J’ai appris à me reposer totalement sur Jéhovah
Biographie
J’ai appris à me reposer totalement sur Jéhovah
PAR AUBREY BAXTER
Un samedi soir de 1940, j’ai été attaqué par deux hommes qui m’ont frappé et jeté à terre. Deux agents de police ont assisté à la scène. Non seulement ils n’ont pas remué le petit doigt, mais ils m’ont crié des insultes tout en approuvant mes agresseurs. Ce passage à tabac était la conséquence d’événements qui remontaient à cinq ans, à une période où je travaillais dans une mine de charbon.
JE SUIS né en Australie, à Swansea, sur la côte de la Nouvelle-Galles du Sud. J’étais le troisième de quatre garçons. En 1918 — j’avais cinq ans —, toute la famille a contracté la redoutable grippe espagnole. L’épidémie a tué des millions de personnes dans le monde. Nous avons eu, nous, la chance d’en réchapper. Par contre, le malheur nous a frappés en 1933. Maman est morte ; elle avait 47 ans. C’était une femme d’une grande piété. Un peu avant son décès, elle avait fait l’acquisition du livre Lumière, un manuel d’étude biblique en deux volumes édité par les Témoins de Jéhovah.
Je travaillais alors dans une mine de charbon et, comme j’avais des périodes d’attente entre deux phases d’activité intense, j’emportais les livres avec moi et je les lisais à la lueur de la lampe à carbure fixée sur mon casque. J’ai vite compris que j’avais trouvé la vérité, et j’ai alors commencé à écouter les discours bibliques radiodiffusés des Témoins de Jéhovah. À ma plus grande joie, papa et mes frères aussi se sont intéressés à la vérité biblique.
En 1935, un nouveau drame a touché la famille : Billy, mon jeune frère, a été emporté par une pneumonie. Il n’avait que 16 ans. Cette fois-ci, Actes 24:15). Quelque temps plus tard, papa et mes deux frères, Verner et Harold (ainsi que leurs femmes), se sont voués à Dieu. Aujourd’hui, tous les membres de ma famille immédiate sont décédés, mais Elizabeth, la femme de Harold, et Marjorie, la seconde femme de Verner, sont toujours actives dans le service de Jéhovah.
cependant, nous avions l’espérance de la résurrection pour nous consoler (J’apprends à me reposer sur Jéhovah
Ma première rencontre avec un Témoin de Jéhovah en chair et en os a eu lieu un peu plus tard au cours de cette année 1935, quand une Ukrainienne distinguée se déplaçant à bicyclette s’est présentée à notre porte. Le dimanche suivant, j’assistais à ma première réunion et, une semaine après, je débutais dans le ministère. Le chrétien qui organisait l’activité m’a donné quelques brochures puis, à ma grande surprise, il m’a envoyé prêcher tout seul ! À la première porte, je n’en menais pas large. J’aurais voulu que la terre s’ouvre et m’engloutisse. Mais, finalement, l’occupant de la maison était aimable et il a même accepté des publications.
Touché par des textes comme Ecclésiaste 12:1 et Matthieu 28:19, 20, j’ai eu le désir de devenir pionnier, c’est-à-dire évangélisateur à plein temps. Papa m’a approuvé. Je n’étais pas encore baptisé, mais je me suis fixé l’objectif de commencer le 15 juillet 1936. Le jour venu, je me suis rendu au siège des Témoins de Jéhovah (Béthel), à Sydney. Là, on m’a demandé de rejoindre un groupe de 12 pionniers dans la banlieue de la ville, à Dulwich Hill. Ce fut l’occasion pour moi d’apprendre à manier le moulin à bras dont les pionniers se servaient pour moudre leur propre farine et réduire ainsi leurs dépenses alimentaires.
Pionnier dans le bush
Je me suis fait baptiser dans le courant de l’année, après quoi on m’a affecté dans le centre du Queensland avec deux autres pionniers, Aubrey Wills et Clive Shade. Pour tout équipement, nous avions la fourgonnette d’Aubrey, des vélos, un phonographe portatif sur lequel passer des discours bibliques, une tente qui fut notre seul toit au cours des trois années suivantes, trois lits, une table et une marmite en fer. Un soir où c’était mon tour de faire la cuisine, j’ai voulu concocter un repas “ spécial ” à base de légumes et de farine de blé. Immangeable ! Non loin de là, il y avait un cheval. Je le lui ai donné ; il l’a reniflé, a secoué la tête et a fait demi-tour. Fin de mes expériences culinaires.
À un moment donné, nous avons décidé de nous partager le territoire pour le couvrir plus rapidement. Le soir, j’étais souvent trop loin de notre camp de base pour rentrer, et il m’arrivait alors de me faire héberger. Une fois, j’ai couché dans le lit luxueux de la chambre d’invité d’un ranch, et la nuit suivante sur la terre battue d’une cabane de chasseur de kangourou, au milieu de piles de peaux fétides. Je dormais souvent dans le bush. Une nuit, des dingos (chiens sauvages) m’ont encerclé. Je ne les voyais pas, mais leurs hurlements sinistres déchiraient l’obscurité. Après une nuit blanche, j’ai découvert que ce n’était pas moi qui les intéressais, mais des abats qui avaient été jetés à proximité.
Prédication avec une voiture sonorisée
Nous prêchions aussi en utilisant une voiture sonorisée. À Townsville, dans le nord du Queensland, la police nous avait autorisés à nous installer dans le centre-ville. Mais des membres de l’Armée du Salut se sont irrités du discours que nous diffusions et nous ont demandé de partir. Devant notre refus, cinq d’entre eux se sont mis à secouer violemment la fourgonnette. J’étais à l’intérieur, occupé à régler la sonorisation ! Jugeant prudent de ne pas faire valoir nos droits, dès que les hommes se sont reculés nous avons quitté les lieux.
À Bundaberg, un homme nous a prêté un bateau pour que nous puissions diffuser un enregistrement depuis la rivière (Burnett) qui traverse la ville. Aubrey et Clive sont montés à bord avec le matériel de sonorisation, pendant que je restais dans la salle que nous avions louée pour l’occasion. Ce soir-là, la voix puissante de Joseph Rutherford, membre du siège mondial des Témoins de Jéhovah, a retenti dans tout Bundaberg, proclamant un message biblique percutant. Il fallait de la foi et de la hardiesse, mais quelle époque exaltante c’était pour le peuple de Dieu !
La guerre, source de difficultés supplémentaires
Juste après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, le numéro du 1er novembre de l’édition anglaise de La Tour de Garde a traité opportunément de la neutralité chrétienne en rapport avec la politique et la guerre. L’avenir m’a prouvé que j’avais bien fait d’étudier ces articles. Après avoir passé trois ans ensemble, Aubrey, Clive et moi avons reçu chacun une autre affectation. J’ai été nommé surveillant de circonscription dans le nord du Queensland. Cette nouvelle affectation a souvent mis ma confiance en Jéhovah à l’épreuve.
En août 1940, j’ai séjourné dans la congrégation de Townsville, qui comptait alors quatre pionniers : un couple, Percy et Ilma Iszlaub *, et deux frère et sœur, Norman et Beatrice Bellotti. Beatrice allait devenir ma femme six ans plus tard. C’est au cours de cette visite, à la fin d’un après-midi de prédication en groupe dans les rues, que j’ai été victime de l’agression évoquée en introduction. Mais cette injustice n’a fait que me stimuler.
Deux pionnières, Una et Merle Kilpatrick, faisaient un excellent travail dans le nord. Après une très agréable journée dans le ministère, elles m’ont demandé de les aider à franchir une rivière, afin d’aller voir une famille qui s’intéressait à la vérité. Je devais, pour cela, traverser la rivière à la nage pour aller récupérer une barque amarrée sur l’autre rive. En arrivant à la barque, j’ai constaté qu’il n’y avait pas de rames. Nous avons appris par la suite qu’un opposant les avait cachées. Mais cela ne nous a pas arrêtés. J’avais été maître nageur pendant quelques années, et j’avais encore de beaux restes. J’ai noué l’amarre autour de ma taille et tiré la barque jusqu’aux sœurs, avant de refaire le trajet en sens
inverse en remorquant mes deux passagères. Jéhovah a béni nos efforts, puisque la famille en question s’est convertie par la suite.Protégé par Jéhovah
Pour des raisons de sécurité, l’armée a installé un barrage à l’entrée de la ville d’Innisfail. Mon statut de résident me donnait droit à des laissez-passer, ce qui s’est avéré très utile lors de la venue de représentants du Béthel. Pour leur faire franchir le barrage, je les cachais dans un compartiment secret situé sous le siège arrière de ma voiture.
L’essence étant rationnée, beaucoup de véhicules étaient équipés d’un gazogène, appareil qui produisait un gaz combustible à partir du charbon de bois. Je roulais de nuit, les sacs de charbon entassés sur le siège arrière. Quand j’arrivais à un barrage, je détournais l’attention des gardes en faisant tourner le moteur à fond et en veillant à ce que la trémie soit chauffée à blanc. Je me rappelle avoir un jour hurlé aux oreilles des gardes : “ Si je coupe le moteur, ça va dérégler l’admission, et je vais avoir un mal fou à redémarrer. ” Incommodés par la chaleur, le bruit et la suie, les gardes expédiaient l’inspection et me laissaient passer.
Durant cette période, j’ai été chargé d’organiser une assemblée de district à Townsville. La nourriture aussi étant rationnée, il fallait passer par le magistrat local pour obtenir les provisions nécessaires. Or, à l’époque, notre neutralité était synonyme de prison pour les frères. Quand j’ai pris rendez-vous, je me suis donc demandé si je ne jouais pas avec le feu. Mais j’ai quand même suivi les instructions qu’on m’avait données.
Installé derrière un immense bureau, le magistrat m’a invité à m’asseoir. Quand je lui ai expliqué l’objet de ma visite, il s’est raidi et m’a fixé longuement avec un regard dur. Puis il s’est détendu et m’a dit : “ De quelle quantité de nourriture avez-vous besoin ? ” Je lui ai tendu une liste qui correspondait au minimum de ce qu’il nous fallait. Il l’a examinée et m’a dit : “ Ça ne me semble pas assez. Il vaut mieux doubler les quantités. ” Je suis sorti de son bureau débordant de reconnaissance pour Jéhovah qui venait de me donner une nouvelle leçon en matière de confiance.
En janvier 1941, notre œuvre a été interdite dans le pays. Beaucoup de gens sont devenus soupçonneux à notre égard, certains nous accusant carrément d’être des espions à la solde des Japonais ! Un jour, deux véhicules entiers de policiers et de soldats ont fait irruption à la Ferme du Royaume, une propriété que nous avions achetée sur le plateau d’Atherton à des fins agricoles. Ils cherchaient un projecteur avec lequel, nous étions censés communiquer avec l’ennemi. On nous accusait aussi d’avoir planté nos champs de maïs selon une forme codée pouvant être lue depuis les airs. Il s’est évidemment avéré que tout cela était faux.
L’interdiction nous obligeait à être prudents — et inventifs — pour transmettre les publications aux frères. Par exemple, lorsque le livre Enfants est paru, j’ai récupéré un carton à Brisbane et pris le train en direction du nord, laissant des livres à chaque station où il y avait une congrégation. Pour dissuader policiers et inspecteurs militaires d’ouvrir le carton, j’avais pris avec moi une lame de scie circulaire que j’attachais sur le carton avant de descendre du train. C’était tout simple, mais ça marchait à tous les coups. À notre grand soulagement, l’interdiction — jugée ‘ arbitraire, fantasque et tyrannique ’ par un tribunal — a été levée en juin 1943.
Appelé sous les drapeaux
L’année précédente, Aubrey Wills, Norman Bellotti et moi avions été appelés sous les drapeaux. Convoqués une semaine avant moi, Aubrey et Norman avaient écopé de six mois de prison. À l’époque, la poste confisquait les numéros de La Tour de Garde adressés aux Témoins connus de ses services, mais pas ceux des autres abonnés. Notre tâche consistait à trouver l’un de ces abonnés, à dupliquer les périodiques et à distribuer les copies aux frères. De cette façon, tous recevaient régulièrement la nourriture spirituelle.
Quand la condamnation à six mois de prison à laquelle je m’attendais est tombée, j’ai tout de
suite fait appel, conformément aux conseils du Béthel. Notre objectif était de gagner du temps jusqu’à ce que quelqu’un d’autre puisse effectuer l’activité à ma place. J’en ai profité pour visiter quelques-uns des 21 Témoins emprisonnés dans le nord du Queensland. La majorité d’entre eux étaient regroupés dans le même établissement, surveillés par un gardien qui nous détestait cordialement. Quand je lui ai rappelé que les ministres des autres religions avaient le droit de visiter leurs coreligionnaires, il est entré dans une colère noire. “ Si ça ne tenait qu’à moi, a-t-il hurlé, je ferais fusiller tous les Témoins de Jéhovah ! ” Les autres gardes se sont empressés de me raccompagner à l’extérieur.Le jour de ma comparution en appel, on m’a commis un avocat, conformément à la loi. En fait, j’ai assuré ma propre défense, ce qui veut dire que je me suis surtout reposé sur Jéhovah. Et il ne m’a pas abandonné (Luc 12:11, 12 ; Philippiens 4:6, 7). Contre toute attente, j’ai gagné en appel — en raison de plusieurs erreurs d’écritures dans le dossier d’accusation.
En 1944, j’ai reçu pour affectation une grande circonscription couvrant toute l’Australie méridionale, le nord de l’État de Victoria et la ville de Sydney (Nouvelle-Galles du Sud). L’année suivante, une campagne mondiale de discours publics a été lancée. Chaque orateur devait désormais préparer ses discours sur la base d’un plan d’une page qui lui était fourni. Nous n’étions pas habitués à présenter des discours d’une heure, mais nous nous sommes confiés en Jéhovah, et il a béni nos efforts.
Mariage et nouvelles responsabilités
En juillet 1946, j’ai épousé Beatrice. Nous étions pionniers et vivions dans une caravane. Notre fille et unique enfant, Jannyce (Jann), est née en décembre 1950. Nous avons effectué notre service en divers endroits, notamment à Kempsey, en Nouvelle-Galles du Sud, où nous étions les seuls Témoins. Tous les dimanches, nous nous installions dans une salle municipale, et je prononçais un discours public pour lequel nous avions distribué des feuilles d’invitation. Pendant plusieurs mois, Beatrice et la petite Jann ont constitué mon seul auditoire. Mais, peu à peu, d’autres ont commencé à venir. Aujourd’hui, il y a deux belles congrégations à Kempsey.
Quand Jann a eu deux ans, nous nous sommes fixés à Brisbane. À la fin de sa scolarité, nous sommes partis tous les trois à Cessnock, en Nouvelle-Galles du Sud, où nous avons été pionniers pendant quatre ans, avant de revenir à Brisbane pour prendre soin de la mère de Beatrice, qui était malade. Actuellement, je suis ancien dans la congrégation de Chermside.
Beatrice et moi rendons grâce à Jéhovah pour les bénédictions dont il nous a comblés, en particulier le bonheur d’avoir aidé 32 personnes à le connaître. Personnellement, je le remercie de m’avoir donné une épouse que je chéris, une femme que sa douceur n’empêche pas de défendre la vérité biblique avec courage. Son amour de Dieu, sa confiance en lui et son ‘ œil simple ’ en font une femme et une mère vraiment capable (Matthieu 6:22, 23 ; Proverbes 12:4). Elle et moi pouvons réellement dire de tout notre cœur : “ Béni est l’homme robuste qui place sa confiance en Jéhovah. ” — Jérémie 17:7.
[Note]
^ § 19 La biographie de Percy Iszlaub a été publiée dans notre numéro du 15 août 1981.
[Illustration, page 9]
La voiture sonorisée que nous utilisions dans le nord du Queensland.
[Illustration, page 10]
Saison des pluies dans le nord du Queensland : petit coup de main aux sœurs Kilpatrick pour faire avancer leur voiture.
[Illustration, page 12]
Photo de mariage.