Aller au contenu

Aller à la table des matières

Un temps d’épreuve (1914-1918)

Un temps d’épreuve (1914-1918)

Chapitre 6

Un temps d’épreuve (1914-​1918)

“Souvenons-​nous que l’époque actuelle est un temps de mise à l’épreuve. (...) Existe-​t-​il des motifs susceptibles de nous éloigner du Seigneur et de sa vérité, susceptibles de nous induire à renoncer à notre sacrifice au Seigneur et à sa cause, alors ce n’est pas vraiment l’amour de Dieu dans nos cœurs qui a éveillé en eux un certain intérêt pour le Seigneur, mais c’est un autre motif, probablement l’espérance que la durée du sacrifice serait courte, que notre consécration ne serait nécessaire que pendant un certain temps. S’il en est vraiment ainsi, c’est maintenant le bon moment de tout lâcher.”

CES paroles, imprimées dans La Tour de Garde de février 1915 (1er novembre 1914 en anglais), ne pouvaient être plus appropriées. Les années 1914 à 1918 ont bel et bien été “un temps de mise à l’épreuve” pour les Étudiants de la Bible. Certaines des épreuves sont venues du milieu d’eux; d’autres, de l’extérieur. Toutes, cependant, ont éprouvé les Étudiants de la Bible de façons qui ont révélé s’ils avaient vraiment ‘l’amour de Dieu dans leur cœur’. Allaient-​ils tenir ferme le ‘Seigneur et sa vérité’ ou allaient-​ils tout lâcher?

De grandes espérances

Le 28 juin 1914, l’archiduc d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, était assassiné par balle. Cet assassinat a déclenché la Grande Guerre, comme on a appelé au début la Première Guerre mondiale. Les combats ont commencé en août 1914 quand l’Allemagne a envahi la Belgique et la France. À l’automne de cette année-​là, le carnage était déjà avancé.

“Les temps des Gentils ont pris fin; leurs rois ont eu leur jour!” s’est exclamé frère Russell en entrant dans la salle à manger. Cela se passait le vendredi 2 octobre 1914 à Brooklyn, au siège mondial de la Société Watch Tower. L’émotion était grande. La plupart de ceux qui étaient là attendaient 1914 depuis des années. Mais qu’allait amener la fin des temps des Gentils?

La Première Guerre mondiale faisait rage, et à cette époque les Étudiants de la Bible pensaient que la guerre déboucherait sur une période d’anarchie mondiale qui aboutirait à la fin du système de choses. L’année 1914 suscitait d’autres espérances encore. Alexander Macmillan, qui avait été baptisé en septembre 1900, a dit par la suite: “Quelques-uns d’entre nous pensaient sérieusement que nous irions au ciel au cours de la première semaine d’octobre de cette année-​là *.” Et, racontant le matin où Charles Russell a annoncé la fin des temps des Gentils, il précise: “Nous étions fort bouleversés et je n’aurais pas été surpris si à ce moment même nous avions commencé à monter, comme s’il nous avait donné le signal de notre ascension au ciel — mais, bien sûr, il n’y eut rien de pareil.”

Au XIXsiècle, les attentes déçues concernant le retour du Seigneur Jésus avaient fait perdre la foi à beaucoup de disciples de William Miller et à plusieurs groupes adventistes. Et les Étudiants de la Bible, les compagnons de Charles Russell? Certains parmi eux avaient-​ils été davantage attirés par la pensée de leur salut imminent que par l’amour pour Dieu et l’ardent désir de faire sa volonté?

‘Frère Russell, n’as-​tu pas été déçu?’

Frère Russell avait toujours encouragé les Étudiants de la Bible à rester aux aguets et à persévérer avec détermination dans l’œuvre du Seigneur même si les choses ne se terminaient pas aussi tôt qu’ils l’avaient peut-être espéré.

Octobre 1914 a passé, et Charles Russell et ses compagnons étaient toujours sur terre. Puis octobre 1915 a passé aussi. Charles Russell a-​t-​il été déçu? Dans La Tour de Garde du 1er février 1916 (en anglais), il a écrit: “‘Mais, frère Russell, me demanderez-​vous, quelle idée te fais-​tu du temps de notre changement? N’as-​tu pas été déçu qu’il ne soit pas arrivé quand nous l’espérions?’ Non, répondons-​nous, nous n’avons pas été déçus. (...) Frères, ceux d’entre nous qui ont le bon point de vue vis-à-vis de Dieu ne sont déçus par aucune des dispositions qu’il prend. Ce n’est pas notre volonté que nous souhaitions voir s’accomplir; aussi, quand nous avons constaté que nous n’attendions pas ce qu’il fallait en octobre 1914, nous avons été contents que le Seigneur ne modifie pas son Plan pour nous faire plaisir. Nous ne souhaitions pas cela de sa part. Nous souhaitons uniquement comprendre ses plans et ses desseins.”

Non, les Étudiants de la Bible n’ont pas été ‘emportés dans leur demeure’ au ciel en octobre 1914. N’empêche que les temps des Gentils ont pris fin cette année-​là. Il était clair que les Étudiants de la Bible en avaient encore à apprendre sur l’importance de 1914. Pendant ce temps, que leur fallait-​il faire? Se mettre à l’œuvre! C’est ce qu’a indiqué La Tour de Garde du 1er septembre 1916 (en anglais) en ces termes: “Nous nous sommes imaginé que la Moisson, l’œuvre consistant à rassembler l’Église [des oints], serait accomplie avant la fin des temps des Gentils; mais rien dans la Bible ne le disait. (...) Regrettons-​nous que la Moisson continue? Non, pour sûr (...). Notre état d’esprit maintenant, chers frères, devrait être celui-ci: une profonde gratitude envers Dieu, un attachement toujours plus grand à la belle Vérité qu’il nous a donné le privilège de discerner et de représenter, ainsi qu’un zèle croissant à communiquer à d’autres cette Vérité.”

Restait-​il donc davantage à faire dans la moisson? Manifestement, c’est ce que frère Russell pensait. Témoin une conversation qu’il a eue avec frère Macmillan en automne 1916. Faisant venir Alexander Macmillan dans son cabinet de travail, au Béthel de Brooklyn, il lui a dit: “Le travail augmente rapidement, et il va continuer à augmenter, car il reste à effectuer une œuvre mondiale de prédication de l’‘évangile du royaume’.” Pendant trois heures et demie, il a expliqué à frère Macmillan comment, d’après la Bible, il entrevoyait la grande œuvre qui les attendait.

Les Étudiants de la Bible avaient traversé une épreuve difficile. Mais avec l’aide de La Tour de Garde, ils ont été fortifiés pour triompher de la déception. Pourtant, le temps de mise à l’épreuve était loin d’être terminé.

“Que va-​t-​il se passer maintenant?”

Le 16 octobre 1916, frère Russell et son secrétaire Menta Sturgeon partaient pour une tournée de discours dans l’ouest et le sud-ouest des États-Unis. Mais, à ce moment-​là, Charles Russell était gravement malade. La tournée a commencé par Detroit (Michigan), via le Canada. Ensuite, après des haltes dans l’Illinois, le Kansas et le Texas, les deux hommes sont arrivés en Californie, où, le dimanche 29 octobre, à Los Angeles, Charles Russell a donné son dernier discours. Deux jours plus tard, le mardi après-midi 31 octobre, Charles Russell s’éteignait dans le train à Pampa (Texas). Il avait 64 ans. L’avis de décès a été inséré dans La Tour de Garde du 15 novembre 1916 (en anglais).

Quelle a été la réaction de la famille du Béthel à la nouvelle de la mort de frère Russell? Alexander Macmillan, qui était son suppléant au bureau en son absence, a raconté par la suite comment s’est passé le matin où il a lu le télégramme à la famille du Béthel: “Il s’est élevé un gémissement dans toute la salle à manger. Certains pleuraient tout haut. Personne n’a déjeuné ce matin-​là. C’était la consternation générale. Quand le temps du repas a été écoulé, de petits groupes se sont formés; on parlait et on chuchotait: ‘Que va-​t-​il se passer maintenant?’ On a peu travaillé ce jour-​là. Nous ne savions pas quoi faire. C’était si inattendu, et pourtant frère Russell avait essayé de nous y préparer. Qu’allions-​nous faire? Le premier choc de la perte de Charles Russell a été le pire. Pendant les quelques jours qui ont suivi, nous sommes restés perplexes quant à l’avenir. Toute sa vie, Charles Russell avait été ‘la Société’. L’œuvre avait gravité autour de son énergique détermination à voir se faire la volonté de Dieu.”

Après la cérémonie funèbre au Temple à New York et au Carnegie Hall à Pittsburgh, frère Russell a été inhumé, conformément à sa volonté, à Allegheny, dans la concession de la famille du Béthel. Une courte biographie de Charles Russell, ses dernières volontés et son testament ont été publiés dans l’édition anglaise de La Tour de Garde du 1er décembre 1916 (voir édition française de mai 1917), ainsi que dans les éditions postérieures du premier tome des Études des Écritures.

Qu’allait-​il se passer maintenant? Il était difficile pour les Étudiants de la Bible d’imaginer quelqu’un d’autre à la place de frère Russell. Leur compréhension des Écritures allait-​elle continuer à grandir, ou bien allait-​elle piétiner? Allaient-​ils devenir une secte gravitant autour de cette personnalité? Charles Russell lui-​même avait dit très clairement qu’il voulait que l’œuvre continue. C’est pourquoi, après sa mort, des questions évidentes n’ont pas tardé à se poser: Qui allait décider du contenu de La Tour de Garde et d’autres publications? Qui devrait succéder au président Russell?

Changement d’administration

Dans son testament, frère Russell avait jeté les bases de la formation d’un comité de cinq membres, appelé Comité de rédaction, dont le rôle serait de décider du contenu de La Tour de Garde *. En outre, le conseil d’administration de la Watch Tower Bible and Tract Society a désigné un Comité directeur composé de trois membres, à savoir A. Ritchie, William Van Amburgh et Joseph Rutherford. Ce comité, subordonné au conseil d’administration, était chargé de diriger toute l’activité de la Société *. Mais qui deviendrait le nouveau président? Cette décision serait prise à l’assemblée générale annuelle de la Société qui devait se tenir deux mois plus tard, le 6 janvier 1917.

Au début, le Comité directeur a fait de son mieux pour stabiliser la situation, encourageant les Étudiants de la Bible à rester actifs et à ne pas perdre courage. La Tour de Garde a continué de paraître, contenant des articles que Charles Russell avait écrits avant sa mort. Mais à mesure qu’approchait l’assemblée générale annuelle, la tension montait. Certains individus menaient même leur petite campagne électorale afin que l’homme de leur choix soit élu président. D’autres, du fait de leur profond respect pour frère Russell, semblaient davantage soucieux d’essayer de copier ses qualités et de créer une sorte de culte dont il était le centre. Néanmoins, la plupart des Étudiants de la Bible se préoccupaient avant tout de poursuivre l’œuvre dans laquelle Charles Russell s’était investi.

Alors que l’élection approchait, la question demeurait: Qui allait succéder au président Russell? La Tour de Garde du 15 janvier 1917 (en anglais) a raconté l’issue de l’assemblée générale annuelle en ces termes: “Frère Pierson, faisant des remarques très pertinentes et exprimant son estime et son affection pour frère Russell, a déclaré qu’il avait reçu de la part de frères de tout le pays procuration afin de voter pour désigner frère Joseph Rutherford à la présidence, et il a ajouté qu’il approuvait totalement ce choix.” Une fois proposée la candidature de Joseph Rutherford et cette proposition appuyée, il n’y a pas eu d’autre proposition de candidat, par conséquent “le secrétaire a voté comme indiqué, et frère Rutherford a été déclaré, par choix unanime de toute l’assemblée, président”.

Après l’élection, comment le nouveau président a-​t-​il été accueilli? La Tour de Garde précitée rapporte: “Partout les frères et sœurs avaient prié ardemment pour que le Seigneur les guide et les dirige dans la question de l’élection; et lorsque celle-ci a été terminée, tous étaient contents et heureux, convaincus que le Seigneur avait dirigé leurs délibérations et avait répondu à leurs prières. Il régnait une parfaite harmonie entre tous ceux qui étaient présents.”

Cependant, cette “parfaite harmonie” n’a pas duré très longtemps. Le nouveau président a été accueilli chaleureusement par beaucoup, mais pas par tous.

Le nouveau président va de l’avant

Frère Rutherford souhaitait, non changer la direction de l’organisation, mais continuer d’aller de l’avant selon le modèle laissé par frère Russell. Le nombre des représentants itinérants de la Société (appelés pèlerins) est passé de 69 à 93. La diffusion des tracts gratuits de la Société a été intensifiée certains dimanches devant les églises et régulièrement dans le ministère de maison en maison.

L’“œuvre pastorale”, commencée avant la mort de Charles Russell, a été intensifiée. C’était un travail de suivi, équivalant à l’activité des nouvelles visites qu’accomplissent aujourd’hui les Témoins de Jéhovah. Également, pour redonner encore plus de vitalité à la prédication, le nouveau président de la Société a augmenté le nombre des colporteurs. De 372 qu’ils étaient, ces colporteurs (on les appellerait aujourd’hui des pionniers) sont passés à 461.

“L’année 1917 s’annonçait plutôt mal”, lisait-​on dans La Tour de Garde du 15 décembre 1917 (en anglais). En effet, la mort de Charles Russell avait suscité bien des inquiétudes, des doutes et des craintes. Pourtant, le rapport de fin d’année était encourageant; l’activité de prédication avait augmenté. Il était clair que l’œuvre allait de l’avant. Les Étudiants de la Bible avaient-​ils bien surmonté cette autre épreuve, celle de la mort de Charles Russell?

Tentative de mainmise

Le nouveau président n’avait pas l’appui de tous. Charles Russell et Joseph Rutherford étaient deux hommes très différents, tant par leurs personnalités que par leurs origines. Certains avaient du mal à accepter ces différences. Dans leur esprit, frère Russell était irremplaçable.

Quelques-uns, notamment au siège de la Société, étaient vraiment hostiles à frère Rutherford. Ils voyaient pourtant que l’œuvre allait de l’avant et que lui-​même faisait tous ses efforts pour se conformer aux dispositions prises par Charles Russell, mais cela ne semblait pas les toucher. L’opposition n’a pas tardé à se manifester. Quatre membres du conseil d’administration de la Société sont allés jusqu’à tenter de ravir à Joseph Rutherford le pouvoir administratif. La situation est devenue critique en été 1917 avec la parution du Mystère accompli, septième tome des Études des Écritures.

Bien qu’il l’eût souhaité, frère Russell n’avait pas pu faire paraître ce tome de son vivant. Après sa mort, le Comité directeur de la Société a demandé à deux collaborateurs, Clayton Woodworth et George Fisher, de préparer cet ouvrage qui était un commentaire de la Révélation, du Cantique des cantiques et d’Ézéchiel. Ils ont compilé ce que Charles Russell avait écrit sur ces livres de la Bible, et y ont ajouté des commentaires et des explications. L’autorisation d’imprimer le manuscrit achevé a été donnée par des membres du bureau exécutif et sa parution a été annoncée à la famille du Béthel au moment du repas le mardi 17 juillet 1917. En même temps a été faite une communication stupéfiante: les quatre administrateurs hostiles avaient été démis de leurs fonctions, et frère Rutherford avait nommé à leur place quatre autres frères. Quelle a été la réaction?

Ce fut comme si une bombe avait explosé! Les quatre administrateurs destitués ont saisi l’occasion pour soulever une polémique qui a duré cinq heures devant la famille du Béthel, au sujet de l’administration des affaires de la Société. Un certain nombre des membres de la famille du Béthel ont pris parti pour les adversaires. L’opposition a duré ainsi plusieurs semaines, les perturbateurs menaçant de “renverser la tyrannie en place”. Mais l’action de frère Rutherford avait un fondement solide. Lequel?

Les quatre administrateurs avaient bien été nommés par frère Russell, mais leur nomination n’avait jamais été ratifiée par le vote des membres de l’association lors de l’assemblée générale annuelle de la Société. De ce fait, aux yeux de la loi, aucun des quatre n’était membre du conseil d’administration! Joseph Rutherford le savait, mais au début il n’en avait pas parlé. Pourquoi? Il avait voulu éviter de donner l’impression qu’il allait à l’encontre des vœux de frère Russell. Toutefois, quand il est devenu évident que ces hommes n’allaient pas cesser leur opposition, Joseph Rutherford a exercé son autorité et assumé sa responsabilité de président: il les a remplacés par quatre autres hommes, dont la nomination devait être ratifiée lors de l’assemblée générale annuelle suivante, en janvier 1918.

Le 8 août, les ex-administrateurs mécontents et leurs partisans quittaient la famille du Béthel; on leur avait demandé de partir à cause des troubles qu’ils créaient. Ils n’ont pas tardé à faire connaître leur opposition par une vaste campagne de discours et de lettres qu’ils ont menée dans tous les États-Unis, au Canada et en Europe. En conséquence, après l’été 1917 un certain nombre de congrégations d’Étudiants de la Bible se sont divisées en deux groupes opposant, d’un côté, ceux qui étaient fidèles à la Société, et de l’autre, ceux qui étaient devenus la proie facile du verbiage doucereux des adversaires.

Mais, dans leur tentative de mainmise sur l’organisation, les administrateurs destitués n’allaient-​ils pas essayer d’influencer ceux qui assisteraient à l’assemblée générale annuelle? Prévoyant cette réaction, Joseph Rutherford a jugé sage de procéder à un référendum dans toutes les congrégations. Quel en a été le résultat? Selon le compte rendu publié dans La Tour de Garde du 15 décembre 1917 (en anglais), ceux qui ont voté ont exprimé leur soutien massif à Joseph Rutherford et aux administrateurs qui coopéraient avec lui! Cela a été confirmé à l’assemblée générale annuelle *. La tentative de mainmise avait avorté!

Qu’est-​il advenu des adversaires et de leurs partisans? Après l’assemblée générale annuelle de janvier 1918, ils se sont séparés des Étudiants de la Bible et ont même préféré, le 26 mars 1918, célébrer le Mémorial de leur côté. Quelque unité qu’ils aient eue, elle a été de courte durée, et avant longtemps ils se sont divisés en plusieurs sectes dont, pour la plupart d’entre elles, les effectifs ont peu à peu diminué et dont l’activité a ralenti ou cessé complètement.

Ainsi, après la mort de frère Russell, la fidélité des Étudiants de la Bible a été éprouvée. Voici le témoignage de Tarissa Gott, qui a été baptisée en 1915: “Nombre de ceux qui jusqu’alors avaient paru si forts, si dévoués au Seigneur, commençaient à s’en détourner. (...) Voilà qui ne nous disait rien qui vaille; pourtant il fallait se rendre à l’évidence, qui était préoccupante. Mais je raisonnais ainsi: ‘Cette organisation n’est-​elle pas celle que Jéhovah a utilisée pour nous affranchir des liens de la fausse religion? N’avons-​nous pas goûté sa bonté? Si nous partions maintenant, où irions-​nous? Ne finirions-​nous pas par suivre un homme?’ Nous n’avions aucune raison de suivre les apostats, aussi sommes-​nous restés.” — Jean 6:66-69; Héb. 6:4-6.

Certains de ceux qui ont quitté l’organisation se sont par la suite repentis et se sont de nouveau joints aux Étudiants de la Bible dans le culte divin. La grande majorité, comme sœur Gott, ont continué à coopérer avec la Société Watch Tower et frère Rutherford. À se côtoyer depuis des années aux réunions et aux assemblées, ils avaient consolidé leur amour et leur unité. Ils ne laisseraient rien briser ce lien d’union. — Col. 3:14.

En 1918, les Étudiants de la Bible avaient survécu à l’épreuve venant du milieu d’eux. Mais si l’opposition venait de ceux de l’extérieur, qu’allaient-​ils devenir?

Pris pour cible

Pendant les derniers mois de 1917 et jusqu’en 1918, les Étudiants de la Bible ont diffusé énergiquement le nouveau livre Le mystère accompli. À la fin de 1917, les imprimeurs tiraient le 850mille. La Tour de Garde du 15 décembre 1917 (en anglais) a dit: “Dans le même espace de temps, aucun autre livre connu, à l’exception de la Bible, n’a eu une aussi grande diffusion que le septième tome.”

Mais le succès du Mystère accompli n’enchantait pas tout le monde. Ce livre renfermait des déclarations très incisives au sujet du clergé de la chrétienté. Le clergé en a été si contrarié qu’il a pressé le gouvernement d’interdire les publications des Étudiants de la Bible. Par suite de cette opposition fomentée par le clergé, au début de 1918 Le mystère accompli a été interdit au Canada. Aux États-Unis, l’opposition contre les Étudiants de la Bible n’a pas tardé à se manifester.

Pour dénoncer les pressions du clergé, la Société Watch Tower a fait paraître, le 15 mars 1918, le tract Nouvelles du Royaume n1. Quel message contenait-​il? En manchette, sur une largeur de six colonnes, il disait: “L’intolérance religieuse — Les disciples du pasteur Russell persécutés parce qu’ils annoncent la vérité aux gens.” Sous le titre “La manière dont les Étudiants de la Bible sont traités rappelle l’‘âge des ténèbres’” étaient exposés les faits concernant la persécution et l’interdiction qui avaient commencé au Canada. Qui en étaient les instigateurs? Le tract désignait sans ménagement le clergé, qu’il décrivait comme “un groupe d’hommes sectaires qui ont systématiquement cherché à empêcher les gens de comprendre la Bible et à étouffer tout enseignement biblique qui ne vienne pas d’eux *”. Message percutant, en effet!

Comment le clergé a-​t-​il réagi à ces révélations? Auparavant, il avait déjà provoqué de l’agitation contre la Société Watch Tower. Mais là, il est devenu enragé! Au printemps 1918, une vague de persécutions violentes a déferlé sur les Étudiants de la Bible en Amérique du Nord et en Europe. Cette opposition fomentée par le clergé a atteint son comble le 7 mai 1918, lorsque le gouvernement fédéral des États-Unis a émis des mandats d’arrêt contre Joseph Rutherford et plusieurs de ses proches collaborateurs. Vers le milieu de 1918, Joseph Rutherford et sept de ses collaborateurs se sont retrouvés à la prison fédérale d’Atlanta (Géorgie).

Le juge Rutherford et ses collaborateurs en prison, qu’est-​il advenu du fonctionnement du siège de la Société?

On continue à ‘faire marcher la maison’

À Brooklyn a été nommé un Comité directeur pour continuer d’assurer la bonne marche de l’œuvre. Le principal souci des membres de ce comité était de ne pas interrompre la parution de La Tour de Garde. Où qu’ils soient, les Étudiants de la Bible avaient assurément besoin de tout l’encouragement spirituel possible. De fait, pendant tout ce “temps de mise à l’épreuve”, pas un seul numéro de La Tour de Garde n’a manqué d’être imprimé *!

Quelle était l’ambiance au siège de la Société? Thomas (Bud) Sullivan, qui, plus tard, est devenu membre du Collège central, a raconté: “J’ai eu la joie de visiter le Béthel de Brooklyn à la fin de l’été 1918, alors que les frères étaient emprisonnés. Les frères chargés de l’œuvre au Béthel n’étaient absolument pas affolés ni abattus. C’était même plutôt l’inverse. Ils étaient optimistes et confiants que Jéhovah accorderait finalement la victoire à son peuple. J’ai aussi eu le privilège d’être au petit déjeuner le lundi matin, lorsque les frères revenus au Béthel après avoir effectué un certain service durant le week-end ont présenté leurs comptes rendus. L’aperçu de la situation était très enthousiasmant. Dans tous les cas, les frères étaient confiants et s’en remettaient à Jéhovah pour diriger leurs activités ultérieures.”

Ils rencontraient pourtant beaucoup de difficultés. La Première Guerre mondiale faisait toujours rage. Le papier et le charbon manquaient; or c’étaient des matériaux absolument nécessaires pour le travail effectué au siège. Dans un contexte de patriotisme exacerbé, la Société était l’objet d’une animosité considérable; les Étudiants de la Bible passaient pour des traîtres. Dans ces circonstances difficiles, il est apparu impossible de poursuivre les activités à Brooklyn. C’est pourquoi le Comité directeur, après consultation des autres frères, a vendu le Tabernacle de Brooklyn et a fermé le Béthel. Le 26 août 1918, le siège de la Société était retransféré à Pittsburgh dans un bâtiment de bureaux situé sur deux rues, Federal Street et Reliance Street.

Néanmoins, il régnait un bon état d’esprit. Martha Meredith a raconté: “Pour notre part, à Pittsburgh, nous nous sommes réunis et avons décidé de continuer à ‘faire marcher la maison’ jusqu’à ce que les frères sortent de prison. À ce moment-​là, le bureau de Brooklyn a été transféré à Pittsburgh: les frères se sont donc mis à écrire et à faire imprimer des articles pour La Tour de Garde. Quant à nous, les sœurs, notre tâche était d’envelopper et d’expédier les numéros de La Tour de Garde dès qu’ils étaient prêts.”

Les Étudiants de la Bible rencontraient de dures épreuves depuis que les temps des Gentils avaient pris fin en automne 1914. Pourraient-​ils tenir bon encore longtemps? Avaient-​ils vraiment ‘l’amour de Dieu dans leur cœur’? Allaient-​ils tenir ferme le ‘Seigneur et sa vérité’, comme Charles Russell l’avait préconisé, ou allaient-​ils tout abandonner?

[Notes]

^ § 8 Dans ce chapitre, les citations d’Alexander Macmillan proviennent de son livre Faith on the March (La foi en marche), éditions Prentice-Hall, Inc., 1957.

^ § 22 Les cinq membres du Comité de rédaction nommés dans le testament de Charles Russell étaient les suivants: William Page, William Van Amburgh, Henry Rockwell, Edward Brenneisen et Frederick Robison. En outre, pour combler toute éventuelle vacance, d’autres noms étaient donnés: A. Burgess, Robert Hirsh, Isaac Hoskins, George Fisher, Joseph Rutherford et John Edgar. Mais William Page et Edward Brenneisen ont vite démissionné, frère Page parce qu’il ne pouvait habiter à Brooklyn et frère Brenneisen (dont le nom s’est plus tard orthographié Brenisen) parce qu’il devait exercer un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille. Joseph Rutherford et Robert Hirsh, dont les noms figuraient dans la liste de La Tour de Garde du 1er décembre 1916 (angl.), les ont remplacés comme membres du Comité de rédaction.

^ § 22 Selon les statuts de la Société Watch Tower, le conseil d’administration devait se composer de sept membres. Les statuts prévoyaient que les membres survivants du conseil d’administration se chargent de combler tout poste vacant. Aussi, deux jours après la mort de Charles Russell, le conseil d’administration s’est réuni et a élu comme septième membre A. Pierson. Les sept membres du conseil à ce moment-​là étaient donc A. Ritchie, W. Van Amburgh, H. Rockwell, J. Wright, I. Hoskins, A. Pierson et J. Rutherford. Ensuite, le conseil de sept membres a élu les trois membres du Comité directeur.

^ § 38 À l’assemblée générale annuelle tenue le 5 janvier 1918, les sept personnes qui ont reçu le plus grand nombre de voix ont été les suivantes: J. Rutherford, Ch. Anderson, W. Van Amburgh, A. Macmillan, W. Spill, J. Bohnet et G. Fisher. Parmi ces sept membres du conseil d’administration ont été choisis les trois membres du bureau exécutif: J. Rutherford, président; Ch. Anderson, vice-président et W. Van Amburgh, secrétaire-trésorier.

^ § 46 Deux autres tracts percutants ont suivi. Le tract Nouvelles du Royaume n2, daté du 15 avril 1918, contenait un message encore plus fort sous le titre “‘Le mystère accompli’ et la raison de sa suppression”. Puis le tract Nouvelles du Royaume n3, de mai 1918, portait ce titre évocateur: “Deux grandes batailles font rage — La chute de l’autocratie est certaine.”

^ § 50 Il était déjà arrivé, dans le passé, de fondre en un seul plusieurs numéros de La Tour de Garde, mais cela n’a pas été le cas entre 1914 et 1918.

[Entrefilet, page 68]

Joseph Rutherford a demandé aux opposants de quitter le Béthel.

[Encadré, page 62]

‘Certains d’entre nous étaient allés un peu vite en besogne’

À mesure qu’approchait octobre 1914, certains Étudiants de la Bible s’attendaient, puisqu’ils étaient des chrétiens oints, à recevoir leur récompense céleste à la fin des temps des Gentils. Témoin cette anecdote, qui a eu lieu lors d’une assemblée des Étudiants de la Bible tenue à Saratoga Springs (État de New York) du 27 au 30 septembre 1914. Alexander Macmillan, qui était baptisé depuis 14 ans, prononçait un discours le mercredi 30 septembre. Or il a fait cette déclaration: “Ce discours public est probablement le dernier que je donnerai jamais puisque bientôt nous rejoindrons notre demeure [au ciel].”

Cependant, deux jours plus tard (le vendredi 2 octobre), de retour à Brooklyn où ceux qui avaient assisté à l’assemblée devaient se réunir encore une fois, frère Macmillan s’est fait gentiment taquiner. Depuis sa place en bout de table, Charles Russell a annoncé: “Nous allons apporter quelques changements au programme de dimanche [4 octobre]. Dimanche matin, à 10 h 30, frère Macmillan nous présentera un discours.” Quelle a été la réaction? Frère Macmillan a écrit plus tard: “Tout le monde a ri de bon cœur, en se rappelant que j’avais parlé, le mercredi à Saratoga Springs, de mon ‘dernier discours public’!”

“Eh bien! il me fallait sans perdre un instant trouver quelque chose à dire. J’ai trouvé Psaume 74:9, où on lit: ‘Nous ne voyons plus nos signes; il n’y a plus de prophète, et personne parmi nous qui sache jusques à quand.’ Maintenant c’était différent. Dans ce discours, j’ai essayé de montrer aux frères et sœurs que certains d’entre nous étaient peut-être allés un peu vite en besogne en pensant que nous irions au ciel tout de suite; ce qu’il nous fallait faire était donc de rester occupés dans le service du Seigneur jusqu’à ce qu’il décide du moment où l’un de ses serviteurs approuvés devait être emporté dans sa demeure, au ciel.”

[Encadré, page 67]

Qui était Joseph Rutherford?

Joseph Franklin Rutherford est né de parents baptistes le 8 novembre 1869, dans une ferme de Morgan County (Missouri, États-Unis). À l’âge de 16 ans, il a obtenu de son père l’autorisation de suivre des études supérieures, à condition qu’il les paie lui-​même et qu’il paie aussi un ouvrier à gages pour le remplacer à la ferme. Jeune homme décidé, Joseph a fait un emprunt à un ami et a réussi à entrer à l’université, tout en étudiant aussi le droit.

Après avoir achevé ses études, Joseph Rutherford a reçu pendant deux ans une formation auprès du juge E. Edwards. À l’âge de 20 ans, il est devenu greffier des tribunaux de la quatorzième circonscription judiciaire du Missouri. Le 5 mai 1892, il a reçu la licence lui permettant d’exercer le droit dans le Missouri. Par la suite, il a été pendant quatre ans procureur de Boonville, toujours dans le Missouri. Encore plus tard, il a été de temps à autre juge d’exception près le tribunal de la huitième circonscription judiciaire du Missouri. C’est pour cela qu’on en est venu à l’appeler “juge” Rutherford.

Il se trouve que, pour payer ses études, Joseph Rutherford a vendu des encyclopédies de maison en maison. Le métier n’était pas facile: on était souvent mal reçu. Un jour, il a failli se tuer en tombant dans un torrent gelé alors qu’il allait de ferme en ferme. Il s’est promis que, lorsqu’il serait juriste, si quelqu’un venait à son étude pour vendre des livres, il les achèterait. Fidèle à sa parole, au début de 1894, il a pris trois tomes de “L’Aurore du Millénium” à deux colporteurs qui se sont présentés à son étude. Plusieurs semaines après, il a lu ces livres et s’est empressé d’écrire à la Société Watch Tower une lettre dans laquelle il disait: “Ma chère femme et moi-​même avons lu ces livres avec le plus vif intérêt, et nous regardons comme venant de Dieu et comme une grande bénédiction l’occasion que nous avons eue de les connaître.” Joseph Rutherford a été baptisé en 1906, et un an plus tard il devenait le conseiller juridique de la Société Watch Tower.

[Encadré/Illustration, page 69]

‘Aucun homme au monde n’est plus grandement favorisé’

Le 21 juin 1918, Joseph Rutherford et plusieurs de ses proches collaborateurs, faussement convaincus de conspiration, ont été condamnés à 20 ans d’emprisonnement. Qu’en ont-​ils pensé? Depuis sa prison située Raymond Street à Brooklyn, frère Rutherford a écrit, dans un billet daté des 22 et 23 juin (voir ci-dessous): “Sans doute aucun homme au monde aujourd’hui n’est plus grandement favorisé ni n’est plus heureux que les sept frères qui sont en ce moment en prison. Ils ont conscience d’être totalement innocents des méfaits intentionnels dont on les accuse, et ils se réjouissent de souffrir avec le Christ pour le servir fidèlement.”

[Encadré, page 70]

Des victimes de la persécution fomentée par le clergé

Vers le milieu de 1918, Joseph Rutherford et sept de ses collaborateurs étaient en prison, victimes de l’opposition fomentée par le clergé. Mais les huit hommes n’ont pas été les seules cibles de cette haine. Des années auparavant, Charles Russell avait été le premier à faire l’objet des attaques du clergé et de la presse. C’était maintenant au tour des Étudiants de la Bible d’en être les victimes. “L’Âge d’Or” (aujourd’hui “Réveillez-vous!”) du 29 septembre 1920 (en anglais) a publié un compte rendu long et détaillé de la persécution violente qu’ils ont subie aux États-Unis. À le lire, on se croirait retombé à l’époque de l’Inquisition *. En voici quelques extraits:

“Le 22 avril 1918, à Wynnewood (Oklahoma), Claud Watson a été emprisonné, puis relaxé à dessein entre les mains d’agitateurs — des prédicateurs, des commerçants et quelques autres — qui l’ont battu, fait fouetter par un Noir et, lorsqu’il a eu en partie recouvré ses esprits, fait fouetter de nouveau. Ensuite, ils lui ont versé sur tout le corps du goudron et des plumes, en frottant le goudron sur toute la tête et le cuir chevelu.”

“Le 29 avril 1918, à Walnut Ridge (Arkansas), W. Duncan, âgé de 61 ans, Edward French, Charles Franke, un certain Monsieur Griffin et Madame D. Van Hoesen ont été emprisonnés. La foule a fait irruption dans la prison et, utilisant le langage le plus vil et le plus obscène qui soit, elle les a fouettés, enduits de goudron et de plumes et chassés de la ville. Ces gens ont obligé frère Duncan à parcourir à pied les quarante-deux kilomètres qui le séparaient de son domicile, et il a failli en mourir. Monsieur Griffin a été rendu presque aveugle et, quelques mois plus tard, il devait mourir des suites de ces sévices.”

“Le 30 avril 1918, (...) à Minerva (Ohio), S. Griffin a été emprisonné, puis relaxé entre les mains d’agitateurs, après quoi le ministre l’a sermonné pendant un quart d’heure, puis on l’a battu à plusieurs reprises, abreuvé d’injures, on lui a donné des coups de pied, on l’a piétiné, on l’a menacé de pendaison et de noyade, on l’a chassé de la ville, on lui a fait plus d’un croche-pied, on l’a piqué à coups de parapluie, on l’a obligé à aller à pied, suivi sur six ou sept kilomètres jusqu’à Malvern (Ohio), on l’a arrêté encore une fois, on l’a enfermé par mesure de sécurité à Carrollton, et finalement il a été emmené chez lui par des fonctionnaires courageux et fidèles qui, après avoir examiné ses publications, ont dit en quelque sorte: ‘Nous ne trouvons en cet homme aucun délit.’”

[Note de l’encadré]

^ § 79 Pp. 712-717.

[Illustrations, page 64]

Le 31 octobre 1916, Charles Russell s’éteignait dans le train à Pampa (Texas). Il avait 64 ans. De nombreux journaux ont relaté ses obsèques.

[Illustration, page 66]

Joseph Rutherford avait une stature imposante: il mesurait 1,88 mètre et pesait environ 100 kilos.

[Illustration, page 69]

La prison, située Raymond Street à Brooklyn (New York), où frère Rutherford et plusieurs de ses proches collaborateurs ont été détenus pendant sept jours aussitôt après leur jugement.

[Illustration, page 71]

Thomas (Bud) Sullivan a visité le siège en 1918; plus tard, il est devenu membre du Collège central des Témoins de Jéhovah.