper. J’ai écopé de dix ans de réclusion et je me suis retrouvé au goulag, dans le district de Gorki, au cœur de la Russie.

J’ai été libéré en 1956. Plus tard, j’ai épousé Réguina, une sœur fidèle. Nous étions mariés depuis six mois quand, sans avertissement préalable, j’ai été arrêté et condamné à dix ans de prison.

Lorsque, finalement, j’ai été libéré, un fonctionnaire m’a dit : “ Il n’y a pas de place pour toi sur le sol soviétique. ” Il se trompait. Qu’il est merveilleux de savoir que le sol appartient à Jéhovah et que c’est lui qui détermine qui y vivra pour l’éternité ! — Ps. 37:18.

[Encadré/Illustration, pages 104, 105]

“ Jeunes filles, y a-​t-​il parmi vous des Témoins de Jéhovah ? ”

IEVGUENIA RYBAK

NAISSANCE 1928

BAPTÊME 1946

PARCOURS Née en Ukraine, elle a été emmenée de force en Allemagne, où elle a connu la vérité. Elle sert toujours fidèlement Jéhovah en Russie.

UN DIMANCHE, j’ai entendu un chant mélodieux par la fenêtre. Il était entonné par les Témoins de Jéhovah. Bientôt, j’assistais à leurs réunions. Je n’arrivais pas à comprendre comment des Allemands pouvaient persécuter d’autres Allemands du fait de leur foi. Mes amis ukrainiens — qui avaient été expatriés en même temps que moi — me sont devenus hostiles parce que je fréquentais des Allemands. Parmi eux, une fille s’est un jour mise à me crier après, puis elle m’a frappée au visage. Mes anciennes camarades riaient.

Après avoir été libérée, en 1945, je suis retournée en Ukraine. Mon grand-père m’a lancé : “ Ta mère a perdu la tête. Elle a jeté ses icônes et elle s’est trouvé un autre dieu. ” Une fois seule avec moi, maman a saisi une bible et m’en a lu un passage qui disait que Dieu hait l’idolâtrie. Elle m’a annoncé qu’elle assistait aux réunions des Témoins de Jéhovah. Me jetant à son cou, des larmes plein les yeux, je lui ai dit calmement : “ Maman chérie, moi aussi je suis Témoin de Jéhovah ! ” Nous avons pleuré de joie.

Maman était très zélée dans le ministère. Comme presque tous les frères étaient dans des camps, elle a été désignée comme serviteur de groupe. Son zèle a déteint sur moi.

Arrêtée en 1950 pour activités religieuses, j’ai été condamnée à dix ans de goulag. Nous étions cinq sœurs à être expédiées à Oussolie-Sibirskoïe, une ville de Sibérie. À partir d’avril 1951, nous avons travaillé à la construction d’une voie de chemin de fer. À deux, nous transportions de lourdes traverses sur nos épaules. Nous devions aussi déplacer et poser, de nos mains, des rails métalliques de 10 mètres, pesant plus de 300 kilos chacun. C’était épuisant. Un jour, alors que nous rentrions, éreintées, un train rempli de prisonniers s’est arrêté à notre hauteur. D’une fenêtre, un homme nous a demandé : “ Jeunes filles, y a-​t-​il parmi vous des Témoins de Jéhovah ? ” Notre fatigue s’est volatilisée. “ Nous sommes cinq sœurs ! ” avons-​nous crié. Tous ces prisonniers étaient nos chers frères et sœurs déportés d’Ukraine. Pendant l’arrêt du train, ils nous ont raconté avec animation en quelles circonstances ils avaient été envoyés en exil. Puis les enfants nous ont récité des poèmes que les frères avaient composés eux-​mêmes. Les soldats ne sont même pas intervenus, et nous avons pu passer un moment ensemble à nous encourager.

D’Oussolie-Sibirskoïe, nous avons été transférées dans un grand goulag, à proximité d’Angarsk. Il y avait là 22 sœurs. Elles avaient tout organisé, même la prédication par territoires. Nous avons ainsi pu survivre sur le plan spirituel.

[Encadré/Illustration, pages 108, 109]

Envoyé plusieurs fois au “ cinquième coin ”

NIKOLAÏ KALIBABA

NAISSANCE 1935

BAPTÊME 1957

PARCOURS En 1949, il a été déporté dans le district de Kourgan, en Sibérie.

IL NOUS semblait que chaque Témoin d’Union soviétique était traqué. La vie n’était pas facile. Mais Jéhovah nous donnait la sagesse. En avril 1959, j’ai été arrêté pour activités religieuses. Comme je ne voulais pas trahir mes frères, j’ai décidé de tout nier. Désignant des frères sur des photos, l’inspecteur m’a demandé leurs noms. J’ai répondu que je ne reconnaissais personne. Puis il m’a montré une photo de mon frère cadet et m’a demandé : “ Est-​ce bien votre frère ? ” J’ai répondu : “ Je ne sais pas si c’est lui ou pas. Je ne peux rien affirmer. ” Me présentant une photo de moi, il m’a posé cette question : “ Est-​ce vous sur cette photo ? ”, ce à quoi j’ai répondu : “ Cette personne me ressemble, mais est-​ce moi ou pas, je ne peux rien affirmer. ”

Je suis resté enfermé dans une cellule pendant plus de deux mois. Tous les matins, au réveil, je remerciais Jéhovah pour sa bonté. Puis je me remémorais un verset de la Bible et j’en débattais avec moi-​même. Ensuite, je chantais un cantique, mais en silence (chanter en cellule étant interdit). Enfin, j’examinais un sujet biblique.

De nombreux Témoins étaient incarcérés dans le camp où j’ai été envoyé. Les conditions de détention étaient très pénibles. Nous n’étions même pas autorisés à parler. Les frères étaient très fréquemment mis au secret dans une cellule qu’ils appelaient le “ cinquième coin ”, où la ration quotidienne se limitait à 200 grammes de pain. J’y ai été consigné plusieurs fois. Je dormais sur une planche de bois recouverte d’une épaisse plaque métallique, en compagnie des nombreux moustiques qui pénétraient par la fenêtre aux vitres cassées. Mes bottes me servaient d’oreiller.

Chacun avait sa cachette pour les publications. La mienne, c’était le balai. Lors des fouilles, le surveillant, qui pourtant examinait tout par le menu, ne pensait pas à regarder dans le balai. Les murs aussi nous servaient de cachettes. J’ai appris à avoir confiance en l’organisation de Jéhovah. Jéhovah voit et sait tout ; il aide chacun de ses fidèles serviteurs. Il m’a toujours aidé.

Déjà avant l’exil de ma famille en 1949, mon père avait déclaré que Jéhovah pouvait arranger les choses pour que la vérité atteigne la lointaine Sibérie. Nous nous étions alors demandé comment cela pourrait bien être possible. En fin de compte, ce sont les autorités elles-​mêmes qui ont permis à des milliers de Sibériens sincères de découvrir la vérité.

En 1989, alors que le pays connaissait de profonds bouleversements, les frères ont saisi avec empressement l’occasion de se rendre en Pologne pour assister à l’assemblée internationale. Ces moments demeureront inoubliables. Après la prière finale, nous sommes restés debout et avons applaudi longtemps. Quels sentiments nous éprouvions ! Des années durant, malgré les épreuves, nous avions gardé les yeux secs. En revanche, en quittant nos chers frères, les larmes se sont mises à couler spontanément. Et personne n’a pu — ni même voulu — les arrêter.

[Encadré/Illustration, pages 112, 113]

Tout faire pour la bonne nouvelle

PIOTR PARTSEÏ

NAISSANCE 1926

BAPTÊME 1946

PARCOURS Après avoir rencontré les Témoins de Jéhovah en 1943, il a été successivement interné dans deux camps de concentration nazis et dans un camp de travail russe. Par la suite, il a été surveillant de circonscription sous l’interdiction.

AYANT découvert les enseignements fondamentaux de la Bible, j’ai immédiatement commencé à les transmettre à ceux que je connaissais et, comme moi, beaucoup ont embrassé le culte pur. Mais nous étions en Allemagne nazie. En 1943, un prêtre m’a dénoncé à la Gestapo. Arrêté et accusé de fomenter la sédition parmi les jeunes, j’ai échoué dans le camp d’extermination de Majdanek, en Pologne. Les contacts avec les frères et sœurs étaient particulièrement précieux. Dans le camp, nous étions plus déterminés que jamais à prêcher. De nombreux détenus étaient intéressés par la vérité et nous cherchions des moyens de leur donner le témoignage au sujet du Royaume de Jéhovah. Un jour, j’ai reçu 25 coups de fouet, d’un fouet à deux lanières. Après m’être redressé, j’ai dit d’une voix claire, en allemand : “ Danke schön ! ” (c’est-à-dire : “ Merci ! ”). Un Allemand s’est alors exclamé : “ Quel cran, ce gars ! On le frappe, et il dit merci ! ” Mon dos n’était plus qu’une masse noire et bleue.

Le travail était très dur et nous étions complètement épuisés. Les morts étaient brûlés dans le four crématoire, qui fonctionnait jour et nuit. J’étais convaincu que ce serait bientôt mon tour. Je pensais effectivement n’avoir aucune chance de sortir vivant de ce camp. C’est une blessure qui m’a sauvé. Tous ceux qui étaient à peu près valides étaient obligés de travailler, mais les autres étaient expédiés dans d’autres camps. Deux semaines plus tard, j’arrivais donc au camp de concentration de Ravensbrück.

Peu avant la fin de la guerre, des rumeurs annonçaient que les Allemands allaient tous nous fusiller. Puis nous avons appris que les gardes s’étaient enfuis. Quand les prisonniers ont réalisé qu’ils étaient libres, ils se sont tous dispersés. Pour ma part, je me suis retrouvé en Autriche... où on a voulu m’enrôler dans l’armée. J’ai immédiatement refusé, expliquant que j’avais été interné en camps de concentration du fait de mes convictions religieuses. On m’a laissé rentrer chez moi, en Ukraine (qui faisait alors partie de l’Union soviétique). En 1949, j’ai épousé Iekaterina, ma fidèle compagne pour la vie. Puis, en 1958, j’ai été arrêté et envoyé dans un goulag de Mordovie.

Une fois libéré, j’ai participé à l’impression des publications bibliques. Un jour de 1986, alors que nous avions travaillé toute la nuit et étalé 1 200 pages fraîchement imprimées partout où c’était possible (sur le sol, sur les lits, etc.), un agent du KGB s’est présenté. “ Juste pour parler ”, nous a-​t-​il dit. Iekaterina lui a demandé où il voulait qu’ait lieu cette discussion, sans penser qu’il pourrait vouloir entrer. Fort heureusement, il a choisi la cuisine, qui était à l’extérieur. S’il était entré, nous aurions été arrêtés.

Jusqu’à ce jour, nous nous sommes efforcés de vivre en conformité avec l’offrande de notre personne à Dieu et de tout faire pour la bonne nouvelle. Nous sommes reconnaissants à Jéhovah que nos 6 enfants, 23 petits-enfants et 2 arrière-petites-filles le servent fidèlement et marchent tous dans la vérité.

[Encadré, page 122]

Isolement cellulaire

L’isolement cellulaire, qui sanctionne notamment ceux qui refusent de se dessaisir d’ouvrages religieux, est une pratique courante du régime pénitentiaire soviétique. Après avoir remis au prisonnier une tenue usée en coton, on le confine dans une cellule.

Imaginez l’endroit. Sombre, humide et sale, la pièce est exiguë — environ 3 mètres carrés. Il y fait terriblement froid, surtout en hiver. Les murs en béton sont rugueux. L’un d’eux, épais d’un mètre, est percé d’une minuscule fenêtre, aux vitres cassées. L’éclairage provient d’une ampoule électrique. Elle est placée dans une niche, recouverte d’une plaque en fer perforée de petits trous. En dehors du sol en béton, la seule chose qui permette de s’asseoir est une étroite saillie du mur qui forme une sorte de banc. On ne peut pas y rester très longtemps. Rapidement fatigués, les muscles des jambes et du dos deviennent douloureux, et les aspérités du mur s’enfoncent dans la chair.

Le soir, les gardiens poussent dans la cellule une caisse en bois, renforcée de bandes métalliques, qui fait office de lit. Il est possible de s’allonger sur les planches couvertes de métal, mais le froid interdit de dormir. Il n’y a pas de couvertures. La ration habituelle du détenu en isolement cellulaire est de 300 grammes de pain par jour et d’une soupe claire tous les trois jours.

Les latrines, qui se résument à une canalisation dans le sol, dégagent une odeur pestilentielle. La puanteur des égouts se répand dans certaines cellules quand on met en marche les ventilateurs dont elles sont équipées. C’est d’ailleurs ce que font parfois les surveillants pour démoraliser les prisonniers ou les punir encore davantage.

[Encadré/Illustration, pages 124, 125]

Camp de Mordovie n1

Entre 1959 et 1966, plus de 450 frères sont envoyés dans ce camp, qui compte un maximum de 600 détenus. Il s’agit de l’un des 19 goulags de Mordovie. Son enceinte de barbelés électrifiée, haute de près de trois mètres, est elle-​même entourée de 13 autres clôtures de barbelés. Tout autour du camp, la terre est régulièrement retournée, pour que l’éventuel fuyard y laisse des traces.

Isolant complètement les Témoins du monde extérieur, les autorités veulent les mater, tant physiquement que psychologiquement. Les frères réussissent pourtant à mettre sur pied des activités théocratiques au sein même du camp.

Ainsi, une circonscription, dotée d’un surveillant, est constituée. Elle est composée de quatre congrégations regroupant 28 études de livre. Pour favoriser la bonne santé spirituelle de chacun, les frères décident de tenir sept réunions par semaine. Dans un premier temps, ne disposant que d’une seule bible, ils prévoient un programme pour qu’elle soit lue par les congrégations, à tour de rôle. Puis, à la première occasion, ils la recopient sur des carnets. Chaque carnet contient un livre de la Bible. L’original, lui, est soigneusement caché. De cette façon, tous les frères peuvent suivre le programme de lecture. L’étude de La Tour de Garde a également lieu. En rendant visite à leurs maris, des sœurs font entrer dans le camp de minuscules copies des périodiques. Elles les cachent dans leur bouche ou dans les talons de leurs chaussures. Elles tressent aussi de fines feuilles de papier dans leurs cheveux. De nombreux frères écopent de un à quinze jours d’isolement cellulaire pour avoir recopié des publications.

Les gardiens veillent à ce que les Témoins, ainsi tenus à l’écart des autres prisonniers, ne lisent rien pendant cette période de confinement. En dépit de cela, des frères échafaudent des plans pour leur faire parvenir de la nourriture spirituelle. Par exemple, l’un d’eux grimpe sur un toit qui surplombe la cour prévue pour la promenade des détenus confinés. De là, grâce à un long tube dans lequel il souffle, il expédie en direction du frère en contrebas des boulettes de papier d’un centimètre de diamètre sur lesquelles sont inscrits des versets bibliques. Ce dernier n’a plus qu’à se baisser et, faisant semblant de renouer ses lacets, à récupérer discrètement la nourriture spirituelle.

Le petit-déjeuner et le dîner des prisonniers sont constitués de gruau mélangé à un peu d’huile de coton ; le déjeuner, d’un bortsch dilué ou d’un bouillon, et d’un maigre plat. Le pain ressemble au feutre utilisé pour fabriquer les bottes ! Ivan Mikitkov se rappelle : “ Pendant les sept ans qu’a duré mon internement dans ce camp, nous avons souffert presque constamment de coliques aiguës. ”

Mais les frères resteront solides dans la foi. L’isolement ne parviendra pas à affecter l’équilibre spirituel de ces fidèles serviteurs de Dieu, qui continueront à manifester leur foi ainsi que leur amour pour Dieu et pour leur prochain. — Mat. 22:37-39.

[Encadré/Illustration, pages 131, 132]

Elle m’a demandé pourquoi je pleurais

POLINA GOUTCHMIDT

NAISSANCE 1922

BAPTÊME 1962

PARCOURS Elle s’est mariée avec Viktor Goutchmidt. Elle a découvert, en détention, la bonté des Témoins de Jéhovah.

BIEN que j’aie soutenu et servi loyalement l’idéal communiste, j’ai été arrêtée par les bolcheviks et envoyée dans un camp de travail, à Vorkouta, en mai 1944. Pendant trois ans, je suis restée dans l’ignorance des causes de mon arrestation. Croyant d’abord à une erreur, je m’attendais à être libérée. Au lieu de cela, j’ai été condamnée à dix ans de goulag pour avoir soi-disant tenu des propos antisoviétiques.

Comme j’avais des connaissances médicales, les premières années j’ai travaillé dans l’hôpital du camp. Puis, en 1949, j’ai été transférée à Inta, dans un camp réservé aux prisonniers politiques. Le traitement y était bien plus dur. Il y régnait une atmosphère d’animosité, d’agressivité, de débauche, de résignation et de désespoir tout à la fois. Des rumeurs d’exécution ou de condamnation à perpétuité de tous les prisonniers sont venues aggraver la situation déjà tendue. Sous l’effet du stress, certains ont perdu la raison. La délation étant monnaie courante, les prisonniers n’avaient que méfiance et haine les uns pour les autres. Les gens se renfermaient sur eux-​mêmes et chacun s’adaptait comme il pouvait. L’égoïsme et l’avidité étaient omniprésents.

Il y avait néanmoins un groupe d’une quarantaine de détenues qui se distinguait nettement des autres. Il était en grande partie constitué de jeunes femmes, et même de quelques petites filles, étonnamment jolies, propres, gentilles et amicales. Elles étaient toujours ensemble. J’ai appris qu’elles étaient croyantes, Témoins de Jéhovah. Les prisonniers les traitaient de différentes manières : certains étaient méchants et hostiles, d’autres admiraient leur comportement, particulièrement l’amour qu’elles se manifestaient. Si, par exemple, l’une d’elles tombait malade, les autres se relayaient à son chevet. C’était insolite dans un camp.

De telles manifestations de bonté, en dépit des nationalités si diverses qui composaient leur groupe, me frappaient. À cette époque, j’avais perdu le goût de vivre. Un jour que, particulièrement déprimée, je pleurais, l’une de ces jeunes s’est approchée et m’a demandé : “ Polina, pourquoi pleures-​tu ? ”

“ Je voudrais mourir ”, ai-​je répondu.

Lidia Nikoulina — c’était son nom — s’est alors mise à me consoler. Elle m’a expliqué quel était le but de la vie, comment Dieu allait régler tous les problèmes des humains, et une multitude d’autres choses encore. En juillet 1954, j’ai été libérée. Entre-temps, j’avais appris beaucoup de choses grâce aux Témoins de Jéhovah. Pour mon plus grand bonheur, je suis devenue l’une des leurs.

[Encadré/Illustration, pages 140, 141]

Du génie militaire à la prédication de la bonne nouvelle

VLADIMIR NIKOLAIEVSKI

NAISSANCE 1907

BAPTÊME 1955

PARCOURS Détenu dans différents camps et prisons, il a été transféré 256 fois. Il est décédé en 1999.

DIPLÔMÉ de l’École d’ingénierie et de communication de Moscou en 1932, j’ai travaillé jusqu’en 1941 comme ingénieur et architecte en chef pour un institut moscovite. Par exemple, j’ai mis au point des dispositifs destinés aux navires de guerre. Mais, pendant la guerre, j’ai été arrêté et finalement envoyé au goulag, à Kenguir, un village du centre du Kazakhstan.

J’étais intrigué par les Témoins de Jéhovah. Formant un groupe de 80 personnes, parmi 14 000 prisonniers répartis dans trois des quartiers du camp, ils étaient différents des autres. Le contraste s’est révélé vraiment flagrant durant la mutinerie de Kenguir en 1954. Les Témoins ne se sont joints ni à la rébellion ni même à ses préparatifs. Ils ont fait preuve d’un calme étonnant et se sont efforcés d’expliquer leur position aux autres détenus. J’étais tellement impressionné que je les ai interrogés sur leurs croyances. Peu après, je me vouais à Jéhovah. Dans le camp, la foi des Témoins était éprouvée, mais elle l’a été tout particulièrement quand les militaires et leurs tanks ont réprimé l’insurrection.

Un jour, on m’a annoncé que deux généraux s’étaient déplacés tout exprès de Moscou pour me rencontrer. L’un d’eux m’a lancé : “ Allons, Vladimir. Ça suffit ! Vous êtes ingénieur et architecte. Votre domaine, c’est le génie militaire. Le pays a besoin de vous. Nous voulons que vous repreniez votre place. Ne me dites pas que vous vous sentez bien, entouré de tous ces gens sans instruction ? ”

“ Il n’y a rien dont je puisse me vanter, ai-​je répondu. Toutes les aptitudes d’un homme lui viennent de Dieu. Et ceux qui obéissent à Dieu connaîtront le Règne millénaire de Christ, qui fera d’eux des humains parfaits — et instruits, dans le vrai sens du terme. ”

J’étais très heureux d’avoir pu parler de la vérité à ces deux généraux. Ils m’ont plusieurs fois supplié de reprendre mes anciennes activités. Mais je leur ai demandé de ne pas insister et de me laisser en compagnie de mes frères spirituels, que j’aimais tant.

En 1955, ma peine a été levée. J’ai trouvé un travail, sans lien avec l’armée, dans un cabinet d’architecte. Je me suis efforcé de semer d’abondantes graines de vérité. Et c’est ainsi que j’ai entamé une étude de la Bible avec un ingénieur et sa famille. Ils sont rapidement devenus des Témoins de Jéhovah et des proclamateurs zélés. Mais j’étais surveillé par des agents du KGB et, lors d’une perquisition dans mon appartement, ils ont trouvé des publications. Condamné à 25 ans de détention, j’ai été envoyé au goulag à Krasnoïarsk, en Sibérie. Puis j’ai été constamment transféré d’un camp ou d’une prison à l’autre. J’ai un jour calculé que j’avais été transféré, en tout, 256 fois !

[Encadré/Illustration, pages 147, 148]

On employait de grandes valises

NADEJDA IAROCH

NAISSANCE 1926

BAPTÊME 1957

PARCOURS Elle a connu la vérité dans le camp de concentration de Ravensbrück. De retour en Union soviétique, elle a participé des années durant à la livraison des publications. Aujourd’hui, elle vit dans le Caucase.

À MON arrivée à Ravensbrück, en 1943, j’avais perdu le goût de vivre. C’est ma rencontre avec les Témoins de Jéhovah qui a tout changé. Quel bonheur de revenir chez moi, en Ukraine, avec l’espérance solide de vivre éternellement dans un paradis terrestre ! Pour être nourrie sur le plan spirituel, j’ai commencé à correspondre avec des sœurs. Mais le KGB ayant intercepté mes lettres, j’ai bien vite écopé de 15 ans de réclusion.

En novembre 1947, j’ai donc été envoyée dans un camp, à Kolyma. J’y ai purgé toute ma peine sans jamais voir un Témoin. Jéhovah m’a aidée à prêcher, et Ievdokia, une détenue, s’est intéressée à la Bible. Nous sommes devenues amies et nous nous sommes soutenues l’une l’autre, tant spirituellement que moralement. Ma connaissance biblique, bien que très limitée, m’a permis de rester fidèle à Jéhovah.

Début 1957, un an après ma libération, j’ai emménagé à Souietikha, dans le district d’Irkoutsk. Les frères m’ont accueillie avec chaleur. Ils m’ont aidée à trouver un emploi et un logement. Mais mon plus grand bonheur tenait au fait qu’on m’associe aux activités théocratiques. Puisque je ne l’étais pas encore, j’ai d’abord été baptisée, dans un grand baquet rempli d’eau. Dès lors, j’étais en mesure d’assumer certaines responsabilités dans l’organisation de Jéhovah. On m’a notamment confié la distribution de publications et de courriers.

Je devais parcourir la Sibérie, le centre de la Russie et l’ouest de l’Ukraine. Il fallait tout planifier soigneusement. Pour la livraison dans l’ouest de l’Ukraine, on employait de grandes valises. Un jour, dans la gare de Iaroslavl, à Moscou, la serrure d’une des valises a cédé et toutes les publications sont tombées. Je suis restée calme et, sans précipitation, je les ai ramassées tout en priant. Je ne sais pas trop comment, mais j’ai réussi à tout entasser dans la valise. J’ai quitté la gare au plus vite. Heureusement, personne ne m’avait remarquée.

Une autre fois, j’emportais deux valises d’Ukraine en Sibérie, via Moscou. Dans le train, j’en avais glissé une sous la couchette inférieure du compartiment où j’étais. Et puis deux passagers sont venus s’y installer. C’étaient des agents du KGB. Ensemble, ils ont parlé des Témoins, qu’ils accusaient “ de diffuser des écrits et de faire une campagne antisoviétique ”. J’essayais de garder mon sang-froid et de ne pas éveiller les soupçons. Il faut dire qu’ils étaient quasiment assis sur les publications !

Quelle que soit la tâche — livraison des publications ou autre —, elle pouvait me valoir d’être arrêtée à tout instant. J’y étais préparée. Les occasions d’apprendre à mettre ma confiance en Jéhovah en toutes choses n’ont pas manqué.

[Encadré/Illustration, pages 158, 159]

“ Les gens de chez vous sont complètement différents ”

ZINAÏDA KOZYREVA

NAISSANCE 1919

BAPTÊME 1958

PARCOURS Elle a passé de nombreuses années dans différents camps. Elle est décédée en 2002.

J’AI toujours aspiré à servir Dieu, dès l’enfance. En 1942, une amie orthodoxe, sincèrement inquiète pour moi, m’a emmenée à l’église pour que je ‘ ne finisse pas en enfer ’, comme elle disait. Mais quand le prêtre a appris que j’étais Ossète, il a refusé de me baptiser. Il a cependant changé d’avis et a procédé à la cérémonie lorsque mon amie lui a versé de l’argent. Dans ma quête de vérité, j’ai fréquenté les adventistes, les pentecôtistes et les baptistes, ce qui m’a valu d’être envoyée au goulag. Là, j’ai rencontré les Témoins de Jéhovah, et j’ai rapidement compris que j’avais trouvé la vérité. Après ma libération, en 1952, je suis rentrée chez moi et j’ai commencé à prêcher.

Tôt un matin de décembre 1958, j’ai entendu des coups violents dans la porte. Des soldats ont fait irruption et ont commencé à perquisitionner chez nous pendant que deux d’entre eux me surveillaient. Mon père s’est réveillé ; il était très inquiet pour sa famille, particulièrement pour ses cinq fils — sur six enfants, j’étais effectivement la seule fille. Les soldats fouillaient partout, même au grenier. Il en a déduit que c’était ma religion qui était en cause. Il a alors attrapé une carabine et, tout en hurlant : “ Sale espionne américaine ! ” il a tenté de me tirer dessus. Les soldats lui ont arraché l’arme. Je n’arrivais pas à croire que mon père avait failli me tuer. La perquisition terminée, j’ai été emmenée dans un camion bâché. Au moins, j’étais en vie ! J’ai écopé de dix ans de prison pour activités religieuses.

J’ai été libérée en décembre 1965, avant d’avoir purgé toute ma peine. Mes parents étaient heureux de me voir, mais mon père n’a pas voulu me loger. À ma grande surprise, des agents du KGB l’ont contraint à me déclarer comme résidant chez lui ; ils m’ont même aidée à trouver un emploi. Mon père m’était toujours hostile, mais, un peu plus tard, après avoir rencontré les frères et sœurs qui venaient me voir, son attitude a commencé à évoluer. Oisifs, mes frères charnels buvaient et étaient violents. Un jour, mon père m’a dit : “ Je vois bien que les gens de chez vous sont complètement différents de ce que je pensais. J’ai décidé de te laisser une pièce rien que pour toi. Vous n’aurez qu’à y tenir vos réunions. ” C’était inimaginable ! Mais il m’a réservé une grande pièce et m’a dit : “ Ne t’inquiète pas. Quand vous vous réunirez, je monterai la garde et personne n’entrera. ” Et, comme tout le monde connaissait le caractère inflexible de mon père, c’est exactement ce qui s’est passé.

Nous nous sommes donc réunis sous mon propre toit, sous la protection de Jéhovah et de mon père. L’assistance atteignait parfois 30 personnes — le nombre de Témoins d’Ossétie à l’époque. Quel plaisir j’éprouvais quand, jetant un coup d’œil par la fenêtre, je voyais mes parents faisant le guet pour nous dans la rue ! Aujourd’hui, l’Ossétie compte environ 2 600 proclamateurs du Royaume qui se dépensent avec zèle. — Is. 60:22.

[Encadré/Illustration, pages 162, 163]

J’étais le seul Témoin du camp

KONSTANTIN SKRIPTCHOUK

NAISSANCE 1922

BAPTÊME 1956

PARCOURS Il a connu la vérité dans un camp de travail en 1953 ; c’est là qu’il a été baptisé en 1956. Il est resté enfermé 25 années consécutives en raison de sa foi. Il est décédé en 2003.

EN 1953, j’ai rencontré Vassili, un frère, en cellule. Il m’a dit qu’il était incarcéré parce qu’il croyait en Dieu. Je ne comprenais pas comment on pouvait échouer en prison à cause de ses croyances. Troublé par cette question, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Le lendemain, Vassili m’a donné des explications. Et, petit à petit, j’en suis venu à voir la Bible comme un livre d’origine divine.

En 1956, j’ai été baptisé. En fin d’année, lors d’une fouille, les surveillants ont découvert une grande quantité de publications. En 1958, à l’issue d’une enquête de presque un an, j’ai été condamné à 23 ans de réclusion pour activités religieuses. En comptant les cinq ans et demi que je venais de passer au goulag, je suis resté incarcéré 28 ans et 6 mois, sans goûter un instant de liberté.

En avril 1962, le tribunal m’ayant qualifié de “ criminel particulièrement dangereux ”, j’ai été transféré dans un camp de haute sécurité, où j’ai passé 11 ans. C’était un camp “ spécial ” sous bien des rapports. Par exemple, la ration quotidienne d’un détenu valait 11 kopecks, ce qui à l’époque était inférieur à la valeur d’une miche de pain. Je ne pesais plus que 59 kilos, pour 1 mètre 92. Ma peau se ratatinait et se détachait par plaques.

Comme j’étais un bon ouvrier en bâtiment, on m’envoyait souvent travailler au domicile des officiers. Je ne faisais pas peur. Et on ne cachait pas ses biens en prévision de ma visite. Apprenant que j’allais venir travailler chez elle, la femme d’un officier a même laissé son fils de six ans à la maison plutôt que de l’emmener au jardin d’enfants. C’était curieux : un “ dangereux criminel ” passait la journée seul dans un appartement avec un enfant de six ans ! Il était clair que personne ne me voyait comme un criminel, moins encore comme un criminel “ particulièrement dangereux ”.

Avec le temps, tous les frères qui étaient avec moi ont été libérés. Désormais, j’étais le seul Témoin du camp. Et je le suis resté pendant sept ans, de 1974 jusqu’à ma libération en août 1981. Mais Jéhovah a continué à me soutenir sur le plan spirituel. Comment ? Pendant ces sept années, un frère m’a régulièrement envoyé La Tour de Garde. Chacune de ses lettres contenait des articles d’une nouvelle édition, recopiés avec soin. Le censeur me la tendait, déjà ouverte. Nous savions tous deux ce qu’elle contenait. Aujourd’hui encore, j’ignore ce qui l’a motivé à prendre un tel risque. Mais je suis heureux qu’il ait travaillé dans ce camp pendant ces sept longues années. Par-dessus tout, je suis reconnaissant à Jéhovah. Toutes ces années m’ont appris à mettre ma confiance en lui, qui m’a toujours donné de la force. — 1 Pierre 5:7.

[Encadré/Illustration, pages 168, 169]

Après la guerre, il est rentré en Russie

ALEKSEÏ NEPOTCHATOV

NAISSANCE 1921

BAPTÊME 1956

PARCOURS Il a découvert la vérité dans le camp de concentration de Buchenwald, en 1943, et a été incarcéré pendant 19 ans en Russie. Il a été pionnier permanent pendant plus de 30 ans, et la plupart du temps sous l’interdiction.

ALEKSEÏ avait 20 ans quand il a été envoyé dans le camp de concentration d’Auschwitz, sous l’Allemagne nazie. Plus tard, il a été transféré à Buchenwald, où il a découvert la vérité. Peu avant sa libération, deux frères oints lui ont dit : “ Alekseï, tu devrais retourner en Russie après la guerre. C’est un pays immense qui a grand besoin de moissonneurs. Prépare-​toi à rencontrer toutes sortes d’épreuves, car la situation là-bas est difficile. Nous allons prier pour toi et pour ceux qui écouteront le message. ”

Après avoir été libéré par les Britanniques, en 1945, Alekseï est rentré en Russie. Mais il a bientôt été condamné à dix ans d’emprisonnement pour refus de voter. Il écrit : “ Au début, j’étais le seul Témoin de la prison. J’ai prié Jéhovah pour qu’il me guide vers les brebis. Peu après, nous étions 13 ! Pendant toute cette période, nous n’avions aucune publication. Nous trouvions des versets dans des romans empruntés à la bibliothèque de la prison et nous les recopiions. ”

Une fois sa peine de dix ans purgée, il a choisi de s’installer dans une région dont nombre d’habitants croyaient en Jésus. Il raconte : “ Les gens étaient affamés sur le plan spirituel. Ils venaient me voir de jour comme de nuit, avec leurs enfants. Ils vérifiaient dans la Bible tout ce que je leur disais. ”

En quelques années, Alekseï a aidé plus de 70 personnes à progresser jusqu’au baptême. L’une d’elles, Maria, est devenue sa femme. Alekseï se souvient : “ Le KGB me recherchait. J’ai fini par être arrêté, et j’ai été condamné à 25 ans de réclusion. Maria a été arrêtée à son tour. Avant son procès, elle est restée sept mois en isolement cellulaire. L’inspecteur lui promettait une libération immédiate si elle reniait Jéhovah. Mais elle a refusé. Elle a écopé de sept ans de goulag. C’est une sœur spirituelle qui a recueilli notre fille, encore bébé, et qui s’en est occupée. ”

Libérés plus tôt que prévu, Alekseï et Maria se sont installés dans le district de Tver. Tant les autorités que la population leur étaient fortement hostiles. Un voisin a même incendié leur maison. Dans les années qui ont suivi, ils ont été obligés de déménager à plusieurs reprises. Mais, partout où ils sont passés, ils ont fait de nouveaux disciples.

Alekseï déclare : “ Pendant toutes nos années d’enfermement, nous n’avons pas pu lire la Parole de Dieu. Une fois libres, nous nous sommes fixé l’objectif de la lire chaque jour. Maria et moi l’avons déjà lue entièrement plus de 40 fois. C’est la Parole de Dieu qui nous a donné de la force et du zèle dans le ministère. ”

En tout, Alekseï a passé 4 ans dans les camps de concentration nazis et 19 ans dans les prisons et les camps russes. Il a été pionnier pendant plus de 30 ans. Au cours de cette période, sa femme et lui ont aidé de très nombreuses personnes à connaître et à aimer Jéhovah.

[Encadré/Illustration, pages 177, 178]

Le soldat avait raison

RÉGUINA KOUKOUCHKINA

NAISSANCE 1914

BAPTÊME 1947

PARCOURS Bien qu’elle ait été privée, des années durant, de tout contact avec la congrégation, elle a continué à prêcher fidèlement la bonne nouvelle.

EN 1947, j’ai été abordée par une sœur, au marché. Le soir même, je me rendais chez elle. Au terme d’une discussion de plusieurs heures, j’ai décidé que, comme elle, je servirais Jéhovah avec zèle. Je lui ai dit : “ Puisque vous prêchez, je vais prêcher aussi ! ”

En 1949, j’ai été arrêtée à Lviv, en Ukraine, du fait de mon activité de prédication. On m’a séparée de mon mari et de mes deux petites filles. J’ai comparu en audience dite “ troïka ”, c’est-à-dire devant trois juges siégeant à huis clos. L’un d’eux, une femme, a lu la sentence : “ Condamnée à mort, par fusillade. ” Mais elle a poursuivi : “ Comme vous avez deux enfants, nous avons décidé de commuer la peine de mort en 25 ans de réclusion. ”

J’ai d’abord été emmenée en prison, dans une cellule occupée par des hommes. Ils savaient déjà que j’étais Témoin de Jéhovah. Mon calme, malgré ma condamnation à 25 ans de prison, les étonnait. Alors que je sortais de la prison pour être transférée ailleurs, un jeune soldat m’a tendu quelque chose à manger et m’a dit gentiment : “ N’ayez pas peur ; tout se passera bien. ”

Jusqu’en 1953, j’ai été incarcérée dans un goulag du nord de la Russie. Le camp comptait de nombreuses sœurs qui venaient de différentes républiques soviétiques. Nous nous aimions aussi fort qu’au sein d’une famille.

Nous nous efforcions de donner un bon témoignage par notre conduite, espérant inciter d’autres personnes à servir Dieu. Notre travail était interminable et pénible. Et puis, j’ai été libérée avant d’avoir achevé ma peine. J’ai alors découvert une autre forme d’isolement : pendant plus de cinq ans je n’ai eu aucun contact avec la congrégation. C’était autrement plus difficile que l’emprisonnement. Mais, même dans cette situation, je n’ai jamais cessé de sentir le soutien de Jéhovah et son amour constant. Je lisais beaucoup la Bible et je la méditais. C’est ce qui m’a rendue plus forte sur le plan spirituel.

Par un moyen inhabituel, Jéhovah m’a permis d’entrer de nouveau en contact avec les Témoins. Un article négatif concernant les Témoins d’Ossétie (au sud-ouest de la Russie) est paru dans un journal intitulé en russe “ Russie soviétique ”. Il affirmait que nos activités étaient dirigées contre la société soviétique et donnait les noms et les adresses de frères et sœurs. J’étais tellement heureuse ! Je leur ai écrit pour les rencontrer, et c’est ce qui s’est passé. Ils se sont révélés une aide sans pareille pour moi. Ils étaient convaincus que Jéhovah avait permis la parution de cet article pour que je puisse reprendre contact avec son peuple.

Aujourd’hui, à plus de 90 ans, je peux affirmer que le soldat avait raison : toute ma vie, malgré les épreuves, tout s’est bien passé !

[Encadré/Illustration, pages 188, 189]

Des ‘ piquets de tente ’ solidement fixés

DMITRI LIVY

NAISSANCE 1921

BAPTÊME 1943

PARCOURS Il a été membre du Comité du pays pendant plus de 20 ans. Aujourd’hui, il est ancien dans une congrégation de Sibérie.

EN 1944, à six mois de la fin de la Seconde Guerre mondiale, je me tenais dans une salle d’audience devant un juge militaire en raison de ma neutralité chrétienne. J’ai été condamné à être fusillé, mais la peine a été commuée et j’ai écopé de dix ans de réclusion dans un camp disciplinaire.

En janvier 1945, je suis arrivé à Petchora, une ville de la république des Komis, dans le nord de la Russie. Parmi les centaines de prisonniers que comptait le camp, il y avait dix frères. Malheureusement, le seul exemplaire de La Tour de Garde en ma possession m’avait été confisqué. Nous n’avions donc aucune nourriture spirituelle. Physiquement, j’étais dans un tel état d’épuisement que je ne pouvais absolument pas travailler. En me voyant un jour me laver, un frère m’a dit que j’étais squelettique. En fait, j’étais dans un si piteux état que j’ai été transféré dans un camp médical à Vorkouta.

Au bout de quelque temps, comme j’allais un peu mieux, on m’a envoyé travailler dans une sablonnière. Moins d’un mois plus tard, j’étais de nouveau décharné. Il a fallu que j’explique au médecin qu’étant Témoin de Jéhovah je ne fumais pas, parce qu’il pensait que j’échangeais ma nourriture contre du tabac. Je suis resté plus de deux ans dans ce camp médical, où j’étais le seul Témoin. Mais il y a toujours eu des personnes qui appréciaient d’entendre parler de la vérité, et certaines d’entre elles ont été réceptives à la bonne nouvelle.

Un jour, ma famille m’a envoyé une copie manuscrite de La Tour de Garde. Comment m’était-​elle parvenue alors que les colis étaient minutieusement contrôlés ? Pliées en deux, les feuilles avaient été glissées dans le double fond d’une boîte recouvert d’une épaisse couche de graisse. Le surveillant avait percé la boîte de part en part et, n’ayant rien noté de suspect, il me l’avait remise. Cette source d’“ eau vive ” m’a été bien utile. — Jean 4:10.

En octobre 1949, j’ai été libéré avant d’avoir purgé toute ma peine. En novembre, de retour chez moi, en Ukraine, j’apprenais que des frères s’étaient rendus à Moscou pour demander l’enregistrement de l’œuvre. Mais les autorités n’étaient, semble-​t-​il, pas encore prêtes à reconnaître officiellement les Témoins de Jéhovah en Union soviétique.

La nuit du 8 avril 1951, des familles entières de Témoins ont été entassées dans des wagons à destination de la Sibérie. J’étais parmi eux. Deux semaines plus tard, nous arrivions au cœur du pays, à Kazan, dans le district d’Irkoutsk.

Un verset nous allait droit au cœur, celui d’Isaïe 54:2, qui déclare : “ Allonge [l]es cordes [de ta tente], et tes piquets, consolide-​les. ” Nous avions l’impression de réaliser cette prophétie. Lequel d’entre nous se serait volontairement installé en Sibérie ? Je me suis dit qu’il nous fallait ‘ fixer les piquets de nos tentes ’ le plus solidement possible. Et cela fait à présent plus de 55 ans que je vis en Sibérie !

[Encadré/Illustration, pages 191, 192]

“ Je n’avais pas de chez-moi ”

VALENTINA GARNOVSKAÏA

NAISSANCE 1924

BAPTÊME 1967

PARCOURS Elle a passé 21 ans en prison ou dans des camps, dont 18 avant son baptême. Elle est décédée en 2001, après avoir aidé 44 personnes à connaître la vérité.

MA MÈRE et moi vivions dans l’ouest de la Biélorussie. En février 1945, j’ai découvert les Témoins de Jéhovah à l’occasion de la visite d’un frère à la maison. Il est venu trois fois et nous a montré des pensées bibliques. Bien que je ne l’aie jamais revu, je me suis mise à prêcher à mes voisins et à mes connaissances. Arrêtée et condamnée à huit ans de goulag, j’ai été envoyée dans le district d’Oulianovsk.

Dans le camp, j’observais et j’écoutais, espérant trouver des Témoins de Jéhovah parmi les détenues. En 1948, j’ai finalement surpris une conversation dans laquelle une femme — Assia — parlait du Royaume de Dieu. Comme j’étais heureuse de pouvoir aborder des sujets spirituels avec elle ! Bientôt trois autres sœurs sont arrivées dans le camp. Disposant de très peu de publications, nous restions ensemble autant que nous le pouvions.

Libérée en 1953, trois ans et demi plus tard on m’a infligé une peine de dix ans de détention pour avoir prêché. En 1957, j’ai donc été expédiée à Kemerovo, dans un camp où se trouvaient environ 180 sœurs. Nous n’étions jamais à cours de publications. L’hiver, nous les cachions dans la neige ; l’été, dans l’herbe ou dans la terre. Pendant les fouilles, de mes mains serrant les manuscrits, je maintenais les extrémités du grand châle que j’avais jeté sur mes épaules. Lorsque j’étais transférée dans un autre camp, je portais une casquette que j’avais faite moi-​même et dans laquelle je glissais plusieurs numéros de La Tour de Garde.

Finalement, on m’a envoyée en Mordovie. Dans ce camp, il y avait une bible, soigneusement cachée. On ne pouvait la consulter qu’en présence de la sœur qui en était responsable. Jusque-​là, je n’avais vu qu’une seule bible : celle du frère qui m’avait fait connaître la vérité, en 1945.

Après ma libération, en 1967, je me suis installée à Angren, en Ouzbékistan. C’est là que j’ai pu symboliser l’offrande de ma personne à Jéhovah par le baptême. Les frères d’Angren étaient les premiers que je rencontrais, exception faite de celui qui m’avait fait connaître la vérité. Je n’avais en effet été incarcérée que dans des camps pour femmes. Tous les membres de la congrégation étaient zélés dans le ministère, et je me suis rapidement attachée à eux. En janvier 1969, huit frères et cinq sœurs de notre congrégation — moi y compris — ont été arrêtés en raison de leur activité de prédication. Qualifiée de “ criminelle particulièrement dangereuse ”, j’ai été condamnée à trois ans de détention. Je me suis retrouvée plusieurs fois au secret pour avoir prêché.

Je dirigeais des études bibliques à l’abri d’une couverture. Nous n’avions pas le droit de nous parler pendant la promenade. Transgresser cet interdit nous valait l’isolement cellulaire. Par ailleurs, nous n’utilisions que des publications manuscrites, ce qui impliquait un travail inlassable de copie.

Je n’avais pas de chez-moi. Tous mes biens tenaient dans une valise. Mais j’étais heureuse et pleinement satisfaite de servir Jéhovah.

[Encadré/Illustration, pages 200, 201]

Affermi spirituellement par un inspecteur

PAVEL SIVOULSKI

NAISSANCE 1933

BAPTÊME 1948

PARCOURS Il a été soumis à plusieurs reprises à une rééducation idéologique. Il est actuellement ancien dans une congrégation de Russie.

EN 1958, j’ai été arrêté pour activités religieuses. Le policier qui m’a escorté jusqu’à la gare m’a dit : “ Regarde bien ta femme. C’est la dernière fois que tu la vois. ”

À Irkoutsk, j’ai été enfermé dans une cellule à peine assez grande pour y tenir debout. Puis j’ai passé six mois en isolement dans l’attente de mon procès. Accusé de participer aux activités “ illégales ” des Témoins de Jéhovah, j’étais soumis à des interrogatoires nocturnes visant à saper ma foi en la Bible et ma confiance dans l’organisation de Dieu. Même si les inspecteurs employaient parfois la brutalité, leur méthode de prédilection était le conditionnement psychologique. J’ai supplié Jéhovah de me donner la force de rester intègre. Et il a toujours été à mes côtés.

Un jour, après m’avoir convoqué dans son bureau pour un interrogatoire de routine, un inspecteur m’a dit : “ Nous allons te montrer ce qui se passe dans ton organisation. Tu verras s’il peut s’agir de l’œuvre de Dieu ou non ! ”

Les yeux fixés sur moi, il a poursuivi : “ Cette année, 253 000 personnes ont assisté à votre assemblée dans deux stades de New York. Tu sais bien qu’il est impossible qu’un événement d’une telle envergure ait eu lieu sans le soutien de la CIA. L’assemblée a duré huit jours. Des congressistes sont venus de l’étranger par avion, par train, par bateau, etc. Comment tout cela aurait-​il été possible sans l’aide des autorités ? Qui d’autre aurait pu financer un rassemblement de huit jours dans ces deux immenses stades ? ”

Puis il a étalé des photos sur la table. Sur l’une d’elles des assistants habillés de vêtements traditionnels colorés s’étreignaient joyeusement. Une autre montrait frère Knorr en train de donner un discours. D’autres encore montraient les baptêmes et frère Knorr remettant à chaque baptisé un livre “ Que ta volonté soit faite sur la terre ”, livre que nous n’avions pas reçu et dont La Tour de Garde parlerait plus tard. Me regardant droit dans les yeux, l’homme a continué : “ De quoi parle ce livre ? Du roi du Nord et du sort qui l’attend. Comment les Témoins de Jéhovah auraient-​ils pu organiser cela tout seuls ? Nous savons que ces rassemblements sont suivis par l’armée américaine, à qui ils servent de modèle pour l’organisation de manœuvres militaires. Nous savons également qu’un millionnaire a fait un don généreux pour permettre la tenue de ces assemblées. Or les millionnaires ne jettent pas l’argent par les fenêtres ! ”

L’inspecteur ne pouvait pas imaginer ce que je ressentais alors. Bien que toujours derrière les barreaux, j’avais l’impression d’être à l’assemblée. Je sentais mes forces se renouveler. C’était exactement ce dont j’avais besoin ! D’une façon toute particulière, Jéhovah m’avait comblé. J’étais prêt à affronter les épreuves à venir.

[Encadré/Illustration, pages 214, 215]

La salle était remplie de Témoins de Jéhovah

VENERA GRIGORIEVA

NAISSANCE 1936

BAPTÊME 1994

PARCOURS Alors qu’elle était comédienne, dans les années 60, elle a joué dans un film de propagande soviétique. Depuis 1995, elle est pionnière permanente à Saint-Pétersbourg.

EN 1960, au début de ma carrière, on m’a confié le rôle principal du film documentaire Les Témoins de Dieu, projeté dans les cinémas soviétiques. Le film décrivait “ la redoutable secte des Témoins de Jéhovah ”, responsable de la mort de l’héroïne, Tania, dont je jouais le rôle. Dans le scénario, pour échapper à la “ secte ”, Tania s’enfuyait au milieu de la nuit, sans manteau et en pleine tempête de neige. Elle disparaissait dans la neige, alors que la voix du narrateur annonçait : “ Ainsi s’acheva la vie de Tania Vesselova. ” Ce scénario me plaisait. Et j’étais fière de participer au combat contre les Témoins de Jéhovah, même si je ne savais rien d’autre sur eux que ce qu’en disait le film.

Il était projeté dans les cinémas et les clubs de nombreuses villes soviétiques. À chaque fois, j’assistais à la première projection. Lorsque j’apparaissais sur la scène, à la fin du film, le public — qui à l’époque croyait aveuglément tout ce qu’on montrait à l’écran — poussait un soupir de soulagement, et j’entendais : “ Elle est en vie ! ” J’expliquais ensuite comment s’était passé le tournage et comment le réalisateur s’était servi d’effets spéciaux pour simuler la tempête de neige qui semblait engloutir l’héroïne après l’avoir propulsée dans un ravin.

Un jour, cependant, dans une salle bondée de Vychni Volotchek, dans le district de Kalinine (aujourd’hui Tver), la soirée a pris un tour légèrement inhabituel. Après la projection, un homme âgé m’a posé des questions qui ne portaient que sur la religion. J’ai soutenu la conception athée de l’origine de la vie sur terre. Personne ne posait de questions en rapport avec le film. M’éclipsant dans les coulisses, je suis allée interroger l’organisateur de l’événement : “ Qui est l’homme avec lequel je viens de parler ? ”

“ C’est le chef de la secte. La salle est remplie de Témoins de Jéhovah — de personne d’autre ”, m’a-​t-​il répondu. Je venais donc de faire connaissance, sans le savoir, avec les Témoins de Jéhovah. Cette rencontre m’a donné envie de lire la Bible, mais je n’ai pas réussi à m’en procurer une. Puis, après mon mariage avec un Polonais, nous sommes partis nous installer en Pologne. En 1977, deux sœurs ont frappé à la porte. Bientôt j’étudiais la Bible avec elles. J’ai appris à aimer ce livre et, pour mon mari et moi, les Témoins sont devenus des amis. Puis, en 1985, mon père est tombé malade et nous l’avons rejoint à Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Je priais Jéhovah de m’aider à rencontrer des frères et sœurs.

Finalement, je suis devenue Témoin de Jéhovah. Cela fait maintenant 12 ans que je suis pionnière permanente. Zdzisław, mon mari, est assistant ministériel. Nous faisons partie d’une congrégation de Saint-Pétersbourg.

Je sais par expérience que l’industrie cinématographique a le pouvoir de tromper les masses “ au moyen de la ruse dans l’invention de l’erreur ”. (Éph. 4:14.) Je n’aurais jamais imaginé, alors que je participais à un film de propagande, que 30 ans plus tard je serais Témoin de Jéhovah.

[Encadré, page 237]

La Traduction du monde nouveau en russe

Pendant plus d’un siècle, les Témoins de Jéhovah ont fait un large usage de différentes traductions russes de la Bible. La traduction synodale est l’une d’elles. Malgré son langage archaïque et les rares occurrences du nom divin qu’elle contient, elle a aidé des milliers de lecteurs à comprendre le dessein de Dieu. La traduction de Makarios qui, pour sa part, cite quelque 3 000 fois le nom de Dieu, a également été utilisée. Néanmoins, le besoin d’une traduction exacte, claire et moderne se faisait d’autant plus sentir que le nombre de Témoins augmentait.

Le Collège central a donc pris des dispositions pour que la Traduction du monde nouveau soit produite en russe. Cette entreprise majeure a demandé au Béthel de Russie plus d’une dizaine d’années de travail.

En 2001 paraissaient Les Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau. Puis, en 2007, à la grande joie des lecteurs russes du monde entier, Les Saintes Écritures — Traduction du monde nouveau ont été publiées dans leur intégralité. Cette nouvelle a d’abord été annoncée par des membres du Collège central : Theodore Jaracz à Saint-Pétersbourg, et Stephen Lett à Moscou. Elle a été accueillie par des tonnerres d’applaudissements et a suscité un enthousiasme immédiat. “ Quel langage vivant et facile à comprendre ! a écrit une sœur. La lecture des Saintes Écritures me procure encore plus de plaisir maintenant. ” Beaucoup ont exprimé leur reconnaissance envers l’organisation par des remarques de ce genre : “ Quel cadeau inestimable de Jéhovah ! ” ou encore : “ Nous voulons vous remercier de tout notre cœur. ” Sans conteste, la parution de la Traduction du monde nouveau en russe a été un événement marquant pour ceux qui aiment la vérité et parlent cette langue, où qu’ils vivent.

[Encadré/Illustration, pages 244, 245]

“ En une journée, tous nos problèmes étaient résolus ”

IVAN ET NATALIA SLAVA

NAISSANCE Respectivement, 1966 et 1969

BAPTÊME 1989

PARCOURS Alors qu’ils étaient pionniers, ils se sont déplacés là où l’on avait besoin d’aide. Ivan est aujourd’hui membre du Comité de la filiale de Russie.

NATALIA et moi avons décidé de quitter l’Ukraine pour la Russie au début des années 90. Dans le district de Belgorod, qui comptait moins de dix proclamateurs pour presque un million et demi d’habitants, “ la moisson [était] grande, mais les ouvriers [...] peu nombreux ”, c’était incontestable. — Mat. 9:37.

Nous venions juste de nous marier et, pour subvenir à nos besoins, il nous fallait trouver un gagne-pain. Mais la situation économique s’est dégradée, et beaucoup ont perdu leur emploi. L’État a mis en circulation des tickets de rationnement, qui étaient distribués sur le lieu de travail pour procurer à la population les aliments de base. Comme nous n’avions pas de travail, nous n’avions pas de tickets. Nous achetions donc à manger au marché, au prix fort. Autre problème : nous ne trouvions pas à nous loger ; nous vivions donc à l’hôtel. Après avoir payé la chambre pour 20 jours, nous n’avions quasiment plus un sou. Tous les jours, nous priions Jéhovah de nous aider à trouver un emploi et un logement bon marché. Pendant ce temps, nous prêchions diligemment, à la recherche de personnes sincères. Quand le dernier jour de location de la chambre est arrivé, nous nous sommes acheté un petit pain et du lait avec ce qui nous restait d’argent. En nous couchant ce soir-​là, nous avons encore supplié Jéhovah de nous aider à trouver un travail et un endroit où habiter, puisqu’il nous faudrait libérer la chambre le lendemain.

Le matin suivant, nous avons été réveillés par le téléphone. À notre grande surprise, le gérant de l’hôtel appelait pour nous signaler que mon cousin m’attendait dans le vestibule. Il voulait partager avec moi une prime importante qu’il venait de recevoir. Et ce n’est pas tout. Quelques minutes plus tard, un frère nous téléphonait pour nous annoncer qu’il nous avait trouvé un appartement pas cher. Et pour finir, le même jour, nous étions embauchés comme gardiens dans une école maternelle. En une journée, tous nos problèmes étaient résolus : nous avions de l’argent, un logement et un travail. Il n’y avait pas l’ombre d’un doute : Jéhovah avait entendu nos prières.

En 1991, à Belgorod, 55 personnes assistaient au Mémorial. Un an plus tard, elles étaient 150, et en 1993, 354. En 2006, on dénombrait six congrégations dans la ville et plus de 2 200 proclamateurs dans le district de Belgorod.

[Encadré, page 250]

L’actualité juridique récente

En janvier 2007, le droit de pratiquer notre culte sans ingérence du gouvernement a été confirmé par la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est prononcée à l’unanimité en notre faveur, déclarant que ‘ l’étude et la discussion collectives de textes religieux par les membres du groupe religieux Les Témoins de Jéhovah était une forme connue du culte et de l’enseignement de leur religion ’.

À Moscou, bien que leur activité ait été officiellement soumise à des restrictions en 2004, nos frères continuent à tenir ouvertement leurs réunions pour le culte et à prêcher autant qu’il leur est possible de le faire. En 2007, ils ont été très heureux d’avoir pu, comme presque partout ailleurs en Russie, célébrer le Mémorial et tenir des assemblées de district sans entrave.

En dépit des défis juridiques qui subsistent, nos frères continuent à réagir courageusement face aux incidents liés à l’opposition. Par exemple, ils ont déposé une nouvelle requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle concerne l’intervention des forces de police de Lyublino le 12 avril 2006. Ces dernières avaient interrompu la célébration du Mémorial à Moscou ; 14 frères avaient été arrêtés et leur avocat avait été menacé avec un couteau. La cour d’appel ayant annulé la décision d’un tribunal local, partiellement favorable à nos frères, le procès avait été perdu. Par ailleurs, une plainte a été déposée en juillet 2007 contre plusieurs fonctionnaires du gouvernement qui ont mené une enquête interminable et injustifiée sur nos activités religieuses à Saint-Pétersbourg.

[Tableau/Graphique, pages 228-230]

Russie — REPÈRES HISTORIQUES

1890

1891 Semyone Kozlitski est déporté dans l’est de l’Empire russe, en raison de sa prédication hardie.

1904 Le Béthel d’Allemagne reçoit des lettres de remerciements de Russie pour les publications bibliques.

1910

1913 Le gouvernement russe enregistre le bureau des Étudiants de la Bible en Finlande, alors territoire russe.

1923 La Société Watch Tower commence à recevoir de nombreuses demandes d’envoi de publications en Russie.

1928 À Moscou, George Young demande la légalisation des activités des Étudiants de la Bible. La prolongation de son visa lui est refusée.

1929 Après signature d’un contrat avec une station de radio de Tallinn, en Estonie, des discours bibliques sont diffusés sur les ondes et retransmis à Leningrad et ailleurs.

1930

1939-40 Annexion de l’ouest de l’Ukraine, de la Moldavie et des républiques baltes. Des milliers de Témoins de Jéhovah se retrouvent à l’intérieur des frontières soviétiques.

1944 Partout en Russie, des centaines de Témoins sont incarcérés dans des prisons et des goulags.

1949 Déportation de Témoins moldaves en Sibérie et dans l’extrémité orientale de la Russie.

1950

1951 Déportation en Sibérie de plus de 8 500 Témoins de l’ouest de l’Ukraine, de Biélorussie, de Lettonie, de Lituanie et d’Estonie.

1956/57 Les assistants à 199 assemblées de district, tenues sur tout le globe, adressent une pétition en faveur de la liberté religieuse au gouvernement soviétique.

Fin des années 50 Plus de 600 Témoins sont isolés dans un camp de travail spécial, en Mordovie.

1965 Levée des restrictions relatives au déplacement des déportés. Dispersion dans tout le pays des Témoins exilés en Sibérie.

1970

1989-90 Première rencontre de membres du Collège central avec des frères en Russie. Des Témoins d’URSS se rendent en Pologne pour des assemblées spéciales.

1990

1991 Le 27 mars, enregistrement officiel des Témoins de Jéhovah.

1992/93 Assemblées internationales à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

1997 Inauguration du Béthel de Solnetchnoïe, près de Saint-Pétersbourg.

1999 Inauguration de la première Salle d’assemblées du pays à Saint-Pétersbourg.

2000

2003 Fin des travaux d’agrandissement du Béthel.

2007 La Russie compte plus de 2 100 congrégations et groupes isolés.

[Graphique]

(Voir la publication)

Total des proclamateurs

Total des pionniers

Total des proclamateurs

Total des pionniers

Total des proclamateurs dans les 15 pays de l’ex-URSS

360 000

300 000

240 000

180 000

120 000

60 000

40 000

20 000

1890 1910 1930 1950 1970 1990 1990 2000

[Schéma/Carte, page 218]

(Voir la publication)

D’autres filiales ont participé au transport des publications dans tout le pays.

ALLEMAGNE FINLANDE

↓ ↓

Solnetchnoïe

↓ ↓ ↓ ↓

BIÉLORUSSIE KAZAKHSTAN MOSCOU RUSSIE

JAPON

Vladivostok

KAMTCHATKA

[Cartes, pages 116, 117]

(Voir la publication)

CERCLE ARCTIQUE

OCÉAN ARCTIQUE

Pôle Nord

Mer de Barents

Mer de Kara

Mer des Laptev

Mer de Sibérie orientale

Mer de Tchoukotka

Détroit de Béring

SUÈDE

NORVÈGE

DANEMARK

COPENHAGUE

ALLEMAGNE

POLOGNE

Lodz

VARSOVIE

Mer Baltique

FINLANDE

ESTONIE

LETTONIE

LITUANIE

BIÉLORUSSIE

Brest

UKRAINE

Lviv

MOLDAVIE

Mer Caspienne

KAZAKHSTAN

ASTANA

Kenguir

OUZBÉKISTAN

TACHKENT

Angren

CHINE

MONGOLIE

OULAN-BATOR

CHINE

Mer du Japon

JAPON

TOKYO

Hokkaido

Mer d’Okhotsk

Mer de Béring

RUSSIE

Petrozavodsk

Saint-Pétersbourg

Solnetchnoïe

Kaliningrad

Novgorod

Vychni Volotchek

MOSCOU

Toula

Orel

Koursk

Voronej

Oudarny

Vladimir

Ivanovo

Nijni Novgorod

Syktyvkar

Oukhta

Petchora

Inta

Nouvelle-Zemble

Vorkouta

L’OURAL

SIBÉRIE

Iekaterinbourg

Naberejnyie Tchelny

Ijevsk

Saratov

Voljski

Stavropol

Piatigorsk

Mont Elbrous

Naltchik

Nartkala

Beslan

Vladikavkaz

LE CAUCASE

Astrakhan

La Volga

Tomsk

Novossibirsk

Kemerovo

Krasnoïarsk

Novokouznetsk

Oust-Kan

Aktach

Biriousinsk

Oktiabrski

Bratsk

Vikhorevka

Touloun

Central Kazan

Zima

Zalari

Oussolie-Sibirskoïe

Kitoï

Angarsk

Irkoutsk

Lac Baïkal

Kirensk

Khabarovsk

Vladivostok

Korsakov

Ioujno-Sakhalinsk

Sakhaline

Iakoutsk

Oïmiakon

Oust-Nera

Kamtchatka

Péninsule de Tchoukotka

La Kolyma

Khaïyr

Norilsk

[Carte, page 167]

(Voir la publication)

Mer Caspienne

Mer Baltique

Mer de Barents

Mer de Kara

OCÉAN ARCTIQUE

Pôle Nord

Mer des Laptev

Mer de Sibérie orientale

Mer de Tchoukotka

Détroit de Béring

Mer d’Okhotsk

Mer du Japon

KAZAKHSTAN

CHINE

MONGOLIE

MOURMANSK

PSKOV

TVER

MOSCOU

BELGOROD

VORONEJ

ROSTOV

KABARDINO-BALKARIE

OSSÉTIE DU NORD

IVANOVO

NIJEGOROD

MORDOVIE

OULIANOVSK

VOLGOGRAD

TATARSTAN

PERM

RÉP. DES KOMIS

L’OURAL

SIBÉRIE

SVERDLOVSK

TCHELIABINSK

KOURGAN

TIOUMEN

OMSK

TOMSK

NOVOSSIBIRSK

ALTAÏ

RÉP. DE L’ALTAÏ

KEMEROVO

KHAKASSIE

KRASNOÏARSK

RÉP. DE TOUVA

IRKOUTSK

BOURIATIE

TCHITA

RÉP. DE SAKHA

AMOUR

KHABAROVSK

TERRIT. DE PRIMORSKY

SAKHALINE

KAMTCHATKA

[Illustration, page 66]

Lever de soleil sur la péninsule de Tchoukotka.

[Illustrations, page 68]

Cette pancarte indique, en kazakh et en russe, la direction du village sibérien de Boukhtarma, où Semyone Kozlitski a été déporté.

[Illustrations, page 71]

Les Herkendell ont passé leur lune de miel à aider les germanophones de Russie.

[Illustrations, page 74]

Mandat destiné à Kaarlo Harteva (à droite), sur lequel le consul impérial russe à New York a apposé le timbre du gouvernement.

[Illustration, page 80]

Mai 1925. À Carnegie en Pennsylvanie, une assemblée en russe réunit 250 personnes, dont 29 se font baptiser.

[Illustration, page 81]

Ce journal déclare : “ Le district de Voronej grouille de sectes. ”

[Illustration, page 82]

George Young.

[Illustrations, page 84]

Pendant près de dix ans, Aleksandr Forstman a traduit tracts, brochures et livres en russe.

[Illustration, page 90]

1997. Réguina et Piotr Krivokoulski.

[Illustrations, page 95]

Olga Sevriouguina, qui s’est mise à servir Jéhovah grâce aux ‘ lettres ficelées ’ de Piotr.

[Illustration, page 100]

Ivan Krylov.

[Illustrations, page 101]

Déportés en Sibérie, des Témoins se bâtissent des maisons.

[Illustration, page 102]

Magdalina Belochitskaïa et les siens ont été déportés en Sibérie.

[Illustration, page 110]

Viktor Goutchmidt.

[Illustration, page 115]

Alla en 1964.

[Illustration, page 118]

Semyone Kostylev aujourd’hui.

[Illustration, page 120]

L’éducation biblique que lui ont donnée ses parents a aidé Vladislav Apaniouk lorsque sa foi a été éprouvée.

[Illustrations, page 121]

La police a trouvé cette brochure (“ Après Harmaguédon, Dieu établira un monde nouveau ”) chez Nadejda Vichniak.

[Illustration, page 126]

Boris Kryltsov.

[Illustration, page 129]

1957. Viktor Goutchmidt environ un mois avant son arrestation, avec sa sœur (en haut), ses filles et sa femme, Polina.

[Illustration, page 134]

Ivan Pachkovski.

[Illustration, page 136]

En 1959, la revue “ Crocodile ” publie une photo de ces publications, découvertes dans une meule de foin.

[Illustration, page 139]

Le KGB découvre un atelier d’impression en 1959 sous cette maison.

[Illustration, page 142]

Alekseï Gabouriak a participé au rassemblement de ceux qui s’étaient dispersés.

[Illustrations, page 150]

Matériel d’impression artisanal.

Presse à imprimer.

Presse à papier.

Massicot.

Agrafeuse.

[Illustration, page 151]

Stepan Levitski, un conducteur de tramway, est courageusement allé voir un imprimeur.

[Illustration, page 153]

Grigori Gatilov prêchait sans bouger de sa cellule.

[Illustrations, page 157]

De grandes fleurs : un écran idéal pour étudier la Bible et en discuter.

[Illustration, page 161]

Cette minuscule brochure est une “ Tour de Garde ” grandeur nature.

[Illustration, page 164]

“ Ordre du Présidium du Soviet suprême ”.

[Illustration, page 170]

Les frères ont caché des “ trésors ” dans des valises à double fond ou sous les semelles de leurs chaussures.

[Illustration, page 173]

Ivan Klimko.

[Illustration, page 175]

Une boîte d’allumettes pouvait contenir cinq ou six exemplaires de “ La Tour de Garde ” écrits en pattes d’araignée.

[Illustration, pages 184, 185]

Dans un camp de Mordovie, jamais, au fil des ans, un seul frère ne manquera le Mémorial.

[Illustration, page 194]

Nikolaï Goutsouliak a donné le témoignage informel à la femme du commandant d’un camp.

[Illustrations, page 199]

Assemblées internationales

En 1989, des délégués russes assistent aux trois assemblées internationales tenues en Pologne.

Varsovie.

Chorzów.

Poznań.

[Illustration, page 202]

Après l’enregistrement officiel de l’œuvre, de gauche à droite : Theodore Jaracz, Mikhaïl Dasevitch, Dmitri Livy, Milton Henschel, un représentant du ministère de la Justice, Anani Grogoul, Alekseï Verjbitski et Willi Pohl.

[Illustrations, page 205]

Milton Henschel donne un discours lors de l’assemblée internationale “ Porteurs de lumière ” en 1992 au stade Kirov à Saint-Pétersbourg.

[Illustration, page 206]

Propriété achetée à Solnetchnoïe, en Russie.

[Illustration, page 207]

Aulis et Eva-Lisa Bergdahl ont été parmi les premiers volontaires à arriver à Solnetchnoïe.

[Illustration, page 208]

Hannu et Eija Tanninen ont été affectés à Saint-Pétersbourg.

[Illustration, page 210]

En compagnie de sa femme, Lioudmila, Roman Skiba a parcouru de grandes distances dans le service du district.

[Illustration, page 220]

Frères s’occupant d’un chargement de publications dans le port de Vladivostok.

[Illustration, page 224]

Arno et Sonja Tüngler ont goûté de nombreux privilèges de service en Russie.

[Illustration, pages 226, 227]

1989. Réunion d’une congrégation dans une forêt, non loin de Saint-Pétersbourg.

[Illustration, page 238]

Le Béthel de Russie supervise la traduction de publications en plus de 40 langues.

[Illustration, page 243]

Saint-Pétersbourg, juin 1996. Première École des pionniers.

[Illustrations, page 246]

Prédication en Russie

Dans les champs du district de Perm et de Nartkala.

Dans les rues de Saint-Pétersbourg.

De porte en porte à Iakoutsk.

Sur les marchés de Saratov.

[Illustrations, pages 252, 253]

Béthel de Russie

Vue aérienne des bâtiments résidentiels et de leurs environs.

[Illustration, page 254]

L’assemblée de district 2006 à Moscou réunit 23 537 personnes.

[Illustration, page 254]

Stade Loujniki.